CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

AGNÈS DE JÉSUS
Religieuse du monastère de Sainte-Catherine de Sienne, à Langeac
(1602-1634)

IV

Une vie si pure ne pouvait .s’arranger des embarras du siècle : le monde ne méritait pas de posséder plus longtemps un tel trésor. Jésus-Christ, qui de toute éternité avait prédestiné Agnès à être son épouse, se devait, en quelque sorte, de la retirer dans la solitude du cloître, afin de lui parler cœur à cœur et de se communiquer à elle avec plus d’abondance.

Déjà, en l’année 1621, Agnès avait reçu l’habit du Tiers-Ordre de la Pénitence de Saint-Dominique; mais cet état ne rassasiait pas ses désirs : elle voulait plus. D’autre part, la situation financière de la famille ne lui donnait pas l’espoir de fournir une dot pour entrer au monastère de Sainte-Catherine, fondé au Puy, environ vingt ans auparavant. Le Seigneur allait faire naître une occasion favorable.

On songeait à établir à Langeac une maison de Sœurs Dominicaines, et l’on avait résolu de faire venir du Puy quatre Religieuses pour présider à la fondation. La joie que ressentit Agnès de cette nouvelle ne peut s’exprimer. Elle crut saluer l’aurore de sa délivrance, et fit de grandes instances après du Père Panassière, sous-prieur du couvent de Saint-Laurent, et son confesseur en l’absence du Père Gérard, afin qu’il lui obtînt d’être reçue comme sœur converse dans le monastère de Langeac. Le Père Panassière agit fortement auprès du Père Raboly, autre Dominicain, confesseur ordinaire de nos Religieuses du Puy, et obtint enfin ce qu’il souhaitait.

Agnès s’appliqua, l’espace de six mois, à se rendre capable des emplois propres aux Sœurs converses ; elle se fit même enlever avec le fer rouge une excroissance de chair formant un sixième doigt, et pouvant être un obstacle pour bien pétrir le pain. Les six mois étaient à peine écoulés qu’on vit se produire un changement de fortune inattendu pour la .servante de Dieu. Une dame veuve du Vivarais étant venue s’établir au Puy eut connaissance d’Agnès. Sa conversation toute sainte et sa vie exemplaire la touchèrent à tel point qu’elle-même résolut de revêtir l’habit religieux au monastère de Langeac et de constituer deux dots, une pour elle, l’autre pour Agnès, afin qu’elle fût reçue comme Sœur de chœur. La proposition fut accueillie du Père Raboly, et sanctionnée par l’évêque de Saint-Flour, dont Langeac dépendait alors.

Les choses en restèrent là, trois mois environ, et l’on n’attendait plus que l’époque fixée pour le départ. Mais Dieu, qui préparait des humiliations à celle qu’il voulait élever à une si éminente sainteté, permit que tous ces projets fussent renversés en un moment. La dame, revenue de sa ferveur passagère, abandonna la résolution de prendre le voile, et craignant l’éclat occasionné par sa retraite, quitta Le Puy sans bruit pour regagner son pays. Un événement si peu attendu causa grande surprise dans la ville, et on en rejeta le poids sur Agnès, qualifiée d’ambitieuse et orgueilleuse, pour ne s’être pas contentée de sa condition première de Converse, qui toi avait été accordée par faveur. « La voyez-vous, disait-on par raillerie, la voyez-vous, cette fille de service qui a voulu devenir sœur de chœur et qui maintenant n’est plus rien ! » Sans s’émouvoir de ces propos désobligeants Agnès ne laissait pas d’être profondément affligée ; car son espoir d’être Religieuse paraissait s’en aller en fumée. Le Père Raboly, qui avait déjà donné à l’évêque de Saint-Flour le nom d’Agnès Galand pour entrer dans le monastère comme Religieuse de chœur, refusait maintenant de la présenter comme simple Converse, et les instances du Père Panassière ne parvenaient pas à le fléchir.

Un gentilhomme de Riom, qui s’occupait de la fondation d’un monastère de Carmélites dans cette ville, ayant appris la déconvenue de la pauvre Agnès, s’offrit de la faire recevoir dans le nouveau monastère ; mais celle-ci, se sentant pressée par Dieu de persévérer dans sa vocation dominicaine, se contenta de remercier.

Cependant les demoiselles fondatrices du monastère de Langeac, après être venues passer quelque temps à Sainte-Catherine du Puy, pour s’initier à la vie religieuse, se disposaient à partir avec les quatre Sœurs chargées de les aider dans la fondation. Agnès était accablée de tristesse de ne pouvoir les suivre. Ses larmes, sa désolation, l’altération de ses traits émurent profondément le Père Panassière ; il fit une suprême instance auprès du Père Raboly. Dieu bénit sa tentative, et le Religieux consentit à recevoir Agnès à titre de Converse.

Impossible d’exprimer avec quelle joie et quelle reconnaissance notre postulante accueillit cette heureuse nouvelle. Son visage reprit un air de santé, et les forces revinrent à ses membres. En même temps s’opéra un revirement complet dans les esprits ; ceux qui avaient le plus insulté aux épreuves de l’humble fille applaudirent à son bonheur, et quand, pour obéir à ses directeurs, elle entreprit de faire une petite quête par la ville, afin d’aider aux frais de son voyage et de sa vêture, elle recueillit en deux jours plus de deux cents livres.

La veille du départ, Agnès alla prendre congé de sa chère Madone de Notre-Dame du Puy. Elle passa la plus grande partie de cette journée dans la basilique angélique, et reçut de grandes faveurs de la Vierge Marie et de son divin Fils. Agnès consola ensuite ses bons parents et dit adieu à ses frères et à ses sœurs ; s’adressant spécialement à sa sœur Marie, fidèle dépositaire de ses secrets, elle lui dit avec tendresse : « Quittez le monde, ma chère sœur, je vous en conjure, c’est un trompeur : après avoir abusé ceux qui suivent ses maximes, il les plonge dans un malheur éternel. Mettez-vous à couvert dans un cloître bien réformé ».

Marie fut vivement touchée de tels conseils et les mit si bien en pratique qu’elle entra plus tard comme Sœur converse au monastère de Viviers et y mourut en réputation de très haute vertu.

Agnès, dégagée de tout ce qui pouvait l’arrêter, se disposa à partir pour Langeac avec les fondatrices et les quatre Religieuses du Puy. Le voyage devait se faire à cheval. Une personne de condition avait mis à la disposition de la jeune postulante une monture vigoureuse. Mais, à l’heure de se mettre en marche, l’animal, par un incident que tout le monde attribua à un artifice du démon, sentit un poids si lourd qu’il se couvrit de sueur et ne put faire un pas. On amena un autre cheval qui demeura pareillement immobile. Agnès se vit contrainte de descendre et d’aller à pied jusqu’à Langeac. Quand on arriva en vue de la ville, son Ange gardien lui montra les bâtiments du monastère et lui dit : « Voilà ta maison ! » Le démon, à son tour, lui apparut sous une forme monstrueuse, et au moment où elle traversait le pont jeté sur l’Allier lui suggéra la pensée de se précipiter dans la rivière, plutôt que d’aller s’emprisonner dans un cloître, pour le reste de ses jours. Le bon Ange vint au secours d’Agnès et dissipa la malice de Satan.

Avant d’entrer dans leur habitation, nos voyageuses se rendirent à l’église pour adorer et remerciée Notre-Seigneur. Agnès ressentit alors de tels transports d’amour qu’elle tomba dans un ravissement qui dura trois heures. Ses compagnes, remarquant son absence prolongée, l’envoyèrent chercher, et la sortirent ainsi de son extase.

   

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