CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

CHAPITRE XIV

ASCENSION ET PENTECÔTE

Comme véritable mère des vivants, Marie reçoit le Saint-Esprit en plénitude. —  Jésus-Christ se donne à elle d'une manière toute particulière par la sainte Communion.

I

Le sacrifice de Jésus-Christ étant offert pour l'Église, qui est visible, devait être visible lui-même dans toutes ses parties, afin de nous donner une certitude parfaite de notre réconciliation avec Dieu. Marie, dans le jour de la Purification, avait paru à l'offrande de la victime, en présentant elle-même, au nom de l'Église, Jésus-Christ notre hostie, et en le dévouant à l'immolation. Elle avait aussi été présente à la deuxième partie du sacrifice, à l'immolation réelle de Jésus-Christ sur la croix. La troisième, qui était la consommation ou le transport de la victime en Dieu, avait eu lieu dans le mystère de la Résurrection. Mais cette consommation s'était opérée d'une manière invisible; et la bonté de Dieu voulait que, pour notre consolation, cette partie du sacrifice devînt visible aussi bien que les deux autres, ou plutôt que Notre-Seigneur montât au ciel pour aller se perdre dans le sein de Dieu non seulement à la vue de la très-sainte Vierge sa mère, mais encore sous les yeux de tous les apôtres par qui l'Église était représentée. C'est ce qu'avait figuré autrefois Élie montant au ciel dans un char de feu à la vue d'Élisée ; et ce prophète avait déclaré expressément à son disciple que, s'il le voyait monter, il aurait son double esprit [1]. Don mystérieux, qui exprimait le fruit du sacrifice, c'est-à-dire l'esprit de mort et de résurrection ou de vie divine, que Jésus-Christ devait laisser à l'Église figurée par Élisée.

Après sa résurrection, il communiquait toutes les dispositions et tous les sentiments de son âme à sa bénite Mère. Il lui exprimait spécialement les désirs ardents qui le pressaient d'aller enfin se réunir à Dieu son Père, pour le louer et le glorifier dans le ciel. Marie, de son côté, éprouvait un véhément désir d'y accompagner son Fils, pour s'unir à ses louanges; et sans doute qu'elle eût terminé alors sa vie et l'eût suivi dans les cieux, s'il n'eût voulu se servir d'elle pour aider l'Église dans ses commencements.

L'œuvre de cette divine Mère était encore incomplète.

Après avoir donné, par Marie, naissance au chef, Dieu voulait procurer aussi, par elle, la formation de tout le corps. Il voulait la rendre mère de sa famille entière, de Jésus-Christ et de tous ses enfants d'adoption. Par zèle pour la gloire de Dieu et par charité pour nous, elle accepte avec joie la commission que Notre-Seigneur lui laisse de travailler à faire honorer son Père par les hommes, et de demeurer sur la terre jusqu'à ce que l'Église ait été bien affermie [2].

Le quarantième jour après la Résurrection étant donc venu, Jésus-Christ- se rend à Béthanie avec sa sainte Mère et ses apôtres; là élevant les mains et les bénissant, il se sépare d'eux, et en leur présence s'élève vers le ciel. Ils l'y suivirent des yeux, jusqu'à ce qu'enfin une nuée le dérobe à leur vue; et comme néanmoins ils tenaient toujours leurs regards fixés au ciel, deux anges vêtus de blanc leur apparurent et leur dirent : Pourquoi vous arrêtez-vous à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui a été attiré du milieu de vous dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel [3]. Ainsi Dieu voulut-il que l'acceptation solennelle qu'il faisait de notre hostie, eût pour témoins non-seulement tous les apôtres et la très-sainte Vierge, qui l'avait produite de sa propre substance, mais les anges eux-mêmes.

En montant dans les cieux, Jésus-Christ élève avec lui tous les saints patriarches et les autres justes qu'il avait retirés des limbes, et va les offrir à son Père, comme les premières dépouilles qu'il a ravies au démon par sa mort. Enfin, dérobé par la nuée à la vue de ses disciples, il laisse rejaillir la splendeur de sa gloire, qu'ils n'auraient pu soutenir et dont il avait retenu l'éclat dans ses diverses apparitions.

Comme les enfants des rois donnent des présents à leurs sujets, en faisant leur entrée dans leur royaume, Jésus-Christ, montant à la droite de son Père pour prendre possession de son trône, voulait envoyer à ses apôtres son esprit et ses dons, c'est-à-dire dilater son coeur en faisant entrer les hommes dans ses sentiments de religion envers Dieu son Père, et achever ainsi son ouvrage. Dans ce dessein et par son commandement, les disciples s'assemblèrent à Jérusalem avec la très-sainte Vierge et plusieurs saintes femmes ; et là ils étaient en prière, louant, bénissant le nom de Dieu, et attendant la venue de l'Esprit-Saint. Marie était au milieu d'eux et présidait ce sacré concile, comme ayant, pour aviser à établir la gloire de Dieu dans le monde, une grâce qui excellait par-dessus celle de tous les apôtres. Quoique Jésus-Christ n'eût pas voulu qu'elle fût présente à la Cène, ni qu'elle offrît extérieurement le saint sacrifice, ni qu'elle fût prêtre selon l'ordre de Melchisédech, il voulait néanmoins que Marie, destinée à être la mère des vivants, se trouvât dans le Cénacle avec les apôtres, afin de verser la plénitude de son esprit en elle, comme dans le réservoir de la vie divine, et de la distribuer par elle à tous ses enfants, et aussi pour apprendre à l'Église que jamais elle ne serait renouvelée qu'en la société de sa divine Mère et en participant à son esprit [4].

II

Le jour de la Pentecôte étant venu et le Saint-Esprit étant descendu sur l'assemblée en forme de langues de feu,, Marie le reçut, non pas par mesure comme le reçurent les apôtres et les disciples, mais en plénitude, Jésus-Christ la vivifiant de tout lui-même, et lui communiquant tout ce qu'il est, plus qu'à toute autre créature, plus qu'à toute l'Église: L'apôtre saint Pierre, que Jésus-Christ avait établi chef visible de son corps mystique, quoique tout rempli au Cénacle de la vie de son maître, ne reçut néanmoins de cette vie divine que la portion nécessaire à sa dignité de chef. Il en fut de même des autres apôtres. Ils reçurent tous lés prémices de l'esprit de Jésus-Christ, mais selon la mesure que sa sagesse et son amour en destinaient à chacun. Ce n'est pas de la sorte qu'il se communique à Marie. Habitant en elle dans la plénitude de son amour, Notre-Seigneur ne laisse rien en soi de tout ce qu'elle peut recevoir, qu'il ne le lui donne. De même que Dieu le Père fait passer en l'âme de son Fils tout ce qu'il a en soi, et qui est communicable : le Fils ne laisse rien à mettre en elle et à opérer pour elle de ce qui est en son pouvoir. Il fait d'elle le réceptacle de ses richesses pour les distribuer par elle à toute l'Église.

Avec cette plénitude universelle de tous ses dons, l'Esprit-Saint répandit dans l'âme de Marie des dispositions et des sentiments semblables à ceux de Jésus-Christ ressuscité. Comme dans l'arbre et dans le fruit attaché à l'arbre, il n'y a qu'une vie continue [5], qui est répandue dans les deux; de même il n'y eut jamais dans la Mère et dans le Fils qu'une même vie intérieure, qu'un même esprit, qui répandait dans l'un et dans l'autre les mêmes lumières et les mêmes sentiments. Au temps de l'Incarnation, l'Esprit de Dieu, pour préparer Marie à recevoir ce fruit de sainteté, était survenu en elle et lui avait communiqué des sentiments semblables à ceux qu'il. devait opérer dans le Verbe fait chair, dont elle allait devenir la Mère, c'est-à-dire des sentiments de petitesse, d'amour de l'obscurité et de l'anéantissement. Elle avait reçu alors le Saint-Esprit; mais un esprit qui la cachait aux yeux de tout le monde, à ceux même de saint Joseph, qui ne la connaissait pas, tant ce divin Esprit prenait plaisir à la dérober à la vue des hommes. Dans cette première naissance, Jésus-Christ venait pour être caché, et, pour cela, cet esprit fut donné en secret à Marie. Mais dans sa seconde naissance, où il doit être manifesté comme Fils de Dieu, le Saint-Esprit est donné, à Marie publiquement. Dans sa première descente en terre, il venait dans l'infirmité pour être jugé et condamné par le monde, et Marie, qui devait lui être semblable, reçut un esprit qui la portait à la soumission, au mépris, à la confusion. Maintenant qu'elle reçoit l’esprit de Jésus-Christ, non plus mortel, mais glorieux, de Jésus-Christ roi, juge et souverain pontife de tout le monde, elle reçoit un esprit de puissance et de force, un esprit de conseil et de sagesse.

Sans doute, c'était le même esprit de Jésus-Christ qui l'animait avant comme après la Pentecôte ; mais pendant les jours de la vie cachée de Marie, il produisait en elle des effets tout autres que ceux qu'il opéra après la glorification de son Fils. Alors il lui donna d'autres talents, il la conduisit par une voie de force, de vigueur et de conseil admirable, comme le demandait sa vocation. En un mot, après la résurrection de Jésus-Christ, elle fut faite participante de la nouvelle vie de son Fils, surtout depuis le jour de la Pentecôte. Cet esprit la faisait vivre comme vivrait un saint du paradis qui, étant descendu en terre, attendrait sans cesse le moment de son retour. Marie, en effet, ne regardait que les âmes des hommes; elle ne pensait qu'à avancer la gloire de son Fils; elle n'était occupée que de ses louanges et des doux sentiments de son amour. Enfin, elle ne vivait plus ici-bas que par l'extérieur, et souffrait ce monde avec peine, à cause de son état et de l'esprit qui l'animait. Car la vie qui lui restait alors, était une vie semblable à celle du Fils de Dieu ressuscité, lequel, avant son Ascension, resta quarante jours sur la terre, seulement pour affermir ses apôtres et les instruire du royaume de Dieu [6],c'est-à-dire de l'établissement et de la conduite de l'Église. Cette vie n'empêchait pas pourtant la très-sainte Vierge d'éprouver un sentiment de peine causée par la vue de la grandeur de sa vocation, comme Mère de Jésus et directrice du monde entier, et par la considération de son néant, dont elle était si convaincue et qu'elle avait continuellement devant es yeux. Disposition tout à fait conforme à celle de Notre-Seigneur, qui, voyant ce qu'il était par lui-même, selon son humanité, disait : Il n'y a que Dieu seul de bon [7], c'est-à-dire qui ait quelque perfection par lui-même et mérite d'être loué; car on ne doit la louange qu'à celui à qui elle appartient.

III

Ce fut les premiers jours après la Pentecôte que les apôtres offrirent le saint sacrifice et que la très-sainte Vierge communia sous les saintes espèces, au corps et au sang de son Fils glorieux. Jusque-là, les apôtres n'avaient communié que le jour de la Cène; et encore, parce que Notre-Seigneur avait voulu prévenir le temps de l'institution de ce Sacrement, pour rendre ce mystère plus croyable à ses disciples et à toute son Église, en l'établissant dans un temps où personne ne doutait de la vérité de sa présence corporelle. Il fallait d'ailleurs que l'Église eût reçu l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, l’Esprit de sa nouvelle vie; et Jésus-Christ ne devait lui donner cet Esprit que lorsqu'il serait réuni à son Père, pour l'envoyer en unité de principe avec lui; par conséquent, après l'Ascension où il fut censé s'être réuni à son Père, du sein duquel il avait dit qu'il était sortit [8] en venant en ce monde. Aussi l'Église célèbre-t-elle la fête du très-saint Sacrement aussitôt après l'Octave de la Pentecôte.

Jésus-Christ se donna donc alors par l'Eucharistie à la très-sainte Vierge et à l'Église. Mais ce fut pour produire dans Marie des effets tout autrement merveilleux que ceux qu'il devait opérer dans les coeurs des simples chrétiens. L'Église naissante avait besoin de l'Eucharistie, même après la réception du Saint-Esprit, et cela pour deux raisons la première, pour échauffer les langueurs de son amour; la seconde, pour détruire en elle le règne de la concupiscence ou du vieil homme. Car dans cette vie la régénération de l'homme n'est point parfaite; elle ne sera entière et totale qu'au jour de la Résurrection. Dans le sacrement de baptême, la portion supérieure de l'âme est éclairée par la foi, relevée par l'espérance, animée par la charité; dans la confirmation, elle est fortifiée par le Saint-Esprit. Mais la portion inférieure demeure assujettie à la concupiscence; elle est remplie de tendances vers les choses de la terre, d'aveuglement à l'égard de celles du ciel, d'impuissance pour les œuvres de piété. Elle nous est laissée, pendant cette vie, comme un exercice de pénitence, afin que, par la vertu de l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, nous l'assujettissions malgré elle à Dieu. Voilà pourquoi la sainte Eucharistie était nécessaire à l'Église, même après la réception du Saint-Esprit. Notre-Seigneur, qui est né pour ruiner le vieil homme, vient le détruire peu à peu dans chacun de nous, par sa présence réelle au saint Sacrement, en imprimant en nous ses vertus. Il met en nos coeurs sa charité, contraire à notre concupiscence; ses dispositions d'humilité, contraires à celles de notre orgueil; ses sentiments de pauvreté, opposés à ceux de notre avarice; il imprime en nous ses désirs de la gloire de Dieu son Père, opposés au désir de notre propre gloire. Par les puissants mouvements de retourner au ciel, qu'il ressentait après sa résurrection, il détruit en nous l'inclination que nous avons pour nous fixer sur cette terre et y chercher notre repos. Toutes ces dispositions nous sont données par le baptême, se perfectionnent ensuite par la Confirmation, et s'achèvent enfin par l'Eucharistie.

Mais tels ne sont pas les motifs qui poussent le Fils de Dieu à se donner, par la Communion, à sa sainte Mère. Il ne peut venir à elle comme médecin, puisqu'elle n'a point d'infirmité à guérir; elle n'a pas non plus de lâcheté à ranimer ni de langueur à réchauffer : ayant toujours répondu à toute l'étendue de la grâce et obéi au Saint-Esprit avec une admirable docilité. Ce qui l'attire à elle, c'est l'ardent amour qu'il lui porte, et qui fait qu'il ne peut souffrir de se voir éloigné d'elle.

Il se donne aussi à elle, afin que, par ses prières, elle obtienne la conversion du monde. Par ce Sacrement, Jésus-Christ nous fait être une même chose avec lui : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, dit-il, demeure en moi, et moi en lui [9], témoignant par là qu'il entre dans toutes les intentions de l'âme son épouse; et qu'elle aussi, de son côté, entre dans toutes celles de Jésus-Christ, son époux. Une âme qui communie à ce corps et à ce sang divin use, en effet, de Jésus-Christ comme d'une chose sienne, si bien qu'elle a droit, en vertu de ce saint mariage, d'employer toutes les prières de Jésus-Christ, son zèle, sa ferveur, ses mérites, ses souffrances, pour l'accomplissement de son dessein. Elle a droit et pouvoir de faire tourner les prières de Jésus-Christ du côté qu'il lui plaît, et de lui faire demander tout ce qu'elle veut, pour le bien de l'Église. Voilà ce qui a lieu dans la communion ordinaire des chrétiens au corps et au sang de Jésus-Christ. Mais quels effets merveilleux ne devaient pas produire sur le coeur de Jésus les prières ardentes de sa divine Mère, et l'amour immense que lui-même lui portait ! S'il est si prodigue envers les âmes ses épouses, c'est que dans elles il voit les charmes ravissants de Marie, sa sainte Mère, qui exerce sur lui un empire d'amour. C'est un traité admirable que celui de Jésus et de Marie dans le très-saint Sacrement de l'autel: là, elle demande, elle prie, elle arrête, elle poursuit. O charité ardente! ô douceur gracieuse! ô charmes puissants! ô délicieux entretiens! rien de pareil à l'amour de Jésus et de Marie, rien de semblable à ces traités. Au très-saint Sacrement, dans ce banquet sacré de ses noces, Jésus traite avec elle, et accorde a ses désirs et à ses prières la réconciliation et la paix de l'Église, la conversion et le salut du monde.

C'est en ce jour que s'accomplit dans toute son étendue cette prophétie : La femme portera dans ses flancs un homme parfait [10], ce qui n'eut pas lieu la première fois que Marie porta Notre-Seigneur, puisque alors il était petit enfant, comme sont les autres hommes à leur entrée dans la vie. C'est pourquoi, à la fête du très-saint Sacrement, l'Église, inspirée du Saint-Esprit, chante dans toute cette Octave la doxologie : Gloire à vous, Seigneur, qui êtes né de la Vierge; et aux prières de Prime, au lieu de dire : Fils de Dieu, qui êtes assis à la droite du Père, dans votre gloire ; elle chante Fils de Dieu, qui êtes né de la Vierge Marie, qui ôtes glorieux dans elle. C'est une espèce d'acclamation, que, dans le triomphe magnifique de Jésus-Christ, nous faisons, sans y penser, au Fils et à la Mère : au Fils, maintenant affranchi de l'état passible de la chair et glorifié, d'être né de la Vierge Marie, et à la très-sainte Vierge, d'être Mère de Jésus-Christ glorieux, d'être Mère du Dieu de gloire.

RÉFLEXIONS PRATIQUES

Cette union parfaite, qui met Marie en communion de sentiments et de biens avec Jésus, est le modèle de l'union que cette divine Mère veut avoir avec ses enfants, pour mettre en commun avec eux tous les biens qu'elle possède.

La charité nous porte à aimer le prochain comme nous nous aimons nous-mêmes, à lui communiquer tout ce qui nous appartient; et cela, à l'imitation des trois personnes dé la très-sainte Trinité, qui ont toutes choses communes entre elles. Car le commandement de l'amour du prochain est semblable en ce point à celui de l'amour de Dieu. On en vit une touchante preuve à la naissance de l'Église, où les premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun: la charité parfaite qui régnait entre eux ne faisant d'eux tous, comme des trois personnes divines, qu'un coeur et qu'une âme : Nec quisquam eorum quoe possidebat aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia. Mais qui pourra jamais comprendre la perfection de l'amour de Dieu, dont le coeur de la très-sainte Vierge était rempli et par conséquent sa parfaite charité pour le prochain ? Si les premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun; si cette communication est une marque et un effet certain d'une charité parfaite, comment Marie, qui nous aime incomparablement plus que ne nous aiment tous les saints et tous les anges réunis, userait-elle de réserve à notre égard ? Comment pourrait-elle ne pas mettre en commun avec nous tout ce qu'elle possède ?

Cette vérité si consolante est fondée d'ailleurs sur un autre titre non moins incontestable, savoir: que Marie est notre mère dans l'ordre du salut. Comme notre mère, comme l'expression sensible de la paternité de Dieu, elle imite, dans sa charité envers ses enfants, la charité du Père éternel pour son Fils unique. Dieu aime son Fils, dit saint Jean ; et à cause de cet amour il lui donne toutes choses, C'est aussi ce que la très-sainte Vierge fait à l'égard de ses enfants d'adoption : elle ne veut rien avoir qu'elle ne mette en commun avec eux. Les biens qu'elle a acquis, ce sont ses mérites propres, dont la richesse et l'abondance ne peuvent être connues que de Dieu seul : Marie ayant plus mérité de grâce et de gloire que tous les anges et les saints n'en recevront jamais dans le temps et dans l'éternité. Or Marie désire que nous profitions tous de ces mérites.

D'abord remarquez que si elle a acquis ce trésor immense de richesses spirituelles, ce n'est pas pour elle seulement, mais aussi, comme elle-même nous l'apprend dans le livre de la Sagesse, pour tous ceux qui cherchent la vérité, qui est Jésus-Christ. Non mihi soli laboravi, sed omnibus exquirentibus veritatem [11]. Le Fils de Dieu s'est fait homme, il a souffert, il est mort et ressuscité pour nous et pour notre salut, comme nous le confessons hautement dans le Symbole ; et Marie, de,son côté, associée à l'œuvre de notre Rédemption, a contribué aux mystères de son divin Fils et a travaillé durant sa vie pour procurer nos intérêts personnels. Saint Paul n'enseigne-t-il pas, d'ailleurs, que les parents doivent thésauriser non pas pour eux-mêmes, mais pour leurs enfants ? L'un des motifs qui soutenaient Marie au milieu des peines de sa vie sur la terre, c'était la perspective et l'assurance certaine de laisser à ses enfants de quoi subvenir à la misère extrême où elle les voyait réduits. N'avons-nous pas tous les jours sous les yeux l'exemple d'une multitude de pères et de mères qui, pour laisser à leurs enfants quelques biens périssables, endurent toutes sortes de fatigues, se condamnent à mille privations, s'exposent à toutes sortes de périls? Que n'a donc pas fait Marie pour nous assurer les biens du ciel, dont tous les biens de la terre ne sont qu'une figure vaine et une trompeuse image !

Mais considérez encore que les mérites satisfactoires qu'elle a acquis sont superflus pour elle-même. N’ayant jamais été souillée d'aucune tache de péché, Marie n'avait point de fautes à expier ni de satisfaction à offrir pour elle-même à la justice divine. De sorte que, sous ce rapport, elle a un immense trésor dont elle ne peut user pour elle-même, mais qu'elle est libre de nous communiquer, en vertu de la communion des saints. Si sa charité parfaite ne lui inspirait pas déjà le mouvement de les mettre en commun avec nous, son amour maternel suffirait pour l'obliger à nous en faire part. Une mère qui serait au sein de l'abondance, qui aurait mille et mille fois plus de bien qu'il ne lui en faudrait pour vivre honorablement selon son état, pourrait-elle voir ses enfants endurer les plus dures privations et toutes les rigueurs de la plus affreuse indigence sans les soulager ? Eh ! comment Marie, la plus tendre, la plus douce, la plus aimante, la plus compatissante de toutes les mères, pourrait-elle ne pas nous assister dans notre extrême nécessité spirituelle bien plus affligeante pour nous et pour elle que toutes les privations imaginables des biens temporels ?

Allez donc à Marie avec une confiance sans bornes, pour puiser dans ses trésors tout ce qui est nécessaire ou utile à votre salut. Vous pouvez vous enrichir autant qu'il vous plaira; du moins dans l'ordre commun, l'étendue de vos désirs sera toujours pour vous la mesure des largesses, de Marie. Voilà pourquoi on n'a jamais entendu dire qu'on l'ait invoquée vainement. Demandez-lui ce que vous savez vous être le plus nécessaire pour remplir saintement vos devoirs envers Dieu, envers le prochain, suivant l'état auquel vous avez été appelé.


[1] IV Rois, cap. II.

[2] S. Thom. a Villanov., p. 662. Erat etiam illi non modo temperamento, sed etiam solatio Dei, Filii sui, quem sic diligebat, voluntas qua detinebatur in terris, a qua neque ad momentum unquam; neque ad modicum deviavit. Erat quoque Ecclesiae novellae necessitas, quam suo magisterio statuebat. Mansit igitur non modo dies aliquot, sed et annos plurimos Virgo sacra in terris, Deo pro sua Ecclesia providente, ut ejus doctrina et moribus fundaretur.

[3] Actes des Apôtres, chap. I, 11.

[4] Il est affirmé dans ce livre que la sainte Vierge a reçu la plénitude. de la vie divine, la plénitude du Saint-Esprit, la plénitude des grâces ... Il semblerait inutile de faire remarquer que ce langage, emprunté des saintes Écritures et des Docteurs les plus autorisés, ne s'entend que dans un sens restreint, limité à ce qu'une simple créature peut recevoir de Dieu, comme M. Olier le donne clairement à entendre en plusieurs de ses écrits, et ici même dans la suite du texte.

Depuis que la sainte Vierge a été appelée par l'archange Gabriel pleine de grâces, et que saint Paul a exprimé le désir que nous entrions dans toute la plénitude de Dieu, in omnem plenitudinem Dei, les saints Docteurs ont souvent employé ce terme, surtout en parlant de la sainte Vierge, laquelle a reçu une telle étendue de grâces, que nous ne pouvons qu'admirer l’oeuvre de Dieu en elle. Il est dit dans les leçons du IIe Nocturne de l'Office de l'Immaculée Conception : Bene plena, quia coeteris per partes proestatur, Maries vero se tota infudit plenitudo gratiœ. Vere plena quia... in Maria totius gratioe, quoe in Christo est, plenitudo venit, quanquam aliter. Lectio IV, secundi Nocturni. —  Saint Jean Damascène : Et quis dubitat, quin ipsa benedictionis fons sit et omnium bonorum scaturigo? Tom. II, pag. 872. — Saint Pierre Damien : Et si coeteris per partes Spiritus affluit, Marioe tamen tota plenitudo gratioe supervenit. Tom. II, pag. 93. — Tout le monde connaît ces belles paroles de saint Bernard : Totius boni plenitudinem posuit in Maria, ut si quid gratioe, si quid spei, etc., sit in nobis, ab ipsa noverimus redundare.

[5] M. Olier rend au fond la parole de saint Paul: qui adhoeret Domino unus spiritus est. Cela est vrai dé tout chrétien, mais d'une manière éminente de la sainte Vierge. (Ire Ép. aux Corinth., chap. VI, 17.) L'Esprit-Saint. produisait dans l'âme de Jésus-Christ et dans celle de la Vierge les mêmes sentiments, mais non pas en ce sens qu'il y eût une véritable unité de vie, ni une perfection égale; la sainte âme de Jésus-Christ était, sans comparaison, plus éclairée, plus parfaite que ne pouvait être la sainte Vierge.

[6] Actes des Apôtres, chap. I, 3.

[7] S. Matth., chap. XIX, 17. S. Luc, chap, XVIII, 19.

[8] S. Jean, chap. XVI, 28.

[9] S. Jean, chap. VI, 57.

[10] Jérémie, chap. XXXI, 22.

[11] Eccli., chap. XXIV, 47.
 

   

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