Chapitre 1
Comment Notre-Seigneur
Jésus-Christ certifie sa très-excellente incarnation ; en quelle
manière il improuve ceux qui profanent et faussent la foi et le
baptême, et en quelle sorte il invite son épouse bien-aimée à le
chérir.
JE suis le créateur du
ciel et de la Terre, un en déité avec le Père et le Saint-Esprit, je
suis celui qui parlait aux patriarches et aux prophètes et celui
qu'ils attendaient. C'est pour accomplir leurs désirs, selon ma
promesse, que j'ai pris la chair humaine sans péché ni
concupiscence, entrant dans les entrailles de la Vierge comme un
soleil resplendissant passe par la vitre pure et transparente. En
effet, comme le soleil, en passant par la vitre, ne l'offense pas,
de même la virginité de Marie n'a été ni lésée ni offensée, quand
j'ai pris d'elle mon humanité. Or, j'ai pris l'humanité de telle
sorte que je n'ai pas laissé la divinité.
Et bien que je fusse
dans le ventre de la Vierge avec l'humanité, je n'étais pas moindre
en déité avec le Père et le Saint-Esprit, conduisant et emplissant
toutes choses, d'autant que, comme la splendeur ne se sépare jamais
du feu, de même ma déité ne s'est jamais séparée de l'humanité, pas
même dans la mort. D'ailleurs, j'ai voulu que mon corps, pur de tout
péché, fût déchiré pour les péchés de tous, depuis la plante des
pieds jusqu'au sommet de la tête, et qu'il fût attaché et cloué sur
la croix. Certes, il est maintenant immolé tous les jours sur
l'autel, afin que l'homme m'aime davantage, et se ressouvienne plus
souvent des bienfaits et des faveurs dont je l'ai comblé. Mais
maintenant, je suis oublié de tous, négligé, méprisé, et chassé de
mon propre royaume comme un roi à la place duquel le larron
pernicieux (le diable) est élevé et honoré. Enfin, j'ai voulu que
mon royaume fût en l'homme, et je devais à bon droit être son Roi et
son Seigneur, puisque je l'avais créé et racheté.
Or, maintenant, il a
enfreint et profané la foi qu'il m'avait promise au baptême, violé
et méprisé les lois que je lui avais données ; il aime sa propre
volonté et dédaigne de m'ouïr ; en outre, il exalte le diable, ce
pernicieux larron, et il lui a donné sa foi. Il est vraiment larron,
attendu qu'il me ravit, par ses suggestions mauvaises et par ses
fausses promesses, l'âme que j'avais rachetée de mon sang. Il ne me
la ravit pas parce qu'il est plus puissant que moi, puisque je suis
tellement puissant que je puis tout par ma parole, et je suis si
juste que, quand bien même tous les saints me supplieraient, je ne
ferais rein qui serait tant soit peu contraire à ma justice ; mais
il me la ravit d'autant que l'homme, doué du libre arbitre, cède au
diable, ayant méprisé mes commandements : il est donc juste et
raisonnable que l'homme expérimente sa tyrannie. Car le diable a été
créé bon après moi ; mais tombant par sa mauvaise volonté, il m'est
comme serviteur pour la vengeance des méchants.
Or, bien que je sois si
méprisé maintenant, néanmoins, je suis si miséricordieux, que
quiconque demandera ma miséricorde et s'humiliera, je lui
pardonnerai tout ce qu'il aura commis, et l'affranchirai et le
délivrerai de ce larron pernicieux ; mais celui qui persistera à me
mépriser, je le visiterai en ma justice, de telle sorte qu'il
tremblera de peur à ma voix ; et quiconque l'expérimentera dira :
Malheur ! pourquoi a-je donc provoqué la Majesté divine à l'ire et à
l'indignation ?
Or, vous, ma fille, que
j'ai choisie pour moi, et avec qui je parle de mon Esprit, aimez-moi
de tout votre cœur. non pas comme un fils ou une fille, ou bien
comme les parents aiment leurs enfants, mais plus que tout ce qui
est au monde ; car moi, qui vous ai créée, je n'ai pardonné à aucun
de mes membres pour l'amour de vous, et j'aime tellement votre âme
que j'aimerais mieux encore être crucifié une autre fois, si c'était
possible, que de m'en priver. Imitez mon humilité ; car moi, qui
suis le Roi de gloire et le Roi des anges, j'ai été revêtu de vieux
haillons et attaché nu à la colonne. J'entendis tous les opprobres,
toutes les calomnies qu'on vomissait contre moi. Préférez ma volonté
à la vôtre, car ma Mère, votre Dame, depuis le commencement de sa
vie jusqu'à la fin, n'a jamais fait autre chose que ce que je
voulais.
Si vous faites cela,
votre cœur sera dans mon cœur et sera enflammé de mon amour ; et
comme ce qui est sec et aride est facilement enflammé par le feu, de
même votre âme sera remplie par moi, et je serai en vous, de sorte
que toutes les choses temporelles vous seront amères, et toute
volupté charnelle vous sera comme un poison. Vous vous reposerez
dans les bras de ma divinité, où il n'y a aucune volupté charnelle,
mais où il y a joie et délectation d'esprit ; car l'âme qui se
remplit de joie intérieurement et extérieurement, ne pense ni ne
désire autre chose que la joie dont elle tressaille. Aimez-moi donc
tout seul ; et vous aurez à foison tout ce que vous voudrez. Eh quoi
! n'est il pas écrit que l'huile de la veuve ne défaillit point ?
que Notre-Seigneur a donné de la pluie à la terre, selon la parole
du Prophète ? Or, je suis le vrai Prophète. Si vous croyez à mes
paroles et les accomplissez, l'huile, la joie, l'exultation ne vous
manqueront jamais.
Chapitre 2
Notre-Seigneur
Jésus-Christ parle à sa fille prise maintenant pour épouse. Il
traite des vrais articles de la foi, et quels sont les ornements,
les signes et les volontés que l'épouse doit avoir en comparaison de
l'Époux.
Je suis le Créateur du
ciel ; de la terre, et de la mer, et de tout ce qui y est renfermé,
un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit (ego et Pater unum sumus.
Joan.10.30), non pas comme on disait autrefois, dieux de pierre et
d'or, mais un Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; trine en personnes
et un en substance; créant toutes choses et n'étant créé par aucune
; immuable et tout-puissant ; étant sans principe et sans fin. Je
suis celui qui est né de la Vierge, sans perdre ma divinité, mais
l'associant à l'humanité, afin qu'en une seule personne je fusse
vrai Fils de la Vierge. Je suis celui qui a été suspendu à la croix,
mort et enseveli sans altération de ma divinité ; car bien que je
fusse mort en l'humanité et en la chair que j'avais seul prise, je
vivais néanmoins en la Divinité, en laquelle j'étais un avec le Père
et le Saint-Esprit. Je suis celui qui est ressuscité des morts, qui
est monté au ciel, et qui vous parle maintenant avec mon Esprit. Je
vous ai choisie et prise pour mon épouse, afin de vous manifester
mes secrets, car cela me plaît ainsi.
Vous m'appartenez aussi
par quelque droit, puisqu'en la mort de votre mari, vous avez
résigné votre volonté en mes mains, vu que même après son décès,
vous avez pensé et m'avez demandé avec prière comment vous pourriez
être pauvre, et vous avez voulu tout laisser pour l'amour de moi.
C'est pourquoi vous m'appartenez de droit. Il a fallu que, pour un
si grand amour, j'aie eu soin de vous ; et partant, je vous prends
en épouse et pour mon propre plaisir, tel que Dieu doit le prendre
avec une âme chaste.
L'épouse doit donc être
prête lorsque l'époux voudra solenniser les noces, afin qu'elle soit
décemment enrichie, ornée et purifiée. Vous vous purifiez, lorsque
vous pensez incessamment à vos péchés, lorsque vous pensez comment,
dans le baptême, je vous ai purifiée du péché d'Adam ; combien de
fois, étant tombée dans le péché, je vous ai supportée et soutenue.
L'épouse doit aussi avoir sur sa poitrine les signes et les livrées
de son époux, c'est-à-dire, vous devez faire attention aux bienfaits
dont je vous ai comblée, aux œuvres que j'ai faites pour vous,
savoir : combien noblement je vous ai créée en vous donnant un corps
et une âme ; combien éminemment je vous ai douée, en vous donnant la
santé et les choses temporelles ; combien doucement je vous ai
ramenée, quand je suis mort pour vous et vous ai ramené l'héritage,
si vous le voulez avoir.
L'épouse doit aussi
faire la volonté de son époux. Quelle est ma volonté, si ce n'est
que vous m'aimiez par-dessus toutes choses et ne désiriez autre
chose que moi ? J'ai créé toutes choses pour l'amour de l'homme, et
je lui ai toutes assujetties : mais lui, il aime toutes choses,
excepté moi, et il ne hait que moi. J'ai de nouveau racheté
l'héritage qu'il avait perdu ; mais l'homme est tellement aliéné de
sens et de raison qu'il aime mieux cet honneur passager, qui n'est
qu'écume de mer, qui monte en un moment comme une montagne, et est
soudain réduit à rien, que l'honneur éternel, où est le bien sans
fin.
Or, vous, mon épouse,
si vous ne désirez que moi ; si vous méprisez tout pour l'amour de
moi, non seulement je vous donnerai en douce et précieuse récompense
des enfants et des parents, mais aussi des richesses et des
honneurs, non pas l'or et l'argent, mais moi-même, moi qui suis Roi
de gloire, je me donnerai à vous en époux et en prix. Si vous avez
honte d'être pauvre et d'être méprisée, considérez que moi, votre
Dieu, vous ai précédée en cela, car mes serviteurs et mes amis m'ont
laissé en terre, d'autant que je n'ai pas recherché les amis de la
terre, mais du ciel. Que si vous craignez le faix du labeur et de
l'infirmité, considérez combien il est douloureux de brûler dans le
feu.
Que mériteriez-vous, si
vous aviez offensé quelque seigneur temporel comme vous m'avez
offensé ? Car bien que je vous aime de tout mon cœur, néanmoins je
ne porte pas la moindre atteinte à ma justice : comme vous m'avez
offensé en tous vos membres, en tous vous y satisferez. Cependant,
pour la bonne volonté et pour les propos qu'on fait de s'amender, je
change ma justice en ma miséricorde, remettant, pour un petit
amendement, les plus cuisants supplices.
Embrassez donc
franchement un petit labeur, afin qu'étant purifiée, vous obteniez
plus tôt une grande récompense ; car il est raisonnable que l'épouse
souffre et travaille avec l'époux, afin que plus fidèlement elle se
repose avec lui.
Chapitre 3
Paroles de
Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse touchant la doctrine
de l'amour, et de l'humeur de l'épouse envers son époux. De la haine
des méchants contre Dieu et de la dilection du monde.
JE suis votre Dieu et
le Seigneur que vous honorez. Je suis celui qui, par sa puissance,
soutient le ciel et la terre, et qui n'est soutenu par aucun appui
ni par aucunes colonnes. Je suis celui qui, sous les espèces du pain
et du vin, vrai Dieu et vrai homme, est immolé tous les jours. Je
suis le même qui vous ai choisie. Honorez mon Père ; aimez-moi ;
obéissez à mon Esprit ; déférez à ma Mère un grand honneur comme a
votre Dame. Honorez tous mes saints ; gardez la foi droite que vous
enseignera celui qui a éprouvé en soi le conflit de la vérité et de
la fausseté, et qui a vaincu par mon secours. Gardez mon humilité
vraie. Quelle est l'humilité vraie, si ce n'est se manifester tel
qu'on est, et louer Dieu des biens qu'il nous a donnés ?
Mais maintenant,
plusieurs me haïssent et réputent mes œuvres et mes paroles à
douleur et à vanité, et ils embrassent et aiment l'adultère, le
diable ; car tout ce qu'ils font pour moi, ils le font avec murmure
et amertume, et ils en confesseraient pas mon nom, s'ils n'étaient
pas confondus par la crainte des hommes. Or, ils aiment si
sincèrement le monde, que le labeur et les peines qu'il leur donne
ne les lassent jamais, et qu'ils sont toujours plus fervents en son
amour. Leur service me plaît ni plus ni moins que si quelqu'un
donnait de l'argent à son ennemi pour faire tuer son propre fils.
Ceux-ci font la même
chose, car ils donnent une petite aumône, et m'honorent seulement de
leurs lèvres, afin que la prospérité mondaine leur soit favorable,
et qu'ils jouissent des honneurs et des voluptés. De là vient que
leur esprit est mort pour le profit et l'avancement du vrai bien.
Or, si vous me voulez aimer de tout votre cœur et ne désirer rien
que moi, je vous attirerai à moi par la charité, comme l'aimant
attire le fer ; et je vous placerai en la force de mon bras, qui est
si puissant qu'aucun ne peut l'étendre, si ferme que quand il est
étendu, aucun ne peut le plier ni courbe ; il est encore si doux
qu'il surpasse toutes les choses aromatiques, et n'entre pas en
comparaison avec les délectations du monde ; parce qu'il les
surpasse toutes.
Chapitre 4
Paroles de
Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse, par lesquelles il
lui dit qu'elle ne doit craindre rien de ce qui lui a été révélé, ni
penser que ce soit du malin esprit. Il dit aussi de quelle manière
on peut connaître le bon et le malin esprit.
Je suis votre Créateur
et votre Rédempteur. Pourquoi avez-vous eu crainte de mes paroles,
et pourquoi avez-vous réfléchi, pour savoir si elles étaient du bon
ou du mauvais esprit ? Dites-moi, qu'avez-vous trouvé en mes paroles
que la conscience ne vous ai pas dicté de faire ? Où vous ai-je
commandé quelque chose contre la raison ?
A cela Sainte Brigitte,
épouse, répondit : "Non ; mais toutes ces choses sont vraies, et je
me suis malheureusement trompée."
L'Esprit, ou bien
l'époux, répondit : Je vous ai commandé trois choses par lesquelles
vous puissiez connaître le bon esprit : 1° je vous ai commandé
d'honorer Dieu, qui vous a créée et qui vous a donné tout ce que
vous avez. La raison vous dicte que vous l'honoriez par-dessus tout.
2° Je vous ai commandé de tenir une fois droite, savoir, que sans
Dieu il n'y aurait rien de fait, et que, sans lui, rien ne peut être
fait. 3° Je vous ai commandé aussi d'aimer la juste et raisonnable
continence en toutes choses, car le monde a été fait pour l'homme
afin qu'il en usât à sa nécessité, de sorte aussi que, par les trois
choses contraires à celles-ci, vous pouvez connaître l'esprit
immonde, car le diable vous pousse à la recherche de votre propre
louange et à vous enorgueillir de ce qui vous est donné. Il vous
pousse aussi à la perfidie et à la déloyauté ; il vous enflamme
aussi d'incontinence dans tous les membres, et embrase le cœur de la
concupiscence de toutes choses. Il déçoit parfois sous prétexte de
bien.
C'est pourquoi je vous
ai commandé d'examiner tous les jours votre conscience et de la
découvrir à ceux qui sont sages et spirituels. Partant, ne doutez
plus que le bon Esprit ne soit avec vous, quand vous ne désirerez
que Dieu et que vous serez tout enflammée de son amour. Je puis seul
faire cela, et il est impossible que le diable d'approche de vous ;
même aucun mal ne peut s'approcher de l'homme sans que je le
permette, ou à cause de ses péchés, ou bien pour quelque occulte
jugement connu de moi seul, car il est ma créature, comme tout le
reste, et je l'ai fait bon ; mais il est mauvais par sa malice, et
c'est pourquoi je suis le Seigneur sur lui.
Partant, plusieurs
m'imputent à faute, disant que ceux qui me servent avec grande
dévotion, sont fous ou possédés du démon. Ils me font semblable à
l'homme qui, ayant une femme chaste qui se confie à son mari,
l'expose à un adultère. J'en ferais de même, si je permettais qu'un
homme juste et qui m'aime, fût donné au diable. Mais parce que je
suis fidèle, le diable ne dominera en rien l'âme qui me sert
fidèlement et dévotement.
Or, bien que
quelquefois mes amis semblent des fous, cela n'arrive pas pourtant
par l'instigation du diable, ni parce qu'ils me servent avec une
fervente dévotion, mais bien, ou par la faiblesse du cerveau des
hommes, ou pour quelque sujet occulte et secret qui sert à les
humilier. Il se peut faire aussi parfois que je donne puissance au
diable sur la chair des hommes justes, pour leurs plus grandes
récompenses, ou bien qu'il obscurcisse leurs consciences ; mais dans
les âmes de ceux qui ont la foi et la dilection envers moi, il n'a
ni domination, ni pouvoir.
Chapitre 5
Paroles d'un très grand
amour adressées à l'épouse de Jésus-Christ, en la figure admirable
d'un camp bien rangé, par lequel l'Église militante est désignée.
Comment, par les prières de la bienheureuse Vierge et des saints,
l'Église de Dieu est encore réédifiée.
Je suis le Créateur de
toutes choses. Je suis le Roi de gloire et le Seigneur des anges. Je
me suis fait un noble camp où j'ai mis mes élus. Mes ennemis ont
percé le fondement de ce camp, et ils ont tellement prévalu sur mes
amis, qu'ils ont fait sortir la moelle de leurs pieds liés et
attachés à la colonne. Leur bouche a été froissée avec des pierres,
et ils ont été opprimés de faim et de soif ; et d'ailleurs, ils
poursuivent leur Seigneur. Maintenant, mes amis demandent secours
avec gémissement; la justice crie vengeance, et la miséricorde
néanmoins veut le pardon.
Alors Dieu même dit à
l'armée céleste qui est debout devant lui : Que vous semble-t-il de
ceux-ci, qui ont envahi et occupé mon camp ? L'armée céleste
répondit unanimement : Seigneur, en vous est toute justice, et en
vous nous voyons toutes choses. Vous êtes Fils de Dieu, sans
principe et sans fin ; tout jugement vous est donné ; vous êtes leur
juge. Et Notre-Seigneur leur dit : Bien que vous sachiez et voyiez
tout en moi, néanmoins, pour l'amour de cette épouse (sainte
Brigitte), prononcez un juste jugement. Et eux répondirent : Telle
est la justice et l'équité : que ceux qui ont percé la muraille
soient punis comme des larrons ; que ceux qui persistent en leur
malice, soient châtiés comme ceux qui entrent par assaut ; que les
captifs soient affranchis et les faméliques rassasiés.
Alors la Mère de Dieu,
la Sainte Vierge Marie, s'étant tue au commencement, parla en ces
termes : Mon Seigneur et mon très cher Fils, vous avez été en mon
ventre vrai Dieu et vrai homme; vous m'avez sanctifiée par votre
bonté, moi qui n'étais qu'un vase de terre. Je vous en prie, ayez
pitié d'eux encore une fois.
Alors Notre-Seigneur
répondit à sa Mère : Bénie soit la parole de votre bouche ! elle
s'est élevée vers Dieu comme une odeur très aromatique. Vous êtes la
gloire et la Reine des anges et des saints, attendu que vous avez en
quelque sorte consolé la divinité et réjoui tous les saints. Et
parce que votre volonté a été, dès le commencement de votre
jeunesse, unie à la mienne, je ferai encore une fois ce que vous
voulez. Et il dit à l'armée céleste : D'autant que vous avez
généreusement combattu, je serai encore apaisé à raison de votre
charité. Voilà que je réédifierai ce mur pour l'amour de vos
prières. Je sauverai et guérirai ceux qui ont été opprimés par
violence; je les honorerai au centuple au-delà des calomnies qu'ils
ont souffertes. Mais je donnerai paix et miséricorde à ceux qui se
feront violence et qui me demanderont miséricorde ; et ceux qui la
mépriseront sentiront et éprouveront ma justice.
Il dit ensuite à son
épouse : Mon épouse, je vous ai choisie et j'ai versé mon Esprit
dans le vôtre, ou bien je vous ai attirée dans le mien. Vous
entendez mes paroles et celles de tous mes saints, qui, bien qu'ils
voient toutes choses en moi, ont néanmoins parlé pour l'amour de
vous, afin que vous compreniez mieux ; car vous, qui êtes encore en
la chair, vous ne pouvez voir toutes choses en moi, comme eux, qui
sont des esprits épurés et dégagés de la matière. Maintenant aussi,
je vous dirai ce que ces choses signifient : le camp dont nous avons
parlé ci-dessus est l'Église militante, que j'ai édifiée de mon sang
et de celui de mes saints ; je l'ai liée et conjointe par mon amour
et j'ai mis en elle mes élus et mes amis. La foi en est le
fondement, savoir, de croire que je suis juge juste et
miséricordieux.
Or, maintenant, le
fondement est creusé, d'autant que tous croient en moi et publient
ma miséricorde, mais presque pas un ne me publie juste juge ni ne
croit que je juge justement. Car le juge serait inique, qui, ému de
miséricorde, renverrait les méchants impunis, afin que les méchants
oppriment de plus en plus les justes. Or, je suis juge juste et
miséricordieux, de sorte que je ne laisse pas le moindre péché
impuni ni le moindre bien sans récompense. Ceux qui pèchent sans
crainte, qui nient que je sois juste, et troublent de la même
manière mes amis qui ont troublé ceux qui sont liés au cep, sont
entrés en la sainte Église par le ceux de la muraille, car mes amis
n'ont point de joie ni de consolation, mais on vomit sur eux mille
sorte d'opprobres, et on les tourmente comme des démoniaques. S'ils
parlent de moi avec vérité, on les repousse et on les accuse de
mensonge. Il y en a qui désirent grandement d'ouïr parler ou dire
des choses bonnes, mais il n'y a personne qui les écoute ou qui leur
parle des choses justes.
On vomit des blasphèmes
contre moi, qui suis Seigneur et Créateur : ils disent en effet :
Nous ne savons pas s'il y a un Dieu ; et, s'il y en a un, ne nous en
soucions point. Ils jettent par terre l'étendard de ma croix et le
foulent aux pieds, disant : Pourquoi a-t-il souffert ? A quoi cela
nous sert-il ? S'il veut satisfaire ici nos appétits et nos désirs,
nous en sommes contents : qu'il garde son royaume et son ciel. Je
veux aussi entrer dans leurs cœurs, mais ils disent : Nous aimons
mieux mourir que de quitter nos volontés. Voyez, ô mon épouse ! de
quelle trempe ils sont : je les ai faits, et avec une parole, je
pourrais les effacer et détruire : néanmoins, regardez comme ils
s'enorgueillissent contre moi.
Or, maintenant, à
raison des prières de ma Mère et de tous les saints, je suis encore
si miséricordieux et si patient, que je veux leur envoyer les
paroles qui sont sorties de ma bouche, et leur offrir ma
miséricorde. S'ils le veulent recevoir, je serai apaisé et je les
aimerai, sinon, je leur ferai ressentir ma justice, et ils seront
confondus publiquement devant les anges et les hommes, et ils seront
jugés de tous comme des larrons. Car comme des larrons pendus au
gibet sont dévorés par les corbeaux, de même ceux-ci seront dévorés
par les démons sans jamais se consommer ; et comme aussi ceux qui
sont punis par le cep de bois ne trouvent aucun repos, de même
ceux-ci seront en tout et partout environnés de douleur et
d'amertume. Un fleuve ardent coulera en leur bouche, et leur ventre
ne sera pas rempli et rassasié, mais de jour en jour ils seront en
proie à de nouveaux supplices.
Or, mes amis seront
sauvés, et seront consolés par les paroles qui sortent de ma bouche.
Ils verront ma justice et ma miséricorde. Je les revêtirai des armés
de l'amour, et les rendrai tellement forts, que les adversaires de
la foi tomberont à la renverse comme de la boue ; et ils auront
honte éternellement, quand ils verront ma justice, parce qu'ils ont
abusé de ma patience.
Chapitre 6
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse. Comment son Esprit ne peut être avec les iniques. De
la séparation des mauvais d'avec les bons. De la mission des bons,
et de ceux qui sont armés spirituellement contre le monde.
Mes ennemis sont comme
des bêtes farouches qui ne peuvent jamais rassasier ni s'apaiser ;
leur cœur est tellement vide de charité que la pensée de ma passion
n'y entre jamais. Jamais cette parole n'est sortie une fois de
l'intime de leur cœur : Seigneur, vous nous avez rachetés : louange
vous soit pour votre amère passion ! Comment mon Esprit peut-il être
avec eux ? ils n'ont aucun amour envers moi ; ils trahissent
librement les autres afin d'accomplir leurs volontés ; leur cœur est
plein de vile vermine, c'est-à-dire, d'affections du monde ; le
diable a mis en leur bouche la fiente du péché : c'est pourquoi mes
paroles ne leur plaisent point.
Partant, je les
séparerai des mes amis avec la scie tranchante ; et comme il n'y a
pas de mort plus amère que celle qui est faite avec la scie, de même
il n'y aura pas de supplice qu'ils n'expérimentent et n'éprouvent ;
et le diable les sciera par le milieu ; et ils seront séparés de moi
parce qu'ils me sont odieux ; tous ceux aussi qui sont unis avez
eux, seront séparés de moi : c'est pourquoi j'envoie mes amis pour
séparer de mes membres les membres du diable, car ils sont vraiment
mes ennemis.
Je les envoie donc
comme mes soldats à la guerre, car celui qui afflige sa chair et
s'abstient des choses illicites, est en vérité mon soldat. Ils ont
pour lance les paroles que j'ai dites ; pour glaive en leur main la
foi ; pour cuirasse sur leur poitrine l'amour, afin qu'en toute
sorte de rencontre, ils m'aiment de même manière. Ils ont au côté le
bouclier de la patience, afin de supporter toutes choses patiemment,
car je les ai enserrés comme l'or dans le vase, et maintenant ils
doivent sortir et marcher par ma voie. Et moi, je ne pouvais entrer,
selon la justice bien ordonnée, en la gloire majestueuse avec mon
humanité sans tribulation ; comment donc y entreront-ils ? Si leur
Seigneur souffrait, est-ce extraordinaire qu'ils souffrent ? Si
Notre-Seigneur a supporté les coups de fouets, ce n'est pas grand
chose s'ils endurent les paroles. Qu'ils ne craignent pas, car je ne
les laisse jamais ; car comme il est impossible au diable de toucher
le cœur de Dieu et de le diviser, de même il lui est impossible de
séparer de moi mes amis. Et d'autant qu'ils sont devant moi comme
l'or précieux, s'ils sont éprouvés par un petit feu, je ne les
abandonne pas pourtant, mais cela réussit pour une plus grande
récompense.
Chapitre 7
Paroles de la glorieuse
Vierge Marie à sa fille sainte Brigitte, qui lui enseignent la
manière d'être vêtue. Quels sont les vêtements et ornements dont une
vierge doit être revêtue et parée.
Je suis Marie, qui ai
enfanté le vrai Dieu et le vrai homme, le Fils de Dieu. Je suis la
Reine des anges. Mon Fils vous aime de tout son cœur, c'est pourquoi
aimez-le aussi. Vous devez être ornée et revêtue de vêtements
honnêtes ; je vous montrerai quels et comment ils doivent être ; car
comme vous avez eu premièrement une chemise, puis une tunique, des
souliers, un manteau, et un collier sur votre poitrine, de même
maintenant, spirituellement, vous devez avoir la chemise de
contrition : car comme elle est plus proche de la chair, de même la
contrition et la confession est la première voie pour aller à Dieu,
voie par laquelle l'âme qui se réjouissait dans le péché est
purifiée, et la chair sale et sordide est revêtue. Les deux souliers
sont les deux affections, savoir : la volonté de s'amender des
fautes commises, et la volonté de faire le bien et de s'abstenir du
mal. Votre tunique est l'espérance, avec laquelle vous aspirez à
Dieu : car comme la tunique a deux manches, de même que la justice
et la miséricorde se trouvent en votre espérance, afin que vous
espériez en Dieu de telle sorte que vous ne négligiez pas sa
justice. Et pensez tellement à sa justice et à son jugement que vous
n'oubliiez sa miséricorde, car il ne se fait aucune justice sans
miséricorde, ni aucune miséricorde sans justice.
Le manteau est la foi :
en effet, comme le manteau couvre tout, de même l'homme, par la foi,
peut comprendre et atteindre toutes choses. Ce manteau doit être
parsemé des signes de l'amour de votre cher époux, savoir : comment
il vous a créée, comme il vous a rachetée, comment il vous a nourrie
et vous a introduite en son esprit, et vous a ouvert les yeux de
l'esprit. Le collier est la considération de la Passion, qui doit
être incessamment en votre poitrine : comme mon Fils a été conspué
et flagellé ; comment il a été ensanglanté ; comment, ayant tous les
nerfs percés, il était debout sur la croix ; comment tout son corps
trembla dans sa mort, à cause de sa douleur immense ; comment il mit
son esprit entre les mains de son Père. Que ce collier soit toujours
suspendu sur votre poitrine. Que sa couronne soit sur votre tête,
c'est-à-dire, aimez tant la chasteté que vous aimiez mieux endurer
les coups de verges que vous salir désormais. Et de là, soyez en
tout pudique et honnête ; ne pensez à rien ; ne désirez rien que
votre Dieu, votre Créateur : quand vous le posséderez, vous
posséderez tout ; et ainsi parée et enrichie, vous attendrez
l'arrivée de votre cher Époux.
Chapitre 8
Paroles de la Reine du
ciel à sa fille bien-aimée sainte Brigitte, par lesquelles elle lui
enseigne de quelle manière elle doit aimer et louer le Fils et la
Mère.
Je suis la Reine du
ciel. Il faut chercher avec soin la manière dont vous me devez
louer. Ayez pour certain que toute la louange de mon Fils est ma
louange, et que qui l'honore m'honore. En fait, nous nous sommes
réciproquement aimés avec tant de ferveur que nous avons été tous
deux comme un seul cœur ; et il m'a si spécialement honorée, moi qui
n'étais qu'un vase de terre, qu'il m'a exaltée par-dessus les anges.
C'est donc de cette manière que vous devez me louer :
Béni soyez-vous, ô Dieu
! Créateur de toutes choses, qui avez daigné descendre dans le sein
de la Vierge Marie sans incommodité, et qui avez daigné prendre
d'elle une chair humaine sans péché ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui
êtes venu à la Vierge sainte, qui êtes né d'elle sans péché,
remplissant des tressaillements d'une joie ineffable son âme et tous
ses membres !
Béni soyez-vous, ô Dieu
! qui avez réjoui la Vierge Marie, votre Mère, après l'Ascension,
lui donnant tant d'admirables consolations, et qui l'avez elle-même
visitée en la consolant divinement ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui
avez emporté au ciel le corps et l'âme de la Vierge Marie, votre
Mère, et qui l'avez honorablement placée auprès de la divinité,
au-dessus de tous les anges. Faites-moi miséricorde à raison de ses
prières amoureuses.
Chapitre 9
Paroles de la Reine du
ciel à sa fille bien-aimée, qui traitent du doux amour que le Fils
avait envers la Vierge Mère. Comment, d'un mariage très chaste, la
Mère de Dieu fut conçue et sanctifiée dès le sein de sa mère.
Comment elle a été enlevée en corps et en âme dans le ciel. Des
vertus de son nom. Des anges, bons ou mauvais, députés pour l'homme.
Je suis la Reine du
ciel. Aimez mon Fils, attendu qu'il est très honnête ; et quand vous
le possèderez, vous aurez toute honnêteté. Il est aussi très
désirable ; et quand vous l'aurez, vous aurez tout ce qui est
désirable. Aimez-le aussi, car il est très vertueux ; et quand vous
l'aurez, vous aurez toutes les vertus. Je veux vous dire de combien
de délices il a aimé mon corps et mon âme, combien aussi il a honoré
mon nom.
Mon Fils m'a plutôt
aimée que je ne l'ai aimé, car il est mon Créateur ; il a fait et
uni avec tant de chasteté le mariage de mon père et de ma mère,
qu'ils ne voulaient jamais avoir affaire ensemble que pour avoir des
enfants. Et lorsqu'il leur fut annoncé par l'ange qu'ils
enfanteraient une Vierge d'où procéderait le salut du monde, ils
eussent mieux aimé mourir que de se connaître par amour charnel. Et
certes, la volupté charnelle était éteinte en eux. Néanmoins, je
vous certifie qu'ils se connurent en la chair, non par concupiscence
voluptueuse, mais contre toute sorte de volupté, par la charité
divine, par la parole de l'ange qui l'annonçait ainsi, et par la
dilection divine ; et ainsi, c'est par la charité divine que ma
chair a été faite.
Or, mon corps ayant été
fait, Dieu, créant mon âme, la mit dans mon corps, et soudain mon
âme et mon corps ont été sanctifiés, âme que les anges gardaient et
conservaient jour et nuit dès qu'elle fut créée ; et lorsque mon âme
était sanctifiée et était unie à mon corps, ma mère ressentait tant
de joie qu'il serait impossible de le dire. Après avoir accompli le
cours de ma vie, il éleva premièrement mon âme, qui dominait le
corps, vers la Divinité, si excellemment au-dessus des autres, et
puis mon corps, qu'il n'y a corps d'aucune créature qui soit si près
de Dieu que le mien. Voyez combien mon Fils a aimé mon corps et mon
âme.
Mais il y en a qui sont
d'un malin esprit, qui nient que j'ai été enlevée vers la Divinité
en corps et en âme. Voyez aussi combien mon Fils a honoré mon nom :
mon nom est MARIE, comme on le lit dans l'Évangile. Lorsque les
anges entendent prononcer ce nom, ils se réjouissent en eux-mêmes,
et rendent grâces à Dieu, qui leur a fait une telle grâce et une
telle faveur, que, par moi et avec moi, il voient l'humanité de mon
Fils glorifiée en la Divinité. Ceux qui sont dans le purgatoire s'en
réjouissent outre mesure, comme un malade gisant dans son lit, s'il
entend quelque parole de soulagement et qui lui plaise, tressaille
soudain d'un contentement indicible. Les bons anges aussi, entendant
prononcer le nom de Marie, se rapprochent soudain des hommes justes
qu'ils gardent, et de l'avancement desquels ils se réjouissent
merveilleusement : car à tous les hommes sont donnés de bons anges
pour leur garde, et de mauvais anges pour les éprouver, non pas de
telle sorte que les anges soient séparés de Dieu, mais ils servent
l'âme de telle manière qu'ils ne laissent pas Dieu. Ils sont
incessamment devant lui, et néanmoins, ils enflamment et incitent
l'âme à bien faire.
Tous les diables aussi
craignent le nom de Marie et le révèrent, car l'entendant prononcer,
ils lâchent soudain l'âme qu'ils tenaient sous leurs griffes. Comme
un oiseau de rapine qui tient une proie en ses griffes et en son
bec, s'il entend quelque son lâche sa proie, et voyant qu'il n'y a
rien en effet qui l'empêche, y retourne soudain, de même ces
diables, ayant ouï mon nom, laissent l'âme, épouvantés, mais y
reviennent comme un trait poussé vivement d'un arc bien tendu, à
moins que quelque amendement ne s'ensuive. Car aussi, il n'y a pas
un chrétien, si froid qu'il soit en l'amour de Dieu, à moins
toutefois qu'il ne soit condamné, qui, s'il veut invoquer ce nom
avec l'intention de ne vouloir jamais plus retourner à ses fautes
accoutumées, ne soit délaissé par le diable ; et le diable ne
reviendra jamais plus vers lui, à moins qu'il ne reprenne la volonté
de pécher mortellement. Néanmoins, il lui est permis de le troubler
quelquefois, pour la plus grande récompense et la plus grande gloire
du chrétien ainsi éprouvé, mais non de le posséder.
Chapitre 10
Paroles de la Vierge
Marie à sa fille, lui enseignant une doctrine utile, comment elle
doit vivre, et racontant plusieurs miracles de la Passion de
Jésus-Christ.
Je suis la Reine du
ciel, Mère de Dieu. Je vous ai dit que vous deviez avoir un collier
en votre poitrine ; or, maintenant je vous le dévoilerai mieux.
Quand, dès le commencement de mon enfance, j'eus compris que Dieu
existait, j'ai toujours été soigneuse et craintive de mon salut et
de mon observance. Mais quand je sus que Dieu était mon créateur et
le juge de toutes mes actions, je l'ai aimé intimement ; j'ai craint
à toute heure de l'offenser par mes paroles, par mes actions. Après,
quand je sus qu'il avait donné la loi et ses commandements au
peuple, et avait fait avec eux tant de merveilles, je résolus
fermement en mon âme de n'aimer que lui ; et les choses mondaines
m'étaient grandement amères.
Après cela, sachant
aussi que Dieu rachèterait le monde et qu'il naîtrait d'une Vierge,
j'ai été touchée et blessée d'un si grand amour pour lui, que je ne
pensais qu'à lui et ne voulais que lui. Je m'éloignai autant que je
pus des discours familiers et de la présence de mes parents et de
mes amis ; je donnai aux pauvres tout ce que je pouvais avoir, et je
ne me réservai que le simple vêtement et quelque peu pour vivre.
Rien ne me plaisait que
Dieu. Je désirais incessamment dans mon cœur de vivre jusqu'au jour
de sa naissance, afin de mériter d'être faite servante de la Mère de
Dieu, quoique je m'en estimasse indigne. Je fis vœu dans mon cœur de
garder la virginité, si Dieu l'avait pour agréable, et de ne rien
posséder au monde. Or, si Dieu en voulait déterminer autrement, je
désirais que sa volonté fût faite, et non la mienne, car je croyais
qu'il ne pouvait ni ne voulait rien qui ne me fût utile, c'est
pourquoi je lui commis ma volonté. Or le temps approchant qu'on
présentait au temple les vierges selon l'ordonnance de la loi, je
fus présentée avec les autres, à cause de l'obéissance de mes
parents, pensant en moi-même que rien n'était impossible à Dieu ; et
parce qu'il savait que je ne désirais rien et ne voulais rien que
lui, il pouvait me conserver dans la virginité, si cela lui
plaisait; autrement, que sa volonté fût faite.
Or, ayant ouï au temple
tout ce qui était commandé, étant retournée à la maison, je brûlais
plus qu'auparavant de l'amour de Dieu, et j'étais de jour en jour
enflammée de nouveaux feux et de nouveaux désirs amoureux. Partant,
je m'éloignais plus que de coutume de tous, et je demeurais seule
nuit et jour, craignant grandement que ma bouche ne dît, que mon
oreille n'entendît quelque chose qui fût contre l'amour de Dieu, ou
que mes yeux ne vissent quelque chose délectable. Je craignais aussi
et j'eus soin que mon silence ne tût ce que je devais dire; et comme
j'étais troublée de la sorte en mon cœur et mettais toutes mes
espérances en Dieu, il me vint soudain en mémoire de penser à la
grande puissance de Dieu ; comment les anges et toutes les choses
créées le servent ; combien sa gloire est ineffable et infinie.
Et admirant ceci, je
vis trois merveilles : car j'ai vu un astre, mais non pas comme
celui qui brille au ciel. J'ai vu une lumière, mais non pas comme
celle qui brille dans le monde. J'ai senti une odeur, non pas comme
celle des herbes ou de quelque substance aromatique, mais très suave
et ineffable, odeur dont je fus remplie ; et je tressaillais d'une
grande joie. De là, j'entendis une grande voix, mais non de la
bouche des hommes ; et l'ayant entendue, j'ai craint que ce ne fût
une illusion. Et soudain m'apparut un ange comme un homme très beau,
mais non pas revêtu de chair, qui me dit : Je vous salue, pleine de
grâce, etc. Et ayant ouï cela, je cherchais ce que cela signifiait,
ou pourquoi il me saluait de la sorte, car j'étais persuadée que
j'étais indigne d'une telle chose et de quelque bien que ce fût, et
je n'ignorais pas toutefois qu'il n'y avait rien d'impossible à
Dieu, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait.
Alors l'ange me dit
pour la seconde fois : Ce qui naîtra de vous est saint, et
s'appellera Fils de Dieu (cf. Lc 2) ; et comme il lui plaît, ainsi
il sera fait. Je ne m'en croyais pas digne, et je ne demandais pas à
l'ange pourquoi ou quand ce mystère s'accomplirait, mais je m'enquis
de la manière dont il se ferait, car je suis indigne d'être Mère de
Dieu et je ne connais point d'homme ; et comme je l'ai dit, l'ange
me répondit qu'il n'y avait rien d'impossible à Dieu, et que tout ce
qu'il veut faire est fait. Ayant ouï la parole de l'ange, j'eus un
grand désir et un grand amour d'être Mère de Dieu, et mon âme
parlait par un excès d'incomparable amour. Et voici que je prononce
ces paroles : que votre volonté soit faite en moi.
A ces mots, le Fils de
Dieu fut soudain conçu dans mon sein; mon âme fut dans une joie
ineffable, et tous les membres de mon corps tressaillirent. Et
l'ayant dans mon sein, je le portais sans douleur, sans pesanteur,
sans incommodité ; je m'humiliais en tout, sachant que celui que je
portais était tout-puissant.
Or, quand je l'ai
enfanté, je l'ai enfanté sans douleur et sans péché, comme je
l'avais conçu, mais avec une si grande joie d'esprit et de corps,
que mes pieds ne sentaient point la terre où ils étaient. Et comme
il est entré en tous mes membres avec la joie universelle de mon
âme, de même il est sorti sans lésion de ma virginité, mes membres
et mon âme tressaillant d'une joie ineffable. Considérant et
regardant sa beauté, mon âme était inondée de joie, sachant que
j'étais indigne d'un tel Fils.
Or, quand je
considérais sur ses mains et sur ses pieds la place des clous, et
que j'avais ouï que, selon les prophètes, on le crucifierait, alors
mes yeux fondaient en larmes, et la tristesse déchirait mon cœur. Et
quand mon Fils me regardait ainsi éplorée et larmoyante, il
s'attristait jusqu'à la mort. Mais quand je considérais la puissance
de la Divinité, j'étais de nouveau consolée, sachant qu'elle le
voulait ainsi, et qu'il était expédient que cela arrivât; et alors,
je conformais ma volonté à sa volonté, et de cette manière, ma joie
était toujours mêlée de douleur.
Le temps de la passion
de mon Fils étant proche, ses ennemis le ravirent à tous, le
frappant sur ses joues et sur son cou ; et ayant craché sur lui, ils
s'en moquèrent. Ayant ensuite été conduit vers la colonne, il se
dépouilla lui-même de ses habits, approcha lui-même de la colonne
ses mains, que ses ennemis lièrent sans miséricorde. Or, étant lié,
il n'avait rien pour se couvrir : mais comme il était né nu, il
endurait et souffrait ainsi la honte de sa nudité.
Ses amis, ayant pris la
fuite, ses ennemis, les levant ensemble, l'environnaient de toutes
parts, flagellaient son corps pur de toute souillure et de tout
péché. Donc, au premier coup, moi qui étais la plus rapprochée de
lui, je tombai comme morte ; et ayant repris mon esprit, je vis son
corps fouetté et déchiré jusqu'aux os, de sorte que ses côtes
paraissaient ; et, ce qui était plus amer, quand on retirait les
fouets, on sillonnait et on déchirait sa chair. Et lorsque mon Fils,
empourpré de sang et tout déchiré, demeurait ainsi debout, qu'on ne
trouvait rien de sain en lui, qu'on ne le flagellait plus, quelqu'un
dit alors avec émotion : Eh quoi ! le ferez-vous mourir ainsi sans
être jugé ? Et il coupa soudain ses liens. Après, mon Fils se
revêtit de ses habits, et alors je vis la place où étaient ses pieds
toute pleine de sang et de vestige de mon Fils ! Je connaissais sa
trace, car où il passait, la terre était teinte de sang ; et ses
ennemis ne souffraient pas qu'il s'habillât, mais ils le poussaient,
et le forçaient d'avancer.
Or, quand on le
conduisit comme un larron, mon Fils essuya le sang de ses yeux ; et
quand on l'eut jugé, on lui fit porter la croix ; et quand il l'eut
portée quelque temps, quelqu'un vint, la prit et la porta.
Cependant, mon Fils s'en allant au lieu de sa passion, les uns le
frappaient au cou, les autres à la face ; il fut si fortement et si
puissamment battu, que, bien que je visse pas celui qui le frappait,
j'entendais pourtant les coups. Et étant arrivé au lieu de sa
passion, je vis là tous les instruments préparés pour le faire
mourir ; et mon Fils, venant là, se dépouilla lui-même de ses
vêtements, lors même que les ministres disaient entre eux : Ses
vêtements sont à nous : il ne les recouvrera pas, il est condamné à
mort.
Or, mon Fils étant là,
nu comme il était né, alors on accourut, lui apportant un voile qui
couvrit sa nudité et lui procura une grande joie intérieure. Après,
les bourreaux durs et cruels le prirent et l'étendirent sur la
croix, attachant premièrement sa main droite au poteau, qui était
percé pour y mettre un clou. Et ils perçaient sa main dans la partie
où l'os était plus solide et plus fort ; et puis, tirant avec une
corde l'autre main au trou, ils le crucifièrent. On crucifia ensuite
le pied droit et le pied gauche avec deux clous, de sorte que tous
les nerfs et toutes les veines étaient tendus et rompus. Cela étant
fait, ils lui mirent au front une couronne d'épines, qui perça si
profondément la tête de mon Fils, que ses yeux étaient pleins de
sang, ses oreilles bouchées par le sang, et sa barbe en était toute
couverte !
Et étant de la sorte
empourpré de son sang et ainsi percé, ayant pitié de moi, qui étais
affligée et gémissante, il jeta ses yeux sur saint Jean, fils de ma
sœur, et me recommanda à lui. En ce temps-là, j'ouïs les uns qui
disaient que mon Fils était un larron, les autres, qu'il était un
menteur, et d'autres, qu'il n'y avait aucun homme plus digne de mort
que mon Fils. Toutes ces paroles renouvelaient grandement ma
douleur. Mais lorsqu'on plantait le premier clou comme j'ai dit, au
premier coup je tombai comme morte, les yeux obscurcis, les mains
tremblantes, les pieds chancelants, et je ne le regardai point qu'il
ne fût entièrement crucifié, ne pouvant supporter l'excès de ma
douleur.
Or, me levant, je vis
mon Fils misérablement pendu à la croix ; et moi, sa Mère, toute
frémissante de crainte, je pouvais à peine demeurer debout, à cause
de la douleur. Mon Fils, me voyant, et ses amis pleurant sans
consolation, dit d'une voix pleurante et haute : Mon Père, pourquoi
m'avez-vous délaissé ? Comme s'il disait : Il n'y a que vous qui
ayez pitié de moi, ô mon Père ! Alors je vis ses yeux à demi morts,
ses joues trempées, son visage triste, sa bouche ouverte, sa langue
empourprée de sang, et son ventre collé au dos, toute l'humeur étant
consommée, comme s'il n'avait point d'entrailles. Je vis son corps
pâle et languissant, à cause du sang qu'il avait répandu, ses mains
et ses pieds roidis et étendus, selon les dimensions de la croix, sa
barbe et ses cheveux tout trempés dans son sang.
Mon Fils donc demeurant
de la sorte déchiré et livide, seul, son cœur était vivant, attendu
qu'il était d'une très bonne et forte nature, car il avait pris de
ma chair un corps pur, sain et d'une bonne complexion. Sa peau était
si tendre et si délicate que, dès qu'elle était tant soit peu
fouettée, le sang en ruisselait. Son sang était si vif qu'on pouvait
voir à travers sa peau. Et comme il était d'une bonne nature, la vie
combattait avec la mort dans un corps déchiré.
Quand la douleur
montait des membres et des nerfs percés du corps, au cœur, ce qu'il
y avait en lui de plus sensible et de plus pur, son cœur éprouvait
d'incroyables souffrances ; et quand quelquefois la douleur
descendait du cœur dans ses membres en lambeaux, alors il
prolongeait sa mort avec amertume. Mais quand mon Fils, environné,
assailli de douleurs, regardait ses amis larmoyants, qui eussent
mieux aimé supporter cette peine avec secours, ou brûler
éternellement en enfer, que de le voir ainsi tourmenté, la douleur
que lui procurait la douleur de ses amis excédait toute l'amertume,
toute l'affliction qu'il avait soufferte, tant dans con corps que
dans son esprit, parce qu'il les aimait tendrement. Alors, dans la
trop grande angoisse de son corps, il criait à son Père, disant : O
Père ! je remets mon esprit en vos mains. Donc, quand moi, sa Mère
affligée, j'ai entendu ces paroles, tous mes membres ont frémi avec
une douleur poignante et trop amère à mon cœur ; et autant de fois
que je les méditais, il me semblait les entendre encore et toujours.
Or, la mort approchant,
et le cœur de mon Fils se fendant par la violence de la douleur,
tous ses membres frémirent, et sa tête s'éleva un peu, puis
s'inclina. On voyait sa bouche ouverte et sa langue toute sanglante
; ses mains s'étaient un peu retirées du trou, et les pieds
soutenaient d'autant plus la pesanteur du corps ; ses doigts et ses
bras s'étendaient aucunement, et le dos était fortement serré au
tronc.
Alors quelques-uns me
dirent : Marie, votre Fils est mort ; quelques autres me dire :
Votre Fils est mort, mais il ressuscitera. Tandis qu'on me disait
cela, un soldat vint, et enfonça sa lance dans le côté de mon Fils,
si avant qu'elle sortait presque de l'autre côté ! Et dès que la
lance fut retirée, la poitrine fut toute sanglante. Alors, voyant le
cœur de mon cher Fils percé, il me semblait que le mien l'était
aussi. Ensuite, on le descendit de la croix, et je le reçus sur mes
genoux comme un lépreux, tout livide et meurtri, car ses yeux
étaient morts et tout pleins de sang, sa bouche était froide comme
la neige, sa barbe était comme une corde, sa face contractée ; ses
mains aussi étaient tellement raides qu'on ne les pouvait mettre sur
le nombril ; comme il avait été sur la croix, ainsi l'avais-je sur
mes genoux comme un homme roidi en tous ses membres. Tout de suite
on l'enveloppa d'un drap propre et blanc ; et moi, je lui nettoyai
avec mon linge ses plaies et ses membres ; je lui fermai les yeux et
la bouche, qui étaient restés ouverts à sa mort.
Enfin, on le mit dans
le sépulcre. Oh ! que volontiers alors je me fusse ensevelie vivante
avec mon Fils, si telle eût été sa volonté ! Ces choses étant
accomplies, le bon saint Jean vint et m'amena à la maison. Voilà, ô
ma fille ! quelles choses mon cher Fils a souffertes pour vous.
Chapitre 11
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse, traitant de la manière qu'il se donna librement à ses
ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec
contingence, se privant de tout ce qui est illicite, à l'exemple de
sa douce passion.
Le Fils de Dieu parlait
à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre,
et le corps qui est consacré sur l'autel est mon vrai corps.
Aimez-moi de tout votre cœur, car je vous ai aimée. Je me suis
librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été
assaillis d'une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.
Quand je voyais la
lance, les clous, les fouets et autres instruments préparés pour ma
passion, je m'en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la
couronne d'épines, ma tête fut toute sanglante, et que mon sang
ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon cœur,
j'eusse mieux aimé qu'il eût été déchiré en deux que de ne pas vous
posséder et ne pas vous aimer. Parant, vous seriez trop ingrate, si
vous ne m'aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai
témoigné.
Si ma tête a été percée
par les épines et s'est inclinée sur la croix, votre tête doit bien
s'incliner à l'humilité ; et parce que mes yeux étaient remplis de
sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos
yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï
qu'on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter
les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu'aussi on a
abreuvé ma bouche d'une boisson amère, vous devez aussi fermer la
bouche aux paroles mauvaises et l'ouvrir aux bonnes ; et comme mes
mains ont été étendues sur le gibet, vos œuvres, figurées par les
mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos
pieds, c'est-à-dire vos affections, par lesquelles vous devez venir
à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j'ai
souffert en tous mes membres, de même tous vos membres doivent être
prêts et disposés à m'obéir, car j'exige plus de service de vous que
des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d'une grâce plus
grande et plus excellente.
Chapitre 12
De quelle manière
l'ange prie pour l'épouse, et comment Jésus-Christ interroge l'ange
sur ce qu'il implore pour elle. Ce qui est expédient à l'épouse.
Le bon ange gardien de
l'épouse semblait prier Jésus-Christ pour elle ; Notre-Seigneur lui
répondit : Celui qui veut prier pour un autre doit prier pour son
salut : car vous, ô anges ! vous êtes comme le feu qui ne s'éteint
jamais, qui brûle incessamment de mon amour. Vous voyez et savez
tout, quand vous me voyez ; vous ne voulez rien, si ce n'est ce que
je veux. Dites donc, qu'est-ce qui est expédient à cette nouvelle
épouse ? Et l'ange lui répondit : Mon Seigneur, vous savez tout.
Notre-Seigneur lui repartit : Certes, tout ce qui a été fait et
sera, est éternellement en moi, et j'ai connu tout ce qui est au
ciel et sur la terre, et je le sais, et pourtant, il n'y a point de
changement en moi. Néanmoins, afin que cette épouse entende ma
volonté, dites maintenant en sa présence ce qui lui est nécessaire.
L'ange lui dit : Elle a
le cœur élevé et enflé, partant, il lui faut une verge pour être
châtiée. Et alors Notre-Seigneur lui dit : Qu'est-ce donc que vous
demandez pour elle, ô mon ami ? Et l'ange lui dit : Je demande la
miséricorde et la correction. Notre-Seigneur dit : Pour l'amour de
vous, je lui ferai ce que vous demandez, moi qui ne fais jamais
justice sans miséricorde. Partant, cette épouse me doit aimer de
tout son cœur.
Chapitre 13
Comment l'ennemi de
Dieu a trois démons en soi, et du jugement donné contre lui par
Jésus-Christ.
Mon ennemi a en soi
trois démons : le premier réside dans les parties de la génération,
le deuxième dans son cœur, le troisième dans sa bouche.
Le premier est comme un
pilote qui fait entrer dans le navire l'eau, qui peu à peu le
remplit ; et après, l'eau débordant, le navire est submergé. Ce
navire est son corps agité par les tentations du démon, assailli
comme par les vents de ses propres cupidités, et dans lequel les
eaux de la volupté sont d'abord entrées par le navire, c'est-à-dire,
par la délectation qu'il prenait en telles pensées; et parce qu'il
n'y résistait pas par la pénitence, qu'il ne le réunissait pas par
les clous de l'abstinence, l'eau de la volupté allait toujours
croissant et ajoutant le consentement ; et de là, le navire étant
rempli de la concupiscence du ventre, l'eau redondait et couvrait de
volupté le navire, afin qu'il n'arrivât pas au port de salut.
Le deuxième démon, qui
réside dans le cœur, est semblable au vermisseau qui est dans la
pomme, qui ronge d'abord le dedans, et qui, ayant laissé là sa
fiente, entoure toute la pomme, jusqu'à ce qu'il l'ait toute gâtée.
Le diable en agit de même ; en effet, en premier lieu, il gâte la
volonté et ses bons désirs, qui sont comme le cerveau, où subsiste
toutes la force, tout le bien de l'esprit ; et ayant vidé le cœur de
tous ses biens, il y laisse des pensées et des affections du monde
de ceux qu'il a aimés le plus. Maintenant il pousse son corps à ses
plaisirs, par lesquels la force divine est diminuée et la
connaissance affaiblie; et le dégoût, le dédain de la vie vraie
vient de là. Certes, cet homme est une pomme sans cerveau,
c'est-à-dire, un homme sans cœur, car sans cœur, il entre dans mon
Église, d'autant qu'il n'a aucune charité divine.
Le troisième démon est
semblable à un archer qui guette par la fenêtre ceux qui ne s'en
donnent garde. Comment est-ce que le démon ne dominera pas celui
sans lequel il ne parle jamais ? car ce qu'on aime le plus, c'est ce
dont on parle le plus souvent. Ses paroles amères, avec lesquelles
il blesse les autres, sont comme des traits acérés qui sont dardés
par autant de fenêtres que le diable est nommé par lui, que
l'innocent est déchiré par ses paroles, et que les simples en sont
scandalisés. Parant, moi, qui suis la Vérité, je jure que je le
condamnerai comme une abominable courtisane au feu de soufre, à
avoir les membres coupés, comme un déloyal et un traître, et comme
celui qui méprise son salut, à la confusion éternelle; mais
toutefois, tant que le corps et l'âme seront ensemble en cette vie,
ma miséricorde lui est offerte. Or, voici ce que je demande et exige
de lui, savoir, qu'il assiste souvent aux choses divines ; qu'il ne
craigne nulle opprobre ; qu'il ne désire aucun honneur, et que le
nom sinistre du diable ne soit jamais prononcé en lui.
Chapitre 14
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse. De la manière de faire l'oraison ; du respect qu'elle
doit avoir en la faisant, et de trois sortes d'hommes qui servent
Dieu.
Je suis votre Dieu,
qui, crucifié sur la croix, vrai Dieu et vrai homme en une personne,
suis tous les jours dans les mains des prêtres. Quand vous me faites
quelque prière, finissez-la toujours ainsi : Que votre volonté soit
faite, et non la mienne. Car quand vous me priez pour les damnés, je
ne vous exauce pas. Quelquefois aussi vous désirez ce qui est contre
votre salut, partant, il est nécessaire que vous soumettiez votre
volonté à la mienne, car je sais tout et je pourvois à tout ce qui
vous est utile. Certes, plusieurs me prient, mais non avec une
droite intention, et partant, ils ne méritent pas d'être exaucés.
Vraiment, il y a trois
sortes de gens qui me servent en ce monde : les premiers sont ceux
qui me croient Dieu, auteur de tout bien et puissant sur toutes
choses. Ceux-là me servent avec l'intention d'obtenir les honneurs
et les choses temporelles, mais les choses célestes leur sont comme
rien ; ils les abandonnent avec joie, afin d'obtenir les choses
présentes ; à ceux-là la prospérité du siècle leur sourit en tout
selon leurs désirs. Et puisqu'ils ont ainsi omis les biens éternels,
je récompense tout le bien qu'ils ont fait pour moi, jusqu'à la
dernière maille et au dernier point, d'une récompense mondaine et
temporelle. Les deuxièmes sont ceux qui me croient tout-puissant et
juge sévère. Ceux-ci me servent par crainte du châtiment, non par
amour de la gloire céleste, car s'ils ne craignaient pas, ils ne me
serviraient pas. Les troisièmes sont ceux qui me croient créateur de
toutes choses, vrai Dieu, miséricordieux et juste. Ceux-ci me
servent, non par la crainte de quelque châtiment, mais par
dilection, par amour. Ils aimeraient mieux souffrir toutes les
peines, s'ils pouvaient, que de provoquer une seule fois ma colère.
Les prières de ceux-ci méritent d'être exaucées, car leur volonté
est selon ma volonté. Les premiers ne sortiront jamais du supplice
et ne verront jamais ma face ; les seconds n'auront pas de si grands
supplices, mais ne verront jamais ma face, à moins que la pénitence
les corrige de cette crainte trop servile.
Chapitre 15
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse, traitant des conditions d'un grand roi, appropriées à
Jésus-Christ. Des deux coffres par lesquels sont signifiés l'amour
de Dieu et l'amour du monde, et de la doctrine pour profiter en
cette vie.
Je suis comme un grand
et puissant roi. Certes, à un roi quatre choses sont requises : 1°
il doit être riche ; 2° il doit être doux ; 3° il doit être sage ;
4° il doit être charitable.
Je suis vraiment Roi
des anges et des hommes ; j'ai aussi quatre conditions que j'ai
dites : en effet, je suis très riche, moi qui donne à tous ce qui
leur est nécessaire, et pour cela, je n'en diminue pas. Je suis très
doux, moi qui suis prêt à donner à tous ceux qui me demandent
quelque chose. Je suis très sage, moi qui sais ce qui est dû et ce
qui est nécessaire à chacun.
Je suis très
charitable, moi qui suis plus prêt à donner que quelqu'un à
demander.
J'ai deux coffres :
dans le premier est renfermé ce qui est lourd et pesant comme du
plomb, et la chambre où est ce coffre est environnée de pointes
aiguës.
Ces deux coffres
semblent fort légers à celui qui commence à les remuer et à les
porter, mais puis, ils sont pesants comme du plomb. Et ainsi, ce qui
semblait fort pesant devient léger, et ce qui semblait âpre et
poignant devient doux. Dans le second coffre semble être renfermés
l'or splendide, les pierres précieuses, des breuvages odoriférants
et doux : mais vraiment, cet or n'est que boue, et ces breuvages ne
sont que poison. Pour aller à ces deux coffres, il y a deux voies,
et auparavant, il n'y en avait qu'une.
A l'entrée des deux
chemins, il y avait un homme qui criait à trois hommes marchant par
une autre voix : Entendez, entendez mes paroles, et si vous ne les
écoutez pas, voyez de vos yeux que les paroles que je vous dis sont
vraies ; que si vous ne les entendez pas, du moins touchez de vos
mains, et soyez convaincus qu'il n'y a point de fausseté dans mes
paroles. Alors, le premier des trois dit : Voyons si ses paroles
sont vraies. Le deuxième dit : Tout ce que cet homme dit est faux.
Le troisième dit : Je sais que ce qu'il dit est vrai, mais je ne
m'en soucie pas.
Ces deux coffres ne
sont certes autre chose que mon amour et l'amour du monde : mais
pour y arriver, il y a deux chemins : l'abjection et la parfaite
abnégation de sa propre volonté, qui conduit à mon amour, et la
volupté de la chair, qui conduit à l'amour du monde. Or, il semble à
quelques-uns qu'en mon amour il y a des poids, des faix aussi lourd,
aussi pesants que du plomb ; car quand il faut jeûner, veiller ou
retenir en bride les appétits de la chair, il leur semble qu'ils
portent du plomb. Que s'ils entendent des paroles injurieuses ;
s'ils sont en religion ou en oraison, ils sont comme sous
l'aiguillon, ils sont à toute heure oppressés et en proie aux
angoisses.
Or, celui qui veut
brûler de mon amour doit premièrement tourner son faix en désir et
en amour de bien faire ; et puis, qu'il se soulage peu à peu ; qu'il
fasse ce qu'il peut faire, pensant qu'il le peut, si Dieu lui donne
la grâce ; qu'il persévère ensuite en ce qu'il a commencé avec une
si grande joie et un si grand courage, qu'il commence à porter
facilement ce qui lui semblait être si pesant, et que toute la
rigueur des jeûnes, des veilles, et autres exercices pesants comme
du plomb, lui soient légers comme des plumes. C'est sur ce siège que
mes amis se reposent, et que les méchants et les lâches
s'inquiètent, comme s'ils étaient entourés d'escourgées et de
poignantes épines ; mais mes amis y trouvent un grand repos, doux
comme des roses.
Il y a, pour aller vers
ce coffre, une voie droite, qui est le mépris de sa propre volonté,
alors que l'homme, ayant considéré ma passion et mon amour, résiste
de toutes ses forces à sa propre volonté, et est incessamment allé
vers ce qu'il y a de meilleur. Et bien que cette voie soit d'abord
un peu rude, elle plaît néanmoins beaucoup dans le progrès, de sorte
que ce qui semblait au commencement impossible d'être porté, devient
ensuite très léger et très facile, et l'on se dit à bon droit : Le
joug de Dieu est doux.
Le monde est le second
coffre, dans lequel sont renfermés l'or, les pierres précieuses, les
breuvages et les parfums odoriférants : mais néanmoins, goûtez, ils
sont amers comme le poison. En effet, il arrive à ceux qui portent
de l'or, que, le corps et les membres étant affaiblis, les moelles
desséchées, ils meurent ; alors, ils laissent leur or, et leurs
pierreries ne leur servent pas plus que la boue. Les breuvages du
monde aussi, c'est-à-dire, les plaisirs, leur semblent doux ; mais
lorsqu'on les possèdes, ils débilitent la tête, chargent le cœur,
brisent tous les membres, et peu de temps après, l'homme se dessèche
comme du foin ; et la douleur de la mort approchant, tout ce qui
était délectable devient plus amer que le fiel. A ce coffre conduit
la volonté propre, quand l'homme n'a pas le soin de résister à ses
passions perverses et d'anéantir les affections désordonnées, et
qu'il ne médite pas ce que j'ai commandé et ce que j'ai fait, mais
exécute soudain tout ce qui lui vient en pensée, soit licite, soit
illicite. Sur cette voie marchent trois sortes d'hommes, par
lesquels j'entends tous les réprouvés qui aiment le monde et leur
volonté propre.
J'ai donc crié, quand
j'étais aux entrées des voies : en effet, prenant une chair humaine,
j'ai montré aux hommes comme deux voies, savoir : ce qu'il fallait
faire et ce qu'il fallait fuir, quelle voie conduisait à la vie et
quelle à la mort. Car avant que je me fusse incarné, il n'y avait
qu'une voie par laquelle les mauvais descendaient en enfer et les
bons dans les limbes. Or, je suis celui qui criait en ces termes : O
hommes ! entendez mes paroles, qui conduisent à la voie de vie,
vivant éternellement, car elles sont vraies, et vous pouvez le
connaître par ce que je vous dis sensiblement. Que si vous ne les
entendez pas ou ne pouvez pas les entendre, pour le moins voyez, par
la foi et par l'esprit, que mes paroles sont vraies : car comme
l'œil corporel voit l'objet visible, de même, par les yeux de la
foi, on voit et on croit ce qui est invisible. Enfin, il y a dans
l'Église plusieurs âmes simples qui font peu de bien, néanmoins
elles sont sauvées par la foi, me croyant Créateur et Rédempteur.
Certes, il n'y en pas
un qui ne puisse entendre que je suis Dieu et le croire. S'il
considère comment la terre porte des fruits ; de quelle manière le
ciel donne des pluies ; comment les arbres fleurissent; de quelle
manière chaque animal subsiste en son espèce ; comment les astres
servent à l'homme, et les événements contraires à la volonté de
l'homme : par toutes ces choses, l'homme peut voir qu'il est mortel
; que Dieu est celui qui dispose toutes chose selon ses desseins
éternels.
En effet, s'il n'y
avait pas un Dieu, tout serait en désordre. Donc, tout est dépendant
de Dieu, et toutes choses sont raisonnablement disposées pour
l'édification de l'homme ; et il n'y a rien, si petit qu'il soit,
qui subsiste sans raison. Donc, si l'homme, à raison de son
infirmité, ne peut comprendre ni entendre ma vertu comme elle, il la
peut néanmoins voir et croire par la foi. Que si, ô homme ! vous ne
voulez pas considérer par l'esprit ma puissance, vous pouvez
néanmoins toucher de vos mains les œuvres que j'ai faites, et mes
saints, car elles sont tellement claires qu'aucun ne peut douter
qu'elles ne soient œuvre de Dieu. Qui a ressuscité les morts et
éclairé les aveugles, si ce n'est Dieu ? Qui a chassé les démons, si
ce n'est Dieu ? Qu'a-je enseigné, sinon des choses utiles pour le
salut de l'âme et du corps, et des choses faciles à supporter ?
Mais le premier homme
dit, c'est-à-dire, quelques-uns disent : Voyons, et éprouvons si ces
paroles sont vraies : Ceux-là persistent quelque temps à mon
service, non en raison de l'amour, mais en considération de
l'expérience et l'imitation des autres, non en laissant leur propre
volonté, mais en faisant la leur et la mienne. Ceux-là sont en
grands dangers de servir deux maîtres, bien qu'ils ne puissent bien
servir ni l'un ni l'autre ; mais quand ils sont appelés, ceux qui
auront plus aimé Notre-Seigneur seront récompensés.
Le deuxième,
c'est-à-dire, quelques-uns : Tout ce qu'il dit est faux, et fausse
est l'Écriture. Je suis Dieu ; je suis Créateur de toutes choses, et
sans moi, il n'y a rien de fait ; j'ai établi l'ancienne et la
nouvelle loi ; tout est sorti de ma bouche, et il n'y a point de
fausseté en elle ; car je suis la Vérité.
Tous ceux donc, dit
Notre-Seigneur, qui disent que j'ai menti et que mon Écriture sainte
est fausse ; ne verront jamais ma face, car la conscience leur dicte
que je suis Dieu, car toutes choses sont selon ma volonté et
disposition ; le ciel les illumine, et eux ne se peuvent illuminer ;
la terre produit les fruits, l'air la fécondité ; tous les animaux
ont un certain penchant et une certaine disposition ; les diables
croient en moi ; les juste souffrent des choses incroyables pour
l'amour de moi ; ils voient toutes ces choses, et néanmoins, ils ne
me voient point ; ils pourraient encore me connaître en ma justice,
s'ils considéraient comment la terre a englouti les impies, et
comment le feu a brûlé les iniques ; de même ils me pourraient voir
en ma miséricorde, quand, pour les justes, l'eau sortit du rocher ;
quand la mer leur céda ; quand le feu ne les brûla pas ; quand le
ciel, comme la terre, les nourrit ; et parce qu'ils voient tout cela
et qu'ils disent que je mens, ils ne verront pas ma face.
Le troisième dit,
c'est-à-dire, quelques-uns : Nous savons bien qu'il est vrai Dieu,
mais nous ne nous en soucions pas : ceux-ci seront éternellement
tourmentés en enfer, car ils me connaissent et ils me méprisent, moi
qui suis leur Seigneur et leur Dieu. N'est-ce pas une grande
ingratitude s'ils se servent de mes biens, et toutefois qu'ils me
méprisent et ne me servent aucunement ? Car s'ils les avaient de
leur industrie propre, et non véritablement de moi, le mépris en
serait petit. Or, ceux qui commencent de porter mon joug, et cela
volontairement et avec un fervent désir, s'efforcent de faire ce
qu'ils peuvent : à ceux-là, je leur donnerai ma grâce. Or, ceux qui
supportent mon poids, c'est-à-dire, qui s'efforcent d'un jour à
l'autre, pour l'amour de moi, d'avancer dans le chemin de la
perfection, je travaillerai avec eux, je ferai leur force et les
enflammerai d'amour, afin qu'ils me désirent davantage. Or, ceux qui
sont assis sur le siège incommode à cause de ses pointes, bien qu'il
soit néanmoins un lien d'un très grand repos, ceux-là sont nuit et
jour dans les peines, dans les souffrances avec patience et
résignation, et ne s'abattent pas, mais brûlent et s'enflamment de
plus en plus ; même tout ce qu'ils font leur semble peu de chose :
oui, ceux-là sont mes amis très chers ; ceux-là sont en petit
nombre, parce que les parfums et les breuvages du second coffre
plaît plus aux autres.
Chapitre 16
En quelle manière il
semblait à l'épouse qu'un des saints parlait à Dieu de quelque femme
foulée horriblement par le diable, laquelle dut ensuite délivrée par
les prières de la glorieuse Vierge.
Il semblait à sainte
Brigitte, épouse, qu'un des saints parlait à Dieu, disant : Pourquoi
l'âme de cette femme, que vous avez rachetée de votre sang, est de
la sorte foulée par le diable ?
Le diable répondit
soudain, disant : Parce que, de droit, elle est à moi. Et alors,
Notre-Seigneur dit : De quel droit est-elle à toi ?
Le démon répondit : Il
y a deux voies : l'une conduit aux choses célestes, l'autre aux
choses infernales ; or, quand elle les considérait toutes les deux,
sa consciences et sa raison erronés lui dictaient de choisir plutôt
la mienne. Et d'autant qu'elle avait la pleine et libre volonté de
se tourner vers le voie qu'elle aimerait le mieux, il lui a semblé
qu'il était plus utile de tourner sa volonté à commettre le péché,
et alors, elle a commencé de marcher par ma voie. Après, je l'ai
déçue par trois vices, savoir, par la gourmandise, par la cupidité
de gourmandise et par la luxure. C'est pourquoi je suis maintenant
sur son sein, et je la tiens avec cinq mains : avec l'une je tiens
ses yeux, afin qu'elle ne voie pas les choses spirituelles ; avec la
deuxième, je tiens ses mains, afin qu'elle ne fasse pas de bonnes
œuvres ; avec la troisième, je tiens ses pieds, afin qu'elle n'aille
pas vers le bien ; avec la quatrième, je tiens son entendement, afin
qu'elle n'ait pas honte de pécher, et avec la cinquième, je tiens
son cœur, afin qu'elle ne revienne pas à Dieu par la contrition.
Alors, la Sainte Vierge
dit à Notre-Seigneur, son Fils : Mon Fils, contraignez le diable à
dire la vérité sur ce que je veux lui demander. Et son Fils lui dit
: Vous êtes ma très chère Mère ; vous êtes l'incomparable Reine du
ciel ; vous êtes Mère de miséricorde ; vous êtes l'indicible
consolation de ceux qui sont en purgatoire ; vous êtes la joie de
ceux qui sont pèlerins en ce monde ; vous êtes Dame des anges ; vous
êtes très excellente avec Dieu ; vous êtes aussi princesse sur le
diable : commandez donc à ce démon tout ce que vous voudrez, ô ma
Mère ! et il vous répondra.
Alors la Sainte Vierge
commanda à ce diable : Dis, ô diable ! quelle intention a eu cette
femme avant d'entrer dans l'Église ?
Le diable lui répondit
: Elle a eu la volonté de s'abstenir du péché.
Et la Sainte Vierge lui
dit : Puisque la volonté qu'elle a eue auparavant la conduisait en
enfer, dis à quoi tend la volonté qu'elle a maintenant de s'abstenir
du péché.
Le diable lui repartit
à regret : Cette volonté de se garder de pécher la conduit au ciel.
Et la Sainte Vierge
répliqua : D'autant que, de droit, pour la première et mauvaise
volonté, vous l'avez écartée de la voie méritoire qui conduit à
l'Église, la justice et l'équité veulent que, par la volonté
présente qu'elle a de ne plus pécher, elle soit ramenée à l'Église.
Je te demande aussi, ô diable ! quelle volonté elle a eu au point où
en est maintenant sa conscience.
Le diable répond : Elle
a la contrition dans l'esprit pour les choses qu'elle a faites, et
un grand repentir, se proposant de ne les jamais plus commettre ;
mais elle veut s'amender autant qu'elle peut.
La Sainte Vierge
demanda de nouveau au diable : Dis-mois : ces trois péchés : la
luxure, la gourmandise et la cupidité, peuvent-ils être dans un même
cœur avec ces trois biens, savoir : la contrition, les larmes et le
ferme propos de s'amender ?
Le diable lui répondit
: Non.
La Sainte Vierge dit
alors : Sont-ce ces trois vertus ou ces trois vices qui doivent se
retirer de son cœur, car tu dis qu'ils ne peuvent demeurer ensemble
?
Le diable dit : Ce sont
les vices.
Et alors la Vierge dit
: Donc, la voie qui la conduisait en enfer lui est fermée, et la
voie du ciel lui est ouverte. Outre cela, la Sainte Vierge demanda
au diable : Dis-moi : si le larron demeurait à la porte de l'épouse
pour la violer, que lui ferait l'époux ?
Le diable répondit : Si
l'époux est bon et magnanime, il doit la défendre et exposer sa vie
pour la sienne.
Alors la Sainte Vierge
repartit : Tu es ce pernicieux larron ; cette âme est l'épouse de
mon Fils, car il l'a rachetée de son propre sang. Tu l'as donc
enlevée et corrompue par violence. Partant, attendu que mon Fils est
l'époux de cette âme et seigneur sur toi, il faut que tu fuies loin
d'elle.
Déclaration.
Il ne faut pas penser
que les pécheurs ayant la foi soient hors de l'Église : l'Église est
au champ où sont le bon grain et le mauvais grain. Cette femme était
une courtisane qui ne voulait pas retourner dans le monde ; le
diable la molestait jour et nuit, lui enfonçait les yeux, la tirait
de son lit. Sainte Brigitte lui commanda de se retirer ; cette femme
fut affranchie, voire même des mauvaises pensées.
Chapitre 17
Paroles de Jésus-Christ
disant en quelle manière le pécheur est semblable à l'aigle, à
l'oiseleur et à celui qui se bat à coups de poing.
Moi qui vous parle, je
suis Jésus-Christ, qui a été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu et
vrai homme, gouvernant néanmoins toutes choses avec mon Père, bien
que je fusse avec la Vierge.
Le pécheur, mon ennemi
pernicieux, est semblable à trois choses : 1° à l'aigle volant dans
les airs, l'aigle sous lequel volent les autres oiseaux ; 2° à
l'oiseleur qui chante avec une flûte frottée de bitume tenace : les
oiseaux, se délectant de la voix de cette flûte, se reposent sur
elle, et sont pris et retenus par la glu ; 3° il est semblable à
celui qui se bat à coups de poings, qui est le premier en toutes
sortes de combats.
Certainement, il est
semblable à l'aigle, attendu que, par sa superbe, il ne souffrirait
pas, s'il le pouvait, que quelqu'un fût son supérieur, et déchire
autant qu'il peut la renommée de tous avec les ongles de sa malice,
et je le jetterai dans le feu inextinguible, où il sera tourmenté
sans fin, s'il ne s'amende.
Il est semblable à
l'oiseleur, d'autant que, par la douceur de ses paroles et de ses
promesse, il attire à soi tout le monde. Or, ceux qui viennent à lui
sont tellement exposés à leur perte, que ce n'est qu'à grande peine
qu'ils pourront s'en échapper. Partant, les oiseaux de l'enfer
becquèteront ses yeux, afin qu'il ne voie jamais ma gloire, mais
bien les ténèbres éternelles de l'enfer. On lui coupera les
oreilles, afin qu'il n'entende pas les paroles de ma bouche. De la
plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, on lui causera autant
de douleur qu'il a pris de plaisir, afin qu'il souffre autant de
peine qu'il a conduit de personnes à leur ruine.
Il est aussi semblable
à celui qui se bat à coups de poing, qui est le premier en toute
sorte de malices, ne cède à personne et se résout à opprimer tout le
monde. Partant, il sera le premier en toute sorte de peines ; sa
douleur sera toujours renouvelée ; néanmoins, tant que son âme est
avec son corps, ma miséricorde est toute prête à le recevoir.
Chapitre 18
Paroles de Jésus-Christ
à son épouse sainte Brigitte, qui traitent comment l'humilité doit
être dans la maison de Dieu, et comment, par cette maison, la
religion est désignée ; et aussi, quels édifices il faut construire
et quelles aumônes il faut faire avec ce que nous avons bien acquis,
et du moyen de restituer le bien mal acquis.
La plus grande humilité
doit régner dans ma maison, mais elle y est tout à fait méprisée. Il
doit y avoir en elle un mur épais élevé entre les hommes et les
femmes ; car bien que je puisse les défendre tous et les contenir
sans mur, je veux néanmoins, à cause des ruses de Satan, qu'un mur
divise et sépare une habitation de l'autre ; qu'il soit épais, non
pas trop élevé, mais médiocre ; que les fenêtres soient simples et
lumineuses ; que le toit soit modérément haut, en sorte qu'en tout
on voie paraître l'humilité : car ceux qui, maintenant, m'édifient
des maisons, sont semblables aux maîtres architectes qui prennent
par les cheveux le maître de l'édifice, quand il y entre, le foulent
aux pieds, mettent la boue au sommet et l'or sous les pieds ;
ceux-ci font de même, parce qu'ils édifient la boue, c'est-à-dire,
élèvent jusqu'au ciel les choses temporelles et périssables, mais ne
se soucient pas des âmes, qui sont plus précieuses que l'or. Si je
veux entrer dans leur cœur, ou par la prédication, ou par
l'inspiration et la contemplation, ils me prennent par les cheveux
et me foulent aux pieds, c'est-à-dire, ils blasphèment mes paroles
et les réputent méprisables comme la boue ; quant à eux, ils
s'estiment fort sages. Que s'ils voulaient édifier pour moi, ils
édifieraient premièrement pour mon honneur et pour le salut des
âmes.
Or, quiconque veut
édifier ma maison, qu'il prenne soigneusement garde de n'y pas
employer un seul denier qui ne vienne d'une bonne et juste
acquisition. Certes, il y en a plusieurs qui savent que les biens
qu'ils possèdent viennent d'une mauvaise acquisition, et néanmoins,
ils ne s'en inquiètent pas ; ils n'ont pas la volonté de restituer,
de satisfaire à ceux qui en ont été dépouillés, bien qu'ils pussent
restituer et satisfaire, s'ils le voulaient ; mais néanmoins,
considérant qu'ils ne les peuvent retenir éternellement, ils donnent
à l'Église une partie de ce qu'ils ont injustement acquis, comme si,
par ce don, ils m'avaient tout à fait apaisé. Mais ils réservent à
leur postérité le bien qu'ils ont acquis. Certes, cela ne me plaît
point, car quiconque veut que ses dons me plaisent, doit
premièrement avoir le vif désir de s'amender, et faire ensuite
toutes les bonnes œuvres qu'il pourra ; il doit aussi pleurer sur
ses fautes passées, restituer, s'il peut, et s'il ne le peut pas, il
doit avoir la volonté de le faire quand il pourra, et se donner
garde qu'à l'avenir il ne commette des fautes semblables. S'il ne
pouvait savoir à qui il doit restituer, il pourrait alors me donner
son bien, à moi qui puis le rendre à chacun. Que s'il ne le peut
rendre, qu'il s'humilie avec un cœur contrit et avec la résolution
de s'amender. Je suis riche pour rendre, ou en ce siècle ou en
l'autre, leurs biens à ceux qui en ont été dépouillés.
Je vais vous montrer ce
que signifie la maison que je veux édifier.
Cette maison est la
religion, de laquelle je suis le fondement, moi qui ai créé toutes
choses, et par qui toutes choses sont faites et subsistes. Il y a
quatre murs dans cette maison : le premier est ma justice, avec
laquelle je jugerai tous ceux qui la contrarient et la haïssent ; le
deuxième est ma sagesse, avec laquelle j'illumine de ma splendeur
tous ceux qui l'habitent ; le troisième est ma puissance, par
laquelle je les conforterai et les affermirai contre les embûches du
diable ; le quatrième est ma miséricorde, qui reçoit tous ceux qui
la demandent. En cette muraille est la porte de la grâce, par
laquelle sont reçus tous ceux qui la demandent. Le toit de la maison
est la charité, par laquelle je couvre les péchés de ceux qui
m'aiment, afin que ces péchés ne les damnent pas. La fenêtre du
toit, par où entre le soleil, est la considération de ma grâce, par
laquelle la chaleur de ma Divinité entre dans le cœur de ceux qui
habitent cette maison.
Quant à ce que nous
avons dit, que le mur doit être grand et fort, cela signifie que nul
ne peut affaiblir mes paroles ni les détruire. Mais quant à ce que
ce mur doit être médiocrement haut, cela signifie que ma sagesse
peut être en partie entendue et comprise, mais non pas entièrement.
Les fenêtres simples et lumineuses signifient que, par mes paroles,
bien qu'elles soient simples, la lumière et la connaissance divine
entre néanmoins dans le monde. Le toit médiocrement haut signifie
que mes paroles se manifestent, non pas en un sens incompréhensible,
mais intelligible.
Chapitre 19
Paroles du Créateur à
son épouse, par lesquelles il traite de sa magnificence, de sa
puissance, de sa sagesse et de sa vertu, et comment ceux qu'on
appelle sages pèchent plus contre lui. Je suis l'adorable Créateur
du ciel et de la terre. J'ai trois choses avec moi : je suis très
puissant, très sage et très vertueux.
Certes, je suis si
puissant que les anges m'honorent dans le ciel ; les démons, dans
l'enfer, n'osent pas me regarder ; avec un clin d'œil, j'arrête tous
les éléments. Je suis si sage que nul ne peut trouver le fond de ma
sagesse, si savant, que je sais tout ce qui a été et sera ; je suis
aussi si raisonnable, qu'il n'y a vermisseau ni animal, si difforme
et si petit qu'il soit, que ne l'aie fait pour quelque fin. Je suis
aussi si vertueux que de moi, comme d'une source vive, sort tout
bien, comme toute douceur procède d'une bonne vie.
Parant, nul ne peut
sans moi être puissant, sage, vertueux. Donc, les puissants de ce
siècle, auxquels j'ai donné la force et la puissance pour m'honorer,
pèchent contre moi ; mais ils s'en arrogent l'honneur, comme s'ils
avaient par eux-mêmes et la puissance et la force, ne considérant
pas, misérables qu'ils sont, leur imbécilité ; car si je leur
donnais la moindre infirmité, ils défausseraient soudain, et toutes
choses leur seraient viles. Mais comment alors subsisteront-ils
contre ma force et contre l'enfer ? Or, ceux-là pêchent plus
grièvement contre moi, qui maintenant sont appelés sages. Certes, je
leur ai donné le sens, l'entendement et la sagesse, afin qu'ils
m'aimassent, mais ils ne se soucient que de l'utilité temporelle.
Ils ont les yeux derrière la tête ; ils voient ce qui est
délectable, mais ils sont aveugles pour voir que je leur ai donné
toutes choses, et il ne m'en remercient pas ; car sans moi, nul ne
pourrait comprendre ni goûter le bien et le mal, quoique je permette
aux mauvais de fléchir et de tourner leur volonté vers ce qu'ils
voudront. Nul aussi ne peut être vertueux sans moi ; partant, je
puis m'attribuer le proverbe commun : Celui qui est patient est
méprisé de tous. De même, à raison de ma patience, les hommes
m'estiment par trop fou, et partant, je suis méprisé de tous.
Mais malheur, funeste
malheur à ceux auxquels, après ma patience, je montrerai les
rigueurs horribles de ma justice ! car ils seront comme de la boue
devant ma justice, qui ne s'arrêtera que lorsque cette boue se sera
écoulée dans l'enfer.
Chapitre 20
Colloque agréable de la
Vierge Mère avec son Fils, et de la Vierge Mère et son Fils avec
l'épouse, où il est traité de la manière dont elle doit se préparer
aux noces.
La Mère de Dieu
semblait dire à son fils : O mon Fils, vous êtes Roi de gloire ;
vous êtes Seigneur sur tous les seigneurs ; vous avez créé le ciel,
la terre et tout ce qui est compris en eux : donc, que votre désir
soit accompli, que votre volonté soit faite.
Le Fils répond : C'est
l'ancien proverbe : ce qu'on a appris dans la jeunesse, on le
retient dans la vieillesse. De même vous, ô ma Mère ! vous avez
appris dans votre jeunesse à suivre ma volonté, en renonçant à la
vôtre pour l'amour de moi ; c'est pourquoi vous avez bien dit : Que
votre volonté soit faite. Vous êtes comme l'or précieux qui est
étendu et frappé sur l'enclume, attendu que vous avez été frappée de
toutes sortes de tribulations et avez souffert mille maux durant mon
inexprimable passion; car lorsque mon corps était brisé sur la croix
par la violence de la douleur, votre cœur était blessé de cela comme
d'un fer très poignant, et vous eussiez permis volontiers qu'il fût
déchiré, si telle eût été ma volonté ; vraiment, quand vous eussiez
pu vous opposer à ma passion et désirer ma vie, vous ne l'eussiez
voulu que conformément à ma volonté. Partant, vous dites à bon droit
: Que votre volonté soit faite.
Après, la Sainte Vierge
parlait à l'épouse disant : Épouse de mon Fils, aimez-le, car il
vous aime ; honorez ses saints, qui sont en sa présence, car ils
sont comme d'innombrables étoiles (Mt. 13) ; leur éclat et leur
splendeur ne peuvent être comparés à aucune lumière temporelle ; car
comme la lumière du monde est différente des ténèbres, de même il y
a beaucoup plus de différence entre la lumière des saints et la
lumière de ce monde. Je vous dis en vérité que si quelqu'un pouvait
voir les saints dans l'éclat où ils sont, l'œil humain ne pourrait
en soutenir la splendeur, mais il serait privé de la lumière
corporelle.
Après, le Fils de la
Vierge parlait à son épouse, disant : Mon épouse, vous devez avoir
quatre choses: 1° vous devez être préparée pour les noces de ma
Divinité, dans lesquelles il n'y a aucune volupté charnelle, mais où
il y a un grand plaisir spirituel, tel qu'il est convenable que Dieu
prenne avec l'âme chaste : de sorte que l'amour de vos enfants, des
biens, des parents, ne doit vous retirer de mon amour, de peur qu'il
ne vous arrive comme à ces vierges folles (Mt. 25) qui n'étaient
point préparées quand Notre-Seigneur les voulut appeler aux noces.
Partant, elles en furent à juste raison exclues.
2° Vous devez croire à
mes paroles, car je suis la Vérité, source de vérité, et il n'est
jamais sorti de ma bouche que la vérité, et on ne peut trouver que
vérité en mes paroles, d'autant que, quelquefois, j'entends
spirituellement ce que je dis, quelquefois à la lettre, et alors mes
paroles doivent être dûment entendues; et partant, nul ne peut
m'accuser de mensonge.
3° Vous devez être
obéissante. Qu'il n'y ait aucun de vos membres qui, ayant failli, ne
subisse une digne pénitence et ne fasse une amendement, car bien que
je sois miséricordieux, je ne laisse pas néanmoins ma justice.
Partant, obéissez humblement et joyeusement à ceux à qui vous devez
obéir ; même ne faites pas ce qui vous semble utile et raisonnable,
si c'est contre l'obéissance. En effet, il est mieux de renoncer par
obéissance à votre propre volonté, quoique votre volonté soit bonne,
et de suivre la volonté de celui qui commande, si ce qu'il vous
commande n'est pas, ou contre le salut de votre âme, ou
irraisonnable.
4° Vous devez être
humble, car vous êtes unie par un mariage spirituel : donc, vous
devez être humble et pudique à l'arrivée de votre époux. Que votre
servante, c'est-à-dire, votre corps, soit modérée et retenue,
mortifiée et bien conduite. Vous serez certes fructueuse et féconde
par la semence spirituelle, et utile à plusieurs; car comme si le
greffe est entré en un tronc sec, le tronc fleurit sans fruit, de
même, vous devez fleurir et fructifier par ma grâce, qui vous
enivrera, afin que toute la cour céleste se réjouisse du vin de
douceur que je vous vois donner. Ne vous défiez pas de ma bonté. Je
vous certifie que, comme Zacharie et Élisabeth se réjouissaient
intérieurement d'une joie ineffable, quant leur fut faite la
promesse d'un enfant futur, ainsi vous vous réjouirez intimement des
grâces dont je veux vous combler, et d'ailleurs, les autres se
réjouiront par vous.
Un ange parlait à deux,
à Zacharie et à Élisabeth : et moi, Dieu, Créateur des anges et
votre Dieu tout-puissant, je parle avec vous. Ces deux ont engendré
mon ami Jean : et moi, par vous, je veux engendrer plusieurs
enfants, non charnels, mais spirituels. Je vous dis en vérité que
Jean était semblable à un vase plein de miel, d'autant qu'en sa
bouche, il n'est jamais entré rien de souillé, et qu'il n'a jamais
rien avalé que ce qui était nécessaire à la vie, et s'est toujours
conservé dans la pureté, de sorte qu'on le peut bien appeler par
excellence ange et vierge.
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