Dieu
nous a donné la vie ; Il est pour nous Providence, et Miséricorde. Il est aussi
le Rédempteur. “Il nous a
rendus siens par le Baptême, et nous a nourris
tendrement selon le cœur et selon le corps, par un Amour incompréhensible; et
pour nous acquérir la vie, Il a supporté la mort, et nous a nourris de sa
propre Chair et de son propre Sang... Ce divin Rédempteur étendu sur la Croix...
meurt d’amour pour nous, mais d’un Amour plus douloureux que la mort même, ou
d’une mort plus amoureuse que l’amour même.”
[1]
Par sa Providence, Dieu pourvoit à tous nos besoins puisque “c’est l’acte par
lequel Dieu peut fournir aux hommes et aux anges les moyens nécessaires ou
utiles à leur fin... Cette Providence touche tout, règne sur tout et réduit tout
à sa Gloire.””[2]
Donc, la Providence pourvoit aussi à nos besoins spirituels, et ses grâces sont,
elles aussi, variées à l’infini : “... Puisque la beauté du monde requiert la
variété, il faut qu’il y ait des différentes et inégales perfections dans les
choses, et que l’une ne soit pas l’autre... C’en est de même dans les choses
surnaturelles: chaque personne a son don; un ainsi, et l’autre ainsi, dit le
Saint-Esprit... L’Église est un jardin diapré de fleurs infinies; il y en faut
donc de diverses grandeurs, de diverses couleurs, de diverses odeurs et en somme
de différentes perfections.”
[3]
Toutes ces pièces diversifiées ont leur usage propre, “ou pour faire paraître
la très sainte justice de Dieu, ou pour manifester la triomphante miséricorde de
sa bonté, comme par une sonnerie de louanges... Son Amour envers nous est un
abîme incompréhensible : c’est pourquoi il nous a préparé une riche suffisance,
ou plutôt une riche affluence de moyens propres pour nous sauver... sa sagesse
souveraine ayant, par son infinie science, prévu et connu tout ce qui était
requis à cet effet.”
[4]
Dieu connaît bien notre faiblesse, aussi sa Providence nous a-t-elle aussi donné
une sainte crainte, que François de Sales appelle “crainte servile”
jusqu’à ce que nous ayons enfin acquis la charité parfaite: “Tandis que la
Providence divine fait la broderie des vertus et l’ouvrage de son Saint Amour en
nos âmes, elle y laisse toujours la crainte servile ou mercenaire, jusques à ce
que la charité étant parfaite, elle ôte cette aiguille piquante.”
[5]
En effet, “les éclairs, tonnerres, foudres, tempêtes, inondations,
tremblements de terre et autres tels accidents inopinés excitent même les plus
indévots à craindre Dieu...” Il sont d’ailleurs appelés “voix du
Seigneur” ou “paroles du Seigneur” par le psalmiste. Cette crainte
servile est “un effet d’une très bonne cause, et cause d’un très bon effet,
car elle provient de la connaissance naturelle que Dieu nous a donnée de sa
Providence et nous fait reconnaître combien nous dépendons de la toute puissance
souveraine, nous incitant à l’implorer et, se trouvant en une âme fidèle, elle
lui fait beaucoup de bien.”
[6]
Par sa Miséricorde, Dieu regarda notre nature humaine et la prit en pitié.
“Sa Miséricorde a été plus salutaire pour racheter la race des hommes que la
misère d’Adam avait été vénéneuse pour la perdre... La faveur céleste prend
plaisir de convertir toutes ces misères au plus grand profit de ceux qui
l’aiment... Sa miséricorde, comme une huile sacrée, se tient au-dessus du
jugement, et ses misérations (sic) surmontent toutes ses œuvres.”[7] "Dieu
ne délivre personne de la damnation sinon par sa Miséricorde gratuite, par
Jésus-Christ Notre Seigneur.”
[8]
La Miséricorde de Dieu va encore beaucoup plus loin: “elle convertit et
gratifie ordinairement les âmes en une manière si douce, si suave et délicate,
qu’à peine aperçoit-on son mouvement; et néanmoins, il arrive quelquefois que
cette bonté souveraine... comme un fleuve enflé et pressé de l’affluence de ses
eaux qui débordent... fasse une effusion de grâces si impétueuse,
quoiqu’amoureuse, qu’en un moment elle détrempe et couvre toute une âme de
bénédictions, afin de faire paraître les richesses de son Amour...
La grâce a des
forces non pour forcer, mais pour allécher le cœur; elle a une sainte violence
non pour violer notre liberté, mais pour la rendre amoureuse; et elle agit si
fortement et si suavement que notre volonté ne demeure point accablée sous une
si puissante action; elle nous presse, mais elle n’oppresse pas notre franchise
(liberté)... tant la main de Dieu est aimable au maniement de notre cœur, tant
elle a de dextérité pour nous communiquer sa force sans nous ôter notre liberté
et pour nous donner le mouvement de son pouvoir sans empêcher celui de notre
vouloir ajustant sa puissance à sa suavité...”
[9]
Nous devons avoir une extrême complaisance de voir comment Dieu exerce sa
Miséricorde, “car sa justice et sa Miséricorde sont également aimables et
admirables;.. Ainsi, la mort, les afflictions, les sueurs, les travaux dont
notre vie déborde... sont les peines du péché; mais, par sa douce Miséricorde,
ce sont aussi des échelons pour monter au Ciel.”
[10]
Ayant contemplé la Miséricorde divine, François de Sales peut prier: “O bonté
d’infinie douceur, que votre volonté est aimable! Que vos faveurs sont
désirables! Vous nous avez créés pour la vie éternelle et votre Cœur Sacré,
comme le cœur maternel rempli d’un amour incomparable, abonde en lait de
miséricorde, soit pour pardonner aux pénitents, soit pour perfectionner les
justes.”
[11]
Dieu
perfectionne les justes, pour les remplir toujours davantage de son Amour, les
transformer en Lui, et les conduire à l’union avec Dieu. Dieu leur donne
d’abord la grâce du recueillement, lequel “ne gît pas en notre volonté, mais
advient quand il plaît à Dieu de nous faire cette grâce... Il arrive quelquefois
que Notre Seigneur répande imperceptiblement au fond du cœur une certaine
suavité qui témoigne sa présence, et alors les puissances, et même les sens
extérieurs de l’âme, par un certain secret consentement, se retournent du côté
de cette intime partie où est le très aimable et très cher Époux... Notre
Seigneur retire ainsi à soi toutes les facultés de notre âme, lesquelles se
ramassent autour de Lui comme en leur objet très désirable... Ce recueillement
se fait par l’amour qui, sentant la présence du Bien-Aimé par les attraits qu’Il
répand au milieu du cœur, ramasse et rapporte toute l’âme vers Lui par une très
aimable inclination, par un très doux contournement et par un délicieux repli de
toutes les facultés du côté du Bien-aimé qui les attire à soi par la force de la
suavité.”
[12]
O Dieu éternel, quel mystère quand vous manifestez votre présence par les
parfums délicieux que vous jetez dans nos cœurs! “Alors toutes les
puissances de nos âmes entrent en un agréable repos, avec un apaisement si
parfait qu’il n’y a plus aucun sentiment que celui de la volonté, laquelle,
comme l’odorat spirituel, demeure doucement engagée à sentir sans s’en
apercevoir, le bien incomparable d’avoir son Dieu présent.”
[13]
Dieu présent peut agir et nous unir à Lui, ” car nulle âme ne peut s’unir à
Dieu si Dieu ne va à elle; et nulle âme ne peut aller à Dieu si elle n’est tirée
par Lui.”
[14] Notre Seigneur
pria son Père pour que tous ses disciples soient uns, comme Lui et le Père
étaient UN.
L’âme juste peut devenir épouse de Notre Seigneur et être aussi très étroitement
unie à son Seigneur. D’abord par la puissance de la Charité: “Dieu nous ayant
donné sa Charité, et par elle la force... son Amour ne Lui permet pas de nous
laisser aller seuls; mais il le fait mettre en chemin avec nous, il le presse et
sollicite son Cœur de solliciter et pousser le nôtre à bien employer la sainte
Charité.”
[15]
Dès lors, avec la Charité, l’âme va rapidement se transformer. “A force de se
plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu, et notre volonté se transforme en
celle de la divine Majesté par la complaisance qu’elle y prend... La
complaisance sacrée nous transforme en Dieu que nous aimons; et à mesure qu’elle
est plus grande, la transformation est plus parfaite... L’amour est le plus
pressant docteur et solliciteur pour persuader au cœur qu’il possède
l’obéissance aux volontés et intentions du Bien-aimé... Quiconque se plaît
véritablement en Dieu, désire de plaire fidèlement à Dieu et, pour lui plaire,
de se conformer à Lui.”
[16]
Nos cœurs ont soif de Dieu, une soif qui ne peut être étanchée que par
Lui-même. Une soif qui ne sera vraiment et totalement étanchée qu’au ciel: “O
Jésus! quelle joie pour le cœur humain de voir la face de la Divinité, face
tant désirée, bien plus! face, l’unique désir de nos âmes!... Quelle union de
notre cœur à Dieu là-haut au Ciel, où, après ces désirs infinis du vrai bien,
jamais assouvis en ce monde, nous en trouverons la vivante et puissante
source!...” Quelle joie alors pour notre âme, toute haletante de la soif
extrême du vrai bien, quand elle rencontrera la source inépuisable de la
Divinité: “O vrai Dieu, quelle sainte et suave ardeur à s’unir et joindre à
ces mamelles fécondes de la toute bonté, ou pour être tout abîmée (l’âme) en
elles, ou afin qu’elle vienne toute en nous!”
[17]
Nous contemplerons alors Dieu comme notre fontaine de la béatitude et de la vie
éternelle, nous contemplerons, non par la foi comme maintenant, mais “nous Le
verrons par la lumière de gloire dans laquelle nous serons plongés et abîmés en
elle... Dieu répandra dans notre entendement la lumière sacrée de gloire qui lui
fera jour dans cet abîme de lumière inaccessible, afin que par la clarté de la
gloire nous voyions la clarté de la divinité.”
[18]
La
volonté gouverne nos facultés. "Elle a du pouvoir sur l’entendement et sur la
mémoire,... non par force, mais par autorité, en sorte qu’elle n’est pas
toujours infailliblement obéie... ” Si nous n’y prenons garde, notre volonté
peut être dominée par nos mauvaises passions: “Avant que tu fasses le péché,
tant que le péché n’est pas encore en ton consentement mais seulement en ton
sentiment, c’est-à-dire qu’il est encore en ton appétit et non en ta volonté,
ton appétit est sous toi, et tu le maîtriseras... Avant que ta volonté consente
à l’appétit, elle domine sur lui, mais, après le consentement, elle devient son
esclave.”
[19]
L’amour est la première -et même le principe et l’origine- de toutes les
passions. “C’est pourquoi c’est lui qui entre le premier dans le cœur, et
parce qu’il pénètre et perce jusqu’au fond de la volonté où il a son siège, on
dit qu’il blesse le cœur... Parlant de l’Amour sacré, il y a en sa pratique une
sorte de blessure que Dieu lui-même fait quelquefois en l’âme qu’Il veut
grandement perfectionner. Car Il lui donne des sentiments admirables et des
attraits non pareils pour sa souveraine bonté, comme la pressant et sollicitant
de L’aimer, et alors elle s’élance de force comme pour voler plus haut vers son
divin objet; mais demeurant courte parce qu’elle ne peut pas tant aimer comme
elle désire, ô Dieu! elle sent une douleur qui n’a point d’égale... Le cœur
amoureux de son Dieu, désirant infiniment d’aimer voit bien que néanmoins il ne
peut ni assez aimer ni assez désirer... Désirant d’aimer, il reçoit de la
douleur; mais aimant à désirer, il reçoit de la douceur...”
[20]
Souvenons-nous que c’est toujours l’amour qui domine la volonté: “L’amour
étant la première complaisance, il précède le désir,... il précède la
délectation,... il précède l’espérance,... Il précède la haine, car nous ne
haïssons le mal que pour l’amour que nous avons envers le bien... La droite
volonté est l’amour bon, la volonté mauvaise est l’amour mauvais, c’est-à-dire
en un mot, que l’amour domine tellement en la volonté qu’il la rend toute telle
qu’il est... La volonté change aussi de qualité selon l’amour qu’elle épouse...
La volonté n’aime qu’en voulant aimer, et de plusieurs qui se présentent à elle,
elle peut s’attacher à celui que bon lui semble... Elle est maîtresse sur les
amours... et demeure asservie à celui qu’elle choisit. Pendant qu’un amour vit
en la volonté, il y règne et elle demeure soumise à ses mouvements... Pour faire
vivre et régner l’Amour de Dieu en nous, nous devons amortir l’amour-propre, et
si nous ne pouvons l’anéantir entièrement, au moins nous devons l’affaiblir en
sorte qu’il n’y règne plus.”
[21]
La charité, c’est d’abord une amitié, mais “une amitié vraie car elle est
réciproque. Dieu ayant aimé éternellement quiconque L’a aimé, L’aime ou L’aimera
temporellement. Elle est déclarée et reconnue mutuellement, attendu que Dieu ne
peut ignorer l’amour que nous avons pour Lui, puisque Lui-même nous le donne...
Nous sommes en perpétuelle communication avec Lui, qui ne cesse de parler à nos
cœurs par inspirations, attraits et mouvements sacrés...
Cette amitié de dilection, n’est pas un amour que les forces de la nature ni
humaine ni angélique puissent produire, mais le Saint-Esprit le donne et le
répand en nos cœurs... La charité, donc, est un amour d’amitié, une amitié de
dilection de préférence, mais de préférence incomparable, souveraine et
surnaturelle, laquelle est comme un soleil en toute l’âme, pour embellir de ses
rayons, en toutes les facultés spirituelles pour les perfectionner, en toutes
les puissances pour les modérer, mais en la volonté comme en son siège, pour y
résider et lui faire chérir et aimer son Dieu sur toutes choses. Oh! que
bienheureux est l’esprit dans lequel cette sainte dilection est répandue,
puisque tous biens lui arrivent pareillement avec elle.”
[22]
L’amour de Dieu conduit nécessairement à l’amour du prochain.”La même charité
qui produit les actes de l’amour de Dieu produit aussi ceux de l’amour du
prochain... Une même dilection s’étend à chérir Dieu et le prochain. Car aimer
le prochain par charité, c’est aimer Dieu en l’homme, ou l’homme en Dieu ; c’est
chérir Dieu seul pour l’amour de Lui-même et la créature pour l’amour de Lui...
Notre prochain, Dieu l’a formé comme nous à son image et ressemblance. “C’est
pourquoi non seulement le divin Amour commande maintes fois l’amour du prochain,
mais il le produit et répand lui-même dans le cœur humain, comme sa
ressemblance et son image... L’amour sacré de l’homme envers l’homme est la
vraie image de l’amour céleste de l’homme envers Dieu... Ainsi, le comble de
l’Amour de la divine bonté du Père céleste consiste en la perfection de l’amour
de nos frères.”
[23]
Comme tous les mystiques, François de Sales s’est arrêté, ou plutôt a été arrêté
par la volonté divine sur l’Amour de prédilection (pré-dilection) que le
Seigneur a pour les âmes qu’Il s’est choisies de toute éternité, pour ses âmes
privilégiées. Il est impossible de contempler l’Amour de Dieu sans rapporter ici
quelques paroles de François de Sales concernant les âmes privilégiées.
Tout d’abord en ce qui concerne la manière dont s’exerce la Miséricorde de Dieu
en faveur des âmes pécheresses, c’est-à-dire nous tous:
“Il faut donner
un rang particulier à ces âmes privilégiées dans lesquelles Dieu s’est plu
d’exercer non la seule affluence mais l’inondation, et s’il faut ainsi dire, non
la seule libéralité et effusion, mais la prodigalité et profusion de son
Amour...”
La justice divine doit s’exercer, parfois sévèrement, mais “sa Miséricorde
convertit et gratifie ordinairement les âmes en une manière si douce, si suave
et délicate qu’à peine aperçoit-on son mouvement ; et néanmoins, il arrive
quelquefois que cette bonté souveraine, surpassant ses rivages ordinaires, comme
un fleuve enflé et pressé de l’affluence de ses eaux, et qui se déborde dans la
plaine, elle fait une effusion de ses grâces si impétueuse quoiqu’amoureuse,
qu’en un moment elle détrempe et couvre toute une âme de bénédictions, afin de
faire paraître les richesses de son amour... Ainsi, sa Miséricorde fait
l’exercice de sa libéralité par voie ordinaire sur le commun des hommes, et sur
quelques-unes aussi par des moyens extraordinaires.”
[24]
Quelle est donc l’action de la charité répandue sur ceux qui sont consacrés au
service de Dieu ? “Le motif de la divine charité répand une influence de
perfection particulière sur les actions vertueuses de ceux qui se sont
spécialement dédiés à Dieu pour le servir à jamais. Tels sont les évêques et les
prêtres qui, par une consécration sacramentelle et par un caractère spirituel
qui ne peut être effacé, se vouent, comme serfs stigmatisés et marqués, au
perpétuel service de Dieu. Tels les religieux qui, par les vœux, solennels ou
simples, sont immolés à Dieu en qualité d’hostie vivante et raisonnable. Tels
tous ceux qui se rangent aux congrégations pieuses (expression prise dans
son sens du 16e siècle) dédiées à jamais à la Gloire divine. Tels
tous ceux encore qui, à dessein, se procurent de profondes et puissantes
résolutions de suivre la volonté de Dieu, faisant pour cela des retraites de
quelques jours afin d’exciter leurs âmes, par divers exercices spirituels, à
l’entière réformation de leur vie.”
[25]
Le
Cœur de Jésus se révèle d’abord durant la Passion: “Représentons-nous le doux
Jésus chez Pilate où, pour l’amour de nous, les gens d’armes ministres de la
mort, le dévêtirent de ses habits l’un après l’autre et, non contents de cela,
lui ôtèrent encore sa chair, la déchirant à coups de verges et de fouets, comme
ensuite son âme fut dépouillée de son corps et le corps de sa vie, par la mort
qu’il souffrit sur la Croix. Mais, trois jours passés, par sa sainte
Résurrection, l’âme se revêtit de son corps glorieux et le corps de sa chair
immortelle... L’Amour fit tout cela.”
[26]
Car Jésus est venu, par amour, pour nous sauver, nous délivrer du péché, et nous
rendre la vie: “Vous nous avez créés pour la vie éternelle et votre Cœur
sacré, comme le cœur maternel rempli d’un Amour incomparable, abonde en lait de
miséricorde, soit pour pardonner aux pénitents, soit pour perfectionner les
justes.”
[27]
Pour parler de l’Amour de Jésus, de sa charité à notre égard, pour parler du
Cœur de Jésus sans toutefois le nommer, Saint François de Sales est
intarissable, et il est impossible de ne pas s’arrêter longuement sur une telle
contemplation amoureuse. “La charité de Jésus-Christ nous presse, elle nous
force et violente par son infinie douceur, pratiquée en tout l’ouvrage de notre
rédemption, dans lequel est apparu la bénignité et l’Amour de Dieu envers les
hommes; car qu’est-ce que ce divin Ami ne fit pas en matière d’amour ?
1° Il nous aima
d’amour de complaisance car ses délices furent d’être avec les enfants des
hommes et d’attirer l’homme à soi, se rendant homme Lui-même.
2° Il nous aima
d’amour de bienveillance, jetant sa propre Divinité en l’homme en sorte que
l’homme fût Dieu.
3° Il s’unit à
nous par une conjonction incompréhensible, en laquelle il adhéra, et se serra à
notre nature, si fortement, indissolublement et infiniment, que jamais rien ne
fut si étroitement joint et pressé à l’humanité, qu’est maintenant la très
sainte Divinité, en la personne du Fils de Dieu.
4° Il s’écoula
tout en nous et fondit sa grandeur pour la réduire à la forme et figure de notre
petitesse; d’où il est appelé source d’eau vive, rosée et pluie du ciel.
5° Il s’est en
quelque sorte quitté Soi-même, Il s’est renoncé Soi-même, Il s’est épuisé de sa
grandeur et de sa gloire, il s’est démis du trône de son incompréhensible
Majesté, et Il s’est anéanti Soi-même pour venir à notre humanité, nous remplir
de sa divinité, nous combler de sa bonté, nous élever à sa dignité et nous
donner le divin être d’enfant de Dieu... Celui qui habitait en Soi-même habite
maintenant en nous... et Celui qui éternellement n’avait été que Dieu sera
éternellement à jamais encore homme, tant l’amour de l’homme a ravi Dieu...
6° Il admira
souvent par dilection, comme il fit le Centenier et la Cananéenne.
7° Il contempla
le jeune homme qui avait jusqu’à l’heure gardé les commandements...
8° Il prit une
amoureuse quiétude en nous... dans le sein de sa mère, et en son enfance.
9° Il a eu des
tendretés admirables envers les petits enfants qu’Il prenait dans ses bras...
envers Marthe et Magdeleine, envers Lazare qu’Il pleura, comme sur la cité de
Jérusalem.
10° Il fut animé
d’un zèle sans égal envers notre nature humaine...
11° L’Amour qu’Il
nous portait Le pressait afin de nous voir délivrés par sa mort, de la mort
éternelle...
12° Enfin, Théotime, ce divin Sauveur mourut entre les flammes et ardeurs de
la dilection, à cause de l’infinie charité qu’Il avait envers nous et par la
force et vertu de l’Amour; c’est-à-dire, Il mourut en l’Amour, par l’Amour, pour
l’amour de l’Amour... O Dieu, quel brasier pour nous enflammer à faire les
exercices du saint amour pour le Sauveur tout bon, voyant qu’Il les a si
amoureusement pratiqués pour nous qui sommes si mauvais ! Cette charité donc de
Jésus-Christ nous presse.”
[28]
L’amour divin siège sur le Cœur du Sauveur comme sur un trône royal et regarde,
par la fente de son côté percé tous les enfants des hommes. "Car ce Cœur, étant
le roi des cœurs, tient toujours ses yeux sur les cœurs... et le divin Amour
de ce Cœur, ou plutôt ce Cœur du divin Amour voit toujours clairement les
nôtres et les regarde des yeux de sa dilection, mais nous ne le voyons pas...
car si nous le voyions, nous mourrions d’amour pour lui...”
Et ce Cœur dit à chaque âme : “Viens, ma Bien-aimée toute chère...viens
considérer mon Cœur en la caverne de l’ouverture de mon côté, qui fut faite
lorsque mon Corps, comme une maison réduite en masure, fut si pieusement démoli
sur l’arbre de la Croix.”
[29]
Tous les mystiques ont parlé du Cœur du Seigneur avec les comparaisons qui
parlaient le mieux à leurs cœurs, même si ces comparaisons nous étonnent
parfois ou nous semblent désuètes. Écoutons François de Sales: “Le Cœur du
Sauveur, vraie perle orientale, uniquement unique et de prix inestimable, jeté
au milieu d’une mer d’aigreurs incomparables au jour de sa Passion, se fondit en
soi-même, se résolut, défit et écoula en douleur sous l’effort de tant
d’angoisses mortelles; mais l’amour, plus fort que la mort, amollit, attendrit
et fait fondre les cœurs encore bien plus promptement que toutes les autres
passions... et comme l’Époux avait répandu son Amour en son âme dans le cœur de
l’épouse, aussi l’épouse réciproquement verse son âme dans le Cœur de
l’Époux...”
[30]
Il
est impossible de parler de l’Amour de Dieu qui nous révèle le Cœur de Jésus et,
en conséquence, le Cœur de Dieu, sans dire quelques mots des relations existant
entre Marie et son Fils, relations qui nous révèlent aussi la profondeur du Cœur
de Dieu et de son Amour pour ses créatures humaines et de l’amour que ces
dernières devraient lui rendre en échange. Marie “est la Mère de belle
dilection, c’est-à-dire la plus aimable comme la plus aimante, et la plus
aimante la plus aimée. Mère de cet unique Fils, qui est aussi le plus aimable,
le plus aimant et le plus aimé Fils de cette unique mère...”
[31]
Aussi, le cœur de la Vierge Mère “demeura-t-il perpétuellement enflammé du
Saint amour qu’elle reçut de son Fils.”
Dieu destina à sa Sainte Mère une faveur digne de l’amour d’un Fils: il voulut
que sa Rédemption lui fût appliquée préventivement. “De cette manière Dieu
détourna de sa glorieuse Mère toute captivité, lui donnant le bonheur des deux
états de la nature humaine, puisqu’elle eut l’innocence que le premier Adam
avait perdue, et jouit excellemment de la rédemption que le second lui acquit...
Rédemption admirable, chef-d'œuvre du Rédempteur et la première de toutes les
rédemptions, par laquelle le Fils, d’un Cœur vraiment filial,...la préserva non
seulement du péché, comme les anges, mais aussi de tout péril du péché...”
[32]
Et cet amour maternel si pur, “le plus pressant, le plus actif, le plus
ardent de tous, amour infatigable et insatiable, que ne devait-il pas faire dans
le cœur d’une telle mère, et pour le Cœur d’un tel Fils?” Il devait
inévitablement l’associer à la Passion du Fils. "La douleur du Fils fut alors une
épée tranchante qui passa au travers du cœur de la Mère; car ce cœur de Mère
était collé, joint et uni à son Fils d’une union si parfaite que rien ne pouvait
blesser l’un sans blesser l’autre.”
[33]
“Le Cœur de Dieu est si abondant en Amour, son bien infini est si fort que
tous le peuvent posséder sans qu’un chacun pour cela le possède moins, cette
infinité de bonté ne pouvant être épuisée quoiqu’elle remplisse tous les esprits
de l’univers; car après que tout en est comblé, son infinité lui demeure
toujours tout entière sans diminution quelconque...” De la même manière que le
soleil regarde une rose comme si elle était seule, ainsi “Dieu ne répand pas
moins son Amour sur une âme, encore qu’Il en aime une infinité d’autres, comme
s’Il n’aimait que celle-là seule, la fore de sa dilection ne diminuant point par
la multitude des rayons qu’elle répand mais demeurant toujours toute pleine de
son immensité.”
[34]
L’Amour de Dieu est l’amour sans égal parce que la bonté de Dieu est la bonté
sans pareille. Dieu est le seul Seigneur et sa bonté est infiniment éminente,
au-dessus de toute bonté. Nous devons donc L’aimer de cet amour de suprême
dilection que Dieu met en nos cœurs. “C’est cette suprême dilection qui met
Dieu en telle estime dedans nos âmes, et fait que nous prisons si hautement le
bien de lui être agréable, que nous le préférons et affectionnons sur toutes
choses... Quiconque aime Dieu de cette sorte... préférera la bonne grâce de Dieu
à toutes choses et sera toujours prêt à quitter tout l’univers pour conserver
l’amour qu’il doit à la divine bonté... C’est l’Amour d’excellence ou
l’excellence de l’amour qui est commandé à tous les mortels en général et à
chacun d’eux en particulier, dès lors qu’ils ont le franc usage de raison, Amour
suffisant pour chacun et nécessaire à tous pour être sauvé.”
[35]
Ce qui frappe surtout quand on lit les œuvres de Saint François de Sales et
spécialement son Traité de l’Amour de Dieu, c’est la joie et le bonheur qui y
sont renfermés. François de Sales aime Dieu, d’un amour de préférence, d’un
amour total. François de Sales est amoureux de Dieu, et cet amour le rend
heureux. Dieu aime François, et François aime Dieu, et cet amour que François
veut partager à ses Visitandines et aux âmes dévotes, cet amour de François pour
Dieu est une vraie poésie.
François de Sales, évêque de Genève, diocèse difficile, ne disposait que de très
peu de temps pour écrire, et il en souffrait. Obligé d’aller à l’essentiel, il
se devait de délaisser la poésie qui chante l’Amour de Dieu pour ne s’exprimer
qu’en prose. Il n’est pas question de prendre la place de François de Sales,
c’est impossible... Mais pourquoi ne pas essayer, avec nos mots à nous, nos
expressions du XXIe siècle, mais avec le cœur de François, et avec
tout son amour, pourquoi ne pas exprimer ce qu’aimer Dieu veut dire pour nous.
Je
suis tellement émerveillé par l’Amour que Dieu nous donne, je suis tellement
émerveillé de Dieu, émerveillé de l’Amour, l’Amour de Dieu, l’Amour qu’est Dieu,
l’Amour qui est la substance de Dieu, l’Amour qui est l’Être même de Dieu, que
je ne peux m’empêcher de méditer encore sur l’Amour pour mieux Le contempler,
pour mieux L’aimer.
Mon Dieu, je Vous contemple, Dieu-Amour, je Vous contemple mon Dieu, je Vous
contemple et je Vous aime. Je Vous aime d’un pauvre amour, d’un amour à ma
taille, d’un amour à mon échelle, mais d’un amour qui me comble, car cet amour
vient de Vous. C’est Vous mon Dieu, c’est Vous Jésus qui me donnez l’Amour par
lequel je Vous aime.
C’est Vous mon Dieu qui m’avez aimé le premier, je ne sais pas pourquoi. Vous
m’avez aimé parce que Vous avez fait les hommes pour Vous. En les créant, vous
les aimiez, déjà. En les façonnant à votre image Vous pensiez qu’un jour ils
feraient vos délices... Un jour de votre éternité, l’éternel Aujourd’hui de
votre éternité, les hommes enfin revenus à Vous, revenus à l’Amour, à votre
Amour, Vous aimeraient d’amour et feraient votre joie, et feraient vos délices.
Vous nous aimez Seigneur, Vous nous avez faits pour çà, pour être aimés de Vous.
Et nous Vous aimerons, c’est sûr, car Vous voulez que nous Vous aimions: c’est
notre liberté, notre vraie liberté, celle qui est d’amour, qui dit “oui” à
l’Amour. Et nous serons en Vous, et nous vivrons en Vous, et nous ne Vous
quitterons plus, jamais. Le ciel, c’est cela, car le Ciel c’est l’Amour.
Je Vous contemple Jésus, et j’essaie de comprendre ce que c’est que l’Amour,
l’Amour véritable, l’Amour dont Vous nous aimez, l’Amour que Vous nous partagez,
l’Amour qui est Vous. L’Amour qui fait que l’on devient un peu Vous quand on
Vous aime vraiment.
Aimer! Aimer, c’est avoir du plaisir, de la joie, un bonheur infini à demeurer
ensemble. Aimer, c’est partager ce qu’on est avec l’autre que l’on aime. L’amour
c’est un échange permanent de ce qu’est l’un avec tout ce qu’est l’autre. Aimer
c’est vouloir devenir l’autre. C’est penser comme lui, c’est vouloir comme lui,
c’est aller avec lui dans la même direction, c’est partager le même bonheur,
parfois les mêmes peines ou les mêmes soucis...
Aimer, c’est tout donner pour tout recevoir. Aimer c’est devenir l’autre tout en
restant soi-même, car nul ne peut aimer s’il n’a pas su garder son “être”,
l’être qu’il est et qui fait qu’il est aimé. On n’aime pas un fantôme, un
ectoplasme. On n’aime qu’une personne vivante, pensante, aimante, capable de
comprendre l’amour qu’on a pour elle et de pouvoir le rendre. Car l’amour est
relation. S’il n’y a pas un autre, il n’y a pas d’amour. L’amour est l’opposé de
l’égoïsme: l’amour est compagnie, l’égoïsme, effrayante solitude.
Mon Dieu, je Vous aime. Je Vous aime parce que Vous m’aimez d’un Amour qui me
crée. Si Vous ne m’aimiez pas, je n’existerais pas. C’est pour cela Jésus que
j’ai parfois si peur de Vous perdre. Je sais bien, comme l’a appris peu à peu
l’épouse du Cantique des cantiques, que l’Époux a ses occupations, qu’il a sa
liberté, et que l’épouse n’a pas à le retenir pour elle seule. Je sais... Je
sais, mais, comme l’épouse du Cantique, quand Vous êtes absent je suis bien
malheureux, et je Vous cherche. Je vous cherche chez vos amis, je Vous cherche
dans la ville, je Vous cherche dans le monde, je Vous cherche partout. Et
j’implore les gardes: “Avez-vous vu Celui que mon cœur aime?”
Les gardes n’ont jamais vu Celui que mon cœur aime... Les gardes ne savent pas
que Celui que mon cœur aime n’est jamais loin de moi, mais qu’Il est caché tout
au fond de mon cœur. Et qu’Il m’attend! Mais moi je ne sais pas toujours le
trouver, et je m’agite au dehors, alors qu’Il est dedans.
Car aimer c’est aussi, c’est surtout, garder tout au fond de son cœur l’Amour
qui nous aime. Aimer c’est conserver sans cesse tout au fond de son cœur
l’Amour qui s’y cache pour mieux nous faire comprendre que Lui aussi nous
attend. Il veut que nous Le cherchions pour connaître la joie immense des
retrouvailles, Il veut que nous Le cherchions pour mieux découvrir sa tendresse
et sa sollicitude. Il veut que nous Le cherchions pour nous faire faire
l’expérience de sa Miséricorde. Et de l’amour sans faille, de l’amour partagé
naît la confiance, la confiance qui est aussi amour, car c’est l’Amour qui se
fie à l’amour, et l’amour qui dit oui à l’Amour: réciprocité étonnante de
l’amour!...
Jésus ! Quel Amour que le vôtre ! Jésus, Vous Vous cachez parfois pour bien nous
faire comprendre qu’aimer c’est aussi espérer. Car l’espérance naît de la
confiance, donc l’espérance naît de l’amour. L’Espérance est fille de l’Amour,
de l’Amour qui nous attend...
Curieuse Trinité : la foi, l’espérance et la Charité. De la foi jaillit l’amour.
De la foi unie à la charité naît l’espérance...
[2] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 2 -
Chapitre 3
[26] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 9 -
Chapitre 16
[27] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 8 -
Chapitre 4
[33] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 7 -
Chapitre 13
[34] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 10 -
Chapitre 14
[35] Saint
François de Sales “Traité de l’amour de Dieu “ Livre 10 -
Chapitre 6
|