LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

SECONDE PARTIE
Les trois voies

LIVRE III
De la voie unitive

CHAPITRE IV
Questions controversées

1550. Jusqu'ici nous avons exposé la doctrine communément reçue dans les diverses écoles de spiritualité, et nos lecteurs ont pu se rendre compte qu'elle suffit pleinement pour conduire et élever les âmes à la plus haute perfection, Dieu n'ayant pas voulu attacher le progrès dans la sainteté à la solution des questions librement controversées. Le moment est venu cependant d'exposer brièvement les principaux points en discussion ; nous le ferons aussi impartialement que possible, en vue non pas de concilier des opinions divergentes (ce qui est impossible), mais d'essayer un rapprochement entre les hommes modérés des diverses écoles.
1551. Causes de ces divergences. Un mot d’abord sur les causes principales de ces divergences. 1) La première se tire assurément de la difficulté même et de l'obscurité des questions débattues. Ce n'est pas en effet chose aisée de pénétrer les secrets desseins de Dieu sur l'appel universel des baptisés à la contemplation infuse, ou de préciser la nature même de cet acte mystérieux où la part principale revient à Dieu, et où l'âme est plus passive qu'active, où el1e reçoit lumière et amour sans perdre sa liberté. Il n'est donc pas étonnant que les auteurs qui essaient de se rendre compte de ces merveilles, n'arrivent pas toujours aux mêmes explications. 2) Il est une autre cause qui vient de la diversité des méthodes. Comme nous l’avons dit, n° 28, toutes les Ecoles s'efforcent de combiner ensemble les deux méthodes, expérimentale et déductive, mais, tandis que les unes font surtout appel à l'expérience, d'autres s'appuient davantage sur la méthode déductive. De là des différences dans les conclusions : les uns, frappés du petit nombre des contemplatifs, l'expliqueront en disant que tous ne sont pas appelés à la contemplation ; les autres, voyant que nous avons tous un organisme surnaturel suffisant pour arriver à la contemplation, en concluront que s'il y a peu de contemplatifs, c'est parce qu'il y a peu d'âmes assez généreuses pour faire les sacrifices nécessaires à la contemplation.
1552. 3) Cette divergence de vues est accentuée par le tempérament, l'éducation, le genre de vie que l'on mène : il y a des natures plus aptes à la contemplation que d'autres, et lorsque cette aptitude est augmentée par l'éducation et le genre de vie, on est naturellement porté à penser que la contemplation est quelque chose de normal ; d'autres, plus actifs, et trouvant, dans leur tempérament et leurs occupations, plus d'obstacles à la contemplation, en concluent facilement que c'est un état extraordinaire. 4) Enfin il ne faut pas oublier que les systèmes philosophiques et théologiques qu'on a embrassés sur la connaissance et l'amour, sur la grâce efficace et suffisante, ont leur retentissement en théologie mystique ; ainsi, quand on admet, avec les thomistes, que la grâce est efficace par elle-même, on est plus enclin à voir dans l'état passif le prolongement de l'état actif, puisque même dans ce dernier on agit déjà sous la motion efficace de la grâce. Qu'on ne soit donc pas surpris de ces divergences sur des points si ardus, et que chacun demeure libre de choisir le système qui lui semble le mieux fondé. On peut ramener à trois les principales questions discutées aujourd’hui : 1° la nature de la contemplation infuse ; 2° l'appel universel à cette contemplation ; 3° le moment normal où elle commence.

§ I. Controverse sur la nature de la contemplation

1553. Tout le monde admet que la contemplition infuse ou mystique est un don gratuit de Dieu qui nous met dans l'état passif et nous donne une connaissance et un amour de Dieu que nous n'avons qu'à recevoir. Mais en quoi consiste cette connaissance ? Elle est évidemment distincte de celle que nous acquérons à l'aide des lumières de la foi ; de l'aveu de tous, elle est expérimentale ou quasi-expérimentale, n° 1394. Mais est-e1le immédiate, sans intermédiaire, ou est-elle médiate, avec des espèces soit acquises soit infuses ? Deux systèmes sont en présence.
1554. 1° Théorie de la connaissance immédiate. Cette théorie qui se réclame de l'autorité du Pseudo-Denys, de l'école de S. Victor et de l'école mystique flamande, admet que la contemplation infuse est une perception ou intuition ou vision immédiate, quoique obscure et confuse de Dieu ; étant immédiate, elle se distingue de la connaissance ordinaire de la foi ; étant obscure, elle diffère de la vision béatifique. Il y a des nuances dans la façon dont on l'expose. Ainsi le P. Poulain, s'appuyant sur la théorie des sens spirituels, pense que l'âme contemplative sent directement la présence de Dieu : « Pendant cette union, quand elle n'est pas trop élevée, nous ressemblons à un homme placé auprès d'un de ses amis, mais dans un lieu complètement obscur, et en silence. Il ne le voit donc pas, il ne l'entend pas, seulement il sent qu'il est là, au moyen du toucher, parce qu'il tient sa main dans la sienne. Il reste ainsi à penser à lui et à l'aimer » (Grâces d’oraison, ch. VI, n. 16).
1555. Le P. Maréchal, après avoir constaté que les mystiques affirment l'existence, dans les états de haute contemplation, d'une intuition intellectuelle de Dieu et de l'indivisible Trinité, estime « que la haute contemplation implique un élément nouveau, qualitativement distinct des activités normales et de la grâce ordinaire... la présentation active, non symbolique, de Dieu à 1'âme, avec son corrélatif psychologique : l'intuition immédiate de Dieu par l'âme » (La mystique chrétienne, Rev. de Philosophie, 1912, t. XXX, p. 478). Ce qui, ajoute-t-il, ne paraît pas tellement étrange si l'on admet (ce qu'il a exposé auparavant) que l'intuition de l'être est pour ainsi dire le centre de la perspective de la psychologie humaine.
Cette théorie est perfectionnée par le P. Picard. Après avoir exposé qu'au point de vue naturel, une saisie ou intuition immédiate de Dieu, mais confuse et obscure, n'est pas impossible quand une fois on a démontré l'existence de Dieu par les preuves classiques, il fait l'application de cette théorie à la contemplation mystique. Ce Dieu, dont la présence s'est animée au fond de l'âme « tantôt s'empare d'elle en l'étreignant par ses facultés connaissantes qu'il concentre sur Lui, dans le silence, l'admiration et la paix ; tantôt il saisit en maître sa volonté et ses puissances affectives... lorsque la saisie de l'âme par Dieu se fait sentir à l'âme plutôt selon ses facultés de connaissance, nous avons l'oraison de recueillement ; lorsque l'âme se sent prise par ses puissances volontaires et affectives, elle est dans l'oraison de quiétude » (La saisie immédiate de Dieu dans les états mystiques, 1923). L'auteur montre ensuite qu'au fur et à mesure que Dieu augmente la force de son étreinte, qu'il lui donne un empire plus absolu, plus exclusif, plus envahissant, l'âme progresse dans les degrés supérieurs de la contemplation. Il ajoute enfin que cette théorie est bien distincte de l'ontologisme ; car elle affirme que la notion d'être trouve son origine dans la perception de l'être fini, qu'elle est analogue, et attend, pour être appliquée à Dieu, que l'existence de Dieu ait été démontrée. Elle rejette la vision en Dieu : c'est notre esprit fini et imparfait, qui, à l'aide de ses seules idées et actes finis et imparfaits, atteint toutes les vérités dont il prend connaissance ; d'ailleurs cette intuition est essentiellement confuse et obscure.
1556. 2° Connaissance médiate. Mais l'opinion communément admise est que la connaissance du contemplatif, si parfaite soit-elle, demeure médiate en même temps que confuse et obscure, bien que quasi-expérimentale. Dans les premiers degrés, Dieu se contente de projeter sa lumière, la lumière des dons, sur nos concepts déjà existants, soit en attirant notre attention sur une idée d'une façon saisissante, soit en tirant de deux prémisses une conclusion qui nous frappe vivement, n° 1390 ; dans les états supérieurs, comme l'union extatique, il met en nous de nouvelles espèces intelligibles qui représentent les vérités divines d'une façon beaucoup plus saisissante que nos propres concepts, et c’est alors que l'âme est dans le ravissement en percevant des vérités qui jusque là lui étaient inconnues. Et, comme elle goûte et savoure ces vérités, elle en a une connaissance quasi-expérimentale. Cette connaissance demeure donc une connaissance de foi mais beaucoup plus vive et surtout beaucoup plus affectueuse que la connaissance ordinaire et ce qui la différencie de celle-ci, c'est qu'elle est reçue de Dieu, l'âme recevant à la fois connaissance et amour et n'ayant qu'à consentir à l'action divine qui produit en elle ces dons si précieux.
1557. Nous nous rallions à cette doctrine que nous avons déjà exposée dans notre chapitre second. Elle nous paraît mieux sauvegarder la différence essentielle entre la contemplation, qui demeure médiate et obscure, per speculum et in ænigmate, et la vision béatifique qui est immédiate et claire. Mais nous nous garderons bien d'accuser d'ontologisme ceux qui maintiennent comme probable l'opinion d'une intuition immédiate, du moment qu'ils insistent sur son caractère confus et obscur, et rejettent le principe fondamental de l'ontologisme, en affirmant que l'esprit ne s'élève à Dieu qu'en partant des créatures. Sans doute plusieurs mystiques emploient des expressions hardies qui semblent, à première vue, supposer qu'ils sont en contact immédiat avec la substance divine, qu'ils voient Dieu ; mais, quand on examine le contexte, il semble bien que ces paroles doivent s'entendre des effets produits dans l'âme par l'action divine. Par le don de sagesse nous goûtons l’amour, la joie, la paix spirituelle, que Dieu met dans notre âme : de là ce nom de goûts divins donné à l'oraison de quiétude par Ste Thérèse. Par les touches divines il semble aux mystiques que la substance même de leur âme est atteinte, tant l'impression produite par l'amour divin est profonde ! Mais quand ils viennent à détailler leurs impressions, ce qu'ils décrivent se ramène aux différents effets d'un amour ardent et généreux. On peut donc penser que s'ils emploient ces expressions si fortes, c'est à cause de la pauvreté du langage humain à décrire les impressions de grâce produites en leur âme.

§ II. De l'appel universel à la contemplation
 
1558. Il ne s'agit pas ici de l'appel individuel et prochain à la contemplation infuse, dont nous avons déjà parlé n° 1406 ; sur ce point tout le monde s'entend et accepte la doctrine de Tauler et de S. Jean de la Croix. Mais il s'agit de l'appel éloigné suffisant et général ; en d'autres termes, on se demande si toutes les âmes en état de grâce sont appelées d’une façon générale, éloignée et suffisante à la contemflatt'on infuse. Or sur ce point précis il y a deux solutions opposées, qui découlent, en grande partie du moins, de l'idée différente qu'on se fait de la contemplation,
1559. 1° L'appel universel, éloigné et suffisant, est admis aujourd'hui, avec des nuances diverses, par un grand nombre d'auteurs, appartenant à divers Ordres Religieux, comme les Dominicains, les Bénédictins ; on en trouve aussi quelques-uns chez les Franciscains, les Carmes, les Pères de la Compagnie de Jésus, les Eudistes, et, dans le clergé séculier ; des Revues, en particulier la Vie spirituelle, ont été fondées pour soutenir et propager cette opinion. Le P. Garrigou-Lagrange expose vigoureusement cette thèse, en essayant d'établir que la vie mystique est le développement normal de la vie intérieure, et que par conséquent toutes les âmes en état de grâce y sont appelées. Voici en résumé ses arguments : a) Le principe radical de la vie mystique est le même que celui de la vie intérieure commune : c'est la grâce sanctifiante ou grâce des vertus et des dons. Or ces dons grandissent avec la charité, et, quand ils sont arrivés à leur entier développement, ils agissent en nous selon leur mode supra-humain, et nous mettent dans l'état passif ou mystique. Donc le principe de la vie intérieure contient en germe la vie mystique, qui est ici-bas comme la fleur de la vie surnaturelle.
1660. b) Dans le progrès de la vie intérieure, la purification de l'âme n'est complète que par les purifications passives. Or ces purifications sont d'ordre mystique. Donc la vie intérieure ne peut atteindre son progrès complet que par la vie mystique. c) La fin de la vie intérieure est la même que celle de la vie mystique, c'est une disposition très parfaite à recevoir la lumière de gloire aussitôt après la mort, sans passer par le purgatoire. « Or la disposition parfaite à recevoir la vision béatifique sitôt après le dernier soupir, ne peut être que la charité intense d'une âme pleinement purifiée, avec l'ardent désir de voir Dieu, tels que nous les constatons dans l'union mystique, et particulièrement dans l'union transformante. Celle-ci est donc bien ici-bas le sommet du développement de la vie de la grâce ».
1561. 2° Théorie d'un appel spécial et limité. Cependant ces arguments ne paraissent pas convaincants à tout le monde ; et un grand nombre d'auteurs spirituels appartenant à la Compagnie de Jésus, comme le Card. Billot, les PP. de Maumigny, Poulain, Bainvel, J. de Guibert, aux Carmes déchaussés, comme le P. Marie-Joseph du Sacré-Creur, ou vivant en dehors des écoles, comme Mgr Lejeune et Mgr Farges, pensent que la contemplation infuse est un don gratuit qui n' est pas donné à tout le monde, et qui par ailleurs n'est pas nécessaire pour arriver à la sainteté. Nous résumons leurs arguments. a) Assurément la théorie précédente est une magnifique construction théologique ; mais plusieurs des pierres de cet édifice ne semblent pas également solides. Ainsi il n'est pas démontré « que le septenaire des dons corresponde à sept habitus infus distincts, et non pas seulement à sept ordres de grâces diverses, à la réception desquelles l'intelligence et la volonté sont préparées chacune par un seul habitus. Et en outre, cela fût-il démontré, il faudrait prouver encore que les dons de Sagesse et d'Intelligence ne peuvent exercer pleinement leur fonction que dans la contemplation, et non pas aussi dans la réception des grâces de lumière ne comportant pas nécessairement cette forme particulière d'oraison : ce qui ne paraît pas non plus hors de conteste » (J. De Guibert). Il n'est pas démontré non plus que les dons agissent toujours selon le mode supra-humain ; le Card. Billot pense que ces dons agissent de deux façons, tantôt d'une façon ordinaire, en s'accommodant à notre mode humain d'agir, et tantôt d'une façon extraordinaire, en produisant en nous la contemplation infuse.
1562. b) Sans doute les épreuves passives semblent être le plus puissant moyen de purifier une âme, en la faisant passer par un véritable purgatoire ; mais, dans cette vallée de larmes où il y a tant d'occasions de souffrir et de se mortifier, n'est-il pas possible, par une douce résignation à la volonté de Dieu et par des mortifications positives faites sous la conduite du Saint Esprit et d'un sage directeur, d'arriver à faire son Purgâtoire sur terre ? Est-il démontré que les grâces de la contemplation soient la seule forme des grâces de choix ? Tout le monde avoue qu'il y a des âmes non encore élevées à la contemplation infuse, qui sont plus parfaites que d'autres que Dieu, par un libre choix, élève à la contemplation, afin précisément de les rendre meilleures, n° 1407 ; étant plus parfaites, elles sont par là même mieux purifiées. Il peut donc arriver qu'au moment de la mort leur purification soit complète. c) Il est bien vrai que la fin de la vie intérieure comme de la vie mystique est de nous préparer à la vision béatifique, et que l'union transformante en est, pour certaines âmes, la meilleure préparation. Est-ce la seule ? Il y a des âmes qui restent dans l'oraison discursive et affective et sont des modèles de vertus héroïques, qui extérieurement, et aux yeux de ceux qui les connaissent à fond paraissent aussi vertueuses et même plus que d'autres qui sont contemplatives. Est-il prouvé que les dons du Saint Esprit n'interviennent pas d'une façon éminente dans ces milliers d'oraisons jaculatoires que font certaines personnes en vaquant à leurs occupations chaque jour, dans l'exercice constant et surnaturel des devoirs professionnels, qui par leur continuité demandent un courage héroïque ? Et cependant, quand on interroge ces personnes, on ne trouve pas de traces de contemplation proprement dite, au moins habituelle. Ne faut-il donc pas avouer que Dieu, qui sait adapter ses grâces au caractère, à l'éducation, à la situation providentielle de chacun, ne conduit pas toutes les âmes par les mêmes voies ; que, tout en demandant à chacune une docilité parfaite aux inspirations du Saint Esprit, il se réserve de les sanctifier par des moyens différents ?
1563. 3° Essai de rapprochement. En réfléchissant sur les raisons apportées de part et d'autre il nous a semblé que les deux opinions pouvaient se rapprocher. A) Constatons tout d'abord les points communs sur lesquels les hommes modérés de chaque opinion s'entendent : a) Il y a eu et il peut y avoir des contemplatifs de tous les tempéraments et de toutes les conditions ; mais en fait il y a des tempéraments et des genres de vie qui sont plus aptes que d'autres à la contemplation infuse. La raison en est que la contemplation est un don gratuit, que Dieu accorde à qui il veut et quand il le veut, n° 1387, et que par ailleurs Dieu a coutume d'adapter ses grâces au tempérament et aux devoirs professionnels de chacun. b) La contemplation n'est pas la sainteté, mais un des moyens les plus efficaces pour y arriver ; la sainteté consiste en effet dans la charité, l'union intime et habituelle à Dieu. Or la contemplation est bien en soi la voie de raccourci pour arriver à cette union, mais ce n'est pas la seule, et il y a des âmes non contemplatives qui « peuvent être plus avancées dans la vertu, dans la vraie charité, que d'autres qui ont reçu plus rapidement la contemplation infuse » (P. Garrigou-Lagrange). c) Nous avons tous reçu au baptême un organisme surnaturel (grâce habituelle, vertus et dons) qui, lorsqu'il est arrivé à son plein développement, conduit normalement à la contemplation, en ce sens qu'il nous donne cette souplesse, cette docilité qui permet à Dieu de nous mettre dans l'état passif quand il veut et de la manière qu'il le veut. Mais en fait il y a des âmes qui, sans qu'il y ait de leur faute, n'arrivent pas sur terre à la contemplation.
1564. B) Malgré l'accord sur ces points importants, il reste cependant des divergences, qui viennent, nous le pensons, de tendances plus ou moins favorables à l'état mystique, et du caractère plus ou moins ordinaire ou extraordinaire qu'on attribue à cet état. Nous exposerons modestement notre solution, qui comprend deux affirmations : a) la contemplation infuse est en soi un prolongement normal de la vie chrétienne ; b) cependant, en fait, toutes les âmes en état de grâce ne semblent pas appelées à cette contemplation ; y compris l'union transformante.
a) La contemplation infuse, quand on la considère indépendamment des phénomènes mystiques extraordinaires qui parfois l'accompagnent, n'est pas quelque chose de miraculeux, d'anormal, mais résulte de deux causes : la culture de notre organisme surnaturel, surtout des dons du Saint Esprit, n° 1355, et d'une grâce opérante qui elle-même n’a rien de miraculeux. Nous avons dit en effet que l'infusion d'espèces intellectuelles nouvelles n'est pas nécessaire pour les premiers degrés de contemplation, n° 1390. On peut même ajouter, avec le Congrès carmélitain de Madrid, que la contemplation est en soi l'état d'union entre Dieu et l'âme le plus parfait qu'on puisse atteindre en cette vie, l'idéal le plus élevé et comme la dernière étape de la vie chrétienne en ce monde dans les âmes appelées à l'union mystique avec Dieu, le chemin ordinaire de la sainteté et de la vertu habituellement héroïque. Cette doctrine semble bien être la doctrine traditionnelle telle qu'on la trouve dans les auteurs mystiques, depuis Clément d'Alexandrie jusqu'à Saint François de Sales.
1565. b) Cependant il ne résulte pas nécessairement de ces prémisses que toutes les âmes en état de grâce soient vraiment appelées, même d'une façon éloignée, à l'union transformante. De même qu'au ciel il y a des degrés très différents dans la gloire, « stella enim a stella differt in claritate » (I Cor., XV, 41), ainsi il y a sur terre différents degrés de sainteté auxquels les âmes sont appelées dès cette vie. Or Dieu, toujours libre dans la distribution de ses dons, et qui sait adapter son action au tempérament, à l'éducation et au genre de vie de chacun, peut élever les âmes au degré de sainteté auquel il les destine, par des voies diverses. A celles qui, par leur caractère plus actif, et leurs occupations plus absorbantes, semblent faites pour l'action plus que pour la contemplation, il donnera des grâces pour exercer surtout les dons actifs : ces âmes vivront dans l'union intime et habituelle avec Dieu, parfois même multiplieront leurs oraisons jaculatoires au delà de ce qui semble dépasser les forces humaines ; et surtout elles accompliront, sous le regard de Dieu et par amour pour lui, avec une constance héroïque, les mille petits devoirs de chaque jour, constamment dociles aux inspirations de la grâce. Ainsi elles atteindront le degré de sainteté auquel Dieu les destine, et cela sans le secours, au moins habituel, de la contemplation infuse. Elles seront dans la voie unitive simple, telle que nous l'avons décrite, n° 1303 ss. On dit sans doute que ce sont là des exceptions, et que la voie normale de la sainteté est la contemplation. Mais quand ces exceptions sont nombreuses, ne faut-il pas en tenir compte dans le problème de l'appel éloigné, puisque le tempérament et les devoirs d'état sont des éléments qui aident à résoudre la question de la vocation ?
Au fond, l'accord est plus réel que ne semble l'indiquer la différence de langage. Les uns, se plaçant au point de vue abstrait et formel, admettent des exceptions nombreuses à l'appel universel, mais maintiennent le principe de l'universalité ; les autres, se plaçant sur le terrain pratique des faits, préfèrent déclarer tout simplement que l'appel n'est pas universel, bien que la contemplation soit un prolongement normal de la vie chrétienne.
1566. c) La solution que nous proposons est, ce nous semble, appuyée sur la doctrine traditionnelle. 1) D'un côté, presque tous les auteurs spirituels, de Clément d'Alexandrie à S. François de Sales, traitent de la contemplation comme du couronnement normal de la vie spirituelle. 2) D'un autre côté bien peu d'entre eux examinent explicitement la question de l'appel universel à la contemplation ; ceux qui le font ne s'adressent la plupart du temps qu'à des âmes d'élite, vivant dans des communautés contemplatives ou du moins très ferventes, Quand donc ils affirment que tous ou presque tous peuvent arriver à la fontaine d'eau vive (contemplation), c'est pour les membres de leur communauté qu'ils parlent, et non pour toutes les âmes en état de grâce. Par ailleurs, à partir du XVIIe s., époque où l'on commence à entrer dans la voie des précisions, un grand nombre d'auteurs demandent pour la contemplation infuse un appel spécial, et plusieurs affirment positivement qu’on peut arriver à la sainteté sans cette contemplation. Il y a donc lieu de ne pas confondre les deux questions ; et on peut admettre que la contemplation est le prolongement normal de la vie spirituelle, sans affirmer que toutes les âmes en état de grâce sont appelées à l’union transformante.
1567. Ajoutons que l'acquisition de la sainteté et la direction des âmes qui y tendent, ne dépendent pas de la solution de ce problème si ardu. Quand on insiste sur la culture des dons du Saint Esprit aussi bien que sur le détachement parfait de soi-même et des créatures, quand on conduit peu à peu les âmes à l'oraison de simplicité, qu'on leur apprend à écouter la voix de Dieu et à suivre ses inspirations, on les met ainsi sur le chemin qui conduit à la contemplation ; le reste appartient à Dieu, qui seul peut saisir ces âmes, et, selon la gracieuse comparaison de Ste Thérèse, les mettre dans le nid c'est-à-dire dans le repos contemplatif.

§ III. Du moment où commence la contemplation

1568. Avec le commun des auteurs, nous pensons que la contemplation infuse appartient à la voie unitive. Sans doute il est des cas exceptionnels où Dieu élève à la contemplation des âmes moins parfaites, précisément en vue de les perfectionner plus efficacement, n° 1407. Mais ce n'est pas là ce qu'il fait habituellement. Cependant des auteurs de marque, comme le P. Garrigou-Lagrange, placent dans la voie illuminative la purification des sens et l'oraison de quiétude. Ils s'appuient sur S. Jean de la Croix, qui écrit, dans la Nuit obscure : « La purification passive des sens est commune, elle se produit chez le grand nombre des commençants... Les progressants ou avancés se trouvent dans la voie illuminative, c'est là que Dieu nourrit et fortifie l'âme par contemptation infuse » (Nuit obscure, l. I, ch. VIII, ch. XIV). Nous connaissons ce texte depuis longtemps, mais avec le traducteur du grand mystique, H. Hoornaert, nous interprétons ce passage autrement. S. Jean de la Croix ne parle, dans ses divers ouvrages, que de la contemplation infuse ; or, dans cette contemplation, il y a des débutants, des progressants et des parfaits : les débutants sont, pour lui, ceux qui vont entrer dans la purtfication passive des sens : voilà pourquoi il en parle dès le premier chapitre de la Nuit obscure ; les avancés sont ceux qui sont entrés dans la contemplation infuse, la quiétude et l'union pleine ; les parfaits sont ceux qui ont traversé la nuit de l'esprit et sont dans l'union extatique ou l'union trans.formante. C'est donc un point de vue différent.
1569. D'ailleurs au point de vue didactique, qui doit dominer dans un Précis, il importe de rapprocher tout ce qui se rapporte aux différents genres de contemplation, afin d'en mieux faire ressortir la nature et les divers degrés. Voilà pourquoi nous avons cru devoir conserver le plan communément suivi. Mais je me hâte d'ajouter que Dieu, dont les voies sont aussi multiples qu'admirables, ne suit pas toujours les cadres logiques que nous essayons de tracer ; l'important pour le directeur est de suivre les mouvements de la grâce et non de les précéder.
1570. Voilà pourquoi nous ajoutons en terminant avec l'Ami du Clergé (8 déc. 1921, p. 697) que « ce qui est discuté si vivement en théorie n'empêche pas la certitude sur un certain nombre de règles pratiques essentielles... Pour profiter des bienfaits médicinaux d'une plante, il n'est pas strictement indispensable de connaître sa famille et son nom scientifique. Il en va de même pour la contemplation : on ne s'entend ni sur sa définition ni sur la place qu'il convient de lui assigner dans les classifications théologiques... Sans attendre les résultats techniques et théoriques, nos confrères en savent assez pour connaître le but vers lequel s'acheminent les âmes généreuses et pré-destinées et pour les aider à l'atteindre ». -C'est ce qui résultera plus clairement des conclusions que nous allons maintenant tirer.

Conclusion du livre III : direction des contemplatifs
 
Au cours de ce livre nous avons déjà plusieurs fois tracé les règles à suivre pour cette direction ; il importe d'en donner un coup d'œil synthétique, et d'indiquer quelle doit être la conduite du directeur pour préparer les âmes à la contemplation, les guider au milieu des écueils qu'on y rencontre, les relever si elles avaient le malheur de déchoir.
1571. 1° C'est un devoir pour le directeur, s'il a sous sa conduite des âmes généreuses, de les préparer peu à peu à la voie unitive et à la contemplation. Ici deux excès à éviter : celui de vouloir pousser toutes les âmes pieuses indistinctement et rapidement à la contemplation, et celui de s'imaginer qu'il est inutile de s'en occuper.
1572. A) Pour éviter le premier écueil : a) le directeur se rappellera que normalement on ne peut songer à la contemplation que lorsqu'on a pratiqué pendant longtemps l'oraison et les vertus chrétiennes, la pureté de cœur, le détachement de soi et des créatures, l'humilité, l'obéissance, la conformité à la volonté de Dieu, l'esprit de foi, de confiance et d'amour. Il se rappellera l'enseignement de S. Bernard : S'il y a, parmi les moines, des contemplatifs, ce ne sont pas les novices dans la vertu, qui, récemment morts au péché, travaillent dans les gémissements et la crainte du jugement à guérir leurs plaies encore fraîches. Ce sont ceux qui, après une longue coopération à la grâce, ont fait des progrès sérieux dans la vertu, n'ont plus à tourner et à retourner dans leur esprit la triste image de leurs péchés, mais font leurs délices de méditer jour et nuit et de pratiquer la loi de Dieu. b) S'il remarquait des désirs empressés, présomptueux pour la contemplation, il aurait soin de les calmer, en rappelant que nul ne peut s'y ingérer, et que d'ailleurs les suavités de l'oraison sont généralement précédées d'amères épreuves. c). Il se gardera bien de confondre les consolations sensibles des commençants ou même spirituelles des progressants avec les goûts divins, n° 1439, et attendra, pour se prononcer sur l'entrée dans l'état passif, l'apparition des trois signes distinctifs que nous avons exposés, nn° 1413-1416.
1573. B) Pour éviter le second écueil, il se rappellera que Dieu, toujours libéral en ses dons, se communique généreusement aux âmes ferventes et dociles. a) Sans parler directement de contemplation, il formera les bonnes âmes non seulement aux vertus, mais à la dévotion au Saint Esprit : il leur rappellera souvent l'habitation de ce divin Esprit dans l'âme, le devoir de penser souvent à lui, de l'adorer, d'obéir à ses inspirations, de cultiver ses dons. b) Il les aidera peu à peu à rendre leur oraison plus affective, à prolonger les actes de religion, d'amour, de donation de soi-même, d'abandon à la volonté de Dieu, actes qu'ils rediront souvent dans le courant de la journée, par une simple élévation de cœur, et sans négliger leurs devoirs d'état, et la pratique des vertus. Quand il remarquera qu'elles sont portées à demeurer silencieusement sous le regard de Dieu, pour l'écouter et faire sa volonté, il les encouragera en leur disant que c'est là une oraison excellente et très fructueuse.
1574. 2° Quand l’âme est entrée dans les voies mystiques, le directeur a besoin d’une prudence extrême pour guider l'âme au milieu des sécheresses et des douceurs divines. A) Il faut, dans les épreuves passives, soutenir l'âme contre le découragement et les autres tentations, comme nous l’avons indiqué, nn° 1432-1434. B) Dans la contemplation suave, on peut être exposé à la gourmandise spirituelle ou à la vaine complaisance. a) Pour éviter le premier défaut, il importe de se rappeler sans cesse que c'est Dieu seul, et non les goûts divins, qu'il faut aimer, que les consolations ne sont qu'un moyen pour nous unir à lui, et qu'il faut être prêt à y renoncer de cœur, aussitôt qu'il lui plaît de nous en sevrer : Dieu seul suffit. b) Parfois Dieu se charge lui-même d'empêcher les mouvements d'orgueil, en imprimant dans l'âme d'une façon très vive le sentiment de son néant et de ses misères, et en montrant clairement que ces faveurs sont un pur don, dont on ne peut nullement se prévaloir. Mais, quand les âmes n'ont pas été complètement purifiées par la puit de l'esprit, elles ont besoin, comme le dit Ste Thérèse, de s'exercer sans cesse à l'humilité et à la conformité à la volonté de Dieu, nn° 1447, 1474. Il faudra surtout les prémunir contre le désir des visions, révélations et autres phénomènes extraordinaires ; il n'est jamais permis de les désirer, et les saints les repoussent soigneusement, par humilité, n° 1496.
1575. C) On n'oubliera pas que l'extase est une illusion quand elle n'est pas accompagnée d’une extase dans la vie, selon l'expression de S. François de Sales, c'est-à-dire de la pratique des vertus héroïques, n° 1461. Ce serait une grave illusion de négliger les devoirs d'état pour donner plus de temps à la contemplation : le P. Balthazar Alvarez, qui avait été confesseur de Ste Thérèse, déclare nettement qu'on doit laisser la contemplation pour remplir son office ou subvenir aux besoins du prochain ; il ajoute que Dieu donne à celui qui sait ainsi se mortifier plus de lumière et d'amour en une heure d’oraison qu'à un autre en plusieurs heures.
1576. D) Ce serait une illusion plus grave ençore de s'imaginer que la contemplation confère le privilège de l'impeccabilité. L'histoire montre que les faux mystiques qui, comme les Béghards et les Quiétistes, se croyaient impeccables, sont tombés dans les vices les plus grossiers. Ste Thérèse insiste constamment sur la nécessité de la vigilance pour éviter le péché, même quand on est arrivé aux plus hauts degrés de la contemplation ; et S. Philippe de Néri disait souvent : « Mon Dieu, méfiez-vous de Philippe, autrement il vous trahirait ». Nous ne pouvons en effet persévérer longtemps sans une grâce spéciale ; or cette grâce est accordée aux humbles qui se défient d'eux-mêmes et mettent toute leur confiance en Dieu.
1577. 3° Il faut donc prévoir le cas où des âmes contemplatives tomberaient dans le péché. Ces chutes peuvent provenir de plusieurs causes : a) L'âme avait été élevée à la contemplation avant d'avoir suffisamment maîtrisé ses passions ; au lieu de continuer vigoureusement la lutte, elle s'est endormie dans un doux repos ; de violentes tentations ont surgi, et, trop confiante en elle-même, elle a succombé. Le remède, c'est la componction, c'est le retour à Dieu avec un cœur contrit et humilié, c'est une longue et laborieuse pénitence : plus on est tombé de haut, et plus il faut d' « efforts humbles et constants pour remonter la pente et revenir aux sommets. Il appartient au directeur de le lui rappeler sans cesse avec bonté et fermeté. b) Il est des contemplatifs qui avaient lutté vigoureusement pour dominer leurs tendances mauvaises ; ils y avaient réussi ; mais s'imaginant que la lutte est finie, ils ralentissent leurs efforts, manquent de générosité dans l'accomplissement de certains devoirs considérés comme moins importants ; c'est une sorte de relâchement progressif, qui pourrait engendrer la tiédeur. Il importe d'enrayer ce mouvement rétrograde, en leur rappelant que plus le Bon Dieu se montre généreux à leur égard, et plus ils doivent redoubler de ferveur ; que les moindres négligences dans les amis de Dieu blessent au vif Celui qui leur prodigue ses faveurs. Qu'on lise dans l'auto-biographie de Ste Marguerite-Marie les reproches sévères que Notre Seigneur lui adressait pour la corriger de ses moindres infidélités, de ses manques de respect et d'attention dans le temps de l'office et de l'oraison, des défauts de droiture et de pureté en ses intentions, de la vaine curiosité, des moindres manquements à l'obéissance, même en vue de s'infliger plus d'austérités ; et qu'on s'inspire de ces reproches pour ramener ces âmes à la ferveur.
1578. c) D'autres s'attendaient à ne trouver dans la contemplation, après les premières épreuves passives, que suavité et goûts divins. Or en réalité Dieu continue de leur envoyer alternativement des désolations et des consolations, afin de les sanctifier d'une façon plus efficace. Elles se découragent et sont exposées au relâchement et à ses suites. Le grand remède, c'est de leur inculquer sans cesse l' amour de la croix, non que la croix soit aimable en elle-même, mais parce qu'elle nous rend plus conformes à Jésus crucifié. D'ailleurs, disait le Bx Curé d'Ars, « la croix est le don que Dieu fait à ses amis. Il faut demander l'amour des croix, alors elles deviennent douces. J'en ai fait l'expérience... oh ! j'avais bien des croix, j'en avais presque plus que je n'en pouvais porter ! Je me mis à demander l'amour des croix ; alors je fus heureux... Vraiment il n'y a de bonheur que là » (Monnin, Le Curé d’Ars, l. III, ch. III). Pour tout résumer en un mot, ce que le directeur des âmes contemplatives doit faire, c'est d'étudier les ouvrages et les biographies des mystiques, et de demander le don de conseil, pour ne rien dire à ces âmes qu'après avoir consulté le Saint Esprit.

Epilogue : les trois voies et le cycle liturgique
 
1579. Après avoir parcouru les trois voies ou les trois étapes qui mènent à la perfection, il ne sera pas inutile de voir comment chaque année la Sainte Eglise nous invite, dans sa liturgie, à recommencer et à perfectionner l’œuvre de notre sanctification, avec ses trois degrés, la purification, l’illumination et l’union à Dieu. La vie spirituelle est en effet une série de perpétuels recommencements, et le cycle liturgique vient chaque année nous solliciter à de nouveaux efforts. Tout, dans la liturgie, se rapporte au Verbe Incarné, médiateur de religion aussi bien que de rédemption, qui nous est présenté non seulement comme un modèle à imiter, mais aussi comme la tête d'un corps mystique qui vient vivre dans ses membres pour leur faire pratiquer les vertus dont il leur a donné l'exemple. Chaque fête, chaque période liturgique nous rappelle donc quelqu'une des vertus de Jésus, et nous apporte les grâces qu'il a méritées pour que nous les reproduisions en nous, avec sa collaboration.
1580. L'année liturgique, qui correspond aux quatre saisons de l'année, s'harmonise bien aussi avec les quatre phases principales de la vie spirituelle I. L’Avent correspond à la voie purgative ; le temps de Noël et de l'Epiphanie répond à la voie illuminative où nous suivons Jésus en imitant ses vertus ; le temps de la Septuagésime et du Carême amène une seconde purification de l'âme, plus profonde que la première ; le temps pascal, c'est la voie unitive, avec l'union à Jésus ressuscité, union qui se perfectionne avec l'Ascension, et la descente du Saint Esprit. Expliquons brièvement ce cycle liturgique.
1581. 1° L'Avent, qui signifie avènement, est une préparation à la venue du Sauveur, et, comme telle, une période de purification et de pénitence.  L'Eglise nous invite à méditer sur le triple avènement de Jésus : sa venue sur terre par l’Incarnation, son entrée dans les âmes par la grâce, son apparition à la fin des temps pour juger tous les hommes. Mais c’est sur le premier avènement qu'elle attire surtout notre attention : elle nous rappelle les soupirs des patriarches et des prophètes, pour nous faire désirer avec eux la venue du Libérateur promis, et l'établissement ou l'affermissement de son royaume dans nos âmes. C'est donc un temps de saints désirs et d'ardentes supplications, où nous demandons à Dieu de faire descendre sur nous la rosée de la grâce et surtout le Rédempteur lui-même : Rorate, cæli, desuper, et nubes pluant justum !  Cette prière devient plus pressante, avec les grandes antiennes, O Emmanuel, Rex gloriæ, Oriens, etc., qui en nous rappelant les titres glorieux donnés au Messie par les prophètes et les principaux traits de sa mission, nous fait désirer la venue de Celui qui seul peut soulager notre détresse.
1582. Mais c’est aussi un temps de pénitence. L'Eglise nous y rappelle le jugement dernier auquel il faut nous préparer par l'expiation de nos péchés ; la prédication de S. Jean Baptiste nous invitant à faire pénitence pour préparer la voie au Sauveur : « Parate viam Domini, rectas facile semilas ejus » (Luc, III, 4). Autrefois on jeûnait trois fois par semaine, on le fait encore dans certains Ordres religieux, et si l'Eglise n'impose plus le jeûne à ses enfants, elle les exhorte à y suppléer par d'autres mortifications, et, pour le leur rappeler, célèbre les messes du temps en couleur violette, symbole de deuil. Ces saints désirs et ces pratiques de pénitence tendent évidemment à purifier l'âme et la préparent ainsi au règne de Jésus.
1583. 2° Voici le temps de Noël : le Verbe apparaît dans l'infirmité de la chair, avec les charmes mais aussi avec les infirmités de l'enfance, et nous invite à lui ouvrir nos cœurs pour qu'il y puisse régner en maître, et nous faire communier à ses dispositions et à ses vertus. C'est la voie illuminative qui commence : purifiés de nos fautes, détachés du péché et des causes qui pourraient nous y faire retomber, nous nous incorporons de plus en plus à Jésus pour avoir part à ses anéantissements, aux vertus d' humilité, d'obéissance et de pauvreté qu'il a si bien pratiquées au moment de sa naissançe et dans les circonstances qui l'ont suivie. Pour l'accueillir sur cette terre qu'il vient racheter, c'est à peine si quelques bergers et quelques sages de l'Orient viennent lui présenter leurs hommages ; ces Juifs qu'il a choisis pour son peuple ne daignent pas le recevoir : « in propria venit et sui eum non receperunt » (Joan., I, 2). Il est obligé de fuir en Egypte, et, quand il revient, il s'ensevelit dans un petit village de Galilée, et y demeure près de trente ans, grandissant en sagesse et en science, aussi bien qu'en âge, travaillant de ses mains comme un simple ouvrier, et obéissant en tout à Marie et à Joseph : tel est le spectacle que nous présente la liturgie, pendant le temps de Noël et de l'Epiphanie, pour mettre sous nos yeux les exemples que nous devons imiter. En même temps, elle nous invite à adorer d'autant plus profondément l'Enfant Dieu qu'il s'anéantit davantage, à le remercier et à l'aimer : « Sic nos amantem quis non redamaret ? »
1584. 3° Mais, avant de pouvoir goûter les joies de l'union divine, une nouvelle purification s'impose, plus rude, plus profonde que la première ; le temps de la Septuagésime et du Carême nous donnent l'occasion de la faire. La Septuagésime est comme le prélude du Carême. L'Eglise, en mettant sous nos yeux, dans l'Ecriture occurrente, le récit de la chute de l'homme, des péchés qui l'ont suivie, du déluge qui en fut le châtiment, de la vie sainte des Patriarches, qui en fut l'expiation, nous invite à repasser dans l'amertume de notre âme tous nos péchés, à les détester sincèrement, à les expier par une généreuse pénitence. Les moyens qu'elle nous propose sont : 1) le travail, ou l'accomplissement fidèle des devoirs d'état pour l'amour de Dieu : « ite et vos in vineam meam » ; 2) la lutte contre les passions : dans l'Epître, elle nous compare à des athlètes qui courent ou qui combattent pour obtenir une couronne, et nous invite à châtier notre corps et à le réduire en servitude ; 3) l’acceptation volontaire de la souffrance et des épreuves, auxquelles nous sommes justement condamnés, avec une humble prière pour en bien profiter : « Circumdederunt me gemitus mortis… et in tribulatione mea invocavi Dominum ».
1585. A ces moyens le Carême ajoutera le jeûne, 1'abstinence et 1'aumône, pour lutter victorieusement contre les tentations ; nous les pratiquerons en union avec Jésus, qui, pendant quarante jours se retira au désert, pour y faire pénitence en notre nom, et consent à y être tenté pour nous apprendre comment résister au démon. La préface nous dira que le jeûne mate nos vices, éleve notre cœur vers Dieu, et nous vaut un accroissement de vertu et de mérites. La scène du Thabor, racontée au deuxième dimanche, nous montrera que la pénitence a ses joies, quand on sait y joindre la prière, et lever les yeux vers Dieu pour y chercher un appui : « Oculi mei semper ad Dominum, quia ipse evellet de laqueo pedes meos ». L' Introït du 4e dimanche soutiendra notre courage, en nous faisant entrevoir les joies du ciel : « Lætare Jerusalem », dont la sainte communion, figurée par la multiplication des pains, nous donne déjà un avant-goût.
1586. Avec le dimanche de la Passion se dresse l'étendard de la croix : « Vexilla Regis prodeunt »  ; c'est la croix toute nue, car l’image du divin crucifié est voilée en signe de deuil et de tristesse, pour nous apprendre qu'il y a des moments où nous ne voyons qu'épreuves ; sans sentir aucune consolation. Mais l’Epître du jour nous consolera en nous montrant notre Pontife qui, par l'effusion de son sang, entre dans le Saint des Saints, et en nous redisant que la croix, symbole de mort, est devenue une source de vie « ut unde mors oriebatur inde vita resurgeret ». Le dimanche des Rameaux, bientôt suivi des mystères douloureux, nous apprendra combien sont éphémères les triomphes terrestres les mieux mérités, et comment ils sont suivis des humiliations les plus profondes. Alors de l'âme angoissée s'élève un cri de douleur : « Deus Deus meus, respice in me : quare me dereliquisti » (I Cor., IV, 16) ; c'est le cri de Jésus au jardin des Oliviers, comme sur le Calvaire ; c’est le cri de l'âme chrétienne, quand elle est visitée par les peines intérieures ou en butte à la calomnie. Mais l'Epitre vîent nous réconforter, en nous pressant de nous unir aux sentiments intérieurs de Jésus, obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix, et bientôt récompensé par une exaltation telle que tout genou fléchit devant lui : si donc nous avons part à ses souffrances, nous aurons part aussi à ses triomphes, comme le dit S. Paul : « si tamen compatimur ut et conglorificemur » (Rom., VIII, 17).
1587. 4° La Résurrection et le cycle pascal nous rappellent la vie glorieuse de Jésus, image de la vie unitive. C'est une vie plus céleste que terrestre : Jésus, pendant son ministère, avait constamment vécu sur terre, avait travaillé, conversé avec les hommes, exercé l'apostolat ; après sa résurrection, il vit plus séparé que jamais de toutes les choses extérieures, n'apparaissant plus que rarement à ses apôtres, pour leur donner ses derniers enseignements, et retourne à son Père : « apparens eis et loquens de regno Dei » (Act., I, 3). C'est l'image des âmes qui, étant dans la voie unitive, cherchent désormais la solitude pour converser intimement avec Dieu ; si les devoirs d'état les obligent à traiter avec les hommes, ce n’est qu'en vue de les sanctifier ; elles s'efforcent de se rapprocher de l'idéal tracé par S. Paul : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ demeure assis à la droite de Dieu ; affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles de la terre : car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col., III, 1-3). Avec l'Ascension, c'est encore un degré de plus : Jésus désormais vit au ciel, à la droite du Père, priant sans cesse pour nous : son apostolat n'en devient que plus fécond, parce qu'il nous envoie le Saint Esprit, l'Esprit sanctificateur qui transforme les Apôtres ; et par eux des millions d'âmes. Ainsi les contemplatifs, qui par l'esprit et le cœur habitent déjà au ciel, ne cessent de prier et de se sacrifier pour le salut de leurs frères, et leur apostolat n'en est aussi que plus fécond.
1588. La Pentecôte, c'est la descente du Saint Esprit en chacune de nos âmes pour y opérer d'une manière plus lente et plus cachée la transformation merveilleuse opérée dans les Apôtres. Le mystère de la Sainte Trinité vient remettre devant nos yeux le grand objet de notre foi et de notre religion, la cause efficiente et exemplaire de notre sanctification ; et les fêtes du Saint Sacrement et du Sacré-Cœur nous redisent que Jésus, dans l'Eucharistie où il manifeste les trésors de son Cœur Sacré, mérite nos adorations et notre amour, et est en même temps le grand Religieux de Dieu, par qui et en qui nous pouvons rendre à l'adorable Trinité les hommages qui lui sont dus. Les nombreux dimanches qui suivent la Pentecôte représentent l’épanouissement complet de l’œuvre du Saint Esprit non seulement dans l'Eglise mais encore en chaque âme chrétienne, et nous invitent par conséquent à produire, sous l'action du Saint Esprit, des fruits abondants de salut jusqu'au jour où nous irons rejoindre au ciel Celui qui nous y a précédés pour nous y préparer une place.
1589. Dans ce cycle liturgique prennent place les fêtes des Saints ; les exemples de ces hommes, qui, membres du Christ comme nous, ont reproduit ses vertus, malgré toutes les tentations et tous les obstacles, nous servent d'un puissant stimulant. Nous les entendons nous dire avec S. Paul : « Soyez mes imitateurs comme je l'ai été du Christ : imitatores mei estote sicut et ego Christi » (I Cor., IV, 16).; et, en lisant au bréviaire le récit de leurs vertus héroïques, nous redisons la parole d'Augustin : « Tu non poteris quod isti, quod istæ ». Nous n'oublierons pas surtout que la Reine des Anges et des Saints, la Mère du Sauveur, est associée constamment à son Fils dans la liturgie, et que nous ne pouvons honorer le Fils sans honorer, aimer et imiter sa mère. Et c'est ainsi que, soutenus, aidés par la SteVierge et les Saints, incorporés au Verbe Incarné, nous nous approchons de Dieu en parcourant chaque année le cycle liturgique.
1590. Mais, pour bien profiter des moyens abondants de sanctification que nous offre la Sainte Eglise, il faut attirer en nous les dispositions intérieures de Jésus ; Il est une prière très belle et très efficace pour nous aider à reproduire en nous ces sentiments : c'est la prière O Jesu vivens in Maria ; et nous ne pouvons mieux terminer ce Précis qu'en l’expliquant brièvement.

PRIÈRE : O JESU VIVENS IN MARIA

O Jesu vivens in Mariâ, veni et vive in famulis tuis, in spiritu sanctitatis tuæ, in plenitudine virtutis tuæ, in perfectione viarum tuarum, in veritate virtutum tuarum, in communione mysteriorum tuorum, dominare omni adversæ potestati, in Spiritu tuo ad gloriam Patris.
O Jésus vivant en Marie, venez et vivez en vos serviteurs, dans l’esprit de votre sainteté, dans la plénitude de votre force, dans la perfection de vos voies, dans la vérité de vos vertus, dans la communion de vos mystères, dominez sur toute puissance ennemie, en votre Esprit à la gloire du Père.
On peut distinguer dans cette prière trois parties d'inégale longueur : dans la première, on indique à qui s'adresse cette demande ; dans la seconde, se trouve l'objet de cette demande ; dans la troisième, son but final.
1591. 1° A qui s'adresse cette prière ? A Jésus vivant en Marie, c'est-à-dire au Verbe Incarné : à l'Homme-Dieu, qui, dans l'unité d'une même personne, possède à la fois la nature divine et la nature humaine, et qui est pour nous la cause méritoire, exemplaire et vitale de notre sanctification, n° 132. Nous nous adressons à lui, en tant qu'il vit en Marie. Il a vécu autrefois physiquement dans son sein virginal pendant neuf mois : il ne s'agit pas de cette vie qui a cessé dès la naissance de l'Enfant-Dieu ; il a vécu en elle sacramentellement par la sainte communion : mais cette présence a pris fin avec la dernière communion de Marie sur terre. Il y a vécu et il y vit encore mystiquement, comme tête du corps mystique, dont tous les chrétiens sont membres, mais à un degré bien supérieur, puisque Marie occupe dans ce corps la place la plus honorable, n°155-162. Il y vit par son divin Esprit, c'est-à-dire par l'Esprit Saint qu'il communique à sa sainte Mère, pour que cet Esprit opère en elle des dispositions semblables à celles qu'il opère dans l'âme humaine du Christ. En vertu des mérites et des prières du Sauveur, le Saint Esprit vient donc sanctifier et glorifier Marie, la rendre aussi semblable que possible à Jésus, si bien qu'elle en devient la copie vivante la plus parfaite.
C'est ce qu'explique bien M. Olier : « Ce qu'est Notre Seigneur à son Eglise, il l'est par excellence à sa très sainte Mère. Ainsi il est sa plénitude intérieure et divine ; et, comme il  s'est sacrifié plus particulièrement pour elle que pour toute l'Eglise, il lui donne la vie de Dieu plus qu'à toute l'Eglise ; et il la lui donne même par gratitude, et en reconnaissance de la vie qu'il a reçue d'elle, car, comme il a promis à tous ses membres de leur rendre au centuple de ce qu'il aura reçu de leur charité en la terre, il veut rendre aussi à sa Mère le centuple de la vie humaine qu'il a  reçue de son amour et de sa piété ; et ce centuple est la vie divine infiniment précieuse et estimable… Il faut donc considérer Jésus-Christ notre Tout, vivant en la Très Sainte Vierge en la plénitude de la vie de Dieu, tant de celle qu'il a reçue de son Père que de celle qu'il a acquise et méritée aux hommes par le ministère de la vie de sa Mère. C'est en elle qu'il fait voir tous les trésors de ses richesses, l'éclat de sa beauté et les délices de la vie divine... Il y habite en plénitude ; il y opère en l'étendue de son divin Esprit ; il n'est qu'un cœur, qu'une âme, qu'une vie avec elle ». Cette vie il la répand continuellement en elle « aimant en elle, louant en elle, et adorant en elle-même Dieu son Père, comme un digne supplément de son cœur, dans lequel il se dilate et se multiplie avec plaisir ». (Journée chrétienne, p. 395-396).
1592. Jésus vit en Marie en plénitude non seulement pour la sanctifier, mais pour sanctifier par elle les autres membres de son corps mystique : elle est en effet, nous dit S. Bernard, l'acqueduc par lequel nous arrivent toutes les grâces méritées par son fils : « totum nos habere voluit per Mariam », n° 161. Il est donc à la fois très agréable à Jésus et très utile à notre âme de nous adresser à Jésus vivant en Marie : « Qu'y a-t-il de plus doux et de plus agréable à Jésus-Christ que de l'aller chercher dans le lieu de ses délices, sur ce trône de grâce, au milieu de cette adorable fournaise du saint amour pour le bien de tous les hommes ? Quelle source plus abondante de grâce et de vie que ce lieu où habite Jésus comme en la source de la vie des hommes et en la mère nourrice de son Eglise ? ». Nous avons donc le droit d'être pleins de confiance lor.sque nous prions ainsi Jésus vivant en Marie.
1593. 2° Quel est l'objet de cette prière ? C'est la vie intérieure avec tous les éléments qui la constituent, vie intérieure qui n'est qu'une participation à cette vie que Jésus communique à sa Mère et que nous le supplions de vouloir bien nous commumquer à nous-mêmes. A) Comme Jésus vivant en Marie est la source de cette vie, nous lui demandons humblement de venir en nous et d'y vivre, en promettant de nous soumettre docilement à son action : VENI ET VIVE IN FAMULIS TUIS. a) Il vient en nous comme il vient en Marie par son divin Esprit, par la grâce habituelle : chaque fois qu'elle grandit en nous, l'Esprit de Jésus y grandit aussi ; et, par suite, chaque fois que nous faisons un acte surnaturel et méritoire, ce divin Esprit vient en nous et rend notre âme plus semblable à celle de Jésus comme à celle de Marie. Quel puissant motif pour multiplier et intensifier nos actes méritoires, en les informant par la divine charité ! (n° 236-248). b) Il agit en nous par la grâce actuelle qu'il nous a méritée et nous distribue par son divin Esprit : il opère en nous le vouloir et le faire, il devient le principe de tous nos mouvements, de nos dispositions intérieures, si bien que nos actes ne proviennent que de Jésus nous communiquant sa propre vie, ses sentiments, ses affections, ses désirs. C'est alors que nous pouvons dire, comme S. Paul : « Je vis, non plus moi, mais c'est Jésus qui vit en moi ». c) Pour qu'il en soit ainsi, il faut que, comme de fidèles serviteurs, in famulis tuis, nous nous laissions conduire par lui et coopérions à son action en nous ; comme l'humble Vierge nous devons dire en toute sincérité : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole : ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum ». Conscients de notre misère et de notre incapacité, nous n'avons qu'à obéir promptement aux moindres inspirations de la grâce. C'est là pour nous une servitude honorable, « cui servire regnare est », une servitude d'amour qui nous soumet à Celui qui est pour nous un Maître sans doute, mais aussi un Père, un ami, et qui ne nous commande rien que ce qui est utile au bien de notre âme. Ouvrons, ouvrons donc nos cœurs à Jésus-Christ et à son divin Esprit, pour qu'il y règne comme il a régné dans le cœur de notre Mère !
1594. B) Jésus, étant la source de toute sainteté, nous lui demandons de vivre et d'agir en nous « in spiritu sanctitatis tuæ », pour nous communiquer sa sainteté intérieure. Il y a en lui une double sainteté ; une sainteté substantielle qui découle de l'union hypostatique, et une sainteté participée qui n'est autre que la grâce créée, n° 105 ; c'est celle-ci que nous le prions de nous communiquer. Cette sainteté, c'est tout d'abord l' horreur du péché et la séparation de tout ce qui peut y conduire, un éloignement extrême des créatures et de toute recherche égoïste ; mais c'est aussi une participation à la vie divine, une union intime avec les trois divines personnes, un amour de Dieu qui domine toute autre affection, en un mot la sainteté positive.
1595. Mais, comme nous sommes incapables de l'acquérir par nous-mêmes, nous le supplions de venir en nous avec la plénitude de sa force ou de sa grâce « in plenitudine virtutis tuæ ». Et même, comme nous nous défions de nos rébellions possibles, nous ajoutons avec l'Eglise qu'il veuille bien soumettre à son empire nos facultés rebelles ; « etiam rebelles ad te propitius compelle voluntates ». C'est donc une grâce efficace que nous sollicitons, cette grâce qui, tout en respectant notre liberté, sait agir sur les ressorts secrets de la volonté pour entraîner son consentement ; une grâce qui ne s'arrêtera pas devant nos répugnances instinctives ou nos folles oppositions, mais doucement et fortement opérera en nous le vouloir et le faire.
1596. C) Puisque la sainteté ne peut s'acquérir sans l’imitation de notre divin Modèle, nous le supplions de nous faire marcher dans la perfection de ses voies « in perfectione viarum tuarum », c'est-à-dire de nous faire imiter sa conduite, sa manière d'agir, ses actions extérieures et intérieures en tout ce qu'elles ont de plus parfait. En d'autres termes nous demandons de devenir des copies vivantes de Jésus, d'autres christs, pour que nous puissions dire à nos disciples, comme S. Paul : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». Idéal si parfait que de nous-mêmes nous ne pouvons le réaliser ! Mais Jésus se fait notre voie : «  ego sum via », voie lumineuse et vivante, voie marchante pour ainsi dire qui nous entraîne à sa suite : « Et ego, cum exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum » (Joan., XII, 32). Nous nous laisserons donc entraîner par vous, ô divin Modèle, et nous essaierons de reproduire vos vertus.
1597. D) C'est pour cela que nous ajoutons : « in veritate virtutum tuarum ». Les vertus que nous demandons sont des vertus réelles, et non pas apparentes. Il en est qui cachent un esprit païen, sensuel et orgueilleux, sous un vernis de vertus purement extérieures. Ce n'est pas ce qui fait la sainteté. Ce que Jésus vient nous apporter, ce sont des vertus intérieures, des vertus crucifiantes, l'humilité, la pauvreté, la mortification, la chasteté parfaite de l'esprit et du cœur aussi bien que du corps ; des vertus unifiantes, l'esprit de foi, de confiance et d'amour. Voilà ce qui fait le chrétien et le transforme en un autre Christ.
1598. E) Ces vertus, Jésus les a pratiquées surtout en ses mystères, et c'est pourquoi nous le prions de nous faire communier à la grâce de ses mystères : « in communione mysteriorum tuorum ». Ces mystères sont sans doute toutes les actions principales de Notre Seigneur, mais surtout les six grands mystères décrits par M. Olier dans son Catéchisme chrétien : l'Incarnation qui nous invite au dépouillement de tout amour propre pour nous consacrer totalement au Père, en union avec Jésus : « Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam ». le crucifiement, la mort et la sépulture, qui expriment les degrés de cette immolation totale, par laquelle nous crucifions la nature mauvaise, et essayons de la faire mourir et de l'ensevelir à tout jamais ; la résurrection et l'ascension, qui signifient le détachement parfait des créatures et la vie toute céleste que nous désirons mener pour aller au ciel.
1599. F) Nous ne pouvons atteindre évidemment cette perfection que si Jésus vient dominer en nous sur toute puissance ennemie, la chair, le monde et le démon : « dominare omni adversre potestati ». Ces trois ennemis ne cessent de nous livrer de rudes assauts, et ne seront jamais anéantis, tant que nous vivrons sur terre ; mais Jésus, qui en a triomphé, peut les garrotter, les subjuguer, en nous donnant des grâces efficaces pour y résister : c'est ce que nous lui demandons humblement.
3° Et, pour obtenir plus facilement cette grâce, nous déclarons qu'avec lui nous ne poursuivons qu'un but, la gloire du Père que nous voulons procurer sous l'action du Saint Esprit : « In spiritu tuo ad gloriam Patris ». Puisqu'il est venu sur terre pour glorifier son Père « Ego honorifico Patrem », qu'il veuille bien compléter son œuvre en nous, et nous communiquer sa sainteté intérieure, pour que nous puissions avec lui et par lui glorifier ce même Père et le faire glorifier autour de nous ! Alors nous serons vraiment les membres de son corps mystique, les religieux de Dieu : il vivra et régnera en nos cœurs pour la plus grande gloire de l'adorable Trinité.
Cette prière est donc une synthèse de la vie spirituelle, et un résumé de notre Précis. En le terminant, nous ne pouvons que bénir et inviter nos lecteurs à bénir avec nous ce Dieu d'amour, ce Père très aimant, qui en nous faisant participer à sa vie, nous a comblés, en son Fils, de toutes les bénédictions.

BENEDICTUS  DEUS  ET  PATER  DOMINI  NOSTRI  JESU  CHRISTI,  QUI BENEDIXIT  NOS  IN  OMNI  BENEDICTIONE  SPIRITUALI  IN  CÆLESTIBUS  IN CHRISTO.
 

FIN.

SOURCE :

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