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Les grandes étapes de la vie du Père Lamy
1-1-L’enfance
Jean-Édouard
Lamy naquit au Pailly, petite bourgade du département de la Haute-Marne, le 23
juin 1853, dans un milieu rural relativement aisé. Son père,
Jean-Frédéric, était venu loger au
Pailly dans la maison des Janinel, après son mariage avec Marie Janinel de
Logeroy, célébré le 28 janvier 1852. Plus tard, cette maison appartint à la
famille Lamy.
Jean-Frédéric Lamy, cultivait son bien; il était en outre ouvrier maçon. Le
milieu social de la famille du Père Lamy était, malgré sa modestie, d'origine
probablement noble. Jean-Édouard, en effet, décrira plus tard ce qui se passa
lors de l'incendie qui détruisit la maison familiale en 1869:
"On a pu sauver une porte d'armoire et une table, une table ancienne avec des
pieds tournés à balustres. Elle a été détériorée depuis. On a sauvé aussi les
tasses, qui venaient de l'Impératrice Joséphine, de l'oncle Miot de Mélito
(comte et pair de France), un oncle de mon grand-père, un arrière-grand-oncle
pour moi."
1-1-1-Souvenirs d’enfance
Le Père Lamy
raconte que la
Haute-Marne devait à ses anciens moines d'avoir conservé beaucoup de foi. Toutes
les habitudes étaient pieuses et
cordiales.
Partout on chantait de vieux cantiques, et lui-même chantait du matin au soir.
Le Père Lamy se souvient: "On entendait la voix des jeunes gens qui
chantaient et celle des vieux qui leur répondaient. On se répondait de la
colline à la vallée. Maintenant, on ne chante plus." Une certaine nostalgie
emplit le cœur du bon prêtre quand il raconte:
"Oui, partout, on chantait, les vieux grands-pères aussi. Mon grand-père
emportait aux champs son livre d'office, les heures canoniales, le grand office.
On en avait une traduction française. Mon grand-père l'emportait dans les
vignes, et il n'était pas le seul."
La famille Lamy
était très pieuse, et dans les environs on se souvenait encore que la grand’mère
avait, pendant la Révolution, caché des
prêtres réfractaires dans petite
maison voisine…
La toute petite enfance du
Père Lamy était déjà très mariale.
Sa piété lui valut
le surnom de "l'enfant au chapelet".
Un jour, il avait environ trois ans, il berçait une
statue de la Vierge Marie. Mais son oncle François passant par là la lui retira:
il était trop respectueux de la Sainte Vierge pour laisser son image comme
"joujou" à un enfant.
En 1864 Marie lui apparut alors qu'il était aux champs, gardant les deux vaches
familiales.
Le Père Lamy regrette souvent le passé, ce qui ne l'empêche pas cependant
d'émettre certaines critiques. Ainsi, parlant de sa vieille église et des
transformations que son curé y apporta, il n'hésite pas à dire: " Elle avait
son cachet notre vieille église, avant que notre curé s'avisât de la
transformer." Il raconte aussi:
"Toutes les familles avaient leurs ruches et donnaient au curé une partie de
leur cire, comme on lui apportait une partie du vin, quand on le faisait, comme
un morceau de cochon quand on le tuait. Aujourd'hui, il n'y a plus de ruches et
plus de cire, et on en est réduit, sur les autels, à ces gaines de fer-blanc, à
ces mécaniques qui se détraquent comme vous l'avez vu hier à la fin de la
messe."
Le Père Lamy ne semble pas apprécier beaucoup le modernisme...
Nous venons de voir que Jean-Édouard Lamy vivait dans une famille très pieuse,
et lui-même était très pieux. Toutefois il se comportait comme un enfant normal,
voire un peu galopin. Avec son cousin il allait pêcher les écrevisses, malgré
l'interdiction des gendarmes... "Et puis, dit-il,
avec mon parrain, j'allais aux écrevisses. Nous tâchions de trouver une vieille
paire de sabots, et on les fourrait au coin de la rivière, et les gendarmes
disaient: "Voilà un malfaiteur!" Et on filait dans le bois.
Nous
redescendions plus haut; je levais les pierres, et lui piquait les écrevisses:
il faisait mieux que moi. Après cela, il fallait les garer. On creusait un trou;
on mettait les écrevisses dans un chiffon, sous une pierre. Les gardes vous
fouillaient:
— Pas
d'écrevisses?
— Non,
Monsieur!
On en
rapportait quelquefois deux douzaines. On descendait tranquillement, pieds nus,
dans le bois. Mon parrain avait trois ans de plus que moi..."
Les gamins pêchaient aussi des goujons, malgré la défense des mamans:
"On les pêche avec du son, une grosse corde et un
bouchon de verdure. Vous regardez à travers l'eau; quand vous en voyez sept,
huit, neuf, dix, posés dans la bouteille, vous relevez la bouteille. À force d'y
regarder, bien souvent je tombais à l'eau, la tête la première. Je me séchais et
je tordais mes vêtements: cela faisait une petite lessive. La Resaigne (un
affluent de la Saône) coule au milieu de ces peupliers, dont vous voyez la
ligne, qui se dirige vers Violot. Mais, autrefois, ce remblai (de la ligne de
Dijon à Chalindrey) n'existait pas: il a coupé notre pâture. Avant cela, lorsque
j'étais enfant, c'est dans ces prés que je gardais les vaches... J'en prenais
tous les jours, quelquefois une livre. Je mettais les poissons dans mon mouchoir
de poche et je les donnais à mon père. Ça fâchait ma mère, et, bien des fois,
j'ai reçu une fameuse fessée, facile à donner: on ne portait pas de pantalons."
Des souvenirs de Mgr Darboy
Le Père Lamy
connut Mgr Darboy qui fut massacré par la Commune de Paris, en 1871. Ses
souvenirs sont précieux, car rares:
"J'étais
enfant de choeur, et j'ai servi la messe au Vénérable Martin Huin, le neveu de
notre curé. Et combien de fois à Mgr Darboy! Je l'aimais beaucoup. Il me donnait
chaque fois 40 sous: c'est beaucoup pour un gamin. Il était des environs; il a
été élevé au Pailly, dans la maison où habite Pierre Tisserand. Dans son
enfance, il gardait la vache de la mère Rosette, et (celles de) ma mère deux
vaches. Il allait à la rivière avec ma mère. Il était très adroit de ses doigts.
Une fois, il demande un de ses sabots neufs à ma mère; il y a fait un mât. Il
l'a mis sur l'eau, et le sabot a filé, et ma mère pleurait. Plus bas, il y avait
des lavandières, mais ma mère n'osait pas approcher des bonnes femmes, car elle
n'avait plus qu'un sabot: Georget avait gréé l'autre. Et elles l'ont rattrapé.
Il venait au
château, chez M. D. B. Il était enragé bonapartiste, comme le vieux père D. B.
Mon père était maçon, et je l'accompagnais au château quand il faisait des
réparations; je connaissais tous les coins des greniers. Toute mon enfance,
durant des années, j'ai toujours vu la tête en pierre du cheval à l'entrée de la
cour. La mère nourrice de Mgr Darboy, Rosette Vauthelin, nous racontait comment
elle avait vu abattre la statue du maréchal de Sault-Tavanes au Pailly. Elle est
morte à cent cinq ans: j'avais une douzaine d'années. Il y a soixante,
soixante-trois ans. Elle avait vu piller le château (à la Révolution). Les gens
du Pailly et de Chalindrey avaient tout volé. Quand ceux d'Heuilley-Coton sont
arrivés, il n'y avait plus rien: alors, ils ont tout cassé...
1-1-2-La vie mortifiée du
jeune garçon
Le Père Lamy n'a jamais parlé de la vie extraordinairement mortifiée qu'il a
menée dès son enfance, et sans quelques révélations tardives de sa sœur, Madame
Vauthelin, nous n'en aurions jamais rien su. Elle raconte:
« Mon frère et moi, disait-elle, nous avons couché
dans la même chambre depuis notre plus jeune âge, et nos parents nous ont logés
séparément quand j'ai eu douze ans et lui quinze. Depuis le moment où j'ai
commencé à observer les choses autour de moi jusqu'à douze ans, jamais je ne
l'ai vu une fois dans son lit. Il était toutes les nuits en prière, agenouillé
sur un escabeau, se tenant sans appui devant la statue de Marie Immaculée. Elle
était posée sur le manteau de la cheminée et éclairée par une petite lampe qu'il
avait obtenue de notre mère. Je ne me suis pas réveillée une fois sans le voir
dans cette attitude. Jamais, durant des années, je n'ai vu son lit défait.
Peut-être s'est-il couché une fois ou l'autre: je ne le jurerais pas, mais je ne
l'ai point vu couché une seule fois.
Notre mère
s'apercevait de temps en temps de la chose et lui disait: 'Mais, mon enfant, la
Sainte Vierge n'en demande pas tant que ça!' Et pourtant, on travaillait dur,
lui comme moi, dans la journée. Deux fois la semaine, nous allions ensemble
vendre les produits au marché de Langres, chargés autant qu'on le pouvait; lui,
travaillait aux champs du matin au soir, et il cassait aussi les cailloux sur la
route."
Jean-Édouard
Lamy appartenait à un milieu de vignerons, mais jamais il ne but de vin, par
esprit de pénitence; il n'en but que vers l'âge de quinze ans, pour obéir à son
médecin.
1-1-3-Premières
manifestations mystiques
L'Agneau
C'était en mai
1863. Jean-Édouard âgé de dix ans, gardait les vaches de ses parents. Soudain,
sur un coteau voisin, le
Cognelot, il vit un bel agneau illuminant toute la
montagne. "Il était debout, et il avait
la tête tournée vers le Pailly. On voyait parfaitement ses yeux. C'était un très
bel agneau..."
L'agneau regardait Jean-Édouard et sa compagne, Navette qui dit que c'était
mauvais signe. Jean-Édouard lui répondait que non. L'agneau a regardé
les enfants pendant un certain temps, puis il a disparu subitement. Le ciel
s'était obscurci et il a commencé à faire des éclairs. Jean-Édouard dit:
"Je vais rentrer mes vaches."
La Vierge Marie
En 1864,
Jean-Édouard a 11 ans. La Vierge Marie lui apparaît alors qu'il gardait les deux
vaches de la famlle, tout en chantant les litanies. Soudain, raconte-t-il, "elle
s'est montrée à moi dans les branches des peupliers, presque au sommet, à une
grande hauteur, la tête penchée, me regardant. Il y avait là de très gros
peupliers, bien alignés. Elle est restée là tout le temps des litanies. Elle a
reculé un moment; mais j'ai continué mon chemin au-delà. Elle était entre les
peupliers, dans l'allée; plus j'avançais, plus Elle semblait aller à reculons.
Elle s'est retournée. J'ai fini mes litanies. La Sainte Vierge s'est alors
élevée un peu au-dessus des branches et Elle a disparu aussitôt... J'avais
d'abord cru à un mirage, comme il y en a quelquefois auprès de l'eau ou dans les
montagnes. J'étais défiant. J'ai continué les litanies pendant l'apparition,
comme si de rien n'était..."
Son curé, à
qui il raconta la chose, ne le prit pas au sérieux... "C'était en fin de mai,
et la Sainte Vierge était tournée du côté du Pailly."
1-2-La jeunesse
1-2-1-L'adolescent
Devenu jeune
homme, celui qui sera plus tard le Père Lamy dut aider son père dans ses divers
travaux. Quelques-uns de ses souvenirs, très précis, nous permettent de
comprendre ce qu'était la vie rurale à cette époque, en Haute Marne:
"Nous avions quelquefois vingt-deux,
vingt-trois pièces de vin et nous le vendions 20 francs le tonneau.
J'accompagnais volontiers mon père à Grossesauve et je lui demandais pourquoi il
faisait si bon y respirer. Il me répondait: 'Parce que des saints y ont vécu.'
Nous faisions
comme eau-de-vie dans les cent trente cent quarante litres, que nous vendions 3
francs. Nous avions au total une centaine de pruniers. Un homme venait avec
l'alambic distiller chez nous. Je l'aidais. La grosse histoire était d'avoir de
l'eau pour rafraîchir le serpentin. J'en prenais au puits de la maison. Nous
distillions d'abord l'eau-de-vie de marc, puis l'eau-de-vie de prune.
— Et jamais
vous n'en avez goûté, mon Père?
demande son interlocuteur.
— Non. Je
brûlais quelquefois douze, quatorze, quinze heures de suite, sans arrêt.
L'eau-de-vie un peu moins forte servait pour les fruits, pommes, poires, prunes,
fraises, cerises, mûres, coings. Quand ils avaient rendu leur eau, on rajoutait
de l'eau-de-vie plus forte pour maintenir le liquide à 21° ou à peu près.
Mes parents
fabriquaient un excellent fromage, qu'ils lavaient trois ou quatre fois de suite
dans l'eau-de-vie pour le jaunir. Quand j'allais au marché, à Langres, ma soeur
et moi, nous en portions trente ou quarante livres chacun dans la hotte.
Pour faire
notre huile, nous récoltions de la navette et du chènevis. Nous en avions une
cinquantaine de litres. Je battais le chènevis dans le tonneau. On battait le
chènevis nécessaire, et on vendait le reste, trois sous la livre... Je préparais
le chanvre. Je vidais le fossé; j'y mettais de la paille, du chanvre, des
traverses de bois, les pierres. Quand c'était bien dans le fond, on lâchait
l'eau. Et au bout de quinze jours, on le prenait et on le travaillait. Nous
faisions deux récoltes de chanvre.
Je récoltais
les orties, et elles servaient à deux fins, car ma mère filait le fil et
teignait en brun avec la racine d'ortie, et en bleuté avec je ne sais plus
quelle autre racine...
Dans ma
jeunesse, je faisais fumer beaucoup de viandes... On fumait avec des branches de
sapin des jambons, des côtelettes, des épaules. On fumait du porc, du bœuf, du
marcassin. Du marcassin, j’en rapportais souvent après en avoir tué à Violot,
quand j'allais au matin avec mon cousin Simon, qui était mon préféré... Les
pommes de terre étaient souvent gâtées par les sangliers; aussi ne se gênait-on
pas pour les tuer. On avait des claquettes pour chasser ces animaux. A Violot,
j'allais souvent: mon père y avait du bois."
1-2-2- Le Service militaire
Le comte de Biver écrit:
"Édouard Lamy, versé dans le 91ème Régiment
d'Infanterie, arrive au corps le 7 janvier 1875; il est nommé caporal le 10
novembre 1876 et sergent le 4 mars 1878. Il sera démobilisé le 7 octobre de la
même année." Le service militaire durait
trois ans et demi à cette époque. Jean-Édouard
s'occupa d'abord
de la bibliothèque du "Cercle militaire" puis avec l'aumônier, l'abbé Henri
Nicole, il fonda, avec
une soixantaine de soldats chrétiens de son régiment,
la "Légion de Saint-Maurice" pour aider les jeunes soldats à se maintenir dans
les pratiques de la vie chrétienne et de la morale.
C'est au cours de manœuvres avec son régiment qu'il perdit son œil droit.
1-2-3-Une vocation
contrariée
Le Père Lamy
raconte: "J'avais senti ma vocation le jour de ma première communion. Mes
parents avaient mis l'argent de côté pour le séminaire,
et ma mère m'avait fait un trousseau, quand tout fut détruit par un incendie qui
ruina ma famille..."
Tout brûla, même le rucher et la volaille: rien ne put être sauvé. C'était le 10
août 1869. Dès lors, il n'était plus question de séminaire pour Jean-Édouard.
Pourtant,
grâce au travail du père, maçon, et aux efforts de toute la famille, la maison
fut reconstruite, et habitable dès l'été de 1870.
Quand qu'il fut rentré du service
militaire, Jean-Édouard dut travailler pendant encore un an. Il avait 26 ans, et
il voulait toujours être prêtre: mais comment faire? Les Oblats de Saint
François de Sales lui promirent la prêtrise, à condition qu'il souscrivît un
engagement de quinze ans chez eux. Il accepta et quitta sa famille le 1er
septembre 1879. Après trois mois de probation, on le plaça à la tête de l'Œuvre
de la Jeunesse,
à Troyes. Il y resta 17 ans. Jean-Édouard se donna tout entier au service de ses
jeunes; mais pourra-t-il être prêtre un jour? Il était au bord du découragement,
quand saint Joseph lui apparut: il doit être prêtre.
Dès lors Jean-Édouard suivit
des cours; il étudiait comme il pouvait. Il sera ordonné prêtre le 12 décembre
1886, devant le tombeau de saint Vincent de Paul, à Paris, chez les Lazaristes.
1-3-La pédagogie du Père
Lamy
1-3-1-L'Œuvre de la Jeunesse
Nous avons vu
plus haut que quelques mois seulement après son entrée chez les Oblats de saint
François de Sale, le Père Lamy fut nommé directeur de l'Œuvre de la Jeunesse.
Ses prédécesseurs n'avaient pas su conduire l'Œuvre de la Jeunesse, et tout
était à refaire. Le Père Lamy explique la pédagogie que petit à petit il réussit
à mettre en place. "Pour
les patronages, il faut débuter par une sélection très sévère des éléments. La
prière, et la prière des enfants, doit être à la base de tout. Au début, après
avoir renvoyé une centaine de jeunes gens, j'en ai agréé six. L'Œuvre n'en a
guère compté plus durant un ou deux ans. Le nombre des jeunes gens a, dès lors,
fortement augmenté, mais j'ai continué à les sérier en plusieurs catégories."
Mais où
trouver l'argent nécessaire pour faire vivre une telle œuvre? Car le Père Lamy
ne touchait aucune subvention. Il raconte:
"Je n'avais
pas de ressources, et l'œuvre avait 70.000 fr. de dettes. On avait construit
sans avoir l'argent suffisant. J'avais accepté la succession. Nous faisions des
pièces de théâtre et des sermons de charité. Je n'ai plus laissé que 40.000
francs de dettes. Le théâtre, c'était la ressource, et j'allais faire une quête:
c'était une quinzaine de cents francs. Ils n'étaient pas larges les Troyens! Il
y avait 900 francs d'impôts, l'éclairage, le chauffage, et les carreaux, qui
n'étaient pas en fer!...
C'est le
théâtre qui faisait vivre. On jouait une pièce tous les mois. Le Gondolier de la
Mort, l'Auberge du Chat qui fume, c'est de mon répertoire: il y en a toute une
série comme ça. Ce n'est pas une petite chose de monter des spectacles! La
dépense en costumes est très grande... . Je demandais des défroques partout, et
on m'en donnait beaucoup. Que de vieux costumes de toutes sortes! Nous avons
reçu beaucoup de vieux costumes de 1848, à parements rouges: c'était superbe!...
C'était la joie de mes gamins d'être habillés..."
Et parallèlement à l'Œuvre, le Père logeait des pensionnaires:
"J'avais sept à huit pensionnaires, que je logeais
dans un dortoir de la maison, et trois ou quatre Frères de la Doctrine
Chrétienne. Les anciens propriétaires de l'établissement y logeaient également.
Tout cela demandait du doigté."
À cette époque,
les manifestations anticléricales étaient fréquentes. Des manifestations
violentes eurent lieu à Troyes. À la demande expresse de sa sœur, le Père Lamy
raconte: "Ces manifestants, s'étaient réunis aux
Trois-Moutons. Ils étaient trois mille. Voilà qu'on vient me dire d'aller porter
les derniers sacrements au curé de Sainte-Savine qui était mourant. Le plus
difficile a été au pont du chemin de fer. Les gens disaient: 'Voilà un curé!' Un
de mes gamins me voit et crie: 'Ce n'est pas un curé, c'est le P. Lamy, c'est M.
le Directeur!' "
Le Père Lamy put passer et se rendre chez le mourant, mais au passage il reçut
de nombreux coups de couteau, "mais, dit-il,
seulement sur sa douillette..."
1-3-2-La pédagogie des
patronages
L'éducation
Le Père Lamy
devait constamment surveiller ses jeunes venant de milieux difficiles. "Pour
les bonnes mœurs, il faut avoir l'oeil, et surtout l'oreille."
En particulier, il se plaignait des
"sociétés civiles, avec qui il était en relation, et qui n'étaient pas
difficiles pour le recrutement, surtout s'il s'agissait de détourner quelqu'un
du patronage." Il raconte encore:
"J'avais renvoyé la plupart des enfants pour garder les bons. C'était
nécessaire. J'ai été extrêmement sévère dans les débuts."
Avec beaucoup de bon sens, le Père Lamy estimait qu'il "est très difficile
d'avoir l'idée constante de Dieu quand on n'y a pas été habitué enfant."
Aussi à l'Œuvre de la Jeunesse, institua-t-il un nouveau salut:
"On se saluait par les mots: 'Vive Jésus dans nos
cœurs!' On répondait: 'À jamais!' "
La pédagogie
du Père Lamy était virile, et à ses jeunes il ne craignait pas de montrer la
Croix. Quand il combattait les passions de ses jeunes gens, certains se
mettaient en fureur; mais rien n'aurait pu empêcher le Père Lamy de dire la
vérité. Et au bout de quelques jours, le calme revenait dans l'âme de ses
enfants. Parfois, cependant, il n'hésitait pas à mettre à la porte les brebis
trop galeuses.
C'est que les jeunes du Père Lamy n'étaient pas des plus recommandables. "Je
prenais, dit-il, de pauvres jeunes
gens délaissés. Dieu sait de quels milieux abominables ils venaient parfois!
Cela ne me disait rien, mais je le faisais quand même. Il fallait souvent fermer
les yeux et les oreilles. Que de fois, je suis allé au Palais de Justice voir M.
Verdier! C'était un brave homme. Il disait: 'Voilà encore un avocat qui arrive.'
Son fils, un excellent garçon, me disait: 'Mon père n'aime pas vous voir. Il dit
que vous vous intéressez à toute la canaille de la ville.'... Que de fois j'ai
franchi, au Palais de Justice, cette grille que vous savez! Tous les jeunes gens
me connaissaient et disaient: 'Tenez! Voilà le curé des voyous.' "
Le Père Lamy
voulait également voir ce qui se passait dans les fabriques, et il faisait une
tournée toutes les semaines... Quand ses jeunes étaient dans les bureaux il
était relativement tranquille. Mais dans la masse des ouvriers, il l'était
beaucoup moins. Aussi faisait-il le catéchisme dans quatre usines.
Le Père Lamy
avoue: "À
l'Œuvre, je pouvais m'occuper des jeunes gens et des vocations... J'ai obtenu en
tout trente-deux prêtres.. .Et, une fois entrés dans le clergé, combien de fois
il m'a fallu encore m'occuper de mes jeunes gens! Je les suivais et leur rendais
service autant que je pouvais."
À La Courneuve,
le Père poursuivit ses méthodes, et il n'hésitait pas à organiser des excursions
pour la formation de ses enfants: "Avec les
gamins, on sortait trois fois l'an. On allait à Saint-Michel des Batignolles, à
Saint-Cloud et à Montmartre. "
Le Père Lamy savait que pour la formation des jeunes, les patronages sont
indispensables. Il en avait créé à Troyes et à Saint-Ouen; il fit la même chose
à La Courneuve, là où il fut nommé curé:
"Mon patronage d'hommes, à La Courneuve, a
commencé avec trois hommes. On était quarante-neuf à la guerre. J'ai été à peu
près quinze ans pour arriver à ce résultat. Le premier dimanche du mois, ils
venaient aussi aux vêpres. Ils communiaient une fois l'an: quand je ne pouvais
pas obtenir Pâques, c'était à la Toussaint... "
D'une manière générale, le Père Lamy était convaincu de l'importance de
l'éducation chrétienne dans la famille et dans les catéchismes. Il insistait
pour que soit assurée "la protection de la foi et de la vertu des
adolescents". D'où l'importance des patronages dans les paroisses. Il écrit,
constatant les embûches dressées par le monde et le démon:
"Et l'on s'étonne de voir tant de défaillances,
tant de lâchetés parmi les chrétiens de notre époque. Ces âmes ont-elles
vraiment cherché la vie surnaturelle?"
Dans ce cadre
de la formation, il convient d'indiquer ici que les sermons du dimanche du Père
Lamy, étaient remarquables, et remarqués...
Le chant à
l'église
Le comte Biver
rapporte que le Père Lamy, excellent musicien, avait organisé les chants à
l'église: "chant des offices en latin et chant en langue vulgaire de
cantiques, et particulièrement des vieux cantiques qui célèbrent les vertus
chrétiennes et impriment l'amour de Dieu dans les cœurs. 'Il ne faut pas, dans
les églises, de musique profane, disait-il. Il faut de la musique divine. Les
belles cérémonies avec une musique profane sont comme le bon grain jeté sur la
route...' " On est en droit de se demander ce que penserait le Père Lamy des
concerts, souvent profanes, qui sont aujourd'hui organisés dans nos églises?
La vie de
prière
Le Père Lamy
apprenait, à ceux qui lui étaient confiés, à prier beaucoup, selon leurs
capacités. Lui-même s'y efforçait, autant qu'il le pouvait malgré sa vie
surchargée. Régulièrement il suivait les exercices de Saint Ignace. Il
n'hésitait pas à confier: "Je goûtais
beaucoup cette méthode des Jésuites. L'oraison, c'est le fond de la vie; c'est
l'armature de notre vie. C'est une protection, un secours, un canal de grâces.
Tous les exercices de piété sont en second ordre."
1-3-3-Quelques autres
aspects de la pédagogie du Père Lamy
Tout d'abord quelques
remarques d'intérêt général:
La direction
des œuvres de jeunesse, avouait le Père Lamy, est particulièrement épuisante. Il
faut, disait-il, "se surveiller sans cesse... paraître toujours d'un abord
facile et en même temps très digne, reprendre avec fermeté et douceur, être
indulgent pour les petites fautes... éviter pour les fautes graves de reprendre
en public, sauf dans le cas de nécessité quand une faute est publique et
collective..." Il convient d'éviter les racontars, "et se montrer très
froid devant certaines catégories d'enfants qui cherchent... à raconter les
défauts de leurs camarades et tentent de vous indisposer contre eux..." Il
convient de "parcourir sans cesse les
salles, les cours, les couloirs, les escaliers, les cabinets; il faut que les
enfants vous voient arriver à l'improviste. Leur faire sentir que rien ne vous
échappe: bien tenir compte des conversations qui souvent vous montrent
l'orientation des pensées... prendre des notes qui vous aideront à corriger bien
des défauts..."
La surveillance et la
direction des patronages
En ce qui
concerne la direction des patronages, le Père Lamy se permet quelques avis:
"Il est de toute nécessité pour tous les chrétiens qui s'occupent de la
direction des patronages d'avoir un langage correct, ce n'est pas assez dire:
d'avoir un langage chrétien, un langage qui inspire du respect de Dieu, de la
religion, de l'âme du prochain et de soi-même." Car le but poursuivi est
d'aider les âmes à mener une vie vraiment chrétienne. "Les âmes vertueuses
attendent de votre parole aide et soutien pour persévérer... des paroles
d'espérance et de réconfort..." Surtout,
"il faut éviter avec grand soin toute critique de
la vie des membres du patronage. Ignorez leurs défauts en public, mais faites
selon la charité les réprimandes en particulier...
Dans les
patronages, la surveillance "doit s'exercer très étroitement sur les
conversations, sur les faits qui les alimentent, les journaux, les revues, les
livres, les romans..." Les maîtres doivent montrer la confiance qu'ils ont
envers ceux qui le méritent, "mais il
faut aussi faire comprendre que cette confiance est toujours accompagnée de sa
sœur, la prudence... Le péché des mauvaises conversations... est souvent
dissimulé, aussi faut-il travailler sans relâche à le détruire... Faire appel à
la droiture, à l'honneur, à la franchise... appel à la bénédiction de Dieu et à
un commerce honnête avec tous les hommes... Qui peut aimer un homme fourbe qui
n'aime qu'à tromper?"
Avis contre quelques vices
Le Père Lamy
sait par expérience que pour bien diriger un patronage, le zèle ne suffit pas.
Il faut encore combattre "contre la chair et les puissances de l'air. Il faut
donc vous armer d'armes surnaturelles et c'est dans la prière que vous trouverez
ces armes puissantes qui vous sont nécessaires pour vaincre Satan, la chair et
le monde. Il faut donc demander l'esprit de prudence, de conseil, de force, de
science, de piété et de crainte de Dieu..." Il faut signaler aux âmes les
dangers des mauvaises conversations, de certains livres, des bals, des réunions
mondaines et de la nécessité de fuir les lieux de tentation. Il faut inviter les
jeunes à prier, car: "la grâce ne fait
jamais défaut à qui la demande avec humilité, confiance et persévérance."
Il est un autre
vice que les enfants cachent habilement: le vol.
"La direction ne peut surveiller que dans
l'intérieur, mais l'on se fait difficilement à la pensée qu'un voleur rôde
autour de vous. Malgré la répugnance que l'on éprouve, il vaut recourir aux
aînés qui sont éprouvés par leur long séjour au patronage, et leur demander,
sous le sceau du secret, de surveiller leurs camarades dans la rue et autres
lieux publics."
Il est
nécessaire également de veiller aux fréquentations en dehors du patronage. Il
faut inviter des jeunes à entrer dans des congrégations, de la Sainte Vierge, ou
des anges, selon leur âge, et les habituer à la fréquentation des sacrements. Le
Père Lamy n'est pas dupe, qui affirme:
"Vous n'aurez que l'élite, mais... vous trouverez dans cette élite des éléments
qui vous aideront dans la direction du patronage..."
Conseils aux responsables du
patronage
Le Père Lamy aime à redire
la nécessité d'assurer le bon exemple par l'égalité d'humeur, de s'oublier pour
les autres et de supporter les défauts des autres. Il faut savoir "se faire
endurant. Savoir souffrir les petites incommodités de la vie commune..." Et
aussi, de consacrer du temps pour Dieu. Et voici le conseil fondamental:
"Avant d'aller dans le patronage, passez quelques minutes devant le
saint-Sacrement pour faire vos provisions... " provisions d'humilité, de
patience, de gaieté et de bonté et d'union à Dieu. D'une manière générale, il
faut occuper les enfants et les jeunes, les distraire par des jeux nouveaux, des
séances récréatives, des jeux de plein air. Il faut surtout leur apprendre à
prier.
Enfin, les
frères
"s'efforceront d'y implanter
les pratiques de la vie chrétienne... Ils signaleront spécialement les dangers
des sports et l'abus que l'on en fait, qui éloigne de la sanctification du
dimanche."
1-4-La vocation sacerdotale
La tâche de
Jean-Édouard, à Troyes, était rude et prenait tout son temps. Pourtant il
voulait toujours devenir prêtre, mais il n'en avait plus les moyens:
"J'étudiais quand je pouvais, et je
n'étais guère libre que la nuit. J'avais eu une instruction à peine primaire. Et
j'avais deux cours: un de théologie et un de latin, le mardi et le vendredi...
J'allais me retirer, ne me trouvant pas les qualités nécessaires. J'étais
désespéré. C'est alors que m'est apparu saint Joseph. Il a fixé ma vocation.
C'était à Troyes, dans la chapelle Notre-Dame de l'Espérance, dans les premiers
jours de mars. Il m'a parlé assez longuement et a déterminé ma vocation... Il a
dit: 'Soyez prêtre. Devenez un bon prêtre.' Ça a été très impératif."
En mars 1885,
Jean-Édouard recevait les ordres mineurs et le diaconat, à Chevilly. Il dit sa
première grand'messe à Notre-Dame de la Sainte-Espérance, et au Pailly, sa
première grand'messe paroissiale. À Troyes le Père Lamy était le confesseur de
tous les enfants de la ville. Par ailleurs, il avait été chargé d'une oeuvre de
filles à Saint-Nicolas, et des Filles Repenties de Foissy. En riant, il disait:
"On chargeait toujours, et on ne déchargeait jamais." Les veilles de fête,
il lui arrivait de confesser jusqu'à deux cent cinquante à deux cent quatre
vingt garçons...
1-4-1-À Guéret
Écoutons
encore le Père Lamy: "En dix-sept ans, je ne me suis pas couché dix-sept fois
avant minuit, et, à 4 heures et demie, j'étais sur pieds. À la fin, quand je
sortais, je vomissais de la bile comme de l'huile. Je n'avais pas de grade: les
Oblats ne voulaient pas me mettre dans un collège, et ils n'avaient pas de
paroisse." Nous
sommes en 1892. Le Père Lamy a perdu sa santé; il est envoyé à Guéret pour se
rétablir, avec la mission de fonder un orphelinat sur un domaine qui avait été
donné aux Oblats. Les bâtiments étaient à refaire entièrement; le domaine à peu
près incultivable.
Écoutons le Père Lamy:
"Me
voilà parti de Troyes et je n'avais plus d'argent. Je n'avais plus que ma messe
à 2 francs par jour et je souffrais de l'estomac; je n'avais plus de force. La
métairie était éloignée de Guéret de 3 à 4 kilomètres. Il fallait faire tout un
circuit dans les montagnes. J'écris donc à Troyes, et je demande où sont les
engagements avec le Comte de Sessac."
Les engagements ne furent jamais tenus... Les dépenses étant trop considérables,
Jean-Édouard dut rentrer à Troyes où sa maladie le reprit. Le médecin lui dit:
" Il n'y a rien à faire: vous ne passerez pas un mois avant de mourir." On
l'envoya alors comme vicaire à Saint-Ouen. Nous sommes en 1894.
1-4-2-À Saint-Ouen
"J'ai été à
Saint-Ouen parce que les Pères ne voulaient pas se charger de moi quand j'étais
malade. La place de vicaire à Saint-Ouen n'était pas courue. On en avait
assailli un et on lui avait volé ses boucles de souliers et son bréviaire. Moi,
j'y ai été très simplement."
Bientôt le Père Lamy demanda à entrer dans le diocèse de Paris.
Les débuts
furent très pénibles: pas d'argent, pas de chauffage, et beaucoup de saleté...
Il raconte:
"La chapelle de la rue Jean touchait
aux biffins (chiffonniers). Quelquefois, ça sentait le diable et ses cornes,
mais on ne pouvait aérer que par la sacristie. Mais je m'y plaisais. Mon curé me
disait: 'Vous ferez le catéchisme dans la 'rue des Biffins'
et je faisais le catéchisme assis sur l'harmonium. Et (riant): On était ainsi
sur une sorte d'estrade et un peu moins à la portée des puces, car il y en avait
à foison. J'étais obligé de souffler dans le calice pour fondre la glace.
C'était dans la chapelle de secours, qui était couverte en tôle ondulée.
L'hiver, on y gelait; l'été, il y faisait la plus grande chaleur."
Mais le Père
Lamy aima ses "biffins". "Que de misères physiques et morales, mais
aussi que de cœur quelquefois! Quand je ne pouvais pas obtenir une confession,
souvent il m'est arrivé de revenir avec un litre sous le bras et une livre de
pain, et un bon mot, qui faisait rire. Il faut avoir quarante ans! Maintenant,
je serais trop vieux. Quand on les avait fait rire, on obtenait. Il ne fallait
pas craindre le langage vert. Ils juraient; je disais: 'Allons, mon bon, tu te
confesseras demain. Aujourd'hui, vraiment, tu n'es pas prêt'. Ou bien:'Tu
m'apprendras à jurer, si je puis; mais moi, je vais te rapprendre tes prières'.
Ils savaient encore parfois un bout de Pater..."
Le séjour du
Père Lamy à Saint-Ouen dura deux ans. Il se fit un très grand bien à Saint-Ouen.
Le Père réussissait, sans argent, sans aide, à nourrir et vêtir des dizaines de
personnes... avec tout ce qu'on lui donnait. Mais souvent il était dupé: il le
savait, mais c'était l'habitude, dans ce pauvre milieu de tromper ceux qui les
aidaient...
Écoutons le
Père Lamy:
"Il m'était
impossible de me livrer à des enquêtes sérieuses. Le démon disait (à Gray, en
1909): 'Il s'est fait berner.' La Sainte Vierge a dit: 'Il n'avait qu'un objet:
la volonté de Dieu. J'aurais fait de même.' Elle m'a dit cependant: 'Faites un
peu plus attention', mais Elle n'a pas eu un mot de blâme. Si j'avais eu quelque
esprit, je Lui aurais demandé qu'Elle m'inditquât dans quel cas donner et dans
quel autre refuser; mais, sur le moment, je n'y ai pas songé."
1-5-Le curé de
La Courneuve
1-5-1-Une
paroisse à redresser
Le Père Lamy
arriva à La Courneuve, à la Paroisse Saint Lucien, le 14 septembre 1900. Il
avait 47 ans. La situation y était dramatique:
"Il
n'y avait ni chantre, ni enfants de chœur, peu d'assistants aux offices..."
Et ceux qui venaient à la messe ne faisaient que parler entre eux, de leurs
affaires... Bientôt il
consacra sa
paroisse au Cœur Immaculé de Marie, Refuge des Pécheurs, et fonda les confréries
du Sacré Cœur et du Cœur de Marie….
Toutefois, sur le plan matériel, le Père Lamy n'avait jamais été aussi heureux:
"On m'offrait des carottes, des oignons,
des choux. Je rentrais en lisant mon bréviaire avec ma botte de carottes sous le
bras ou le chou pendant au cou."
Le dévouement
du Père Lamy était sans limite. En ce qui concerne son ministère, contrairement
à tant d'autres paroisses de la Région parisienne, il
sonnait la
cloche à la fermeture des usines. "Les
ouvriers, les ouvrières l'entendaient. Quelques-uns répondaient à l'appel. Il en
venait toujours. Il venait des jeunes gens, que Dieu a ainsi touchés, qui
sentaient la lassitude de la journée, la lassitude de leurs fautes, qui se sont
confessés, qui se sont réconciliés. Un certain nombre de pauvres âmes se sont
ainsi sauvées. Quelquefois, la prière du soir est presque plus utile que la
messe, à la valeur du saint sacrifice près."
Le programme du dimanche était particulièrement chargé:
"Le dimanche, je me levais à 5 heures et demie; je
descendais à 6 heures. Des fois, je me levais à 5 heures ou avant. Un bout de
méditation, l'office, les confessions. Après cela, la première messe, à 8
heures, courte instruction, et, tout après la messe, le catéchisme. Je n'avais
pas même le temps de faire une action de grâces entre la première et la seconde
messe. Catéchisme jusqu'à 10 heures. La prière du matin, que je faisais faire
aux enfants et qui servait aux paroissiens. Et ça a réappris la prière à bien
des gens, et montrait combien je tenais à ce que la prière soit continuée dans
les familles.
Dix heures,
grand'messe et prône. Après la grand'messe, les baptêmes. Il y en avait toujours
plusieurs. Les gens aimaient à venir à ce moment-là, entre la grand'messe et les
vêpres."
Le Père avait à peine le temps (ou la force) de
déjeuner: "À 2 heures, vêpres.
Bénédiction du Saint-Sacrement après cela. Enterrements ou continuation des
baptêmes et départ pour les patronages. Le patronage des filles était rue Villot,
et celui des garçons, 63, rue de la Convention. Sitôt que j'étais libre,
j'allais au patronage des garçons. De là, j'avais une porte qui passait sur le
terrain que j'avais acheté, et, par là, j'arrivais en deux ou trois minutes, par
le jardin, au patronage des jeunes filles. Là, je ne restais jamais longtemps.
Je revenais faire une séance d'avis rue de la Convention. Je faisais sonner la
cloche. Les enfants étaient sur les bancs: il y en avait cinq par banc et des
chaises pour les grands. Et je montais sur l'estrade. Je lisais le règlement, ou
je le commentais. Et j'administrais des corrections paternelles aux délinquants
de la semaine précédente. Chacun en prenait sa part. Je faisais ensuite l'appel.
Distribution de bons points ou de petites récompenses. Souvent, goûter avec du
pain et des bâtons de chocolat d'un sou. Cela faisait tout de suite une douzaine
de francs. À Marie Immaculée, la directrice le faisait. J'avais souvent des
dragées. Quand il y avait des délinquants, je leur passais devant le nez sans
leur en donner.
Après la
sortie du patronage, j'avais un kilomètre à faire pour revenir, et je faisais la
surveillance des rues sans en avoir l'air. Je rentrais à l'église à la nuit; je
fermais la porte, et, à ce moment, je faisais mon action de grâces, ma prière du
soir. Je fermais l'église complètement et je rentrais chez moi pour souper.
Après le souper, souvent avant, ils venaient. Les gamins ça a tôt fait! Dans le
jardin, j'avais fait une petite salle, la Salle du Sacré-Cœur. J'avais placé un
petit poêle pour l'hiver, bancs, tables, électricité à la fin. On jouait au
tric-trac, au nain-jaune. Dans l'été, on mettait les tables dans la petite cour,
qui était pavée. A 10 heures, Pater, Ave, Sub tuum. Après cela, dernier départ.
J'avais deux réunions par semaine, une le dimanche et une le jeudi. Autrefois,
les soirs de dimanche, je retournais encore au 63, rue de la Convention; mais, à
la fin, je ne pouvais plus.
Le premier
dimanche du mois, il y avait réunion des hommes après vêpres, le deuxième
dimanche du mois, réunion des dames du Sacré-Cœur, et, quand je rentrais me
coucher, je ne me déshabillais pas: je n'en avais plus la force."
Et puis, il y
avait la visite des malades et la distribution des sacrements qui l'occupaient
jour et nuit. En effet, le dévouement du père Lamy était
sans relâche; il portait la communion aux malades, visitait les familles,
allait chercher les âmes en perdition, baptisait les enfants, semait la bonne
parole dans cette banlieue de la "zone" où les pauvres gens s'entassaient. Il
aimai ces populations d'humbles gens, de chiffonniers, ses chers "biffins!"
comme il disait avec affection. Pour aider les plus démunis, il fonda le
Vestiaire de l'Enfant-Jésus.
1-5-2-Le curé
de La Courneuve pendant la guerre
Nous venons de
voir l'activité du Père Lamy dans sa paroisse, en temps normal. Il était pris
par son apostolat pendant toute le journée, et souvent il passait la nuit en
prière. Cet emploi du temps déjà lourd allait encore se surcharger pendant la
guerre. Le comte Biver
avoue qu'il n'a pu obtenir que peu de choses sur les activités du Père Lamy
durant cette période, Il lui fallut donc interroger les paroissiens de La
Courneuve.
Le Père Lamy
confessait parfois douze heures par jour, surtout des soldats. Il raconte:
"Je leur disais, pour aller plus vite, de dire le Confiteor avant d'entrer au
confessionnal. Ils étaient pressés. Quelquefois, ils se confessaient le sac au
dos et tenant leur fusil dans le confessionnal... À Pâques, dans la guerre, je
faisais ce que je pouvais, mais j'étais débordé, j'avais jusqu'à mille
confessions pascales. Quelquefois, j'entrais au confessionnal aussitôt ma messe,
sans avoir déjeuné, et je restais jusqu'à 2 heures, 3 heures de l'après-midi.
Quelquefois, j'avais à confesser deux cents prêtres qui revenaient par fournées.
J'étais épuisé de confesser assis; alors, je confessais mes confrères debout, en
me promenant avec chacun d'eux dans le jardin. La première année de guerre n'a
pas été très dure, mais la deuxième, la troisième et la quatrième..."
C'est qu'à La
Courneuve il y avait sept hôpitaux sous des tentes ou en baraquements. Il y eut
jusqu'à huit cents prêtres à la fois, à un certain moment de la guerre, car
c'était un dépôt d'infirmiers.
Le Père dit aussi: "Pendant la guerre,
il y avait un dépôt mortuaire pour les soldats. Je les y enlevais... les prêtres
soldats conduisaient les corps jusqu'au cimetière d'Aubervilliers. Il y avait
cinq ou six corps par jour. Quelquefois j'avais des enterrements jusqu'à la
nuit, jusqu'à 9 heures du soir quelquefois, en été..."
1-5-3-L'explosion de La Courneuve
Les faits
L'explosion
d’un dépôt de munitions que le Père Lamy avait annoncée longtemps à l'avance eut
lieu le 15 mars 1918. Pendant des semaines il prêcha toujours la même chose:
pénitence, pénitence, pénitence... car il prévoyait que des choses terrifiantes
allaient se produire. Des prières avaient été récitées depuis le début de la
guerre, et jusqu'à l'explosion, avec un Souvenez-vous. Puis elles furent dites
ensuite comme remerciement. Le Père Lamy raconte: "C'est au début de la
guerre...
C'étaient
les saints Anges qui avaient parlé de la catastrophe, non pas la Très Sainte
Vierge. Elle m'avait laissé entrevoir l'explosion et je L'avais conjurée de
sauver les vies. Je Lui ai dit: 'Sainte Mère de Dieu, sauvez les vies!' Et Elle
n'a pas répondu, mais j'ai considéré la chose comme accordée dès ce moment-là...
Je ne savais pas le jour de l'explosion. De La Courneuve il n'y a pas eu de
tués, mais neuf cents blessés."
Voici comment les choses se passèrent:
"Je trouvais les carreaux de mon église très sales, et je voulais les nettoyer,
mais j'ai entendu le saint archange Gabriel et mon ange, qui se parlaient entre
eux et disaient: 'C'est inutile.' Alors, je ne l'ai pas fait. Très souvent,
quand ils veulent me donner de bonnes leçons, ils se parlent ensemble et me
laissent entendre leur conversation. Peu d'heures après arrivait la catastrophe,
et ces vitres volaient en éclats. Moi, qui restais toujours longtemps dans mon
église, ce jour-là, j'ai été bien inspiré. Cette inspiration m'est venue
certainement des anges. Je ne suis resté à prier ni une heure, ni une
demi-heure, ni même dix minutes: je suis parti à Paris pour acheter des
souvenirs à l'usage des premiers communiants. Peu après mon départ, tout
sautait, la voûte se rompait et il tombait dans l'intérieur de l'église des
tombereaux de tuiles...
Quand
l'explosion a eu lieu, j'étais à Aubervilliers, à 100 mètres de l'église, dans
le tramway. Je me suis précipité dans les usines. Je suis retourné à La
Courneuve sans tram, au milieu des plâtras. J'ai été à l'usine Sohier d'abord.
Je n'ai pas, à proprement parler, une maladie de cœur. J'ai eu le cœur blessé à
l'explosion. Je sentais une suffocation très grande. En donnant les absolutions,
je ne savais plus ce que je faisais. À l'usine Chabert, on avait transporté neuf
cents blessés. C'était plein de sang. Les médecins se relayaient, mais je ne
pouvais pas me relayer tout seul! On a fait des barrages. Les papas, les mamans
me disaient: 'Où sont nos enfants? Nos enfants?' Je ne savais pas où étaient les
enfants. Ils étaient à l'école, quand le plafond est tombé; ils s'étaient cachés
sous les tables et s'étaient ensuite sauvés au Fort de l'Est.
Je suis resté
rue Edgar-Quinet, à l'usine Chabert, à l'usine... presque jusqu'au soir. On
avait les lèvres tout imprégnées du goût de ce nuage amer. Ce n'est guère que
deux heures après l'explosion que le nuage, sous lequel on était et sous lequel
on pouvait respirer, est descendu. Mais, quand il a roulé à terre, on ne pouvait
plus. Quelques jours après, la peau de la langue et des lèvres, celle même de la
figure s'est décollée. Elle s'enlevait par plaques... Il me restait un œil de
bon, l'autre ayant été perdu au régiment. Mon œil gauche a beaucoup baissé du
fait des gaz toxiques répandus dans l'atmosphère."
Miracle à
l'Église
"Le
tabernacle, tout, a été arraché; la Sainte Vierge (la Vierge en plâtre modelée
par Edy) a eu un petit éclat à sa robe. Le tabernacle reposait sur deux briques
posées de champ... La dalle du tabernacle, elle est partie. Les murs étaient là,
mais le tabernacle reposait sur les murets, et le corporal ne touchait pas aux
murs: il n'avait pas la largeur suffisante. Le saint ciboire est resté sur le
corporal, et le corporal en l'air. Le chanoine de Rochetaillade (archiprêtre de
Saint-Denis), après avoir constaté le miracle, a porté le saint ciboire au
tabernacle majeur. C'est mon ciboire, mais je l'ai laissé à la paroisse, comme
beaucoup de mes ornements...
J'ai bien vu
le corporal en place, resté en l'air. Mgr Amette a dit que Dieu avait fait cela
pour ne pas contrister son prêtre. Le pavillon n'avait pas un grain de
poussière, un pavillon avec une petite frange d'or et les quatre parties comme
ça. C'est relaté dans son Bulletin, dans L'Oriflamme (de Saint-Denis) de cette
époque. Le tabernacle avait été lancé au milieu de la chapelle de la
Sainte-Vierge, les candélabres pareillement. Ça avait soulevé la table de
l'autel. La pierre d'autel, tout était parti...
Je ne suis
rentré chez moi que le soir. Il n'y avait plus ni portes, ni fenêtres, et de
celle qui donne dans la rue, les gonds étaient partis; elle était tombée, mais
n'avait pas de mal. C'est moi qui l'ai rescellée. Toutes ces émotions!..."
1-6-La
retraite
1-6-1-La vie
"mondaine"
Avant d'aborder la retraite du Père Lamy, nous allons parler un peu de sa "vie
mondaine". Le jeudi de Pâques 1921, Raïssa et Jacques Maritain le reçurent à
Versailles, "anéanti dans son humilité un peu farouche" selon
l'expression du comte Paul Biver, un habitué de la maison. Puis, il fréquenta
assidûment les cercles d'étude du couple de philosophes et sympathisa avec le
Comte Paul Biver (1886-1952) qui allait l'aider à fonder la Congrégation des
Serviteurs de Jésus et de Marie, demandée par la Sainte Vierge, et dont il
devint, à 77 ans, le premier supérieur général.
1-6-2-Les
débuts de la retraite du Père Lamy
En 1923 la santé du Père Lamy avait beaucoup décliné, et sa vue avait beaucoup
baissé: il demanda sa retraite, à soixante dix ans, ne se sentant plus la force
de soutenir activement les œuvres qu'il avait créées et amenées à un état de
prospérité très remarquable. "Dès lors,
il passa l'hiver à l'Infirmerie Marie-Thérèse, rue Denfert-Rochereau, et la
belle saison au Pailly, en compagnie de sa sœur et de son beau-frère. Avec les
capitaux laissés par leurs parents, une petite maison avait été bâtie en face de
l'ancienne, où la place était insuffisante pour trois ou quatre personnes."
La réputation du Père Lamy était telle, qu'à Paris il était constamment harcelé.
Tout le monde voulait le rencontrer, lui demander conseil ou même des
guérisons. Au Pailly, sa vie était plus calme et il se rendait plusieurs fois
par semaine à Notre-Dame des Bois. "Il y
disait la messe plusieurs fois l'an. Il venait beaucoup de monde à la messe de
juin, surtout de Paris et de La Courneuve... Quand on allait remercier le Père
Lamy pour des grâces reçues ou des guérisons, il invitait à envoyer une note ou
les certificats médicaux au curé de Violot, dans la paroisse duquel s'élève la
petite chapelle de Notre-Dame des Bois."
1-6-3-Les
apparitions
Deux fois la
Sainte Vierge se manifesta à Notre Dame des Bois: une fois en 1925, avant les
travaux de transformation, dans la chapelle. Soudain la
Vierge
Marie Immaculée se manifesta, derrière sa statue, à un mètre du Père Lamy.
L'autre fois,
c'était pendant la guerre, en février, en 1915, croit-il.
M. le Curé de Violot et le Père Lamy mettaient la statue de la Vierge Marie sous
un globe, pour la protéger de tous ceux qui la prenaient dans leurs mains. Mais
le globe était trop court. À la demande du Père Lamy il s'allongea exactement à
la dimension de la statue. Ensuite, raconte le Père Lamy,
"j'essuyais la statuette et j'étais retourné,
parlant au curé, quand je sens une figure, une vraie figure. Je me suis arrêté
un petit instant. Elle m'a regardé, l'Enfant aussi. J'ai fait comme ça, pour
aller contre le mur, qui n'était pas ouvert, pour passer derrière l'autel. La
Sainte Vierge a dit un mot, et l'Enfant rien. Je dépose rapidement la statuette
sur l'autel, je m'agenouille devant eux. Un moment, j'ai eu la tentation de
dire: 'Donnez-moi l'Enfant!' Elle n'a pas été longtemps."
L'Archange
Gabriel vient fréquemment visiter la chapelle de Notre-Dame des bois. Le Père
Lamy précise:
"Le saint archange Gabriel y vient souvent. Il y est encore venu le 29 juin
(1925). J'étais seul; je disais mon bréviaire. J'avais renvoyé l'enfant (de
chœur). Il
me parle des choses célestes. C'est le messager divin, non celui d'un homme de
la cent cinquante-quatrième classe! Je le charge de mes messages pour la Très
Sainte Vierge. Je lui dis: 'Dites-Lui donc ceci, cela...' Il ne répond pas, mais
il sourit."
1-6-4-La
fondation de la Congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie
C’est à Gray, le 9 septembre 1909, que le Père Lamy reçut, de la Vierge Marie,
le conseil de fonder une nouvelle Congrégation. Il hésita pendant très
longtemps. Les principaux points de la Règle lui furent donnés sur l’esplanade
de N.D. des Bois. "Les avis de la Très
Sainte Vierge lui furent donnés, non seulement à Gray, mais à La Courneuve et à
Notre-Dame des Bois…
Le but de la
congrégation était la sanctification personnelle des religieux par les trois
vœux ordinaires et par la récitation quotiditenne du grand office dans toute la
mesure compatible avec les œuvres de jeunesse qu'ils étaient appelés à diriger,
patronages, cercles d'études, alumnats, maisons de familles pour jeunes gens,
maisons de retraites pour jeunes gens, et missions pour jeunes gens. En un mot,
une vie partagée entre le chœur et des œuvres destinées à la rechristianisation
de la jeunesse et particulièrement de la jeunesse ouvrière, non par son
instruction, mais par son éducation religieuse."
Les premiers
débuts
Dès
1924, quand des vocations religieuses se présentèrent à lui, le Père Lamy se mit
à parler avec discrétion du groupement futur. Mais les jeunes gens qu’il avait
déjà rassemblés
n’étaient pas pour lui… "ceux que j'avais pour ainsi dire désignés, aucun ne
répondait à l'appel." En 1926 la Sainte Vierge, parlant de cette
congrégation qu’elle avait désirée lui dit qu’il y aurait de grosses
difficultés, "et qu’il y aurait quelque analogie avec la Passion de son Fils,
parlant des trahisons, des abandons. Pour moi, ajoute le Père Lamy,
ça a été l’épreuve
la plus rude de ma vie."
Après
l’éparpillement du premier groupement, un deuxième groupement se constitua: il
fondit comme le premier. Enfin, le 14 août 1927 "se présentaient les premiers
éléments d'un troisième. Le Père Lamy en était tout à cette joie, quand le
lendemain, il reçut le présage de nouvelles épreuves. À la messe du 15 août,
j'ai vu, dit-il,
les difficultés qui grossissaient, qui grossissaient! Elle
m'a montré ces difficultés sous une apparence formidable, comme une montagne…
Quand on veut établir une bonne chose, on trouve toujours la croix."
Est-ce la fin
des difficultés?
Enfin,
en 1927, un troisième groupement fut tenté, sous le nom de Serviteurs de Jésus
et de Marie.
Les éléments du groupe qui, dans un premier temps avaient été placés
provisoirement dans plusieurs séminaires furent enfin réunis dans une même
maison, et Mgr Nègre, Archevêque de Tours, "appréciant la Règle de la
nouvelle congrégation, accueillait favorablement le Père Lamy et ses sujets."
Bientôt il autorisera
"l'ouverture d'un établissement pieux dans son
diocèse: Notre-Dame de Chambourg, et la réunion des postulants, qui lui avait
été présentés, au nombre de dix-sept."
L'Archevêque lui-même écrivit à la Sacrée Congrégation des Religieux, le 26
avril 1930: "Depuis trois ans, le zèle
pieux et ardent d'un saint prêtre, l'abbé Lamy, est parvenu à grouper en nombre
consolant des bonnes volontés, toutes prêtes à essayer de reprendre la vie
religieuse et la vie d'apostolat, etc... visant à leur sanctification
personnelle par les trois vœux simples de Religion et la récitation quotidienne
du grand office, et ayant pour but la sanctification du prochain par tous les
moyens ordinaires d'appeler les âmes à la foi et les y maintenir. Ils
s'appliqueront particulièrement, parce que plus nécessaire et plus capable
d'assurer le bien, à la formation chrétienne de l'enfance et de la jeunesse par
les patronages, cercles d'études, maisons de famille et de retraite pour jeunes
gens, et par les alumnats. L'esprit de l'œuvre est un esprit de foi, de zèle, de
sacrifice, de simplicité et d'amour. C'est sur ces bases qu'ils veulent fonder
l'édifice nouveau, parce que ce sont les seuls fondements solides et
résistants."
Le 2 juin 1930, Rome "accordait
l'autorisation demandée, et, le 15 juillet, l'archevêque composait et
enregistrait à sa chancellerie l'Acte solennel d'Érection de la Congrégation des
Serviteurs de Jésus et de Marie, avec le Père Lamy comme supérieur général et
Notre-Dame de Chambourg comme maison-mère."
Remarque:
La Congrégation
des Serviteurs de Jésus et Marie a été fondée, à la demande de la Vierge Marie,
sous les hospices de Citeaux.
Sa devise est: "Les Serviteurs de Jésus et de Marie pratiqueront le
commandement de l'amour fraternel avec un grand soin, ne se critiquant jamais
mutuellement, se rendant service avec charité, et agissant en toute rencontre en
personnes qui s'aiment et s'estiment en Dieu et pour l'amour de Dieu."
Nouvelles épreuves
Le Père Lamy
était au Pailly. Deux jeunes vinrent le chercher. Le Père s'en alla chercher des
salades pour le repas du soir, dans son jardin, quand soudain les jeunes
l'interpellèrent: "Mon Père, regardez donc: la
Sainte Vierge qui pleure!"
Le Père s'approcha de la statue et
il "vit des larmes abondantes qui tombaient des yeux de la statue et
coulaient sur sa poitrine. Les larmes semblaient creuser le bronze de la statue
en coulant jusqu'à sa ceinture. Alors, il vit la sainte Mère de Dieu
devant sa statue, revêtue d'un voile noir continuer à pleurer." Le Père
comprit que les épreuves allaient recommencer. De nombreuses attaques émanant de
tierces personnes frappèrent les Serviteurs de Jésus et de Marie. Au début de
l'année 1931 le Père Lamy dut renvoyer de Chambourg les novices et les
postulants. Son œuvre était détruite.
Le Père Lamy commente: "La Très Sainte
Vierge, parlant de cette congrégation qu'Elle a désirée, a dit, à propos de la
fondation, qu'il y aurait quelque analogie avec la Passion de Son Fils, parlant
des trahisons, des abandons. Pour moi, ça a été l'épreuve la plus rude de ma
vie. Ce qui m'avait le plus affecté autrefois, ç'avait été la perversion et la
perte de certains de mes jeunes gens. C'est l'heure de l'épreuve. Ça me laisse
impassible, mais ne m'empêche pas de souffrir."
Et le Père Lamy de conclure: "La Sainte Vierge
a voulu pour moi, toute ma vie, des épreuves et des tribulations. Des épreuves,
nous en avons eues tant et plus avec la Congrégation, de Satan et de ses suppôts.
Elle prolonge ma vie. Je devrais être mort depuis bien quatre ans..." Mais
l'espérance demeure: "À force de prières,
tout commencera à s'éclaircir, tout s'agrandira; l'œuvre sera comprise. Elle
prospérera. Vous trouverez des concours, des amitiés fidèles. Ceux de vos amis
qui se sont écartés vous reviendront."
La survie de la Congrégation
Grâce à Dieu, trois hommes assureront la survie de la Congrégation pendant dix
ans: Jean-Pierre Christian, ordonné prêtre en 1939; le comte Biver qui s'occupa
généreusement des besoins matériels et Charles Emmenecker (1906-1968) qui veilla
au recrutement.
1-7-La mort du
Père Lamy
Le Père Lamy souffrit beaucoup de la destruction de son œuvre. Il reprit ses
anciennes activités, mais continua à correspondre avec ses religieux dispersés.
Il écrivit notamment: "Elle
prolonge ma vie. Je devrais être mort depuis bien quatre ans. Quand Elle
m'emmènera, je prierai à ce moment-là pour le groupement. Le grain reposant en
terre semble mort. Je désirerais que, bientôt, quand je ne serai plus sur terre,
vous vous rappeliez mes encouragements, mes avertissements, que vous soyez bien
armés à ma mort. À force de prières, tout commencera à s'éclaircir, tout
s'agrandira; l'œuvre sera comprise. Elle prospérera. Vous trouverez des
concours, des amitiés fidèles. Ceux de vos amis, qui se sont écartés, vous
reviendront."
Cependant
toutes les facultés du Père baissaient en lui: sa fin était proche. Le 15
novembre 1931 il notait: "À 6 h. 1/2, messe à l'oratoire. La Vierge Puissante
fait descendre dans mon âme un peu de sa douce paix. Je me demande si Elle me
prépare à mon voyage pour l'éternité." Il ne se trompait pas: le 1er
décembre 1931 au soir, au cours d'une visite
chez son ami le comte Biver à Jouy-en-Josas,
il mourut
subitement d'une crise cardiaque foudroyante. Ses obsèques eurent lieu à La
Courneuve, au milieu d'une foule immense.
À la fin de sa vie,
le Père Lamy avoua au Comte Biver: "C'est
là que j'ai mené neuf ans la vie de séminariste."
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