

RÉVÉLATIONS
CÉLESTES
Sainte Brigitte de Suède
Livre 1
— Chapitres 21 à
34 —
Chapitre 21
Paroles de l'Époux et
l'épouse en une très belle figure. Magicien par lequel le diable est
admirablement désigné et signifié.
L'époux parlait en
figure à son épouse, rapportant l'exemple de la grenouille et disant
: Un magicien avec de l'or très bon et très brillant. Un homme
simple et doux, voulant l'acheter, alla vers le magicien, qui lui
dit : Vous n'aurez pas cet or, si vous ne m'en donnez de meilleur et
en plus grande quantité. Cet homme simple repartit : Je désire tant
votre or que j'aime mieux vous en donner tout ce que vous voudrez
que de ne point l'avoir. Et ayant donné au magicien un or meilleur
et en une plus grande quantité, il reçut de lui cet or splendide et
le mit en son cabinet, pensant en faire un anneau pour son doigt.
Or, un peu de temps
s'étant écoulé, le magicien vint vers cet homme simple et lui dit :
L'or que vous m'avez acheté et que vous avez mis dans votre cabinet,
n'est pas de l'or, mais une grenouille très vile, qui a été nourrie
dans ma poitrine et nourrie de ma viande. Et comme il en voulut
faire l'expérience, la grenouille apparut en son cabinet, le
couvercle duquel pendait sur les quatre gonds, comme celui qui
devait tomber de l'instant. Lors, ayant ouvert la porte du cabinet,
et ayant vu la grenouille le magicien, celle-ci se jeta en sa
poitrine. Voyant cela, les serviteurs et les amis de cet homme
simple lui dirent : Seigneur, l'or est caché dans la grenouille, et
si vous le voulez, vous le pourrez heureusement avoir. Comment le
pourrai-je avoir, dit-il ? Ils lui dirent : Si l'on prenait une
lancette fort aiguë et fort chaude, et qu'on l'enfonçât dans le dos
de la grenouille, où il est caché, alors soudain il pourrait avoir
cet or. Que si l'on ne peut trouver de creux en elle, il faudrait
alors enfoncer puissamment et profondément la lancette, et ainsi,
vous pourriez avoir ce que vous avez acheté.
Qui est ce magicien,
sinon le diable, qui persuade aux hommes les plaisirs, les
délectations et les honneurs du monde, qui ne sont qu'une grenouille
? car il assure que le faux est vrai, et fait voir le vrai faux ;
car il possède cet or précieux, c'est-à-dire, l'âme que j'ai faite,
par la puissance adorable de ma Divinité, plus précieuse que les
étoiles et les planètes ; que j'ai créée pour moi immortelle, stable
et délectable par-dessus toutes choses, et lui ai préparé avec moi
une habitation, un repos eternel. J'ai racheté cette âme de la
puissance du démon avec un meilleur or et un plus grand prix, quand,
par amour pour elle, j'ai donné ma chair exempte de péché et
impeccable, et ai souffert une si amère passion qu'aucun de mes
membres n'a été sans quelque blessure ; et en la créant, je l'ai
mise en son corps comme dans un cabinet, jusqu'à ce que je la place
dans la dignité suréminente de ma Divinité. Or, maintenant, l'âme
étant rachetée de la sorte, elle est devenue comme une grenouille
très laide et très vile, sautant par la superbe, et demeurant dans
le bourbier par la luxure, et elle a enlevé mon or, c'est-à-dire, ma
justice.
Et partant, le diable
peut me dire à bon droit : L'or que vous avez acheté n'est pas de
l'or, mais une grenouille nourrie au sein de mes plaisirs. Séparez
donc le corps de l'âme, et vous verrez qu'elle s'envolera soudain
dans mon sein où elle a été nourrie. Je réponds à cela : Vu que la
grenouille est horrible à voir, fâcheuse à ouïr, vénéneuse à
l'attouchement, et qu'elle ne m'apporte aucun bien, aucun plaisir,
mais bien à vous, qui l'avez nourrie dans votre poitrine, elle vous
appartient de droit.
Partant, séparée du
corps, elle s'envolera soudain pour demeurer éternellement avec
vous. Car telle est l'âme de celui dont je vous parle : certes, elle
est comme un grenouille pernicieuse, pleine d'immondicités, et
nourrie de voluptés infâmes dans la poitrine de Satan. J'approche
maintenant de son cabinet, c'est-à-dire, de son corps, par
l'approche de la mort, qui pend sur quatre gonds qui tombent en
ruine, attendu que son corps subsiste par quatre choses : par la
force, la beauté, l'afféterie, le regard, qui tous commence à
défaillir et à se flétrir.
Quand l'âme sera
séparée du corps, elle s'envolera soudain vers le diable, du lait
duquel elle est nourrie, d'autant qu'elle a oublié mon amour, qui
m'avait fait anéantir et subir la peine et le supplice qu'elle
méritait ; car elle ne me rend pas plaisir pour plaisir ; mais
d'ailleurs, elle ôte ma justice : elle me devait mieux servir que
cela, d'autant que je l'avais rachetée plus qu'aucune autre créature
; mais elle aime mieux être avec le démon. La voix de son oraison
m'est comme la voix de la grenouille ; sa vue m'est abominable ; son
ouïe n'entendra jamais ma joie mélodieuse ; son attouchement
envenimé ne sentira pas ma Divinité. Mais néanmoins, parce que je
suis miséricordieux, son âme, bien qu'elle soit immonde, si
quelqu'un la sondait et considérait s'il y a en elle quelque
contrition ou quelque bonne volonté, et enfonçait en son esprit une
lance pointue et fervente, c'est-à-dire, la crainte de mon sévère
jugement, son âme trouverait encore ma grâce, si elle voulait y
consentir. Que s'il n'y avait en elle ni contrition ni charité ; si
quelqu'un la piquait d'une mordante correction et d'une dure
répréhension, il y aurait encore en elle quelque espérance, car tant
que l'âme vit avec le corps, ma miséricorde infinie est ouverte à
tous.
Voyez donc que je suis
mort pour la charité, et personne ne me rend la charité, mais me
ravit ma justice, car il serait juste que les hommes vécussent,
d'autant mieux qu'ils ont été éminemment rachetés d'un plus grand
labeur. Mais maintenant, ils veulent vivre plus mal que je les ai
plus amèrement et plus précieusement rachetés, et veulent pécher
d'autant plus perfidement que plus je leur ai montré l'abomination
de leur péché. Partant, voyez et considérez que je ne me courrouce
pas sans sujet, car il convertissent ma grâce en leur malheur ; je
les ai rachetés du péché, et ils se plongent de plus en plus dans le
péché. Vous donc, ô mon épouse ! rendez-moi ce que vous me devez,
c'est-à-dire, gardez-moi votre âme pure, car je suis mort pour vous,
afin que vous la gardiez pure et intacte.
Chapitre 22
Des demandes de la
douce Mère de Dieu à l'épouse ; des réponses humbles de l'épouse à
la Mère ; des répliques utiles de la Mère à l'épouse, et du profit
des bons entre les mauvais.
La Mère de Dieu parlait
à l'épouse de son Fils, lui disant : Vous êtes l'épouse de mon Fils.
Dites ce que vous avez dans l'âme et ce que vous demandez. L'épouse
lui répondit : Vous le connaissez fort bien, ô notre Dame ! car vous
savez tout. Et alors la Sainte Vierge lui dit : Bien que je sache
tout, néanmoins je connaîtrai cela même quand vous parlerez en la
présence des assistants, qui vous écoutent. Alors l'épouse repartit
: Je crains deux choses : 1° que je ne pleure ni n'amende mes péchés
comme je voudrais ; 2° je m'afflige de ce que plusieurs de vos
enfants sont vos ennemis. La Sainte Vierge répondit : Je vous donne
trois remèdes contre le premier.
En premier lieu, pensez
que toutes les choses qui ont une âme comme les grenouilles et le
reste des animaux, reçoivent quelquefois des incommodités ;
néanmoins, leur âme ne vit pas éternellement, mais elle meurt avec
le corps : mais votre âme et celle de tous les hommes vivent
éternellement. En deuxième lieu, considérez la miséricorde de Dieu,
car il n'y a pas homme, quelque pécheur qu'il soit, qui n'obtienne
pardon, s'il m'en prie avec propos de s'amender et avec contrition
du passé. En troisième lieu, voyez combien est grande la gloire de
l'âme qui vit et règne sans fin en Dieu et avec l'éternité de Dieu
infini.
Contre le deuxième, qui
dit que les ennemis de Dieu sont nombreux, donnez aussi à vous-mêmes
trois remèdes : 1° considérez que votre Dieu, votre Créateur et le
leur, est leur juge, et ils ne jugeront jamais désormais, bien que,
jusqu'au temps destiné, il supporte patiemment leur malice ; 2°
pensez qu'ils sont enfants de damnation, et combien pesant et
insupportable leur sera de toujours brûler malheureusement d'un
inextinguible feu. Ils sont très pernicieux serviteurs ; ils ne
seront jamais mes héritiers, mais mes enfants posséderont mon
héritage.
Or, vous me direz
peut-être : Il ne faut donc par leur prêcher la parole de Dieu ?
Véritablement vous devez considérer qu'entre les mauvais, il y en a
d'ordinaire des bons, et les enfants adoptifs se retirent souvent du
bien, comme l'enfant prodigue, qui s'en alla en une autre région
éloignée et vécut mal ; et même souvent, ceux-là même sont excités à
la componction par la prédication, et retournent vers leur père, qui
les reçoit avec autant de plaisirs qu'auparavant ils étaient partis
pécheurs. Partant, il leur faut prêcher, car bien que le prédicateur
voie presque tous ses auditeurs méchants, il doit considérer
néanmoins à part soi qu'il y en a parmi ceux-là qui seront peut-être
enfants de Dieu. Qu'il leur prêche donc, car ce prédicateur jouira
d'une très bonne récompense.
En troisième lieu,
considérez qu'on permet aux méchants de vivre pour éprouver les
bons, afin qu'étant exercés par leurs mœurs fâcheuses, les bons
soient récompensés par le fruit de leur patience, comme vous le
pourrez comprendre par un exemple.
Bien que la rose sente
bon, soit agréable à la vue, douce au toucher, néanmoins, elle ne
croît que parmi les épines, qui sont âpres au touche, laides à la
vue et ne sentent point bon. De même aussi, les hommes bons et
justes, bien qu'ils soient doux par leur patience, beaux en leurs
mœurs, agréables en leur conversation, ne peuvent néanmoins
s'avancer ni être éprouvés que parmi les mauvais. Quelquefois
l'épine empêche que la rose soit cueillie avant qu'elle soit éclose
et épanouie : de même les mauvais empêchent les bons de se laisser
aller au mal ; souvent ils sont retenus comme par un frein par la
malice des méchants, afin qu'ils ne s'échappent pas par la joie
immodérée ou par quelque autre péché. On ne connaît jamais bien le
bon vin que dans la lie : de même les bons et les justes ne peuvent
s'avancer dans la vertu, sans être éprouvés par les tribulations et
les persécutions des méchants.
Partant, supportez
librement les ennemis de mon Fils ; considérez qu'il est leur juge,
et pensez que, s'il était équitable de les ruiner tout à fait, il
pourrait, par ses pouvoirs adorables, les effacer et les perdre en
un moment. Endurez-les donc puisqu'il les endure lui-même.
Chapitre 23
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse, traitant de l'homme feint et dissimulé qui est appelé
ennemi de Dieu. Il parle en particulier de l'hypocrite et le décrit
entièrement.
L'homme feint et
dissimulé ressemble à l'homme riche, beau, fort et généreux dans le
combat de son seigneur. Mais n'ayant plus son casque sur sa tête, il
est abominable à voir et il ne peut rien faire.
Son cerveau paraît
creux et vide ; il a les oreilles au front et les yeux derrière la
tête ; son nez est coupé ; ses joues sont ridées et enfoncées ; il
ressemble à un homme mort; sa mâchoire du côté droit, sa gorge et la
moitié des lèvres, sont tombées, de sorte qu'il n'y a du côté droit
que le gosier qui paraît tout nu; sa poitrine est pleine de vers qui
y fourmillent; ses bras sont comme deux serpents. Il porte dans son
cœur un scorpion pernicieux; son dos est comme un charbon brûlé; ses
intestins, corrompus et puants, sont comme de la chair en
putréfaction; ses pieds morts sont sans mouvement, incapables de
marcher.
Qu'est-ce que tout ceci
signifie ? Écoutez, je vous le dirai. L'homme feint et dissimulé
paraît devant les hommes à l'extérieur être de bonnes mœurs, orné de
sagesse, généreux à la défense de mon honneur ; mais il n'en est pas
ainsi, car si on lui ôtait son casque de la tête, c'est-à-dire, si
on le montrait aux hommes tel qu'il est en effet, on le verrait le
plus vile et le plus poltron de tous. Certes, son cerveau est tout
vide; sa folie et sa légèreté dans ses mœurs montrent assez, par des
signes évidents, manifestes, qu'il est indigne d'un tel honneur, car
s'il était sage selon ma sagesse divine, il comprendrait qu'il
devrait faire une pénitence d'autant plus rude et s'abaisser plus
profondément, qu'il est rehaussé en honneur par-dessus les autres.
Il a les oreilles au front, attendu qu'au lieu de l'humilité
profonde qu'il devrait avoir, à raison de la dignité à laquelle il
est élevé et estimé, et brille au-dessus des autres, il ne veut ouïr
que ses propres louanges et ses propres honneurs, s'enorgueillissant
de telle sorte qu'il veut que tous l'appellent grand et bon.
Il a les yeux derrière
la tête, attendu que sa vue et ses connaissances ne sont inutilement
occupées que des choses présentes, et non des choses éternelles.
Toute son étude est de chercher comment il plaira aux hommes,
comment il contentera sa chair, et non comment il me contentera et
profitera aux âmes. Son nez est coupé, car la discrétion lui est
ôtée, par laquelle il pouvait discerner le péché de la vertu,
l'honneur passager de l'honneur éternel, les richesses temporelles
des richesses immortelles, et les délices fades et périssables des
douces et permanentes délices. Ses joues sont creuses, c'est-à-dire,
toute l'humilité qu'il devait avoir devant moi, la splendeur et la
beauté dont il devait me réjouir, sont éteintes, flétries, attendu
qu'il a eu honte de pécher devant les hommes, et non pour ma
considération. L'autre partie de la mâchoire et de la lèvre était
toute tombée, de sorte, il n'y avait que le gosier, d'autant que
l'imitation de mes œuvres, la prédication de mes paroles et la
prière fervente, étaient déchues en lui, de sorte qu'il ne restait
en lui que le gosier de sa gourmandise.
Or, il n'était
préoccupé que de l'imitation des méchants, de la révolution des
affaires séculières et de leurs tracas. Sa poitrine est remplie de
vers, car là où le souvenir de ma passion, de mes œuvres et de mes
commandements devait incessamment résider, là est la sollicitude des
choses temporelles et la cupidité du monde, qui rongent cruellement
sa conscience, comme des vers, afin qu'elle ne pense pas aux choses
spirituelles. Dans son cœur, où je (bonté éternelle) voudrais
demeurer, et là où mon amour devrait régner, un méchant scorpion
réside, qui le pique de sa queue, et le flatte, et l'allèche de sa
face, car de sa bouche sortent des paroles séduisantes et affétées,
mais son cœur est plein d'injustice et de tromperie, d'autant qu'il
ne se soucie point que l'Église fût détruite, s'il pouvait
satisfaire à sa volonté abominable et contenter ses détestables
appétits. Ses bras sont comme des serpents pestiférés, car
malicieusement il s'étend aux simples, les alléchant et les appelant
à soi avec sa feinte simplicité ; et ayant saisi adroitement
l'occasion, il les supplante misérablement; et ensuite, comme un
serpent, il s'entortille en cercle, d'autant qu'il cache sa malice
et son intolérable iniquité, de telle sorte qu'à grand peine peut-on
découvrir ses ruses et ses tromperies.
Cet homme dissimulé est
devant moi comme un très vil serpent : car comme le serpent est haï
de tous les animaux, de même l'hypocrite m'est le plus désagréable
des pécheurs, attendu qu'il met à néant la grandeur et la rigueur de
ma justice, et me répute comme un homme qui ne veut pas se venger.
Son dos est noir comme un charbon, bien que, néanmoins, il dût être
blanc comme l'ivoire, attendu que ses œuvres devraient être fortes
et pures plus que toutes celles des autres, afin qu'il portât les
infirmes à bien faire. Mais maintenant, il est comme un charbon, car
il est si infirme et si faible qu'il ne saurait endure une parole
pour l'amour de moi ; mais pour l'amour de soi-même il endure tout.
Vraiment, il lui semble être fort dans le monde ; néanmoins quand il
pensera subsister, il succombera, parce qu'il est difforme et mort,
devant moi et devant les saints, comme un charbon éteint. Ses
intestins sont puants, parce que sa pensée et son affection sont
puantes comme une charogne dont personne ne peut souffrir la
corruption : de même aucun des saints ne peut le supporter, mais
tous en détournent le visage et en demandent à Dieu l'épouvantable
jugement et la vengeance terrible. Ses pieds sont morts : les deux
pieds signifient deux affections qu'il me porte : l'une, le désir
d'amender les fautes commises, et l'autre, la volonté de faire le
bien. Mais ces deux pieds sont tout à fait morts en lui, attendu que
toute la moelle de la charité est consommée, et il ne reste en lui
que les os d'un épouvantable endurcissement. Et ainsi est-il devant
moi. Néanmoins, tant que l'âme est dans le corps, il peut trouver ma
miséricorde.
Déclaration.
Saint Laurent apparut à
sainte Brigitte, disant : Tant que j'ai vécu dans le monde, j'ai eu
trois choses : la continence, la miséricorde envers mon prochain, et
l'amour envers Dieu. Partant, j'ai prêché avec ferveur la parole de
Dieu ; j'ai distribué sagement les biens de l'Église, et supporté
joyeusement les fouets, les feux et la mort : mais cet évêque tolère
et dissimule l'incontinence du clergé, dépense largement et
misérablement les biens de l'Église aux riches ; il a de la charité
pour soi et pour les siens. Partant, je lui signifie qu'une légère
nuée est déjà montée au ciel. Oh ! que de flambeaux sont éteints et
s'obscurcissent, de peur qu'elle ne soit vue de plusieurs! Or, cette
nuée est l'oraison de la Mère de Dieu, qu'elle fait pour l'Église,
que les flambeaux de la cupidité, de l'indévotion et du défaut de
justice, enveloppent, en sorte que la douceur de la miséricorde de
la Mère de Dieu ne peut pénétrer le cœur de ces misérables.
Partant, que cet évêque
se convertisse soudain à l'amour divin, qu'il se corrige soi-même,
et amende ses sujets par ses exemples et par ses paroles, les
avertissant, les exhortant vivement à ce qu'il y a de meilleur,
sinon, il sentira la main du juge, et son Église sera purifiée par
le feu et par le glaive ; elle sera affligée par le larcin et par
tribulation, en sorte qu'en peu de temps, personne ne la consolera.
Chapitre 24
Paroles de Dieu le Père
devant les troupes célestes, et réponse du Fils et de la Mère au
Père, pour obtenir la grâce pour sa fille, c'est-à-dire, pour
l'Église.
Le Père éternel
parlait, lorsque toute la cour céleste, écoutait, disant : Devant
vous je me plains : j'ai donné ma fille à un homme qui l'afflige
trop et la serre misérablement avec un cep de bois, de sorte que
toute la moelle sort de ses pieds. Son Fils répondit : C'est
celle-là que j'ai rachetée de mon propre sang et que j'ai épousée
par mon amour ; mais maintenant, on me l'a ravie par violence.
Ensuite la Mère de Dieu disait : Vous êtes mon Dieu et mon Seigneur,
et en mon corps ont été les membres de votre vrai Fils et mon vrai
Fils. Or, je ne vous ai rien refusé sur la terre : ayez donc pitié
de votre fille pour l'amour de mes prières.
Après ceci, les anges
parlaient, disant : Vous êtes notre Dieu et notre Seigneur, et nous
avons en vous toute sorte de biens, et nous n'avons besoin que de
vous. Quand vous vous choisîtes cette épouse, nous vous en
félicitions tous ; mais maintenant, nous pouvons nous en contrister
à bon droit, car elle est livrée entre les mains d'un méchant, qui
l'avilit misérablement et la charge d'opprobres. Faites-lui donc
miséricorde pour l'amour de votre grande miséricorde, car sa misère
est immense, et il n'y a personne qui la console et l'en
affranchisse, si ce n'est vous, ô Seigneur, Dieu tout-puissant !
Alors le Père répondit
au Fils : Mon Fils, votre plainte est ma plainte, votre parole est
ma parole, vos œuvres sont mes œuvres. Vous êtes en moi et je suis
en vous inséparablement. Que votre volonté soit faite. Après, il dit
à la Vierge sainte, Mère de Dieu : Comme vous ne m'avez rien refusé
sur la terre, je ne veux rien vous refuser dans le ciel. Que votre
volonté soit accomplie. Et il dit aux anges : Vous êtes mes amis, et
les flammes de votre amour brûlent dans mon cœur. Je ferai
miséricorde à ma fille pour l'amour de vos prières.
Chapitre 25
Paroles de Dieu le
Créateur à son épouse. En quelle manière sa justice soutient les
mauvais: en trois manières ; et comme la miséricorde leur est donnée
en trois autres façons.
Je suis l'adorable
Créateur du ciel et de la terre. Vous admirez, ô mon épouse!
pourquoi je souffre les méchants avec tant de patience : c'est parce
que je suis miséricordieux, car ma justice les souffre en trois
manières. En premier lieu, ma justice les souffre afin que leur
temps soit entièrement accompli. Car comme un roi juste qui a des
méchants dans sa prison, si on lui demande pourquoi il ne les fait
pas mourir, répond : Parce que l'occasion générale ne s'en est pas
encore offerte, où on les entendra, et on les verra souffrir au
profit et à l'utilité des auditeurs et des spectateurs : de même je
supporte les mauvais jusqu'à ce que leur temps vienne, afin que leur
malice soit connue aux autres.
N'avais-je pas prédit
la réprobation de Saül longtemps avant qu'elle fût manifestée aux
hommes, de Saül que j'ai longtemps souffert, afin que sa malice fût
manifestée aux autres. Deuxièmement, d'autant que les méchants ont
fait quelque bien dont ils doivent être récompensés jusqu'au dernier
période de leur vie, afin qu'il n'y ait pas un bien, quelque petit
qu'il soit, fait pour l'amour de moi, dont ils ne soient récompensés
en cette vie. Troisièmement, je les souffre, afin que l'honneur de
Dieu et son incomparable patience soient publiés : c'est pourquoi
j'ai supporté Pilate, Hérode et Judas, bien que toutefois ils
fussent damnés par leurs péchés. Partant, si quelqu'un s'enquiert
pourquoi je supporte celui-là et celui-là, qu'il considère un Judas
et un Pilate.
Ma miséricorde pardonne
aussi aux méchants en trois manières : premièrement, à cause de
l'excès de mon amour, car la peine éternelle est longue : c'est
pourquoi, à raison de ma grande charité, je les supporte jusqu'au
dernier période de leur vie, afin que les peines qui doivent durer
longuement commencent fort tard ; en deuxième lieu, afin que leur
nature se consomme en vices, car la nature se consomme par le péché,
afin qu'ils ne trouvent pas la mort temporelle si amère, si leur
nature était forte dans la jeunesse, car la nature jeune fait la
mort plus longue et plus amère. En troisième lieu, ma miséricorde
leur pardonne, à raison de la perfection des bons et pour la
conversion de quelques méchants : car quand les hommes bons et
justes sont affligés par les méchants, cela leur profite, ou bien
pour les retenir du péché, ou bien pour les retenir du péché, ou
bien pour les faire mériter. De même les mauvais vivent quelquefois
avec les mauvais pour le bien ; car quand les méchants considèrent
les événements des méchants et leur iniquité, ils disent en
eux-mêmes : Que nous sert de les suivre ?
Puisque Dieu est si
patient, il vaut mieux se convertir que l'offenser. Et de la sorte,
souvent ceux qui s'étaient retirés de moi retournent vers moi, car
ils ont horreur de commettre telles choses que commettent les
méchants, leur conscience leur dictant qu'il ne faut pas faire de
telles choses. De là vient qu'on dit que celui qui est piqué par le
scorpion, guérit soudain, s'il est oint de l'huile d'un autre
scorpion mort : de même un méchant, voyant les événements funeste
d'un autre, se repent, et considérant la vanité et l'iniquité
d'autrui, guérit les siennes.
Chapitre 26
Paroles de louange que
les anges donnent à Dieu, et de la génération des enfants, si nos
premiers parents n'eussent pas péché. En quelle manière Dieu a
montré par Moïse ses merveilles à son peuple, et puis lui à nous en
son avènement. Des corruptions du mariage corporel qui se font en ce
temps, et des conditions d'un mariage spirituel.
On a vu devant Dieu une
troupe d'anges qui disaient : O Dieu et Seigneur, à vous louange et
honneur, à vous qui êtes et qui étiez sans fin ! Nous sommes vos
serviteurs. Nous vous louons, nous vous honorons pour trois raisons
: premièrement, parce que vous nous avez créés de votre main
puissante, afin que nous nous réjouissions avec vous, et que vous
nous avez donné la lumière ineffable, afin que nous tressaillions
d'une joie indicible et éternelle ; deuxièmement, parce toutes
choses sont créées en votre bonté, persistent en votre stabilité,
toutes subsistent selon votre volonté et sont permanentes en votre
parole ; troisièmement, parce que vous avez créé l'homme, pour
lequel vous avez pris l'humanité, d'où nous retirons un grand sujet
de joie et un grand contentement de ce que votre Mère bien-aimée a
mérité de porter celui que les cieux ne pouvaient envelopper ni
contenir.
Que votre gloire et
votre bénédiction soient sur toutes choses, pour la dignité
angélique dont vous nous avez revêtus et pour le grand honneur que
vous nous avez fait ! Que votre éternité, que votre perpétuelle
stabilité soit tout à tout ce qui est et sera jamais ! Que votre
amour soit sur l'homme que vous avez créé ! Vous seul êtes désirable
à cause de votre amour ; vous seul êtes aimable pour votre stabilité
: donc, honneur et gloire vous soient incessamment rendus en tous
les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
Alors Notre-Seigneur
dit : Vous m'honorez dignement pour toutes les créatures ; mais
dites, pourquoi me louez-vous pour l'amour de l'homme, puisqu'il a
provoqué mon indignation plus que toutes les autres créatures ? Ne
l'ai-je pas créé plus excellent que toutes les créatures terrestres
? Ai-je souffert, pour aucune créature, tant de choses si indignes
que j'ai souffertes pour lui ? et ai-je rien racheté plus chèrement
que lui ? Ou bien, quelle est celle des créatures qui ne garde pas
quelque ordre réglé, si ce n'est l'homme ? Il m'est la plus fâcheuse
de toutes les créature, car comme je vous avais créés pour ma gloire
et pour mon honneur, de même j'avais créé l'homme pour ma gloire.
Certes, je lui avais
donné le corps comme un temple spirituel, dans lequel j'avais mis
l'âme comme un bel ange, parce que l'âme de l'homme est presque
semblable à la vertu et à la force d'un ange. Dans ce temple, moi,
son Dieu et son Créateur, j'étais le troisième, afin qu'il eût du
plaisir et du contentement. Je lui ai fait ensuite avec sa propre
côte un autre temple semblable à celui-ci. Mais vous, maintenant, ô
mon épouse! pour l'amour de laquelle se font toutes ces choses, vous
pouvez considérer et demander quels enfants seraient nés d'eux,
s'ils n'eussent péché. Je vous dis qu'ils seraient nés de la divine
charité et de la mutuelle dilection d'Adam et d'Ève; et de leurs
descendants qui se seraient unis, le sang, dans le corps de la
femme, serait devenu fécond par l'amour sans aucune sale volupté, et
de la sorte la femme se serait rendue plus fructueuse. Ensuite,
l'enfant étant conçu sans péché, sans aucun plaisir immonde,
j'aurais versé de ma Divinité une âme en lui, et la femme l'aurait
ainsi porté et enfanté sans douleur. L'enfant aurait été, dès sa
naissance, parfait comme Adam. L'homme a méprisé cet honneur, quand
il a obéi au démon, et a désiré plus d'honneur que je ne lui en
avais donné.
Or, la rébellion étant
faite, mon ange vint à eux. Ils eurent honte de leur nudité, et
soudain ils sentirent la concupiscence de la chair et endurèrent la
faim et la soif. Alors ils ne me possédèrent plus, car quand ils me
possédaient, ils ne ressentaient ni faim, ni soif, ni délectation
sensuelle, ni honte, mais moi seul, j'étais tout leur bien, toute
leur douceur et tout leur plaisir, et le diable se réjouissait de
leur perte malheureuse et de leur funeste ruine. Moi, ému de pitié
sur eux, je ne les ai point laissés, mais je leur ai découvert une
triple miséricorde ; car ils étaient nus, je les ai vêtus, et la
terre leur a donné du pain ( Gn. 3 ). Pour la luxure que le démon
avait excitée en eux par l'accroissement de la rébellion, ma
Divinité leur a donné pour leur semence des âmes ; et tout ce que le
diable leur suggérait de mal, je le changeai heureusement en bien.
Je leur ai montré ensuite la manière de bien vivre et de m'honorer,
et leur ai permis de se marier et d'engendrer ; car avant que je
leur eusse indiqué et permis le mariage, saisis de crainte et
d'effroi, ils n'osaient pas se marier.
De même, après qu'Abel
eut été tué, Adam et Ève l'ayant pleuré longtemps et s'étant
abstenus de l'usage du mariage, ému de compassion envers eux, je les
ai consolés. Et alors, ayant connu ma volonté, ils commencèrent de
nouveau d'engendrer des enfants, de la postérité desquels moi, leur
Créateur, je leur promis de naître, selon les desseins éternels de
la Divinité.
Mais la malice des
enfants d'Adam croissant de plus en plus, je manifestai aux pécheurs
les rigueurs épouvantables de ma justice, et aux élus, les trésors
infinis de ma miséricorde. En effet, étant apaisés, je les ai sauvés
de la perdition et je les ai exaltés, parce qu'ils gardaient mes
commandements et croyaient à mes promesses. Or, le temps de ma
miséricorde étant arrivé, je leur ai montré mes merveilles par Moïse
( Ex. 3.4.5 etc. ), car j'ai sauvé mon peuple, selon ma promesse. Je
les ai nourris de la manne, et j'allais au-devant d'eux, dans la
colonne de nuée et de feu; je leur ai donné ma loi ; je leur ai
découvert mes secrets et révélé les choses futures, par mes
prophètes.
Après tout cela, moi,
qui ai créé toutes choses, j'élevai une vierge née de père et de
mère (Niceph. lib. I. c. 7. ), de laquelle j'ai pris d'une manière
ineffable une chair humaine ; et je voulus naître d'elle
miraculeusement et sans péché, comme les premiers enfants devaient
naître au paradis terrestre, par le mystère de la divine charité,
d'un amour mutuel de ceux qui engendraient sans autre immonde
volonté. De même ma Divinité a pris chair humaine de la Sainte
Vierge, sans connaissance d'homme et sans blesser sa virginité.
Venant donc en ma chair, vrai Dieu et vrai homme, j'accomplis la loi
et toutes les Écritures, comme il avait été auparavant prophétisé de
moi, et j'ai commencé une nouvelle loi, car l'ancienne était étroite
et lourde à porter ; elle n'était qu'une figure des choses futures
qu'il fallait faire. En effet, dans cette ancienne loi, il était
loisible à un homme d'avoir plusieurs femmes, afin que la postérité
ne fût pas sans enfants, ou bien afin qu'ils ne se mariassent pas
avec les Gentils. Or, dans ma nouvelle loi, il est ordonné que le
mari n'ait qu'une seule femme, et il lui est défendu, tant qu'elle
vit, d'en avoir davantage.
Ceux donc qui se
marient, portés par une charité et une crainte divine pour
engendrer, me sont un temple spirituel dans lequel, moi, troisième,
je veux demeurer avec eux. Mais les hommes de ce temps se marient
pour sept raisons : 1° pour la beauté de la face ; 2° pour les
richesses ; 3° pour le trop grand plaisir et l'excessif plaisir
qu'ils y prennent ; 4° parce que là se font une assemblée de parents
et d'amis et des banquets immodérés ; 5° parce qu'au mariage, il y a
de l'orgueil dans les habits, les banquets, les cajoleries et autres
vanités ; 6° pour engendrer des enfants, non pas pour les nourrir à
Dieu ou pour les élever dans les bonnes mœurs, mais pour les faire
parvenir aux richesses et aux honneurs ; 7° pour satisfaire comme
des chevaux aux appétits de luxure.
Ceux-là viennent avec
un consentement et concorde devant la porte de mon Église ; leur
affection et leurs pensées me sont entièrement contraires, attendu
que, pour plaire au monde, ils préfèrent leur volonté à la mienne.
Si leur pensée étaient en moi ; s'ils mettaient leur volonté dans
mes mains et s'ils se mariaient en ma crainte, alors je consentirais
à leur mariage et je serais le troisième avec eux. Or, maintenant,
mon consentement qui devrait être le principal de leur fait, leur
est refusé, car la luxure est en leur cœur, et non mon amour. Après,
ils s'approchent de mon autel, où ils apprennent qu'ils devraient
être un même cœur et une même âme en Dieu ; mais alors mon cœur se
retire d'eux, parce qu'ils n'ont pas l'amour de mon cœur ni le goût
de ma chair divinisée ; car ils cherchent l'amour qui périra
soudain, et trouvent la chair que les vers rongeront bientôt.
Partant, ceux-là sont unis sans le lien de Dieu, mon Père, et leur
union est sans la charité du Fils et sans la consolation du
Saint-Esprit.
Or, quand les mariés
entrent dans la chambre nuptiale, soudain mon Esprit se retire
d'eux, et l'esprit d'impureté s'en approche, attendu qu'ils ne
s'unissent que pas un mouvement de luxure, et il n'y a que luxure
entre eux. Néanmoins, je leur ferais miséricorde s'ils se
convertissaient, car ma grande charité verse l'âme vivant, créée par
ma puissance, et je permets quelquefois que de mauvais parents
engendrent de bons enfants. Ordinairement, néanmoins, de mauvais
parents ne naissent que de mauvais enfants, d'autant que ces enfants
imitent l'iniquité de leurs parents autant qu'ils peuvent, et les
imiteraient davantage, si ma patience le permettait. Un tel mariage
ne verra jamais ma face, si les mariés ne font pénitence. Certes, il
n'y a pas de péché, quelque grand qu'il soit, qui ne soit effacé par
la pénitence.
C'est pourquoi je me
convertirai au mariage spirituel que Dieu fait avec un corps et une
âme chastes, car en ce mariages se trouvent sept biens opposés aux
maux susdits ; car en lui, la beauté et l'éclat du corps n'y sont
pas tant désirés, ni la vue de ce qui est désirable par le
débordement de la sensualité, mais seulement l'amour et la vue de
Dieu. En deuxième lieu, on n'y souhaite pas de grands moyens, mais
seulement de quoi vivre et pour subvenir à la nécessité, et non pour
la superfluité. Troisièmement, ils y évitent les paroles oiseuses et
les cajoleries. Quatrièmement, ils ne se soucient point d'y voir
leurs amis et leurs parents, mais je suis leur amour et leur désir.
Cinquièmement, ils
désirent garder l'humilité intérieure en leurs consciences, et
extérieure en leurs vêtements. Sixièmement, ils ne veulent jamais
s'adonner à l'impureté. Septièmement, ils enfantent à Dieu leur fils
et leurs filles par la sainte conversation, par le bon exemple et
par la prédication de la parole de Dieu. Ceux-là assistent alors aux
portes de mon Église, quand ils gardent une foi inviolable, quand
ils obéissent à mes volontés et moi aux leurs, et ils s'approchent
de mon autel, quand ils se plaisent à mon corps et à mon sang. Et en
cette délectation, ils veulent être un même cœur, une même âme et
une même volonté ; et moi, Dieu et homme puissant dans le ciel et
sur la terre, je serai troisième avec eux, moi qui remplis leur
cœur.
Les mariés de ce temps
commencent leur union par la luxure, comme les chevaux et sont pires
que les chevaux. Mais les mariés spirituellement commencent en la
charité et la crainte divine ; ils veulent ne plaire qu'à moi seul.
Le diable remplit et excite ceux-là à la délectation de la chair,
dans laquelle il n'y a que puanteur, mais ceux-ci sont remplis de
mon Esprit, et sont enflammés du feu de l'amour divin, qui ne
s'éteint jamais en eux. Je suis un Dieu en trois personnes et un en
substance avec le Père et le Saint-Esprit ; car comme il est
impossible de séparer le Père du Fils, et le Saint-Esprit du Père et
du Fils ; et comme il est impossible de séparer la chaleur du feu,
de même il est impossible de séparer de moi tels mariés spirituels,
et de faire que je ne sois le troisième avec eux, car mon corps a
été déchiré et mis à mort dans la passion, mais il ne sera jamais
plus déchiré, il ne mourra jamais plus. De même ceux qui me sont
incorporés par une foi droite et par une volonté parfaite, ne
mourront jamais, car là où ils sont debout, assis ou marchant, je
suis toujours le troisième avec eux.
Chapitre 27
Paroles de la Mère de
Dieu à l'épouse, où elle lui montre qu'il y a trois choses dans les
danses. Comment ce monde est désigné pour les danses. Tribulation
que reçut la Mère de Dieu en la mort de Jésus-Christ.
La Mère Dieu parlait à
l'épouse de Jésus-Christ disant : Ma fille, je désire que vous
sachiez que là où est la danse, là sont trois choses : la joie
vaine, la voix épandue et le labeur superflu. Mais quand quelqu'un
entre triste et dolent dans une maison où l'on danse, alors son ami,
qui participait à la joie de la danse, le voyant triste et dolent,
se retire de la danse, afin de s'affliger avec son ami. Cette danse
est le monde, qui roule incessamment en ses solitudes malheureuses,
que ceux qui sont fous prennent pour des joies et des contentements.
Dans ce monde, il y a
trois choses : la vaine joie, les paroles de cajolerie et le labeur
inutile : car tout ce à quoi l'homme s'attache avec tant de
sollicitude, le laisse le jour de sa mort. Or, que celui qui est en
cette danse considère mon labeur et ma douleur incomparable ; qu'il
compatisse avec moi, qui étais privée et séparée de toute la joie
mondaine, et qu'il se sépare aussi du monde.
Certes, à la mort de
mon Fils, j'avais le cœur transpercé de cinq lances : la première
lance était de voir mon très cher Fils tout-puissant nu à la
colonne, sans pouvoir couvrir sa nudité. La deuxième était
l'accusation des blasphèmes qu'on vomissait contre lui, car on
l'accusait d'être traître, menteur, perfide et déloyal espion, lui
que je savais juste, véridique ; lui qui n'avait jamais voulu
offenser personne. La troisième lance était la couronne d'épines qui
a si inhumainement percé sa tête que le sang découlait dans sa
bouche, dans sa barbe et dans ses oreilles. La quatrième était sa
voix, disant : Mon Père, pourquoi m'avez-vous délaissé ? comme s'il
avait voulu dire : Il n'y a que vous qui me fassiez miséricorde. La
cinquième lance qui perçait mon cœur, était sa mort très amère, et
mon cœur a été presque blessé d'autant de lances qu'il est sorti de
sang de ses veines.
Or, les veines de ses
pieds et de ses mains ont été percées, et la douleur des nerfs
percés a répondu si vivement à son cœur, et du cœur à ses nerfs sans
aucun relâche, attendu que son cœur était délicat (parce qu'il était
d'une très bonne nature), que sa vie et sa mort combattaient
ensemble : et ainsi sa vie était prolongée avec ses cuisantes
douleurs.
Mais la mort
s'approchant, son cœur se fendit à cause de l'intolérable douleur ;
alors soudain tous ses membres tremblèrent, et sa tête, qui était
baissée, se leva un peu ; ses yeux à demi clos s'ouvraient à demi.
Sa bouche aussi était ouverte, et on voyait sa langue ensanglantée ;
ses doigts et ses bras, qui s'étaient aucunement retirés,
s'étendaient. Mais quand il eut rendu l'esprit, sa tête s'abaissa
vers sa poitrine, ses mains se retirèrent un peu du lieu des plaies,
et ses pieds supportaient un plus grand poids. Alors mes mains se
séchèrent, mes yeux s'obscurcirent, ma face pâlit comme la face d'un
homme mort, mes oreilles n'entendaient rien, ma bouche ne parlait
point, mes pieds chancelaient, et mon corps tomba à terre.
Or, me relevant, voyant
mon cher Fils plus méprisé qu'un lépreux, je conformai ma volonté à
la sienne, sachant que toutes choses avaient été faites selon sa
volonté, et que rien ne se pouvait faire que par sa permission, et
le remerciai de toutes ces choses. Sa joie était mêlée de douleur,
car je voyais qu'innocent, il avait voulu souffrir avec tant d'amour
pour les pécheurs. Donc, que tous ceux qui sont dans le monde
considèrent quelle j'étais à la mort amère et cruelle de mon Fils,
et qu'ils aient toujours cet objet posé devant les yeux de leur
esprit.
Chapitre 28
Paroles de
Notre-Seigneur à son épouse, par lesquelles il lui montre en quelle
manière quelqu'un vint devant le tribunal pour être jugé, et de la
sentence horrible et formidable que lancèrent contre lui Dieu et
tous les saints.
Sainte Brigitte,
épouse, voyait Dieu comme courroucé, qui disait : Je suis sans
commencement et sans fin ; il n'y a point en moi de changement, ni
dans les ans, ni dans les jours, mais tout le temps de ce monde est
en moi comme une heure ou comme un moment. Celui qui me voyait,
voyait et entendait en moi tout ce qui y est comme en un point ;
mais parce que vous, ô mon épouse ! êtes encore corporelle, vous ne
pouvez le voir ni le connaître comme un esprit. Partant, pour
l'amour de vous, je vous manifesterai tout ce qui s'est passé.
Je suis assis comme au
jugement criminel, d'autant que tout jugement m'est donné. Quelqu'un
qui devait être jugé vint devant le tribunal. On entendit la voix du
Père, qui lui dit : Malheur à vous, de ce que vous êtes né ! Non pas
que Dieu se repentît de l'avoir fait, mais il parlait comme celui
qui a coutume de souffrir et de compatir à l'affligé. Après, la voix
du Fils répondit : J'ai versé mon sang pour l'amour de vous, et j'ai
souffert pour vous une peine très amère ; vous vous êtes éloigné de
tout ce bien, et n'avez rien en vous de tout ceci. La voix du
Saint-Esprit dit : J'ai cherché dans tous les replis de son cœur,
pour savoir si par hasard j'y trouverais un peu de charité et
d'affection, mais il est froid comme la glace, dur comme la pierre :
je n'ai rien avec lui. Les trois voix n'ont pas été ouïes comme s'il
y avait trois dieux, mais elles ont été proférées pour l'amour de
vous, ô mon épouse ! car vous ne pouviez autrement entendre ce
mystère.
Après, ces trois voix
du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se sont changées soudain en une
voix qui a dit : Le royaume des cieux ne vous est dû aucunement. La
Mère de miséricorde ne dit pas un mot, n'ouvrit pas le sein de sa
miséricorde, car celui qui devait être jugé en était indigne, et
tous les saints criaient d'une commune voix, disant : Telle est la
rigueur, telle est la fureur de la divine justice, qu'il soit banni
du royaume et de la joie éternelle. Et tous ceux qui étaient en
purgatoire dirent : Les douleurs que nous endurons, quelques amères
qu'elles soient, ne peuvent vous punir de vos péchés, car vous
méritez de souffrir de plus grandes peines : Partant, vous serez
séparé de nous.
Alors celui qui devait
être jugé criait d'une voix horrible, disant : Malheur ! malheur à
la semence dont j'ai été engendré et formé ! Après, il disait :
Malheureuse soit l'heure où mon âme a été unie à mon corps ! Maudit
soit celui qui m'a donné le corps et l'âme ! En troisième lieu, il
criait et disait : Maudite soit l'heure où je suis sorti vivant du
ventre de ma mère !
Alors sortirent de
l'enfer trois voix qui disaient : Venez à moi, âme maudite, entrez
dans la mort éternelle et dans la douleur sans fin. Ensuite une
autre voix horrible, épouvantable, s'entendit, criant: Venez, ô âme
vide de bien ! livrez-vous à notre malice, car il n'y aura aucun de
nous qui ne vous replisse de la fureur de sa malice et de sa peine.
En troisième lieu, cette voix disait : Venez, ô âme maudite ! lourde
comme une pierre qui s'enfonce toujours et ne trouve jamais le fond
où elle puisse reposer : de même, vous descendrez en un lieu plus
profond et plus horrible que le nôtre, afin que vous ne puissiez
vous arrêter avant d'arriver à l'abîme profond et épouvantable.
Et alors Notre-Seigneur
lui dit : Je fais comme un homme qui a plusieurs femmes : voyant la
chute de l'une, il se tourne vers les autres et se réjouit avec
elles : de même, je détourne de lui ma face et ma miséricorde
infinie, et je regarde d'un œil favorable mes serviteurs et me
réjouis avec eux Partant, quand vous entendez la chute funeste et la
misère déplorable de celui-ci, servez-moi aussi sincèrement que je
vous ai fait plus de miséricorde. Fuyez le monde impur et son
insatiable concupiscence. N'ai-je pas enduré une passion amère et
anéantissante pour la gloire du monde ? Ne pouvais-je pas le
racheter avec moins de douleur ? Oui, vraiment. Mais la rigueur de
la justice l'exigeait de la sorte : car comme l'homme avait péché
par tous ses membres, aussi fallait-il satisfaire pour tous. Pour
cela, la Divinité, compatissant à l'homme, brûla d'une si grande
charité et d'un si grand amour envers la Vierge sainte, qu'elle prit
d'elle la nature humaine en laquelle Notre-Seigneur porta toute la
peine que l'homme devait supporter. Donc, si, pour l'amour de vous,
je supporte votre peine, demeurez, comme mes vrais et fidèles
serviteurs demeurent, en humilité, afin que vous n'ayez honte de
rien ni ne craigniez rien que moi.
Gardez-vous tellement
de parler, que, si vous saviez que ce fût ma volonté, vous ne
voudriez jamais parler. Ne vous attristez pas pour les choses
temporelles, car elles sont périssables, puisque je puis enrichir et
appauvrir celui que je voudrai. Partant, ô mon épouse ! mettez en
moi toute votre espérance.
Déclaration.
Cet homme était un
chanoine noble, sous-diacre. Ayant obtenu une fusse dispense pour
épouser une fille fort riche, il mourut de mort subite sans jouir de
ce qu'il désirait.
Chapitre 29
Paroles de la Vierge
Marie à sa fille, traitant de deux âmes dont l'une s'appelle
Superbe, et l'autre Humilité, par laquelle était désignée la douceur
de la Sainte Vierge. De la venue que la Sainte Vierge fait chez ses
amis à l'heure de la mort.
La Mère de Dieu parlait
à l'épouse de son Fils, lui disant : Il y a deux dames, l'une sans
nom spécial, car elle n'en mérite pas, l'autre est Humilité, qui
s'appelle Marie. Le démon domine la première.
Un chevalier disait à
cette dame : Je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez et tout
ce que je pourrai, pourvu que j'abuse impurement de vous, car je
suis fort magnanime de cœur ; je ne crains rien ; je suis prêt à
mourir pour vous.
La dame lui répondit :
Mon serviteur, votre amour pour moi est grand ; mais moi, je suis
assise sur un siège élevé. Je n'ai qu'un seul siège, et il y a trois
portes entre nous : la première est si étroite que tout ce qui est
corporel s'y déchire quand l'homme y passe ; la deuxième a des
pointes si aiguës qu'elles percent jusques aux nerfs ; la troisième
est si ardente que le feu y est incessamment, de sorte que celui qui
y passe se fond soudain comme du métal.
Le chevalier lui
répondit : Je donnerai ma vie pour vous, car je ne fais pas grand
cas de cette chute.
Cette dame, c'est la
Superbe. Celui qui voudra aller vers elle passera pas trois portes.
Celui-là entre par la première porte, qui fait tout pour s'attirer
la louange des hommes et pour s'en enorgueillir. Celui-là entre par
la deuxième porte, qui fait tout, qui emploie ses pensées et son
temps pour pouvoir accomplir la superbe ; qui, s'il le pouvait,
donnerait sa chair à déchirer, pourvu qu'il pût acquérir de
l'honneur et des richesses. Celui-là entre par la troisième, qui n'a
jamais de repos, qui ne se tait jamais, et brûle comme un feu pour
trouver les manières de s'enorgueillir et d'acquérir des honneurs.
Mais quand il aura acquis ce qu'il désirait, il ne demeurera guère
en même état, mais il tombera misérablement. Et néanmoins, la
Superbe demeure dans le monde.
Quant à moi, dit la
Vierge Marie, qui suis très humble, je suis assise en un lieu
spacieux, et il n'y a au-dessus de moi ni lune ni soleil, mais une
inestimable, une admirable sérénité, qui procède de la majesté
divine. Au-dessous de moi, il n'y a ni terre ni pierres, mais un
incomparable repos au sein de la divine vérité. Auprès de moi, il
n'y a point de mur, mais une glorieuse compagnie des anges et des
âmes bienheureuses.
Et bien que je sois
assise si haut, néanmoins, j'entends les gémissements et je vois les
larmes de mes amis qui sont sur la terre. Je vois que leurs peines
et leur force sont plus grandes que celles qui combattent pour dame
Superbe. Partant, je les visiterai et les placerai sur mon trône,
qui est spacieux, qui peut les contenir tous. Mais ils ne pourront
encore venir à moi ni s'asseoir avec moi, d'autant qu'il y a deux
murs entre eux, par lesquels je les conduirai sûrement, afin qu'ils
arrivent jusqu'à mon trône. Le premier mur est le monde, qui est
étroit et rigoureux : c'est pourquoi je consolerai mes serviteurs ;
le second mur est la mort : partant, moi, leur chère Dame et leur
Mère, j'irai au-devant d'eux ; je les assisterai à la mort, afin
que, dans la mort, ils trouvent soulagement et consolation. Je les
placerai avec moi sur le trône de la joie céleste, afin qu'au sein
d'une dilection perpétuelle et d'une éternelle gloire, ils reposent
éternellement avec une joie qu'on ne peut exprimer.
Chapitre 30
Paroles amoureuse de
Notre-Seigneur à son épouse, qui traitent de la multiplicité des
faux chrétiens pour se crucifier avec lui ; et comment, s'il était
possible, il serait de nouveau prêt à endurer la mort pour les
pécheurs.
Je suis Dieu. Mes
pouvoirs sont infinis. J'ai créé toutes choses pour l'utilité des
hommes, afin qu'elles servissent toutes à l'éducation de l'homme ;
mais l'homme abuse de toutes à son détriment. Et d'ailleurs, il se
soucie bien peu de Dieu et l'aime moins que la créature. Les Juifs
irrités me firent, dans la passion, trois sortes de peines : l'une
fut le bois sur lequel je fus cloué, fouetté et couronné ; l'autre
fut le fer avec lequel mes pieds et mes mains furent attachés ; le
troisième fut le fiel dont je fus abreuvé. Après, ils blasphémaient
contre moi, disant que j'étais un insensé, attendu que, franchement
et librement, je m'étais exposé à souffrir la mort, et m'appelaient
menteur en ma doctrine.
Oh ! combien dans le
monde, il y a maintenant de gens de cette trempe, qui me donnent
bien peu de consolation ! car ils m'attachent au bois par la volonté
qu'ils ont de pécher ; ils me fouettent par leur impatience, car il
n'y en a pas un qui veuille souffrir une parole pour l'amour de moi
; et ils me couronnent des épines de superbe, d'autant qu'ils
veulent être plus grands que moi. Ils percent mes mains et mes pieds
par le fer de leur endurcissement, attendu qu'ils se glorifient
d'avoir péché, et s'endurcissent afin de me craindre. Par le fiel,
ils m'offrent d'insupportable tribulation ; par une passion
douloureuse, à laquelle j'allais joyeusement, ils me croient
insensé, et disent que je suis un menteur. Or, de fait, je suis
assez puissant pour les submerger, même tout le monde avec eux, à
raison de leurs péchés, si je voulais ; et si je les submergeais,
ceux qui resteraient me serviraient par crainte ; mais cela ne
serait pas juste et équitable, attendu que, par amour, ils devraient
me servir fidèlement. Or, si je venais visiblement et en personne
chez eux, leurs yeux ne pourraient me regarder, ni leurs oreilles
m'ouïr. En effet, comment un homme mortel pourrait-il voir un
immortel ? Je mourrais certes franchement, poussé par l'incomparable
amour que j'ai pour l'homme, s'il en était besoin et si c'était
possible.
Alors apparut la
bienheureuse Vierge Marie, et son Fils lui dit : Que voulez-vous, ma
Mère, ma bien-aimée ? Elle répondit : Hélas ! mon Fils, faites
miséricorde à votre créature par l'amour de votre amour. Et
Notre-Seigneur repartit : Je leur ferai encore une fois miséricorde
pour l'amour de vous. Puis l'Époux, Notre-Seigneur, parlait à son
épouse, disant : Je suis Dieu et Seigneur des anges. Je suis
Seigneur de la mort et de la vie. Moi-même je veux demeurer en votre
cœur. Voici combien d'amour j'ai à votre égard : le ciel, la terre,
et tout ce qui est en eux, ne peuvent me contenir, et toutefois, je
veux demeurer en votre cœur, qui n'est qu'un petit morceau de chair.
Qui donc alors pourrez-vous craindre ? De qui pourriez-vous avoir
besoin, quand vous avez en vous-même le Dieu tout-puissant, qui a en
soi tout bien ?
Il faut donc qu'il y
ait trois choses dans le cœur qui doit être ma demeure : le lit,
dans lequel nous nous reposions, le siège sur lequel nous nous
asseyons, la lumière, afin d'être illuminés. Donc, qu'en votre cœur
soit un lit de repos et de quiétude, afin que vous vous retiriez des
pensées perverses et des désirs du monde, et que vous considériez
incessamment la joie éternelle. Le siège doit être la volonté de
demeurer avec moi, bien qu'il arrive parfois que vous excédiez : car
c'est l'ordre de la nature d'être toujours en même état. Or,
celui-là s'arrête en même état qui désire d'être au monde et de ne
s'asseoir jamais avec moi. La lumière doit être la foi, par laquelle
vous croyiez que je puis tout et que je suis tout-puissant
par-dessus tout.
Chapitre 31
En quelle manière
l'épouse voyait la très douce Vierge Marie enrichie d'une couronne
et d'autres ornements, et comment saint Jean-Baptiste lui apparut et
lui déclara ce que signifient la couronne et les autres ornements.
L'épouse sainte
Brigitte voyait la Mère de Dieu et la Reine du ciel qui avait sur sa
tête une inestimable couronne. Ses cheveux, d'un éclat et d'une
beauté admirables, tombaient sur ses épaules. Elle avait une tunique
d'or d'une splendeur éclatant, et un manteau bleu comme le ciel ;
mais elle était ravie en admiration d'une vision singulière, et elle
était immobile d'admiration, comme aliénée de soi par la vue
intérieure. Soudain lui apparut saint Jean Baptiste qui lui dit :
Écoutez attentivement : je vais vous dire ce que ces choses
signifient.
La couronne signifie
que la Sainte Vierge est Reine, Dame, Mère du Roi et des anges. Les
cheveux épars signifient qu'elle est vierge très pure et très
parfaite. Son manteau bleu comme le ciel signifie que toutes les
choses temporelles lui étaient comme mortes. Sa tunique d'or
signifie qu'elle fut ardente en amour et en charité, tant
intérieurement qu'extérieurement.
Son Fils a mis en sa
couronne sept lys, et entre les lys, sept pierres précieuses. Le
premier lys, c'est son humilité, le deuxième la crainte, le
troisième l'obéissance, le quatrième la patience, le cinquième la
stabilité, le sixième la douceur, car c'est à ceux qui sont doux
qu'il convient fort bien de donner à tous ceux qui demandent ; le
septième est la miséricorde dans les nécessités : en effet, en
quelque nécessité que l'homme se trouve, s'il l'invoque, il sera
sauvé.
Le Fils de Dieu a mis
entre ces sept lys sept pierres précieuses : la première, c'est son
éminente vertu: en effet, il n'est pas, dans quelque esprit, dans
quelque corps que ce soit, de vertu que cette Vierge sainte n'ait en
elle plus excellemment et avec plus d'éminence ; la deuxième est une
pureté parfaite, car cette Reine du ciel a été si pure, qu'il ne
s'est pas trouvé en elle la moindre tache de péché, depuis le jour
de sa naissance jusqu'au dernier période de sa vie ; tous les démons
n'ont pu trouver en elle la moindre impureté. Vraiment, elle fut
très pure, car il était décent que le Roi de gloire ne reposât qu'en
un vase qui fût très pur et très choisi par-dessus les anges et les
hommes. La troisième pierre précieuse est la beauté, d'autant que
Dieu est loué de la beauté de sa Mère par ses saints, et la joie de
tous les anges, de tous les saints et de toutes les saintes, est
accomplie.
La quatrième pierre
précieuse de la couronne est la sagesse de la Vierge Mère, car étant
enrichie d'éclat et de beauté, elle a été remplie et accomplie de
toute sagesse avec Dieu. La cinquième est la force, d'autant qu'elle
est si forte avec Dieu qu'elle peut ruiner et perdre tout ce qui est
créé. La sixième pierre, c'est son éclat et sa clarté, car les
anges, qui ont leurs yeux plus claires que la lumière, sont
illuminés de son éclat, et les démons, éblouis de sa beauté, n'osent
regarder sa splendeur. La septième pierre est la plénitude de toute
délectation, de toute douceur spirituelle, qui est en elle avec tant
de plénitude, qu'il n'y joie qui ne soit augmentée par la sienne,
nulle délectation qui ne s'accomplisse de la vue bienheureuse d'elle
; car elle a été remplie de grâce par-dessus tous les saints; car
elle est le vase de pureté où s'est trouvé le pain des anges, et où
se trouvent toute douceur et toute beauté.
Son Fils a mis ces
pierres entre les lys qui était sur la couronne de la Vierge.
Honorez-la donc, ô épouse du Fils ! et louez-la de tout votre cœur :
elle est digne en effet de tout honneur et de toute louange.
Chapitre 32
En quelle manière
l'épouse sainte Brigitte, étant avertie de Dieu, choisit la
pauvreté, rejeta les richesses et méprisa sa maison. De la vérité de
ce qui lui a été révélé, et de trois choses notables que
Jésus-Christ lui montra.
Vous devez être comme
un homme qui épand et qui amasse : vous devez laisser les richesses
de l'esprit, les richesses du corps et amasser les vertus ; laisser
ce qui est périssable et entasser ce qui est durable ; abandonner
les choses visibles et amasser les choses invisibles : car je vous
donnerai, pour la délectation de la chair, la joie et l'ivresse de
l'esprit ; pour le plaisir du monde, la délectation du ciel ; pour
l'honneur du monde, l'honneur des anges ; pour la vue de vos parents
et leur conversation, la vision ravissante de Dieu ; pour la
possession des biens, je me donnerai moi-même à vous, moi, auteur,
créateur et source inépuisable de tous biens.
Dites-moi trois choses
que je vous demande : 1° voulez-vous être riche ou pauvre en ce
monde ? Elle répondit : Seigneur, j'aime mieux être pauvre que
riche, attendu que les richesses ne m'apportent d'autre bien qu'une
importune sollicitude qui me retire du service de mon auguste et
adorable Dieu. 2° N'avez-vous pas trouvé en mes paroles, que vous
avez ouïes de ma bouche, quelque chose de faux ou de répréhensible,
selon votre pensée ? Hélas ! non, dit-elle, car tout est selon la
raison. 3° Y a-t-il plus de contentement dans les plaisirs de la
chair, que vous avez eus autrefois, que dans les plaisirs de
l'esprit, dont vous jouissez maintenant ? J'ai honte, dit-elle, de
penser à l'ombre fuyante des plaisirs charnels passés, et ils me
sont maintenant comme autant de poisons, et d'autant plus amers que
je les ai aimés avec plus de passion, car j'aimerais mieux mourir
que de les reprendre, et il n'y a pas de comparaison entre les
plaisirs spirituels et les plaisirs corporels.
Vous éprouvez donc en
vous, dit Notre-Seigneur, que ce que je vous avais dit autrefois est
véritable. Pourquoi craignez-vous donc, ou pourquoi vous
inquiétez-vous si je tarde de faire ce que je vous ai dit ?
Considérez les prophètes, les apôtres et les saints docteurs :
ont-ils trouvé en moi, source de la vérité, autre chose que la
vérité ? C'est pourquoi ils ne se sont souciés ni du monde ni de la
concupiscence. Ou bien, pourquoi les prophètes ont-ils prophétisé de
si loin les choses à venir, si ce n'est que Dieu a voulu que les
paroles fussent d'abord connues, puis que les œuvres les suivissent,
et que les ignorants fussent instruits dans la foi ? Car tous les
mystères de mon ineffable incarnation furent auparavant connus des
prophètes, voire l'étoile qui conduisit les mages fut prévue par
eux. Ceux qui croyaient aux paroles du Prophète méritèrent de voir
ce qu'ils croyaient; et ayant vu l'étoile, ils en ont soudain été
faits certains. De même maintenant, mes paroles doivent être
premièrement annoncées, et après que les œuvres auront suivi, on y
croira plus évidemment.
Je vous ai montré trois
choses : la première, c'est la conscience d'un certain homme que je
vous montrai par des signes très évidents quand je manifestais son
péché. Mais pourquoi ne pouvais-je pas le faire mourir ou ne
pouvais-je pas le submerger en un instant ? Je le pouvais de fait ;
mais pour instruire les autres et pour l'évidence de mes paroles, et
afin que je manifeste combien je suis juste et patient, et combien
est malheureux celui que le diable domine, je ne l'ai pas voulu
faire. Voilà les raisons pourquoi mon insigne patience le souffre
encore, car à cause de la volonté qu'il a de continuer son péché et
de la délectation qu'il y prend, la puissance du diable enragé s'est
tellement augmentée sur lui, que ni la douceur des paroles, ni la
rigueur des menaces, ni la crainte de la géhenne infernale, ne le
peuvent rappeler. Et certes, il est digne de cela, car il a eu la
volonté de pécher toujours, bien qu'il ne l'ait pas mise à effet. Il
mérite donc d'être mis éternellement en enfer avec le diable,
d'autant que le moindre péché mortel auquel on se délecte, si on ne
s'amende pas, est suffisant pour la damnation éternelle. Je vous en
ai encore montré deux autres : le corps de l'un était furieusement
tourmenté par le diable, mais il n'était pas dans son âme ; il
obscurcissait la conscience de l'autre par des ruses et des
tromperies ; toutefois, il n'était pas dans son âme et il n'avait
aucune puissance sur elle.
Mais peut-être vous
vous enquerrez si l'âme et la conscience, ce n'est pas la même
chose. Le diable n'est-il pas dans l'âme, quand il est dans la
conscience ? Non, car comme le corps a deux yeux par le moyen
desquels il voit, et que, bien qu'on ôte les yeux du corps, il
demeure néanmoins entier, de même en est-il de l'âme. En effet, bien
que l'entendement et la conscience soient quelquefois troublés quant
à la peine, néanmoins l'âme n'est pas offensée quant à la coulpe :
c'est pourquoi le diable dominait la conscience de l'un et non pas
son âme. Je vous montrerai le troisième, dont la conscience et l'âme
sont entièrement dominées par le démon, et le démon n'en sortira
pas, à moins qu'il n'y soit contraint par ma toute-puissance et par
ma grâce spéciale. Le diable sort librement de quelques hommes et
fort vitement, et des autres, non sans y être contraint, car le
diable entre en quelques-uns, ou à cause du péché des parents, ou
bien par quelque secret jugement de Dieu, comme on le voit dans les
enfants et les insensés. Il entre dans les autres à cause de
l'infidélité ou quelque autre péché.
Le diable sort fort
librement de ceux-ci, s'il est jugé par ceux qui savent des
conjurations et autres artifices pour le chasser ; s'ils le chassent
par vaine gloire, ou bien pour quelque lucre temporel, alors le
diable a le pouvoir d'entrer en celui qui l'avait chassé de l'autre,
et de nouveau en celui-ci même, duquel il a été chassé, d'autant que
l'amour de Dieu n'était ni en l'un ni en l'autre. Or, il ne sort
jamais de ceux qu'il possède corporellement et spirituellement, que
par ma puissance. Comme le vinaigre, s'il est mêlé au vin doux, le
corrompt entièrement et ne peut jamais en être séparé, de même le
diable ne sort jamais que par ma puissance d'une âme qu'il possède.
Or, ce vin n'est autre chose que l'âme, qui m'a été si chère et
par-dessus toutes les créatures, que j'ai permis qu'on coupât mes
nerfs et qu'on déchirât ma chair jusques aux côtes pour l'amour
d'elle ; et avant que cette âme me fût ôtée, j'ai souffert la mort.
Ce vin se conserve dans
la lie, d'autant que j'ai mis l'âme dans le corps, où, comme dans un
vase clos, elle était conservée pour accomplir mes volontés.
Mais on a mêlé à ce doux vin le vinaigre, qui est le diable, dont la
malice m'est plus aigre et plus abominable que le vinaigre. Ce
vinaigre, c'est-à-dire, le diable, sera chassé de cet homme dont je
vous ai dit le nom, afin qu'en lui je vous montre ma miséricorde
infinie et mon incomparable sagesse, et dans le premier, ma justice
rigoureuse et mon épouvantable jugement.
Chapitre 33
Paroles par lesquelles
Notre-Seigneur avertit son épouse, pour discerner la vraie sagesse
de la fausse. Comment les bons anges assistent les hommes sages, et
comment les diables sont auprès des hommes méchants.
Mes amis sont comme
quelques écoliers qui ont trois choses : la première, une conscience
et une intelligence ; la deuxième une sagesse sans l'avoir apprise
des hommes, d'autant que moi-même je les enseigne intérieurement ;
la troisième, c'est qu'ils sont plein de douceurs, et de dilection
divine, par le moyen de laquelle ils surmontent le diable. Mais
maintenant, les hommes apprennent au rebours : 1° ils veulent être
savants pour s'enorgueillir et pour être réputés bons clercs ; 2°
pour acquérir des richesses ; 3° pour se faire passage et jour aux
honneurs et aux dignités. C'est pourquoi, quand ils entrent et
qu'ils sortent des écoles, je me retirent d'eux, d'autant qu'ils
apprennent pour s'enorgueillir, et moi, je leur ai enseigné
l'humilité.
Ils y entrent pour la
cupidité d'avoir, et moi je n'ai rien eu pour appuyer ma tête. Ils y
entrent pour obtenir les charges et les dignités, portant envie à
ceux qui les surpassent, et moi, j'étais jugé par Pilate et j'étais
risée d'Hérode: c'est pourquoi je me retire d'eux, car ils
n'apprennent pas ma doctrine. Mais néanmoins, parce que je suis bon
et doux, je donne ce qu'on me demande, car celui qui me demande du
pain en aura, celui qui me demande un lit le recevra. Or, mes amis
demandent du pain quand ils cherchent et apprennent la sagesse
divine, dans laquelle est mon amour ; mais d'autres demandent un
lit, c'est-à-dire, une sagesse mondaine ; car comme il n'y aucune
utilité dans le lit, mais qu'il y a de la paille, pâture des animaux
irraisonnables, il en est de même de la sagesse du monde, qu'ils
cherchent avec tant de passion : il n'y a en elle aucune utilité,
aucun rassasiement de l'âme, toute sa sagesse est réduite à néant et
ne peut être vue de ceux par qui il était loué. De là vient que je
suis comme un grand seigneur qui a plusieurs serviteurs qui
distribuent de la part de leur maître tout ce qui est nécessaire ;
de même les bons et les mauvais anges s'arrêtent à mon commandement.
Or, ceux qui apprennent
ma sagesse admirable, c'est-à-dire, à me bien servir, sont servis
par les bons anges, qui les repaissent d'une consolation indicible
et d'un délectable labeur. Mais les mauvais anges assistent les
sages du monde, leur suggèrent et forment en eux les désirs
inutiles, selon leur volonté, leur inspirant des pensées
laborieuses. Vraiment s'ils se tournaient vers moi, s'ils se
convertissaient, je pourrais leur donner du pain sans labeur. Le
monde leur en donne, mais ils n'en sont jamais rassasiés, attendu
qu'ils changent la douceur en amertume.
Or, vous, ô ma chère
épouse ! vous devez être comme le lait, et votre corps comme une
forme dans laquelle on met le lait jusqu'à ce qu'il ait pris la
figure de cette forme : de même votre âme, qui m'est douce et
délectable comme un fromage, doit aussi longtemps être purifiée et
éprouvée dans le corps, jusqu'à ce que le corps et l'âme soient
d'accord et aient une même continence, que la chair obéisse à
l'esprit, et que l'esprit régisse et conduise dûment la chair à
toute sorte de vertus.
Chapitre 34
Doctrine de
Jésus-Christ à son épouse, par laquelle il lui enseigne la manière
de vivre. Comment le diable confesse que Jésus-Christ aime son
épouse par-dessus toutes choses. De la question que le diable fait à
Notre-Seigneur, savoir : pourquoi Notre-Seigneur aime tant les
hommes, et de l'amour que Jésus a envers son épouse, amour qui a été
manifesté par le diable.
Je suis le Créateur du
ciel et de la terre. J'ai été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu
et vrai homme, qui mourut, ressuscita et monta au ciel. Vous, ô ma
nouvelle épouse ! vous êtes venue en un lieu inconnu. Il faut donc
que vous ayez quatre choses : 1° il faut savoir le langage du pays ;
2° avoir les vêtements que l’on y porte ; 3° savoir disposer les
jours et les temps suivant les coutumes de ce pays ; 4° s’accoutumer
aux viandes que l’on y mange.
De même, vous qui êtes
venue de l’instabilité du monde à la stabilité éternelle, vous devez
avoir : 1° un langage nouveau, c’est-à-dire, vous abstenir des
paroles inutiles, et quelquefois même des paroles licites, pour la
grandeur et pour l’honneur du silence. 2° Vos vêtements doivent être
l’humilité intérieure et extérieure, afin que vous ne vous éleviez,
comme si vous étiez plus sainte que les autres, et que vous n’ayez
pas honte de vous montrer extérieurement humble. 3° Vous devez
modérer le temps, car comme vous avez sacrifié beaucoup de temps aux
nécessités corporelles, de même maintenant vous devez avoir le temps
pour l’avancement de l’âme, savoir, qu’en tout vous ne vouliez
m’offenser ; 4° cette nouvelle viande est l’abstinence des viandes
délicates avec discrétion, conformément aux forces de la nature, car
l’abstinence qui se fait par-dessus les forces de la nature ne me
plaît point, d’autant que je demande ce qui est raisonnable, afin
que la volupté soit domptée.
Alors le diable apparut
soudain. Notre-Seigneur lui dit : Tu as été créé par moi, et tu as
vu et senti les rigueurs de ma justice. Réponds-moi : cette nouvelle
épouse m’appartient-elle légitimement et justement ? Je te permets
de voir son cœur et de le sonder, afin que tu saches ce qu’il me
faut répondre. Aime-t-elle quelque chose comme moi, ou voudrait-elle
me changer en quelque chose ?
Le diable répondit :
Elle n’aime rien autant que vous, et voudrait plutôt souffrir toute
sorte de supplices ( si vous lui en donniez la sagesse et la force
), que se séparer de vous. Je vois comme un certain lien d’amour qui
descend de vous à elle, qui lie en telle sorte son cœur qu’elle ne
pense qu’à vous et qu’elle n’aime que vous.
Alors Notre-Seigneur
dit au diable : Dis-moi comment te plaît la dilection que je lui
porte.
Le diable dit : J’ai
deux yeux, l’un corporel, bien que je n’aie pas de corps. Avec cet
œil je connais si clairement les choses corporelles qu’il n’y a rien
de si caché ni de si obscur que je ne connaisse ; l’autre est
spirituel, avec lequel je vois la moindre peine due au péché ; et il
n’y a pas de péché, quelque petit qu’il soit, que je ne punisse,
s’il n’est purifié par la sainte pénitence. Mais bien que les yeux
n’aient pas des membres, néanmoins, je souffrirais peut-être
volontiers que deux flambeaux ardents me les pénétrassent
incessamment, pourvu que cette épouse fût aveugle des yeux
spirituels.
J’ai aussi deux
oreilles : une corporelle, avec laquelle j’entends les choses les
plus secrètes ; l’autre spirituelle, avec laquelle j’entends toutes
les pensées, toutes les affections au péché, quelque cachées
qu’elles soient, si elles ne sont pas effacées par la pénitence. Il
y a en enfer une peine toujours bouillante : je souffrirais qu’elle
entrât incessamment en mes oreilles, et qu’elle me sortît
incessamment, comme un torrent impétueux, pourvu que cette épouse
n’ouït point des oreilles spirituelles.
J’ai aussi un cœur
spirituel : je souffrirais franchement qu’il fût mis en lambeaux et
qu’il fût toujours en proie à de nouveaux supplices, pourvu que son
cœur se refroidît en votre amour.
Or, parce que vous êtes
juste, je vous demande une parole, afin que vous me disiez pourquoi
vous l’aimez tant, ou pourquoi vous n’avez pas élu une plus sainte,
plus riche et plus belle créature.
Notre-Seigneur lui dit
: Ma justice l’exigeait ainsi. Or, toi, qui as été créé par moi, qui
as vu ma justice, dis-moi en présence d’elle pourquoi tu es tombé si
misérablement, ou quelle était ta pensée quand tu tombas.
Le diable lui répondit
: J’ai vu en vous trois choses : j’ai connu votre gloire, en
considérant ma beauté et mon éclat, et que vous deviez être honoré
sur toutes choses, et je pensai à ma gloire : partant,
m’enorgueillissant, je résolus. Non pas de vous être seulement égal,
mais de vous surpasser. Après, je connus que vous étiez plus
puissants que tous, c’est pour cela que je désirais être plus
puissant que vous. En troisième lieu, je vois les choses futures qui
viennent nécessairement, et que votre gloire et votre honneur sont
sans principe et sans fin : j’enviai cela, et je pensai en moi-même
que je souffrirais volontiers des peines et des tourments pourvu que
vous cessassiez d’être ; et en cette pensée, je tombai
misérablement, et c’est pour cela que l’enfer existe.
Notre-Seigneur répondit
: Tu t’es enquis pourquoi j’aime tant cette épouse : certainement
parce que je change toute ta malice en bien : car toi, d’autant que
tu es superbe, tu as voulu m’avoir pour égal, moi qui suis ton
Créateur.
C’est pourquoi,
m’humiliant, j’assemble tous les pécheurs, et je me compare à eux,
les faisant participants de ma gloire infinie. En deuxième lieu,
d’autant que tu as eu une cupidité si dépravée que de vouloir être
plu s puissant que moi, c’est pourquoi je rends les pécheurs
puissants sur toi et puissants avec moi. En troisième lieu, c’est
parce que tu m’as porté envie, à moi qui suis si charitable que je
m’offrirais pour les pécheurs.
Ensuite, Notre-Seigneur
lui dit : Maintenant, ô diable ! ton esprit ténébreux est illuminé.
Dis, en telle sorte que mon épouse l’entende, dis de quel amour je
l’aime. Le diable repartit : S’il était possible, vous souffririez
volontiers une peine telle que vous avez souffert en chacun de vos
membres, plutôt que de vous priver d’elle ! Alors, Notre-Seigneur
repartit : Si je suis donc si miséricordieux que je ne refuse le
pardon à aucun de ceux qui me le demandent, demande-moi humblement
miséricorde, toi aussi, et je te la donnerai. Le diable lui repartit
: Je n’en ferai rien, car quand je tombai, il fut ordonné une peine
pour chaque péché, ou pour toute pensée et parole inutiles, et tous
les esprits qui sont tombés ont chacun une peine infligée.
Partant, plutôt que de
fléchir mon genou devant vous, j’aimerais mieux attirer sur moi et
engloutir toutes les peines, tous les supplices, bien que leur
rigueur fût incessamment renouvelée.
Alors, Notre-Seigneur
dit à son épouse : Voyez combien est endurci le prince du monde, et
combien il est puissant par ma justice cachée : car de fait, mon
adorable et redoutable puissance pourrait l’effacer tout à fait en
un instant, mais néanmoins, je ne lui fais pas plus d’injure qu’au
bon ange, qui, dans le ciel, m’aime et m’adore. Mais quand le temps
sera arrivé (il s’approche maintenant), je le jugerai, lui et ses
complices. Partons, ô mon épouse ! Avancez incessamment en bonnes
œuvres ; aimez-moi de tout votre cœur ; ne craignez que moi seul,
car je suis le maître du démon et de tout ce qui existe.



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