CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

LIVRE DE LA “VIE”
de sainte Thérèse d’Avila

CHAPITRE XXXVI

Notre Seigneur avait d'autres desseins

Étant partie de cette ville (Tolède), je m'en revenais fort joyeuse, et j'acceptais de grand cœur tout ce qu'il plairait à mon divin Maître de me faire souffrir. Le soir même de mon arrivée ici (Avila), nous reçûmes les dépêches de Rome et le bref pour l'établissement de notre monastère [6]. Ma surprise fut grande, et ceux qui savaient de quelle manière Notre Seigneur m'avait pressée de revenir, ne furent pas moins étonnés quand ils virent combien ma présence était nécessaire, et dans quelle conjoncture le divin Maître me ramenait. Je trouvai dans la ville l'évêque, le saint frère Pierre d'Alcantara et ce vertueux gentilhomme (François de Salcédo) qui le logeait chez lui, les serviteurs de Dieu trouvant toujours dans sa maison asile et bon accueil. Ils s'employèrent tous deux auprès de l'évêque, et le déterminèrent à prendre sous sa juridiction le nouveau monastère. Comme il devait être fondé sans revenus, la faveur demandée au prélat n'était pas petite; mais il était si affectionné aux personnes en qui il voyait une ferme résolution de servir Dieu, qu'il se sentit aussitôt disposé à nous aider.

Ce fut le bienheureux Pierre d'Alcantara qui fit véritablement tout, soit en approuvant notre. entreprise, soit en nous ménageant la faveur de plusieurs personnes. Si, comme je l'ai dit, je n'étais pas arrivée dans un moment si favorable, je ne vois pas comment notre dessein eût pu réussir. En effet, le saint vieillard ne passa ici que huit jours tout au plus, durant lesquels il fut fort malade, et Dieu l'appela à lui très peu de temps après (le 18 octobre 1562). Il semble que sa divine Majesté n'avait prolongé sa vie que pour conduire à terme cette entreprise; car, depuis plus de deux ans, si mon souvenir est fidèle, ses forces étaient entièrement épuisées. Tout se fit dans le plus grand secret, et si l'on ne s'y fût pris de la sorte, je ne sais si on aurait pu rien exécuter, tant la ville était opposée à un tel dessein, comme la suite le fit voir.

A cette époque, Notre Seigneur envoya une maladie à un de mes beaux-frères (Jean de Ovalle, mari de Jeanne de Ahumada); sa femme étant absents de cette ville, il se trouvait dans un tel abandon, qu'on me permit de demeurer auprès de lui. Ainsi l'on ne se douta de rien. Il s'élevait bien quelques légers soupçons dans l'esprit de certaines personnes, mais elles ne pouvaient y croire. Chose admirable! la maladie de mon beau-frère ne dura que le temps nécessaire à notre affaire; et lorsqu'il fut besoin qu'il recouvrât la santé, pour que je pusse retrouver ma liberté et que lui-même pût quitter la maison, Notre Seigneur la lui rendit si soudainement qu'il en était émerveillé.

Ce que j'eus à souffrir ne fut pas peu de chose. J'avais bien des démarches à faire auprès d'un grand nombre de personnes, pour obtenir leur approbation. Je devais en même temps soigner mon malade, et, en outre, presser les ouvriers de donner au plus tôt à la maison quelque forme de monastère; car les travaux étaient encore bien loin d'être terminés. Ma compagne n'était point dans la ville; nous avions pensé que son absence couvrirait mieux notre dessein. Plusieurs raisons m'engageaient à hâter l'ouvrage; je craignais, en particulier, qu'à tout moment on ne m'ordonnât de retourner à mon monastère. J'eus tant de peines à essuyer, qu'il me vint en pensée si ce n'était pas là cette grande croix que Notre Seigneur m'avait prédite; je la trouvais néanmoins légère auprès de celle dont je m'étais fait l'idée.

Enfin, tout étant prêt pour la fondation, il plut à Notre Seigneur que le jour même de la fête de saint Barthélemy, quelques filles prissent l'habit [7], et que le très saint Sacrement fût mis dans notre église; et ainsi se trouva légitimement érigé, en l'année 1562, avec toutes les approbations requises de l'autorité, le monastère de notre glorieux père saint Joseph. J'assistai à la prise d'habit avec deux religieuses de notre couvent, qui s'en trouvaient alors absentes.

La maison où ce petit monastère venait d'être fondé était celle qu'habitait mon beau-frère; car, ainsi que je l'ai dit, c'était lui qui l'avait achetée, afin de mieux dissimuler notre affaire. De la sorte, j'y étais par la permission de mes supérieurs, et de plus, pour éviter le plus petit manquement à l'obéissance, je ne faisais rien que de l'avis de savants théologiens. Comme ils voyaient que, pour diverses raisons, mon dessein était très avantageux à tout l'ordre, ils m'assuraient que je pouvais en poursuivre l'exécution, bien que ce fût en secret et en prenant soin que mes supérieurs n'en eussent point connaissance. Si l'on m'eût dit qu'il y avait en cela la moindre imperfection, j'aurais abandonné non seulement ce monastère, mais mille monastères; ceci est certain. Car, quelque désir que j'eusse de l'établissement de ce couvent, pour y vivre entièrement séparée du monde, selon toute la perfection de mon état, et dans une clôture plus étroite, ce désir était de telle nature, que si j'avais compris qu'il était plus de la gloire de Dieu de tout abandonner, je l'aurais fait avec une tranquillité et une paix parfaite, comme je l'avais fait une autre fois.

Ce fut pour moi un avant-goût de la gloire céleste, de voir cette petite maison honorée de la présence du très saint Sacrement, et de remédier à la nécessité de quatre pauvres orphelines, grandes servantes de Dieu, en les recevant sans dot. Dès le principe, j'avais désiré que les premières qui entreraient fussent, par leur exemple, le fondement de cet édifice spirituel, et propres à réaliser le dessein conçu par nous de mener une vie très parfaite et de très grande oraison. Je voyais enfin accomplie une œuvre qui devait, je le savais, glorifier Notre Seigneur, et tourner à l'honneur de l'habit de sa glorieuse Mère. C'était là mon vœu le plus ardent. C'était aussi pour moi une grande consolation d'avoir exécuté ce que Notre Seigneur m'avait particulièrement recommandé, et d'avoir élevé dans cette ville une église à mon glorieux père saint Joseph, qui n'y en avait point auparavant [8]. Ce n'est pas que je crusse y avoir contribué en rien; une pareille pensée était alors comme elle l'est encore, bien loin de moi. Je le sais très bien, Notre Seigneur seul faisait tout; et si je lui prêtais quelque petit concours, j'y mêlais tant d'imperfections, qu'il me devait plutôt des reproches que de la reconnaissance. Mais je me sentais inondée de joie, en voyant que sa divine Majesté avait daigné se servir d'un aussi faible instrument que moi pour une œuvre si grande; et cette joie remplissait tellement mon âme, que j'en étais comme hors de moi et tout absorbée dans une oraison profonde.

Trois ou quatre heures après la cérémonie, le démon me livra un combat intérieur dont je vais parler. Il me mit dans l'esprit que peut-être j'avais offensé Dieu dans ce que j'avais fait, et manqué à l'obéissance en fondant ce monastère sans l'ordre de mon provincial. Celui-ci, je le sentais bien, devait voir avec quelque peine que j'eusse mis le couvent sous la juridiction de l'évêque sans lui en avoir rien dit; néanmoins, comme il avait refusé de le prendre sous la sienne, et que personnellement je restais sous son obéissance, il me semblait qu'il n'en serait point fâché. D'autre part, les religieuses que je venais de recevoir vivraient-elles contentes dans une si étroite clôture? Le nécessaire ne leur manquerait-il point? Cette fondation n'était-elle pas une folie? Pourquoi m'étais-je engagée dans cette entreprise, moi qui pouvais si bien servir Dieu dans mon couvent? Les ordres que j'avais reçus de Notre Seigneur au sujet de ce nouveau monastère, les avis des personnes sages que j'avais consultées, les prières que depuis plus de deux ans on n'avait pour ainsi dire pas cessé de faire à cette intention, s'effacèrent tellement de ma mémoire qu'il ne m'en restait plus la moindre idée. Je me souvenais seulement des pensées que j'avais eues par moi-même. Toutes les vertus, et même la foi, étaient alors suspendues en mon âme, et je n'avais la force ni d'en produire aucun acte, ni de me défendre contre tant d'attaques de l'ennemi. Le démon m'inspirait d'autres craintes: avec tant d'infirmités, pourrais-je m'enfermer dans une maison si petite, et m'y assujettir à un genre de vie si austère, après avoir vécu dans un monastère si spacieux, si agréable, où j'avais toujours été si contente, et où j'avais tant d'amies? Je ne me plairais peut-être pas avec celles qui composaient la nouvelle maison. Je m'étais engagée à bien des choses, et la difficulté de les accomplir pourrait me jeter dans le désespoir. Peut-être le démon avait-il prétendu par là m'ôter la paix et la tranquillité d'esprit; en proie au trouble, comment pourrais-je me livrer à l'oraison? Enfin, n'allais-je pas hasarder le salut de mon âme?

Le démon présentait tout cela à mon esprit, sans qu'il me fût possible de penser à autre chose; et il répandait en même temps dans mon âme une affliction, une obscurité, des ténèbres, que je ne saurais dépeindre. Me voyant dans cet état, je m'en allai devant le très saint Sacrement, bien que je fusse incapable de former une prière, une personne à l'agonie n'étant pas, me semble-t-il, dans une angoisse plus grande. De plus, je n'osais confier ma peine à personne, parce que je n'avais pas encore de confesseur désigné.

O mon Dieu! Qu'elle est grande la misère de cette vie! Nul plaisir n'y est assuré, et tout y est sujet au changement. Il n'y avait qu'un moment, je n'aurais pas voulu, me semble-t-il, échanger mon bonheur contre toutes les félicités de la terre, et un instant après, ce qui avait fait ma joie me causait un tel tourment, que je ne savais que devenir. Ah! si nous considérions attentivement les choses de cette vie, chacun de nous verrait par expérience combien il doit faire peu de cas du plaisir ou du déplaisir qu'il y éprouve. Ce fut là, je puis le dire, un des moments où j'ai le plus souffert dans ma vie; mon esprit devinait, ce semble, toutes les souffrances qui m'étaient réservées, dont aucune cependant n'eût égalé celle-là si elle eût duré plus longtemps. Mais Notre Seigneur ne voulut pas laisser souffrir davantage sa pauvre servante, et il fut fidèle à m'assister dans cette tribulation, comme il l'avait fait dans toutes les autres. Par un rayon de sa lumière il me découvrit la vérité; il me fit voir que le démon était l'auteur de cet orage, et qu'il prétendait m'épouvanter par des mensonges. Rappelant alors à mon souvenir les grandes résolutions que j'avais formées de servir Dieu, et les ardents désirs que j'avais eus de souffrir pour lui, je considérai que si je voulais en venir aux effets, je ne devais pas chercher le repos; si je rencontrais des travaux et des peines, j'aurais aussi plus de mérites; et si j'endurais ces peines par amour pour Dieu, elles me tiendraient lieu de purgatoire. Pourquoi craindre? J'avais désiré des croix, je devais me réjouir d'en trouver de si bonnes à porter; plus la répugnance était grande, plus le profit serait considérable; enfin, pourquoi devais-je manquer de courage dans le service de Celui qui m'avait comblée de bienfaits?

Animée par ces considérations et d'autres encore, et faisant un grand effort sur moi-même, je promis, en présence du très saint Sacrement, de solliciter, avec toutes les instances dont je serais capable, la permission de venir dans ce nouveau monastère et, si je le pouvais en sûreté de conscience, d'y faire vœu de clôture. A peine avais-je fait cette promesse, que le démon s'enfuit, et me laissa dans un repos et un contentement qui n'ont jamais cessé depuis. La retraite profonde, les austérités et les diverses observances de cette maison ont pour moi une suavité extrême, et me semblent un joug bien léger. J'y goûte un si indicible bonheur, que je me dis quelquefois à moi-même: Où aurais-je pu choisir sur la terre une vie plus agréable que celle que je mène ici? Je ne sais si cela est cause que j'ai plus de santé que je n'en avais auparavant, ou si c'est Notre Seigneur qui, voyant qu'il est nécessaire et raisonnable que je donne l'exemple, veut me consoler en me donnant la force de supporter, quoique avec peine, les mêmes austérités que les autres. Ce qui est certain, c'est que toutes les personnes qui savent quelles étaient mes infirmités, ne peuvent le voir sans étonnement. Béni soit Celui qui est la source de tous les biens, et par la puissance duquel on peut tout!

Je restai très fatiguée du combat que le démon me livra en cette occasion; mais quand je vis clairement qu'il en était l'auteur, je ne fis qu'en rire. Notre Seigneur, je crois, le permit pour me faire connaître la grâce signalée qu'il m'avait faite et le tourment dont il m'avait délivrée, en ne permettant pas que, depuis plus de vingt-huit ans que je suis religieuse, j'aie jamais été un seul instant mécontente de mon état. Il voulait aussi m'apprendre à voir sans crainte dans mes sœurs une tentation de ce genre, à leur porter compassion, et me mettre à même de les consoler.

Cette tempête étant calmée, j'aurais bien voulu prendre un peu de repos après midi, n'en ayant presque pas eu dans toute la nuit, et ayant passé plusieurs des nuits précédentes, ainsi que des journées entières, dans des travaux et des soucis qui m'avaient extrêmement fatiguée. Mais cela fut impossible. Déjà la nouvelle de ce qui venait d'avoir lieu excitait une grande rumeur tant dans la ville que dans mon couvent; et comme je l'ai dit plus haut, ce n'était pas sans quelque apparence de raison. La prieure m'envoya l'ordre de revenir sur-le-champ; je partis sans délai, laissant mes religieuses plongées dans la peine. Je prévoyais bien des tribulations; mais comme le monastère était fondé, j'en étais fort peu émue. J'élevai mon âme à Dieu pour lui demander son assistance, et je suppliai mon père saint Joseph de me ramener dans sa maison, lui offrant ce que j'aurais à endurer, et m'estimant fort heureuse de le souffrir pour son service. Ainsi je partis, avec la conviction qu'on me mettrait aussitôt en prison; j'avoue que j’en aurais été charmée, pour ne plus parler à personne et pour prendre un peu de repos dans la solitude, car j'en avais un extrême besoin, épuisée comme je l'étais d'avoir eu à traiter avec tant de monde.

Lorsque je fus arrivée, j'exposai mes raisons à la prieure, et elle s'apaisa un peu. Cependant la communauté fit prier le provincial de se rendre au monastère, remettant toute l'affaire à son jugement. Dès qu'il fut venu, je me présentai devant lui pour être jugée, souverainement contente de souffrir quelque chose pour Notre Seigneur, sans néanmoins avoir rien fait en cette occasion ni contre sa divine Majesté, ni contre mon ordre. Je travaillais, au contraire, de toutes mes forces à son avantage, et de bon cœur j'aurais donné ma vie pour ce sujet, car tout mon désir était d'y voir établie une entière perfection. Je me rappelai le jugement que Notre Seigneur eut à subir, et je vis que celui qui m'attendait n'était rien en comparaison. Je dis ma coulpe, comme si j'eusse été fort coupable, et je paraissais l'être à ceux qui ignoraient les motifs de ma conduite. Le provincial me fit une grande réprimande, non pas telle, toutefois que le délit semblait le mériter, vu les rapports qu'on lui avait faits. J'avais pris la résolution de ne rien dire pour me justifier, et je souhaitais réellement la tenir; aussi, je n'ouvris la bouche que pour lui demander pardon, pénitence, et pour le prier de n'être point fâché contre moi.

En certaines choses, je le voyais, on me condamnait à tort: en disant, par exemple, que je n'avais agi que par vanité, pour faire parler de moi, ou par de semblables motifs. Mais voici d'autres plaintes très justes à mes yeux: j'étais, disait-on, moins parfaite que mes sœurs; n'ayant point fidèlement observé la règle dans un couvent où elle était si bien en vigueur, c'était témérité de ma part d'entreprendre d'en garder une autre plus austère. A cela on ajoutait que j'avais scandalisé la ville, et ne songeais qu'à introduire des nouveautés. Tout cela me laissait calme, et ne me causait point de peine; je témoignais cependant en avoir, pour ne pas donner sujet de croire que je méprisais ce que l'on me disait. Enfin le provincial m'ayant commandé, en présence de toute la communauté, de rendre compte de ma conduite, je fus obligée d'obéir. Comme mon âme était tranquille, et que Notre Seigneur m'assistait, j'exposai mes raisons de manière que ni ce père, ni les religieuses, ne trouvèrent de quoi me condamner. Je vis ensuite le provincial en particulier, et j'entrai avec lui dans plus de détails que je ne venais de faire; il demeura très satisfait et me promit, si mon entreprise se poursuivait, de m'autoriser à retourner dans le nouveau monastère dès que la ville se serait apaisée; car le trouble que cette affaire venait d'y exciter était fort grand, comme on va le voir.

Deux ou trois jours après, le corregidor, quelques échevins, et quelques membres du chapitre s'assemblèrent pour délibérer; ils prononcèrent tous d'une voix unanime que ce nouveau monastère, étant manifestement nuisible au bien publie, ne devait point être toléré; qu'il fallait en ôter le très saint Sacrement, et qu'ils ne souffriraient en aucune façon qu'on passât outre. Ils ne tardèrent pas à convoquer une nouvelle assemblée de tous les ordres; deux députés de chaque ordre, choisis parmi les hommes les plus capables, devaient dire leur sentiment. Les uns gardaient le silence, les autres nous condamnaient; et la conclusion fut qu'il fallait sans délai supprimer le monastère. Seul, un présenté de l'ordre de Saint Dominique, qui, tout en approuvant la nouvelle fondation, n'était pas d'avis qu'elle fût sans revenus, fit remarquer qu'on ne pouvait pas procéder ainsi à la suppression d'un monastère; qu'on devait bien réfléchir à ce qu'on ferait, qu'on avait tout le temps d'attendre, et que cela regardait la juridiction de l'évêque [9]. Par ces raisons et d'autres de cette nature, il calma beaucoup les esprits; ils étaient tellement emportés, que l'on regarda comme une merveille que le dessein de détruire le monastère ne fût pas sur-le-champ exécuté. Mais la véritable cause qui les retint, fut que Notre Seigneur voulait que cet établissement se fît, et tous nos adversaires ensemble ne pouvaient rien contre une telle volonté. Sans doute ils n'offensaient point Dieu, parce qu'ils étaient animés d'un bon zèle, et croyaient avoir de justes raisons; mais ils me firent beaucoup souffrir, ainsi que les personnes en petit nombre qui nous favorisaient, car elles eurent une bien rude persécution à essuyer.

L'émotion du peuple était si grande, que l'on ne parlait point d'autre chose; tous me condamnaient et accouraient, les uns auprès du provincial, les autres auprès des religieuses de mon couvent, pour s'élever contre ma conduite. En mon particulier, je n'en étais pas plus affectée que si l'on n'eût rien dit. Je craignais seulement qu’ on ne détruisît la maison; cela me causait une grande douleur, comme aussi de voir les personnes qui nous assistaient perdre dans l'estime publique, et être exposées à tant de tribulations à cause de nous. Quant à ce qu'on disait de moi, j'en avais plutôt de la joie que de la peine. Si ma foi eût été plus vive, la paix de mon âme n'aurait en rien été troublée; mais il suffit d'un léger manquement à une vertu pour rendre toutes les autres comme endormies. C'est pourquoi j'éprouvai une très grande peine pendant les deux jours où l'on tint ces assemblées. Mais au plus fort de ma douleur, Notre Seigneur me dit: « Ne sais-tu pas que je suis tout-puissant? que crains-tu? » Et il m'assura que le monastère ne serait pas détruit. Ainsi, je demeurai très consolée.

La ville porta l'affaire au conseil du roi; il en vint un ordre de dresser une enquête exacte de tout ce qui s'était fait, et voilà un grand procès commencé. La ville envoya ses députés à la cour. Notre monastère devait aussi envoyer les siens; mais nous n'avions pas d'argent, et je ne savais que faire. Le divin Maître y pourvut; car mon provincial ne me défendit jamais de m'occuper de cette affaire. Ami comme il l'est de tout ce qui tient à la vertu, s'il ne nous prêtait pas son concours, il ne voulait point nous faire opposition; il n'attendait même que de voir l'issue de ce débat, pour me permettre de venir habiter dans ce petit monastère. Cependant ces servantes de Dieu, qui y étaient restées seules [10], faisaient plus par leurs prières, que moi par toutes mes négociations qui ne me demandèrent pas peu d'activité. Il semblait quelquefois que tout fût perdu, et particulièrement le jour qui précéda l'arrivée du provincial; car la prieure me défendit de me mêler désormais de rien, ce qui était tout ruiner. Je m'en allai alors trouver Notre Seigneur, et je lui dis: Mon divin Maître, cette maison n'est pas à moi, c'est pour vous qu'elle a été faite; maintenant que personne ne défend ses intérêts, c'est à vous d'en prendre soin. Après cela, je demeurai aussi tranquille et aussi joyeuse que si tout l'univers eût travaillé à ma place, et je ne doutai plus du succès de cette affaire.

Un ecclésiastique (Gonzalve de Aranda), grand serviteur de Dieu, ami de tout ce qui respire la perfection, et qui m'avait toujours assistée, se rendit à la cour pour y défendre notre cause, et il le fit avec le plus grand zèle. D'un autre côté, ce saint gentilhomme (François de Salcédo) que j'ai toujours considéré et considère encore comme mon père, s'y employait avec une bonté incroyable, sans tenir compte des peines ni des persécutions que lui attirait son dévouement. Notre Seigneur donnait tant de zèle à ceux qui nous défendaient, qu'ils faisaient leur cause de la nôtre, et l’on eût dit qu'il y allait de leur vie et de leur honneur, quoiqu'il n'y eût au fond que le motif de la gloire de Dieu qui les fit agir.

Notre Seigneur daigna aussi soutenir d'une manière visible ce vertueux ecclésiastique dont j'ai parlé (Gaspar Daza), et qui était l'un de ceux de qui je recevais le plus d'assistance. L'évêque l'envoya pour parler en son nom dans une grande assemblée qui se tint à notre sujet. Il s'y trouva seul contre tous; pourtant il parvint à apaiser ses adversaires par certains expédients qu'il proposa. Cela suffit pour gagner du temps, mais non pas pour les empêcher de revenir bientôt à leur résolution de détruire à tout prix le monastère. C'était ce serviteur de Dieu qui avait mis le très saint Sacrement dans notre église et donné l'habit à ces filles; ce qui lui valut une grande persécution. Cette tempête dura près de six mois; mais le détail de nos souffrances dans cet intervalle serait trop long à rapporter.

Je ne pouvais assez m'étonner de voir tous les obstacles que soulevait le démon contre quelques pauvres femmes, et comment il pouvait mettre dans l'esprit de tout le monde, j'entends de ceux qui nous étaient contraires, que douze religieuses seulement, avec leur prieure (car elles ne peuvent être davantage), fussent capables d'apporter un si grand préjudice à la ville, en menant une vie si austère. L'inconvénient ou le mécompte, s'il y en avait, ne pouvait retomber que sur elles; mais quant au dommage de la ville, en vérité, c'était une chimère. Et néanmoins il était si grand à leur avis, qu'ils pouvaient en bonne conscience nous faire une aussi forte opposition. Enfin ils en vinrent à dire que, pourvu que le monastère eût des revenus, ils consentiraient à le laisser subsister.

J'étais bien lasse de la peine que cette affaire donnait à tous nos amis; aussi, pour leur repos plutôt que pour le mien, j'entrai dans la pensée qu'il n'y aurait pas de mal à avoir des rentes jusqu'à ce que le trouble fût apaisé, sauf à y renoncer ensuite. Quelquefois même, à cause de mon imperfection et de mon peu de vertu, je me figurais que c'était peut-être la volonté de Notre Seigneur, puisque sans cela notre dessein ne pouvait s'exécuter; je n'étais donc pas loin de souscrire à cet accommodement. Mais la veille du jour où on devait le conclure, Notre Seigneur me dit, le soir, tandis que j'étais en oraison, de me garder d'accepter cette condition, parce que si nous commencions à avoir des revenus, on ne nous permettrait plus d'y renoncer. Il me donna encore quelques autres avis.

La même nuit, le saint frère Pierre d'Alcantara, qui était déjà mort, m'apparut. Quelque temps avant de quitter cet exil, il m'avait écrit qu'ayant appris la vive opposition faite à notre établissement, et la grande persécution suscitée contre nous, il s'en était réjoui, parce que ces efforts du démon étaient un signe que Notre Seigneur y serait fidèlement servi, mais que je devais me garder de consentir à posséder des revenus; ce qu'il me répétait deux ou trois fois dans la même lettre; et il m'assurait que si j'étais fidèle à son conseil, tout réussirait au gré de mes désirs. Depuis que Dieu l'avait appelé à lui, je l'avais vu deux autres fois, et j'avais été témoin de la grandeur de sa gloire. Son aspect, loin de m'inspirer aucune terreur, avait inondé mon âme de joie; car il m'apparaissait toujours dans l'état d'un corps glorieux, rempli d'une félicité à laquelle je participais moi-même. Je me souviens que la première fois, en me parlant de l'excès de son bonheur, il me dit, entre autres choses, qu'heureuse était la pénitence qui lui avait mérité une si grande récompense. Je ne répéterai point ce que je crois avoir déjà écrit ailleurs de ces apparitions; je me contenterai d'ajouter que, cette troisième fois, il me montra un visage sévère, et disparut après m'avoir dit seulement que pour rien au monde je ne devais accepter des revenus: et pourquoi donc ne voulais-je pas suivre son conseil? J'en demeurai épouvantée, et après l'avoir raconté le lendemain à ce saint gentilhomme (François de Salcédo) qui s'employait pour nous plus que tout autre, je lui dis qu'il ne fallait en aucune manière consentir à avoir des revenus, mais plutôt continuer à poursuivre le procès. Il en eut une grande joie, sa résolution sur ce point étant plus ferme que la mienne; et il m'a avoué qu'il n'était entré qu'à contre-cœur dans cet accommodement.

L'affaire étant ainsi en bons termes, voilà qu'une personne fort vertueuse, et animée d'un bon zèle, proposa d'en remettre la décision à des hommes savants. Quelques-uns de ceux qui m'assistaient se rangèrent à cet avis; et de là pour moi une nouvelle source d'inquiétudes. Je puis dire avec vérité que de tous les artifices dont le démon traversa mon dessein, nul ne me causa plus de peine; mais Notre Seigneur vint à mon secours dans cette circonstance comme dans toutes les autres. Il ne m'est pas possible, dans une relation aussi succincte que celle-ci, de faire connaître tout ce qu'il y eut à souffrir durant les deux ans qui s'écoulèrent depuis que la fondation de cette maison fut entreprise jusqu'à ce qu'elle fût achevée; mais les six premiers mois et les six derniers furent les plus pénibles.

L'émotion de la ville commençait à se calmer: le père présenté dominicain, auquel nous nous étions d'abord adressées (Pierre Ybañez), sut alors, quoique absent, si bien ménager les esprits, qu’il nous fut d'un très grand secours. Notre- Seigneur l'avait amené ici dans une conjoncture où son appui nous fut extrêmement utile; le divin Maître sembla même ne l'y avoir appelé que pour nous. Car ce père m'a dit depuis qu'il n'avait eu nul sujet de venir, et que c'était comme par hasard qu'il avait appris ce qui se passait; il ne resta ici que le temps nécessaire pour nos intérêts, et il partit. Malgré cela, il négocia si bien par certaines voies auprès de notre père provincial, que, contre toute espérance, celui-ci me permit dès lors de venir, avec quelques religieuses, habiter le nouveau monastère, afin d'y célébrer l’office divin et d'instruire celles qui y étaient déjà [11].

La joie que j'éprouvai le jour où nous y entrâmes fut inexprimable. Avant de pénétrer dans la maison, je m'arrêtai à l'église pour faire oraison: là, étant presque en extase, je vis Notre Seigneur Jésus-Christ qui me recevait avec un grand amour, et qui, en me mettant une couronne sur la tête, me témoignait sa satisfaction de ce que j'avais fait pour sa très sainte Mère. Un autre jour, tandis qu'après complies nous étions toutes en oraison dans le chœur, la très sainte Vierge m'apparut, environnée d'une très grande gloire, et revêtue d'un manteau blanc sous lequel elle nous abritait toutes. Elle me fit en même temps connaître le haut degré de gloire auquel son divin Fils devait élever les religieuses de cette maison.

Nous n'eûmes pas plus tôt commencé à faire l'office, que le peuple fut touché d'une grande dévotion pour ce monastère. Nous reçûmes de nouvelles religieuses [12]. Notre Seigneur changea le cœur de ceux qui nous avaient le plus persécutées; ils se montraient pleins de dévouement à notre égard, et nous faisaient l'aumône, approuvant ainsi ce qu'ils avaient tant condamné. Ils se désistèrent peu à peu du procès intenté contre nous, et ils reconnaissaient que ce monastère était l'œuvre de Dieu, puisque sa souveraine Majesté l'avait fait triompher d'une si étonnante opposition.

Il est certain qu'il ne se trouve plus personne aujourd'hui qui pense qu'il eût été sage d'abandonner une pareille entreprise. Les habitants de la ville sont d'une charité admirable envers nous; sans faire de quête, et sans rien demander à personne, nous nous trouvons pourvues du nécessaire, le bon Maître les portant à nous l'envoyer d'eux-mêmes. J'ai l'intime confiance qu'il en sera toujours ainsi. Les religieuses étant en petit nombre, pourvu qu'elles remplissent bien leurs devoirs, comme Notre Seigneur leur en fait maintenant la grâce, je suis assurée qu'il prendra d'elles le même soin à l'avenir, et qu'ainsi elles ne seront jamais à charge ni importunes à qui que ce soit.

C'est pour moi une indicible consolation de vivre au milieu de ces âmes si détachées de tout. L'unique objet qui les occupe est de toujours progresser dans le service de Dieu. La solitude fait leurs délices. Une visite même de leurs proches parents leur est à charge, à moins qu'elles n'y trouvent de quoi enflammer davantage l'amour qu'elles ont pour leur Époux. Aussi, il ne vient à cette maison que des personnes qui ont soif comme elles de ce divin amour: les autres n'y goûteraient aucune satisfaction, et ne leur en procureraient aucune. Tous leurs discours ne sont que de Dieu; et quiconque voudrait leur parler d'autre chose ne serait point entendu d'elles et ne les entendrait pas.

Nous observons la règle de Notre-Dame du Mont-Carmel sans aucune mitigation, telle qu'elle a été rédigée par frère Hugues, cardinal de Sainte-Sabine, et approuvée l'an 1248 [13] par le pape Innocent IV, en la cinquième année de son pontificat.

Il me semble maintenant que tous les travaux que nous avons soufferts ne pouvaient être mieux employés. Il y a, je l'avoue, de l'austérité dans notre genre de vie: mangeons jamais de viande sans nécessité, nous jeûnons huit mois de l'année, et nous pratiquons beaucoup d'autres choses que l'on peut voir dans la règle primitive [14]. Néanmoins, les sœurs comptent tout cela pour si peu, qu'elles gardent encore d'autres observances qui nous ont paru nécessaires pour accomplir cette règle avec plus de perfection. J'espère de la bonté de Notre Seigneur qu'il donnera de très grands accroissements à ce qui est commencé, puisqu'il lui a plu de me le promettre.

L'autre maison que cette béate, dont j'ai parlé plus haut (Mère Marie de Jésus), voulait fonder, a été également favorisée de Notre Seigneur, et se trouve heureusement établie à Alcala, mais ce n'a pas été non plus sans de grandes oppositions, ni sans qu'il y ait eu bien des peines à souffrir. Je sais que l'on y vit dans une entière régularité, et dans l'observance de notre première règle. Plaise à Notre Seigneur que tout soit à son honneur et à sa louange, comme à l'honneur et à la louange de la glorieuse Vierge Marie, dont nous portons l’habit! Amen.

Je crains, mon père, de vous avoir causé de l'ennui par une si longue relation de ce qui s'est passé touchant ce monastère. Elle est néanmoins fort brève, eu égard aux travaux que l'on a soufferts, et aux merveilles que Notre Seigneur a faites pour l'établir. Plusieurs personnes ont été témoins de ces merveilles, et peuvent les affirmer avec serment. C'est pourquoi je vous supplie, pour l'amour de Dieu, dans le cas où vous jugeriez à propos de détruire toutes les autres parties de cet écrit, de conserver celle qui regarde ce monastère, et de la remettre, après ma mort, entre les mains des religieuses qui me survivront. Toutes celles qui viendront dans la suite se sentiront puissamment excitées à servir Dieu, et non seulement à maintenir, mais à accroître ce qui a été commencé, lorsqu'elles liront dans ce récit tout ce que Notre Seigneur a fait pour cette maison, par une main aussi faible et aussi misérable que la mienne.

Puisqu'il a montré, par une protection si visible, combien il avait à cœur la fondation de ce monastère, quel mal ne feraient point, et quels châtiments ne mériteraient pas celles qui commenceraient à se relâcher de la perfection qu'il y a lui-même établie! Sa grâce rend ce joug si léger qu'on peut, il est facile de le voir, le porter sans fatigue et y trouver même de la douceur. Les âmes qui n'ont pas d'autre désir que de jouir seul à seul de Jésus-Christ, leur époux, rencontrent ici toutes les facilités pour vivre constamment en sa compagnie. Demeurer seules avec lui seul, tel doit être le but continuel de leurs désirs. Dans ce dessein, qu'elles ne cherchent point à être plus de treize; je sais par expérience, et par l'avis de plusieurs personnes fort habiles, que pour conserver l'esprit de notre règle, et pour vivre d'aumônes, sans rien demander, il ne faut pas dépasser ce nombre [15]. Que là-dessus on croie de préférence celle qui, avec tant de travaux et l'assistance de tant de prières, a tâché d'établir ce qu'elle a jugé le meilleur. On peut encore se convaincre que c'est là ce qui convient, en voyant le contentement, l'allégresse, et la santé plus forte dont nous jouissons toutes depuis que nous sommes dans ce monastère, sans que les observances qui s'y pratiquent nous aient jamais pesé.

Si cette vie parait trop austère à quelques personnes, elles doivent l'attribuer à leur peu de ferveur, et non à la règle qui se garde ici, puisque des femmes délicates et de peu de santé, soutenues seulement par cet esprit intérieur, l'observent avec tant de satisfaction. Je conseille à ces personnes de s'en aller en d'autres monastères, où elles se sauveront en vivant conformément à leur institut.


[6] Le bref pour la fondation était adressé à doña Guiomar de Ulloa et à sa mère, doa Aldonce de Guzman; il était daté du 7 février de l'année 1562, qui est la troisième du pontificat de Pie IV. il portait en substance la permission d'établir, dans la ville même dAvila, ou hors de ses murs et sous l'autorité de l'évêque diocésain, un couvent de religieuses de l'ordre du Mont-Carmel, suivant la rigueur primitive. On accordait aux religieuses tous les droits et toutes les exemptions dont jouissaient les autres maisons de l'ordre, avec défense à qui que ce fût de les troubler en rien. On commettait à son exécution le prieur du couvent de Magacela, qui ne relevait d'aucun diocèse, le grand chapelain de l'église de Tolède, et l'archidiacre de celui de Ségovie.
[7] Les quatre vierges que Thérèse avait choisies pour être les premières pierres de cet édifice spirituel, étaient Antoinette de Henao, sa parente, et qui, dans le Carmel, porta le nom d'Antoinette du Saint-Esprit; Marie de Paz, qui porta celui de Marie de la Croix; Ursule de Revilla, qui garda celui d'Ursule des Saints, qu'elle avait reçu au baptême; et Marie d'Avila, qui prit celui de Marie de Saint-Joseph.
A cette même époque, la sainte fondatrice changea son nom de Thérèse de Ahumada en ce beau nom de Thérèse de Jésus, sous lequel elle devait être connue et invoquée de toute l'Église catholique. Cette abdication du nom de famille qui éteint jusqu'au dernier souvenir du siècle, devint dès lors une loi dans tout le Carmel; et cette loi a été fidèlement observée jusqu'à nos jours.
Dieu avait réservé au maître Gaspard Daza une grande consolation dans ce jour de la renaissance du Carmel. Délégué par l'évêque, il eut le bonheur de dire la première messe et de mettre le très saint Sacrement dans l'église de Saint-Joseph d'Avila. Après la messe, il fit la cérémonie de la prise d'habit des quatre novices.
Les deux religieuses du couvent de l'incarnation qui y assistèrent étaient Agnès et Anne de Tapia, cousines germaines de la sainte, dont on a vu les biographies à la fin du chapitre XXXII. Gonzalve de Aranda, Julien d'Avila, François de Salcedo, Jean de Ovalle et Jeanne de Ahumada son épouse, étaient présents à la mémorable et sainte solennité de ce jour. Guiomar de Ulloa, dont on avait jugé l'absence nécessaire, était en esprit à côté de sa sainte amie dans ce petit cénacle.
[8] L'église primitive de Saint-Joseph d'Avila existe encore. Elle se compose d'une nef de dix. mètres de long sur cinq de large. A gauche est une fenêtre munie de trois grilles: la première est de fer; les deux autres, en bois, sont les grilles primitives placées dans le chœur par la sainte elle-même. Du vivant de celle-ci, une nouvelle église fut donnée au monastère par la munificence de l'évêque d'Avila don Alvaro de Mendoza, qui voulut y reposer après sa mort; elle fut reconstruite en 1608. Les deux églises sont entièrement distinctes l'une de l'autre. Les religieuses peuvent encore faire usage de l'ancien chœur du premier sanctuaire, actuellement dédié à l'apôtre saint Paul. Les statues de saint Joseph et de l'Enfant Jésus, qui ornent la façade de la grande église, ne sont plus celles que la sainte fit placer au frontispice du sanctuaire primitif.
[9] C'était le P. Dominique Bañès Dans le manuscrit de la sainte, on lit ici en marge de la propre main de ce père: Ceci se passa l'année 1562, à la fin d'août. Je me trouvai présent et je donnai effectivement ce conseil. Fr. Dominique Baès. Tandis que j'atteste ceci le 2 mai 1575, cette mère a fondé neuf monastères en grande régularité.
[10] Gaspard Daza, que l'évêque d'Avila avait chargé de leur procurer les secours spirituels, ne les en laissait pas manquer. Il leur disait tous les jours la messe, il les prêchait et leur administrait les sacrements. On tenait le chapitre selon l'usage; on faisait les pénitences prescrites dans l'ordre. Au chœur, on récitait le petit office de la très sainte Vierge, en attendant que Thérèse vint leur apprendre à dire le grand office.
[11] Ce qui acheva de déterminer le P. Ange de Salazar à céder au désir de la ssainte, fut cette parole qu’elle lui dit: « Prenez garde, mon père, de résister au saint-Esprit. » Ce fait, que l'humilité de la sainte a passé sous silence, est affirmé par le provincial lui-même, dans les actes du procès de la canonisation. D'après ce que la sainte a écrit au prologue du livre des Fondations, elle serait revenue à Saint-Joseph avant la fin de l'année: « En 1562, dit-elle, l'année même de la fondation de Saint-Joseph d’Avila, étant dans ce monastère dans ce monastère, je reçus ordre du père Garcia de Toledo… » Selon Ribera, ce ne serait qu’au milieu du carême de l'année 1563 que saint Joseph aurait ramené Thérèse au qu'au milieu ses filles.
Les religieuses que la sainte prit avec elle du couvent de l'Incarnation, étaient Anne de Saint-Jean, Anne des Anges, Marie-Isabelle et Isabelle de Saint-Paul. Celle-ci était parente de la sainte, qui l’avait gardée quelques années avec elle dans le couvent de l’Incarnation;elle était alors novice, et n'avait point voulu faire profession dans ce monastère, parce qu’elle était fermement résolue de ne se lier à Jésus-Christ par des liens éternels que dans le monastère de Saint-Joseph d’Avila.
La sainte, rendue au milieu de ses filles, donna un grand exemple d’humilité: au lieu de prendre le gouvernement du monastère, comme son titre de fondatrice semblait l’y obliger, elle établit prieure la sœur Anne de Saint-Jean, et sous prieure la sœur Anne des Anges. Mais ces dispositions ne furent pas longtemps suivies; l'évêque d'Avila et le provincial des carmes, sans avoir égard à l'humilité de la sainte, la chargèrent de la conduite de la maison.
[12] Parmi elles fut Marie de Saint-Jérôme, nièce de sainte Thérèse, et qui, la première après la sainte, gouverna en qualité de prieure le monastère de Saint-Joseph d'Avila.
[13] Cette date est celle qui est donnée par le Bullaire des Carmes. Le Bullaire romain donne celle de 1247.
[14] Voici l'ordre des exercices qui était suivi à Saint-Joseph d'Avila, et qui, sauf une différence pour l'heure des complies, s'observe encore de nos jours dans les monastères des filles de sainte Thérèse. A neuf heures du soir, les religieuses se réunissaient au chœur pour dire matines et laudes. L'office terminé, elles faisaient l'examen de conscience. On lisait ensuite les points de la méditation du lendemain. Ces exercices duraient jusqu'à onze heures environ. On donnait alors le signal du repos. Elles se levaient à cinq heures depuis le jour de Pâques jusqu'au 14 septembre, et à six dans les autres temps. Après le lever, elles employaient une heure entière à l'oraison mentale. L'oraison terminée, elles disaient les petites heures, et entendaient la sainte messe. Chacune se retirait ensuite dans sa cellule, ou dans le lieu de son office, pour s’y occuper au travail. La sainte voulut qu'elles travaillassent à part et non dans une salle commune, afin qu'elles pussent plus facilement se maintenir en la présence de Notre Seigneur, et continuer à s'entretenir avec lui.
Quelque temps avant le repas, on donnait le signal pour faire l'examen de conscience.
Les jours de jeûne de l'ordre, le dîner était à onze heures; les jours de jeûne de l’Église, à onze heures et demie; dans les autres temps, à dix heures. Le jeûne commençait le 14 septembre, fête de l'Exaltation de la sainte Croix, et se prolongeait jusqu'à Pâques. Après le repas, qui était toujours accompagné d'une pieuse lecture, les religieuses se réunissaient pour prendre ensemble leur récréation; mais durant ce temps, elles devaient s'occuper à quelque travail.
A deux heures, elles se rendaient au chœur pour dire vêpres Chaque religieuse faisait ensuite une lecture spirituelle. Après cette lecture, elles s’occupaient de leurs travaux ou de leurs offices, jusqu'à complies.
Les complies étant dites, les religieuses consacraient de nouveau, comme le matin, une heure entière à l'oraison. Venait ensuite le repas, qui était suivi de la récréation. A la fin de la récréation on donnait le signal du grand silence, qui devait s'observer jusqu'au lendemain, après la récitation de prime. (Ribera, Vie de sainte Thérèse, liv. II, ch. II.)
L'ordre des exercices que nous venons d'indiquer n'est que le corps de la réforme de sainte Thérèse. L'âme l'esprit, l'essence de cette réforme, c'est l'oraison, jointe au zèle apostolique. S'unir à Dieu par la contemplation, venir en aide à l'Église militante par un nouveau secours de prières et de pénitences, c'est la fin sublime que sainte Thérèse s'est proposée.
[15] Sainte Thérèse avait désiré que chacun de ses couvents ne comptât que treize religieuses. On désignait déjà ses filles sous le nom de « las Trece, les Treize ». Cependant elle jugea elle-même, au bout de peu de temps, que ce nombre était insuffisant. Elle le porta à vingt pour les couvents Ayant des revenus et cette règle devint ensuite générale pour tous les monastères.

   

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