adveniat regnum tuum

     

L’Amour de Dieu

Ô Dieu ! quelle joie nous aurons au Ciel,
lorsque nous verrons le Bien-aimé de nos cœurs,
comme une mer infinie de laquelle les eaux ne sont que perfection et bonté !

Pourquoi devons-nous aimer Dieu ?

François de Sales veut parler, dans ce traité “de l’Amour surnaturel que Dieu répand en nos cœurs par sa bonté, et duquel la résidence est en la suprême pointe de l’esprit, pointe qui est au-dessus de tout le reste de notre âme et qui est indépendante de toute complexion naturelle.” [1]

Au commencement tout était très bon, c’est pourquoi l’Amour que Dieu exerce en nous “commence toujours par la bienveillance, voulant et faisant en nous tout le bien qui y est, auquel après iI se complaît... Il créa premièrement l’univers pour l’homme et l’homme pour l’univers, donnant à chaque chose le degré de bonté qui lui était convenable par sa pure bienveillance. Puis Il approuva tout ce qu’Il avait fait, trouvant que tout était très bon, et Il se reposa par complaisance en son ouvrage.” [2] 

Pourquoi aimer Dieu ? La cause pour laquelle on aime Dieu, dit Saint Bernard, c’est Dieu Lui-même. Mais, plus concrètement, pourquoi aimer Dieu ? “Parce que l’homme est la perfection de l’univers, l’esprit est la perfection de l’homme, l’amour celle de l’esprit et la charité celle de l’amour. C’est pourquoi l’Amour de Dieu est la fin, la perfection et l’excellence de l’univers.” [3] 

Ou bien encore : “Parce que Dieu est seul Seigneur et que sa bonté est infiniment éminente au-dessus de toute bonté. Il Le faut aimer d’un amour relevé, excellent et puissant au-dessus de toute comparaison. C’est cette suprême dilection qui met Dieu en telle estime dedans nos âmes, et fait que nous prisons si hautement le bien de lui être agréable, que nous le préférons et affectionnons sur toutes choses.”  [4] 

Nous aimerons Dieu aussi à cause de sa bonté et de sa beauté : “Au ciel nous verrons tous l’infinité de sa beauté... Nous serons ravis en l’Amour de son infinie bonté, d’un ravissement souverainement fort auquel nous ne voudrons ni ne pourrons vouloir faire jamais aucune résistance ; ici-bas, en terre, où nous ne voyons pas cette souveraine bonté  en sa beauté, mais où nous l’entrevoyons seulement entre nos obscurités, nous sommes à la vérité, inclinés et alléchés à l’aimer plus que nous-mêmes.” Ou plutôt “quoique nous ayons cette sainte inclination naturelle d’aimer la Divinité sur toutes choses, nous n’avons pas néanmoins la force de la pratiquer si cette même Divinité ne répand surnaturellement dans nos cœurs sa très sainte charité.”  [5]

C’est donc Dieu qui nous commande de L’aimer : “O Amour céleste, que vous êtes aimable à nos âmes! et que soit bénie à jamais la bonté, laquelle nous commande avec tant de soin qu’on l’aime, quoique son amour soit si désirable et si nécessaire à notre bonheur que sans lui nous ne puissions être que malheureux.” 

D’ailleurs “Dieu est innocent à l’innocent, bon au bon, cordial au cordial, tendre envers les tendres ; et son Amour le porte quelquefois à faire des traits d’une sacrée et sainte mignardise pour les âmes qui, par une amoureuse pureté et simplicité, se rendent, comme petits enfants, auprès de Lui.”  [6] 

Nous aimons Dieu également à cause de ses perfections infinies infiniment aimables, qui ne sont réellement qu’une seule et unique perfection : “... en tant qu’Il punit les pécheurs, nous Le nommons juste; en tant qu’Il délivre le pécheur de sa misère, nous Le prêchons miséricordieux; en tant qu’Il crée toutes choses et fait plusieurs miracles, nous L’appelons tout-puissant; en tant qu’Il fait toutes choses en si bel ordre, nous L’appelons tout sage... Cependant en Dieu, il n’y a ni variété ni différence de perfection, mais Il est en Lui-même une très seule, très simple, et très uniquement unique perfection... En Dieu, il n’y a aucune des perfections que nous imaginons mais une seule et très pure excellence, qui est au-dessus de toute perfection et qui donne la perfection à tout ce qui est parfait.” [7] 

François de Sales précise, à propos de l’Amour divin : “La perfection de l’amour divin est si souveraine qu’elle perfectionne toutes les vertus et ne peut être perfectionnée par elles...” En un mot: “Dieu est la dernière fin de tout ce qui est bon, comme il en est la première source. De même l’amour qui est l’origine de toute bonne affection en est pareillement la dernière fin et perfection.”  [8]

Dieu est notre Créateur. Il dit un seul mot, et par ce Verbe, tout a été fait. “Cette parole étant très simple et très unique produit toute la distinction des choses; étant invariable, produit tous les bons changements; et enfin, étant permanente en son éternité, elle donne succession, changement, ordre, rang et saison à toutes choses... La souveraine unité de l’acte divin est opposée à la confusion et au désordre, et non à la distinction ou variété, qu’elle emploie pour en composer la beauté, déduisant toutes les différences et diversités à la proportion, et la proportion à l’ordre, et l’ordre à l’unité du monde qui comprend toutes choses créées, tant visibles qu’invisibles, lesquelles toutes ensemble s’appellent “univers”, peut-être parce que toute leur diversité se réduit en unité, comme qui dirait “univers”, c’est-à-dire unique et divers, unique avec diversité et divers avec unité.” [9]

Dieu nous crée et nous sommes à Lui. Dieu créa l’homme à son image et ressemblance, “aussi a-t-il ordonné un Amour pour l’homme à l’image et ressemblance de l’Amour qui est dû à sa Divinité.”  Nous avons donc une “sainte inclination naturelle d’aimer la Divinité sur toutes choses, mais nous n’avons pas néanmoins la force de la pratiquer si cette même divinité ne répand surnaturellement dans nos cœurs sa très sainte charité.”

Pourtant cette inclination est forte “parce que nous vivons plus en Lui qu’en nous... Nous sommes forcés de crier: je suis vôtre Seigneur, et ne dois être qu’à Vous; mon âme est vôtre et ne doit vivre que par vous; ma volonté est vôtre et ne doit aimer que pour Vous; mon amour est vôtre et ne doit tendre que vers Vous. Je  Vous dois aimer comme mon premier principe puisque je suis de Vous; je Vous dois aimer comme ma fin et mon repos puisque je suis pour vous; je vous dois aimer plus que mon être puisque mon être subsiste par Vous ; je dois Vous aimer plus que moi-même puisque je suis tout à Vous et en Vous.” [10] 

Enfin nous aimons Dieu, parce que Lui, nous aime, et Il nous aime d’un Amour jaloux, “d’un Amour qui ne reçoit aucun mélange d’autre affection, voulant que tout soit pour le Bien-Aimé.” [11]  

Mais quelle est sa jalousie ? “Il veut que nous soyons tellement siens que nous ne soyons en façon quelconque à personne qu’à Lui... il demande tout notre cœur, toute notre âme, tout notre esprit, toutes nos forces; pour cela même il s’appelle notre Époux, et nos âmes ses épouses, et nomme toutes sortes d’éloignement de lui, fornication, adultère... Notre amour lui est inutile, mais il nous est de grand profit ; et s’il lui est agréable, c’est parce qu’il nous est profitable; car étant le souverain bien, Il se plaît à se communiquer par son Amour sans que bien quelconque Lui en revienne ; aussi s’écrie-t-il, se plaignant des pécheurs, par manière de jalousie : “Ils m’ont laissé, Moi qui suis source d’eau vive, et se sont creusé des citernes, citernes dissipées et crevassées qui ne peuvent retenir les eaux... Mais Je regrette leur malheur parce que, m’ayant laissé, ils se sont amusés à des puits sans eaux.”  C’est donc pour l’amour de nous que Dieu veut que nous L’aimions, parce que nous ne pouvons cesser de L’aimer sans commencer de nous perdre ; et que tout ce que nous Lui ôtons de nos affections, nous le perdons.”   [12]

Les relations entre le Père et le Fils

Il a été noté plus haut que Saint François de Sales considère généralement Dieu dans sa Trinité et ses relations amoureuses Père-Fils. C’est à partir de ces relations que peu à peu nous découvrirons le Cœur de Dieu: Cœur de Jésus et Cœur du Père. En effet, quand Dieu chérit les hommes, ses amis, et bénit leurs moindres petites bonnes actions, “c’est en contemplation de son Fils bien-aimé, duquel Il veut honorer les enfants adoptifs, sanctifiant tout ce qui est bon en eux.”   [13] 

Voici quelques exemples de ces relations entre le Père et le Fils, vues par Saint François de sales.

Entre le Père et le Fils il n’y a qu’une unique volonté : “Il fut écrit de Vous, ô Sauveur de mon âme, que Vous fissiez la volonté de votre Père éternel.” [14] 

Notre Seigneur a aimé le Père et fait sa volonté jusqu’à la Croix. Notre Sauveur exprime ainsi l’extrême soumission de sa volonté humaine au Père : “Le Seigneur a ouvert mon oreille, c’est-à-dire m’a annoncé son bon plaisir touchant la multitude des travaux que je dois souffrir, et moi, je ne contredis point, je ne me retire point en arrière...”

Ce qui signifie, traduit François de Sales : “Ma volonté est en une simple attente et demeure disposée à tout ce que celle de Dieu ordonnera, en suite de quoi je livre et abandonne mon corps à la merci de ceux qui le battront...”  [15] Et Jésus savait de quoi il était question puisqu’Il était destiné à porter les péchés du monde. Mais Il savait que lorsqu’Il serait fait “tellement anathème, sacrifié pour le péché et délaissé de son Père, Il ne laissait pas, néanmoins, d’être perpétuellement le Fils bien-aimé auquel le Père prenait son bon plaisir.”  [16]

La confiance du Seigneur Jésus envers le Père demeura inébranlable jusqu’au bout. Proche de sa mort, au moment de rendre l’esprit, Il se recommande à Lui: “ô mon Père, je recommande mon esprit en vos mains”  Par cette parole, dans son incroyable détresse, “le Fils bien-aimé donna le souverain témoignage de son amour envers le  Père.” [17] Pourtant la sensibilité de Jésus n’était pas morte, et, “élevé entre la terre et le ciel, Notre Seigneur, qui n’était, ce semble, tenu de la main de son Père que par l’extrême pointe de l’Esprit... demeurait pour le reste abîmé dans la tristesse. C’est pourquoi Il s’écria: Mon Dieu! Mon Dieu! pourquoi m’as-Tu délaissé ?” [18] 

Jésus est donc Celui qui louera et glorifiera le mieux le Père, bien davantage encore que ne peut le faire Marie. En effet, les louanges que cette Mère d’honneur et de belle dilection donne, avec toutes les créatures, à la Divinité “quoique excellentes et admirables, sont néanmoins si infiniment inférieures au mérite infini de la bonté de Dieu qu’elles n’ont aucune proportion avec Lui; et partant, quoiqu’elles contentent grandement la sainte bienveillance, cependant elles ne l’assouvissent pas.” 

Seul le Sauveur peut louer et glorifier correctement son Père éternel de toutes les bénédictions que son amour filial peut lui fournir. Et nous, nous ne pouvons plus qu’admirer: “Oh! Quel cantique du Fils pour le Père! Oh! que ce cher Bien-aimé est beau entre tous les enfants des hommes ! Oh ! que sa voix est douce, comme procédant des lèvres sur lesquelles la plénitude de la grâce est répandue...” Lui est le parfum même, le baume répandu, et, au sentir des bénédictions que le Sauveur lui donne, “Il s’écrie sans doute: Oh ! voici l’odeur des louanges de mon Fils comme l’odeur d’un champ plein de fleurs que j’ai béni.” Seules les bénédictions que le Fils adresse au Père sont divines car elles proviennent du Rédempteur qui est vrai Dieu.

Dieu provoque les âmes et donne la grâce requise pour le louer. Mais seules les louanges du Rédempteur sont infinies. Seul le divin amour du Bien-aimé fait entrevoir, à travers la paroi de son humanité, l’amour de la Divinité pour l’humanité: “Oui Théotime, l’amour divin siégeant sur le Cœur du Sauveur comme sur son trône royal regarde par la fente de son côté percé tous les cœurs des enfants des hommes. Car ce Cœur, étant le roi des cœurs, tient toujours les yeux sur les cœurs... et le Cœur du divin Amour voit toujours clairement les nôtres et les regarde du haut de sa dilection, mais nous ne le voyons pas.”  [19]

Dieu veut que nous L’aimions

Le Cœur divin est amoureux de notre amour ! Soit! et Il déclare sa passion amoureuse pour nous et nous commande de L’aimer... “La bonté divine anime toutes les âmes et encourage tous les cœurs à son amour, sans qu’un homme quelconque soit caché à sa chaleur... Mais Dieu ne se contente pas d’annoncer son extrême désir d’être aimé... Il va même de porte en porte, heurtant et frappant, protestant que si quelqu’un ouvre, Il entrera chez lui et soupera avec lui, c’est-à-dire, Il lui témoignera toute sorte de bienveillance.... Il appelle l’âme: sus lève-toi, ma bien-aimée, dépêche-toi: et Il met sa main dans la serrure pour voir s’Il pourrait ouvrir.”  [20] Dieu est à la porte de nos cœurs, et par le bon exemple donné par d’autres chrétiens, voici que Dieu appelle, éveille, et nous donne le premier sentiment de la chaleur vitale de son Amour. “Ô Jésus! que c’est un plaisir délicieux de voir l’Amour céleste, qui est le soleil des vertus, quand petit à petit, par des progrès qui insensiblement se rendent sensibles, il va déployant sa clarté sur une âme.”  [21]

Dieu veut que nous L’aimions, mais d’où naît l’amour ?

“Notre cœur humain produit bien naturellement certains commencements d’amour envers Dieu; mais d’en venir jusques à L’aimer sur toutes choses, ce qui est la vraie maturité de l’amour dû à cette suprême bonté, cela n’appartient qu’aux cœurs animés et assistés de la grâce céleste, et qui sont en l’état de la sainte charité.”  [22]

Nous avons vu plus haut comment de la complaisance naissait l’amour. L’amour se fait aussi par la correspondance et la proportion qui unissent deux choses, autrement dit, la convenance : “La convenance qui cause l’amour, ne consiste pas toujours en la ressemblance, mais en la proportion, rapport ou correspondance de celui qui aime à la chose aimée, de telle sorte qu’elles (ces deux choses) puissent recevoir mutuellement de la perfection et devenir meilleures.” [23] Quand l’homme pense à Dieu, il sent une certaine émotion dans son cœur, ce qui prouve que Dieu est Dieu du cœur humain.

La confiance que le cœur humain prend naturellement en Dieu, provient “de la bonne convenance qu’il y a entre la divine bonté et notre âme... Créés à l’image et ressemblance de Dieu... nous avons une extrême convenance avec la divine Majesté... Mais outre cette convenance de similitude, il y a une correspondance non pareille entre Dieu et l’homme, par leur réciproque perfection; non que Dieu puisse recevoir aucune perfection de l’homme, mais parce que, comme l’homme ne peut être perfectionné que par la divine bonté, ainsi la Divine Bonté ne peut bonnement si bien exercer sa perfection hors de soi qu’à l’endroit de notre humanité. L’un a grand besoin et grande capacité de recevoir du bien, et l’autre grande abondance et grande inclination pour en donner... C’est donc un doux et désirable rencontre (sic) [24] que celui de l’affluence et de l’indigence.” [25] Et à mesure que Dieu regarde notre âme, “notre âme réciproquement regarde sa divine bonté plus attentivement et ardemment, correspondant selon sa petitesse à tous les accroissements que cette souveraine douceur fait de son divin Amour envers elle.” [26]

Dieu a donné à l’homme une inclination naturelle pour L’aimer. Bien que notre nature ait été dépravée par le péché, “la sainte inclination d’aimer Dieu sur toutes choses nous est demeurée, comme aussi la lumière naturelle par laquelle nous connaissons que sa souveraine bonté est aimable sur toutes choses; et il n’est pas possible qu’un homme pensant attentivement à Dieu... ne ressente un certain élan d’amour que la secrète inclination de notre nature suscite au fond du cœur.” Au premier regard qu’il jette sur Dieu, ‘la naturelle et première inclination d’aimer Dieu, qui était  comme assoupie et imperceptible, se réveille en un instant et à l’imprévu paraît, comme une étincelle qui sort d’entre les cendres, laquelle, touchant notre volonté, lui donne un élan de l’amour suprême dû au souverain  et premier principe de toutes choses.”  [27] 

Quelques précisions sur ce que nous appelons “l’amour”

Il y a plusieurs espèces d’amour: “L”amour de bienveillance par lequel nous aimons quelque chose pour son bien à elle”, et l’amour de convoitise “par lequel nous aimons quelque chose pour le profit que nous en tirons..”

“Quand l’amour de bienveillance est exercé sans correspondance de la part de la chose aimée, il s’appelle “amour de simple bienveillance; quand il est avec mutuelle correspondance, il s’appelle amour d’amitié... Si nous aimons simplement l’ami, sans le préférer aux autres, l’amitié est simple ; si nous le préférons, alors cette amitié s’appellera dilection, comme qui dirait amour d’élection... Quand nous préférons et beaucoup un ami aux autres, alors cette amitié s’appelle dilection d’excellence... Mais si l’éminence de cette amitié est hors de proportion et de comparaison, au-dessus de toute autre, alors elle sera dite dilection incomparable, souveraine, suréminente, et en un mot, ce sera la charité, laquelle est due à un seul Dieu... Ainsi, le nom de charité est demeuré à l’amour de Dieu comme à la suprême et souveraine dilection.”  [28]

Dieu nous aime depuis toujours

            – L’amour de Dieu pour nous

Dieu nous aime depuis toute éternité, et cela a été en raison de sa miséricorde par laquelle Il nous a sauvés, ”par cette charité ancienne et même éternelle qui a ému sa divine Providence de nous attirer à soi. Que si le Père ne nous eût tirés, jamais nous ne fussions venus au Fils notre Sauveur, ni par conséquent au salut.”  À cause de notre déloyauté nous méritions d’être abandonnés de Dieu...

Mais, l’éternelle charité de Dieu excite sa compassion et Le provoque à nous retirer de notre malheur, “ce qu’Il fait en envoyant le vent de sa très sainte inspiration, laquelle venant avec une douce violence dans nos cœurs, elle les saisit et les émeut, relevant nos pensées et poussant nos affections en l’air du divin amour.” Nous dormions, hélas!, et c’est cette première émotion et secousse que l’âme sent, quand Dieu l’éveille et l’excite à quitter le péché, qui nous éveille. “C’est en sursaut et à l’imprévu que Dieu nous appelle et réveille par sa très sainte inspiration. En ce commencement de la grâce céleste nous ne faisons rien que sentir l’ébranlement que Dieu fait en nous, comme dit Saint Bernard, mais sans nous.”  [29]

– Par-dessus tout, Dieu nous donne  le saint Amour

Dieu nous a tout donné, mais par dessus tout, nous avons reçu les biens surnaturels du saint Amour. Si nous avons “quelque amour pour Dieu, à Lui en soit l’honneur et la gloire, qui a tout fait en nous, et sans lequel rien n’a été fait...”  [30] L’Amour donne à l’âme tous les bons mouvements qu’elle a. “Quand le divin Amour règne dans nos cœurs, il assujettit royalement tous les autres amours de la volonté, et par conséquent, toutes les affections... Qui aura l’Amour de Dieu un peu abondamment n’aura plus ni désir, ni crainte, ni espérance, ni courage, ni joie que pour Dieu, et tous ses mouvements auront leur repos en ce seul Amour céleste.” [31]

Dieu fait le nécessaire pour que nous L’aimions

            – Et d’abord, Il nous donne la foi ”qui comprend un commencement d’amour que notre cœur ressent envers le choses divines” [32] car, à la lumière de la foi, notre volonté sent la sainte chaleur de l’Amour céleste. “Notre pauvre cœur ayant trouvé Dieu et reçu de Lui le premier baiser de la sainte foi, il se fond par après en suavité d’Amour pour le bien infini qu’il voit d’abord tout de suite en cette souveraine beauté.” [33]

            – Puis, quand la foi a montré à notre cœur le souverain bien, notre cœur le désire et l’aime plus ardemment “car aussi sa bonté est d’autant plus aimable et désirable qu’elle est plus disposée à se communiquer. Or, par ce progrès, l’amour a converti son désir en espérance.”  [34]

            – Notre Seigneur prend soin continuellement de la conduite de ses enfants, “c’est-à-dire de ceux qui ont la charité, les faisant marcher devant Lui, leur tendant la main dans les difficultés et les portant dans les peines qu’Il voit leur être, autrement, insupportables.” [35] 

            – L’amour est à l’origine de toutes les passions, “c’est pourquoi c’est lui qui entre le premier dans le cœur, et parce qu’il pénètre et perce jusqu’au fond de la volonté où il a son siège, on dit qu’il blesse le cœur... c’est une  sorte de blessure que Dieu lui-même fait quelquefois en l’âme qu’Il veut grandement perfectionner. Car Il lui donne des sentiments admirables et des attraits non pareils pour sa souveraine bonté, comme la pressant et sollicitant de L’aimer.” [36] 

Tout ce qui précède constitue en fait l’inclination naturelle que Dieu a mise en nous pour l’aimer, et tout nous vient du secours et de la bonté paternelle de Dieu: “L’inclination, Dieu s’en sert comme d’une anse, pour nous pouvoir plus suavement prendre et retirer à soi, et semble que, par cette impression, la divine Bonté tienne en quelque façon attachés nos cœurs comme des petits oiseaux par un filet, par lequel Il puisse nous tirer quand il plaît à sa miséricorde d’avoir pitié de nous... Dieu s’est réservé le droit de nous reprendre à soi pour nous sauver, selon que la sainte et suave Providence le requerra.

C’est pourquoi le grand prophète royal appelle cette inclination non seulement lumière, parce qu’elle nous fait voir où nous devons tendre, mais aussi joie et allégresse, parce qu’elle nous console en notre égarement...” [37]

            – Dieu nous donne son bonheur et sa joie, une joie qui déborde du cœur de Saint François de Sales quand il parle de l’union des bienheureux avec Dieu : “O Jésus ! quelle joie pour le cœur humain de voir la face de la divinité, face tant désirée... [38] Ah! mon Dieu, au Ciel la divinité s’unira elle-même à notre entendement, sans entremise d’espèce ni représentation quelconque; et elle s’appliquera et joindra elle-même à notre entendement, se rendant tellement présente à lui que cette intime présence tiendra lieu de représentation et d’espèce. O vrai Dieu, quelle suavité à l’entendement humain d’être à jamais uni à son souverain objet, recevant non sa représentation, mais sa présence... Bonheur infini dont nous avons des arrhes au très Saint Sacrement de l’Eucharistie, festin perpétuel de la grâce divine ; car en lui nous recevons le Sang du Sauveur en sa Chair, et sa Chair en son Sang, son Sang nous étant appliqué par sa Chair, sa substance par sa substance à notre propre bouche corporelle... Il est vrai qu’ici cette faveur nous est faite réellement, mais à couvert sous les espèces et apparences sacramentelles... [39] O Dieu ! quelle joie nous aurons au Ciel, lorsque nous verrons le Bien-aimé de nos cœurs, comme une mer infinie de laquelle les eaux ne sont que perfection et bonté!”  [40] 

            – Enfin, Dieu nous a sauvés et rendus siens en nous envoyant son Fils, le Rédempteur, “ce divin Rédempteur étendu sur la Croix comme sur son bûcher d’honneur où Il meurt d’amour pour nous, mais d’un amour plus douloureux que la mort même, ou d’une mort plus amoureuse que l’Amour même.... [41] car notre divin Sauveur fut condamné comme criminel de lèse-Majesté divine et humaine, battu, flagellé, bafoué et tourmenté avec une ignominie extraordinaire, en sa vie naturelle mourant entre les plus cruels et sensibles tourments que l’on puisse imaginer. En sa vie spirituelle, souffrant des tristesses, craintes, épouvantements, angoisses, délaissements et oppressions intérieures, qui n’eurent, ni n’en auront jamais de pareilles...”  [42] 

Dieu nous attire irrésistiblement

Dieu nous aime, et Jésus le rappellera plus tard à Marguerite-Marie en lui montrant son Cœur qui a tant aimé les hommes. Dieu veut que, en retour, nous L’aimions, et pour cela Il a fait et continue de faire tout le nécessaire.

Il nous inspire d’abord une crainte salutaire : “Notre Seigneur, qui était venu pour nous apporter la loi d’Amour, ne laisse pas de nous inculquer la crainte, laquelle provient de la connaissance naturelle que Dieu nous a donnée de sa Providence et nous fait reconnaître combien nous dépendons de la toute puissance souveraine, nous incitant à l’implorer et, se trouvant en une âme fidèle, elle (la crainte) lui fait beaucoup de bien.” [43] 

Mais, par dessus tout, Dieu exerce sur chacun de nous un attrait puissant, nous dévoilant ainsi l’immense amour de son Cœur amoureux des hommes: “Notre Seigneur montrant le très aimable sein de son divin Amour à l’âme dévote, il la tire toute à soi, la ramasse et, par manière de dire, Il replie toutes les puissances de cette âme dans le sein de sa douceur plus que maternelle; puis brûlant d’Amour, Il la serre, Il la joint, la presse et la colle sur ses lèvres de suavité et sur sa douce poitrine, la baisant du saint baiser de sa bouche.”  [44] 

D’où la prière jaillie du cœur de Saint François de Sales :

“O Seigneur Jésus, mon aimant, soyez mon tire-cœur, serrez, pressez et unissez à jamais mon esprit sur votre paternelle poitrine... Ah! Seigneur, puisque votre Cœur m’aime, que ne me ravit-il à soi, puisque je le veux bien ? Tirez-moi et je courrai à la suite de vos attraits pour me jeter entre vos bras paternels et n’en bouger jamais dans les siècles des siècles. Amen !”  [45]

Car Dieu, Père de toute lumière, souverainement bon et beau, "par sa beauté attire notre entendement à Le contempler, et par sa bonté il attire notre volonté à L’aimer... Il répand son amour dans notre volonté... L’Amour nous provoquant à la contemplation et la contemplation à l’amour, il suit que l’extase, le ravissement, dépend totalement de l’Amour, car c’est l’Amour qui porte l’entendement à la contemplation et la volonté à l’union.”   [46]

Devant un tel Amour, celui que Dieu nous porte, il nous est impossible de ne pas aimer Dieu. "Une goutte de cet Amour vaut mieux, a plus de force et mérite plus d’estime que tous les autres amours qui jamais puissent être dans les cœurs des hommes et parmi les chœurs d’anges. Car, tandis que cet amour vit, il règne et tient le sceptre sur toutes affections, faisant préférer Dieu en sa volonté à toutes choses indifféremment, universellement et sans réserve.”  [47]

Cela, c’est l’amour vrai, celui qui fait dire à Saint François de Sales: “Un trésor ne suffit pas au gré de notre divin ami; mais Il veut que nous ayons tant de trésors que notre trésor soit composé de plusieurs trésors, c’est-à-dire, Théotime, qu’il faut avoir un désir insatiable d’aimer Dieu, pour joindre toujours dilection à dilection.... ô cœur de mon âme, qui es créé pour aimer le bien infini, quel amour peux-tu désirer sinon cet Amour qui est le plus désirable de tous les amours ? Hélas ! ô âme de mon cœur, quel désir peux-tu aimer sinon le plus aimable de tous les désirs ? O amour des désirs sacrés, ô désirs du saint Amour ! Oh ! que j’ai convoitise de désirer vos perfections !”  [48] 

Dès lors, Dieu, par son Amour agit sur notre volonté “puisque l’amour est le plus pressant docteur et solliciteur pour persuader au cœur qu’il possède l’obéissance aux volontés et intentions du Bien-Aimé.” [49] Le cœur rempli d’Amour de Dieu aime les commandements et les trouve agréables. En effet, “la loi du Sauveur, qui est le vrai Agneau chaste, est une charge qui délasse, qui soulage, et recrée les cœurs qui aiment sa divine Majesté.... Le divin Amour nous rend donc conformes à la volonté de Dieu et nous fait soigneusement observer ses commandements en leur qualité de désir absolu de sa divine Majesté.”  [50]

Que de suavités l’âme peut alors trouver en l’amour des saints commandements de Dieu! “Car l’âme qui aime est tellement transformée en la volonté divine qu’elle mérite plutôt d’être nommée volonté de Dieu qu’obéissante ou sujette à la volonté divine... qui devient sa volonté à elle.” [51]

Il y a encore autre chose. Il ne faut surtout pas oublier que Dieu a envoyé son Fils pour nous sauver, et que notre rédemption s’est faite par la Croix, la Croix de Jésus qu’il nous faut chérir et embrasser de toute notre dilection. [52] 

Dès lors, nous pouvons nous écrier avec François de Sales : “Qui désire ardemment l’amour, aimera bientôt avec ardeur. O Dieu ! qui nous fera la grâce que nous brûlions de ce désir, qui est le désir des pauvres et la préparation de leur cœur, que Dieu exauce volontiers... Qui bien désire la dilection, bien la cherche; qui bien la cherche, bien la trouve ; qui bien la trouve, il a trouvé la source de la vie, de laquelle il puisera le salut du Seigneur. Crions nuit et jour Théotime: Venez, ô Saint-Esprit, remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre Amour? O Amour céleste ! Quand comblerez-vous mon âme ?”  [53]


[1]Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 12 - Chapitre premier

[2]Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 5 -   Chapitre  6

[3]Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre10 -  Chapitre premier

[4]Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 - Chapitre 6

[5] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “  Livre 10 - Chapitre 10

[6] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 102-  Chapitre 5

[7] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre  premier

[8] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 9-  Chapitre 9

[9] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 2

[10] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 -  Chapitre 10

[11] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 -  Chapitre 13

[12] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 -  Chapitre 13

[13] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 11 -  Chapitre 2

[14] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 8 -   Chapitre 7

[15] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 9 -  Chapitre 15

[16] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 - Chapitre 16

[17] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 9 -  Chapitre 12

[18] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 9 -  Chapitre 5

[19] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 5 -  Chapitre 11

[20] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 8

[21] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 13

[22] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 17

[23] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 8

[24] Le mot “rencontre” s’utilisait parfois au masculin à l’époque de Saint François de Sales

[25] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 15

[26] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 3 -  Chapitre 2

[27] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 16

[28] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 13

[29] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre  2-  Chapitre 9

[30] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 4 -   Chapitre 6

[31] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 11 - Chapitre 20

[32] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 14

[33] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 15

[34] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 2 -  Chapitre 16

[35] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 3 -  Chapitre 4

[36] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 6 -  Chapitre 13

[37] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 1 -  Chapitre 18

[38] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 3 -  Chapitre 10

[39] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 3 -  Chapitre 11

[40] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 5 -  Chapitre 1

[41] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 7 -  Chapitre 8

[42] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 9 -  Chapitre 5

[43] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 11 -  Chapitre 18 

[44] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 7 -  Chapitre 1

[45] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 7 -  Chapitre 3

[46] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 7 -  Chapitre 5

[47] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 10 -  Chapitre 3

[48] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 12 -  Chapitre 2

[49] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 8 -  Chapitre 1

[50] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 8 -  Chapitre 5

[51] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 8 -   Chapitre 7

[52] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 12 -  Chapitre 9

[53] Saint François de Sales  “Traité de l’amour de  Dieu “   Livre 12 -  Chapitre 2
 

   

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