CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

CHAPITRE XIII

MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR

I

Le Fils de Dieu, en se faisant homme, avait pris non un corps glorieux, comme il convenait au Fils unique du Père, mais un corps passible, dans lequel il pût endurer la mort pour les pécheurs. Il avait donc souffert un grand déchet de sa condition de Fils de Dieu; et de même la très-sainte Vierge, sa Mère, sembla déchoir de la condition de Mère du Fils dé Dieu en lui donnant naissance dans l'infirmité de notre chair. Car, quoique Jésus-Christ dût naître d'une Vierge issue d'Adam afin qu'il eût une chair en ressemblance de celle du péché, Marie, en lui donnant cette naissance, était véritablement devenue la mère du Fils éternel du Père. Ce qui naîtra de vous, lui avait dit l'Ange, sera le Fils de Dieu [1], par conséquent Dieu lui-même égal au Père en toutes choses. Elle avait donc partagé l'abaissement de son Fils en l'engendrant dans la chair infirme et mortelle. D'ailleurs Marie, conçue dans la justice originelle, n'aurait pas dû, non plus qu'Ève innocente, engendrer un homme mortel. C'est pourquoi Dieu le Père, qui ne souffre point que. son Fils bien-aimé perde rien pour son amour, a résolu de lui rendre sa gloire avec usure au jour de sa Résurrection et dans celui de son Ascension; pareillement, pour réparer la perte que la très-sainte Vierge a soufferte, il veut qu'après avoir paru, en Jésus-Christ, mère du fils de l'homme, elle paraisse aussi la Mère du Dieu de gloire.

C'était par ses souffrances, et en endurant tous les tourments réservés aux pécheurs, que Notre-Seigneur devait entrer dans cette gloire extérieure; et Marie, de son côté, avait dû acquérir la maternité du Dieu de gloire par les douleurs que ressentent les mères des criminels; ce fut une des raisons du martyre violent qu'elle ressentit au Calvaire. Elle ne subit pas ce martyre à cause de la conception de Jésus-Christ, qui fut le principe de sa vie, ni pour sa naissance à Bethléem ; elle ne devait pas non plus le souffrir précisément dans sa naissance à la gloire, qui sera sa résurrection ; mais seulement dans sa mort, qui est la peine du péché et par laquelle il devait entrer dans sa gloire. Car alors Jésus-Christ sur un gibet, comme un pauvre pécheur couvert de tous les crimes du monde, devait trouver dans sa mort ignominieuse le principe de sa glorification, et dans son tombeau le sein de sa conception à la résurrection; en un mot, c'était de cet état d'ignominie qu'il devait sortir pour, entrer dans sa gloire. C'est pourquoi, au jour de la mort de Jésus, Marie, en participant aux sentiments de son Fils en croix, en recevant cette blessure mortelle qui perce son âme, en partageant les souffrances, les ignominies et le martyre de la croix de Jésus-Christ, acquiert par avance et mérite aussitôt la maternité du Dieu de gloire. Comme donc le tombeau, image de Marie, devait être le lieu effectif dans lequel Dieu le Père allait engendrer son Fils en gloire, il voulut que ce tombeau fût tout neuf, en figure de la très-sainte Vierge, cette terre neuve et innocente qui avait été le sépulcre vivant de Jésus-Christ en sa sainte conception ; et parce que Dieu devait glorifier son Fils dans le tombeau, image de Marie, Isaïe avait dit, en figure de la gloire de cette divine Mère, que son sépulcre semait glorieux à cause de la gloire de Jésus-Christ [2].

Dans les sacrifices de l'ancienne loi, l'hostie ayant et- immolée et placée sur l'autel, elle attendait sa clarification, c'est-à-dire cette lueur dans laquelle elle entrait, lorsqu'elle passait dans la nature et la lumière du feu qui la consumait sur l'autel même. Ainsi, après que Notre-Seigneur eut été immolé sur la croix, il fut mis dans le tombeau; et là, comme l'hostie sur l'autel, il attendait que le feu divin, c'est-à-dire que Dieu le Père descendît dans le sépulcre pour faire passer son hostie dans sa nature de lumière et de gloire. il est vrai que le Verbe, ayant épousé la sainte humanité par l'Incarnation, s'était lié à elle d'un lien indissoluble, qui ne fut pas interrompu par la mort; et qu'au tombeau la divinité du Verbe était cachée dans son corps sacré sans cesser d'être unie à son âme, quoique l'âme fût alors séparée du corps. Il est vrai encore que Dieu le Fils devait se ressusciter lui-même par sa divinité, ou plutôt être réveillé du tombeau par l'action des trois personnes divines ; mais c'était la puissance du Père qui devait le rappeler de la mort à la vie de la gloire [3] ; car si la puissance du Fils est la même que celle du Père, elle est originaire et émanant du Père. En sorte que c'est selon les desseins de Dieu le Père que toutes choses dans son Fils, et hors de son Fils, s'exécutent et s'accomplissent. Dieu le Père, usant donc de sa puissance, réunit au corps de Jésus-Christ son âme qui. en était séparée; et, se rendant principe de vie en l'âme, il anima par elle le corps. Car l'âme n'est ici qu'un simple instrument, l'instrument de la vie que Dieu voulait donner à ce corps, savoir: une vie immortelle et glorieuse-, une vie divine, laquelle ne peut être trouvée qu'en Dieu et opérée par lui seul. Aussi Dieu le Père dit-il lui-même à Jésus-Christ au jour de sa résurrection : Vous êtes mon Fils, aujourd'hui je vous ai engendré [4].

Pensant à ce mystère, il me semblait voir le Père embrassant son Fils encore tout étendu dans le tombeau, l'environnant de gloire, le prenant dans ses bras, le portant dans son sein, rejoignant et reliant le corps et l'âme, les pressant sur sa poitrine, les réchauffant dans le sein de sa gloire. Je le voyais consommant ce qui en Jésus-Christ était de son état infirme, lui donnant, dans les entrailles du tombeau, une vie de gloire à la place de la vie d'infirmité et de corruption qu'il avait reçue de David; enfin le faisant passer de l'état d'hostie pour le péché en celui d'hostie de louange, par une clarification de la chair et de l'âme de Jésus-Christ, qui fut solide, véritable, réelle et substantielle.

II

Isaïe [5], parlant de la résurrection du Sauveur, disait : Qui racontera sa génération ? parce que sur la terre sa vie lui sera ôtée ; c'est-à-dire qui parlera de cette génération qui lui sera rendue après qu'on lui aura ôté sa vie sur la terrer ? Je ne puis pénétrer, je ne puis qu'adorer les secrets de la génération temporelle de Jésus en gloire. Je ne puis concevoir ses grandeurs. J'adore ce qui se passe dans ce tombeau, si glorieux et si magnifique. J'adore cette mutation adorable de vie ; j'adore ce changement du corps de mon Sauveur; j'adore la communication que le Père lui fait de cette vie nouvelle, et cette ressemblance, ce rapport qui se trouve entre Jésus et le Père éternel.

En le ressuscitant ainsi, Dieu le Père, qui est le premier fond et l'origine de toute miséricorde, de toute grâce, de tout don, lui donne le droit de communiquer sa vie nouvelle au monde, en récompense de ce qu'il a sacrifié sa vie temporelle pour lui; et, selon la prophétie d'Isaïe, il l'établit, au jour de sa résurrection, Père du siècle futur. Il avait communiqué au premier Adam, la fécondité naturelle, il donne la fécondité spirituelle au second; c'est-à-dire un esprit vivifiant, une vie féconde pour être distribuée aux autres hommes, qui voudront vivre divinement. Comme il avait formé le premier à l'âge de trente ans, et l'avait créé parfait soit en science pour régir le monde, soit en puissance pour l'engendrer, il ressuscite son Fils parfait, à l'âge même qu'il était mort; il le ressuscite tout rempli de splendeur et de puissance, pour la sanctification, la conduite et la glorification de son Église.

Au moment de sa résurrection, Jésus-Christ, tout pénétré de la divinité, tout brillant de la clarté et de la splendeur de son Père, tout rempli de ses sentiments mêmes et de ses inclinations, s'unit à la très-sainte Vierge en sa splendeur divine, et se porte à elle par l'amour même de Dieu son Père pour elle, comme vers le plus bel objet qui fut jamais après Dieu. Il demeure en elle, et elle en lui ; et comme, dans sa résurrection, il est revêtu des titres d'honneur les plus magnifiques, que son Père lui donne en récompense de ses ignominies et de sa mort, Jésus, épris des beautés et des perfections divines qui éclatent dans sa Mère, et de l'amour qu'elle lui a témoigné dans sa Passion, veut qu'elle entre elle-même en participation de son triomphe et de sa gloire.

Aussi témoigne-t-il à sa Mère l'amour immense qu'il lui porte. Comme Père du siècle futur, il se lie d'inclination à elle et devient avec elle, pour tout le corps de l'Église, un principe de divine génération. Ainsi, ayant reçu de Dieu, dans sa résurrection, d'avoir en soi la vie pour la donner à tous les hommes et les justifier par le fond de la justice divine qui est en lui, il prend pour son aide la très-sainte Vierge, comme une nouvelle Ève; et, en même temps, il la met en communion de tout ce qu'il a reçu de son Père, pour la rendre Mère des vivants.

III

O grand Dieu ! quels inexplicables secrets sont renfermés dans ce divin mystère de l'union du Fils de Dieu avec sa sainte Mère ! quelle communication intime, quelle donation de ce qu'il est et de ce qu'il possède ne lui fait-il pas au jour de sa résurrection ! O merveille des merveilles ! tout ce que Jésus-Christ opèrera, depuis le moment de la formation de l'Église jusqu'au jour du jugement, il l'a formé dans sa Mère, et plus parfaitement, plus hautement, plus saintement, plus divinement qu'il ne l'aura formé dans toute l'étendue des chrétiens, dans tout le cours des siècles! Je ne m'étonne pas si saint Jean a entendu, mieux que personne, le saint et glorieux mystère de l'Église de Dieu, puisqu'il avait toujours devant soi la très-sainte Vierge, en qui il voyait toute l'Église abrégée et renfermée. Il voyait cette divine Mère plus belle, plus resplendissante, plus éclatante mille fois que tout ce qu'il a vu en cette femme revêtue du soleil [6], qui est la forme et la figure de l'Église, et qui, auprès de Marie, n'a en soi que de faibles communications du Soleil de justice.

Oui, tout ce qui paraît dans l'Église est petit en comparaison de l'éminente participation que Jésus-Christ donne de soi-même à sa sainte Mère. Il sera en elle non-seulement sept fois plus resplendissant que le soleil, comme il est dit des justes, mais il sera septante fois sept fois plus éclatant, plus beau dans l'âme de Marie que dans tous les justes ensemble; et cela, parce qu'elle s'est livrée et abandonnée à lui sans réserve, sans mesure, sans retour et sans règle, et qu'elle a voulu partager les ignominies et les douleurs de sa Passion. O chère et suraimable princesse! vous étiez la Mère de Jésus infirme dans l'Incarnation; aujourd'hui, par la Résurrection, vous êtes la Mère et l’Épouse de Jésus en gloire, et sans rien perdre de l'alliance que vous avez avec le Père éternel, et de vos droits en qualité de son Épouse recouvrant un Fils plein de gloire, vous le recevez pour votre Époux et devenez ainsi, en Dieu le Père et en son Fils, la dispensatrice de leurs trésors envers toutes les créatures.

RÉFLEXIONS PRATIQUES

1° En contemplant, par la foi, les grandeurs et la béatitude de Marie au saint jour de la résurrection de son Fils, entrez dans les sentiments d'une joie vive, pure et surnaturelle. Cette joie n'a' rien qui dissipe l'esprit, rien qui altère la pureté du coeur; tout au contraire, elle nous unit plus intimement à Dieu et augmente en nous son saint amour. C'est qu'elle prend sa source en Dieu même; qu'elle a pour objet l'espérance de partager un jour la gloire de Jésus; et qu'enfin elle n'est qu'une participation de la joie même de Marie.

Unissez-vous donc à cette divine Mère, et avec elle remerciez Jésus-Christ de l'avoir fait participer à tous les titres d'honneur qu'il a reçus dans sa Résurrection, et qu'il pouvait lui communiquer. Bénissez-le spécialement pour la participation qu'il lui a donnée à son titre de Père du siècle futur, en l'établissant la véritable mère de tous ceux qui vivront de la vie divine, qu'il ne veut donner que par elle, dans toute la suite des générations.

Félicitez Marie de son bonheur, réjouissez-vous avec elle de l'accomplissement de ce grand et auguste mystère, à imitation de l'Église, qui, pendant tout le temps pascal, ne se lasse pas de la féliciter et de se réjouir elle-même par le chant du Regina coeli, loetare, alleluia !

2° Jésus-Christ ne ressuscita Lazare qu'après que Marthe et Madeleine, ses sœurs, l'en eurent supplié avec larmes : il veut qu'à votre tour vous demandiez à Marie la résurrection de tant de morts, encore ensevelis dans le tombeau du péché. Ils sont ses enfants; sa joie ne sera complète que lorsqu'elle. les verra rendus à la vie. Il sont vos frères et vos sœurs en Jésus-Christ: soyez donc touché de compassion sur leur sort; et vous adressant à Marie, notre commune mère, dites-lui, avec la confiance parfaite que doivent vous inspirer sa puissance auprès de Dieu et sa bonté sans bornes pour les hommes : « Sainte Mère de Dieu, rompez les chaînes des coupables, donnez la lumière aux aveugles, éloignez d'eux tous les maux, demandez pour eux tous les biens ». A vos prières, joignez vos bonnes oeuvres, surtout de sages et prudents conseils pour éclairer leurs esprits, et de saints exemples pour toucher leur coeur.

3° Enfin, si vous ôtes retenu vous-même dans les liens funestes de la tiédeur, dont il est si difficile de se défendre entièrement, conjurez-la de vous en délivrer et de vous faire entrer dans la voie parfaite. Il est vrai que, pour être du nombre des tièdes, vous n'êtes pas privé pour cela de la vie de Dieu; mais, en vous, cette vie est languissante. C'est pourquoi, à l'imitation de Marthe et de Madeleine, dites à la très-sainte Vierge, en lui exposant votre état : « Celui que vous aimez est malade, ayez compassion de lui; vous pouvez le guérir, si vous le voulez ». Surtout, faites tous vos efforts pour sortir de l'état de tiédeur, en rompant généreusement les petites attaches qui vous ont retenu et embarrassé jusqu'ici. La joie de Marie, c'est de voir son divin Fils servi par des âmes ferventes, qui ne mettent volontairement aucune borne à leur perfection. Réjouissez donc le coeur de cette divine Mère, en lui promettant de vous déclarer enfin pour le parti de la ferveur, et, ce qui est l'essentiel, en vous montrant fidèle à exécuter vos promesses. Ce sera alors que, lui adressant ces paroles de félicitation : Reine du Ciel, réjouissez-vous, vous pourrez ajouter avec confiance et dire de vous-même, aussi bien que du Sauveur : Parce que Celui que vous avez porté est ressuscité comme il l'avait dit, alleluia !


[1] S. Luc, chap. I, 35.

[2] Isaïe, chap. IX, 10.

[3] La résurrection de Notre-Seigneur est une couvre commune aux trois personnes de la sainte Trinité, comme le dit M.Olier; mais c'est aussi une de ces œuvres que, dans le langage des saintes Écritures, on peut attribuer, par appropriation, plus spécialement au Père; d'abord, parce que c'est une couvre de la toute-puissance, comme la création du ciel et de la terre, que le symbole nous apprend à attribuer au Père; en second lieu, parce qu'elle a pour effet immédiat de donner au Fila de Dieu fait homme une naissance à la vie de la gloire. Voici comment saint Pierre Damien expose cette doctrine :

B. Petrus Damianus, Opuscul. de fide Cath., cap. IX. Resuscitavit Pater Filium, quem a mortuis excitans, super omnes singulariter exaltavit. Resuscitavit et semetipsum Christus, sicut ipso in figura sui corporis dicit : Solvite templum hoc,et in triduo suscitabo illud. Porro autem, ut ipse se evidenter ostendat suae passionis ac resurrectionis auctorem, una breviter sententia comprehendit : Potestatem, inquit; habeo ponendi animam meam, et potestatem habeo iterum sumendi eam. Quod cursus inculcat dicens : Nemo tollit eam a me, sed ego pono eam, et iterum sumo eam. Quod autem et Spiritus sanctus cum Patre et Filio resurrectionis auctor sit, testatur apostolus dicens: Quod si spiritus ejus, qui suscitavit Jesum a mortuis, habitat in vobis : qui suscitavit Jesum Christum a mortuis, vivificabit et mortalia corpora vestra propter inhabitantem Spiritum ejus in vobis.

[4] Actes des Apôtres, chap. XIII, 33.

[5] Isaïe; Chap. LIII, 8.

[6] Apoc., chap. XII, 1.
 

   

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