MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR
Le
Fils de Dieu, en se faisant homme, avait pris non un corps glorieux,
comme il convenait au Fils unique du Père, mais un corps passible,
dans lequel il pût endurer la mort pour les pécheurs. Il avait donc
souffert un grand déchet de sa condition de Fils de Dieu; et de même
la très-sainte Vierge, sa Mère, sembla déchoir de la condition de
Mère du Fils dé Dieu en lui donnant naissance dans l'infirmité de
notre chair. Car, quoique Jésus-Christ dût naître d'une Vierge issue
d'Adam afin qu'il eût une chair en ressemblance de celle du péché,
Marie, en lui donnant cette naissance, était véritablement devenue
la mère du Fils éternel du Père. Ce qui naîtra de vous, lui
avait dit l'Ange, sera le Fils de Dieu
,
par conséquent Dieu lui-même égal au Père en toutes choses. Elle
avait donc partagé l'abaissement de son Fils en l'engendrant dans la
chair infirme et mortelle. D'ailleurs Marie, conçue dans la justice
originelle, n'aurait pas dû, non plus qu'Ève innocente, engendrer un
homme mortel. C'est pourquoi Dieu le Père, qui ne souffre point que.
son Fils bien-aimé perde rien pour son amour, a résolu de lui rendre
sa gloire avec usure au jour de sa Résurrection et dans celui de son
Ascension; pareillement, pour réparer la perte que la très-sainte
Vierge a soufferte, il veut qu'après avoir paru, en Jésus-Christ,
mère du fils de l'homme, elle paraisse aussi la Mère du Dieu de
gloire.
C'était par ses souffrances, et en endurant tous les tourments
réservés aux pécheurs, que Notre-Seigneur devait entrer dans cette
gloire extérieure; et Marie, de son côté, avait dû acquérir la
maternité du Dieu de gloire par les douleurs que ressentent les
mères des criminels; ce fut une des raisons du martyre violent
qu'elle ressentit au Calvaire. Elle ne subit pas ce martyre à cause
de la conception de Jésus-Christ, qui fut le principe de sa vie, ni
pour sa naissance à Bethléem ; elle ne devait pas non plus le
souffrir précisément dans sa naissance à la gloire, qui sera sa
résurrection ; mais seulement dans sa mort, qui est la peine du
péché et par laquelle il devait entrer dans sa gloire. Car alors
Jésus-Christ sur un gibet, comme un pauvre pécheur couvert de tous
les crimes du monde, devait trouver dans sa mort ignominieuse le
principe de sa glorification, et dans son tombeau le sein de sa
conception à la résurrection; en un mot, c'était de cet état
d'ignominie qu'il devait sortir pour, entrer dans sa gloire. C'est
pourquoi, au jour de la mort de Jésus, Marie, en participant aux
sentiments de son Fils en croix, en recevant cette blessure mortelle
qui perce son âme, en partageant les souffrances, les ignominies et
le martyre de la croix de Jésus-Christ, acquiert par avance et
mérite aussitôt la maternité du Dieu de gloire. Comme donc le
tombeau, image de Marie, devait être le lieu effectif dans lequel
Dieu le Père allait engendrer son Fils en gloire, il voulut que ce
tombeau fût tout neuf, en figure de la très-sainte Vierge, cette
terre neuve et innocente qui avait été le sépulcre vivant de
Jésus-Christ en sa sainte conception ; et parce que Dieu devait
glorifier son Fils dans le tombeau, image de Marie, Isaïe avait dit,
en figure de la gloire de cette divine Mère, que son sépulcre
semait glorieux à cause de la gloire de Jésus-Christ
.
Dans les sacrifices de
l'ancienne loi, l'hostie ayant et- immolée et placée sur l'autel,
elle attendait sa clarification, c'est-à-dire cette lueur dans
laquelle elle entrait, lorsqu'elle passait dans la nature et la
lumière du feu qui la consumait sur l'autel même. Ainsi, après que
Notre-Seigneur eut été immolé sur la croix, il fut mis dans le
tombeau; et là, comme l'hostie sur l'autel, il attendait que le feu
divin, c'est-à-dire que Dieu le Père descendît dans le sépulcre pour
faire passer son hostie dans sa nature de lumière et de gloire. il
est vrai que le Verbe, ayant épousé la sainte humanité par
l'Incarnation, s'était lié à elle d'un lien indissoluble, qui ne fut
pas interrompu par la mort; et qu'au tombeau la divinité du Verbe
était cachée dans son corps sacré sans cesser d'être unie à son âme,
quoique l'âme fût alors séparée du corps. Il est vrai encore que
Dieu le Fils devait se ressusciter lui-même par sa divinité, ou
plutôt être réveillé du tombeau par l'action des trois personnes
divines ; mais c'était la puissance du Père qui devait le rappeler
de la mort à la vie de la gloire
;
car si la puissance du Fils est la même que celle du Père,
elle est originaire et émanant du Père. En sorte
que c'est selon les desseins de Dieu le Père que toutes choses dans
son Fils, et hors de son Fils, s'exécutent et s'accomplissent. Dieu
le Père, usant donc de sa puissance, réunit au corps de Jésus-Christ
son âme qui. en était séparée; et, se rendant principe de vie en
l'âme, il anima par elle le corps. Car l'âme n'est ici qu'un simple
instrument, l'instrument de la vie que Dieu voulait donner à ce
corps, savoir: une vie immortelle et glorieuse-, une vie divine,
laquelle ne peut être trouvée qu'en Dieu et opérée par lui seul.
Aussi Dieu le Père dit-il lui-même à Jésus-Christ au jour de sa
résurrection : Vous êtes mon Fils, aujourd'hui je vous ai
engendré
.
Pensant à ce mystère, il me semblait voir le Père embrassant son
Fils encore tout étendu dans le tombeau, l'environnant de gloire, le
prenant dans ses bras, le portant dans son sein, rejoignant et
reliant le corps et l'âme, les pressant sur sa poitrine, les
réchauffant dans le sein de sa gloire. Je le voyais consommant ce
qui en Jésus-Christ était de son état infirme, lui donnant, dans les
entrailles du tombeau, une vie de gloire à la place de la vie
d'infirmité et de corruption qu'il avait reçue de David; enfin le
faisant passer de l'état d'hostie pour le péché en celui d'hostie de
louange, par une clarification de la chair et de l'âme de
Jésus-Christ, qui fut solide, véritable, réelle et substantielle.
Isaïe
,
parlant de la résurrection du Sauveur, disait : Qui racontera sa
génération ? parce que sur la terre sa vie lui sera ôtée ;
c'est-à-dire qui parlera de cette génération qui lui sera rendue
après qu'on lui aura ôté sa vie sur la terrer ? Je ne puis pénétrer,
je ne puis qu'adorer les secrets de la génération temporelle de
Jésus en gloire. Je ne puis concevoir ses grandeurs. J'adore ce qui
se passe dans ce tombeau, si glorieux et si magnifique. J'adore
cette mutation adorable de vie ; j'adore ce changement du corps de
mon Sauveur; j'adore la communication que le Père lui fait de cette
vie nouvelle, et cette ressemblance, ce rapport qui se trouve entre
Jésus et le Père éternel.
En
le ressuscitant ainsi, Dieu le Père, qui est le premier fond et
l'origine de toute miséricorde, de toute grâce, de tout don, lui
donne le droit de communiquer sa vie nouvelle au monde, en
récompense de ce qu'il a sacrifié sa vie temporelle pour lui; et,
selon la prophétie d'Isaïe, il l'établit, au jour de sa
résurrection, Père du siècle futur. Il avait communiqué au
premier Adam, la fécondité naturelle, il donne la fécondité
spirituelle au second; c'est-à-dire un esprit vivifiant, une vie
féconde pour être distribuée aux autres hommes, qui voudront vivre
divinement. Comme il avait formé le premier à l'âge de trente ans,
et l'avait créé parfait soit en science pour régir le monde, soit en
puissance pour l'engendrer, il ressuscite son Fils parfait, à l'âge
même qu'il était mort; il le ressuscite tout rempli de splendeur et
de puissance, pour la sanctification, la conduite et la
glorification de son Église.
Au
moment de sa résurrection, Jésus-Christ, tout pénétré de la
divinité, tout brillant de la clarté et de la splendeur de son Père,
tout rempli de ses sentiments mêmes et de ses inclinations, s'unit à
la très-sainte Vierge en sa splendeur divine, et se porte à elle par
l'amour même de Dieu son Père pour elle, comme vers le plus bel
objet qui fut jamais après Dieu. Il demeure en elle, et elle en
lui ; et comme, dans sa résurrection, il est revêtu des titres
d'honneur les plus magnifiques, que son Père lui donne en récompense
de ses ignominies et de sa mort, Jésus, épris des beautés et des
perfections divines qui éclatent dans sa Mère, et de l'amour qu'elle
lui a témoigné dans sa Passion, veut qu'elle entre elle-même en
participation de son triomphe et de sa gloire.
Aussi témoigne-t-il à sa Mère l'amour immense qu'il lui porte. Comme
Père du siècle futur, il se lie d'inclination à elle et
devient avec elle, pour tout le corps de l'Église, un principe de
divine génération. Ainsi, ayant reçu de Dieu, dans sa résurrection,
d'avoir en soi la vie pour la donner à tous les hommes et les
justifier par le fond de la justice divine qui est en lui, il prend
pour son aide la très-sainte Vierge, comme une nouvelle Ève; et, en
même temps, il la met en communion de tout ce qu'il a reçu de son
Père, pour la rendre Mère des vivants.
O
grand Dieu ! quels inexplicables secrets sont renfermés dans ce
divin mystère de l'union du Fils de Dieu avec sa sainte Mère !
quelle communication intime, quelle donation de ce qu'il est et de
ce qu'il possède ne lui fait-il pas au jour de sa résurrection ! O
merveille des merveilles ! tout ce que Jésus-Christ opèrera, depuis
le moment de la formation de l'Église jusqu'au jour du jugement, il
l'a formé dans sa Mère, et plus parfaitement, plus hautement, plus
saintement, plus divinement qu'il ne l'aura formé dans toute
l'étendue des chrétiens, dans tout le cours des siècles! Je ne
m'étonne pas si saint Jean a entendu, mieux que personne, le saint
et glorieux mystère de l'Église de Dieu, puisqu'il avait toujours
devant soi la très-sainte Vierge, en qui il voyait toute l'Église
abrégée et renfermée. Il voyait cette divine Mère plus belle, plus
resplendissante, plus éclatante mille fois que tout ce qu'il a vu en
cette femme revêtue du soleil
,
qui est la forme et la figure de l'Église, et qui, auprès de Marie,
n'a en soi que de faibles communications du Soleil de justice.
Oui,
tout ce qui paraît dans l'Église est petit en comparaison de
l'éminente participation que Jésus-Christ donne de soi-même à sa
sainte Mère. Il sera en elle non-seulement sept fois plus
resplendissant que le soleil, comme il est dit des justes, mais
il sera septante fois sept fois plus éclatant, plus beau dans l'âme
de Marie que dans tous les justes ensemble; et cela, parce qu'elle
s'est livrée et abandonnée à lui sans réserve, sans mesure, sans
retour et sans règle, et qu'elle a voulu partager les ignominies et
les douleurs de sa Passion. O chère et suraimable princesse! vous
étiez la Mère de Jésus infirme dans l'Incarnation; aujourd'hui, par
la Résurrection, vous êtes la Mère et l’Épouse de Jésus en gloire,
et sans rien perdre de l'alliance que vous avez avec le Père
éternel, et de vos droits en qualité de son Épouse recouvrant un
Fils plein de gloire, vous le recevez pour votre Époux et devenez
ainsi, en Dieu le Père et en son Fils, la dispensatrice de leurs
trésors envers toutes les créatures.
1°
En contemplant, par la foi, les grandeurs et la béatitude de Marie
au saint jour de la résurrection de son Fils, entrez dans les
sentiments d'une joie vive, pure et surnaturelle. Cette joie n'a'
rien qui dissipe l'esprit, rien qui altère la pureté du coeur; tout
au contraire, elle nous unit plus intimement à Dieu et augmente en
nous son saint amour. C'est qu'elle prend sa source en Dieu même;
qu'elle a pour objet l'espérance de partager un jour la gloire de
Jésus; et qu'enfin elle n'est qu'une participation de la joie même
de Marie.
Unissez-vous donc à cette divine Mère, et avec elle remerciez
Jésus-Christ de l'avoir fait participer à tous les titres d'honneur
qu'il a reçus dans sa Résurrection, et qu'il pouvait lui
communiquer. Bénissez-le spécialement pour la participation qu'il
lui a donnée à son titre de Père du siècle futur, en l'établissant
la véritable mère de tous ceux qui vivront de la vie divine, qu'il
ne veut donner que par elle, dans toute la suite des générations.
Félicitez Marie de son bonheur, réjouissez-vous avec elle de
l'accomplissement de ce grand et auguste mystère, à imitation de
l'Église, qui, pendant tout le temps pascal, ne se lasse pas de la
féliciter et de se réjouir elle-même par le chant du Regina coeli,
loetare, alleluia !
2°
Jésus-Christ ne ressuscita Lazare qu'après que Marthe et Madeleine,
ses sœurs, l'en eurent supplié avec larmes : il veut qu'à votre tour
vous demandiez à Marie la résurrection de tant de morts, encore
ensevelis dans le tombeau du péché. Ils sont ses enfants; sa joie ne
sera complète que lorsqu'elle. les verra rendus à la vie. Il sont
vos frères et vos sœurs en Jésus-Christ: soyez donc touché de
compassion sur leur sort; et vous adressant à Marie, notre commune
mère, dites-lui, avec la confiance parfaite que doivent vous
inspirer sa puissance auprès de Dieu et sa bonté sans bornes pour
les hommes : « Sainte Mère de Dieu, rompez les chaînes des
coupables, donnez la lumière aux aveugles, éloignez d'eux tous les
maux, demandez pour eux tous les biens ». A vos prières, joignez vos
bonnes oeuvres, surtout de sages et prudents conseils pour éclairer
leurs esprits, et de saints exemples pour toucher leur coeur.
3°
Enfin, si vous ôtes retenu vous-même dans les liens funestes de la
tiédeur, dont il est si difficile de se défendre entièrement,
conjurez-la de vous en délivrer et de vous faire entrer dans la voie
parfaite. Il est vrai que, pour être du nombre des tièdes, vous
n'êtes pas privé pour cela de la vie de Dieu; mais, en vous, cette
vie est languissante. C'est pourquoi, à l'imitation de Marthe et de
Madeleine, dites à la très-sainte Vierge, en lui exposant votre
état : « Celui que vous aimez est malade, ayez compassion de
lui; vous pouvez le guérir, si vous le voulez ». Surtout, faites
tous vos efforts pour sortir de l'état de tiédeur, en rompant
généreusement les petites attaches qui vous ont retenu et embarrassé
jusqu'ici. La joie de Marie, c'est de voir son divin Fils servi par
des âmes ferventes, qui ne mettent volontairement aucune borne à
leur perfection. Réjouissez donc le coeur de cette divine Mère, en
lui promettant de vous déclarer enfin pour le parti de la ferveur,
et, ce qui est l'essentiel, en vous montrant fidèle à exécuter vos
promesses. Ce sera alors que, lui adressant ces paroles de
félicitation : Reine du Ciel, réjouissez-vous, vous pourrez
ajouter avec confiance et dire de vous-même, aussi bien que du
Sauveur : Parce que Celui que vous avez porté est ressuscité
comme il l'avait dit, alleluia !
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