CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

AGNÈS DE JÉSUS
Religieuse du monastère de Sainte-Catherine de Sienne, à Langeac
(1602-1634)

II

Et d’abord, l’oraison lui sembla l’exercice le plus essentiel à une âme qui veut être toute à Dieu. Elle y employait chaque jour cinq heures, à genoux, les mains jointes, sans que rien ne fût capable de la faire changer de posture. Méditant sur le mystère de Jésus chargé de sa croix, elle se dit, un jour, qu’elle priait avec trop de délicatesse, en n’imitant pas de quelque manière l’Homme des douleurs. C’est pourquoi, l’espace de quelques mois, elle prit l’habitude de se charger l’épaule d’une lourde pièce de bois, tout le temps qu’elle priait.

Les longues oraisons d’Agnès étant devenues l’occasion de mécontentement et de trouble dans la maison, son confesseur lui conseilla d’y employer de préférence les heures de la nuit. Docile à cet avis, Agnès se levait doucement, quand elle jugeait tout le monde endormi, ou quand elle entendait la cloche de notre couvent de Saint-Laurent sonner les Matines. Elle revêtait une robe légère et, pieds nus, une chaîne au cou, priait trois ou quatre heures consécutives, quelquefois toute la nuit ; hiver comme été. Si parfois elle oubliait l’heure de sa sainte veille, soft Ange gardien la lui rappelait et l’excitait à secouer son sommeil.

Les occupations dont ses parents la chargeaient pendant le jour n’arrêtaient point l’application de son esprit aux choses d’en haut. Toutefois, ce ne fut pas sans quelque peine qu’Agnès parvint à jouir parfaitement de la présence de Dieu. Elle y travailla l’espace de deux ans avec beaucoup de vigilance et d’assiduité. « Ah ! ça, mon âme, disait-elle, il faut rester un peu de temps auprès de ton divin Époux ». Et s’appliquant à demeurer absorbée en Dieu un quart d’heure, puis une demi-heure, elle en arriva à une union pour ainsi dire continue avec le Bien-aimé de son cœur.

Si grandes cependant que fussent ses inclinations pour l’oraison et si abondantes les consolations qu’elle y goûtait, elle se laissait guider toujours par l’obéissance. Son confesseur, surpris des merveilleuses opérations de la grâce dans une si jeune adolescente, et redoutant quelque illusion, éprouvait Agnès avec la dernière sévérité. Il en vint même à lui défendre l’oraison pendant trois semaines. Elle se soumit à un ordre qui lui était si sensible. Mais un jour qu’elle en témoignait sa peine à son céleste Epoux, elle entendit une voix intérieure, disant : « Aime et tu seras aimée ». Ces paroles la consolèrent et allumèrent en elle des flammes d’amour.

Non contente de s’adonner à l’oraison mentale et à la contemplation, la servante de Dieu avait adopté déjà l’usage de prières vocales d’une certaine étendue. C’est ainsi que sa dévotion envers Marie lui inspira de bonne heure la récitation du Petit Office de la Vierge et du très saint Rosaire.

L’intimité d’Agnès avec Dieu et les Saints ne l’empêchait pas de s’apitoyer sur les misères de ses semblables, et l’on peut dire que l’esprit de compassion pour les nécessiteux était né et avait grandi avec elle, Ce qu’on lui donnait pour sa nourriture devenait le partage des pauvres, et le soin de distribuer les aumônes de la famille lui ayant été confié, outre l’argent destiné à cet effet, elle versait dans le sein des indigents tout ce qu’elle, pouvait trouver. Il en résultait parfois pour elle des réprimandes et des châtiments ; mais, la douceur de ses excuses finissait par lui donner gain de cause, et ses parents se sentaient désarmés.

Sitôt qu’elle fut en état de gagner quelque chose par son travail elle en donna le profit aux pauvres ; cela ne suffisant pas aux aspirations de sa charité, elle ne rougissait pas de quêter auprès de personnes pieuses en faveur de ses protégés. Durant quatre mois elle fournit de ses chemises et de ses robes quelques pauvres jeunes filles qui n’osaient aller à la messe le dimanche, faute de vêtements convenables, et, par un hiver rigoureux, elle obligea une de ses sœurs à un acte de charité semblable. « Agnès, dit celle-ci dans un mémoire, Agnès me pressa si vivement de lui prêter deux écus, m’assurant qu’elle me les rendrait et que, pour cet effet, elle ne s’épargnerait point au travail, qu’il me fut impossible de les lui refuser ; si elle ne m’a pas rendu cet argent, comme je l’espérais, elle m’a payée en une monnaie infiniment plus précieuse, par les grandes grâces qu’elle m’a obtenues de Dieu ».

Cette amie des malheureux en vint même à se tenir des journées entières aux portes des églises, afin de ramasser des aumônes pour les pauvres celui lui causa beaucoup d’humiliations, et lui valut un jour, de la part de son père, des reproches sanglants et de rudes soufflets.

Une pauvre fille était rongée d’un cancer. Agnès l’apprit, et, pendant de longs mois, se constitua son infirmière. Sentant, un jour, son cœur bondir, à cause de l’odeur infecte qui s’exhalait de la plaie, elle eut le courage d’imiter sainte Catherine de Sienne et sainte Élisabeth de Hongrie en des circonstances semblables, et Dieu fit, pour elle aussi, le miracle de lui faire ressentir une douceur à nulle autre pareille.

Agnès prenait soin encore de rechercher dans la ville les malades pauvres et de les conduire chez les Sœurs hospitalières pour y être soignés. Ces bonnes Religieuses acceptèrent avec empressement les premiers qu’elle leur présenta; mais le nombre croissant chaque jour, elles finirent par témoigner avec vivacité leur mécontentement. Agnès n’en parut point émue et continua ses offices charitables.

Un jour, elle rencontra, gisant dans la rue, un soldat débile au point de ne pouvoir à peine parler. Elle s’approche, l’interroge, et propose de le conduire à l’hôpital où il ne manquera de rien. Le malade accepte avec joie ; mais sa faiblesse ne lui permettait pas de marcher sans appui. Agnès et une compagne prennent cet homme chacune par le bras, et nonobstant les railleries du peuple, traversent ainsi une partie de la ville pour arriver à l’hôpital. Ce nouvel hôte n’y reçut pas d’abord très bon accueil : on objecta qu’Agnès amenait plus de malades que la maison n’en pouvait abriter. Son éloquence persuasive finit par triompher : le malade fut admis. Agnès prépara son lit, lui fit administrer les Sacrements, et apprit le lendemain qu’il avait expiré en excellent chrétien.

Une autre fois, elle trouva encore sur son chemin un soldat exténué, paraissant sur le point de rendre l’âme. Agnès, n’apercevant personne en état de la seconder, prit elle-même sur ses épaules le moribond, et avec une force surhumaine le transporta jusqu’à l’hôpital, à la vue des habitants stupéfaits d’admiration.

Une charité si compatissante et si universelle ne pouvait qu’être souverainement agréable à Celui qui a promis de récompenser les actes de miséricorde envers le prochain comme s’ils lui étaient rendus à lui-même. Plusieurs fois, le Seigneur Jésus daigna autoriser par des prodiges la conduite de l’admirable jeune fille.

Un jour qu’elle priait dans notre église, devant l’autel de saint Dominique, un petit enfant d’une grâce charmante s’approcha, demandant une aumône. Agnès répondit avec douceur qu’elle n’avait rien. L’enfant insista. La servante de Dieu se disposait à retirer de son doigt un anneau pour le lui donner, quand elle aperçut à terre une pièce d’argent. Agnès la ramasse ; mais, avant de la remettre à l’enfant, elle lui demande s’il sait faire le signe de la croix. « Oh ! oui, très bien », répond celui-ci avec un sourire, et il disparaît soudain, laissant Agnès inondée de consolation.

Un autre jour, comme elle allait entendre la messe à Notre-Dame, un pauvre vient à elle, et demande quelque soulagement. Agnès, hors d’état de le satisfaire, le lui dit, non sans tristesse : « Cherchez dans votre poche, reprit le pauvre, vous trouverez bien quelque chose à me donner ». Elle obéit, et rencontrant une pièce de monnaie, la tendit au pauvre ; mais il avait disparu.

Une troisième fois, Jésus-Christ s’offrit à elle sous des habits de pèlerin, et la pria de réciter à haute voix un Ave Maria, puisqu’elle ne pouvait lui faire d’aumône matérielle. A peine eut-elle prononcé le nom de jésus, que le divin Pèlerin s’évanouit à ses regards.

Souvent aussi, les nécessités corporelles de diverses personnes lui étaient découvertes surnaturellement, afin qu’elle pût les secourir. Notre jeune Agnès n’était pas moins ardente à instruire le prochain des vérités de la foi, à recommander les pratiques chrétiennes, à suggérer à ses compagnes d’âge le mépris des vanités du siècle. Son père et sa mère, ses frères et sœurs ressentirent les premiers l’efficacité de son zèle. A tous elle inspira un grand amour de Dieu, une dévotion spéciale pour la Sainte Vierge, et leur persuada d’entrer dans la Confrérie du Rosaire, comme moyen infaillible de sanctification et de salut. Elle se prodigua particulièrement à l’égard d’une sœur plus jeune qu’elle, la disposa à recevoir dignement les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, lui apprit à faire oraison, et la mit si bien dans le chemin de la perfection que celle-ci, bénie de Dieu, embrassa plus tard la vie religieuse et se distingua par ses vertus.

Nous ne saurions omettre la conversion d’un hérétique, procurée par les soins de la servante de Dieu. Agnès avait alors quinze ou seize ans. Les médecins avaient ordonné qu’elle allât prendre les eaux des Salles, dans les Cévennes, et sa mère l’accompagna. A peine étaient-elles arrivées, qu’on leur apprit la présence d’un étranger opiniâtre dans l’hérésie. Agnès fut vivement touchée de son aveuglement, et, concevant un grand désir de le gagner à Jésus-Christ, commença par le recommander beaucoup à la bienheureuse Vierge Marie. Elle va ensuite le trouver, et sans entamer de discussion sur le dogme catholique, se contente de lui parler avec toute l’onction dont elle est capable, de l’amour de Dieu et du bonheur de le servir. Peu à peu, l’hérétique se laissa subjuguer parles entretiens de la sainte jeune fille, et promit d’abjurer, sitôt qu’il serait rentré dans son pays. IL fut fidèle à sa parole, et il ne cessait de déclarer ensuite que la pieuse conversation d’Agnès avait eu plus d’effet sur son esprit et sur son cœur, que tous les raisonnements des théologiens avec lesquels il avait discuté autrefois.

   

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