Je vais vous raconter,
bien-aimé lecteur, un prodige bien surprenant pour notre
temps,
mais d'exécution facile, pour Celui qui ne connaît rien d'impossible. La
mère de notre sainte, Lapa, dont nous avons souvent parlé, était, comme
nous l'avons dit tout d'abord, une femme de grande innocence et
simplicité; mais, à cette époque de sa vie, elle connaissait et désirait
peu les biens invisibles et avait une grande répugnance à quitter ce
monde, comme le récit qui va suivre vous l'apprendra. Après la mort de
son mari, elle tomba elle-même malade, et son mal paraissait empirer de
jour en jour. Catherine, s'en apercevant, se hâta de recourir comme
d'habitude à l'oraison et ne cessa plus de prier le Seigneur, pour qu'il
voulût bien accorder à celle qui l'avait enfantée et nourrie les secours
nécessaires au salut. Il lui fut répondu du ciel que Lapa serait plus
sûrement sauvée, si elle mourait à ce moment, avant de voir tous les
malheurs dont l'avenir la menaçait. Après avoir entendu et compris cette
réponse, notre vierge alla trouver sa mère et lui fit les plus douces
exhortations, pour la disposer à répondre à l'appel du Seigneur et à
accepter sans regret les arrêts de la volonté divine. Mais Lapa, trop
attachée encore aux choses de ce monde, refusait de les quitter et, dans
sa frayeur de mourir, elle conjurait sa fille de faire auprès de Dieu de
nouvelles instances pour sa guérison et de ne plus lui parler de mort.
L'épouse du Christ fut
tellement affligée de ces dispositions de la malade que son âme entra
dans une sorte d'agonie. Sa prière devint alors extrêmement fervente. La
vierge demandait à voir l'âme de sa mère parfaitement soumise à la
volonté divine, avant que Dieu ne permît à cette âme de quitter ce
monde. Le Seigneur obéit, si je puis parler ainsi, à la voix de cette
humanité virginale. La maladie de Lapa put encore s'aggraver pendant
quelques jours; mais la mort n'osait pas approcher. Catherine s'était
interposée comme médiatrice entre Dieu et sa mère. Elle priait Dieu et
exhortait sa mère. Elle priait Dieu d'attendre le consentement de Lapa
pour l'enlever de ce monde, et elle demandait avec instance à sa mère de
consentir au bon plaisir de Dieu. Mais, tandis que ses prières liaient
en quelque sorte l'action du Tout-Puissant, ses exhortations ne purent
fléchir l'obstination de la malade. Le Seigneur dit alors à son épouse:
" Annonce à ta mère, qui ne veut pas aujourd'hui quitter son corps,
qu'un temps viendra, où elle demandera la mort à grands cris, sans
pouvoir l'obtenir. " Cette prophétie, je puis l'attester et bien
d'autres avec moi, s'est si bien réalisée qu'on ne peut soulever contre
sa vérité aucune objection. Lapa parvint à une extrême vieillesse, et
eut tant à souffrir à l'occasion de tout ce qu'elle aimait, aussi bien
des personnes que des choses, qu'elle disait à qui voulait l'entendre:
" Dieu m'a-t-il donc chevillé l'âme au corps, pour qu'elle n'en puisse
pas sortir! J'ai déjà perdu tant de fils et de filles! Tant de
petits-enfants de tout âge! Moi seule je ne puis mourir, et dois
souffrir et porter les douleurs de tous ! "
Mais continuons le récit
commencé. Le coeur de Lapa était tellement endurci qu'elle ne voulut ni
se confesser, ni songer au salut de son âme. C'est alors que le
Seigneur, dans le dessein de faire éclater davantage ses merveilles en
son épouse, refusa à celle-ci ce qu'il lui avait tout d'abord accordé.
Après avoir longtemps retardé, sur les instances de la sainte, la mort
de Lapa, il permit que la malade mourût sans se confesser, mais ce
n'était que pour montrer le crédit qu'avait Catherine auprès de Lui.
Quand cette sainte fille eut vu sa mère expirer, elle leva vers le ciel
ses yeux pleins de larmes et s'écria : " Ah! Seigneur mon Dieu, est-ce
donc là ce que vous m'aviez promis, quand vous m'aviez assuré que
personne de cette maison ne périrait! Dans votre miséricorde, ne vous
étiez-vous pas engagé vis-à-vis de moi à ne pas retirer ma mère de ce
monde sans qu'elle y consentît ! Et voilà que je l'ai vue mourir sans
les sacrements de l'Eglise! Je vous en conjure et j'en appelle à toutes
vos bontés, ne souffrez pas que mes espérances soient ainsi trompées!
Non, je ne sortirai pas d'ici vivante, avant que vous ne m'ayiez rendu
ma mère! " Trois femmes de Sienne, dont nous donnerons les noms plus
bas, furent les témoins de cette mort et de cette prière. Elles virent,
à n'en pas douter, Lapa rendre le dernier soupir, elles examinèrent et
palpèrent son corps, qui n'offrait plus aucun signe de vie, et elles lui
auraient donné les soins qu'on donne aux cadavres en pareille
circonstance, si elles n'avaient attendu que la vierge eût fini son
oraison. Mais, en voyant prier Catherine, elles firent comme les
porteurs qui s'étaient arrêtés, quand Notre-Seigneur toucha le cercueil
du fils de la veuve, et, laissant agir la puissance du même Sauveur,
elles n'osèrent commencer aucun des préparatifs de l'ensevelissement.
Pourquoi m'attarder davantage à ce récit?
La sainte priait toujours,
les grandes clameurs de son âme montaient jusqu'au plus haut des cieux,
l'anxiété de son cœur et les larmes humbles et ferventes qu'elle
répandait en abondance arrivaient jusqu'en présence du Très-Haut. Une
pareille prière ne pouvait rester sans effet; elle fat donc exaucée par
le Dieu de toute consolation et de toute miséricorde. En présence, et
sous les yeux des témoins dont je viens de parler, et que je nommerai
tout à l'heure, le corps de Lapa commença de se ranimer. Il revint en un
instant complètement à la vie et put en exercer librement tous les
actes. Lapa vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, au milieu de
bien des chagrins, car elle eut à souffrir toutes les indigences et
toutes les épreuves, que sa fille lui avait annoncées sur l'ordre du
Seigneur.
Les témoins de ce miracle
furent Catherine Gelli et Angelina Vannini, maintenant Soeur de la
Pénitence du bienheureux Dominique, puis, Lysa, parente de la sainte et
belle-fille de Lapa. Elles ont vu Lapa expirer, après plusieurs jours de
maladie grave, son corps était sans mouvement, sa fille priait; elles
ont entendu distinctement les paroles de Catherine disant au Seigneur:
" Est-ce là ce que vous m'aviez-promis? " Au bout d'un instant assez
court, elles ont constaté que le corps inanimé s'agitait et reprenait,
avec la vie, l'usage de tous ses sens. Quant au resto de l'histoire de
Lapa, nous sommes plus d'un millier à en témoigner. Vous pouvez voir par
tout ceci, ô bon lecteur, quel était, auprès du Seigneur tout-puissant,
le crédit de cette vierge, qui a pu épargner à l'âme de son père les
peines du purgatoire, et rappeler si miraculeusement à la vie le corps
de sa mère déjà morte. Mais notez bien les faits qui ont suivi cette
résurrection, afin de ne pas vous imaginer que ce dernier prodige n'a eu
pour objet que la santé du corps; et, pour que vous accordiez plus de
créance encore à mon récit, sachez que j'ai appris de notre vierge
elle-même, dans un entretien confidentiel, les paroles prophétiques que
lui a dites le Seigneur. J'ai trouvé tous les autres détails dans les
écrits de Frère Thomas, le confesseur déjà si souvent nommé. Il raconte
que ce miracle est arrivé en l'année 1370, au mois d'octobre, en
présence des témoins que j'ai cités.
Et maintenant je passe au
récit d'un fait, que je rapporte avant les autres, non pas à cause de sa
date, mais parce qu'il m'est plus connu. Personne même ne l'a mieux
connu que moi, si ce n'est celui qui a été l'objet de ce prodige.
C'était dix-sept ans à peu près avant cette année 1390, en laquelle nous
sommes aujourd'hui. L'obéissance religieuse que j'ai promise m'avait
appelé au couvent de mon Ordre à Sienne, où j'exerçais la charge de
Lecteur. J'y servais Dieu bien lâchement, quand arriva cette maladie
épidémique de l'intestin, qui a si souvent, de nos jours, ravagé le
monde entier et cruellement sévi en cette même ville de Sienne. La mort
frappait de ses traits des personnes de tout sexe et de tout âge, et le
poison de sa blessure était si violent qu'il lui suffisait quelquefois
d'un seul jour, et ordinairement de deux ou trois seulement, pour
conduire au trépas des victimes atteintes en pleine santé. La terreur et
l'épouvante étaient générales. Le zèle des âmes, raison d'être de
l'Ordre où j'ai fait profession, m'obligea d'exposer alors ma vie, pour
venir au secours des âmes de mes frères. Je parcourais donc nuit et jour
les maisons des malades, et, pour me reposer un peu le corps et
l'esprit, je m'arrêtais souvent à la Maison de Sainte-Marie de la
Miséricorde, qui est aussi à Sienne. J'y allais surtout, parce que cette
maison avait, comme Recteur et Président, un certain Matthieu qui vit
encore, homme de vie fort recommandable et d'excellente réputation, qui
avait pour notre sainte une affection très vive et toute de charité. Je
l'aimais et je l'aime encore tendrement, à cause des vertus que le Ciel
lui a données. J'avais donc l'habitude de lui rendre visite une fois le
jour, pour le motif que j'ai dit, et aussi pour veiller aux besoins de
quelques-uns des pauvres de sa maison.
Un matin que j'étais sorti,
après la messe conventuelle, pour visiter les malades, je m'arrêtai, en
passant, à cet hospice de la Miséricorde, afin de m'informer si le mal
si terrible de la peste avait atteint quelqu'un de ceux qui y
habitaient. Tout en entrant, je trouvai le recteur Matthieu, que les
Frères et clercs de l'hospice emportaient dans leurs bras, comme un
mort, depuis l'église jusqu'à sa chambre. Son visage paraissait tout
décoloré, ses forces l'avaient tellement, abandonné qu'il ne parlait
plus et ne put me répondre quand je lui demandai ce qu'il souffrait.
M'adressant alors à ceux qui le portaient et l'accompagnaient, je les
questionnai, tout effrayé, sur ce qui était arrivé à mon cher Matthieu :
"Cette nuit même, me dirent-ils, vers onze heures, il a été frappé de la
peste, tandis qu'il veillait un malade, et il a été bien vite réduit à
cet état de faiblesse où vous le voyez. " Cette réponse me rendit bien
triste. Je les suivis jusqu'au lit sur lequel on étendit le malade. Une
fois couché, il reprit connaissance, m'appela et se confessa comme il le
faisait souvent. Après l'avoir absous, je lui demandai ce qu'il
souffrait: " Je ressens, me dit-il, une affreuse douleur à l'aine, comme
si le haut de la jambe allait se briser, et je souffre tellement de la
tête qu'elle me semble être fendue en quatre. Je lui tâtai alors le
pouls et constatai, à n'en pas douter, qu'il avait une fièvre brûlante.
Je fis donc signe à ceux qui le soignaient de porter au plus tôt de ses
unies à son médecin, qui était aussi de ses amis, très habile docteur,
qu'on appelait et qu'on appelle encore Maître Senso; et j'allai moi-même
lui rendre visite peu de temps après ces gens. Le médecin, après avoir
examiné les urines, me déclara bientôt que son ami était atteint de la
peste, et m'assura que le malade offrait tous les symptômes d'une mort
prochaine: " Cette eau, me dit-il, vous indique que le sang est en
fermentation dans le foie. C'est le caractère commun de tous les accès
épidémiques. Aussi je crains fort que la Maison de la Miséricorde ne
soit bientôt veuve de son bon Recteur. - Ne croyez-vous pas, lui
répondis-je, que l'art de la médecine ne puisse trouver quelque remède à
ce mal. " Il me dit alors : " Nous essaierons, la nuit prochaine, de
purger ce sang avec du suc de cannelle; mais j'ai peu confiance en ce
remède, car le mal est trop grave. "
Sur cette réponse du
médecin, je me retirai bien triste, et je me dirigeai vers la maison du
malade, ne cessant d'invoquer en mon âme le Seigneur et lui demandant de
vouloir bien laisser encore en ce monde un homme dont l'exemple était si
profitable au salut de ses frères. Entre temps la sainte avait appris la
maladie de son ami Matthieu. Sa charité en fut grandement émue; elle
parut tout irritée contre ce mal et accourut aussitôt vers le malade.
Avant même d'être arrivée près de lui, elle commença à lui crier de
loin : " Levez-vous, seigneur Matthieu, levez-vous, car ce n'est pas le
temps de vous reposer sur ce lit de paresse. " A cet appel de Catherine,
immédiatement, la fièvre et les bubons de la peste disparurent
instantanément, Matthieu ne souffrait pas plus que s'il n'eût jamais été
atteint par le mal. " La nature avait obéi à l'ordre de Dieu, notifié
par la bouche de la sainte; et, à cette voix, le corps de l'infirme
avait recouvré parfaite santé. Matthieu se leva souriant de son lit et
le quitta tout joyeux, ayant bien senti que la vertu divine habitait en
Catherine. Celle-ci s'en alla bien vite afin de fuir les félicitations
des hommes; mais, au moment où elle sortait de la maison, j'y entrais
moi-même tout chagrin, ignorant ce qui s'était passé, et croyant que mon
ami souffrait encore de la peste. Sous l'impression de la tristesse qui
me serrait le cœur, je dus à la sainte, tout en la voyant, et sur un ton
mécontent: " Laisserez-vous donc, ma Mère, mourir cet homme qui nous est
si cher et si utile? " Elle savait bien ce qu'elle venait de faire;
mais, dans sa profonde humilité, elle parut très fâchée de ma façon de
parler et me répondit : " Que dites-vous là? suis-je donc comme Dieu,
pour délivrer un mortel de la mort? " Et moi, qui ne me possédais plus
de douleur, je répliquai: " Dites cela à qui vous voudrez, mais ne me le
dites pas à moi, qui connais vos secrets; je sais fort bien que vous
obtenez de Dieu tout ce que vous lui demandez du fond du coeur. "
Baissant la tête, elle eut alors un léger sourire, et, me regardant d'un
air joyeux, elle me dit : "Ayez bon espoir, il ne mourra pas cette
fois-ci."
Cette assurance m'enleva
toute tristesse, car j'avais compris que le Ciel avait accordé à la
sainte un miracle; je la laissai continuer son chemin et, sans plus
m'inquiéter, j'entrai vers le malade. Je le trouvai assis sur son lit et
racontant avec grande joie le prodige que la vierge venait d'opérer. Je
lui dis qu'elle m'avait promis qu'il ne mourrait pas de cette maladie.
" Vous ignorez donc, me dit-il, le résultat de sa visite? " Je lui
répondis que je l'ignorais, que la sainte ne m'en avait pas parlé. Alors
il se leva tout joyeux et parfaitement dispos, et me raconta ce que j'ai
écrit plus haut. Que dire encore? Afin de mieux constater le miracle, on
prépare la table, nous nous asseyons pour le repas et Matthieu avec
nous; on nous sert des légumes et de l’oignon cru, mets qui ne sont pas
à l'usage des malades, mais seulement des estomacs sains et bien
portants. Matthieu en mange comme nous, alors que peu de temps avant il
ne pouvait prendre la nourriture la plus délicate. Il est gai, il rit,
alors que, le matin même, il arrivait à peine à proférer quelques
paroles. Nous en sommes tous dans l'admiration et dans la joie, nous
louons le Seigneur qui nous a accordé par son épouse une grâce si
merveilleuse, et dans notre étonnement nous nous redisons les uns aux
autres les louanges de la sainte.
J'ai avec moi, pour témoin
de ce miracle, Frère Nicolas André de Sienne, qui est encore vivant, et
qui, ce matin-là, m'a accompagné partout. D'ailleurs, tous les gens de
l'hospice, clercs, prêtres et autres, c'est-à-dire une vingtaine de
personnes et plus, ont vu de leurs yeux tout ce que je raconte. Et
cependant je vous prie, lecteur, de veiller à ne pas vous laisser
circonvenir par le manque de foi de ceux dont les oreilles et le cœur
incirconcis (Actes 7,51) ne veulent rien entendre.
Ceux dont Dieu n'a point
touché le cœur diront peut-être en effet : - " Qu'y a-t-il de
merveilleux à ce qu'un homme guérisse d'une maladie, si grave qu'elle
soit? La nature fait cela tous les jours. " Je leur répondrai, en leur
demandant ce qu'il y eut de merveilleux à ce que le Seigneur guérît la
belle-mère de Simon, de la forte fièvre dont elle souffrait, comme nous
le raconte l’Evangéliste. C'est un fait tout naturel que les hommes
soient guéris de la fièvre, même de la plus violente. Pourquoi
l'Évangéliste nous donne-t-il cela comme un miracle? Un peu d'attention,
ô homme sans foi, qui ne voyez rien au-delà de ce que perçoivent vos
sens, considérez ce qu'a voulu nous signaler l'Evangéliste. Il nous dit:
" Et debout auprès du lit, le Seigneur commanda à la fièvre, et la
fièvre quitta la malade, qui, se levant aussitôt, les servait (Lc
4,39). " La fièvre a donc disparu instantanément, sans remède
naturel, au seul commandement du Seigneur, dont la parole a suffi pour
réconforter et faire lever immédiatement celle qui était alitée, toute
fiévreuse, et sans force. Voilà où est le miracle. Or ce même caractère
miraculeux vous apparaîtra clairement dans le fait qui nous occupe, à
moins que votre esprit ne soit complètement aveuglé. Elle était aussi
debout, la vierge dont la poitrine était l'habitacle du Seigneur. Il
était donc présent, ce même Seigneur qui avait guéri la belle-mère de
Simon; seulement, pour cette fois, il ne se tenait pas tout près du
malade, mais à distance; il commanda en même temps à la fièvre et à la
peste, et à l'instant même, sans le secours d'aucun remède, Matthieu fut
délivré de ce double mal. Il se leva immédiatement, et put manger avec
nous, sans en être incommodé, des légumes et de l'oignon cru, comme s'il
n'avait jamais souffert de cette maladie. Ouvrez donc les yeux de votre
esprit et ne soyez pas incrédule, mais fidèle (Jn 20,27).
Et puisque nous parlons de
la Maison de la Miséricorde, laissez-moi vous dire un autre miracle,
antérieur, il est vrai, à celui que nous venons de rapporter, mais
accompli par notre vierge dans le voisinage de ce même hospice. Je l'ai
appris dans une conversation avec Matthieu. Voici donc ce qu'il m'a
raconté, et son récit m'a été confirmé par Frère Thomas, déjà si souvent
nommé, et par tous ceux qui étaient au courant des actes de Catherine.
Près de la Maison de la Miséricorde, habitait une femme très pieuse, qui
portait, si ma mémoire n'est pas infidèle, l'habit des Sœurs de la
Pénitence du bienheureux Dominique. Cette femme ayant connu, peut-être
par son expérience personnelle, les vertus de Catherine, devint une dés
familières de notre sainte. Elle écoutait volontiers ses avis, était
attentive à ses exemples et avait pour elle une pieuse Vénération. Or,
un jour qu'elle était sur la terrasse de sa maison, les murs croulèrent
et la terrasse s'effondra, entraînant avec elle la pauvre femme, qui eut
les muscles et les os tout froissés, et fut très gravement blessée et
contusionnée. Les voisins accoururent et, l'ayant retirée de dessous le
bois et les pierres, ils annoncèrent dans tout le quartier qu'elle était
morte ou mourante. Cependant, grâce à Dieu, elle vivait encore, quand on
la plaça sur son lit. S'étant ranimée peu à peu, elle sentit alors la
douleur de ses contusions, et ses cris et ses sanglots disaient assez
aux personnes présentes tout ce qu'elle souffrait. On appela les
médecins et on lui donna tous les soins possibles; mais, malgré ces
soins, elle n'arrivait pas à pouvoir se remuer seule dans son lit, et
elle endurait dans tous ses membres un vrai martyre.
Notre sainte ayant appris
cet accident sentit son cœur ému de compassion pour celle qui était sa
sœur et sa familière. Elle vint la visiter et lui apporter de saintes
paroles, pour l'exhorter à la patience; mais voyant que l'affliction de
la malade dépassait toute mesure, elle se mit à toucher les membres
endoloris, comme pour panser et adoucir leurs plaies. La pauvre femme la
laissa faire volontiers, sachant bien que pareil attouchement ne pouvait
être que bienfaisant. En effet la main de la vierge eut à peine effleuré
une des parties blessées que toute douleur en disparut. La malade, se
sentant soulagée, pria Catherine de toucher une autre plaie. Dans son
grand désir de consoler. son amie, la sainte y consentit de bon cœur, et
voilà que, cette fois encore, la douleur cessa. Mais pourquoi en dire
davantage? Notre vierge, se prêtant à tous les désirs de la malade,
toucha successivement toutes les parties endolories, et guérit
complètement ce corps brisé. Dès ce moment, celle qui tout à l'heure ne
pouvait remuer d'elle-même, ni ses membres, ni son corps, commença à se
tourner et à se retourner, donnant ainsi aux personnes présentes des
signes manifestes de sa guérison. Elle garda cependant le silence,
jusqu'au départ de Catherine, pour ne pas froisser l'humilité de la
sainte; mais elle dit ensuite à tous ceux qui étaient là, médecins et
voisins : " Catherine, la fille de dame Lapa, ma guérie en me
touchant. " L'admiration fut générale, et tous louèrent le Créateur, qui
avait accordé la grâce d'un tel pouvoir à la vierge Catherine, car il
leur était manifeste que cette guérison ne pouvait être que l'œuvre de
la puissance divine. J'ai appris ce miracle par le récit qu'on m'en a
fait, car il est arrivé, alors que je ne connaissais pas la sainte et
n'habitais pas encore à Sienne. Mais, pour la gloire de Dieu et de nôtre
vierge, passons maintenant à des faits, dont j'ai été le témoin
oculaire.
Durant la peste dont nous
avons parlé, la contagion de atteignit un anachorète, qu'on appelait
saint et qui l'était de fait, ayant longtemps mené dans la ville de
Sienne une vie pauvre et fort louable. Catherine, l'ayant appris, le fit
transférer, de son ermitage, à la Maison de la Miséricorde, vint avec
ses compagnes le visiter, s'occupa de lui faire donner tous les soins
nécessaires, et, s'approchant du malade, lui dit tout bas à l'oreille:
" Si grave que vous sentiez votre mal, ne craignez pas, vous ne mourrez
pas cette fois-ci. " Mais elle ne nous dit rien à nous, qui lui
demandions cependant de prier pour la guérison du bon ermite. Elle
paraissait même craindre sa mort avec nous, ce qui augmentait notre
tristesse, car notre amitié pour le saint homme nous faisait partager
ses souffrances. Son mal s'aggravant d'heure en heure, nous commençâmes
à désespérer du salut de son corps et à ne plus songer qu'à celui de son
âme. Bientôt il fut à bout de forces et nous attendions tristement son
trépas. A ce moment, la vierge du Seigneur revint, et, s'étant approchée
de l'agonisant, lui dit encore à l'oreille: " Ne craignez pas, car vous
ne mourrez pas. " Quoiqu'il semblât privé de l'usage de ses sens, il la
comprit parfaitement et crut bien plus à ses paroles qu'à la mort, dont
il sentait déjà les atteintes. Et en effet la parole de la sainte
triompha des lois de la nature; et la vertu divine, plus sûre dans son
action que toutes les inventions de nos expériences, ressuscita, contre
toute espérance humaine, ce corps qui semblait déjà mort. Tandis que
nous attendions son dernier soupir, et que nous préparions ce qu'il
fallait pour les funérailles, l'agonie se prolongea au-delà du terme au
bout duquel meurent ordinairement de pareils malades et nous tint
plusieurs jours en suspens. Enfin, dans une dernière visite, Catherine
dit à l'oreille du mourant: " Je vous commande, au nom de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, de ne pas mourir. " Aussitôt l'âme du malade ranima son
corps, et le saint, reprenant vigueur, se leva sur son lit et demanda à
manger. Quelques instants avaient suffi pour le guérir complètement, et
il vécut encore longtemps après. Il assista à la mort de Catherine et
lui survécut plusieurs années. Ce saint, de fait et de nom, que tous
appelaient " Frate Santo ", nous raconta après sa guérison ce que notre
vierge lui avait dit à l'oreille, et comment il avait senti que son âme,
prête à s'en aller, avait été retenue par la vertu du pouvoir de la
sainte. Il affirmait à tout le monde qu'il ne devait son salut à aucune
cause naturelle, mais à la seule intervention de la puissance divine, et
il ajoutait que ce miracle ne lui paraissait pas moins grand qu'une
résurrection. La sainte vie et la prudence naturelle de cet homme ne
permettent pas de récuser son témoignage. Pendant les trente-six ans
qu'il a mené la vie d'anachorète à Sienne, personne n'a eu à s'en
plaindre, et tous ceux qui le connaissaient l'avaient en grande
vénération, à cause de ses vertus.
Mais après avoir parlé des
autres, je ne dois pas taire les miracles que notre vierge a opérés pour
moi-même. J'ai déjà dit qu'au moment où la peste éclata à Sienne, je
n'hésitai pas à exposer mon corps à la mort pour le salut des âmes et ne
voulus fuir le contact d'aucun pestiféré. Il était évident que ce mal
était contagieux, qu'il viciait l'atmosphère des malades, et menaçait
tous ceux qui vivaient autour d'eux. Mais je considérai que le Christ
était plus puissant que Gallien et la grâce plus forte que la nature.
D'ailleurs, les autres s'enfuyaient et les âmes des mourants allaient
rester sans conseil et sans secours. La charité ne m'obligeait-elle pas
dès lors à préférer l'âme du prochain à mon propre corps? Obéissant à
son inspiration et aussi aux conseils de Catherine, je pris la ferme
résolution de voir, d'encourager et d'instruire tous les malades que je
pourrais visiter, et avec l'aide de Dieu j'ai tenu cette résolution dans
la mesure où la grâce m'en a été donnée. Mais, comme j'étais presque
seul pour une si grande ville, je pouvais à peine respirer un peu aux
heures des repas et du sommeil, tellement étaient nombreux les envoyés
des malades qui m'appelaient en dehors du couvent. Or une nuit où, après
avoir pris mon repos habituel, je voulais me lever pour réciter l'office
divin, je sentis une grande douleur à l'aine. J'y portai la main et pus
constater l'enflure de l'abcès pestilentiel. J'en fus fort effrayé et,
n'osant plus me lever, je commençai à penser à la mort. Je désirais que
le jour vînt bien vite, afin de pouvoir aller trouver la sainte, avant
que le mal ne s'aggravât; mais je fus presqu'aussitôt pris de la fièvre
et des maux de tête, qui accompagnent ordinairement l'accès épidémique.
Mon abattement était extrême; je m'efforçai quand même d'achever la
récitation du l'office divin, et, dès qu'il fit jour, j'appelai un
compagnon et me rendis, comme je pus, à la maison de Catherine. Je n'y
trouvai pas notre vierge à ce moment, elle s'était absentée pour aller
visiter un malade. Absolument décidé à l'attendre, et ne pouvant plus me
soutenir, je fus obligé de m'étendre sur un lit qui se trouvait là, et
je priai les gens de la maison d'envoyer chercher la sainte, ce qu'ils
firent aussitôt. Quand elle fut arrivée et m'eut trouvé dans cet état
d'accablement, ayant appris ce que je souffrais, elle s'agenouilla
devant le lit, couvrit mon front de sa main, et se mit à prier
mentalement, selon son habitude. Je la vis bientôt entrer en ravissement
pendant son oraison, ainsi que je l'avais vue souvent d'autres fois; et
je m'attendais à en recevoir quelque bienfait extraordinaire, pour mon
âme et pour mon corps. Quand elle eut ainsi prié pendant une demi-heure
ou à peu près, je sentis, dans tous mes membres, une vive commotion, et
je crus être pris de vomissements, comme plusieurs de ceux qui étaient
morts de cette maladie. Mais il n'en fut rien, il me sembla, au
contraire, qu'on m'arrachait violemment quelque chose de toutes les
extrémités du corps; et je commençai à éprouver une amélioration, qui
augmentait à chaque instant. Que dire encore? avant que la sainte n'eût
recouvré l'usage de ses sens, j'étais complètement guéri. Il ne me
restait qu'un peu de faiblesse, témoignage du mal, dont je venais d'être
délivré, ou effet de mon peu de foi. La vierge du Seigneur, ayant ainsi
obtenu de son Époux la grâce qu'elle demandait et sachant que je devais
être guéri, sortit alors de son ravissement, et me fit préparer de la
nourriture, comme on en donne habituellement aux malades. Quand ces
aliments furent prêts, elle me les servit elle-même, et m'ordonna
ensuite de me reposer un peu. Je lui obéis, puis je me levai, aussi fort
que si je n'eusse rien souffert. En me voyant ainsi rétabli, elle me
dit: " Allez travailler au salut des âmes, et rendez grâces au
Très-Haut, qui vous a délivré de ce danger. " Voilà comment je repris
mes travaux ordinaires, en glorifiant le Seigneur, qui avait donné un
tel pouvoir à cette vierge, fille d'un homme.
Durant cette même peste.
Catherine a encore fait un miracle semblable, en faveur de Frère
Dominique Barthélemy de Sienne, qui était alors et est encore
aujourd'hui mon compagnon, et qui gouverne actuellement la Province
Romaine. Cette guérison est d'autant plus merveilleuse que ce religieux
avait été plus gravement et plus longtemps malade. Cependant, pour
abréger, je ne raconterai pas au long ce prodige, car je dois passer à
des œuvres plus éclatantes encore, et, à mon avis, plus grandes. Encore
en devrai-je omettre beaucoup, pour cette même raison d'être bref. Je
veux du moins que vous sachiez, ô bien-aimé lecteur, que la vierge du
Seigneur n'a pas seulement opéré des guérisons miraculeuses, au temps de
l'épidémie et dans la seule ville de Sienne, mais qu'elle en a obtenu
encore ailleurs et à d'autres époques. Je vais de suite vous en raconter
une, qui pourra suffire, si vous êtes attentif, à vous apprendre ce que
furent beaucoup d'autres faits du même genre.
C'était après la peste dont
nous venons de parler. Beaucoup de Pisans, hommes et femmes, religieux
ou laïcs, et en particulier certaines religieuses, ayant entendu
célébrer les louanges de Catherine, brûlaient d'un ardent désir de la
voir et d'entendre ses enseignements qu'on disait et qui étaient
admirables. Comme beaucoup de ces personnes n'avaient ni la permission,
ni la possibilité de venir trouver notre vierge, elles lui envoyèrent à
maintes reprises des lettres et des messagers, pour la prier de bien
vouloir se rendre à Pise. Elles lui promettaient, dans leurs lettres,
que nombre d'âmes étaient disposées à tirer grand fruit de Sa présence,
et que le Seigneur en recueillerait un grand honneur. La sainte avait
toujours évité les voyages; mais pressée par tant de prières si souvent
répétées, elle fut obligée de recourir à son Époux et de lui demander
humblement, comme d'habitude, ce qu'elle devait faire, car certaines
personnes de sa famille lui conseillaient ce voyage, tandis que d'autres
l'en dissuadaient complètement. Au bout de quelques jours, ainsi qu'elle
me l'a secrètement avoué, le Seigneur lui apparut et lui ordonna de
répondre sans retard aux désirs des serviteurs et des servantes qu'il
avait dans la ville de Pise. Catherine, en vraie fille d'obéissance,
reçut humblement cet ordre, et, après me l'avoir communiqué, se mit en
route avec ma permission et se rendit à Pise. Je l'y suivis moi-même
avec quelques Frères de mon Ordre, pour entendre les confessions; car
beaucoup de ceux qui venaient la trouver avaient le cœur tout contrit en
entendant ses ferventes exhortations ; et, pour ne pas laisser l'antique
ennemi les lui arracher des mains, elle leur ordonnait d'aller sans
retard trouver un prêtre et de faire immédiatement leur confession.
Comme le manque de confesseur aurait pu différer et empêcher quelquefois
la réalisation de son désir, elle aimait à avoir auprès d’elle des
prêtres qui pussent donner à ses visiteurs ce remède du sacrement de
Pénitence. Voilà pourquoi le seigneur pape Grégoire XI, d'heureuse
mémoire, nous avait accordé, à moi et à mes deux compagnons, une Bulle
apostolique, qui nous conférait tous les pouvoirs des évêques et prélats
diocésains, pour absoudre tous ceux que les exhortations de la sainte
auraient décidés à se confesser.
Arrivés à Pise, nous reçûmes
l'hospitalité dans la maison d'un nommé Gérard de Buonconti. Un jour, ce
Gérard, hôte de Catherine, lui amena un jeune homme d'une vingtaine
d'années, et le lui présenta, en la suppliant de vouloir bien prier pour
sa santé. Il lui raconta en effet, que, pendant dix-huit mois, ce jeune
homme n'avait pas été un seul jour sans souffrir de la fièvre. Il n'en
souffrait plus, il est vrai, à ce moment. Mais ces fièvres avaient été
si longues et si continues qu'elles avaient épuisé complètement les
forces du malade, qui auparavant était cependant très robuste. Aucune
médecine ne pouvait le faire sortir d'un état de délabrement'
qu'indiquait assez son visage pâle et défait. Le cœur de la vierge eut
compassion de ce jeune homme. Elle lui demanda depuis combien de temps
il n'avait pas lavé ses péchés dans le bain sacramentel de la
confession, et, sur sa réponse qu'il y avait déjà plusieurs années:
"Voilà pourquoi dit-elle, le Seigneur vous a envoyé cette épreuve, vous
êtes resté trop longtemps sans purifier votre âme. Allez donc vite vous
confesser, mon fils bien-aimé, et vomir la pourriture des, péchés, qui
vous ont empoisonné le corps et l'âme. " Cela dit, elle fit appeler
Frère Thomas son premier confesseur, et lui confia le malade, pour qu'il
lui donnât l'absolution après avoir entendu l'aveu de ses fautes. Ce
devoir accompli, le jeune homme revint vers Catherine, qui lui mit la
main sur l'épaule en disant: " Allez, mon fils, avec la paix de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne veux plus que vous souffriez
désormais de ces fièvres. " Et il en arriva comme elle avait dit. Depuis
cette heure, le jeune homme ne sentit plus le moindre mouvement de
fièvre. En Catherine se trouvait cachée la vertu mystérieuse de Celui
qui n'a eu qu'à parler, pour tout faire, à commander, pour tout créer (Ps
158,5). Plusieurs jours après, le malade guéri vint remercier la
sainte et il nous assura que, depuis sa première visite, il n'avait pas
en la moindre indisposition. J'ai été moi-même un des témoins de cette
guérison, et je puis dire comme Jean: " Celui qui a vu, en rend
témoignage (Jn 14,35). " Je puis citer avec moi, comme autres
témoins, l'hôte de la sainte, ainsi que la mère de cet homme et tout le
personnel de la maison, puis Frère Thomas confesseur de Catherine et du
malade, Frère Barthélemy Dominique, qui était alors comme aujourd'hui
mon compagnon, et enfin toutes les femmes qui étaient venues de Sienne
avec notre vierge. Le miraculé lui-même a publié ce prodige dans toute
la ville. Quand je passai à Pise, quelques années après, il vint me
voir, et j'eus peine à le reconnaître, tant il était devenu gros et
fort. De nouveau il rendit grâces à Dieu et à la sainte devant plusieurs
personnes qui m'accompagnaient et raconta le miracle, comme je viens de
le rapporter.
Pareil prodige avait eu lieu
à Sienne quelque temps avant, avec un caractère d'autant plus
merveilleux que le mal guéri était plus dangereux. Une Sœur de la
Pénitence du bienheureux Dominique, nommée Gemma, et intimement liée
avec Catherine, fut un jour atteinte à la gorge, de ce mal que les
médecins appellent esquinancie. Cette esquinancie, suite d'un rhume de
cerveau négligé, devint si grave que les remèdes, qui eussent été utiles
au début, ne pouvaient plus la guérir. Les parties malades de la gorge
se contractaient chaque jour davantage, Si bien qu'un étouffement
complet et prochain était fort à craindre. Gemma, se rendant compte de
son état, réunit tout ce qui lui restait de force et, violentant sa
faiblesse, s'en vint trouver Catherine, qui pour lors n'habitait pas
très loin. Dès qu'elle vit notre sainte, elle lui dit comme elle put:
" Ma Mère, je meurs, si vous ne venez à mon aide. " Catherine, ayant vu
la gravité du mal, eut compassion de cette Sœur, qui pouvait à peine
respirer. Pleine de confiance, elle lui mit aussitôt la main sur la
gorge et, y traçant le signe de la Croix, elle chassa et dissipa
instantanément toute douleur. Celle qui était venue dans la tristesse et
dans l'angoisse s'en retourna donc joyeuse et complètement guérie, et,
pour ne point paraître ingrate, elle s'en alla raconter à Frère Thomas
ce miracle qu'il consigna par écrit. C'est dans cet écrit, que j'ai pris
ce que je viens de raconter brièvement en cette page.
Mais puisque j'en suis aux
miracles opérés par Catherine sur les corps des personnes de sa famille
et de son intimité, il m'en revient en mémoire quelques-uns de fort
notables, dont j'ai été moi-même témoin avec d'autres personnes encore
vivantes, ainsi que je le dirai plus loin. C'était au temps où le
seigneur pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, revint d'Avignon à Rome.
La sainte, précédant le Pontife, vint à Gênes avec les personnes de sa
suite, dont j'étais, et y demeura quelques jours pour se reposer,
jusqu'à ce que le Pontife lui-même fût arrivé dans cette ville avec la
Cour romaine. Ce séjour à Gênes fut d'un peu plus d'un mois. Nous avions
alors en notre compagnie, comme secrétaires de l'aimable vierge, deux
jeunes Siennois très pieux, qui vivent encore aujourd'hui religieusement
et vertueusement. L'un s'appelle Néri Landoccio de Pagliaresi; il a
méprisé le monde et ses vanités et mène la vie solitaire des
anachorètes. L'autre, Etienne Corradi de Maconi, est entré dans l'Ordre
des Chartreux, ainsi que la sainte le lui a ordonné quand elle s'en est
allée de ce monde au sein du Père. La grâce de Dieu lui a fait faire
tant de progrès dans la vie spirituelle qu'il dirige et gouverne par ses
visites, ses avis et ses exemples, une grande partie de son Ordre en
Italie. Il a été successivement Prieur de plusieurs monastères, et il
l'est actuellement de la Chartreuse de Milan; partout il est considéré
comme un homme de grandes œuvres et de grand renom. Ces deux témoins
peuvent attester avec moi et avec toutes les personnes déjà citées, la
plus grande partie des faits merveilleux que j'ai rapportés jusqu'ici,
et tous ceux que j'ai racontés dans cette seconde partie. Mais, à
l'époque où nous en sommes, dans cette ville de Gênes, l'un et l'autre
furent personnellement l'objet d'un prodige mémorable que le Seigneur
opéra par l'intermédiaire de la sainte, son Epouse.
Il arriva donc que, pendant
notre séjour à Gênes, Néri fut pris d'un mal affreux qui n'a pas
tourmenté que lui, mais nous a tous fait souffrir d'incroyable façon. Il
était torturé jour et nuit de douleurs d'entrailles qui lui arrachaient
des cris et des gémissements continuels. Il ne pouvait ni rester
tranquillement couché, ni se tenir debout, mais, rampant sur les mains
et sur les genoux, il se traînait d'un lit à l'autre à travers toute la
chambre, comme pour fuir ses douleurs, et nous rendait aussi malheureux
que lui. J'en parlai à Catherine, et les autres aussi; elle parut émue
de compassion; mais elle ne pria pas, comme elle le faisait en pareil
cas, pour demander un adoucissement à ces souffrances; elle ne donna
même aucune de ces promesses de guérison qui lui étaient ordinaires. Au
contraire, elle m'ordonna de faire venir es médecins et de recourir aux
remèdes. Je mis tous mes soins à exécuter ses ordres, et j'appelai deux
médecins auxquels on obéit ponctuellement. Le malade n'en fut en rien
soulagé, il allait même plus mal. Le Seigneur permettait tout cela, je
pense, pour faire éclater davantage ses merveilles en son épouse. Les
médecins, se retirant sans avoir obtenu aucune amélioration, me dirent
qu'ils n'avaient plus d'espoir de sauver le jeune homme.
Je fis part du résultat de
cette consultation aux Frères et compagnons pendant que nous étions à
table. A cette nouvelle, Étienne Maconi, tout hors de lui et l'âme
pleine d'amertume, se leva de table, entra dans la chambre de la sainte,
se prosterna en pleurant à ses pieds et lui demanda humblement et
instamment de ne pas laisser mourir et ensevelir en terre étrangère un
Frère et compagnon de route qu'elle avait emmené au nom de Dieu et de
son amour. La vierge, doucement compatissante, lui répondit avec une
charité toute maternelle : " Pourquoi vous troubler et vous désoler, mon
fils? Si Dieu veut donner à Néri, votre frère, la récompense de ses
travaux, vous ne devez pas vous en affliger, mais vous en réjouir. " A
quoi Étienne répartit : " Très douce Mère, je vous en prie, écoutez ma
voix et secourez-le ; je suis sûr que si vous le voulez, vous le
pouvez. " Catherine ne put contenir plus longtemps sa tendresse de mère.
" Je vous exhortais, dit-elle, à vous conformer à la volonté divine;
mais, puisque je vous vois si désolé, rappelez-moi votre prière, demain,
quand j'irai à la messe pour recevoir la sainte Communion, et je vous
promets de présenter votre demande au Seigneur. Quant à vous, priez Dieu
qu'il m'exauce." Étienne, satisfait et joyeux de cette promesse, revint
trouver la sainte le lendemain matin, au moment où elle allait à la
messe et, fléchissant humblement le genou devant elle : " Ma Mère, lui
dit-il, je vous supplie de ne pas tromper mon attente. " Catherine
communia donc à cette messe et y resta assez longtemps en extase comme
d'habitude; mais, dès qu'elle eut recouvré l'usage de ses sens, elle
sourit à Étienne qui attendait auprès d'elle, et elle lui dit : " Vous
avez la grâce que vous demandez. " - " Ma Mère, repartit Étienne, Néri
sera-t-il sauvé? - Certainement, répondit-elle, il sera sauvé, car le
Seigneur nous l'a rendu. " Étienne s'en vint alors d'un pas rapide
trouver le malade et lui porter cet encouragement du Seigneur. Les
médecins étant revenus quelque temps après et ayant examiné à plusieurs
reprises l'état de Néri, commencèrent à dire qu'on pourrait le guérir,
alors que la veille ils en désespéraient absolument. Et, en effet, ainsi
que l'avait annoncé Catherine, la convalescence alla se continuant
jusqu'à complète guérison.
Mais quand Néri fut rétabli,
Étienne, accablé par les fatigues corporelles et les souffrances morales
qu'il avait endurées en soignant son ami, fut pris à son tour de
violents accès de fièvre, accompagnés de vomissements et
d'insupportables maux de tête. Il fut donc obligé de garder le lit, et,
comme nous avions tous beaucoup d'affection pour lui, nous lui
prodiguions nos soins et nos consolations. La nouvelle de cette maladie
affligea vivement notre vierge, qui vint aussitôt visiter Étienne,
s'informa de la nature de son mal, et s'aperçut, rien qu'en le touchant,
qu'il avait une fièvre brûlante. Sous l'impulsion d'un mouvement
surnaturel, elle lui dit alors: " Je vous commande, au nom de la sainte
obéissance, de n'avoir plus cette fièvre. " O prodige la nature obéit à
la voix de la vierge, comme si du haut du ciel eût retenti la voix du
Créateur de toutes choses. Sans aucun remède naturel, et avant même que
la sainte eût quitté le lit du malade, la fièvre avait disparu et
Etienne était guéri. Nous faisions tous joyeuse fête à notre Étienne
rétabli, et nous rendions grâces au Seigneur qui, en quelques jours,
avait ainsi fait deux miracles sous nos yeux, par l'intermédiaire de son
épouse.
A ces deux miracles, j'en
ajoute un troisième dont je n'ai pas été témoin oculaire; mais la
personne qui en a été l'objet vit encore et l'atteste publiquement.
C'est d'elle-même que j'ai appris ce que j'écris, et son témoignage est
absolument confirmé par d'autres femmes qui étaient alors les compagnes
de la sainte. Ce récit me vient donc d'une Sœur de la Pénitence du
bienheureux Dominique, Siennoise d'origine, mais qui n'habite plus la
ville et qu'on appelle Jeanne de Capo. Le seigneur pape Grégoire XI,
d'heureuse mémoire, étant de retour à Rome, avait chargé la sainte
d'aller à Florence négocier la paix entre le Père des pères et ses
enfants rebelles. Catherine y réussit, comme nous l'exposerons plus au
long dans un chapitre particulier. Mais l'infernal dragon, qui sème et
nourrit la discorde, et qui est l'ennemi de toute union, fit éclater- à
cette occasion bien des scandales dans la cité florentine, et l'épouse
de Jésus-Christ, qui travaillait à la paix, ne fut pas épargnée. Le
récit de ces désordres serait bien long et nous entraînerait, pour le
moment, trop loin de notre sujet; nous y consacrerons d'ailleurs un
chapitre spécial, en réponse aux détracteurs de la sainte. Se trouvant
donc à Florence par ordre du Pape, elle se vit menacée par des
soulèvements populaires que l'antique ennemi excitait contre elle; et
ses amis les plus fidèles et les plus dévoués lui conseillèrent, en
conséquence, d'aller habiter pendant un certain temps à quelque distance
de la ville, en attendant que cette sédition s'apaisât. Catherine,
toujours humble et discrète, se rendit à leurs raisons; mais elle
affirma en même temps que, par ordre de Dieu, elle ne sortirait des
limites du territoire florentin qu’après la publication du traité de
paix entre le Souverain Pontife et ce peuple, et l’événement justifia
cette assurance. Elle se préparait donc à quitter momentanément la ville
pour se retirer dans un lieu qui se voit encore sur le territoire de la
république. Mais, à ce moment, Jeanne de Capo se trouva gravement
indisposée. Depuis qu’elle était à Florence, son pied avait
considérablement enflé et, de plus, elle souffrait d’une assez forte
fièvre: en cet état, il lui était absolument impossible de se mettre en
route. Catherine, qui se rendait bien compte de cette impossibilité, ne
voulut cependant pas laisser Jeanne seule en ville, exposée aux mauvais
traitements des impies. Elle eut donc recours comme d’habitude à la
prière, et, invoquant le secours de son l’époux, elle le supplia de
pourvoir miséricordieusement à cet accident. Le Seigneur, très clément,
ne laissa pas longtemps son épouse dans cette douloureuse perplexité.
Pendant l’oraison de Catherine, Jeanne s’endormit doucement. Quand on la
réveilla, elle se trouva si parfaitement guérie qu’il lui semblait
n’avoir rien souffert. Elle se leva immédiatement, fit ses préparatifs
de voyage, et, le matin même, elle suivait la sainte et ses autres
compagnes, en marchant avec l’agilité de ses meilleurs jours de
jeunesse. Les autres, qui l’avaient vue si souffrante, en étaient dans
la stupéfaction, et toutes ensemble louaient le Seigneur de ce qu’il
donnait à son épouse le pouvoir de soulager miraculeusement les corps de
ses suivantes.
A ce miracle, j’en ajoute un
autre que Dieu a opéré par l’intermédiaire de Catherine à Toulon, ville
du comté de Provence. C’était pendant notre retour d’Avignon, au temps
ou le pape Grégoire XI se rendait à Rome. En arrivant à Toulon, nous
avions été reçus dans un hospice, avec notre vierge, qui s’était
aussitôt retirée dans sa chambre, selon son habitude. Mais, alors que
nous nous taisions, les pierres elles-mêmes, si je puis ainsi parler,
crièrent qu’une sainte venait d’arriver dans la ville ~. Les femmes
d’abord, puis les hommes, commencèrent d’affluer audit hospice,
demandant où était la sainte dame, qui revenait de la Cour Romaine.
L’hôte le leur ayant dit, nous ne pouvions plus le cacher, et il fallut
au moins laisser entrer les femmes. Une de ces femmes introduisit alors
avec elle un enfant, dont le corps et surtout le ventre était tellement
enflé qu’il avait un aspect de monstre. Les visiteuses prièrent la
vierge du Seigneur de vouloir bien prendre ce pauvre enfant dans ses
bras. Catherine refusa d’abord, pour fuir les louanges humaines; mais,
cédant enfin à un sentiment de compassion, et voyant la foi de ces
femmes, elle se prêta à leurs désirs. A peine eût-elle pris l’enfant
dans ses mains virginales, que le corps du malade rejeta les gaz qui le
gonflaient, tous les assistants virent l’enflure disparaître, et
l’infirme fut bientôt complètement guéri. Je n’assistais pas à cette
guérison miraculeuse et ne l’ai pas vue; mais le fait en est si certain
et a eu tant d’éclat que l’Évêque de Toulon lui-même, m’ayant envoyé
chercher, m’a raconté ce prodige, en m’affirmant que cet enfant était le
neveu de son vicaire général, et m’a prié de lui obtenir une entrevue
avec la sainte, ce qui lui a été accordé.
Le Seigneur Jésus s’est
encore servi de son épouse pour opérer sur les corps des hommes beaucoup
d’autres miracles, qui ne sont pas consignés dans ce livre. Mais le peu
que j’en ai écrit, bon lecteur, doit suffire à vous donner juste motif
de croire qu’en notre sainte habitait Jésus Fils de Dieu et de la
Vierge. C’est lui qui était l’agent principal de toutes ces merveilles.
Avec ces guérisons corporelles, je devrais raconter les délivrances de
possédés; mais, la sainte ayant eu pour ce genre de prodiges une grâce
toute spéciale, et notre chapitre étant déjà bien long, je le finis ici
et remets au chapitre suivant le récit de ces délivrances de possédé du
démon.