SECONDE PARTIE
Les trois voies
LIVRE III
De la voie unitive
CHAPITRE
III
Phénomènes mystiques extraordinaires
1489. En décrivant la
contemplation, nous avons laissé de côté les phénomènes extraordinaires qui,
surtout à partir de l'union extatique, l'accompagnent souvent : visions,
révélations, etc. Et, comme le démon singe les œuvres divines, il y a parfois
aussi, chez les mystiques vrais ou faux, des phénomènes diaboliques. Nous
parlerons donc successivement des phénqmènes divins et des phénomènes
diaboliques.
ARTICLE
I. PHÉNOMÈNES MYSTIQUES EXTRAORDINAIRES DIVINS
On distingue deux sortes
de phénomènes de ce genre: ceux de l'ordre intellequel et ceux de l'ordre
psycho-physiologique.
§ I.
Phénomènes divins intellectuels
Ces phénomènes se ramènent
à deux principaux : les révélations privées et les grâces gratuitement données.
I.
Révélations privées
Nous exposerons : 1° Leur
nature ; 2° Les règles pour discerner les vraies révélations des fausses.
1°
Nature des révélations privées
1490. A) Différence entre
les révélations privées et publiques. La révélation divine en général est la
manifestation surnaturelle faite par Dieu d'une vérité cachée : Lorsque cette
manifestation se fait pour le bien de l'Eglise tout entière, c'est une
révélation publique ; lorsqu'elle se fait pour l'utilité particulière de ceux
qui en sont favorisés, on l'appelle révélation privée. Nous ne parlons ici que
de cette dernière. Il y a eu, dans tous les temps, des révélations privées : l'Ecriture
et les procès de canonisation nous en donnent des exemples. Ces révélations ne
font pas partie de l'objet de la foi catholique, qui s'appuie uniquement sur le
dépôt contenu dans l'Ecriture et la Tradition et confié à l'interprétation de la
Sainte Eglise. Elles ne s'imposent donc pas à la foi de tous les fidèles ;
lorsque l'Eglise les approuve, elle ne nous oblige pas à les croire, mais permet
seulement, nous dit Benoît XIV, qu'elles soient publiées pour l'instruction et
l'édification des fidèles : l'assentiment qu'on doit y donner n'est donc pas un
acte de foi catholique, mais un acte de foi humaine fondé sur ce que ces
révélations sont probables et pieusement croyables ». On ne peut publier les
révélations privées sans l'approbation de l'autorité ecclésiastique (décret
d’Urbain VIII, 13 mars 1625, de Clément IX, 23 mai 1668).
Cependant plusieurs théologiens pensent que les personnes elles-mêmes à qui ces
révélations sont faites, et celles à qui Dieu fait signifier ces volontés,
peuvent y croire d'une foi véritable, pourvu qu'elles aient des preuves
certaines de leur authenticité.
1491. B) Comment se font les révélations. Elles se font de trois façons diverses
: par des visions, des paroles surnaturelles, des touches divines. a) Les
visions sont des perceptions surnaturelles d'un objet naturellement invisible
pour l'homme. Elles ne sont des révélatibns que lorsqu'elles découvrent des
vérités cachées. Elles sont de trois espèces : sensibles, imaginaires ou
purement intellectuelles. 1) Les visions sensibles ou corporelles, qu'on appelle
aussi apparitions, sont celles où les sens perçoivent une réalité objective
naturellement invisible à l'homme. Il n'est pas nécessaire que l'objet perçu
soit un corps en chair et en os, il suffit qu'il soit une forme sensible ou
lumineuse. Ainsi on admet communément, avec S.Thomas, que Notre Seigneur, après
son Ascension, n'est apparu personnellement que d'une façon très rare ; il
n'apparaît donc généralement que sous une forme sensible qui n'est pas son
véritable corps. Quand il apparaît dans l'Eucharistie, cela s'explique de deux
façons, dit S. Thomas : ou par une impression miraculeuse dans les organes des
yeux (ce qui est le cas lorsqu'il ne se fait voir qu'à un seul) ; ou par la
formation dans l'air ambiant d'une forme sensible réelle, mais distincte du
corps même de Notre Seigneur; car, ajoute-t-il, le corps du Sauveur ne peut être
vu sous sa forme propre que dans un seul lieu : « Corpus Christi non potest in
propria specie videri nisi in uno loco, in quo definitive continetur » (Sum.
theol., III, q. 76, a. 8) . Ce qui est dit de Notre Seigneur s'applique à la
Ste Vierge ; ainsi, quand elle est apparue à Lourdes, son corps demeurait au
ciel, et, il n'y avait au lieu de l'apparition, qu'une forme sensible la
représentant. C'est ce qui explique comment elle apparaît tantôt sous une forme
et tantôt sous une autre.
1492. 2) Les visions imaginaires ou imaginatives sont celles qui sont produites
dans l'imagination par Dieu ou par les anges, à l'état de veille ou pendant le
sommeil. Ainsi un ange apparaît plusieurs fois à S. Joseph pendant son sommeil,
et Ste Thérèse raconte plusieurs visions imaginaires de l'humanité de Notre
Seigneur qu'elle eut à l'état de veille (Vie, ch. XXVIII) ; souvent ces visions
sont accompagnées d'une vision intellectuelle qui en explique la signification
(Vie, ch. XXIX). Parfois on parcourt, en vision, des contrées lointaines : ce
sont alors, la plupart du temps, des visions imaginaires.
1493. 3) Les visions intellectuelles sont celles où l'esprit perçoit une vérité
spirituelle, sans formes sensibles : telle fut la vision de la Sainte Trinité
qu'eut Ste Thérèse, et que nous avons rapportée, n° 1473. Ces visions se font
soit par des idées déjà acquises, mais que Dieu coordonne ou modifie, soit par
des espèces infuses qui représentent mieux que des idées acquises les choses
divines. Parfois elles sont obscures et ne manifestent que la présence de
l'objet (Vie, ch. XXVII, p. 336) ; d'autres fois, elles sont claires, mais ne
durent qu'un moment : ce sont comme des intuitions qui laissent une impression
profonde (Château, 6e Dem., ch. X, p. 262).
II y a des visions qui réunissent deux ou trois caractères en même temps. Ainsi
la vision de S. Paul sur le chemin de Damas fut à la fois sensible, quand il vit
la lumière fulgurante, imaginative, quand les traits d'Ananie furent représentés
à son imagination, et intellectuelle, lorsqu'il comprit la volonté de Dieu sur
lui.
1494. b) Les paroles surnaturelles sont des manifestations de la pensée divine
qui se font entendre aux sens extérieurs, aux sens intérieurs ou directement à
l'intelligence. On les appelle auriculaires lorsque ce sont des vibrations
miraculeusement formées qui retentissent aux oreilles ; imaginaires,
lorsqu'elles se font entendre à l'imagination ; intellectuelles, lorsqu’elles s’addressent
directement à l’intelligence.
1495. c) Les touches divines sont des sentiments spirituels délicieux imprimés
dans la volonté par une sorte de contact divin, et qui sont accompagnés d'une
vive lumière pour l'intelligence. On en distingue deux sortes : les touches
divines ordinaires, et les touches divines substantielles, qui, tout en
atteignant la volonté, sont si profondes qu'elles semblent se produire dans la
substance même de l'âme ; de là ces expressions des mystiques qui déclarent
avoir éprouvé un contact de substance à substance. En réalité ces touches
s'exercent sur la fine pointe de la volonré et de l'intelligence, là où ces
facultés s'enracinent dans la substance même de l'âme ; mais ce sont les
facultés et non la substance, qui, d'après la doctrine de S. Thomas, perçoivent
ces impressions. Cette fine pointe de la volonté est appelée par les mystiques
la cime de l'esprit ou la cime de la volonté, ou encore le fond de l'âme.
1496. C) Attitude par rapport à ces grâces extraordinaires. Les grands mystiques
sont unanimes à enseigner qu'il ne faut ni désirer ni demander ces faveurs
extraordinaires. Ce ne sont pas en effet des moyens nécessaires pour arriver à
l'union divine ; et parfois même, à cause de nos tendances mauvaises, ce sont
plutôt des obstacles à l'union divine. C'est ce que montre en particulier S.
Jean de la Croix ; il affirme que ce désir de révélations enlève la pureté de la
foi, développe une curiosité dangereuse qui est une source d'illusions,
embarrasse l'esprit de vains fantômes, dénote souvent un manque d'humilité et un
manque de soumission à Notre Seigneur, qui, par les révélations publiques, nous
a donné tout ce qu'il faut pour nous conduire au ciel. Aussi il s'élève avec
force contre ces directeurs imprudents qui favorisent ce désir des visions. «
Ils les encouragent, dit-il, à s'occuper de ces visions de façon ou d’autre, ce
qui les empêche de marcher dans le pur et parfait esprit de foi. Ils ne les
édifient et fortifient plus dans la foi ; et se prêtent à de longs entretiens au
sujet de ces visions. Par là ils leur font comprendre que cela leur plaît ou
qu'ils en font grand cas ; elles se comportent de même ? Alors ces âmes, livrées
à leurs impressions, ne sont plus inspirées par la foi, ne sont plus vides,
dépouillées et détachées de ces choses sensibles… Où est l'humilité de cette
âme, du moment qu’elle croit qu’il y a là quelque chose qui est un bien, et même
s'imagine que Dieu fait d'elle un cas spécial ?... Comme ces confesseurs se
trouvent devant des âmes qui sont l'objet de manifestations divines, ils les
utilisent, demandent qu'elles veuillent bien servir d'intermédiaires afin que
Dieu leur fasse connaître ceci ou cela, pour eux-mêmes ou pour d'autres. Ces
âmes sont alors assez niaises pour se charger de ce service... La vérité est que
cela ne plaît pas à Dieu, et qu'il ne le désire d’aucune façon » (Montée, l. II,
ch. XVI). Du reste ces visions sont sujettes à beaucoup d'illusions ; voilà
pourquoi il faut donner des règles pour discerner les vraies des fausses.
2°
Règles pour le discernement des révélations
1497. Pour bien discerner
les vraies révélations, et savoir reconnaître l'élément humain qui peut s'y
glisser, il importe de tracer des règles aussi précises que possible. Ces règles
concernent la personne qui reçoit des révélations, l'objet sur lequel elles
portent, les effets qu'elles produisent, les signes qui les accompagnent.
A) Règles concernant la personne favorisée de révélations
1498. Dieu sans doute peut faire des révélations à qui il lui plaît, même à des
pécheurs ; mais il ne le fait habituellement qu'aux personnes non seulement
ferventes, mais déjà élevées à l'état mystique. D'ailleurs, même pour
interpréter les vraies révélations, il est nécessaire de connaître les qualités
et les défauts des personnes qui se croient favorisées de révélations. Or il
faut pour cela, étudier leurs qualités naturelles et surnaturelles.
a) Qualités naturelles : 1) au point de vue du tempérament, sont-ce des
personnes bien équilibrées ou atteintes de psycho-névrose ou d'hystérie ? Il est
évident en effet que, dans ce dernier cas, il y a lieu de tenir en suspicion les
prétendues révélations, parce que ces tempéraments sont sujets aux
hallucinations. 2) Au point de vue mental, s'agit-il d'une personne de bon sens,
au jugement droit, ou d'une imagination exaltée, jointe à une excessive
sensibilité ? D'une personne instruite ou ignorante ? De qui a-t-elle reçu son
instruction ? Son esprit n'est-il pas affaibli par la maladie, par de longs
jeûnes ? 3) Au point de vue moral, la personne est-elle parfaitement sincère, ou
bien a-t-elle l'habitude d'amplifier la vérité, quelquefois même de l'inventer ?
Est-elle d'un caractère calme ou passionné ? La solution de ces questions ne
prouvera pas sans doute l'existence ou la non-existence d'une révélation, mais
aidera beaucoup à juger de la valeur du témoignage apporté par les voyants.
1499. b) Quant aux qualités surnaturelles, on examinera si la personne : 1) est
douée d'une vertu solide, longuement éprouvée, ou seulement d'une ferveur plus
ou moins sensible ; 2) si elle a une humilité sincère, profonde, ou si au
contraire elle aime à se mettre en avant, à raconter à tout le monde ses faveurs
spirituelles ; l'humilité vraie est la pierre de touche de la sainteté ; et si
elle fait défaut, c'est un très mauvais signe ; 3) si elle fait connaître à son
directeur ses révélations, au lieu de les communiquer à d'autres personnes, et
si elle suit ses conseils avec docilité ; 4) si elle a déjà passé par les
épreuves passives et les premiers degrés de con templation ; si surtout elle a
des extases dans sa vie, c'est-à-dire, si elle pratique les vertus à un degré
héroïque : généralement en effet Dieu réserve ces visions aux âmes parfàites.
1500. Remarquons bien que la présence de ces qualités ne prouve pas l'existence
d'une révélation, mais rend le témoignage de la voyante plus croyable ; et que
leur absence, sans en prouver la non-existence, la rend peu probable. En outre
les renseignements ainsi obtenus permettront plus facilement de découvrir les
mensonges ou les illusions des prétendues voyantes. Il en est en effet qui, par
orgueil et pour se faire valoir, simulent volontairement des extases et des
visions . D'autres, plus nombreuses, se font illusion, grâce à une vive
imagination, et prennent leurs propres pensées pour des visions ou des paroles
intérieures .
B)
Règles concernant l'objet des révélations.
1501. C'est de ce côté
surtout qu'il faut faire porter son attention : car toute révélation contraire à
la foi ou aux bonnes mœurs, doit être impitoyablement rejetée, d'après
l'enseignement unanime des Docteurs, fondé sur cette paroles de S. Paul : «
Quand nous-mêmes, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Evangile
que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème » (Galat. I, 8). Dieu
ne peut en effet se contredire, ni révéler des choses contraires à ce qu'il nous
enseigne par son Eglise. De là un certain nombre de règles que nous allons
rappeler. a) Il faut regarder comme fausse toute révélation privée en
contradiction avec une vérité de foi : telles sont, par exemple, les prétendues
révélations spirites qui nient plusieurs de nos dogmes, en particulier
l'éternité des peines de l'enfer. Il en est de même, si elles sont opposées à
l'enseignement unanime des Pères et Théologiens, qui est une des formes du
magistère ordinaire de l'Eglise. S'il s'agit d'une opinion controversée entre
théologiens, il faut tenir en suspicion toute révélation qui prétendrait en
donner la solution, par exemple, qui trancherait la controverse entre thomistes
et molinistes : Dieu n'a pas coutume de se prononcer sur des questions de ce
genre.
1502. b) On doit rejeter aussi toute vision qui serait contraire aux lois de la
morale ou de la décence : par exemple, des apparitions de formes humaines sans
vêtements, un langage trivial ou immodeste, des descriptions minutieuses ou
détaillées de vices honteux, qui ne peuvent qu'offenser la pudeur . Dieu, qui
ne fait de révélations que pour le bien des âmes, ne peut évidemment être
l'auteur de celles qui sont de nature à porter au vice. C'est en vertu du même
principe que sont suspectes les apparitions qui manquent de dignité, de réserve,
à plus forte raison toutes celles où éclate le ridicule ; ce dernier trait est
la marque des contrefaçons humaines ou diaboliques : telles furent les
manifestations du cimetière de Saint-Médard. c) On ne peut admettre non plus
comme venant de Dieu des requêtes impossibles à réaliser, en tenant compte des
lois providentielles et des miracles que Dieu a coutume de faire : Dieu ne
demande pas en effet l'impossible .
C)
Règles concernant les effets produits par les révélations.
1503. On juge l’arbre à
ses fruits ; on peut donc juger des révélations par les effets qu'elles
produisent dans l'âme. a) D'après S. Ignace et Ste Thérèse, la vision divine
produit au début un sentiment d'étonnement et de crainte,bientôt suivi d'un
sentiment profond et durable de paix, de joie et de sécurité. C'est le contraire
pour les visions diaboliques ; si d'abord elles causent de la joie, elles
produisent vite du trouble, de la tristesse, du découragement ; c'est par là en
effet que le démon fait tomber les âmes.
1504. b) Les vraies révélations affermissent l'âme dans les vertus d'humilité,
d'obéissance, de patience, de conformité à la volonté divine ; les fausses
engendrent l'orgueil, la présomption, la désobéissance. Écoutons Ste Thérèse : «
Cette grâce apporte avec elle, en un très haut degré, la confusion et l'humilité
; tandis que l'action du démon laisserait des effets tout contraires. Il est si
manifeste qu'elle vient de Dieu… que l'âme ainsi favorisée se trouve dans
l'impossibilité absolue d'y voir un bien qui lui soit propre : il est clair pour
elle que c'est un don divin... Les trésors dont cette grâce enrichit l'âme, et
les effets intérieurs qu'elle produit ne permettent pas de l'attribuer à la
mélancolie. Le démon non plus ne pourrait procurer un si grand bien ; l'âme ne
sentirait pas une paix si profonde, des désirs si constants de plaire à Dieu, un
si grand mépris de tout ce qui ne la mène pas à lui ». (Château, 6e Dem., ch.
VIII, p. 242-243).
1505. c) Ici se présente la question de savoir si on peut demander des signes
pour confirmer les révélations privées. a) Si la chose est importante on peut le
faire, mais humblement et conditionnellement ). car Dieu n'est pas tenu de faire
des miracles pour prouver la vérité de ces visions. b) Si on lui en demande, il
est bon de lui en laisser le choix. Le bon curé de Lourdes avait fait demander à
l'apparition de faire fleurir un églantier en plein hiver ; ce signe ne fut pas
accordé, mais la Vierge immaculée fit jaillir une source miraculeuse qui devait
guérir les corps et les âmes. c) Quand le miracle demandé a été bien constaté,
ainsi que sa relation avec l'apparition, il y a la une preuve sérieuse qui
entraîne la conviction.
D) Règles pour discerner le vrai du faux dans les révélations privées.
1506. Une révélation peut
être vraie en son fond et cependant mêlée d'erreurs accessoires, Dieu ne
multiplie pas les miracles sans raison, et ne corrige pas les préjugés ou
erreurs qui peuvent se trouver dans l'esprit des voyants : il a en vue leur bien
spirituel et non leur formation intellectuelle. C'est ce que nous comprendrons
mieux en analysant les principales causes d'erreurs qu'on rencontre en quelques
révélations privées. a) La première cause, c'est le mélange de l'activité
humaine avec l'action surnaturelle de Dieu, surtout si l'imagination et l'esprit
sont d'une grande vivacité.
1) Ainsi on retrouve dans les révélations privées les erreurs du temps sur les
sciences physiques ou historiques. Ste Françoise Romaine affirme qu'elle a vu un
ciel de cristal entre le ciel des étoiles et l'empyrée, et attribue la couleur
bleue du firmament au ciel des étoiles. Marie d'Agréda crut savoir par
révélation que ce ciel de cristal se divisa en onze parties au moment de
l'Incarnation.
2) On y retrouve aussi les idées, et parfois les préjugés ou systèmes des
directeurs des voyantes. Sur la foi de ses directeurs, Ste Colette crut voir que
Ste Anne s’était mariée trois fois et venait la visiter avec sa nombreuse
famille. Parfois les saintes dominicaines et franciscaines parlent, dans leurs
visions, conformément au système particulier de leur Ordre.
3) Des erreurs historiques se glissent aussi parfois dans les révélations : Dieu
n'a pas coutume de révéler des détails précis sur la vie de Notre Seigneur ou de
la Ste Vierge, quand ils n'ont qu'un intérêt médiocre pour la piété ; or
plusieurs voyantes, confondant leurs pieuses méditations avec les révélations,
donnent des détails, des chiffres, des dates qui contredisent des documents
historiques ou d'autres révélations. Ainsi, dans les divers récits sur la
Passion, bien des petits détails, racontés dans des visions, sont
contradictoires (par exemple sur le nombre de coups que Jésus reçut dans sa
flagellation), ou en opposition avec les meilleurs historiens.
1507. b) Une révélation divine peut être mal interprétée. Par exemple, Ste
Jeanne d'Arc ayant demandé à ses voix si elle serait brûlée, elles lui
répondirent de s'en remettre à Notre Seigneur, qu'il l'aiderait et qu'elle
serait délivrée par grande victoire ; or elle croyait que cette victoire serait
sa délivrance de prison ; ce fut en réalité son martyre et son entrée au ciel.
S. Norbert avait déclaré savoir par révélation, d'une manière très certaine, que
l'antéchrist viendrait du temps de la génération actuelle (XIIe s.) ; poussé à
bout par S. Bernard, il dit qu'au moins il ne mourrait pas sans avoir vu une
persécution générale dans l'Eglise. S. Vincent Ferrier avait annoncé le jugement
dernier comme prochain, et semblé confirmer cette prédiction par des miracles .
1508. c) Une révélation peut être inconsciemment altérée par le voyant lui-même
au moment où il cherche à l'expliquer, ou, plus souvent encore, par ses
secrétaires. Ste Brigitte reconnaît elle-même que parfois elle retouchait ses
révélations pour les mieux expliquer ; ces explications ne sont pas toujours
exemptes d'erreurs. On reconnaît aujourd'hui que les secrétaires qui ont écrit
les révélations de Marie d'Agréda, de Catherine Emmerich et de Marie Lataste,
les ont retouchées dans une mesure qu'il est difficile de reconnaître. Pour
toutes ces raisons, on ne saurait apporter trop de prudence dans l'examen des
révélations privées.
Conclusion : conduite à tenir par rapport aux révélations privées
1509. a) Nous ne pouvons
mieux faire que d'imiter la sage réserve de l'Eglise et des Saints. Or l'Eglise
n'admet de révélations que lorsqu'elles sont bien et dûment constatées et, même
alors, elle ne 1es impose pas à la croyance des fidèles. De plus, quand il
s'agit de l'institution d'une fête ou de quelque fondation extérieure, elle
attend de longues amlées avant de se prononcer, et ne se décide qu'après avoir
examiné mûrement la chose en elle-même, et dans ses rapports avec le Dogme et la
Liturgie. Ainsi la Bse Julienne de Liège, choisie par Dieu pour faire instituer
la fête du S. Sacrement, ne soumit son projet aux théologiens que vingt-deux ans
après ses premières visions ; ce ne fut que seize ans après que l'évêque de
Liège institua la fête dans son diocèse, et six ans après la mort de la
Bienheureuse que le pape Urbain IV l'institua pour toute l'Eglise (1264). De
même la fête du Sacré-Creur ne fut approuvée que longtemps après les révélations
faites à Ste Marguerite-Marie, et pour des motifs indépendants des révélations
elles-mêmes. Il y a là pour nous une leçon dont il faut profiter.
1510. b) On ne se prononcera donc avec certitude sur l'existence d'une
révélation privée que lorsqu'on aura des preuves convaincantes, ces preuves si
bien résumées par Benoît XIV dans son livre sur les Canonisations. En général,
on ne se contentera pas d'une seule preuve, on en exigera plusieurs ; et on se
demandera si elles sont cumulatives et convergentes, si elles se confirment les
unes les autres : plus elles sont nombreuses et plus on aura d'assurance.
1511. c) Quand un directeur reçoit des confidences sur des révélations, il se
gardera bien de manifester de l'admiration : ce qui encouragerait les voyants à
regarder immédiatement ces visions comme vraies, et peut-être à s'en
enorgueillir. Il doit au contraire manifester que ce sont là des choses beaucoup
moins importantes que la pratique des vertus, que l'illusion est facile, qu'il
faut s'en défier, et, au début, les rejeter plutôt que de les accueillir. Telle
est la règle tracée par les Saints. Voici ce qu'écrit Ste Thérèse : « Qu'il
s'agisse d'âmes malades ou saines, il est toujours bon de se défier, jusqu'à ce
qu'on soit bien assuré de l'esprit qui opère. C'est pourquoi je dis que, dans
les commencements, le meilleur est toujours de faire opposition. Si ces effets
sont de Dieu, ils ne continueront que mieux, car l'épreuve les fait croître au
lieu de les diminuer : ceci est l'exacte vérité. Mais, d'autre part, il faut
éviter de trop contraindre l'âme, comme aussi de la troubler, car il est certain
qu'elle ne peut rien à cela » (Château, 6e Dem., ch. III, p. 186). S. Jean de la
Croix est encore plus énergique ; après avoir signalé les six inconvénients
principaux qu'il y aurait à bien accueillir ces visions, il ajoute : « Rien de
plus agréable au démon qu'une âme qui cherche les révélations et en est avide ;
c'est lui présenter toute facilité pour insinuer des erreurs et pour affaiblir
la foi, et par là elle est le plus souvent exposée aux extravagances et aux
fortes tentations » (Montée du carmel, l. II, ch. X).
1512. d) Cependant le directeur doit traiter avec douceur les personnes qui
croient avoir des révélations : par là il obtiendra leur confiance et pourra
plus efficacement connaître les détails qui lui permettront, après mûre
réflexion, de porter un jugement. Si elles sont dans l’illusion, il n'en aura
que plus d'autorité pour les éclairer et les ramener à la vérité. C'est le
conseil que donne S. Jean de la Croix, pourtant si sévère à l'égard des visions
: « Nous avons insisté avec sévérité sur la nécessité qu'il y a de se
débarrasser des visions et révélations, ajoutant que les confesseurs doivent en
détourner les âmes, loin de s'en entretenir avec elles, et cela ne veut pas dire
qu'ils doivent se montrer durs et repousser avec mépris les déclarations faites
à ce sujet. Par là on ferme la porte à toute confidence ; les âmes se resserrent
et se renferment en elles-mêmes, de façon à ne plus rien dire ; et il n'en peut
résulter que des misères » (Montée du Carmel, l. II, ch. XX).
1513. e) S'il s'agit de quelque institution ou fondation extérieure, le
directeur se gardera bien de l'encourager sans avoir auparavant examiné avec
soin les raisons pour et contre à la lumière de la prudence surnaturelle. Telle
fut la conduite des Saints : Ste Thérèse, qui eut tant de révélations, ne voulut
pas que ses directeurs fussent influencés dans leurs décisions uniquement par
les visions qu'elle recevait. Ainsi, quand Notre Seigneur lui eut révélé de
fonder le monastère réformé d'Avila, elle soumit humblement ce dessein à son
directeur et, comme celui-ci hésitait, elle prit l’avis de St Pierre
d'Alcantara, de St François Borgia et de St Louis Bertrand (Histoire de Ste
Thérèse par une Carmélite, ch. XII).
Quant aux voyants eux-mêmes, ils n’ont qu’une règle à suivre, faire connaître
leurs révélations à un sage directeur, et suivre humblement et en tout la ligne
de conduite qu'il leur trace : c'est le plus sûr moyen de ne pas s'égarer.
II. Les
grâces gratuitement données
1514. Les révélations dont
nous venons de parler, sont données surtout pour l’utilité personnelle ; les
grâces gratuitement données le sont principalement pour l'utilité des autres. Ce
sont en effet des dons gratuits, extraordinaires et transitoires, conférés
directement pour le bien des autres, bien qu'ils puissent indirectement servir à
la sanctification personnelle. Saint Paul les mentionne sous le nom de charismes
; dans l'Epître aux Corinthiens, il en distingue neuf, qui tous proviennent du
même Esprit :
1515. 1) La parole de sagesse, sermo sapientiæ, qui nous aide à tirer des
vérités de foi, considérées comme principes, des conclusions qui enrichissent le
dogme.
2) La parole de science, sermo scientia, qui nous fait utiliser les sciences
humaines pour expliquer les vérités de foi.
3) Le don de foi, non pas la vertu elle-même, mais une certitude spéciale qui
est capable d'enfanter des prodiges.
4) Le don des guérisons, gratia sanitatum, qui n'est autre que le pouvoir de
guérir les malades.
5) La puissance d'opérer des miracles... pour confirmer ainsi la révélation
divine.
6) Le don de prophétie, ou le don d'enseigner au nom de Dieu, et au besoin, de
confirmer son enseignement par des prophéties.
7) Le discernement des esprits, ou don infus de lire les secrets des cœurs et de
discerner le bon esprit du mauvais.
8) Le don des langues, qui, en S. Paul, est le don de prier en langue étrangère,
avec un certain sentiment d'exaltation ; d'après les théologiens, c'est le don
de parler plusieurs langues.
9) Le don d’interprétation, ou la faculté d'interpréter les paroles étrangères
dont il vient d'être question .
Selon la remarque très juste de S. Paul et de S. Thomas, tous ces charismes sont
bien au-dessous de la charité et de la grâce sanctifiante.
§ II.
Phénomènes psycho-physiologiques
1516. On désigne sous ce
nom des phénomènes qui agissent à la fois sur l'âme et sur le corps, et qui se
rattachent plus ou moins à l'extase, dont nous avons déjà parlé, n° 1454. Les
principaux de ces phénomènes sont : 1° la lévitation ; 2° les effluves lumineux
; 3° les effluves odoriférants ; 4° l'abstinence ou inédie ; 5° la
stigmatisation.
I. La
lévitation
1517. La lévitation est un
phénomène en vertu duquel le corps se trouve soulevé au-dessus du sol et s'y
maintient sans aucun appui naturel : on l'appelle alors l'extase ascensionnelle.
Parfois le corps s'envole à de grandes hauteurs : c'est le vol extatique.
D'autres fois il semble courir rapidement en rasant le sol : c'est la marche
extatique. De nombreux faits de lévitation se lisent dans la vie de plusieurs
saints, soit dans les Bollandistes, soit au Bréviaire ; par exemple : S. Paul de
la Croix, au 28 avril ; S. Philippe de Néri, 26mai ; S. Etienne de Hongrie, 2
septembre ; S. Joseph de Cupertino, 18 septembre ; S. Pierre d’Alcantara, 19
octobre ; S. François Xavier, 3 décembre, etc. L'un des plus célèbres est S.
Joseph de Cupertino, qui, voyant un jour des ouvriers fort embarrassés pour
dresser une croix de mission très lourde, prit son vol aérien, saisit la croix
et la planta sans effort dans le trou qui lui était destiné. A ce phénomène se
rattache celui d'une pesanteur extra-ordinaire, qui fait qu'on ne peut être
soulevé même par une force très grande.
1518. Les rationalistes ont essayé d'expliquer ce phénomène d'une façon
naturelle, par l'aspiration profonde de l'air dans les poumons, par une force
psychique inconnue, par l’intervention des esprits ou des âmes séparées : autant
dire qu'ils n'ont pas d'explication sérieuse à donner. Combien plus sage est
Benoît XIV ! Il demande tout d'abord que le fait soit bien constaté, afin
d'éviter toute supercherie. Puis il déclare : 1) que la lévitation bien
constatée ne peut s'expliquer naturellement ; 2) qu'elle ne surpasse pas
cependant les forces de l'ange et du démon, qui peuvent soulever les corps ; 3)
que chez les Saints, ce phénomène est comme une anticipation du don d'agilité
qui convient aux corps glorieux.
II.
Effluves lumineux
1519. L'extase est parfois
accompagnéede phénomènes lumineux : tantôt c'est une auréole de lumière qui
enveloppe le front, tantôt c'est tout le corps qui est environné de lumière. Ici
encore nous résumerons la doctrine de Benoît XIV. Avant tout, il faut bien
étudier le fait avec toutes ses circonstances, pour voir si la lumière ne peut
pas s'expliquer naturellement. On se demandera en particulier : 1) si le
phénomène se produit en plein jour ou pendant la nuit, et, dans ce dernier cas,
si la lumière est plus brillante que toute autre lumière ; 2) si c'est une
simple étincelle, analogue à l'étincelle électrique, ou si le phénomène lumineux
se prolonge pendant un temps notable et se renouvelle plusieurs fois ; 3) s'il
se produit au cours d'un acte religieux, une extase, une prédication, une prière
; 4) s'il en résulte des effets de grâce, des conversions durables, etc ; 5) si
la personne, d'où vient ce rayonnement, est vertueuse et sainte. Ce n’est
qu’après avoir mûrement examiné tous ces détails qu'on pourra conclure au
caractère surnaturel de ces faits. Ici encore c'est une sorte d'anticipation de
la clarté qui illuminera les corps glorieux.
III.
Effluves odoriférants
1520. Parfois Dieu permet
que du corps des saints, pendant leur vie, ou après leur mort, se dégagent des
parfums, qui expriment ainsi la bonne odeur des vertus qu'ils ont pratiquées.
Ainsi des stigmates de S. François d'Assise s'échappaient quelquefois des odeurs
suaves. Quand SteThérèse mourut, l'eau avec laquelle on lava son corps demeura
parfumée ; pendant neuf mois, un parfum mystérieux s'exhala de sa tombe, et,
quand on exhuma son corps, une huile odoriférante coulait de ses membres. Et on
cite beaucoup d'autres faits analogues. Benoît XIV indique comment il faut
procéder pour constater le miracle ; on examinera : 1) si l'odeur suave est
persistante ; 2) si rien, auprès du corps ou dans le terrain, ne peut
l'expliquer ; 3) si quelques miracles ont été produits par l'usage de l'eau ou
de l'huile provenant du corps saint.
IV.
Abstinence prolongée
1521. Il y a des Saints,
surtout parmi les stigmatisés, qui ont vécu sans prendre d'autre nourriture que
la sainte communion, pendant plusieurs années. Le Dr Imbert-Goubeyre signale, en
particulier, quelques cas frappants : « La Bse Angèle de Foligno resta douze ans
sans prendre aucune nourriture ; Ste Catherine de Sienne, huit ans environ ; la
Bse Elisabeth de Rente, plus de quinze ans ; Ste Lidwine, vingt-huit ans ; la
Bse Catherine de Racconigi, dix ans... de nos jours, Rosa Andriani, vingt-huit
ans... et Louise Lateau, quatorze ans » (La stigmatisation, t. II, p. 183). L'Eglise
se montre très sévère dans ses enquêtes sur des faits de ce genre et exige une
surveillance de tous les instants, pendant un temps notable, par des témoins
nombreux et habiles à découvrir les fraudes. Ils doivent examiner si
l'abstinence est totale, s'étendant à la boisson aussi bien qu'à la nourriture
solide, si elle est durable, et, si la personne continue de vaquer à ses
occupations. Il faut rapprocher de ce phénomène l'abstinence de sommeil ; ainsi
S. Pierre d’Alcantara, pendant quarante ans, ne dormit qu’une heure et demie par
nuit ; Ste Catherinede Ricci ne dormait qu'une heure par semaine.
V. La
stigmatisation
1522. 1° Nature et
origine. Ce phénomène consiste dans une sorte d'impression des plaies sacrées du
Sauveur sur les pieds, les mains, le côté et le front : elles apparaissent
spontanément, sans être provoquées par aucune blessure extérieure, et laissent
couler périodiquement un sang non vicié. Le premier stigmatisé connu est S.
François d'Assise : dans une extase sublime, sur le mont Alverne, le 17
septembre 1222, il vit un séraphin lui présentant l'image de Jésus crucifié et
lui imprimant les sacrés stigmates ; il conserva jusqu'à sa mort ces plaies,
d'où coulait un sang vermeil. Il essaya de cacher ce miracle, mais ne put y
réussir complètement, et, à sa mort, le 11 octobre 1226, le prodige devint
public. Depuis lors, les cas se sont multipliés. Le Dr Imbert en compte trois
cent vingt et un, dont quarante et un parmi les hommes. Soixante-deux
stigmatisés ont été canonisés.
1523. Il semble constaté que la stigmatisation n'existe que chez les extatiques,
et qu'elle est précédée et accompagnée de très vives souffrances, physiques et
morales, qui rendent ainsi le sujet conforme à Jésus souffrant. L'absence de ces
souffrances serait un mauvais signe : car les stigmates ne sont que le symbole
de l'union au divin Crucifié et de la participation à son martyre. L'existence
des stigmates est prouvée par de si nombreux témoignages que les incroyants
eux-mêmes en admettent généralement l'existence ; mais ils essaient de
l'expliquer d'une façon naturelle. Ils affirment que, chez certains sujets doués
d'une sensibilité exceptionnelle, on peut, en surexcitant l'imagination,
provoquer des sueurs de sang qui ressemblent aux stigmates. En fait les quelques
résultats que l'on a obtenus sont bien différents de ce qu'on remarque chez les
stigmatisés.
1524. 2° Signes pour discerner les stigmates. Voilà pourquoi, afin de mieux
différencier la stigmatisation des phénomènes artificiels qu'on provoque chez
certains individus, il faut faire attention à toutes les circonstances qui
caractérisent les vrais stigmates. 1) Les stigmates sont localisés aux endroits
mêmes où Notre Seigneur reçut les cinq plaies, tandis que l'exsudation sanguine
des hypnotisés n'est pas localisée de la même façon. 2) En général le
renouvellement des plaies et des douleurs des stigmatisés a lieu aux jours ou
aux époques qui rappellent le souvenir de la Passion du Sauveur, comme le
Vendredi ou quelque fête de Notre Seigneur. 3) Ces plaies ne suppurent pas : le
sang qui en coule est pur, tandis que la plus petite lésion naturelle sur un
autre point du corps amène de la suppuration, même chez les stigmatisés. Elles
ne guérissent pas, malgré les remèdes ordinaires, et persistent parfois pendant
trente et quarante ans. 4) Elles produisent d'abondantes hémorragies ; ce qui se
conçoit le premier jour où elles paraissent, mais devient inexplicable pour les
jours suivants. L'abondance des hémorragies demeure aussi inexpliquée ; les
stigmates sont généralement à la surface, loin des gros vaisseaux sanguins, et
cependant ils laissent couler des flots de sang ! 5) Enfin, et surtout, ces
stigmates ne se trouvent que chez des personnes qui pratiquent les vertus les
plus héroïques, et qui ont en particulier un grand amour de la croix. L’étude de
ces circonstances montre bien que nous ne sommes pas ici en face d'un cas
pathologique ordinaire, mais qu'il y a là l'intervention d'une cause
intelligente et libre qui agit sur ces stigmatisés pour les rendre plus
conformes au divin Crucifié.
Conclusion :
différences entre ces phénomènes et les phénomènes morbides
1525. Les phénomènes qui se rattachent à l'extase sont si bien prouvés que les
positivistes ne peuvent les nier ; ils essaient seulement de les assimiler à
certains phénomènes morbides provenant de psycho-névroses et en particulier de
l'hystérie ; quelques-uns mêmes y voient une forme de la folie. Assurément les
Saints sont sujets à la maladie, comme les autres hommes ; mais là n'est pas la
question ; il s'agit de savoir si, malgré leurs maladies, ils nous apparaissent
sains et bien équilibrés au point de vue mental. Or sur ce point, il y a des
différences tellement essentielles entre les phénomènes mystiques et les
psycho-névroses, que nul homme de bonne foi ne peut s'empêcher de les constater
et d'en conclure qu'il n'y a aucune assimilation possible. Ces différences se
tirent spécialement : 1° du sujet ; 2° de la diversité des phénomènes ; 3° des
résultats.
1526. 1° Différences du côté du sujet. Si on compare les malades atteints de
psycho-névroses aux extatiques, les premiers sont des déséquilibrés au point de
vue physique et moral, tandis que les seconds sont, au point de vue moral du
moins, parfaitement équilibrés. A) Les premiers sont des déséquilibrés au point
de vue mental aussi bien qu'au point de vue physique. On constate chez eux une
diminution de l'activité intellectuelle et de la puissance de la volonté : la
conscience est altérée ou suspendue, l'attention se ralentit, l'intelligence
s'appauvrit, la mémoire se désagrège au point qu'on croit à un dédoublement de
la personnalité ; bientôt il ne reste plus dans l’esprit qu'un petit nombre
d'idées fixes ; de là un certain monoidéisme, voisin de la folie. En même temps
la volonté s'affaiblit ; les émotions prennent le dessus ; on est le jouet de
ses caprices, ou des suggestions d'une volonté supérieure, on ne s'appartient
plus. C'est donc un affaiblissement, une diminution de la personnalité, des
forces intellectuelles et morales.
1527. B) C'est tout le contraire qui a lieu chez les mystiques : leur
intelligence s'agrandit, leur volonté se fortifie, et ils deviennent capables de
concevoir et de réaliser les plus grandes entreprises. Nous avons vu en effet
comment ils acquièrent de nouvelles connaissances sur Dieu, sur ses attributs,
sur les dogmes de foi, sur eux-mêmes. Sans doute ils ne peuvent exprimer tout ce
qu'ils voient ; mais ils déclarent en toute sincérité avoir plus appris en
quelques instants de contemplation qu'en de longues lectures ; et cette
conviction se traduit par un progrès réel dans la pratique des vertus les plus
héroïques. On les voit en effet plus humbles, plus charitables, plus soumis à la
volonté divine, au milieu même des souffrances les plus rudes, et jouissant d'un
calme, d'une paix, d'une sérénité inaltérables. Que nous sommes loin des
agitations et des mouvements passionnés des hystériques !
1528. 2° Différences du côté des phénomènes. Il n'y a pas moins de différences
du côté de la manière dont se produisent les phénomènes de part et d'autre. A)
Rien de plus triste, de plus écœurant que les crises hystériques : 1) La
première phase ressemble à une légère attaque d'épilepsie, mais s'en distingue
par la sensation d'une boule qui monte à la gorge, et qui au fond n'est qu'un
gonflement de la gorge avec une impression d'étouffement, et par une sorte de
sifflement qu'on perçoit par les oreilles. 2) La seconde consiste en des gestes
désordonnés, des contorsions de tout le corps, notamment en arc de cercle. 3) La
troisième est celle des attitudes passionnelles de frayeur, de jalousie, de
lubricité en rapport avec l'image ou l'idée obsédante. 4) Le tout finit par des
accès de pleurs ou de rires : c'est la détente qui se produit. Au sortir de ces
crises, les sujets sont fatigués, épuisés et souffrent de diverses
indispositions. B) Ici encore quelle différence d'avec les extatiques ! Point de
convulsions, point d'agitations violentes : c'est le calme, le ravissement d'une
âme intimèment unie à Dieu, si bien que les témoins de l'extase, par exemple
ceux qui ont vu Bernadette au moment de ses visions à la grotte de Massabielle,
ne peuvent retenir leur admiration. Aussi, comme le déclare S. Thérèse, n° 1456,
le corps, au lieu d'être épuisé, reprend dans l'extase de nouvelles forces.
1529. 3° Différences du côté des effets. Quant aux effets, ils sont bien
différents dans les deux cas. A) Chez les hystériques, plus se multiplient les
scènes décrites, et plus le déséquilibre des facultés augmente : la
dissimulation, le mensonge, l'abrutissement, la lubricité, tel est le résultat
des expériences faites sur ces malheureuses victimes. B) Au contraire, chez les
mystiques, c'est un accroissement constant d'intelligence, d'amour de Dieu, de
dévouement au prochain. Quand ils ont occasion d'entreprendre des œuvres, des
fondations, ils déploient un bon sens, un esprit ouvert et ferme, une volonté
énergique, que vient couronner le succès. Ste Thérèse, avant de mourir, avait
fondé, malgré des oppositions nombreuses, seize couvents de femmes et quatorze
d'hommes ; Ste Colette fonda treize monastères et ranima la discipline dans un
grand nombre d'autres ; Mme Acarie, extatique dès l'âge de seize ans, fut mariée
pendant trente ans, éleva six enfants, releva la fortune de sa famille
compromise par les imprudences de son mari, et contribua, quand elle fut veuve,
à fonder le Carmel en France ; Ste Catherine de Sienne, morte à trente-deux ans,
qui pendant longtemps ne savait ni lire ni écrire, joua un rôle si important
dans les affaires du temps et en particulier dans le retour des Papes à Rome,
qu'un historien récent l'a appelée un homme d'état et un grand homme d'état. On
le voit donc, il y a entre les hystériques et les stigmatisés de telles
différences que vouloir les assimiler est aller contre toutes les règles de
l'observation scientifique.
1580. 4° Objection. Cependant il reste une dernière difficulté à résoudre : il
en est qui, avec Ribot, prétendent que l'extase est un rétrécissement progressif
du champ de la conscience aboutissant au monoidéisme affectif ; puisque les
mystiques ne rêvent plus que d’union intime avec Dieu. Pour répondre à cette
difficulté spécieuce, on peut distinguer un double monoidéisme : l’un est
désorganisateur et désagrège peu à peu la personnalité en faussant le jugement ;
telle est l'idée fixe du suicide qui recherche le néant comme le bien suprême ;
mais l'autre est au contraire un monoidéisme coordinateur, qui fait sans doute
prédominer dans l'âme une idée principale et y ramène toutes les autres, mais
sans les fausser. Ce dernier, loin de désagréger la personnalité ne fait que la
fortifier ; c'est parce que les grands politiques ont une idée fixe et y
ramènent tous leurs desseins, qu'ils peuvent accomplir de grandes choses, pourvu
que cette idée soit juste. Or c'est bien le cas pour les mystiques. Ils ont une
idée prédominante, une idée fixe, celle de poursuivre avant tout leur fin
dernière, c'est-à-dire l'union intime avec Dieu, source de tout bonheur et de
toute perfection ; et ils y ramènent toutes leurs autres pensées, tous leurs
sentiments, toutes leurs énergies. Cette idée est parfaitement juste ; elle ne
désagrège rien, elle coordonne au contraire toutes les pensées et toutes les
actions, en les orientant vers cette fin unique qui seule peut nous donner la
perfection et le bonheur. Voilà pourquoi, même au point de vue humain, les
Saints sont de grands actifs, pleins de bon sens, d'énergie et de constance, qui
conçoivent et mènent à bonne fin de grandes entreprises. C'est ce qu'ont
remarqué des incroyants eux-mêmes, comme nous l'avons déjà noté, n° 43. Soyons
donc justes et avouons que les mystiques sont des hommes supérieurs en même
temps que des Saints.
ART. II.
PHENOMÈNES DIABOLIQUES
1531. Jaloux d'imiter
l'action divine dans l'âme des Saints, le démon s'efforce d'exercer lui aussi
son empire ou plutôt sa tyrannie sur les hommes. Tantôt il assiège pour ainsi
dire l'âme par le dehors en lui suscitant d’horribles tentations ; tantôt il
s'installe dans le corps et le meut à son gré comme s’il en était le maître,
afin de jeter le trouble dans l'âme. Dans le premier cas c’est l’obsession, dans
le second c'est la possession. Sur l'action du démon il y a un double excès à
éviter : il en est qui lui attribuent tous les maux qui nous arrivent ; c'est
oublier qu'il y a en nous des états morbides qui ne supposent aucune
intervention diabolique, les tendances mauvaises qui viennent de la triple
concupiscence, et que ces causes naturelles suffisent à expliquer bien des
tentations. Il en est d'autres au contraire qui, oubliant ce que nos Saints
Livres et la Tradition nous disent de l'action du démon, ne veulent admettre en
aucun cas son intervention. Pour se tenir dans le juste milieu, la règle à
suivre est de n'accepter comme phénomènes diaboliques que ceux qui, soit par
leur caractère extraordinaire, soit par un ensemble de circonstances, dénotent
l'action du malin esprit. Nous traiterons. successivement de l'obsession et de
la possession.
§ I. De
l’obsession
1632. I. Sa nature.
L'obsession est au fond une série de tentations plus violentes et plus durables
que les tentations ordinaires. Elle est externe, lorsqu'elle agit sur les sens
extérieurs, par des apparitions ; elle est interne, lorsqu'elle provoque des
impressions intimes. Il est rare qu'elle soit purement externe, le démon
n'agissant sur les sens que pour troubler plus facilement l'âme. Cependant il y
a des saints qui, tout en étant obsédes extérieurement par toutes sortes de
fantômes, conservent dans leur âme une paix inaltérable.
1633. 1° Le démon peut agir sur tous les sens extérieurs : a) Sur la vue, en
apparaissant tantôt sous des formes repoussantes, pour effrayer les personnes et
les détourner de la pratique des vertus, comme il le fit pour la Vble Mère Agnès
de Langeac et bien d'autres ; tantôt sous des formes séduisantes, pour attirer
au mal, comme il arriva souvent à S. Alphonse Rodriguez. b) Sur l'ouie, en
faisant entendre des paroles ou des chants blasphématoires ou obscènes, comme on
le lit dans la vie de la Bse Marguerite de Cortone ; ou en faisant du tapage
pour effrayer comme il arrivait parfois à Ste Madeleine de Pazzi et au Bx Curé
d'Ars. c) Sur le toucher, de deux façons, en infligeant des coups et des
blessures, comme on le lit dans les bulles de canonisation de Ste Catherine de
Sienne, de St François Xavier, et dans la Vie de Ste Thérèse, d'autrefois par
des embrassements qui ont pour but de provoquer au mal, comme S. Alphonse
Rodriguez le raconte de lui-même. Comme le remarque le P. Schram, il est des cas
où ces apparitions sont de simples hallucinations produites par une
surexcitation nerveuse ; même dans ce cas, ce sont de redoutables tentations.
1534. 2° Le démon agit aussi sur les sens intérieurs, l'imagination et la
mémoire, et sur les passions, pour les exciter. Comme malgré soi, on est envahi
par des images importunes, obsédantes, qui persistent malgré des efforts
énergiques ; on se sent en proie aux bouillonnements de la colère, aux angoisses
du désespoir, à des mouvements instinctifs d'antipathie, ou au contraire à des
tendresses dangereuses et que rien ne semble justifier. Sans doute il est
difficile parfois de décider s'il y a obsession véritable ; mais quand ces
tentations sont à la fois soudaines, violentes, persistantes, et difficiles à
expliquer par une cause naturelle, on peut y voir une action spéciale du démon.
En cas de doute, il est bon de consulter un médecin chrétien, qui puisse
examiner si ces phénomènes ne sont pas dus à un état morbide qu’une bonne
hygiène peut atténuer.
1535. II. Conduite du directeur. Il doit joindre la prudence la plus avisée à la
bonté la plus paternelle. a) Sans doute il ne croira pas, sans preuves
sérieuses, à une véritable obsession. Mais, qu'il y ait obsession ou non, il
doit avoir pitié des pénitents assaillis de tentations violentes et
persistantes, et 1es soutenir par de sages conseils. Il leur rappellera en
particulier ce que nous avons dit de la tentation, de la manière d'y résister,
n° 992-918, et des rémèdes spéciaux contre la tentation diabolique, n° 223-224.
b) Si, dans la violence de la tentation, des désordres se sont produits sans
aucun consentement de la volonté, il rappellera qu'il n'y a pas de péché sans
consentement. En cas de doute, il jugera qu'il n'y a pas eu faute, au moins
grave, quand il s'agit d'une personne qui habituellement est bien disposée. c)
Quand il s'agit de personnes ferventes, le directeur se demandera si ces
tentations persistantes ne font pas partie des épreuves passives que nous avons
décrites plus haut, n° 1426 ; et alors il donnera à ces personnes les conseils
appropriés à leur état d'âme.
1536. d) Si l'obsession diabolique est moralement certaine ou très probable, on
peut employer, d'une façon privée, les exorcismes prescrits par le Rituel Romain
ou des formules abrégées ; dans ce cas, il est bon de ne pas prévenir la
personne qu'on va l'exorciser, si on craint que cette déclaration ne trouble et
n'exalte son imagination ; il suffit de l'avertir qu'on va réciter sur elle une
prière approuvée par l'Eglise. Quant aux exorcismes solennels, on ne peut les
employer qu'avec la permission de l'Ordinaire, et avec les précautions que nous
allons signaler en parlant de la possession.
§ II. De
la possession
Nous expliquerons : 1° sa
nature ; 2° les remèdes prescrits par le Rituel.
I.
Nature de la possession
1537. 1° Ses éléments
constitutifs. Deux éléments constituent la possession : la présence du démon
dans le corps du possédé, et l'empire qu'il exerce sur ce corps, et, par son
intermédiaire, sur son âme. C'est ce dernier point qu'il faut expliquer. Le
démon n'est pas uni au corps comme l'âme l'est au corps ; il n'est par rapport à
l'âme qu'un moteur externe, et s'il agit sur elle, c'est par l'intermédiaire du
corps dans lequel il habite. Il peut agir directement sur les membres du corps,
et leur faire exécuter toutes sortes de mouvements ; indirectement il agit sur
les facultés dans la mesure où celles-ci dépendent du corps pour leurs
opérations. On peut distinguer dans les possédés deux états distincts : l'état
de crise et l'état de calme. La crise est comme une sorte d'accès violent, où le
démon manifeste son empire tyrannique en imprimant au corps une agitation
fébrile qui se traduit par des contorsions, des éclats de rage, des paroles
impies et blasphématoires. Les patients perdent alors, ce semble, tout sentiment
de ce qui se passe en eux, et, revenus à eux-mêmes, ne conservent aucun souvenir
de ce qu'ils ont dit ou fait, ou plutôt de ce que le démon a fait par eux. Ce
n'est qu'au début qu'ils sentent l'irruption du démon, après cela, ils semblent
perdre conscience.
1538. Il y a cependant des exceptions à cette règle générale. Le P. Surin, qui,
en exorcisant les Ursulines de Loudun, devint lui-même possédé, gardait
conscience de ce qui se passait en lui. Il décrit comment son âme est partagée,
ouverte d'un côté aux impressions diaboliques, et de l'autre abandonnée à
l'action de Dieu ; comment il prie pendant que son corps roule par terre. Il
ajoute : « Mon état est tel qu'il me reste très peu d'actions où je sois libre.
Si je veux parler, ma langue est rebelle ; pendant la messe, je suis contraint
de m'arrêter tout à coup ; à table, je ne puis porter les morceaux à ma bouche.
Si je me confesse, mes péchés m'échappent ; et je sens que le démon est chez moi
comme en sa maison, entrant et sortant comme il lui plaît ».
1539. Dans les intervalles de calme, rien ne vient décéler la présence du malin
esprit : on dirait qu'il s'est retiré. Parfois cependant cette présence se
manifeste par une sorte d'infirmité chronique qui déroute toutes les ressources
de l'art médical. Souvent il y a plusieurs démons à posséder une seule personne
: ce qui montre leur faiblesse. Généralemcnt la possession ne s'attaque qu'aux
pécheurs ; il y a cependant des exceptions, comme dans le cas du P. Surin.
1540. 2° Les signes de la possession. Comme il y a des maladies nerveuses, et
des monomanies ou cas d'aliénation mentale, qui se rapprochent, dans leurs
manifestations, de la possession diabolique, il importe de donner des signes qui
puissent la distinguer de ces phénomènes morbides. Or, d'après le Rituel Romain,
il y trois signes principaux qui peuvent faire reconnaître la possession :
parler une langue inconnue en faisant usage de plusieurs mots de cette langue,
ou comprendre celui qui la parle ; découvrir les choses éloignées et occultes ;
faire montre de forces qui dépassent les forces naturelles de l’âge ou de la
condition. Ces signes et autres semblables, lorsqu’ils se trouvent réunis en
grand nombre, sont les plus forts indices de la possession ». Un mot pour
expliquer ces signes.
a) L'usage de langues inconnues. Il faut, pour le constater, un examen
approfondi sur le sujet, voir s'il n'a pas eu occasion dans le passé d'apprendre
quelques mots de ces langues, si, au lieu d'articuler quelques phrases apprises
par cœur, il parle et comprend une languequi lui était vraiment inconnue.
b) La révélation de choses occultes qu'aucun moyen naturel ne peut expliquer.
Ici encore il faut donc une enquête approfondie : s'il s'agit, par exemple, de
choses éloignées, il faut être sûr que le sujet ne les connaît pas par lettre,
télégramme ou autre moyen naturel ; s'il s'agit de choses futures, il faut
attendre leur réalisation pour voir si elles arrivent bien de la façon annoncée,
et si elles sont assez précises pour ne donner lieu à aucune équivoque. On ne
doit donc pas tenir compte de ces prédictions vagues annonçant de grands
malheurs, suivis d'heureux succès ; il serait ainsi trop facile de se faire une
réputation de prophète ! Quand le fait est dûment constaté, reste à voir si
cette connaissance préternaturelle vient du bon ou du malin esprit, selon les
règles sur le discernement des esprits ; et d'un malin esprit actuellement
présent dans le possédé.
c) Le déploiement de forces dépassant notablement les forces naturelles du
sujet, en tenant compte de son âge, de son entraînement, de son état morbide,
etc. ; il y a en effet des cas de surexcitation où les énergies sont doublées.
Nous avons déjà dit que le phénomène de lévitation, quand il est bien constaté,
est préternaturel ; il est des cas où, en tenant compte des circonstances, on ne
peut l'attribuer à Dieu ou à ses anges ; on doit donc alors y reconnaître une
marque d'intervention diabolique.
1541. On peut ajouter à ces signes ceux qui résultent des effets produits par
l’emploi des exorcismes ou des choses sacrées, surtout lorsque cet emploi se
fait à l’insu des personnes qu’on croit possédées. Il en est, par exemple, qui
au contact d'un objet saint, ou lorsqu'on récite sur elles des prières
liturgiques, entrent dans des états de fureur indicible, et blasphèment
horriblement. Mais ce signe n'est certain que lorsque ceci se fait à leur
insu... si elles s'en aperçoivent en effet, elles peuvent entrer en fureur, soit
à cause de leur horreur de tout ce qui est religieux, soit par simulation. Il
n'est donc pas aisé de reconnaître une vraie possession, et on ne saurait être
trop réservé avant de se prononcer.
1542. 3° Différences entre la possession et les troubles nerveux. Les
expériences faites sur des personnes atteintes de maladies nerveuses ont montré
une certaine analogie entre ces états morbides et les attitudes extérieures des
possédés. Il ne faut pas s'en étonner : le démon peut produire soit des maladies
nerveuses, soit des phénomènes extérieurs analogues à ceux des névroses. C'est
une raison de plus pour être très réservé dans ses jugements sur les prétendus
cas de possession. Mais ces analogies portent uniquement sur les gestes
extérieurs, qui par eux-mêmes sont insuffisants pour prouver la possession. On
n'a pas trouvé de névrosés qui parlent des langues inconnues, révèlent les
secrets des cœurs ou prédisent l'avenir avec précision et certitude. Or ce sont
là, avons-nous dit, les véritables signes de la possession ; quand ils sont tous
absents, on peut croire à une simple névrose. Si parfois des exorcistes se sont
trompés, c'est qu'ils s'étaient éloignés des règles tracées par le Rituel. Pour
éviter ces erreurs, il est opportun de faire examiner le cas non seulement par
des prêtres mais aussi par des médecins chrétiens.
1543. Ainsi le P. Debreyne, qui, avant d'entrer à la Trappe, avait exercé la
médecine, raconte qu'il a eu à traiter une comunauté de femmes dont l'état
présentait de grandes ressemblances avec celui des Ursulines de Loudun. Il les
guérit en peu de temps par des moyens hygiéniques en particulier par un travail
manuel assidu et varié. Il faut en particulier se défier des possessions
épidémiques : il peut se faire qu'un cas réel de possession amène chez ceux qui
en sont les témoins un état nerveux analogue extérieurement à la possession. Le
meilleur moyen de d’éviter cette sorte de contagion est de disperser les
personnes atteintes et de les éloigner du milieu où elles ont contracté cette
nervosité.
II.
Remèdes contre la possession
Ces remèdes sont, d'une
façon générale, tous ceux qui peuvent affaiblir l’action du démon sur1'homme,
purifier l'âme et fortifier la volonté contre les assauts diaboliques ;d'une
façon spéciale, ce sont les exorcismes.
1544. 1° Remèdes généraux. On emploiera tous ceux que nous avons signalés en
parlant de la tentation diabolique, n° 223-224. A) L'un des plus efficaces est
la purification de l' âme par une bonne confession, surtout une confession
générale, qui en nous humiliant et en nous sanctifiant, met en fuite l'esprit
orgueilleux et impur. Le Rituel conseille d'y ajouter le jeûne, la prière et la
sainte communion. Plus on est pur et mortifié, et moins le démon a de prise sur
nous ; et la sainte communion met en nous Celui qui a triomphé de Satan.
Toutefois la sainte communion ne doit être recue que dans les moments de calme.
B) Les sacramentauxet les objets bénis ont aussi une grande efficacité, a cause
des prières que l'Eglise a faites en les bénissant. Ste Thérèse avait une
confiance spéciale en l’eau bénite, confiance bien fondée puisque l’Eglise y
attache la vertu de chasser le démon. Mais il faut en user avec un grand esprit
de foi, d'humilité et de confiance. C) Le crucifix, le signe de la croix et
surtout les reliques authentiques de la vraie croix sont redoutables au démon
qui a été vaincu par la croix. Pour la même raison l'esprit malin craint
beaucoup l'invocation du saint nom de Jésus, qui, d'après la promesse même du
Maître, a un pouvoir merveilleux pour mettre le démon en fuite (Marc, XVI, 17).
1545. 2° Exorcismes. Jésus-Christ ayant laissé à son Eglise le pouvoir de
chasser les démons, elle institua de bonne heure l'ordre des Exorcistes,
auxquels elle conféra le pouvoir d'imposer les mains sur les possédés,
catéchumènes ou baptisés ; et plus tard elle composa des formules de prières
dont ils devaient se servir. Mais, comme la fonction d'exorciste est difficile à
remplir, et qu'elle suppose beaucoup de science, de vertu et de tact, ce pouvoir
est lié aujourd'hui, et ne peut être exercé d'une façon solennelle que par des
prêtres choisis à cet effet par l'Ordinaire. Toutefois les prêtres peuvent faire
des exorcismes privés, en utilisant les prières de l'Eglise ou d'autres formules
; les laïques eux-mêmes peuven t réciter ces prières, mais non pas au nom de l'Eglise.
1546. Le Rituel indique la façon de procéder et donne aux exorcistes de très
sages conseils. Nous ne pouvons que rappeler les principaux. Quand une fois la
possession a été constatée et qu'on a été délégué pour pratiquer les exorcismes
: 1) Il convient de se préparer à cette fonction redoutable par une humble et
sincère confession, afin que le démon ne puisse reprocher aux exorcistes leurs
fautes ; et par le jeûne et la prière, puisqu'il est des démons qui ne cèdent
qu'à ces moyens (Marc, IX, 28). 2) C'est dans une église ou chapelle que doivent
se faire généralement les exorcismes, à moins que, pour de graves raisons on ne
juge à propos de les faire dans une maison particulière. En tout cas,
l'exorciste ne sera jamais seul avec le possédé : il doit être accompagné de
témoins graves et pieux, assez robustes pour maîtriser le patient dans ses
crises. S'il s'agit d'une femme, il y aura, pour la contenir, des matrones d'une
prudence et vertu éprouvées ; et le prêtre y montrera la plus grande réserve et
modestie.
1547. 3) Après avoir récité les prières prescrites, l'exorciste procédera aux
interrogations. Il doit poser les questions avec autorité et se borner à celles
qui sont utiles, et que conseille le Rituel : sur le nombre et le nom des
esprits possesseurs, le temps et les motifs de leur invasion ; on le somme de
déclarer quand il sortira et à quel signe On reconnaîtra sa fuite, le menaçant,
s'il s'obstine à résister, d'augmenter ses tortures en proportion de sa
résistance. Dans ce but, on redoublera les adjurations qui semblent l'irriter
davantage, les invocations des Saints Noms de Jésus et de Marie, les signes de
croix et les aspersions d'eau bénite ; on les obligera à se prosterner devant la
ste Eucharistie ou le crucifix ou les saintes reliques. On évitera avec soin le
verbiage, les plaisanteries, les questions oiseuses ; si l'esprit malin fait des
réponses mordantes ou risibles, se lance dans des digressions, on lui impose
silence avec autorité et dignité.
1548. 4) Il ne faut pas permettre aux témoins, qui du reste doivent être peu
nombreux, de faire des questions ; qu'ils se tiennent silencieux, recueillis, et
prient en union avec Celui qui chasse les démons. 5) L'exorciste ne doit pas,
malgré l’autorité dont il est revêtu, vouloir reléguer le démon dans un lieu
plutôt que dans un autre ; il se borne à expulser l'esprit malin, en abandonnant
son sort à la divine justice. Il faut continuer les exorcismes plusieurs heures,
et même plusieurs jours, avec des intervalles de répit, jusqu'à ce que le démon
sorte ou du moins se décrare prêt à sortir. 6) Quand la délivrance est bien
constatée, l'exorciste prie Dieu d'interdire au démon de jamais rentrer dans le
corps qu'il a dû abandonner ; il remercie Dieu, et invite la personne délivrée à
le bénir ; et à éviter avec soin tout péché, pour ne pas retomber sous l'empire
du malin.
Conclusion
1549. Ces phénomènes
extraordinaires, divins ou diaboliques, montrent d'un côté la miséricordieuse
bonté de Dieu pour ses amis privilégiés, auxquels il accorde, à côté
d'indicibles souffrances, comme dans le cas de la stigmatisation, d'insignes
faveurs qui sont comme un présage et un prélude de la gloire qu'il leur donnera
dans le ciel ; et de l'autre la jalousie, la haine du démon qui, lui aussi, veut
exercer son pouvoir tyrannique sur les hommes, en les sollicitant au mal d'une
façon extraordinaire, en les persécutant quand ils résistent et étendent le
règne de Dieu, en torturant par la possession certaines de leurs victimes. Il y
a donc sur terre les deux cités si bien décrites par S. Augustin, les deux camps
et les deux étendards dont parle S. Ignace. Les vrais chrétiens ne peuvent
hésiter; plus ils se donnent à Dieu, plus ils échappent à l'empire du démon : si
Dieu permet qu'ils soient éprouvés, ce n'est que pour leur bien, et, au milieu
même de leurs angoisses, ils peuvent redire en toute confiance :
« Si Deus pro nobis, quis contra nos ? (Rom. VIII, 31)… Quis ut Deus ? »
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