CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Sœur Marie de Saint-Pierre
(Perrine Éluère)
1816-1848

2
Genèse d'une spiritualité

Perrine s'était sentie tout de suite à l'aise dans la maison et au milieu de ses sœurs. Mais elle comprit bientôt que sa relation à Dieu ne la concernait pas elle seule : dès sont entrée au carmel elle s'ouvrit aux besoins de l'Église et au grand nombre d'âmes à sauver. Voici ce qu'elle écrit: "Jusqu’alors le but de toutes les communications dont Notre-Seigneur me favorisait, était la sanctification de mon âme; je travaillais uniquement pour moi, étant chargée seulement du soin de ma perfection. Mais en m’appelant au Carmel tout dévoué à la gloire de Dieu, aux besoins de l’Église, au bien des âmes, le Seigneur voulut m’enseigner ce dévouement, cet esprit de sacrifice, ce zèle pour le salut du prochain, vertus sublimes et désintéressées que je ne connaissais pas encore."

2-1-Les premiers pas

Par ailleurs, Sœur Marie de Saint-Pierre, nom religieux de Perrine Éluère, se sentit attirée par le mystère de l'Enfance du Christ. La dévotion à la Sainte Enfance était aussi un héritage du carmel français et de l'École Française de spiritualité. Gaston de Renty (1611-1649) qui fut longtemps supérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement était convaincu que "l'Enfance de Notre-Seigneur était un état où il faut mourir à tout et où l'âme, en soi, en silence et respect, en innocence, pureté et simplicité, attend et reçoit les ordres de Dieu et vit au jour la journée, en abandon, ne regardant d'une certaine manière ni devant soi, ni derrière soi, mais s'unissant au Saint-Enfant Jésus qui, anéanti soi-même, reçoit tous les ordres de son Père."

Dès son admission au noviciat, Perrine Éluère se consacra tout entière à la Sainte Famille, et, dorénavant, tout ce qu'elle fera dans son carmel, elle le fera dans l'intention de servir la Sainte Famille de Nazareth. Elle se considéra même comme "l'âne de Jésus". Son temps de noviciat fut une période de grande ferveur et d'étroite union avec l'Enfant-Jésus.

Quand elle fut admise à la profession et prononça ses vœux le 8 juin 1841, Perrine fut au comble du bonheur... Elle signa l'acte de sa donation sous le nom de Sœur Marie de Saint-Pierre de la Sainte Famille.

La prieure, Mère Marie de l'Incarnation, femme remarquable, suivait de très près l'évolution spirituelle de Sœur Marie de Saint-Pierre. Ce qui rassurait la prieure, c'était "l'obéissance entière et parfaite, sans délai, sans raisonnement de la jeune sœur, qui se soumettait avec la simplicité d'un enfant à tout ce qu'on pouvait désirer d'elle."

2-2-Jésus éduque Sœur Marie de Saint-Pierre

          2-2-1-Dévotion à l'Enfant Jésus

Sœur Marie-Pierre continue sa narration : "Je faisais ce que je pouvais pour lui obéir[1], mais je me retrouvais bientôt dans la même route. Alors elle me permit de parler à un bon Père très versé dans la vie intérieure -il était religieux-, et elle me dit :

– Mon enfant, vous allez bien lui dire comment vous faites votre oraison et de quelle manière le bon Dieu vous conduit.

Je me rendis à cette charitable invitation avec reconnaissance, et j’ouvris mon âme à ce bon Père. Après avoir tout examiné, il me dit:

– Ma fille, continuez sans crainte; laissez Notre-Seigneur vous conduire, parce que vous avez établi le fondement sur l’esprit de mortification; dites à votre Révérende Mère que je suis content; je lui parlerai.

En effet, notre prudente Mère me permit de m’abandonner à l’esprit de Dieu; mais elle me donna le sage conseil d’être bien fidèle à la grâce, et de ne point rester dans l’inaction quand l’opération divine serait passée.

Sœur Marie de Saint-Pierre continuait cependant à recevoir des communications du Seigneur, et elle en faisait régulièrement part à sa supérieure. Cependant cette dernière estima qu'une vie plus active serait meilleure pour la jeune sœur, et elle lui confia, le 25 mars 1842, l'office de portière, c'est-à-dire la charge de faire le lien entre la sœur tourière et l'intérieur du monastère. Cet emploi distrayant ne convenait guère à une religieuse éprise de silence, mais Perrine se considérait comme la domestique de l'Enfant Jésus. Elle obtint d'avoir, dans la pièce où elle se tenait une statuette de l'Enfant Jésus, et, dès lors, "au comble de ses vœux, elle lui offrait tous ses petits travaux, et, pour prix de ses commissions, elle lui demandas des âmes. Ce divin Enfant lui donna, malgré son indignité, les grâces dont elle avait besoin pour son emploi, de sorte qu’il ne nuisit point à l’esprit intérieur, et ne l’empêchait point d’être unie à Dieu comme auparavant durant l’oraison..."

Sœur Marie de Saint-Pierre raconte encore: "Je travaillais pendant la journée pour le salut des brebis du saint Enfant-Jésus, et, à l’oraison, il me payait au centuple. Quelquefois aussi, pendant la journée, il venait visiter mon âme par une grâce puissante; je laissais alors un peu mon ouvrage quand je sentais son approche, afin de l’écouter plus à mon aise; mais pensant qu’il me fallait pour cela une permission, je la demandai à notre Révérende Mère. Comme sa charité pour mon âme la portait à ne rien négliger de ce qui pouvait m’exercer dans la vertu, elle me défendit de m’arrêter à ces opérations intérieures et ajouta:

– Je vous permets seulement, quand vous aurez l’esprit bien distrait, de vous recueillir un peu.

Et, grâce à Dieu, je suivais en tout ses sages conseils."

          2-2-2-L'humilité de Jésus Enfant c'est la Gloire du Père

Le 14 septembre 1847 Sœur Marie de Saint-Pierre s'écrie: "Oh! quelle gloire Jésus enfant a rendue à son divin Père en cet état de pauvreté et d’humiliation! Car alors il lui a fait l’hommage de son pouvoir absolu en suspendant ses divines opérations. Que d’actions éclatantes il aurait pu faire en entrant dans le monde! Cependant il s’en est privé pour obéir à son Père, et pour nous montrer l’exemple d’une profonde humilité.

Après cette considération, je me dis à moi-même: Oh! de quel prix doit être aux yeux du Père éternel cette seule action du Verbe enfant, pressant pendant quinze mois le sein maternel de la Vierge Marie, puisqu’il a comme anéanti ou renfermé dans cette seule action sa grandeur, sa puissance, sa sagesse et toutes ses facultés! Ô mystère profond et ineffable! Plus il paraît petit aux yeux des hommes, plus il est grand aux yeux du Père éternel."

Mais Satan n'aime pas l'humilité, surtout l'humilité de Dieu. Sœur Marie de Saint-Pierre poursuit sa réflexion mentale: "J’ai été terriblement tourmentée par le démon, qui craint sans doute que ces âmes[2] ne lui échappent. La très sainte Vierge m’a dit qu’il fallait persévérer dans mes exercices, malgré les efforts de mes ennemis. Le diable ne peut combattre contre un petit enfant, il est trop orgueilleux pour cela; voilà pourquoi il fait tout ce qu’il peut pour me détourner du mystère de la maternité divine."

         2-2-3-Les Cœurs de Jésus et de Marie

Cependant Mère Marie de l'Incarnation restait très circonspecte est n'encourageait pas sa novice à poursuivre dans cette voie un peu particulière. Elle attendait, et ne ménageait pas les rebuffades et les humiliations; mais tout au fond d'elle-même, elle constatait la croissance spirituelle de la petite sœur qui, à partir du 24 avril 1843, se sentit bientôt fortement appelée à se tenir près des Cœurs de Jésus et de Marie et à les prier pour les pécheurs.

Une voie nouvelle semblait s'ouvrir dans la spiritualité de Perrine qui s'appliqua "à honorer ces aimables Cœurs intérieurement et même extérieurement, en brodant des scapulaires où ils étaient représentés, et elle les priait de sauver ceux qui les auraient portés." Elle écrit: "À cette intention, j’ai offert ma volonté au Père, ma mémoire au Fils, et mon entendement au Saint-Esprit. Je me suis aussi toute livrée aux mains de Dieu, et j’ai senti qu’il s’appliquait à mon âme pour la purifier par la souffrance intérieure. Alors j’ai été plongée dans l’amertume, perdue dans les ténèbres, et attaquée par les tentations. Mais ce qui me faisait le plus souffrir, c’était le désir d’aimer et de glorifier le Seigneur; mon âme endurait une faim de Dieu, et il me semblait que tout ce que je faisais n’était rien, ne sentant en moi qu’incapacité, péché et misère."

2-3-Le blasphème

Nous savons que le XIXème siècle fut souvent considéré comme le siècle du blasphème, et Sœur Marie de Saint-Pierre souffrait beaucoup de cette situation: "Le démon du blasphème ne me faisait pas le moins souffrir, mais je me tenais fortement attachée à la Croix pendant la tempête."

            2-3-1-L'orage du 26 août 1843

C'est alors que le Seigneur va précipiter les évènements. Le 26 août 1843, un orage d'une violence exceptionnelle éclata tout à coup sur la ville de Tours. Laissons encore Sœur Marie de Saint-Pierre raconter ce qui s'est passé: "Le 26 du mois d’août 1843, il y eut un terrible orage; je n’ai jamais senti la justice d’un Dieu irrité comme dans ce moment-là; aussi, prosternée, j’offrais sans cesse Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Père pour l’expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Église. Une de mes sœurs éprouva la même chose, et il n’est pas inutile que je dise ceci qui fut comme la première impression de ce que je vais dire.

Le soir de ce même orage, à l’oraison, je me suis mise au pied de la croix et je m’approchai de Notre-Seigneur pour Lui demander le sujet de son courroux et lui parler un peu de cet orage; alors Il changea sa conduite d’épreuves envers moi et Il dit à peu près ces paroles:

– J’ai entendu vos soupirs et vos gémissements, j’ai vu le désir que vous avez de me glorifier; désir ne vient pas de vous, c’est moi qui l’ai fait naître dans votre âme.

Alors il m’a ouvert son Cœur, y a recueilli les puissances de mon âme et m’a adressé ces paroles:

– Mon Nom est partout blasphémé; même les enfants blasphèment!

            2-3-2-Gravité du blasphème

Alors, Il m’a fait entendre combien cet affreux péché blessait douloureusement, et plus que tous les autres, son divin.

– Par le blasphème, le pécheur le maudit en face, l’attaque ouvertement, anéanti la Rédemption, et prononce lui-même sa condamnation et son jugement.

Il me fit envisager le blasphème comme une flèche empoisonnée, qui blessait continuellement son divin Cœur: alors Il me fit entendre qu’Il voulait me donner une “flèche d’or” pour le blesser délicieusement, ou pour cicatriser les blessures de la malice que lui font les pécheurs."

            2-3-3-La flèche d'or

La flèche d'or que Jésus lui donna fut cette prière : "Qu’à jamais soit loué, béni, aimé, adoré, glorifié le très saint, très sacré, très adorable, très inconnu, très inexprimable Nom de Dieu, au ciel, sur la terre et dans les enfers[3], par toutes les créatures sorties des mains de Dieu et par le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel. Ainsi soit-il.” [4]

Sœur Marie de Saint-Pierre interrogea le Seigneur:

– Mon Seigneur, me chargez-vous donc des blasphémateurs?

         2-3-4-La réparation des blasphèmes

Elle comprit qu'elle devait réparer les péchés des blasphémateurs. Il fallait développer et répandre une œuvre nouvelle consacrée à la réparation des blasphèmes[5] et à la glorification des saints Noms de Jésus et de Marie. Mais une telle œuvre dépassait les forces de la confidente de Jésus: il fallait constituer une association dont le but serait la réparation des blasphèmes. Hélas! Mr Alleron, l'aumônier du couvent, n'était pas favorable, et la Mère prieure interdit à la sœur de s'occuper de cette affaire; elle interdit également l'usage de la prière[6].

Peu de temps après, la Mère prieure tomba gravement malade; son état était désespéré quand Sœur Marie de Saint-Pierre lui demanda la permission de faire une neuvaine avec cette prière. À la fin de la neuvaine, la prieure guérit. Mère Marie de l'Incarnation fut très impressionnée, mais que faire? Personne, à l'extérieur du couvent ne prendrait au sérieux l'idée de créer une association consacrée à la réparation des blasphèmes... La souffrance de Sœur Marie de Saint-Pierre était grande. "Quelquefois, écrit-elle, l’œuvre de réparation était en moi comme un feu dévorant; je sentais le besoin d’en parler à quelqu’un qui s’y serait peut-être intéressé, mais on ne voulait point me le permettre."

Pourtant, un jour, raconte Sœur Marie de Saint-Pierre, il tomba d’un livre que la Prieure tenait à la main, un petit imprimé où il y avait une amende honorable au très saint Nom de Dieu, suivie d’un "avertissement au peuple français" pour apaiser la colère de Dieu irrité à cause des blasphèmes. Cet écrit avait un rapport frappant avec les communications que je recevais, et qui paraissaient alors une chimère de mon imagination.

La Révérende Mère était dans le plus grand étonnement. Elle ne connaissait pas auparavant cet imprimé; personne ne savait qu’il fût dans la maison; le livre qui le contenait n’était peut-être pas sorti de la bibliothèque depuis vingt ans, et ce fut en ma présence que cet incident arriva. J’étais ravie de joie, et ne pouvais m’empêcher de reconnaître que le ciel commençait à parler en ma faveur. [7] Dans sa surprise, notre bonne Mère me dit en souriant:

– Ma sœur, si je ne vous connaissais pas, je vous prendrais pour une sorcière.

            2-3-5-Intervention de M. Dupont

Survint alors une étrange coïncidence que raconte Sœur Marie de Saint-Pierre: "Un Monsieur très pieux[8] avait porté, dans plusieurs communautés de Tours, une prière à la gloire du saint Nom de Dieu pour obtenir, par l’intercession de saint Louis, roi de France, de voir disparaître les ennemis de ce nom divin. La prière s’était faite avant la fête du saint, et, ce qui est plus admirable dans la conduite de la Providence, on avait fait circuler cette prière dans toutes les maisons religieuses de la ville, comme on l’a su depuis, excepté aux Carmélites, et, le lendemain, le Seigneur communiquait à la plus indigne de ses servantes le fruit des prières de ces saintes âmes..."

Dès lors elle put prier les prières de la réparation et le Seigneur lui fit savoir que la prière pour la réparation des blasphèmes serait imprimée et répandue.

Peu après on découvrit que le pape Grégoire XVI avait érigé, le 8 août 1843, une Confrérie pour la réparation du blasphème sous le patronage de Saint Louis, roi de France.

En attendant le Seigneur s'appliquait à sanctifier la pauvre sœur. Il lui dit:

– Ma fille, vous m’avez plus offensé, vous avez plus blessé mon cœur que toutes vos sœurs ensemble, en mettant obstacle à mes desseins sur votre âme; maintenant tâchez de les surpasser toutes en amour et en zèle pour les intérêts de ma gloire. Ce n’est pas pour vous troubler que je vous découvre vos péchés; ayez confiance, je les oublierai tous. Voici deux raisons pour lesquelles je veux me servir de vous: d’abord, parce que vous êtes la plus misérable; ensuite, parce que vous vous êtes offerte à moi pour accomplir mes desseins; cette offrande a gagné mon Cœur. Soyez humble et simple; faites connaître vos misères, cela même servira à ma gloire. Il me fit entendre aussi qu’il voulait me sanctifier, et que la réparation[9] des blasphèmes serait imprimée et répandue.


[1] à la Mère supérieure qui voulait la faire marcher par une voie ordinaire.
[2] Celles qui sont sauvées par l'humiliation de Jésus dans son enfance.
[3] Il s'agit ici de ce que nous appelons le purgatoire.
[4] À réciter chaque jour et, à chaque fois que vous entendrez blasphémer.
[5] Le blasphème va directement à l'encontre de l'honneur dû au Nom de Dieu et à sa transcendance. Le Nom de Dieu doit être respecté souverainement, car Dieu est plus grand que tout. Blasphémer Dieu, c'est aussi provoquer "la colère de Dieu" car Dieu refuse le péché. Et Dieu, plein de Miséricorde, veut montrer aux hommes que le péché, le refus de Dieu, est toujours source de malheur. Mais la Miséricorde implique aussi la justice, donc la purification des âmes.
[6] Voir annexe 2.
[7] L’écrit en question avait été publié, en 1819, par l’abbé Soyer, alors vicaire général de Poitiers, et devenu plus tard évêque de Luçon. À son premier titre d’Avertissement au peuple français, il s’en joignait un second: Réparation inspirée pour apaiser la colère de Dieu; on y proclamait hautement que les blasphèmes attiraient “la colère de Dieu” sur la France, et on y proposait des supplications analogues à celles qui étaient demandées à Marie de Saint-Pierre. (...)
[8] Il s'agit ici de Monsieur Dupont, le saint homme de Tours.
[9] La prière de réparation.

   

 

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr