LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Anna Maria Taïgi
La sainte aux sept enfants

Sergio C. Lorit

Traduit du livre italien
"TAIGI, la santa con sette figli"
(Città nuova editrice, 1964)
P. Marcel LITALIEN, o.ss.t.
Montréal, 1984

Derrière l’histoire

Dans le silence terrorisé de la ville, un bruit sourd de tambours. Puis, le long piétinement d’une marche qui se déroule dans les rues désertes, le piétinement sourd d’artilleries sur les pavés disjoints. Quelques regards furtifs au travers des volets à peine ouverts. Un grincement de portes cochères qui se barricadent.

On en est au 2 février 1808. Les troupes du général Miollis occupent Rome et se dirigent vers le Château Saint-Ange. Les aigles de Napoléon montent sur la construction massive, pour pointer leurs becs vers la coupole de Saint-Pierre. Une colonne d’artillerie rejoint le Quirinal et rabat les bouches de ses canons contre le portail du palais papal.

C’est le début de l’acte final, un acte qui se veut décisif, qui tend à vaincre la résistance de Pie VII, à réduire le dernier fragment de terre italienne qui échappe encore à l’ombre du drapeau impérial, sous le joug de l’invincible usurpateur. Toutes les autres provinces d’Italie ont cédé depuis. Les différentes cartes de la mosaïque politique de la péninsule se sont, en même temps, colorées de bleu, blanc, rouge, au son de la " Marseillaise ". Seul le pape continue à tenir ferme, repoussant avec grande dignité les brutales prétentions de Bonaparte.

Jamais les aigles hissés autour de l’ange du tombeau d’Hadrien, pas même les bouches des canons pointés sur le Quirinal, n’ébranlent la fermeté de Pie VII.

Dans les jours qui suivent, les cardinaux sont arrachés, un à un, au pontife et aux proscrits de Rome ; leurs revenus sont confisqués. Seul, le cardinal Pacca, secrétaire d’état, est restitué, une seconde fois, de la prison au pape. Mais Napoléon se reprend vite de cette générosité, en disposant de tous les évêques qui lui refusent un serment illicite, avec l’annexion totale des états Pontificaux à l’empire français, avec cette déclaration que Rome est maintenant " ville impériale et libre ".

Le 10 juin 1809, Pie VII promulgue, à ce sujet, la bulle d’excommunication contre les envahisseurs de la souveraineté pontificale. Il déclare nulle et sans valeur la volonté tyrannique, frappe Napoléon Bonaparte d’anathème.

À Rome, la nouvelle explose comme une bombe, plus puissante que celle de l’artillerie de l’usurpateur. Et pendant que déjà, souffle par les rues, le premier vent précurseur de révolte, des messagers volent rapidement vers le Danube, pour informer l’empereur engagé au combat dans ces contrées, et lui demander des renforts d’urgence.

" Je reçois, en ce moment, écrit Napoléon à Joachim Murât, le 20 juin 1809, la nouvelle que le pape nous a tous excommuniés. C’est une excommunication qu’il a portée contre lui-même. Désormais, plus d’égards ! Le pape est un fou furieux qu’il faut renfermer. Faites arrêter le cardinal Pacca et les autres intimes du pape ".

À peine eut-il reçu ce message de Naples, Joachim Murât envoya des renforts au général Miollis. Fort de ces troupes nouvelles, le général se crut de taille pour faire face à la situation, exécuter les ordres.

Aux premières lueurs de l’aube, le 6 juillet 1809, une bande d’énergumènes soudoyés, obéissant aux ordres d’un général et d’un colonel français, forcent le portail du Quirinal, font irruption dans les escaliers et les corridors, pénètrent dans les appartements pontificaux, arrachent le pontife de son lit, le déclarent arrêté au nom de Napoléon. Ils le traînent à l’extérieur, en terre française.

Ce n’est que la première étape du long exil du malheureux pontife. Vieilli et malade, il est reconduit, quelque temps après, en Italie, et relégué à Savone. Il reviendra en France, à l’improviste, en juin 1812. Il était dès lors à bout de forces, et le voyage, par des chemins impraticables, le conduisit au bord de la tombe. Au passage du Mont-Ceny, les médecins le déclarent à l’article de la mort. Il reçoit le Saint-Viatique et l’Extrême-Onction. Il pourra toutefois atteindre Fontainebleau. Le repos et sa force d’acier lui permettent de survivre, de porter le poids de toutes sortes de persécutions imprégnées de violence.

Entre-temps, cependant, l’astre de Napoléon commence sa fatale parabole déclinante. Et quand " l’invincible " est contrait de rendre la couronne qu’il s’était posée lui-même sur la tête, de ses propres mains, quand le dominateur du monde est forcé de fixer la proue vers les quelques kilomètres carrés de l’île d’Elbe, Pie VII reconquit la liberté et rentra dans Rome.

Tous les habitants sont dans la rue, ce 24 mai 1814, très émue, la foule porte la Souverain Pontife en triomphe, tout le long du parcours, jusqu’à Saint-Pierre, au Quirinal. Parmi la foule, incroyablement dense, une petite femme du peuple, vêtue d’un manteau blanc, un mouchoir blanc au cou, une coiffe blanche sur la tête, une coiffe ample qui descend très bas, jusqu’aux pieds, qui recouvre des vêtements de toile sombre, agite les mains au passage du cortège papal, les agite joyeusement, pleurant de bonheur. Et quand sous l’étincellement de milliers de vêtements sacrés, elle aperçoit le vénérable Pontife, elle se prosterne sous sa bénédiction pour se relever et crier : " Jésus-Christ est entré dans Jérusalem ". Cette petite dame était Anne-Marie Taïgi.

A part le dernier épisode que nous venons de citer, les événements historiques ont été relatés de façon très sommaire, apprêtés par une école quelconque. Ces événements ont été assaisonnés d’ingrédients aptes à en faire ressortir les diverses perspectives, encadrés dans le vaste tableau des causes et des effets politiques, sur un fond de situations sociales particulières, dans les limites d’intérêts économiques spécifiques, sur les flots d’enjeux militaires, à travers de nombreux filets d’intrigues diplomatiques.

Aucun texte ne rapporte quoi que ce soit, au sujet de cette humble femme nommée Anne-Marie Taïgi, femme du peuple ; l’histoire officielle la néglige, l’ignore. Pourtant, son action, s’il nous était donné de scruter le livre secret des desseins de Dieu, nous apparaîtrait d’une importance qui surpasse en influence et de beaucoup, les facteurs politiques et militaires qui ont joué dans la chute de Napoléon.

Cette humble maman romaine que le ciel avait gratifiée du don prodigieux du soleil mystique et des voix célestes, avait, durant toutes les années où Pie VII avait souffert l’exil et la détention, engagé chacune des ressources de son âme pour obtenir de Dieu la libération du pontife et son triomphe sur l’usurpateur.

Ce furent des années d’apostolat ardent, tissées d’amour et de martyre, où les prières les plus ferventes s’allièrent aux jeûnes les plus rigoureux, aux pénitences les plus sévères. Chaque jour, elle allait visiter les églises les plus éloignées de Rome, s’y rendait pieds-nus, peu importe la distance à parcourir. Prostrée devant le tabernacle, elle offrait toutes ses souffrances pour la paix et la liberté de l’Eglise, pour le retour du vicaire du Christ à son siège romain. Dans ces églises, elle avait connu ses entretiens les plus intimes avec le ciel.

Un jour qu’elle demandait à son époux céleste la signification de cette terrible permission par laquelle Napoléon Bonaparte avait pu s’emparer, par des tueries et des ruines, d’un continent tout entier, porter atteinte de façon barbare, à tout droit humain et divin, l’Epoux répondit : " A cette fin, j’ai mandaté Napoléon. Il était le ministre de mes fureurs ; il devait punir les iniquités des impies, humilier les orgueilleux. Un impie a détruit d’autres impies ".

Bien rapidement, alors, Anne-Marie saisit le sens profond et terrible de ces guerres déchaînées à travers toute l’Europe, là ou des trônes étaient en train de tomber. L’anéantissement des méchants entraînait inévitablement le sacrifice de plusieurs innocents, la souffrance de peuples entiers, la persécution de l’église et de son chef. Convaincue qu’elle était, Anne-Marie savait qu’un amour intense aurait pu apaiser la justice suprême, plonger l’humanité dans l’océan de la miséricorde divine ; elle avait offert toute sa vie en holocauste, pour payer, elle, la pauvre petite dame du peuple, les délits des impies orgueilleux. Par ses prières et ses larmes, par ses mortifications et ses pénitences, par son irrésistible charité, elle voulait obtenir le pardon du ciel pour tous ses frères et sœurs de la terre.

La voix de son céleste époux lui fit savoir que tout son amour, toutes ses souffrances, n’avaient pas été inutiles ; il lui précisa le jour exact où Pie VII serait ramené à Rome et célébrerait sa messe pontificale à Saint-Pierre.

Elle annonça d’avance cet événement, dans le détail, et, cette fois encore, les faits en donnèrent la confirmation.

Anna-Maria, enfant, était montée de Sienne à Rome, comme nous le savons déjà. C’était le lendemain de l’élection de Pie VI au souverain pontificat. Elle verra depuis lors, se succéder, sur le siège de Pierre, quatre papes : Pie VII, Léon XII, Pie VIII, Grégoire XVI. Au delà de la personnalité de chacun, elle reconnaîtra " le doux Christ sur la terre ". Elle en parlera toujours avec le plus vénérable respect. Elle incitera tout le monde à la vénération du chef visible de l’église, s’agenouillera sur son passage, comme elle le faisait devant Jésus-Christ, présent dans le Très Saint Sacrement.

Elle eut des relations particulières et diverses avec les différents souverains pontifes. Il s’agit de rapports très étroits, maintenus par personne interposée, même si elle pouvait obtenir audience à n’importe quel moment, étant donnée sa réputation de sainteté. Grâce à ses relations avec des personnages de haute autorité de la curie romaine, consciente comme elle l’était de la haute dignité, de la majesté suprême des pontifes, consciente aussi de sa petitesse de femme de maison, jamais elle ne demandera autant, se contentant de les vénérer de loin, de prier pour eux et pour leur façon d’agir.

Pie VII avait entendu parler d’Anne-Marie Taïgi avant même d’être envoyé en exil. Évidemment, il avait une opinion élogieuse de cette exceptionnelle femme du peuple. En 1809, il avait accordé une indulgence spéciale pour une prière composée par elle. Toutefois, ce ne fut qu’après son retour à Rome, que les rapports avec elle devinrent plus étroits.

La maison Taïgi était, en ce temps, fréquentée par Mgr Carlo Pedicini qui était lié d’amitié avec le pontife. Un bruit malveillant avait, cependant, frappé l’oreille du prélat ; il était lancé contre la Taïgi, par une de ces commères habituelles du voisinage. Le commérage fut immédiatement classé par Monseigneur ; il y voyait une très vulgaire calomnie. Néanmoins, puisque les bavardages allaient bon train, il dut, en conscience, se demander s’il devait, oui ou non, continuer à fréquenter cette maison. Dans le doute, un bon jour, il s’ouvrit à Pie VII. Ce dernier, avec un large sourire, lui dit " Continuez à y aller, Monseigneur ; la Taïgi, je la connais bien, même si je ne l’ai jamais vue en personne. J’aurais même le désir de la faire venir jusqu’ici ; je m’en suis abstenu pour ne pas servir d’autres appâts aux commérages déjà nombreux. Toutefois, dites-lui qu’elle m’écrive, de grâce ".

Après que Monseigneur Pedicini lui en eut fait rapport, le désir du pontife sera exaucé. Elle rédigera une lettre par obéissance et seulement par obéissance. Elle exposa au pape, " l’état entier de son âme d’enfant ".

Ce fut une lettre qui plut beaucoup au vénérable pontife : " Tout est vrai, tout est vrai ", répétait-il avec un joyeux étonnement. Depuis ce jour, toutes les fois que Mgr Pedicini revenait de ses visites à Anne-Marie Taïgi, le pape voulut qu’il lui rapportât toutes les nouvelles qu’il savait. Et chaque fois que Monseigneur s’apprêtait à retourner chez elle, le pape lui envoyait une bénédiction particulière, l’invitait à prier à ses intentions.

Le soir du 16 juillet 1823, le pape, alors âgé de 80 ans, tenta de se lever d’une chaise à bras, tomba lourdement par terre et se brisa le col du fémur. Ce fut le début de sa dernière maladie. Le grand âge fit le reste, par la suite.

Anne-Marie continua quand même de supplier le ciel de conserver à l’église ce pape héroïque. Elle savait déjà, par son soleil et les voix célestes, que, désormais, la fin était proche. C’est elle qui, dans les derniers moments de la vie du pontife, demanda que lui furent administrés d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard, les derniers sacrements.

A Pie VII, succéda le cardinal Délia Genga qui prit le nom de Léon XII et voulut immédiatement à ses côtés, comme conseiller, Mgr Vincent-Marie Strambi, évêque de Macerata, passioniste de sainte réputation.

Mgr Strambi connaissait bien Anne-Marie Taïgi pour en avoir été, quelques années auparavant, et pour un certain temps, le directeur spirituel. Appelé par le pape dans le but de l’assister de ses conseils lumineux, sur les questions les plus difficiles du gouvernement de l’Eglise, il aura recours aux dons surnaturels, aux lumières divines, dont était comblée Anne-Marie. Il bénéficia à maintes reprises de ses conseils.

Il agissait ainsi, tous les soirs, sous le sceau du secret. Il communiquait les problèmes les plus importants à Mgr Natali pour qu’il les transmette à Anne-Marie Taïgi dont il visitait souvent la famille. " Puis, aveuglément, dira Mgr Natali, je recueillais les conseils d’Anne-Marie, pour en donner la réponse au Saint-Père. Il en fut toujours ainsi, tant qu’il vécut. Les conseils de la Taïgi revêtaient pour lui, un caractère d’une prudence et d’une sagesse telles qu’ils furent toujours exécutés ponctuellement par le Saint-Père ".

Il n’était pas question, pour Mgr Strambi, de faire passer ces conseils avec les siens. Nullement, en effet ! Il spécifiait chaque fois, au pontife, que sur telle ou telle affaire importante de l’Eglise, Anne-Marie pensait ceci ou cela. Le pape se montra obligeant, dans sa reconnaissance envers cette femme extraordinaire du peuple. Un jour qu’elle fut atteinte à une jambe, il envoya chez elle son chirurgien particulier, Todini, pour lui transmettre ses nouvelles, lui offrir les soins qui lui étaient nécessaires.

Après trois mois à peine de règne, Léon XII fut terrassé par une violente maladie. Mgr Strambi, devant le verdict funeste des médecins, envoya quelqu’un chez Anne-Marie pour lui demander de prier, de prier beaucoup, pour que fut évitée à l’Eglise cette mort prématurée. Quand Mgr Natali, porteur du message, parla à Anne-Marie Taïgi, elle s’affairait au milieu des marmites, dans la cuisine. Elle consulta son soleil infaillible et dit en souriant : " Non, non, il ne mourra pas. Il lui reste encore du temps ; il a encore à se fatiguer pour l’Église. Dites plutôt à Monseigneur qu’il se prépare lui-même, à la mort ".

Le lendemain, les médecins laissèrent le pape à l’agonie. Néanmoins, Mgr Natali connaissant la réponse d’Anne-Marie, entra dans la chambre à coucher de Léon XII, sur la pointe des pieds, s’approcha à son chevet et lui dit avec grande simplicité, de ne pas craindre ; quelqu’un, vous voyant mourant, a offert sa vie pour la vôtre.

Dès ce moment, l’état de santé du pape s’améliora de façon inespérée et son saint évêque, son conseiller, commença à souffrir, de façon inexplicable. De sorte que, après quelques jours, quand Léon XII put se dire complètement rétabli, saint Vincent-Marie Strambi expira.

Les rapports entre Léon XII et l’humble femme du monde, ne s’interrompirent pas pour autant. Mgr Natali fut nommé secrétaire du Maitre-Camérier de Sa Sainteté, et dans toutes ses tâches, le vieux prêtre continua de recevoir les confidences, les conseils d’Anne-Marie Taïgi. Il lui confiait entre autre, chaque soir, la liste des personnes qui avaient demandé audience auprès du pape, pour le lendemain. Elle interpellait, comme toujours, son soleil mystique, indiquait chaque fois les noms des personnages tout à fait inconnus pour elle, qu’il pourrait paisiblement laisser passer, pendant que d’autres, au contraire, devraient être accueillis avec prudence ; que d’autres encore, devraient être écartés jusqu’à ce qu’on ait des informations précises, des garanties sûres de leur pays d’origine. " Ainsi, une tragédie conjurée fut évitée, comme en témoignera Mgr Natali, quand arriva un secrétaire mal intentionné, que je retins à l’écart ".

Un matin, alors que l’aube commençait à blanchir, Anne-Marie entendit la voix de son Époux céleste ; il lui ordonnait de façon impérieuse : " Lève-toi et prie pour mon Vicaire qui est sur le point de paraître devant mon tribunal, pour la reddition de ses comptes ".

Le pape était malade depuis quelque temps, et on le savait. Mais, personne ne soupçonnait l’issue mortelle. On disait, au contraire, et la chose était connue dans la maison des Taïgi, que le malaise était mineur. Nonobstant tout cela, Anne-Marie se leva de son lit et pria pour un passage heureux du pape, du temps à l’éternité. Le jour suivant, Mgr Natali annonçait à la famille Taïgi, la nouvelle de la mort du pape.

Pie VIII succéda à Léon XII et eut, comme son prédécesseur, des contacts indirects avec Anne-Marie, pendant les vingt mois de son pontificat. Entre-temps, d’autres eurent recours à Anne-Marie, Mgr Pedicini, pour ne nommer que celui-là, parce qu’il était ami de la famille Taïgi. Il avait été créé cardinal et résidait au Quirinal, à titre de secrétaire des mémoires de Sa Sainteté.

Quand le pape Pie VIII tomba malade, ses souffrances eurent des hauts et des bas qui tinrent en alarme ceux qui l’entouraient. On allait des espoirs les plus grands aux prévisions les plus déconcertantes, jusqu’au jour où le pape parut s’acheminer définitivement vers la guérison. Ce fut un grand moment de soulagement, au Quirinal.

Le cardinal Pedicini fit immédiatement connaître la nouvelle à Mgr Natali pour qu’il en informe Anne-Marie Taïgi. Mais Mgr Natali parut inexplicablement abattu ; ce qui inquiétait le cardinal : " Qu’est-ce qu’il y a ? lui demande-t-il. Vous a-t-elle dit quelque chose de différent " ? " Malheureusement oui, Eminence ", répondit Mgr Natali.

Et la mort du pape fut annoncée au monde, trois jours après, soit en février 1829.

Quelques mois avant la mort de Pie VIII, Anne-Marie avait appris et prédit, que tel cardinal lui succéderait sur le siège de pierre. Un jour, elle s’est rendue, avec son ami prêtre, Raphaël Natali, à Saint-Paul-Hors-les-murs, pour visiter le Saint-Crucifix.

En arrivant, elle s’agenouilla sur l’unique prie-dieu qui se trouvait dans l’église. Et, comme cela lui arrivait souvent, elle tomba en extase. Le cardinal Mauro Cappellari, de l’Ordre des Camaldules, entra au même moment. Mgr Natali l’apercevant, poussa du coude Anne-Marie qui se leva pour céder le prie-dieu à Son Eminence. La femme ne s’aperçut de rien. Le cardinal fit signe à Mgr Natali de ne pas s’en préoccuper. Il s’approcha de la balustrade et s’agenouilla. Quand Anne-Marie se réveilla de son sommeil extatique, elle fixa son regard sur le cardinal.

Sur le chemin du retour, c’est Mgr Natali qui, maintenant, raconte textuellement : " Je l’interrogeai sur le regard fixé pendant quelque temps sur le cardinal. Comme par obéissance, elle devait porter tout à ma connaissance. Elle me dit simplement : " c’est le futur pape ".

Quelques mois s’écoulèrent avant que le pape Pie VIII mourut. Le 14 décembre 1830, s’ouvrit le conclave qui s’annonçait houleux. Deux autres mois et plus s’écoulèrent avant que survienne un accord dans l’élection du nouveau pape, une élection qui prit fin le 2 février 1831. Le nouveau pape fut bel et bien le camaldule Mauro Cappellari. Il s’apprêtait à prendre en mains les destinées de l’Eglise, au cours d’une période vraiment dramatique. Il choisit de s’appeler Grégoire XVI.

Ce fut l’époque où deux sociétés secrètes déployèrent toutes leurs forces, comme s’il y avait eu émulation entre elles, pour nuire le plus possible à l’autorité du pape, essence même de l’église catholique.

La première et la plus ancienne de ces sociétés, lit-on, dans une page d’histoire, était formée de plusieurs autres sociétés subalternes, lesquelles, sous le voile des Francs-Maçons, s’occupaient plus ou moins directement de religion, de politique, de morale, s’attaquaient aux croyances sociales. L’autre, formait, sous le nom de " carbonari ", la milice armée, prête à combattre l’autorité publique à la moindre occasion. Préoccupée de morale, elle s’employait à troubler les esprits ; des moyens matériels étaient prévus dans le but de renverser les institutions. Dans les orgies secrètes de l’une, les adeptes d’une certaine philosophie prononçaient des oracles et promettaient la régénération des peuples. Les rencontres de l’autre étaient l’occasion d’orchestrer, d’aiguiser le poignard des conjurés rassemblés, dans le but d’assurer une action la plus efficace possible dans l’oeuvre de destruction.

En quelques années, l’incendie de la révolution se répandit de plus en plus, dans les différentes contrées de l’Etat romain, même si Rome en fut toujours épargnée. Il n’est pas certain, feuilletant les pages de notre histoire ou d’autres écrits historiques, que nous trouverions l’explication d’un fait si singulier. Il faudrait peut-être, pour connaître toute la vérité, fouiller le grand livre des desseins de Dieu.

Toutefois, certains témoignages nous permettent d’entrevoir un peu de lumière à travers les ténèbres, et cette lumière provient d’Anne-Marie Taïgi.

" Armée de l’esprit de foi, écrivit Mgr Natali, elle n’hésita pas à s’offrir comme victime à son Seigneur, pour la tranquillité et la paix de l’église, à ce sujet, le Seigneur lui dit que, si elle s’offrait en satisfaction de sa divine justice, il libérerait Rome de la turbulence et des pièges des sectaires. Elle accepta bien volontiers la dite condition par laquelle Rome demeurerait toujours libre, de son vivant, des embûches et des révolutions des ennemis.

Le Père Philippe, carme, ajoute : " Elle fit tant et tant, elle pria tellement, accomplit si fidèlement ses promesses à l’égard de son céleste époux, que dans Rome, les plans sanguinaires et cruels des impies ne pouvaient s’enraciner ; elle en obtenait la confirmation renouvelée et répétée. Elle ne devait pas s’épouvanter à la vue des complots machinés dont elle était témoin. Les plans des susdits scélérats mis au point, ils verraient tous les fils de leurs complots tranchés d’un seul coup, comme il en a toujours été pour cette ville. Voilà pourquoi, je dis ailleurs, jusqu’à quel point Rome est redevable à la servante de Dieu ".

Jusqu’à la fin de sa vie, c’est un fait, si les intrigues des révolutionnaires en venaient à exploser, à introduire la confusion dans Rome, elles étaient immédiatement et régulièrement maîtrisées. L’histoire ne nous dit pas le pourquoi ; mais derrière l’histoire, on trouve la calvaire d’une frêle femme du peuple qui prit sur ses faibles épaules, les peines, les désolations, les croix. Cette humble femme s’offrit en victime à Dieu, pour la paix de Rome. Et Dieu sauva Rome du fléau des révoltes.

   

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr