Perrine s'était sentie tout de
suite à l'aise dans la maison et au milieu de ses sœurs. Mais elle comprit
bientôt que sa relation à Dieu ne la concernait pas elle seule : dès sont entrée
au carmel elle s'ouvrit aux besoins de l'Église et au grand nombre d'âmes à
sauver. Voici ce qu'elle écrit: "Jusqu’alors le but de toutes les
communications dont Notre-Seigneur me favorisait, était la sanctification de mon
âme; je travaillais uniquement pour moi, étant chargée seulement du soin de ma
perfection. Mais en m’appelant au Carmel tout dévoué à la gloire de Dieu, aux
besoins de l’Église, au bien des âmes, le Seigneur voulut m’enseigner ce
dévouement, cet esprit de sacrifice, ce zèle pour le salut du prochain, vertus
sublimes et désintéressées que je ne connaissais pas encore."
2-1-Les premiers pas
Par ailleurs, Sœur Marie de
Saint-Pierre, nom religieux de Perrine Éluère, se sentit attirée par le mystère
de l'Enfance du Christ. La dévotion à la Sainte Enfance était aussi un héritage
du carmel français et de l'École Française de spiritualité. Gaston de Renty
(1611-1649) qui fut longtemps supérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement était
convaincu que "l'Enfance de Notre-Seigneur était un état où il faut mourir à
tout et où l'âme, en soi, en silence et respect, en innocence, pureté et
simplicité, attend et reçoit les ordres de Dieu et vit au jour la journée, en
abandon, ne regardant d'une certaine manière ni devant soi, ni derrière soi,
mais s'unissant au Saint-Enfant Jésus qui, anéanti soi-même, reçoit tous les
ordres de son Père."
Dès son admission au noviciat,
Perrine Éluère se consacra tout entière à la Sainte Famille, et, dorénavant,
tout ce qu'elle fera dans son carmel, elle le fera dans l'intention de servir la
Sainte Famille de Nazareth. Elle se considéra même comme "l'âne de Jésus". Son
temps de noviciat fut une période de grande ferveur et d'étroite union avec
l'Enfant-Jésus.
Quand elle fut admise à la
profession et prononça ses vœux le 8 juin 1841, Perrine fut au comble du
bonheur... Elle signa l'acte de sa donation sous le nom de Sœur Marie de
Saint-Pierre de la Sainte Famille.
La prieure, Mère Marie de
l'Incarnation, femme remarquable, suivait de très près l'évolution spirituelle
de Sœur Marie de Saint-Pierre. Ce qui rassurait la prieure, c'était "l'obéissance
entière et parfaite, sans délai, sans raisonnement de la jeune sœur, qui
se soumettait avec la simplicité d'un enfant à tout ce qu'on pouvait désirer
d'elle."
2-2-Jésus éduque Sœur Marie de Saint-Pierre
2-2-1-Dévotion à l'Enfant Jésus
Sœur Marie-Pierre continue sa
narration : "Je faisais ce que je pouvais pour lui obéir,
mais je me retrouvais bientôt dans la même route. Alors elle me permit de parler
à un bon Père très versé dans la vie intérieure -il était religieux-, et elle me
dit :
– Mon enfant, vous allez bien
lui dire comment vous faites votre oraison et de quelle manière le bon Dieu vous
conduit.
Je me rendis à cette
charitable invitation avec reconnaissance, et j’ouvris mon âme à ce bon Père.
Après avoir tout examiné, il me dit:
– Ma fille, continuez sans
crainte; laissez Notre-Seigneur vous conduire, parce que vous avez établi le
fondement sur l’esprit de mortification; dites à votre Révérende Mère que je
suis content; je lui parlerai.
En effet, notre prudente Mère
me permit de m’abandonner à l’esprit de Dieu; mais elle me donna le sage conseil
d’être bien fidèle à la grâce, et de ne point rester dans l’inaction quand
l’opération divine serait passée.
Sœur Marie de Saint-Pierre
continuait cependant à recevoir des communications du Seigneur, et elle en
faisait régulièrement part à sa supérieure. Cependant cette dernière estima
qu'une vie plus active serait meilleure pour la jeune sœur, et elle lui confia,
le 25 mars 1842, l'office de portière, c'est-à-dire la charge de faire le lien
entre la sœur tourière et l'intérieur du monastère. Cet emploi distrayant ne
convenait guère à une religieuse éprise de silence, mais Perrine se considérait
comme la domestique de l'Enfant Jésus. Elle obtint d'avoir, dans la pièce où
elle se tenait une statuette de l'Enfant Jésus, et, dès lors, "au comble de
ses vœux, elle lui offrait tous ses petits travaux, et, pour prix de ses
commissions, elle lui demandas des âmes. Ce divin Enfant lui donna, malgré son
indignité, les grâces dont elle avait besoin pour son emploi, de sorte qu’il ne
nuisit point à l’esprit intérieur, et ne l’empêchait point d’être unie à Dieu
comme auparavant durant l’oraison..."
Sœur Marie de Saint-Pierre
raconte encore: "Je travaillais pendant la journée pour le salut des brebis
du saint Enfant-Jésus, et, à l’oraison, il me payait au centuple. Quelquefois
aussi, pendant la journée, il venait visiter mon âme par une grâce puissante; je
laissais alors un peu mon ouvrage quand je sentais son approche, afin de
l’écouter plus à mon aise; mais pensant qu’il me fallait pour cela une
permission, je la demandai à notre Révérende Mère. Comme sa charité pour mon âme
la portait à ne rien négliger de ce qui pouvait m’exercer dans la vertu, elle me
défendit de m’arrêter à ces opérations intérieures et ajouta:
– Je vous permets seulement,
quand vous aurez l’esprit bien distrait, de vous recueillir un peu.
Et, grâce à Dieu, je suivais
en tout ses sages conseils."
2-2-2-L'humilité de Jésus Enfant c'est
la Gloire du Père
Le 14 septembre 1847 Sœur Marie
de Saint-Pierre s'écrie: "Oh! quelle gloire Jésus enfant a rendue à son divin
Père en cet état de pauvreté et d’humiliation! Car alors il lui a fait l’hommage
de son pouvoir absolu en suspendant ses divines opérations. Que d’actions
éclatantes il aurait pu faire en entrant dans le monde! Cependant il s’en est
privé pour obéir à son Père, et pour nous montrer l’exemple d’une profonde
humilité.
Après cette considération, je
me dis à moi-même: Oh! de quel prix doit être aux yeux du Père éternel cette
seule action du Verbe enfant, pressant pendant quinze mois le sein maternel de
la Vierge Marie, puisqu’il a comme anéanti ou renfermé dans cette seule action
sa grandeur, sa puissance, sa sagesse et toutes ses facultés! Ô mystère profond
et ineffable! Plus il paraît petit aux yeux des hommes, plus il est grand aux
yeux du Père éternel."
Mais Satan n'aime pas l'humilité,
surtout l'humilité de Dieu. Sœur Marie de Saint-Pierre poursuit sa réflexion
mentale: "J’ai été terriblement tourmentée par le démon, qui craint sans
doute que ces âmes
ne lui échappent. La très sainte Vierge m’a dit qu’il fallait persévérer dans
mes exercices, malgré les efforts de mes ennemis. Le diable ne peut combattre
contre un petit enfant, il est trop orgueilleux pour cela; voilà pourquoi il
fait tout ce qu’il peut pour me détourner du mystère de la maternité divine."
2-2-3-Les Cœurs de Jésus et de Marie
Cependant Mère Marie de
l'Incarnation restait très circonspecte est n'encourageait pas sa novice à
poursuivre dans cette voie un peu particulière. Elle attendait, et ne ménageait
pas les rebuffades et les humiliations; mais tout au fond d'elle-même, elle
constatait la croissance spirituelle de la petite sœur qui, à partir du 24 avril
1843, se sentit bientôt fortement appelée à se tenir près des Cœurs de Jésus et
de Marie et à les prier pour les pécheurs.
Une voie nouvelle semblait
s'ouvrir dans la spiritualité de Perrine qui s'appliqua "à honorer ces
aimables Cœurs intérieurement et même extérieurement, en brodant des scapulaires
où ils étaient représentés, et elle les priait de sauver ceux qui les auraient
portés." Elle écrit: "À cette intention, j’ai offert ma volonté au Père,
ma mémoire au Fils, et mon entendement au Saint-Esprit. Je me suis aussi toute
livrée aux mains de Dieu, et j’ai senti qu’il s’appliquait à mon âme pour la
purifier par la souffrance intérieure. Alors j’ai été plongée dans l’amertume,
perdue dans les ténèbres, et attaquée par les tentations. Mais ce qui me faisait
le plus souffrir, c’était le désir d’aimer et de glorifier le Seigneur; mon âme
endurait une faim de Dieu, et il me semblait que tout ce que je faisais n’était
rien, ne sentant en moi qu’incapacité, péché et misère."
2-3-Le blasphème
Nous savons que le XIXème siècle
fut souvent considéré comme le siècle du blasphème, et Sœur Marie de
Saint-Pierre souffrait beaucoup de cette situation: "Le démon du blasphème ne
me faisait pas le moins souffrir, mais je me tenais fortement attachée à la
Croix pendant la tempête."
2-3-1-L'orage du 26 août 1843
C'est alors que le Seigneur va
précipiter les évènements. Le 26 août 1843, un orage d'une violence
exceptionnelle éclata tout à coup sur la ville de Tours. Laissons encore Sœur
Marie de Saint-Pierre raconter ce qui s'est passé: "Le 26 du mois d’août
1843, il y eut un terrible orage; je n’ai jamais senti la justice d’un Dieu
irrité comme dans ce moment-là; aussi, prosternée, j’offrais sans cesse
Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Père pour l’expiation de mes péchés et pour
les besoins de la sainte Église. Une de mes sœurs éprouva la même chose, et il
n’est pas inutile que je dise ceci qui fut comme la première impression de ce
que je vais dire.
Le soir de ce même orage, à
l’oraison, je me suis mise au pied de la croix et je m’approchai de
Notre-Seigneur pour Lui demander le sujet de son courroux et lui parler un peu
de cet orage; alors Il changea sa conduite d’épreuves envers moi et Il dit à peu
près ces paroles:
– J’ai entendu vos soupirs et
vos gémissements, j’ai vu le désir que vous avez de me glorifier; désir ne vient
pas de vous, c’est moi qui l’ai fait naître dans votre âme.
Alors il m’a ouvert son Cœur,
y a recueilli les puissances de mon âme et m’a adressé ces paroles:
– Mon Nom est partout
blasphémé; même les enfants blasphèment!
2-3-2-Gravité du blasphème
Alors, Il m’a fait entendre
combien cet affreux péché blessait douloureusement, et plus que tous les autres,
son divin.
– Par le blasphème, le pécheur
le maudit en face, l’attaque ouvertement, anéanti la Rédemption, et prononce
lui-même sa condamnation et son jugement.
Il me fit envisager le
blasphème comme une flèche empoisonnée, qui blessait continuellement son divin
Cœur: alors Il me fit entendre qu’Il voulait me donner une “flèche d’or”
pour le blesser délicieusement, ou pour cicatriser les blessures de la malice
que lui font les pécheurs."
2-3-3-La flèche d'or
La flèche d'or que Jésus lui
donna fut cette prière : "Qu’à jamais soit loué, béni, aimé, adoré,
glorifié le très saint, très sacré, très adorable, très inconnu, très
inexprimable Nom de Dieu, au ciel, sur la terre et dans les enfers,
par toutes les créatures sorties des mains de Dieu et par le Sacré-Cœur de
Notre-Seigneur Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel. Ainsi soit-il.”
Sœur Marie de Saint-Pierre
interrogea le Seigneur:
– Mon Seigneur, me
chargez-vous donc des blasphémateurs?
2-3-4-La réparation des blasphèmes
Elle comprit qu'elle devait
réparer les péchés des blasphémateurs. Il fallait développer et répandre une
œuvre nouvelle consacrée à la réparation des blasphèmes
et à la glorification des saints Noms de Jésus et de Marie. Mais une telle œuvre
dépassait les forces de la confidente de Jésus: il fallait constituer une
association dont le but serait la réparation des blasphèmes. Hélas! Mr Alleron,
l'aumônier du couvent, n'était pas favorable, et la Mère prieure interdit à la
sœur de s'occuper de cette affaire; elle interdit également l'usage de la prière.
Peu de temps après, la Mère
prieure tomba gravement malade; son état était désespéré quand Sœur Marie de
Saint-Pierre lui demanda la permission de faire une neuvaine avec cette prière.
À la fin de la neuvaine, la prieure guérit. Mère Marie de l'Incarnation fut très
impressionnée, mais que faire? Personne, à l'extérieur du couvent ne prendrait
au sérieux l'idée de créer une association consacrée à la réparation des
blasphèmes... La souffrance de Sœur Marie de Saint-Pierre était grande.
"Quelquefois, écrit-elle, l’œuvre de réparation était en moi comme un feu
dévorant; je sentais le besoin d’en parler à quelqu’un qui s’y serait peut-être
intéressé, mais on ne voulait point me le permettre."
Pourtant, un jour, raconte Sœur
Marie de Saint-Pierre, il tomba d’un livre que la Prieure tenait à la main,
un petit imprimé où il y avait une amende honorable au très saint Nom de Dieu,
suivie d’un "avertissement au peuple français" pour apaiser la colère de Dieu
irrité à cause des blasphèmes. Cet écrit avait un rapport frappant avec les
communications que je recevais, et qui paraissaient alors une chimère de mon
imagination.
La Révérende Mère était dans
le plus grand étonnement. Elle ne connaissait pas auparavant cet imprimé;
personne ne savait qu’il fût dans la maison; le livre qui le contenait n’était
peut-être pas sorti de la bibliothèque depuis vingt ans, et ce fut en ma
présence que cet incident arriva. J’étais ravie de joie, et ne pouvais
m’empêcher de reconnaître que le ciel commençait à parler en ma faveur. Dans sa surprise, notre bonne Mère me dit en souriant:
– Ma sœur, si je ne vous
connaissais pas, je vous prendrais pour une sorcière.
2-3-5-Intervention de M. Dupont
Survint alors une étrange
coïncidence que raconte Sœur Marie de Saint-Pierre: "Un Monsieur très pieux
avait porté, dans plusieurs communautés de Tours, une prière à la gloire du
saint Nom de Dieu pour obtenir, par l’intercession de saint Louis, roi de
France, de voir disparaître les ennemis de ce nom divin. La prière s’était faite
avant la fête du saint, et, ce qui est plus admirable dans la conduite de la
Providence, on avait fait circuler cette prière dans toutes les maisons
religieuses de la ville, comme on l’a su depuis, excepté aux Carmélites, et, le
lendemain, le Seigneur communiquait à la plus indigne de ses servantes le fruit
des prières de ces saintes âmes..."
Dès lors elle put prier les
prières de la réparation et le Seigneur lui fit savoir que la prière pour la
réparation des blasphèmes serait imprimée et répandue.
Peu après on découvrit que le
pape Grégoire XVI avait érigé, le 8 août 1843, une Confrérie pour la réparation
du blasphème sous le patronage de Saint Louis, roi de France.
En attendant le Seigneur
s'appliquait à sanctifier la pauvre sœur. Il lui dit:
– Ma fille, vous m’avez plus
offensé, vous avez plus blessé mon cœur que toutes vos sœurs ensemble, en
mettant obstacle à mes desseins sur votre âme; maintenant tâchez de les
surpasser toutes en amour et en zèle pour les intérêts de ma gloire. Ce n’est
pas pour vous troubler que je vous découvre vos péchés; ayez confiance, je les
oublierai tous. Voici deux raisons pour lesquelles je veux me servir de vous:
d’abord, parce que vous êtes la plus misérable; ensuite, parce que vous vous
êtes offerte à moi pour accomplir mes desseins; cette offrande a gagné mon Cœur.
Soyez humble et simple; faites connaître vos misères, cela même servira à ma
gloire. Il me fit entendre aussi qu’il voulait me sanctifier, et que la
réparation
des blasphèmes serait imprimée et répandue.
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