CHAPITRE XXXV
OÙ L'ON
CONTINUE
LA QUESTION
DES IMAGES ET
OU L'ON MONTRE
QUELLE EST
L'IGNORANCE
DE CERTAINES PERSONNES
SUR CE POINT.
Il y
aurait beaucoup à dire sur l'ignorance d'un grand nombre de personnes
à l'égard des images. La sottise va si loin que quelques-uns
mettent plus de confiance dans certaines images que dans d'autres. Ils
s'imaginent que Dieu les écoutera mieux par celles-ci que par celles-là,
bien que les deux représentent le même personnage, comme par
exemple deux images de Notre-Dame ou deux de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
La cause de cette préférence, c'est qu'ils aiment telle figure
plus que telle autre. Ils montrent par là quelle est leur ignorance
et leur grossièreté dans leurs rapports avec Dieu, dans le
culte et l'honneur qu'on lui doit; car Dieu regarde seulement la foi et
la pureté du coeur de celui qui prie. Si parfois Dieu accorde plus
de faveur par l'intermédiaire de telle image plutôt que de
telle autre, ce n'est pas parce que l'une sera plus apte que l'autre à
cet effet, malgré toute la différence qu'il y aura entre
elles, mais parce que celui qui prie est porté à plus de
dévotion devant l'une que devant l'autre. S'il a la même dévotion
avec l'une qu'avec l'autre, ou même sans l'une ni l'autre, Dieu lui
accordera la même faveur. Aussi le motif pour lequel Dieu fait des
miracles et accorde des grâces par l'intermédiaire de telle
image et non de telle autre n'est pas pour qu'on estime les unes plus que
les autres, mais pour que la dévotion endormie soit réveillée
et que les fidèles se portent à prier. De là vient
que si la dévotion est rallumée par cette image, et si la
prière continue, double condition pour que Dieu nous soit propice
et nous accorde ce que nous lui demandons, alors c'est à cause de
l'affection des fidèles et la continuité de la prière
devant cette image que Dieu continue à répandre ses faveurs
et à opérer des miracles par le moyen de cette image. Mais
il est clair que Dieu n'agit pas ainsi à cause de l'image elle-même;
car en soi elle n'est pas autre chose qu'une peinture; il agit ainsi à
cause de la foi et de la dévotion que l'on a pour le Saint représenté
par l'image. Voilà pourquoi si vous avez la même dévotion
et la même foi pour Notre-Dame devant une image que devant une autre
ou même sans sans l'une ni l'autre, comme nous l'avons dit vous recevrez
les mêmes grâces. L'expérience même démontre
que si Dieu fait quelques grâces ou quelques miracles, il les fait
d'ordinaire par le moyen d'images qui ne sont pas bien taillées,
ni bien peintes, ou bien représentées, afin que les fidèles
n'attribuent pas ces faveurs à la peinture ou à la forme.
Bien souvent Notre-Seigneur accorde des faveurs par le moyen d'images qui
sont dans des lieux très écartés. Il agit de la sorte
tout d'abord afin que le pèlerinage que l'on fait pour s'y rendre
accroisse la dévotion et en rende l'acte plus intense, en second
lieu afin qu'on s'éloigne du bruit et de la foule pour prier comme
le faisait Notre-Seigneur. Voilà pourquoi celui qui va en pèlerinage
fait bien de choisir le moment où il n'y a pas de monde, alors même
que l'époque paraîtrait extraordinaire. Mais quand il y a
beaucoup de monde, je ne lui conseille pas d'y aller; car on en revient
ordinairement plus distrait qu'avant. Beaucoup, en effet, y vont par esprit
de récréation plutôt que de dévotion. Ainsi
donc, quand il y a de la dévotion et de la foi, tout image suffit;
mais si l'une et l'autre viennent à manquer, aucune image ne suffira.
Notre-Seigneur était une image bien vivante quand il était
en ce monde, et malgré cela, ceux qui n'avaient pas la foi avaient
beau être en sa compagnie et contempler ses oeuvres merveilleuses,
ils n'en tiraient aucun profit. C'est là le motif pour lequel il
ne faisait pas beaucoup de miracles dans son pays, comme nous le raconte
l'Évangéliste. (Luc, IV, 24).
Je veux
encore parler ici de quelques effet surnaturels que des images produisent
parfois chez certaines personnes. Dieu communique à une âme
une impression spirituelle à l'aide d'une image: il le fait de telle
sorte que l'image et la dévotion qu'elle lui a causée restent
fixées dans son esprit et lui sont comme présentes; lorsqu'elle
se souvient tout à coup de cette image, elle en éprouve un
effet qui est le même que la première fois, ou plus grand
ou plus faible; tandis qu'une autre image beaucoup plus belle ne produit
pas cette impression.
Il y
a aussi beaucoup de personnes qui ont plus de dévotion pour les
images de telle forme que de telle autre forme, et chez quelques-uns ce
ne sera qu'une question d'affection ou de goût naturel; il en est
ainsi de celui qui a plus de sympathie pour le visage d'une personne que
pour celui d'une autre; il lui porte naturellement plus d'affection et
son souvenir lui est très présent alors même que ce
visage serait moins beau que celui des autres; mais il a un attrait naturel
pour cette sorte de forme et de figure. Aussi quelques personnes prendront-elles
pour de la dévotion l'affection qu'elles ont pour telle ou telle
image, et ce ne sera peut-être qu'une affection ou un goût
de la nature.
D'autres
fois, il arrive qu'en regardant une image on la voit se mouvoir, changer
de physionomie, faire des signes, donner certaines choses à entendre,
parler de telle ou telle sorte. Ces faits surnaturels des images dont nous
parlons peuvent être bons et vrais très souvent. Dieu les
produit pour augmenter la dévotion, ou donner à l'âme
quelque appui auquel elle s'attache afin de soutenir sa faiblesse et ne
point se perdre dans les distractions. Mais bien des fois aussi c'est le
démon qui les produit pour tromper et pour nuire. Voilà pourquoi
dans le chapitre suivant nous enseignerons la ligne de conduite que requièrent
l'un et l'autre cas.
CHAPITRE XXXVI
DE LA MANIÈRE
DONT IL FAUT
RAPPORTER
À DIEU
LA JOIE QUE LA VOLONTÉ
TIRE DES IMAGES,
AFIN DE NE PAS Y
TROUVER UNE
CAUSE D'ERREUR
ET UN OBSTACLE.
Les images
sont très utiles pour nous rappeler le souvenir de Dieu et des Saints;
elles portent la volonté à la dévotion, quand on s'en
sert comme il convient, et selon la voie ordinaire. Au contraire, elles
peuvent jeter dans de grandes erreurs, si, quand il se présente
des faits surnaturels à leur occasion, l'âme ne sait pas se
guider comme il convient dans sa marche vers Dieu. Et, en effet, un des
moyens dont se sert le démon pour tromper facilement les âmes
imprudentes et les empêcher de suivre le chemin de la vraie vie spirituelle
c'est celui des choses supranaturelles et extraordinaires. Il les manifeste
soit dans les images matérielles et corporelles en usage dans l'Église,
soit dans celles qu'il a coutume de représenter à l'imagination
en lui montrant tel ou tel Saint ou son image; c'est ainsi qu'il se transforme
en ange de lumière pour nous tromper. Il applique sa ruse à
se servir des mêmes moyens qui nous sont donnés pour nous
guérir ou nous soutenir; il se dissimule de la sorte, pour mieux
surprendre notre imprudence. Voilà pourquoi l'âme vertueuse
doit toujours se tenir davantage sur ses gardes, quand elle accomplit le
bien; car ce qui est mauvais porte en lui-même son cachet distinctif.
Aussi faut-il éviter tous les inconvénients auxquels l'âme
est exposée alors. Ces inconvénients sont d'être empêchée
de prendre son vol vers Dieu, de se servir des images d'une manière
grossière et inintelligente, d'être trompée naturellement
ou surnaturellement par elles, toutes choses dont il a déjà
été parlé; de plus, il faut purifier le goût
que la volonté porte à ces images et par elles élever
l'âme vers Dieu car tel est le but de l'Église en nous en
recommandant l'usage. Pour obtenir ce résultat, je ne veux donner
ici qu'une seule recommandation qui répond à tout. La voici.
Dès lors, que les images ne doivent nous servir que comme des moyens
qui nous rappellent les choses invisibles, nous ne rechercherons en elles
que ce qui porte la volonté à aimer l'objet vivant qu'elles
représentent et à y mettre sa joie. Voilà pourquoi
le fidèle aura soin de ne pas rechercher la satisfaction des sens
lorsqu'il verra une image, qu'elle soit corporelle ou imaginaire, bien
travaillée ou richement ornée, qu'elle lui inspire une dévotion
sensible ou spirituelle, qu'elle lui donne des indications surnaturelles.
Il ne fera aucun cas de ces choses accidentelles; il ne s'y arrêtera
pas. Dès qu'il aura fait à l'image l'acte de vénération
que commande l'Église, il élèvera immédiatement
sa pensée à l'objet qu'elle représente; il mettra
en Dieu ou dans le Saint qu'il invoque la joie et le plaisir de sa volonté,
par l'amour qu'il lui portera et la prière qu'il lui adressera.
Car ce qu'il y a de vivant et de spirituel dans le culte de l'image ne
sera point frustré par la peinture de l'image ou l'impression sensible
qu'elle produit. De la sorte, il ne s'exposera pas à l'illusion,
puisqu'il ne fera aucun cas de ce que l'image lui dira; il n'occupera point
l'esprit et le sens à l'empêcher d'aller librement vers Dieu;
il ne mettra pas plus sa confiance dans une image que dans une autre. Celle
qui lui inspirait surnaturellement de la dévotion lui en donnera
alors plus abondamment, parce qu'il ira alors tout de suite vers Dieu avec
amour. D'ailleurs, chaque fois que Dieu accorde ces faveurs dont nous avons
parlé et d'autres semblables, il ne les accorde qu'en inclinant
l'amour et la joie de la volonté vers ce qui est invisible. C'est
là ce qu'il veut que nous fassions en détruisant la force
des puissances et le joug où elles nous tiennent du côté
de toutes les choses visibles et sensibles.
|