Une vie si pure
ne pouvait .s’arranger des embarras du siècle : le monde ne méritait pas de
posséder plus longtemps un tel trésor. Jésus-Christ, qui de toute éternité avait
prédestiné Agnès à être son épouse, se devait, en quelque sorte, de la retirer
dans la solitude du cloître, afin de lui parler cœur à cœur et de se communiquer
à elle avec plus d’abondance.
Déjà, en l’année
1621, Agnès avait reçu l’habit du Tiers-Ordre de la Pénitence de Saint-Dominique;
mais cet état ne rassasiait pas ses désirs : elle voulait plus. D’autre part, la
situation financière de la famille ne lui donnait pas l’espoir de fournir une
dot pour entrer au monastère de Sainte-Catherine, fondé au Puy, environ vingt
ans auparavant. Le Seigneur allait faire naître une occasion favorable.
On songeait à
établir à Langeac une maison de Sœurs Dominicaines, et l’on avait résolu de
faire venir du Puy quatre Religieuses pour présider à la fondation. La joie que
ressentit Agnès de cette nouvelle ne peut s’exprimer. Elle crut saluer l’aurore
de sa délivrance, et fit de grandes instances après du Père Panassière,
sous-prieur du couvent de Saint-Laurent, et son confesseur en l’absence du Père
Gérard, afin qu’il lui obtînt d’être reçue comme sœur converse dans le monastère
de Langeac. Le Père Panassière agit fortement auprès du Père Raboly, autre
Dominicain, confesseur ordinaire de nos Religieuses du Puy, et obtint enfin ce
qu’il souhaitait.
Agnès s’appliqua,
l’espace de six mois, à se rendre capable des emplois propres aux Sœurs
converses ; elle se fit même enlever avec le fer rouge une excroissance de chair
formant un sixième doigt, et pouvant être un obstacle pour bien pétrir le pain.
Les six mois étaient à peine écoulés qu’on vit se produire un changement de
fortune inattendu pour la .servante de Dieu. Une dame veuve du Vivarais étant
venue s’établir au Puy eut connaissance d’Agnès. Sa conversation toute sainte et
sa vie exemplaire la touchèrent à tel point qu’elle-même résolut de revêtir
l’habit religieux au monastère de Langeac et de constituer deux dots, une pour
elle, l’autre pour Agnès, afin qu’elle fût reçue comme Sœur de chœur. La
proposition fut accueillie du Père Raboly, et sanctionnée par l’évêque de
Saint-Flour, dont Langeac dépendait alors.
Les choses en
restèrent là, trois mois environ, et l’on n’attendait plus que l’époque fixée
pour le départ. Mais Dieu, qui préparait des humiliations à celle qu’il voulait
élever à une si éminente sainteté, permit que tous ces projets fussent renversés
en un moment. La dame, revenue de sa ferveur passagère, abandonna la résolution
de prendre le voile, et craignant l’éclat occasionné par sa retraite, quitta Le
Puy sans bruit pour regagner son pays. Un événement si peu attendu causa grande
surprise dans la ville, et on en rejeta le poids sur Agnès, qualifiée
d’ambitieuse et orgueilleuse, pour ne s’être pas contentée de sa condition
première de Converse, qui toi avait été accordée par faveur. « La voyez-vous,
disait-on par raillerie, la voyez-vous, cette fille de service qui a voulu
devenir sœur de chœur et qui maintenant n’est plus rien ! » Sans s’émouvoir de
ces propos désobligeants Agnès ne laissait pas d’être profondément affligée ;
car son espoir d’être Religieuse paraissait s’en aller en fumée. Le Père Raboly,
qui avait déjà donné à l’évêque de Saint-Flour le nom d’Agnès Galand pour entrer
dans le monastère comme Religieuse de chœur, refusait maintenant de la présenter
comme simple Converse, et les instances du Père Panassière ne parvenaient pas à
le fléchir.
Un gentilhomme de
Riom, qui s’occupait de la fondation d’un monastère de Carmélites dans cette
ville, ayant appris la déconvenue de la pauvre Agnès, s’offrit de la faire
recevoir dans le nouveau monastère ; mais celle-ci, se sentant pressée par Dieu
de persévérer dans sa vocation dominicaine, se contenta de remercier.
Cependant les
demoiselles fondatrices du monastère de Langeac, après être venues passer
quelque temps à Sainte-Catherine du Puy, pour s’initier à la vie religieuse, se
disposaient à partir avec les quatre Sœurs chargées de les aider dans la
fondation. Agnès était accablée de tristesse de ne pouvoir les suivre. Ses
larmes, sa désolation, l’altération de ses traits émurent profondément le Père
Panassière ; il fit une suprême instance auprès du Père Raboly. Dieu bénit sa
tentative, et le Religieux consentit à recevoir Agnès à titre de Converse.
Impossible
d’exprimer avec quelle joie et quelle reconnaissance notre postulante accueillit
cette heureuse nouvelle. Son visage reprit un air de santé, et les forces
revinrent à ses membres. En même temps s’opéra un revirement complet dans les
esprits ; ceux qui avaient le plus insulté aux épreuves de l’humble fille
applaudirent à son bonheur, et quand, pour obéir à ses directeurs, elle
entreprit de faire une petite quête par la ville, afin d’aider aux frais de son
voyage et de sa vêture, elle recueillit en deux jours plus de deux cents livres.
La veille du
départ, Agnès alla prendre congé de sa chère Madone de Notre-Dame du Puy. Elle
passa la plus grande partie de cette journée dans la basilique angélique, et
reçut de grandes faveurs de la Vierge Marie et de son divin Fils. Agnès consola
ensuite ses bons parents et dit adieu à ses frères et à ses sœurs ; s’adressant
spécialement à sa sœur Marie, fidèle dépositaire de ses secrets, elle lui dit
avec tendresse : « Quittez le monde, ma chère sœur, je vous en conjure, c’est un
trompeur : après avoir abusé ceux qui suivent ses maximes, il les plonge dans un
malheur éternel. Mettez-vous à couvert dans un cloître bien réformé ».
Marie fut
vivement touchée de tels conseils et les mit si bien en pratique qu’elle entra
plus tard comme Sœur converse au monastère de Viviers et y mourut en réputation
de très haute vertu.
Agnès, dégagée de
tout ce qui pouvait l’arrêter, se disposa à partir pour Langeac avec les
fondatrices et les quatre Religieuses du Puy. Le voyage devait se faire à
cheval. Une personne de condition avait mis à la disposition de la jeune
postulante une monture vigoureuse. Mais, à l’heure de se mettre en marche,
l’animal, par un incident que tout le monde attribua à un artifice du démon,
sentit un poids si lourd qu’il se couvrit de sueur et ne put faire un pas. On
amena un autre cheval qui demeura pareillement immobile. Agnès se vit contrainte
de descendre et d’aller à pied jusqu’à Langeac. Quand on arriva en vue de la
ville, son Ange gardien lui montra les bâtiments du monastère et lui dit :
« Voilà ta maison ! » Le démon, à son tour, lui apparut sous une forme
monstrueuse, et au moment où elle traversait le pont jeté sur l’Allier lui
suggéra la pensée de se précipiter dans la rivière, plutôt que d’aller
s’emprisonner dans un cloître, pour le reste de ses jours. Le bon Ange vint au
secours d’Agnès et dissipa la malice de Satan.
Avant d’entrer
dans leur habitation, nos voyageuses se rendirent à l’église pour adorer et
remerciée Notre-Seigneur. Agnès ressentit alors de tels transports d’amour
qu’elle tomba dans un ravissement qui dura trois heures. Ses compagnes,
remarquant son absence prolongée, l’envoyèrent chercher, et la sortirent ainsi
de son extase.