CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

AGNÈS DE JÉSUS
Religieuse du monastère de Sainte-Catherine de Sienne, à Langeac
(1602-1634)

III

Les faits que nous venons de rapporter s’accomplirent avant que la vertueuse Agnès eût atteint sa dix-septième année : elle était sous la conduite des Révérends Pères Jésuites, particulièrement sous celle du Père Boyre, recteur du collège du Puy. Comme leur résidence se trouvait assez éloignée de la maison de Pierre Galand, celui-ci défendit à sa fille de continuer à s’y rendre, et voulut qu’elle adoptât l’église de nos Pères, dédiée à saint Laurent, pour se confesser et faire ses dévotions. La Providence, qui destinait cette sainte fille à devenir un des plus beaux ornements de l’Ordre de Saint-Dominique, permit ce changement dans sa direction spirituelle. Agnès choisit pour guide de son âme le Père Etienne Gérard, docteur en théologie, Religieux de grande piété et de grand savoir, venu cette année-là même au Puy, en qualité de Prieur du couvent. Le regardant comme l’envoyé de Dieu pour la conduire vers la perfection, elle lui communiqua sans tarder ses pratiques d’oraison et les grâces dont le Ciel la favorisait. Sa manière d’agir fut approuvée de cet homme éclairé : il l’exhorta à être fidèle à son divin Epoux et à considérer soigneusement la sainte humanité et la Passion du Sauveur Jésus, qui est la voie sûre pour arriver à la plus haute sainteté. Il lui permit la communion plus fréquente, à raison des dispositions qu’elle y apportait. Les jours que la pieuse jeune fille recevait cette divine nourriture, elle ne mangeait, sur le soir, qu’un peu de pain et d’herbes cuites : encore n’était-ce que par obéissance. Tout le temps compris entre deux communions, elle le partageait entre l’action de grâces et la préparation, et communiait alors spirituellement avec une ferveur qui lui valait des grâces considérables. Le divin Maître répondait aux saintes affections de sa servante par des consolations sans nombre, et entre autres faveurs lui accorda le don des larmes. Elle avait eu cette grâce dès sa tendre jeunesse, et son premier confesseur, qui trouvait à peine dans ses aveux matière à absolution, admirait comment une enfant si innocente pleurait avec tant d’amertume des imperfections qui, dans le cours ordinaire des choses, eussent passé peut-être pour des actes de vertu. Un jour qu’il s’efforçait de la consoler, en lui représentant que ses péchés n’avaient pas la gravité qu’elle supposait et que d’ailleurs la divine Miséricorde les lui avait pardonnés. « Hélas ! mon Père, répondit Agnès, ne me flattez pas. Je ne sais pas expliquer l’énormité de mes fautes : si vous me connaissiez bien, vous me chasseriez de votre présence et même de cette église ».

Sa pureté extérieure allait de pair avec l’innocence de son âme. La retenue régnait dans ses paroles et la modestie dans ses actions. Jamais on ne remarqua rien en sa conduite qui pût blesser tant soit peu les règles de l’honnêteté. Bien que d’ordinaire elle inspirât le respect pour sa vertu, elle ne fut pas à couvert des attaques de quelques libertins assez osés pour lui adresser des propos malséants. Les sages réponses d’Agnès couvrirent de confusion ces insolents, et l’un d’eux irrité lui déchargea sur le visage un violent soufflet. La chaste vierge reçut cet affront avec joie, pour l’amour dé Celui auquel elle avait consacré sans retour et son corps et son âme.

Dans une circonstance analogue, le Seigneur fit pour elle un miracle, que le procès de béatification, fait par ordre de l’évêque diocésain, a pris soin de relever.

C’était à l’époque où Agnès prenait les eaux minérales des Salles. Elle se trouvait sur les bords de la Loire, en compagnie de plusieurs jeunes filles, quand des campagnards se joignirent à elles. La conversation de ces gens grossiers ne tarda pas à prendre un tour fort peu honnête. Agnès en frémit, et sensiblement affligée de ne pouvoir passer sur la rive opposée, parce que l’endroit n’était pas guéable, elle leva les yeux au ciel pour demander secours. A l’instant parut un Ange, sous forme d’un jeune homme, lequel la conduisit à travers le fleuve, au grand étonnement de ses compagnes et des paysans eux-mêmes, qui s’écrièrent, comme le porte un manuscrit : « Voyez, voyez cette fille, elle marche sur les eaux ».

Depuis le jour où, âgée de huit ans, Agnès avait consacré à Jésus-Christ sa virginité, cette vertu jetait en elle de jour en jour un plus vif éclat : les moindres taches, les plus légères immodesties lui paraissaient monstrueuses : elle ignorait tout ce qui pouvait en obscurcir la beauté.

Cependant Pierre Galand, qui ignorait le vœu de virginité fait par sa fille songea pour elle à un établissement convenable dans le monde. Agnès le pria humblement de ne point songer à l’engager dans le mariage parce qu’elle avait déjà choisi Jésus-Christ pour époux. Cette déclaration causa quelque chagrin au père, incapable d’ailleurs de lui fournir une dot pour entrer en Religion. Mais, comme il était chrétien, et que sa fille eut des raisons plausibles à lui présenter, il ne l’inquiéta pas.

Rassurée de ce côté, mais sachant que nous portons dans un vase fragile le trésor de la pureté, elle redoutait sa faiblesse et les dangers du monde extérieur. Un des moyens qu’elle prit pour s’assurer la victoire fut une vie plus austère et plus pénitente.

Elle demanda l’autorisation de prendre un breuvage formé de vinaigre et de suie. Le confesseur, croyant qu’il ne s’agissait que d’une fois, le lui permit. Mais Agnès continua cette mortification tous les vendredis, pendant trois ans, jusqu’à ce que son estomac en fût altéré : plus tard, entrée en Religion, elle remplaça ce breuvage par un mélange de fiel et de vinaigre.

L’espace de neuf ans, elle n’eut pour lit que des ais, avec une pièce de bois pour oreiller. Elle cacha cette pénitence avec tant d’adresse que sa sœur fut seule à s’en apercevoir, et en garda le secret. Outre la chaîne de saint esclavage dont nous avons parlé, elle s’entoura d’une ceinture armée de pointes aiguës, qui pénétrèrent dans la chair, et ne put être enlevée, après huit ans, qu’à l’aide d’incisions. Elle portait, en outre, un cilice et quatre ou cinq fois la semaine se flagellait jusqu’au sang.

Tant de vertu faisait d’Agnès l’objet des complaisances du Ciel, mais excitait aussi la rage de l’enfer. Il semble que les démons eurent sur cette innocente victime le pouvoir que Dieu leur accorda autrefois sur le saint homme Job, et pendant six ans ils exercèrent contre elle tout ce que la fureur et la malice sont capables d’inventer.

Leurs ruses et leurs suggestions ne parvenant pas à l’empêcher de vaquer à l’oraison, ils lui apparurent sous la figure de personnages horribles afin de l’effrayer. Tantôt ils secouaient la maison avec une telle violence qu’elle semblait près de s’écrouler ; tantôt ils tiraient Agnès par la robe ou par les cheveux, et la frappaient si rudement qu’elle restait à terre meurtrie, à demi morte. « Je l’ai vue plusieurs fois en cet état, lorsqu’elle était encore dans la maison de son père, dit la relation de la M. Gabrielle Jacques, alors sa compagne et sa confidente ; au commencement, n’en sachant pas la cause, je voulais qu’elle se couchât. Elle me dit que ce n’était pas nécessaire, et que pour lors ses parents la feraient traiter comme malade ».

Une nuit d’hiver qu’elle faisait oraison, Satan se présenta devant elle et lui dit avec colère: « Que fais-tu ici, pauvre insensée, tu serais bien mieux dans ton lit ». La vue d’un être si horrible la glaça d’effroi ; mais se reprenant, et assistée d’en haut, elle protesta qu’elle ne quitterait pas son oraison. Une grêle de coups fut la riposte du cruel bourreau : Agnès en fut presque réduite à l’agonie. Son directeur, informé de cet événement, dit à Agnès : « Si le démon revient, crachez-lui au visage ». La chaste vierge obéit, mais Satan se vengea en l’accablant de coups. Malgré tout, la sainte jeune fille restait victorieuse de son ennemi et parfois lui parlait avec une autorité souveraine. Le prince des ténèbres s’avisa alors de se transformer en Ange de lumière, et apparut même un jour sous l’aspect de Jésus crucifié.

Agnès, éprouvant en son cœur une joie toute naturelle, au lieu du sentiment de compassion qui lui était ordinaire en pareil cas, reconnut l’artifice, et se jetant contre terre, s’humilia profondément. Il n’en fallut pas davantage pour: mettre en fuite l’esprit d’orgueil. A cette occasion son directeur lui demanda si elle discernait bien les visions célestes des apparitions diaboliques. « Mon Père, répondit-elle, je ne suis que péché ; mais j’ai confiance en mon divin Epoux, il ne permettra pas qu’une pauvre fille, uniquement désireuse de l’aimer et de le servir, puisse être trompée ». Le démon, ne réussissant pas à entamer par la violence et la ruse la patience de cette dame généreuse, eut recours aux propos malveillants, Il suscita dans la ville du Puy, de méchantes langues pour la diffamer, traiter sa piété d’hypocrisie, et toute sa conduite de dissimulation.

Les parents d’Agnès furent extrêmement peines de ces rumeurs fâcheuses ; mais, ayant une haute idée de la vertu de leur fille, ils se contentèrent d’ordonner à la sœur d’Agnès de l’informer de ce qui se passait et de l’avertir du déshonneur qui tombait sur la famille.

Cette sœur, témoin oculaire de l’innocence d’Agnès et par ailleurs pleine de respect pour ses parents, transmit, non sans répugnance, La communication. Agnès lui répondit avec douceur : « Je n’ignore pas, ma sœur, les accusations portées contre moi ; dites à mon père qu’il ne s’afflige point de ces faux bruits, et assurez-le que je tromperai bien te monde qui me verra toute autre qu’il ne me croit ». Elle ne perdit rien de son -calme, continua ses pratiques de dévotion et de charité, et finalement désarma la calomnie. Les auteurs des infâmes procédés ne tardèrent pas à en concevoir du regret, et plus tard, quand Agnès fut sur le point de quitter Le Puy, pour entrer en Religion, ils vinrent en foule, devant l’église du couvent, pour lui demander pardon. « De quelle faute me demandez-vous pardon, leur répondit l’humble fille : je n’ai jamais cru que vous m’ayez offensée ».

   

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