5
Le directeur spirituel
Les
principales activités de Saint Paul de la Croix, liées à sa
spiritualité furent, non seulement la prière, l'organisation et la
prédication des missions, mais également le devoir de guider les
âmes.
Paul de la Croix et son frère Jean-Baptiste furent ermites pendant
20 ans, jusqu'en 1741, date de la reconnaissance officielle de la
congrégation des passionistes. Ils cherchaient à faire revivre la
spiritualité des Pères du désert, sous les yeux de leurs
contemporains. Et très vite, des jeunes gens, très impressionnés par
leur genre de vie, vinrent leur rendre visite et leur demandèrent
conseil.
Devenu l'un des plus grands directeurs spirituels de son temps, Paul
de la Croix, comme saint François de Sales, conduira les âmes
jusqu'à l'héroïsme de la sainteté, mais avec grande douceur. Il
lisait dans les cœurs, dans les consciences, et apaisait les esprits
troublés. Mystique à une époque qui rejetait déjà les mystiques, il
révélait aux pécheurs leurs fautes.
5-1-Le jeune directeur spirituel
Dès qu'il se fut
engagé dans la vie érémitique et pénitentielle à Castellazzo, peu
vêtu même pendant les froides périodes hivernales des Alpes
lombardes,
marchant pieds nus, vivant dans une extrême pauvreté volontaire et
dans l'obéissance totale à sa hiérarchie, Paul eut rapidement
l'appui des évêques. Pour mieux accompagner les âmes vers Dieu il
leur demandait de contempler le Christ souffrant afin d'aller vers
toujours plus d'intériorité spirituelle. Les Pères du désert furent
d'abord la référence de Paul-François Danéi. Plus tard, et notamment
quand il aura la charge de religieux, il prendra soin de réviser
tout ce qui lui était trop personnel, afin de s'adapter aux
véritables besoins des âmes et de ses religieux.
Le directeur est indispensable pour
orienter la vie spirituelle et la rendre harmonieuse et conforme à
la vocation propre de chacun. Son rôle, c'est avant tout
l'avancement de la vie intérieures des âmes. Aussi un bon directeur
doit-il demeurer dans l'humilité et posséder des qualités
exceptionnelles. Paul de la Croix écrira:
"... le directeur doit être
un homme de grande science, de grande oraison et de grande
expérience; tout cela me manque et c'est pourquoi je répugne à
diriger... Je me reconnais aveugle, ignorant, sans vertu, et voilà
pourquoi je répugne à diriger qui que ce soit. Mais quand Dieu le
veut... je ne puis faire moins que de continuer à donner mon aide
aux âmes que Dieu m'a confiées."
5-2-Les qualités d'un bon directeur
Un directeur spirituel est
essentiellement un conseiller, un père qui guide son enfant; mission
si difficile que parfois Paul de la Croix demandait des conseils à
ses propres dirigés, s'ils étaient amis de Dieu. Au confesseur de
Lucie Burlini, don Lucattini il implore:
"Lucie et vous, faites-moi
la charité de me dire quelque chose pour mon conseil, après avoir
fait une fervente oraison et communion."
Le
directeur spirituel doit être prudent et avoir un grand
discernement, afin de comprendre ce qui se passe dans les âmes, les
encourager, leur apprendre à développer leur vie intérieure et leur
amour du Seigneur, et, dès que cela semblera possible et bien venu,
les engager à la dévotion envers la Sainte Passion de Notre Seigneur
Jésus-Christ.
Paul dirigera Sœur Gandolfi
pendant de longues années,
pourtant, un jour, soudain pris d'inquiétude, il lui confie:
"... La longue expérience et la discipline du Seigneur m'ont rendu
sage et me font toucher du doigt que je ne dois plus m'y immiscer..."
Et d'ajouter, dix-huit mois plus tard:"...
je n'ai pas de lumière pour la direction."
5-3-La
pédagogie d'un directeur
Le
but final d'un directeur tel que Paul de la Croix, c'est d'amener
les personnes à intensifier leur vie de prière et à se tourner de
plus en plus vers la Croix de Jésus-Christ. Cependant il est
impératif pour un directeur, de s'adapter à la psychologie et au
milieu de vie de la personnes dirigée. "Chacun doit vivre en
fonction de son état" affirmera-t-il souvent, car il est
important de comprendre "les projets de Dieu" sur chaque âme.
En ce qui concerne les conseils nécessaires, "il faut donner la
nourriture à chacun selon son estomac. Dieu est le Souverain
Patron..." Et, dira aussi Paul, il faut conseiller chacun selon
son état.
En effet, les laïcs doivent vivre dans
le monde, mais sans être du monde. À l'époque où vivait Paul de la
Croix, on commençait à voir des femmes qui ne désiraient pas entrer
dans un cloître, ni se marier, mais vouloir cependant vivre en
célibataires consacrées, à condition d'avoir un directeur spirituel.
Ce sera le cas d'Agnès Grazi que Paul rencontra en 1730, et qui
atteindra un haut sommet de sainteté, tout en restant dans le monde.
À son ami Thomas Fossi, père de famille ayant des désirs de vie
monastique, Paul ne craignait pas de dire:
"Vivez conformément dans l'état dans lequel Dieu vous a placé:
pratiquez dans le mariage ce que j'ai toujours prôné, à savoir une
sainte liberté..." Car la fidélité à sa vocation est très
importante. De même pour l'éducation des enfants; il faut former les
jeunes aux vertus chrétiennes, mais il faut leur laisser la liberté
de choisir leur vocation selon l'appel de Dieu.
"... En ce qui
concerne les choix de vie il faut laisser les enfants libres, car la
vocation doit venir de Dieu. Et s'ils ne sont pas appelés à la vie
religieuse, il faut adorer les dispositions divines..."
Paul ajoutait:
"Faites tous les jours une visite au
Saint-Sacrement; et si les devoirs de votre état vous en empêchent,
visitez-le en esprit."
Nous venons de voir ci-dessus, que,
par moments, Paul de la Croix avait des doutes sur ses facultés à
diriger les âmes. Fréquemment il craignait d'être dans l'erreur; un
jour il écrivit: "... Je n'ai aucune véritable lumière, et je
touche toujours davantage du doigt que je ne dois pas me mêler de
telles directions..." Le 23 juillet 1754, il écrit encore:
"... mais la longue
expérience et la discipline du Seigneur m'ont rendu sage et me font
toucher du doigt que je ne dois plus m'y immiscer... Je crains et
tremble beaucoup pour mon salut..."
5-4-Conseils
donnés à ses dirigés
Paul de la Croix
voulait partager sa passion pour la Passion de la Croix de Jésus à
tous ceux qui lui faisaient confiance. Même un jour de Noël il
déclara: "Toute la vie très sainte de Jésus fut une croix." À
une religieuse
souffrante il écrit: "Vous avez plus de motif d'être joyeuse
qu'avant, parce que plus cachée en Jésus-Christ, sur la croix d'un
nu pâtir... Nourrissez-vous donc de la divine volonté, en haute
pauvreté d'esprit et en une solitude nue, et soyez assurée qu'en une
telle forme vous deviendrez intérieurement un portrait vivant de
l'Époux céleste..."
Quelques mois
plus tard, à la même religieuse, il conseille:
"Vous devez vous tenir en silence et
espérance en cette précieuse agonie dans laquelle se trouve votre
esprit... Quand il plaira au Père s'achèvera l'agonie; alors vous
mourrez de cette mort mystique plus précieuse que la vie, et
ressusciterez en Jésus-Christ à une nouvelle vie divinisée de très
pur amour. Me comprenez-vous? Silence, résignation, abandon dans le
sein du Père, et laissez faire à qui sait faire. Je veux dire
qu'abandonnée en une haute résignation dans le sein du Père Céleste
vous devez le laisser faire son œuvre. Oh! Tout ce que je voudrais
dire! Mais ma langue et ma plume ne savent, ne peuvent
s'exprimer..."
Les divines
opérations que le Père des lumières réalise au fond des âmes se
goûtent sans goût qui atteigne les sens.
"Ce travail surnaturel est
incompréhensible, inexplicable, et ne serait pas une opération
divine s'il se pouvait comprendre ou expliquer... Ô nuit, obscure
nuit, nuit aimable plus que le matin, nuit qui unit l'Amant avec
l'Aimée, et l'Aimée, dans l'Amant, est transformée... Aimez, et
l'Amour vous enseignera tout... Il vous sera enseigné la science des
saints en cette ignorance sacrée dans laquelle demeure l'âme, grâce
aux étonnantes et admirables opérations divines que l'on éprouve
sans comprendre dans l'oraison... Notre centre est Dieu, notre repos
est Dieu, le lieu de notre oraison est Dieu... Que votre
contentement soit le contentement du Très-Haut... "
Et voici en
ultime conseil, un résumé éloquent:
"Soyez fidèle au Seigneur, cachée aux créatures autant qu'il se
peut, charitable envers toutes, douce, pleine de mansuétude et
amoureuse du silence." En un mot:
"Donnez à Dieu toute la
gloire en étant victime d'amour, sacrifiée en holocauste dans les
flammes de la divine charité, en continuel remerciement des dons du
Seigneur..."
Paul de la Croix conseille aussi:
"Quel est le moyen de vous
identifier par l’amour avec les souffrances du bon Sauveur? Dieu
vous le fera comprendre quand il lui plaira: c’est là un travail
tout divin. L’âme, entièrement plongée dans le pur amour, sans
image, dans une foi très pure et très simple, se trouve en un
moment, quand il plaît à Dieu, toute plongée dans l’abîme des
douleurs de Jésus-Christ, et les embrasse toutes d’un regard de foi
sans comprendre; car la Passion du Sauveur est une œuvre d’amour; et
en l’âme ainsi perdue en Dieu qui est tout charité, tout amour, il
se fait un mélange d’amour et de douleur; l’esprit en demeure tout
pénétré; il est tout plongé dans un amour douloureux et dans une
douleur amoureuse. C’est là l’œuvre de Dieu… Je m’explique en
balbutiant, mais je n’ai rien dit, rien, rien, rien: ne rien avoir,
ne rien pouvoir, ne rien savoir, et Dieu fera sortir de ce néant
l’œuvre de sa plus grande gloire."
|