ASCENSION ET PENTECÔTE
Comme véritable mère des vivants, Marie reçoit le Saint-Esprit en
plénitude. — Jésus-Christ se donne à elle d'une manière toute
particulière par la sainte Communion.
Le
sacrifice de Jésus-Christ étant offert pour l'Église, qui est
visible, devait être visible lui-même dans toutes ses parties, afin
de nous donner une certitude parfaite de notre réconciliation avec
Dieu. Marie, dans le jour de la Purification, avait paru à
l'offrande de la victime, en présentant elle-même, au nom de
l'Église, Jésus-Christ notre hostie, et en le dévouant à
l'immolation. Elle avait aussi été présente à la deuxième partie du
sacrifice, à l'immolation réelle de Jésus-Christ sur la croix. La
troisième, qui était la consommation ou le transport de la victime
en Dieu, avait eu lieu dans le mystère de la Résurrection. Mais
cette consommation s'était opérée d'une manière invisible; et la
bonté de Dieu voulait que, pour notre consolation, cette partie du
sacrifice devînt visible aussi bien que les deux autres, ou plutôt
que Notre-Seigneur montât au ciel pour aller se perdre dans le sein
de Dieu non seulement à la vue de la très-sainte Vierge sa mère,
mais encore sous les yeux de tous les apôtres par qui l'Église était
représentée. C'est ce qu'avait figuré autrefois Élie montant au ciel
dans un char de feu à la vue d'Élisée ; et ce prophète avait déclaré
expressément à son disciple que, s'il le voyait monter, il aurait
son double esprit
.
Don mystérieux, qui exprimait le fruit du sacrifice, c'est-à-dire
l'esprit de mort et de résurrection ou de vie divine, que
Jésus-Christ devait laisser à l'Église figurée par Élisée.
Après sa résurrection, il communiquait toutes les dispositions et
tous les sentiments de son âme à sa bénite Mère. Il lui exprimait
spécialement les désirs ardents qui le pressaient d'aller enfin se
réunir à Dieu son Père, pour le louer et le glorifier dans le ciel.
Marie, de son côté, éprouvait un véhément désir d'y accompagner son
Fils, pour s'unir à ses louanges; et sans doute qu'elle eût terminé
alors sa vie et l'eût suivi dans les cieux, s'il n'eût voulu se
servir d'elle pour aider l'Église dans ses commencements.
L'œuvre de cette divine Mère était encore incomplète.
Après avoir donné, par Marie, naissance au chef, Dieu voulait
procurer aussi, par elle, la formation de tout le corps. Il voulait
la rendre mère de sa famille entière, de Jésus-Christ et de tous ses
enfants d'adoption. Par zèle pour la gloire de Dieu et par charité
pour nous, elle accepte avec joie la commission que Notre-Seigneur
lui laisse de travailler à faire honorer son Père par les hommes, et
de demeurer sur la terre jusqu'à ce que l'Église ait été bien
affermie
.
Le
quarantième jour après la Résurrection étant donc venu,
Jésus-Christ- se rend à Béthanie avec sa sainte Mère et ses apôtres;
là élevant les mains et les bénissant, il se sépare d'eux, et en
leur présence s'élève vers le ciel. Ils l'y suivirent des yeux,
jusqu'à ce qu'enfin une nuée le dérobe à leur vue; et comme
néanmoins ils tenaient toujours leurs regards fixés au ciel, deux
anges vêtus de blanc leur apparurent et leur dirent : Pourquoi
vous arrêtez-vous à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui a été attiré du
milieu de vous dans le ciel, viendra de la même manière que vous
l'avez vu monter au ciel
.
Ainsi Dieu voulut-il que l'acceptation solennelle qu'il faisait de
notre hostie, eût pour témoins non-seulement tous les apôtres et la
très-sainte Vierge, qui l'avait produite de sa propre substance,
mais les anges eux-mêmes.
En
montant dans les cieux, Jésus-Christ élève avec lui tous les saints
patriarches et les autres justes qu'il avait retirés des limbes, et
va les offrir à son Père, comme les premières dépouilles qu'il a
ravies au démon par sa mort. Enfin, dérobé par la nuée à la vue de
ses disciples, il laisse rejaillir la splendeur de sa gloire, qu'ils
n'auraient pu soutenir et dont il avait retenu l'éclat dans ses
diverses apparitions.
Comme les enfants des rois donnent des présents à leurs sujets, en
faisant leur entrée dans leur royaume, Jésus-Christ, montant à la
droite de son Père pour prendre possession de son trône, voulait
envoyer à ses apôtres son esprit et ses dons, c'est-à-dire dilater
son coeur en faisant entrer les hommes dans ses sentiments de
religion envers Dieu son Père, et achever ainsi son ouvrage. Dans ce
dessein et par son commandement, les disciples s'assemblèrent à
Jérusalem avec la très-sainte Vierge et plusieurs saintes femmes ;
et là ils étaient en prière, louant, bénissant le nom de Dieu, et
attendant la venue de l'Esprit-Saint. Marie était au milieu d'eux et
présidait ce sacré concile, comme ayant, pour aviser à établir la
gloire de Dieu dans le monde, une grâce qui excellait par-dessus
celle de tous les apôtres. Quoique Jésus-Christ n'eût pas voulu
qu'elle fût présente à la Cène, ni qu'elle offrît extérieurement le
saint sacrifice, ni qu'elle fût prêtre selon l'ordre de
Melchisédech, il voulait néanmoins que Marie, destinée à être la
mère des vivants, se trouvât dans le Cénacle avec les apôtres, afin
de verser la plénitude de son esprit en elle, comme dans le
réservoir de la vie divine, et de la distribuer par elle à tous ses
enfants, et aussi pour apprendre à l'Église que jamais elle ne
serait renouvelée qu'en la société de sa divine Mère et en
participant à son esprit
.
Le
jour de la Pentecôte étant venu et le Saint-Esprit étant descendu
sur l'assemblée en forme de langues de feu,, Marie le reçut, non pas
par mesure comme le reçurent les apôtres et les disciples, mais en
plénitude, Jésus-Christ la vivifiant de tout lui-même, et lui
communiquant tout ce qu'il est, plus qu'à toute autre créature, plus
qu'à toute l'Église: L'apôtre saint Pierre, que Jésus-Christ avait
établi chef visible de son corps mystique, quoique tout rempli au
Cénacle de la vie de son maître, ne reçut néanmoins de cette vie
divine que la portion nécessaire à sa dignité de chef. Il en fut de
même des autres apôtres. Ils reçurent tous lés prémices de l'esprit
de Jésus-Christ, mais selon la mesure que sa sagesse et son amour en
destinaient à chacun. Ce n'est pas de la sorte qu'il se communique à
Marie. Habitant en elle dans la plénitude de son amour,
Notre-Seigneur ne laisse rien en soi de tout ce qu'elle peut
recevoir, qu'il ne le lui donne. De même que Dieu le Père fait
passer en l'âme de son Fils tout ce qu'il a en soi, et qui est
communicable : le Fils ne laisse rien à mettre en elle et à opérer
pour elle de ce qui est en son pouvoir. Il fait d'elle le réceptacle
de ses richesses pour les distribuer par elle à toute l'Église.
Avec
cette plénitude universelle de tous ses dons, l'Esprit-Saint
répandit dans l'âme de Marie des dispositions et des sentiments
semblables à ceux de Jésus-Christ ressuscité. Comme dans l'arbre et
dans le fruit attaché à l'arbre, il n'y a qu'une vie continue
,
qui est répandue dans les deux; de même il n'y eut jamais dans la
Mère et dans le Fils qu'une même vie intérieure, qu'un même esprit,
qui répandait dans l'un et dans l'autre les mêmes lumières et les
mêmes sentiments. Au temps de l'Incarnation, l'Esprit de Dieu, pour
préparer Marie à recevoir ce fruit de sainteté, était survenu en
elle et lui avait communiqué des sentiments semblables à ceux qu'il.
devait opérer dans le Verbe fait chair, dont elle allait devenir la
Mère, c'est-à-dire des sentiments de petitesse, d'amour de
l'obscurité et de l'anéantissement. Elle avait reçu alors le
Saint-Esprit; mais un esprit qui la cachait aux yeux de tout le
monde, à ceux même de saint Joseph, qui ne la connaissait pas, tant
ce divin Esprit prenait plaisir à la dérober à la vue des hommes.
Dans cette première naissance, Jésus-Christ venait pour être caché,
et, pour cela, cet esprit fut donné en secret à Marie. Mais dans sa
seconde naissance, où il doit être manifesté comme Fils de Dieu, le
Saint-Esprit est donné, à Marie publiquement. Dans sa première
descente en terre, il venait dans l'infirmité pour être jugé et
condamné par le monde, et Marie, qui devait lui être semblable,
reçut un esprit qui la portait à la soumission, au mépris, à la
confusion. Maintenant qu'elle reçoit l’esprit de Jésus-Christ, non
plus mortel, mais glorieux, de Jésus-Christ roi, juge et souverain
pontife de tout le monde, elle reçoit un esprit de puissance et de
force, un esprit de conseil et de sagesse.
Sans
doute, c'était le même esprit de Jésus-Christ qui l'animait avant
comme après la Pentecôte ; mais pendant les jours de la vie cachée
de Marie, il produisait en elle des effets tout autres que ceux
qu'il opéra après la glorification de son Fils. Alors il lui donna
d'autres talents, il la conduisit par une voie de force, de vigueur
et de conseil admirable, comme le demandait sa vocation. En un mot,
après la résurrection de Jésus-Christ, elle fut faite participante
de la nouvelle vie de son Fils, surtout depuis le jour de la
Pentecôte. Cet esprit la faisait vivre comme vivrait un saint du
paradis qui, étant descendu en terre, attendrait sans cesse le
moment de son retour. Marie, en effet, ne regardait que les âmes des
hommes; elle ne pensait qu'à avancer la gloire de son Fils; elle
n'était occupée que de ses louanges et des doux sentiments de son
amour. Enfin, elle ne vivait plus ici-bas que par l'extérieur, et
souffrait ce monde avec peine, à cause de son état et de l'esprit
qui l'animait. Car la vie qui lui restait alors, était une vie
semblable à celle du Fils de Dieu ressuscité, lequel, avant son
Ascension, resta quarante jours sur la terre, seulement pour
affermir ses apôtres et les instruire du royaume de Dieu
,c'est-à-dire
de l'établissement et de la conduite de l'Église. Cette vie
n'empêchait pas pourtant la très-sainte Vierge d'éprouver un
sentiment de peine causée par la vue de la grandeur de sa vocation,
comme Mère de Jésus et directrice du monde entier, et par la
considération de son néant, dont elle était si convaincue et qu'elle
avait continuellement devant es yeux. Disposition tout à fait
conforme à celle de Notre-Seigneur, qui, voyant ce qu'il était par
lui-même, selon son humanité, disait : Il n'y a que Dieu seul de
bon
,
c'est-à-dire qui ait quelque perfection par lui-même et mérite
d'être loué; car on ne doit la louange qu'à celui à qui elle
appartient.
Ce
fut les premiers jours après la Pentecôte que les apôtres offrirent
le saint sacrifice et que la très-sainte Vierge communia sous les
saintes espèces, au corps et au sang de son Fils glorieux.
Jusque-là, les apôtres n'avaient communié que le jour de la Cène; et
encore, parce que Notre-Seigneur avait voulu prévenir le temps de
l'institution de ce Sacrement, pour rendre ce mystère plus croyable
à ses disciples et à toute son Église, en l'établissant dans un
temps où personne ne doutait de la vérité de sa présence corporelle.
Il fallait d'ailleurs que l'Église eût reçu l'Esprit de Jésus-Christ
ressuscité, l’Esprit de sa nouvelle vie; et Jésus-Christ ne devait
lui donner cet Esprit que lorsqu'il serait réuni à son Père, pour
l'envoyer en unité de principe avec lui; par conséquent, après
l'Ascension où il fut censé s'être réuni à son Père, du sein
duquel il avait dit qu'il était sortit
en venant en ce monde. Aussi l'Église
célèbre-t-elle la fête du très-saint Sacrement aussitôt après
l'Octave de la Pentecôte.
Jésus-Christ se donna donc alors par l'Eucharistie à la très-sainte
Vierge et à l'Église. Mais ce fut pour produire dans Marie des
effets tout autrement merveilleux que ceux qu'il devait opérer dans
les coeurs des simples chrétiens. L'Église naissante avait besoin de
l'Eucharistie, même après la réception du Saint-Esprit, et cela pour
deux raisons la première, pour échauffer les langueurs de son amour;
la seconde, pour détruire en elle le règne de la concupiscence ou du
vieil homme. Car dans cette vie la régénération de l'homme n'est
point parfaite; elle ne sera entière et totale qu'au jour de la
Résurrection. Dans le sacrement de baptême, la portion supérieure de
l'âme est éclairée par la foi, relevée par l'espérance, animée par
la charité; dans la confirmation, elle est fortifiée par le
Saint-Esprit. Mais la portion inférieure demeure assujettie à la
concupiscence; elle est remplie de tendances vers les choses de la
terre, d'aveuglement à l'égard de celles du ciel, d'impuissance pour
les œuvres de piété. Elle nous est laissée, pendant cette vie, comme
un exercice de pénitence, afin que, par la vertu de l'Esprit de
Jésus-Christ ressuscité, nous l'assujettissions malgré elle à Dieu.
Voilà pourquoi la sainte Eucharistie était nécessaire à l'Église,
même après la réception du Saint-Esprit. Notre-Seigneur, qui est né
pour ruiner le vieil homme, vient le détruire peu à peu dans chacun
de nous, par sa présence réelle au saint Sacrement, en imprimant en
nous ses vertus. Il met en nos coeurs sa charité, contraire à notre
concupiscence; ses dispositions d'humilité, contraires à celles de
notre orgueil; ses sentiments de pauvreté, opposés à ceux de notre
avarice; il imprime en nous ses désirs de la gloire de Dieu son
Père, opposés au désir de notre propre gloire. Par les puissants
mouvements de retourner au ciel, qu'il ressentait après sa
résurrection, il détruit en nous l'inclination que nous avons pour
nous fixer sur cette terre et y chercher notre repos. Toutes ces
dispositions nous sont données par le baptême, se perfectionnent
ensuite par la Confirmation, et s'achèvent enfin par l'Eucharistie.
Mais
tels ne sont pas les motifs qui poussent le Fils de Dieu à se
donner, par la Communion, à sa sainte Mère. Il ne peut venir à elle
comme médecin, puisqu'elle n'a point d'infirmité à guérir; elle n'a
pas non plus de lâcheté à ranimer ni de langueur à réchauffer :
ayant toujours répondu à toute l'étendue de la grâce et obéi au
Saint-Esprit avec une admirable docilité. Ce qui l'attire à elle,
c'est l'ardent amour qu'il lui porte, et qui fait qu'il ne peut
souffrir de se voir éloigné d'elle.
Il
se donne aussi à elle, afin que, par ses prières, elle obtienne la
conversion du monde. Par ce Sacrement, Jésus-Christ nous fait être
une même chose avec lui : Celui qui mange ma chair et boit mon
sang, dit-il, demeure en moi, et moi en lui
,
témoignant par là qu'il entre dans toutes les intentions de l'âme
son épouse; et qu'elle aussi, de son côté, entre dans toutes celles
de Jésus-Christ, son époux. Une âme qui communie à ce corps et à ce
sang divin use, en effet, de Jésus-Christ comme d'une chose sienne,
si bien qu'elle a droit, en vertu de ce saint mariage, d'employer
toutes les prières de Jésus-Christ, son zèle, sa ferveur, ses
mérites, ses souffrances, pour l'accomplissement de son dessein.
Elle a droit et pouvoir de faire tourner les prières de Jésus-Christ
du côté qu'il lui plaît, et de lui faire demander tout ce qu'elle
veut, pour le bien de l'Église. Voilà ce qui a lieu dans la
communion ordinaire des chrétiens au corps et au sang de
Jésus-Christ. Mais quels effets merveilleux ne devaient pas produire
sur le coeur de Jésus les prières ardentes de sa divine Mère, et
l'amour immense que lui-même lui portait ! S'il est si prodigue
envers les âmes ses épouses, c'est que dans elles il voit les
charmes ravissants de Marie, sa sainte Mère, qui exerce sur lui un
empire d'amour. C'est un traité admirable que celui de Jésus et de
Marie dans le très-saint Sacrement de l'autel: là, elle demande,
elle prie, elle arrête, elle poursuit. O charité ardente! ô douceur
gracieuse! ô charmes puissants! ô délicieux entretiens! rien de
pareil à l'amour de Jésus et de Marie, rien de semblable à ces
traités. Au très-saint Sacrement, dans ce banquet sacré de ses
noces, Jésus traite avec elle, et accorde a ses désirs et à ses
prières la réconciliation et la paix de l'Église, la conversion et
le salut du monde.
C'est en ce jour que s'accomplit dans toute son étendue cette
prophétie : La femme portera dans ses flancs un homme parfait
,
ce qui n'eut pas lieu la première fois que Marie porta
Notre-Seigneur, puisque alors il était petit enfant, comme sont les
autres hommes à leur entrée dans la vie. C'est pourquoi, à la fête
du très-saint Sacrement, l'Église, inspirée du Saint-Esprit, chante
dans toute cette Octave la doxologie : Gloire à vous, Seigneur, qui
êtes né de la Vierge; et aux prières de Prime, au lieu de dire :
Fils de Dieu, qui êtes assis à la droite du Père, dans votre
gloire ; elle chante Fils de Dieu, qui êtes né de la Vierge Marie,
qui ôtes glorieux dans elle. C'est une espèce d'acclamation, que,
dans le triomphe magnifique de Jésus-Christ, nous faisons, sans y
penser, au Fils et à la Mère : au Fils, maintenant affranchi de
l'état passible de la chair et glorifié, d'être né de la Vierge
Marie, et à la très-sainte Vierge, d'être Mère de Jésus-Christ
glorieux, d'être Mère du Dieu de gloire.
Cette union parfaite, qui met Marie en communion de sentiments et de
biens avec Jésus, est le modèle de l'union que cette divine Mère
veut avoir avec ses enfants, pour mettre en commun avec eux tous les
biens qu'elle possède.
La
charité nous porte à aimer le prochain comme nous nous aimons
nous-mêmes, à lui communiquer tout ce qui nous appartient; et cela,
à l'imitation des trois personnes dé la très-sainte Trinité, qui ont
toutes choses communes entre elles. Car le commandement de l'amour
du prochain est semblable en ce point à celui de l'amour de Dieu. On
en vit une touchante preuve à la naissance de l'Église, où les
premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun: la charité
parfaite qui régnait entre eux ne faisant d'eux tous, comme des
trois personnes divines, qu'un coeur et qu'une âme : Nec quisquam
eorum quoe possidebat aliquid suum esse dicebat, sed erant illis
omnia communia. Mais qui pourra jamais comprendre la perfection
de l'amour de Dieu, dont le coeur de la très-sainte Vierge était
rempli et par conséquent sa parfaite charité pour le prochain ? Si
les premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun; si cette
communication est une marque et un effet certain d'une charité
parfaite, comment Marie, qui nous aime incomparablement plus que ne
nous aiment tous les saints et tous les anges réunis, userait-elle
de réserve à notre égard ? Comment pourrait-elle ne pas mettre en
commun avec nous tout ce qu'elle possède ?
Cette vérité si consolante est fondée d'ailleurs sur un autre titre
non moins incontestable, savoir: que Marie est notre mère dans
l'ordre du salut. Comme notre mère, comme l'expression sensible de
la paternité de Dieu, elle imite, dans sa charité envers ses
enfants, la charité du Père éternel pour son Fils unique. Dieu
aime son Fils, dit saint Jean ; et à cause de cet amour il
lui donne toutes choses, C'est aussi ce que la très-sainte
Vierge fait à l'égard de ses enfants d'adoption : elle ne veut rien
avoir qu'elle ne mette en commun avec eux. Les biens qu'elle a
acquis, ce sont ses mérites propres, dont la richesse et l'abondance
ne peuvent être connues que de Dieu seul : Marie ayant plus mérité
de grâce et de gloire que tous les anges et les saints n'en
recevront jamais dans le temps et dans l'éternité. Or Marie désire
que nous profitions tous de ces mérites.
D'abord remarquez que si elle a acquis ce trésor immense de
richesses spirituelles, ce n'est pas pour elle seulement, mais
aussi, comme elle-même nous l'apprend dans le livre de la Sagesse,
pour tous ceux qui cherchent la vérité, qui est Jésus-Christ. Non
mihi soli laboravi, sed omnibus exquirentibus veritatem
.
Le Fils de Dieu s'est fait homme, il a souffert, il est mort et
ressuscité pour nous et pour notre salut, comme nous le
confessons hautement dans le Symbole ; et Marie, de,son côté,
associée à l'œuvre de notre Rédemption, a contribué aux mystères de
son divin Fils et a travaillé durant sa vie pour procurer nos
intérêts personnels. Saint Paul n'enseigne-t-il pas, d'ailleurs, que
les parents doivent thésauriser non pas pour eux-mêmes, mais pour
leurs enfants ? L'un des motifs qui soutenaient Marie au milieu des
peines de sa vie sur la terre, c'était la perspective et l'assurance
certaine de laisser à ses enfants de quoi subvenir à la misère
extrême où elle les voyait réduits. N'avons-nous pas tous les jours
sous les yeux l'exemple d'une multitude de pères et de mères qui,
pour laisser à leurs enfants quelques biens périssables, endurent
toutes sortes de fatigues, se condamnent à mille privations,
s'exposent à toutes sortes de périls? Que n'a donc pas fait Marie
pour nous assurer les biens du ciel, dont tous les biens de la terre
ne sont qu'une figure vaine et une trompeuse image !
Mais
considérez encore que les mérites satisfactoires qu'elle a acquis
sont superflus pour elle-même. N’ayant jamais été souillée d'aucune
tache de péché, Marie n'avait point de fautes à expier ni de
satisfaction à offrir pour elle-même à la justice divine. De sorte
que, sous ce rapport, elle a un immense trésor dont elle ne peut
user pour elle-même, mais qu'elle est libre de nous communiquer, en
vertu de la communion des saints. Si sa charité parfaite ne lui
inspirait pas déjà le mouvement de les mettre en commun avec nous,
son amour maternel suffirait pour l'obliger à nous en faire part.
Une mère qui serait au sein de l'abondance, qui aurait mille et
mille fois plus de bien qu'il ne lui en faudrait pour vivre
honorablement selon son état, pourrait-elle voir ses enfants endurer
les plus dures privations et toutes les rigueurs de la plus affreuse
indigence sans les soulager ? Eh ! comment Marie, la plus tendre, la
plus douce, la plus aimante, la plus compatissante de toutes les
mères, pourrait-elle ne pas nous assister dans notre extrême
nécessité spirituelle bien plus affligeante pour nous et pour elle
que toutes les privations imaginables des biens temporels ?
Allez donc à Marie avec une confiance sans bornes, pour puiser dans
ses trésors tout ce qui est nécessaire ou utile à votre salut. Vous
pouvez vous enrichir autant qu'il vous plaira; du moins dans l'ordre
commun, l'étendue de vos désirs sera toujours pour vous la mesure
des largesses, de Marie. Voilà pourquoi on n'a jamais entendu dire
qu'on l'ait invoquée vainement. Demandez-lui ce que vous savez vous
être le plus nécessaire pour remplir saintement vos devoirs envers
Dieu, envers le prochain, suivant l'état auquel vous avez été
appelé.
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