CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

CHAPITRE II
VOLONTÉ DIVINE SIGNIFIÉE ET VOLONTÉ DE BON PLAISIR

La volonté divine se montre à nous régulatrice et opératrice. Régulatrice, elle est la règle suprême du bien, signifiée de diverses manières ; et, comme nous l'avons dit, nous devons la suivre, parce que tout ce qu'elle veut est bon, rien n'est bon, que ce qu'elle veut. – Opératrice, elle est le principe universel de l'être, de la vie, de l'action : tout se fait comme elle veut , rien n'arrive que ce qu'elle veut ; il n'y a pas d'effet qui ne vienne de cette première cause, pas de mouvement qui ne remonte, à ce premier moteur; et, par suite, il n'y a pas d'événements, petits ou grands, qui ne nous révèlent une volonté du bon plaisir divin ; et nous devons nous soumettre, car Dieu a tout droit de disposer de nous comme il entend.

Dieu nous fait donc connaître sa volonté, et par les règles qu'il nous a tracées, et par les événements qu'il nous envoie. D'où la volonté de Dieu signifiée, et sa volonté de bon plaisir.

La première “ nous propose clairement (d'avance) les vérités que Dieu veut que nous croyions, les biens qu'il veut que nous espérions, les peines qu'il veut que nous craignions, ce qu'il veut que nous aimions, les commandements qu'il veut que nous observions et les conseils qu'il veut que nous suivions. Et tout cela s'appelle la volonté signifiée, parce qu'il nous a signifié et manifesté qu'il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué... La conformité de notre cœur à la volonté signifiée consiste en ce que nous voulions tout ce que la divine bonté nous signifie être de son intention, croyant selon sa doctrine, espérant selon ses promesses, craignant selon ses menaces, aimant et vivant selon ses ordonnances et avertissements ”.

“ La volonté signifiée est distinguée en quatre parties qui sont les commandements de Dieu et de l'Église, les conseils, les inspirations, les Règles et Constitutions.

“ Aux commandements de Dieu et de l'Église, il faut nécessairement que chacun obéisse, parce que c'est la volonté de Dieu absolue, qui veut qu'en cela nous obéissions si nous voulons être sauvés.

“ Ses conseils, il veut que nous les observions, non pas d'une volonté absolue, mais seulement par manière de désir. C'est pourquoi nous ne perdons pas la charité, et ne nous séparons pas de Dieu, pour n'avoir pas le courage d'entreprendre l'obéissance aux conseils (sans en faire mépris) ; même nous ne devons pas vouloir entreprendre de les pratiquer tous, mais seulement ceux qui sont plus conformes à notre vocation ; car il y en a qui sont opposés les uns aux autres... Il faut donc suivre les conseils que Dieu veut que nous suivions... Il n'est pas expédient à tous d'observer tous les conseils ; comme ils sont donnés en faveur de la charité, c'est elle qui sert de règle et de mesure à leur exécution... Ceux qu'il faut que nous pratiquions, nous (religieux), sont ceux qui sont compris dans nos Règles ” .

Pour nous, en effet, nos vœux, nos lois monastiques, les ordres et les conseils de nos supérieurs, sont l'ex-pression de la volonté divine et le code de nos devoirs d'état. Nous avons grand sujet de bénir le divin Maître ; car il a mis un soin amoureux à nous tracer jusque dans les plus minces détails ses volontés sur la Communauté et sur ses membres.

Dans les inspirations, il nous indique ses volontés sur chacun de nous plus personnellement. “Sainte Marie Egyptienne fut inspirée par la vue d'une image de Notre-Dame, saint Antoine entendant l'évangile qu'on lit à la messe, saint Augustin oyant le récit de la vie de saint Antoine, le duc de Gandie voyant l'impératrice morte, saint Pacôme voyant un exemple de charité, saint Ignace de Loyola lisant la vie des Saints” ; bref, les inspirations nous viennent par des moyens très variés. Les unes ne sont extraordinaires qu'en tant qu'elles nous portent, avec une ferveur non commune, aux exercices accoutumés.

Les autres “ s'appellent extraordinaires, parce qu'elles incitent à des actions contraires aux lois, règles et coutumes de la sainte Église, et par suite elles sont plus admirables qu'imitables ”. Le pieux Évêque de Genève indique à quels signes on discerne les inspirations divines, et comment il faut s'y comporter ; puis il conclut en ces termes : “ Dieu nous signifie sa volonté par ses inspirations. Il ne veut pourtant pas que nous discernions de nous-mêmes si ce qui nous est inspiré est sa volonté, ni surtout que nous suivions ses inspirations à tort et à travers. N'attendons pas qu'il nous manifeste lui-même ses volontés, ou qu'il nous envoie des Anges pour nous les enseigner. Mais il veut que nous recourions ès choses douteuses et d'importance, à ceux qu'il a établis sur nous pour nous conduire ”.

Ajoutons enfin que les exemples de Notre-Seigneur et des Saints, la doctrine et la pratique des vertus, appartiennent à la volonté de Dieu signifiée. Mais il est facile de les rattacher à l'un ou l'autre des quatre signes que nous venons d'indiquer.

“ Voilà donc comment Dieu nous manifeste ses volontés que nous appelons volonté signifiée. Il y a de plus la volonté du bon plaisir de Dieu, laquelle nous devons regarder en tous les événements, je veux dire en tout ce qui nous arrive : en la maladie, en la mort, en l'affliction, en la consolation, ès choses adverses et prospères, bref, en toutes choses qui ne sont point prévues ” . La volonté de Dieu se voit sans peine dans les événements qui ont Dieu directement pour auteur. De même en ceux qui viennent des créatures non libres; car elles n'ont d'action qu'autant qu'elles en reçoivent de Dieu, et elles lui obéissent sans aucune résistance. C'est principalement dans les tribulations qu'il faut voir la volonté de Dieu  : bien qu'il ne les aime pas pour elles-mêmes, il veut les employer, il les emploie en effet comme sa grande ressource pour venger l'ordre, réparer nos fautes, guérir et sanctifier les âmes. Bien plus, il faut la voir jusque dans nos péchés et ceux du prochain : volonté permissive, mais incontestable. Dieu ne concourt pas au formel du péché qui en constitue la malice ; il le hait infiniment ; il fait ce qui dépend de lui pour nous en détourner ; il le réprouve et le punira. Mais, pour ne pas nous ôter pratiquement la liberté qu'il nous a donnée, comme nous ne pouvons rien faire qu'avec son concours, il le donne au matériel de l'acte, qui n'est d'ailleurs que l'exercice naturel de nos facultés. En outre, il veut tirer le bien du mal, et, pour cela, faire servir nos fautes et celles d'autrui à la sanctification des âmes par la pénitence, la patience, l'humilité, le support mutuel, etc. Il veut aussi que, tout en remplissant le devoir de la correction fraternelle, nous supportions le prochain, que nous lui obéissions selon nos Règles, voyant,- jusque dans ses exigences et ses torts les instruments dont Dieu se sert pour nous exercer à la vertu. Saint François de Sales ne craint pas de dire, à cause de cela, que c'est surtout par notre prochain que Dieu nous manifeste ce qu'il attend de nous.

Il y a de profondes différences entre la volonté de Dieu signifiée et celle de son bon plaisir.

1° La volonté signifiée nous est connue d'avance, et généralement d'une façon très claire, par les signes ordinaires de la pensée, c'est-à-dire la parole et l'écriture. C'est ainsi que nous possédons l'Évangile, les lois de l'Église, nos saintes Règles ; nous pouvons à loisir y lire la volonté de Dieu, la confier à notre mémoire et la méditer. Les inspirations divines et les ordres de nos Supérieurs ne font exception qu'en apparence : car ils ont pour objet la loi écrite, chrétienne et monastique. — Au contraire, “on ne connaît presque point le bon plaisir divin que par les événements” . Nous mettons un presque, car il y a des exceptions : ce que Dieu fera plus tard, on le sait d'avance, s'il lui plaît de le dire ; on peut aussi le pressentir, le conjecturer, le deviner, soit d'après la marche actuelle des affaires, soit d’après les sages dispositions prises et les imprudences commises. Mais, en général, le bon plaisir divin se découvre à mesure que les événements se déroulent, et ceux-ci dépassent ordinairement notre prévoyance. Même pendant qu'ils se produisent, la volonté de Dieu peut demeurer assez obscure : il nous envoie la maladie, les sécheresses intérieures ou d'autres épreuves ; tel est son bon plaisir actuellement ; mais est-ce pour longtemps ? quelle en sera l'issue ? Nous l'ignorons.

2° Il est toujours en notre pouvoir ou de nous conformer par l'obéissance à la volonté signifiée ou de nous y soustraire par la désobéissance. C'est qu'en effet Dieu, voulant mettre en nos mains la vie ou la mort, nous laisse le choix d'obéir à sa loi ou de la transgresser jusqu'au jour de sa justice. Par sa volonté de bon plaisir, au contraire, il dispose de nous en maître souverain : sans nous consulter, souvent même contre nos désirs, il nous place dans la situation qu'il nous a choisie, et nous met en demeure d'en remplir les devoirs. Il reste en notre pouvoir de remplir ou non ces devoirs, de nous soumettre au bon plaisir divin ou de faire les révoltés ; mais il nous faut subir les événements, que nous le voulions ou non ; nulle puissance au monde ne peut en arrêter le cours. Par là, comme gouverneur et justicier suprême, Dieu rétablit l'ordre et punit le péché ; comme Père et Sauveur, il nous rappelle notre dépendance, et tâche de nous ramener dans les sentiers du devoir, quand nous nous sommes émancipés et égarés.

3° Cela étant, Dieu nous demande l'obéissance à sa volonté signifiée comme un effet de notre choix et de notre propre détermination. Pour suivre un précepte ou un point de règle, pour produire les actes des vertus théologales ou morales, il nous faut sans nul doute une grâce secrète qui nous prévienne et nous aide, grâce que nous pouvons toujours obtenir par la prière et la fidélité. Mais, la volonté de Dieu nous étant clairement signifiée, dès lors que le moment de l'accomplir est venu, nous le faisons par notre propre détermination ; nous n'avons nullement besoin d'attendre un mouvement sensible de la grâce, une motion spéciale du Saint-Esprit, quoiqu'en disent les Semi-Quiétistes anciens et modernes. Au contraire, s'il s'agit de la volonté de bon plaisir divin, il est nécessaire d'attendre que Dieu la déclare par les événements ; sans cela, nous ne savons pas ce qu'il attend de nous ; par là nous apprenons qu'il veut de nous, d'abord la soumission à son bon plaisir, puis l'accomplissement des devoirs propres à telle ou telle situation qu'il nous a choisie.

Saint François de Sales fait, à ce propos, une remarque très juste : “ Il y a des choses où il faut joindre la volonté de Dieu signifiée à celle de son bon plaisir ” . Il cite pour exemple le cas de maladie. Outre la soumission à la divine Providence, il faudra remplir les devoirs d'un bon malade, comme la patience et l'abnégation, et continuer d'être fidèle à toutes les prescriptions de la volonté signifiée, sauf les exceptions et les dispenses que peut légitimer la maladie. Le saint Docteur insiste beaucoup sur ce point que, dans les occurrences de ce genre, “ tant que le bon plaisir divin nous est inconnu, il faut nous attacher, le plus fort qu'il nous est possible, à la volonté de Dieu qui nous est signifiée, faisant avec grand soin tout ce qui en est l'objet ; mais dès que le bon plaisir de sa divine Majesté comparaît, il faut aussitôt se ranger amoureusement à son obéissance, toujours prêts à nous soumettre ès choses désagréables comme ès agréables, en la mort comme en la vie, enfin en tout ce qui n'est pas manifestement contre la volonté de Dieu signifiée, car celle-ci va devant ”.

Ces notions sont un peu arides. Mais il importe de les bien comprendre et de ne pas les oublier, parce qu'elles éclairent les questions qui vont suivre.

   

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