CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

PREMIÈRE PARTIE
Nature du Saint Abandon

CHAPITRE PREMIER
LA VOLONTÉ DE DIEU, RÈGLE SUPRÊME.

Nous voulons sauver notre âme et tendre à la perfection de la vie spirituelle, c’est-à-dire nous purifier à fond, progresser dans toutes les vertus, parvenir à l’union d’amour avec Dieu et par là nous transformer toujours plus en lui ; voilà l’œuvre unique à laquelle nous avons consacré notre vie : œuvre d’une grandeur incomparable, et d’un travail presque sans limite. Elle nous apporte la liberté, la paix, la joie,- l’onction du Saint-Esprit; mais elle exige des sacrifices sans nombre, un patient labeur de toute la vie. Cette œuvre gigantesque ne serait pas seulement difficile, mais tout à fait impossible, si nous étions réduits à nos seules forces ; car elle est d’ordre absolument surnaturel. “Je puis tout en Celui qui me fortifie” ; sans Dieu, c’est l’impuissance radicale, “nous ne pouvons rien faire”, ni penser au bien, ni le vouloir, ni l’accomplir. A plus forte raison, la correction de ‘tous nos vices, la parfaite acquisition des vertus, la vie d’intimité avec Dieu, représentent une somme énorme d’impuissances humaines, et d’interventions divines. L’homme est donc un merveilleux organisme, puisque, avec l’aide de Dieu, il peut accomplir les plus saintes œuvres ; il est, en même temps, tout ce qu’il y a de plus pauvre et de plus dépendant, puisque, sans Dieu, il ne saurait même pas avoir la pensée du bien. — Heureusement, Dieu a daigné se faire “l’entrepreneur de notre salut” , et nous ne pourrons jamais assez l’en bénir. Mais il ne veut pas nous sauver sans nous, et, par suite, nous devons unir notre action à la sienne avec d’autant plus de zèle que, sans lui, nous ne pouvons rien.

Notre sanctification, notre salut même, est donc une œuvre à deux : il y faut, de toute nécessité, l’action de Dieu et notre coopération, l’accord incessant de la volonté divine et de la nôtre. Qui travaille avec Dieu profite à chaque instant ; qui s’écarte de lui tombe, ou se fatigue dans une stérile agitation. Il est donc d’une suprême importance de ne travailler qu’avec Dieu, chaque jour, à tout moment, dans nos moindres actions comme dans les grandes circonstances, puisque, en dehors de cette étroite collaboration, on perd son temps et sa peine. Combien d’œuvres paraissent pleines, et seront vides pour ce seul motif ! N’ayant pas été faites avec Dieu, malgré la peine qu’elles nous coûtent ; elles s’évanouiront à la lumière de l’éternité, comme un songe nous échappe au réveil.

Mais, dès lors que Dieu travaille avec nous à notre sanctification, il faut qu’il ait la direction de l’entreprise : rien ne devra se faire que suivant ses plans, sous ses ordres, et par le mouvement de sa grâce. Il est le premier principe et la dernière fin ; nous sommes nés pour obéir à ses volontés. Il nous appelle  “ à l’école du service divin ”, pour s’y faire notre maître ; il nous place dans “ l’atelier du Monastère ”, pour y diriger notre travail ; “il nous enrôle sous ses étendards”, pour nous conduire lui-même au combat. C’est au Souverain Maître qu’il appartient de commander, à la sagesse impeccable de combiner toutes choses ; et la créature ne peut collaborer qu’en sous-ordre avec son Créateur.

Cette continuelle dépendance nous imposera des renoncements sans nombre ; il nous faudra sacrifier souvent nos vues si courtes, nos volontés si capricieuses, et la nature se plaindra. Gardons-nous bien de l’écouter. Pouvait-il nous arriver plus heureuse fortune que d’avoir la sagesse de Dieu pour guide, sa toute-puissance pour aide, et d’être les associés de Dieu dans l’œuvre de notre salut ? D’autant plus que cette entreprise en commun est toute à notre profit : Dieu ne réclame pour sa part que sa gloire et le plaisir de nous faire du bien, il nous abandonne tout le bénéfice : il perfectionne la nature, il nous élève à une vie supérieure, il nous apporte le vrai bonheur de ce monde et la béatitude en germe. Oh ! si nous comprenions les desseins de Dieu et nos vrais intérêts, nous ne saurions avoir d’autre désir que d’être toute obéissance, d’autre crainte que de n’obéir pas assez ; nous supplierions Dieu, nous l’importunerions de nos prières, “pour que sa volonté se fasse et non pas la nôtre”. Car d’abandonner sa main sage et puissante pour suivre nos pauvres lumières et vivre au gré de nos fantaisies, ce serait une folie véritable et la suprême infortune.

Une nouvelle considération nous montrera que “le tout de l’homme est d’aimer Dieu et de faire ce qu’il veut” : c’est que la volonté divine, prise en général est la règle suprême du bien, “l’unique règle du juste et du parfait” , comme dit saint Alphonse ; et la mesure de son accomplissement est aussi la mesure de notre avancement.

Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les préceptes. Il ne suffit donc pas de dire : Seigneur, Seigneur ! pour être admis dans le royaume des cieux, il faut faire la volonté de notre Père qui est aux cieux. “Celui qui se tient uni à la volonté de Dieu, vit et se sauve ; celui qui s’en sépare, meurt et se perd”.

“ Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, puis venez et suivez-moi ” . C’est-à-dire, faites davantage la volonté divine, ajoutez à l’observation des préceptes celle des conseils.

Si vous voulez monter jusqu’aux sommets de la perfection, accomplissez la volonté de Dieu, toujours plus et mieux. Vous vous élèverez, à mesure que votre obéissance deviendra plus universelle dans son objet, plus exacte dans son exécution, plus surnaturelle dans ses motifs, plus parfaite dans les dispositions de la volonté. Compulsez les Saints Livres, interrogez la doctrine et la vie de Notre-Seigneur : on ne vous demande pas autre chose que la foi qui s’affirme par les œuvres , l’amour qui garde fidèlement la parole de Dieu . Vous serez parfaits, dans la mesure où vous ferez la volonté de Dieu.

Ce point est tellement important qu’il nous a paru bon de l’appuyer, sur quelques autorités.

“N’oubliez jamais cette grande vérité, dit sainte Thérèse : ce à quoi doivent uniquement prétendre ceux qui commencent à s’adonner à l’oraison, c’est de travailler de toutes leurs forces, avec courage et par tous les moyens possibles, à conformer leur volonté à la volonté de Dieu. Soyez bien assurés qu’en cela consiste la plus sublime perfection à laquelle on puisse s’élever dans le chemin spirituel... N’allez pas croire que notre avancement dépende de quelqu’autre moyen inconnu et extraordinaire ; non, tout notre bien consiste dans la conformité de notre volonté avec la volonté de Dieu ” . La conformité doit s’entendre ici dans son sens le plus large.

“ Chacun, dit saint François de Sales, se fait une perfection à sa mode : les uns la mettent dans l’austérité des habits, d’autres en celle du manger, en l’aumône, en la fréquentation des Sacrements, en l’oraison, en certaine sorte de contemplation passive et suréminente, d’autres en ces grâces extraordinaires que l’on appelle gratuitement données ; et tous ceux-là se trompent, prenant les effets pour la cause, l’accessoire pour le principal, et souvent l’ombre pour le corps. Pour moi, je ne sais ni ne connais point d’autre perfection que d’aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même ”. Et le saint, Docteur complète ailleurs sa pensée quand il dit : “La dévotion (ou la perfection) n’ajoute rien au feu de la charité, sinon la flamme qui rend la charité prompte, active et diligente, non seulement à l’observation des commandements, mais à l’exercice des conseils et des inspirations célestes”.

“De même, dit le P. Rodriguez, que l’amour de Dieu est la forme la plus élevée et la plus parfaite de la vertu, une soumission parfaite à la volonté divine est l’expression la plus sublime et la plus pure, la fleur la plus exquise de cet amour... D’ailleurs, n’est-il pas de toute évidence que, rien n’étant aussi bon et aussi parfait que la volonté de Dieu, on deviendra d’autant plus saint et plus vertueux, qu’on se conformera plus parfaitement à cette volonté” ?

Un disciple de saint Alphonse a résumé sa doctrine en ces termes : “Les personnes qui mettent leur sainteté à faire beaucoup de pénitences, de communions, de prières vocales, sont évidemment dans l’illusion. Toutes ces choses ne sont bonnes qu’autant que Dieu les veut ; autrement, loin de les agréer, il les déteste et les punit ; de sorte qu’elles ne servent que de moyens pour nous unir à la volonté divine. Mais, nous aimons à le répéter, toute la perfection, toute la sainteté consiste à exécuter ce que Dieu veut de nous. En un mot, la volonté divine est la règle de toute bonté et de toute vertu ; étant sainte, elle sanctifie tout, même les actions indifférentes, quand elles sont faites pour plaire à Dieu... Si nous voulons nous sanctifier, nous devons nous appliquer uniquement à ne jamais suivre notre propre volonté, mais toujours celle de Dieu ; car tous les préceptes et tous les conseils divins se réduisent en substance à faire et à souffrir tout ce que Dieu veut et comme Dieu le veut. De là, tout le Précis de la perfection peut s’exprimer en ces termes : Faire tout ce que Dieu veut, vouloir tout ce que Dieu fait”.

Mais écoutons saint Alphonse lui-même : “ Toute notre perfection consiste dans l’amour de notre Dieu infiniment aimable. Or toute la perfection de l’amour divin consiste dans l’union de notre volonté à celle de Dieu... Si donc nous désirons entièrement plaire au cœur de Dieu, tâchons non seulement de nous conformer en tout à sa sainte volonté, mais de nous y uniformer, si je puis m’exprimer ainsi, tellement que des deux volontés nous n’en fassions qu’une... Les Saints n’ont jamais eu d’autre but que de faire la volonté de Dieu, persuadés que c’est en cela que consiste toute la perfection d’une âme. Le Seigneur appelle David un homme selon son cœur, parce que ce grand roi était toujours prêt à suivre la volonté divine ; et Marie, la divine Mère, n’a été la plus parfaite entre tous les Saints que parce qu’elle a toujours été plus parfaitement unie à la volonté de Dieu” .

Le Saint des Saints, le Dieu de leur cœur, le modèle de toute perfection, a-t-il jamais été autre chose que l’amour et l’obéissance même ? Dans son dévouement pour son Père et pour les âmes, il se substitue aux holocaustes impuissants et se fait la Victime universelle. La volonté de son Père le conduira, par toutes sortes de souffrances et d’humiliations, jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Il le sait. Et c’est pour accomplir cette volonté crucifiante, mais pleine de vie, qu’il est descendu du Ciel . Dès son entrée dans le monde, il déclare à son Père qu'il l'a mise au milieu de son cœur pour l'aimer , dans ses mains pour l'exécuter fidèlement. Cette amoureuse obéissance sera sa nourriture , elle résumera sa vie cachée , elle inspirera sa vie publique, au point qu'il pourra dire : “ Je fais toujours ce qui plaît à mon Père ” ; et, sur le point de mourir, il jettera bien haut son triomphant Consummatum est : Mon Père, je vous ai aimé jusqu'à la dernière limite, j'ai achevé mon œuvre de la Rédemption, parce que j'ai fait toutes vos volontés, sans en laisser tomber un iota.

“ Uniformer ” notre volonté avec celle de Dieu, “ c'est là le sommet de la perfection, dit saint Alphonse ; nous devons y aspirer sans cesse ; ce doit être le but de toutes nos œuvres, de tous nos désirs, de nos méditations, de nos prières ” . A l'exemple de notre bien- aimé Jésus, ne voyons que la volonté de son Père en toutes choses ; que notre unique application soit de l'accomplir dans une fidélité croissante, avec une infatigable générosité, par des motifs bien surnaturels. C'est le moyen de suivre Notre-Seigneur à grands pas, et de monter près de lui dans la gloire. “ Un jour, durant une vision, la bienheureuse Stéphanie Soncino, dominicaine, fut conduite au ciel ; elle y vit plusieurs personnes qu'elle avait connues sur la terre, placées au rang des Séraphins. Il lui fut en même temps révélé qu'elles s'étaient élevées à ce degré sublime de gloire par la parfaite union de leur volonté à celle de Dieu pendant leur vie ”.

   

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