CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

AGNÈS DE JÉSUS
Religieuse du monastère de Sainte-Catherine de Sienne, à Langeac
(1602-1634)

V

Le 26 septembre 1623, le Père Guidy, Provincial des Frères Prêcheurs de Provence, prit au nom de l’Ordre la direction du monastère, placé sous le vocable de Sainte-Catherine de Sienne, et y établit la clôture. Il institua le Père Raboly confesseur de la Communauté, et mit à la tête du monastère deux des Religieuses venues du Puy: la Mère Marie Pascal, à titre de Prieure, et la Mère Louise Bouriat en qualité de Maîtresse des novices. Puis il célébra le Saint-Sacrifice, et adressa une pieuse allocution à la petite communauté.

Le même jour, les quatre demoiselles fondatrices reçurent l’habit de novices. Pour Agnès, la cérémonie de sa vêture fut renvoyée au 4 octobre, fête du séraphique François d’Assise, un de ses Saints préférés. En cette circonstance on lui imposa le nom d’Agnès de Jésus. .Dire la joie de la servante de Dieu, serait chose impossible. Elle voyait se réaliser les vœux de sa vie entière. Hors d’elle-même, absorbée dans la plus haute contemplation, elle parut aux yeux de ses Sœurs rayonnante d’une beauté angélique ?

Pour comble de bonheur, le saint Patriarche Dominique, se montrant à elle, lui dit avec bonté : « Eh bien ! ma fille, après avoir beaucoup pleuré et désiré mon habit, vous l’avez obtenu et vous êtes consolée. Aimez voire Époux Jésus et rendez-lui grâces; gardez fidèlement vos règles; soyez humble, obéissante, et vous verrez que jamais je ne vous délaisserai ».

Mais si le Ciel lui était si favorable, l’enfer ne pouvait la laisser en repos. Le soir même du beau jour, Satan se présenta et dit à la nouvelle Sœur : « Allons, te voilà contente ; sache-le bien, je ferai tout mon possible pour te perdre ». Là-dessus, il se mita la battre avec tant de fureur que la pauvre Agnès s’en trouva le lendemain presque dans l’impossibilité de remplir son office.

On lui avait assigné le soin de la cuisine. Elle regarda cet emploi non avec mépris ou dédain, mais comme un moyen efficace de pratiquer la chanté et la patience. Fort peu préparée dans la maison de son père à de telles fonctions, elle y apporta du moins tant de bon vouloir que les Religieuses trouvaient bien apprêtés tous les mets qu’elle leur servait. Du reste son bon Ange l’assistait visiblement, dit un contemporain, et il suppléait à diverses choses que la faiblesse de sa santé l’empêchait de faire. Pour avoir l’eau, Agnès était contrainte d’aller très loin, et le voyage lui était d’une fatigue extrême. Elle s’en plaignit amoureusement à Notre-Seigneur, qui fit jaillir, dans la cuisine même, une source d’eau limpide et abondante. On construisit un puits appelé plus tard « le puits de la Mère Agnès » ; il subsiste toujours pour l’avantage des malades qui boivent avec confiance de son eau.

Agnès avait d’autant .plus besoin de l’assistance céleste, que le démon, fidèle à ses menaces s’efforçait par mille vexations, de la dégoûter de son emploi. Il se montrait quelquefois à elle sous la forme d’un dragon, jetant des flammes par la gueule et parles narines. L’humble novice s’agenouillait aussitôt devant le petit oratoire qu’elle avait dressé dans sa cuisine, et s’abandonnait entre les mains de Dieu. Le monstre alors redoublait de fureur. Tantôt il cachait les ustensiles les plus nécessaires, tantôt il transportait les aliments en un lieu secret et les couvrait de sable; parfois il jetait de grosses bûches sur les pieds d’Agnès pour les écraser, ou bien il la poussait rudement contre le fourneau ou la muraille. En toutes ces rencontres, le bon Ange intervenait assez à temps pour empêcher Agnès d’être blessée ou brûlée. Aussi, à raison de ce mélange d’épreuves et de consolations, l’épouse du Christ appelait-elle plaisamment sa cuisine « un enfer et un paradis ».

Toute l’année de son noviciat, Agnès de Jésus s’appliqua vigoureusement à garder les prescriptions de la règle et à pratiquer en perfection les vertus chrétiennes et religieuses.

Et d’abord l’humilité, qui est le fondement de toute sainteté, remplissait son âme et la pénétrait tellement que la servante de Dieu ignorait ce qu’est suffisance et orgueil, Son confesseur lui ayant demandé un jour si elle ne ressentait pas quelque vanité ou complaisance pour les faveurs peu communes dont Dieu l’honorait, elle demanda avec candeur, avant de répondre, ce qu’il entendait par vanité et complaisance. Ravie de ce que la qualité de Sœur converse l’engageait à servir les autres, elle s’affligeait de recevoir à son tour quelque service, et se plaignait au Seigneur de l’empressement des Religieuses à soulager une si vile créature dans ses maladies : « Ne t’afflige pas, ma chère fille, répondit le divin Maître, je saurai récompenser celles qui te servent, et leurs peines ne seront pas perdues ».

Cette humilité lui faisait trouver des consolations extraordinaires dans les réprimandes et les corrections. Son confesseur, voulant l’humilier, la traita un jour d’hallucinée, prenant pour des visions célestes les artifices du démon : l’humble Sœur reçut cet avis avec joie, pleura amèrement de s’être laissé tromper, et résolut d’en faire pénitence.

Par le même principe d’humilité, elle se considérait comme coupable des événements fâcheux qui survenaient à la communauté. La rivière, dont les eaux baignaient les murailles du monastère, renversa, par suite d’une forte crue, un pan de mur du jardin. Agnès en fut vivement peinée, persuadée que ses péchés avaient attiré cette perte à la communauté.

L’humilité était accompagnée chez elle d’une candeur et d’une simplicité merveilleuses, ce qui contribua grandement à la faire aimer. Cette candeur apparaissait dans ses paroles et ses actes, et jusque dans ses rapports avec Dieu. Le Père confesseur, en proie à une douleur aiguë, ordonna à la vertueuse Sœur de demander au Seigneur sa guérison. Agnès pria son céleste Époux avec ferveur et même importunité, mais sans succès. Jésus-Christ lui apparut : « Agnès, ma fille, tu es bien ; simple de m’adresser avec tant d’instances une telle demande. — Hélas ! Seigneur, répondit-elle, vous êtes bien plus simple encore d’être mort pour une ingrate créature comme moi, si peu fidèle à vos grâces ! » Admirable colloque que l’amour seul peut comprendre, et dont l’Écriture vous donne le secret en disant que le Dieu de majesté se plaît à converser avec les âmes pures et simples : cum simplicibus sermocinatio ejus (Prov III, 31.)

La vertu d’obéissance n’éclatait pas moins dans l’humble Sœur ; on peut même dire qu’il n’y eut guère d’occasions où Agnès ne l’ait pratiquée à un degré sublime. Soigneusement attentive à observer les moindres points de la règle et des constitutions, vigilante à exécuter tout ce qu’on exigeait d’elle, on remarqua que la voix de sa Supérieure, les ordres de ses confesseurs, le seul son de la cloche eurent toujours plus de pouvoir sur son esprit que les révélations dont elle était favorisée et les recommandations qui lui venaient du Ciel. Ni les visites du Sauveur, ni les apparitions de la Sainte Vierge ou des Saints, ni la présence habituelle de son Ange gardien, ne lui firent jamais différer d’un instant le plus léger acte d’obéissance.

Cette soumission et dépendance, pierre de touche de la vraie sainteté, fut pour ses directeurs spirituels la preuve convaincante de la réalité divine de ses visions et révélations ; elle fut en même temps pour elle le principe constant d’une disposition à ne se distinguer en rien du reste de la communauté. Austérités, prières, communions, elle subordonnait tout à l’obéissance, et même au plus fort de la maladie, brûlée de fièvre, elle se refusait le moindre soulagement, si l’obéissance n’y avait donné sa sanction.

La Mère Prieure, qui s’appliquait beaucoup à examiner l’esprit d’Agnès, lui commanda un jour de prêcher au réfectoire devant les Religieuses, et voulut même, une autre fois, que ce fût au chœur, en présence de plusieurs ecclésiastiques. Agnès ne chercha ni raison, ni prétexte pour décliner une fonction si peu en harmonie avec sa condition. Mais grande fut la surprise de l’auditoire de l’entendre parler de l’excellence et de la sainteté de l’état religieux avec une onction si communicative que tout le monde se sentit embrasé des flammes sacrées qui la consumaient elle-même.

   

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