Et d’abord,
l’oraison lui sembla l’exercice le plus essentiel à une âme qui veut être toute
à Dieu. Elle y employait chaque jour cinq heures, à genoux, les mains jointes,
sans que rien ne fût capable de la faire changer de posture. Méditant sur le
mystère de Jésus chargé de sa croix, elle se dit, un jour, qu’elle priait avec
trop de délicatesse, en n’imitant pas de quelque manière l’Homme des douleurs.
C’est pourquoi, l’espace de quelques mois, elle prit l’habitude de se charger
l’épaule d’une lourde pièce de bois, tout le temps qu’elle priait.
Les longues
oraisons d’Agnès étant devenues l’occasion de mécontentement et de trouble dans
la maison, son confesseur lui conseilla d’y employer de préférence les heures de
la nuit. Docile à cet avis, Agnès se levait doucement, quand elle jugeait tout
le monde endormi, ou quand elle entendait la cloche de notre couvent de
Saint-Laurent sonner les Matines. Elle revêtait une robe légère et, pieds nus,
une chaîne au cou, priait trois ou quatre heures consécutives, quelquefois toute
la nuit ; hiver comme été. Si parfois elle oubliait l’heure de sa sainte veille,
soft Ange gardien la lui rappelait et l’excitait à secouer son sommeil.
Les occupations
dont ses parents la chargeaient pendant le jour n’arrêtaient point l’application
de son esprit aux choses d’en haut. Toutefois, ce ne fut pas sans quelque peine
qu’Agnès parvint à jouir parfaitement de la présence de Dieu. Elle y travailla
l’espace de deux ans avec beaucoup de vigilance et d’assiduité. « Ah ! ça, mon
âme, disait-elle, il faut rester un peu de temps auprès de ton divin Époux ». Et
s’appliquant à demeurer absorbée en Dieu un quart d’heure, puis une demi-heure,
elle en arriva à une union pour ainsi dire continue avec le Bien-aimé de son
cœur.
Si grandes
cependant que fussent ses inclinations pour l’oraison et si abondantes les
consolations qu’elle y goûtait, elle se laissait guider toujours par
l’obéissance. Son confesseur, surpris des merveilleuses opérations de la grâce
dans une si jeune adolescente, et redoutant quelque illusion, éprouvait Agnès
avec la dernière sévérité. Il en vint même à lui défendre l’oraison pendant
trois semaines. Elle se soumit à un ordre qui lui était si sensible. Mais un
jour qu’elle en témoignait sa peine à son céleste Epoux, elle entendit une voix
intérieure, disant : « Aime et tu seras aimée ». Ces paroles la consolèrent et
allumèrent en elle des flammes d’amour.
Non contente de
s’adonner à l’oraison mentale et à la contemplation, la servante de Dieu avait
adopté déjà l’usage de prières vocales d’une certaine étendue. C’est ainsi que
sa dévotion envers Marie lui inspira de bonne heure la récitation du Petit
Office de la Vierge et du très saint Rosaire.
L’intimité
d’Agnès avec Dieu et les Saints ne l’empêchait pas de s’apitoyer sur les misères
de ses semblables, et l’on peut dire que l’esprit de compassion pour les
nécessiteux était né et avait grandi avec elle, Ce qu’on lui donnait pour sa
nourriture devenait le partage des pauvres, et le soin de distribuer les aumônes
de la famille lui ayant été confié, outre l’argent destiné à cet effet, elle
versait dans le sein des indigents tout ce qu’elle, pouvait trouver. Il en
résultait parfois pour elle des réprimandes et des châtiments ; mais, la douceur
de ses excuses finissait par lui donner gain de cause, et ses parents se
sentaient désarmés.
Sitôt qu’elle fut
en état de gagner quelque chose par son travail elle en donna le profit aux
pauvres ; cela ne suffisant pas aux aspirations de sa charité, elle ne
rougissait pas de quêter auprès de personnes pieuses en faveur de ses protégés.
Durant quatre mois elle fournit de ses chemises et de ses robes quelques pauvres
jeunes filles qui n’osaient aller à la messe le dimanche, faute de vêtements
convenables, et, par un hiver rigoureux, elle obligea une de ses sœurs à un acte
de charité semblable. « Agnès, dit celle-ci dans un mémoire, Agnès me pressa si
vivement de lui prêter deux écus, m’assurant qu’elle me les rendrait et que,
pour cet effet, elle ne s’épargnerait point au travail, qu’il me fut impossible
de les lui refuser ; si elle ne m’a pas rendu cet argent, comme je l’espérais,
elle m’a payée en une monnaie infiniment plus précieuse, par les grandes grâces
qu’elle m’a obtenues de Dieu ».
Cette amie des
malheureux en vint même à se tenir des journées entières aux portes des églises,
afin de ramasser des aumônes pour les pauvres celui lui causa beaucoup
d’humiliations, et lui valut un jour, de la part de son père, des reproches
sanglants et de rudes soufflets.
Une pauvre fille
était rongée d’un cancer. Agnès l’apprit, et, pendant de longs mois, se
constitua son infirmière. Sentant, un jour, son cœur bondir, à cause de l’odeur
infecte qui s’exhalait de la plaie, elle eut le courage d’imiter sainte
Catherine de Sienne et sainte Élisabeth de Hongrie en des circonstances
semblables, et Dieu fit, pour elle aussi, le miracle de lui faire ressentir une
douceur à nulle autre pareille.
Agnès prenait
soin encore de rechercher dans la ville les malades pauvres et de les conduire
chez les Sœurs hospitalières pour y être soignés. Ces bonnes Religieuses
acceptèrent avec empressement les premiers qu’elle leur présenta; mais le nombre
croissant chaque jour, elles finirent par témoigner avec vivacité leur
mécontentement. Agnès n’en parut point émue et continua ses offices charitables.
Un jour, elle
rencontra, gisant dans la rue, un soldat débile au point de ne pouvoir à peine
parler. Elle s’approche, l’interroge, et propose de le conduire à l’hôpital où
il ne manquera de rien. Le malade accepte avec joie ; mais sa faiblesse ne lui
permettait pas de marcher sans appui. Agnès et une compagne prennent cet homme
chacune par le bras, et nonobstant les railleries du peuple, traversent ainsi
une partie de la ville pour arriver à l’hôpital. Ce nouvel hôte n’y reçut pas
d’abord très bon accueil : on objecta qu’Agnès amenait plus de malades que la
maison n’en pouvait abriter. Son éloquence persuasive finit par triompher : le
malade fut admis. Agnès prépara son lit, lui fit administrer les Sacrements, et
apprit le lendemain qu’il avait expiré en excellent chrétien.
Une autre fois,
elle trouva encore sur son chemin un soldat exténué, paraissant sur le point de
rendre l’âme. Agnès, n’apercevant personne en état de la seconder, prit
elle-même sur ses épaules le moribond, et avec une force surhumaine le
transporta jusqu’à l’hôpital, à la vue des habitants stupéfaits d’admiration.
Une charité si
compatissante et si universelle ne pouvait qu’être souverainement agréable à
Celui qui a promis de récompenser les actes de miséricorde envers le prochain
comme s’ils lui étaient rendus à lui-même. Plusieurs fois, le Seigneur Jésus
daigna autoriser par des prodiges la conduite de l’admirable jeune fille.
Un jour qu’elle
priait dans notre église, devant l’autel de saint Dominique, un petit enfant
d’une grâce charmante s’approcha, demandant une aumône. Agnès répondit avec
douceur qu’elle n’avait rien. L’enfant insista. La servante de Dieu se disposait
à retirer de son doigt un anneau pour le lui donner, quand elle aperçut à terre
une pièce d’argent. Agnès la ramasse ; mais, avant de la remettre à l’enfant,
elle lui demande s’il sait faire le signe de la croix. « Oh ! oui, très bien »,
répond celui-ci avec un sourire, et il disparaît soudain, laissant Agnès inondée
de consolation.
Un autre jour,
comme elle allait entendre la messe à Notre-Dame, un pauvre vient à elle, et
demande quelque soulagement. Agnès, hors d’état de le satisfaire, le lui dit,
non sans tristesse : « Cherchez dans votre poche, reprit le pauvre, vous
trouverez bien quelque chose à me donner ». Elle obéit, et rencontrant une pièce
de monnaie, la tendit au pauvre ; mais il avait disparu.
Une troisième
fois, Jésus-Christ s’offrit à elle sous des habits de pèlerin, et la pria de
réciter à haute voix un Ave Maria, puisqu’elle ne pouvait lui faire
d’aumône matérielle. A peine eut-elle prononcé le nom de jésus, que le divin
Pèlerin s’évanouit à ses regards.
Souvent aussi,
les nécessités corporelles de diverses personnes lui étaient découvertes
surnaturellement, afin qu’elle pût les secourir. Notre jeune Agnès n’était pas
moins ardente à instruire le prochain des vérités de la foi, à recommander les
pratiques chrétiennes, à suggérer à ses compagnes d’âge le mépris des vanités du
siècle. Son père et sa mère, ses frères et sœurs ressentirent les premiers
l’efficacité de son zèle. A tous elle inspira un grand amour de Dieu, une
dévotion spéciale pour la Sainte Vierge, et leur persuada d’entrer dans la
Confrérie du Rosaire, comme moyen infaillible de sanctification et de salut.
Elle se prodigua particulièrement à l’égard d’une sœur plus jeune qu’elle, la
disposa à recevoir dignement les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, lui
apprit à faire oraison, et la mit si bien dans le chemin de la perfection que
celle-ci, bénie de Dieu, embrassa plus tard la vie religieuse et se distingua
par ses vertus.
Nous ne saurions
omettre la conversion d’un hérétique, procurée par les soins de la servante de
Dieu. Agnès avait alors quinze ou seize ans. Les médecins avaient ordonné
qu’elle allât prendre les eaux des Salles, dans les Cévennes, et sa mère
l’accompagna. A peine étaient-elles arrivées, qu’on leur apprit la présence d’un
étranger opiniâtre dans l’hérésie. Agnès fut vivement touchée de son
aveuglement, et, concevant un grand désir de le gagner à Jésus-Christ, commença
par le recommander beaucoup à la bienheureuse Vierge Marie. Elle va ensuite le
trouver, et sans entamer de discussion sur le dogme catholique, se contente de
lui parler avec toute l’onction dont elle est capable, de l’amour de Dieu et du
bonheur de le servir. Peu à peu, l’hérétique se laissa subjuguer parles
entretiens de la sainte jeune fille, et promit d’abjurer, sitôt qu’il serait
rentré dans son pays. IL fut fidèle à sa parole, et il ne cessait de déclarer
ensuite que la pieuse conversation d’Agnès avait eu plus d’effet sur son esprit
et sur son cœur, que tous les raisonnements des théologiens avec lesquels il
avait discuté autrefois.