CHAPITRE XI
OÙ L'ON
TRAITE
DES VISIONS
IMAGINAIRES
ET NATURELLES.
ON DIT CE QU'ELLES
SONT ET L'ON
PROUVE COMMENT ELLES
NE PEUVENT
ÊTRE UN MOYEN CONVENABLE
POUR PARVENIR
À L'UNION DIVINE.
ON MONTRE
ENFIN LES DOMMAGES
QU'IL Y A
À NE PAS SAVOIR
S'EN DÉGAGER
À TEMPS.
Avant
de parler des visions imaginaires qui ont coutume de se présenter
surnaturellement aux ses intérieurs, qui sont l'imagination et la
fantaisie, il convient, pour procéder avec ordre, de parler ici
des perceptions naturelles de ce même sens intérieur corporel.
Nous procéderons ainsi du moins au plus, de ce qui est plus extérieur
à ce qui est plus intérieur, et nous arriverons ainsi jusqu'au
recueillement intime où l'âme s'unit à Dieu.
Nous
avons parlé du détachement de l'âme par rapport aux
communications naturelles des objets extérieurs et par conséquent
des forces naturelles de nos tendances: tel a été l'objet
du premier livre, où nous avons traité de la Nuit des sens.
Aussitôt après, nous avons commencé à parler
en particulier du détachement de l'âme par rapport aux communications
extérieures surnaturelles, qui se produisent dans les sens extérieurs,
comme nous venons de le voir dans le chapitre précédent;
notre but dans ce second livre est d'introduire l'âme dans la nuit
de l'esprit.
Or l'objet
qui se présente à nous tout d'abord, c'est le sens intérieur
corporel, c'est-à-dire l'imagination et la fantaisie. Nous devons
également dépouiller ce sens de toutes les formes et conceptions
imaginaires qu'il peut naturellement avoir; nous devons prouver, en outre,
comment il est impossible à l'âme d'arriver à l'union
divine tant qu'elle ne cessera pas d'agir d'après ces connaissances,
car elles ne peuvent lui servir de moyen proportionné et immédiat
pour l'amener à l'union.
Il faut
donc savoir que les sens dont nous nous occupons ici en particulier sont
les deux sens corporels intérieurs, qu'on appelle l'imagination
et la fantaisie. Ils sont ordonnés l'un à l'autre et se prêtent
un mutuel concours.
L'un
produit une sorte de raisonnement imparfait, l'autre forme l'image conforme
à l'objet représenté. Mais pour le but que nous nous
proposons, parler de l'un c'est parler de l'autre. Aussi, quand nous ne
les nommerons pas en particulier, il est convenu que ce que nous dirons
de l'un s'entend aussi de l'autre, et que nous parlons indifféremment
des deux.
Cela
posé, nous disons que tout ce que les sens peuvent recevoir ou fabriquer
s'appelle imagination ou fantaisie; ce sont des formes qui, sous l'image
ou la figure d'un corps, se représentent aux sens. Ces formes peuvent
être de deux sortes. Les unes sont surnaturelles; elles n'ont pas
besoin du concours des sens pour être représentées
et sont représentées en eux passivement; nous les appelons
visions imaginaires qui viennent par la voie surnaturelle, nous en parlerons
plus tard. Les autres sont naturelles; ce sont celles que les sens peuvent
produire à l'aide de leur activité personnelle par des formes,
figures ou images. C'est à ces deux puissances que se réfère
la méditation, qui est un acte discursif aidé par les images,
formes et figures qui sont fabriquées et formées dans les
sens. Il en est ainsi quand nous nous représentons Notre-Seigneur
Jésus-Christ crucifié, attaché à la colonne
ou souffrant dans une autre scène de sa Passion, quand nous considérons
Dieu assis sur son trône et environné d'une grande majesté,
ou encore quand nous nous imaginons la gloire du ciel comme une lumière
incomparable, ou quoi que ce soit d'humain ou de divin.
Or l'âme
doit rejeter toutes ces imaginations ou représentations et demeurer
dans l'obscurité par rapport à ce sens intérieur si
elle veut parvenir à l'union divine. Elle n'ont en effet aucune
proportion, aucun rapport immédiat avec Dieu, et n'ont pas plus
de puissance que les représentations corporelles qui proviennent
des cinq sens extérieurs. La raison, la voici: l'imagination ne
peut rien produire ou représenter en dehors de ce que les sens extérieurs,
par exemple la vue, l'ouïe..., ont expérimenté. Tout
au plus peut-elle former une ressemblance des choses vues, entendues ou
senties, et encore cette ressemblance ne s'élève pas à
une entité plus grande et plus importante que celle reçue
par les sens. On a beau, en effet, imaginer des palais de diamants ou des
montagnes d'or, parce que l'on aura vu de l'or et des diamants, tout cela
est en réalité inférieur à l'essence d'un peu
d'or et de diamant, malgré la quantité et la splendeur de
la chose imaginée. Et comme toutes les choses créées,
ainsi que nous l'avons dit, ne peuvent avoir la moindre proportion avec
l'être de Dieu, il s'ensuit que toutes les images qu'on en formera
ne peuvent servir de moyen proche à l'union divine; nous le répétons,
elles seraient plutôt un obstacle. Ceux donc qui se représentent
Dieu sous quelqu'une de ces images, ou celle d'un feu dévorant,
d'une lumière éclatante ou de quelque autre forme, et qui
croient par là acquérir quelque ressemblance avec lui, s'en
éloignent au contraire beaucoup. Sans doute les commençants
ont besoin de ces considérations, de ces représentations,
et de ces sortes de méditations pour enflammer peu à peu
leur amour et donner à l'âme un aliment par le moyen des sens,
comme nous le dirons dans la suite. Elles leur servent donc comme d'un
moyen éloigné de s'unir à Dieu; c'est par là
que passent d'ordinaire les âmes pour arriver au terme et à
la demeure du repos spirituel. Mais elles doivent se contenter d'y passer
et veiller à ne pas s'y fixer, parce qu'alors elles n'arriveraient
jamais au terme qui n'a aucun rapport avec ces moyens éloignés
et n'a rien à voir avec eux. Ces moyens sont comme les degrés
de l'escalier: ils n'ont rien qui ressemble au terme, à la demeure
qui est au sommet; ils ne sont que des moyens pour y monter; si celui qui
monte ne les laisse pas derrière lui, les uns après les autres
jusqu'au dernier, il n'arrivera pas, il ne parviendra pas à cette
demeure où il n'y a plus à monter et où tout est paisible.
De même, l'âme qui, dès cette vie veut parvenir à
l'union avec Celui qui est notre repos souverain et notre Bien suprême,
doit passer par tous les degrés des considérations, des représentations
et des connaissances, et s'en défaire, car elles n'ont aucune ressemblance
ou proportion avec le terme avec lequel elles conduisent, c'est-à-dire
avec Dieu. Aussi saint Paul dit-il dans les Actes des Apôtres «
Non debemus aestimare auro, aut argento, aut lapidi sculputurae artis,
et cogitationis hominis, Divinum esse similie: Nous ne devons pas penser
que l'Être divin est semblable à l'or, à l'argent ou
à la pierre précieuse bien travaillée, ou à
l'imagination de l'homme (Act. XVII, 2). » Voilà pourquoi
beaucoup de personnes qui sont adonnées à la spiritualité
se trompent étrangement. Elles se sont exercées à
s'approcher de Dieu par le moyen des images, des représentations
et des méditations, comme il convient à des commençants;
or Dieu veut les appeler à des biens plus élevés qui
sont intérieurs et invisibles; dans ce but, il les prive du goût
et de la saveur qu'elles trouvaient dans la méditation discursive;
et elles n'en finissent plus; elles n'ont ni courage ni savoir-faire pour
se dégager de ces manières grossières et palpables
auxquelles elles sont habituées; elles travaillent même à
les conserver; elles veulent comme précédemment se servir
encore des considérations et de la méditation, et s'imaginent
qu'il en doit être toujours ainsi. Cette méthode leur donne
beaucoup de peine, mais leur procure très peu de suavité
et même ne leur en procure aucune; par là, au contraire, elles
augmentent d'autant plus la sécheresse, la fatigue et l'inquiétude,
qu'elles recherchent davantage la suavité première qu'il
n'y a plus espoir de recouvrer. Comme nous l'avons dit, l'âme ne
goûte plus cette nourriture si sensible; il lui en faut une autre
plus délicate, plus intérieure, moins sensible, qui ne consiste
plus dans le travail de l'imagination mais dans le repos et la quiétude,
et cette nourriture est plus spirituelle. Plus l'âme, en effet, se
spiritualise, plus elle diminue les actes particuliers de ses puissances.
Elle se concentre dans un seul acte général et pur, et alors
ses puissances abandonnent la voie qui l'avait amenée à cet
état. C'est ainsi que cessent de marcher et s'arrêtent les
pieds à la fin de la course; car si le voyageur devait toujours
marcher, il n'arriverait jamais. Si tout n'était que moyen, où
et quand jouirait-on de la fin et du terme?
C'est
donc une chose digne de pitié d'en voir un grand nombre qui, voulant
le repos et le calme de la quiétude intérieure pour y goûter
la paix et s'y nourrir de Dieu, troublent leur âme, la ramènent
dehors à ce qui est plus extérieur, l'obligent à recommencer
sans motif le chemin déjà parcouru, quittent ce but, ce terme
où elle se reposait déjà, et reprennent le chemin
des considérations qui l'y avaient amenée. Ce n'est pas sans
dégoût et sans répugnance qu'elle s'y résigne.
Elle préférerait rester dans cette paix inexprimable comme
dans son centre; et elle gémit comme cet homme qui, à force
de travail, est parvenu au lieu de son repos et qu'on oblige à reprendre
le travail. Malheureusement ces personnes ne comprennent pas le mystère
de cette nouveauté; elles s'imaginent qu'elles sont dans l'oisiveté
et qu'elles ne font rien; elles ne consentent pas à laisser leur
âme tranquille, elles s'efforcent de la conduire toujours dans la
voie des considérations et de la méditation discursive. Elles
ne font que tomber dans une sécheresse plus grande, et c'est en
vain qu'elles s'efforcent de trouver de la suavité dans un aliment
qui n'en a plus pour elles. On peut bien leur appliquer le proverbe: Plus
il gèle, plus l'on souffre du froid. Plus elles persévèrent
dans cette conduite, et plus leur état empire, parce qu'elles sortent
leur âme de la paix de l'esprit; elles laissent le plus pour le moins;
elles recommencent le chemin déjà parcouru et veulent refaire
ce qui était déjà fait.
A ces
personnes il faut dire qu'elles apprennent à garder la quiétude
de l'esprit dans une considération et contemplation pleine d'amour
pour Dieu, et à ne se préoccuper ni de leur imagination ni
de ce qu'elle fait. C'est ici, nous le répétons, que les
puissances de l'âme sont dans le repos; elles n'agissent pas; si
parfois elles montrent quelque activité, ce n'est pas avec effort,
ni à l'aide de discours préparés, mais avec la suavité
de l'amour et sous l'impulsion de Dieu plutôt que de leur propre
habileté, comme nous le verrons plus loin.
Pour
le moment, ce que nous avons dit suffit pour montrer comment il convient
et comment il est nécessaire à ceux qui veulent progresser,
de savoir se détacher à temps de toutes ces méthodes,
sortes d'oraison ou représentations imaginaires, et lorsque le demande
et le requiert le progrès de l'état où ils se trouvent.
Afin que l'on comprenne l'époque, le moment opportun, nous donnerons
quelques signes; l'homme adonné à la spiritualité
qui les découvrira en soi comprendra que le moment et l'heure ont
sonné où il peut librement se servir du moyen indiqué
et cesser de marcher par la voie du raisonnement et du travail de l'imagination.
(Les anciennes éditions commençaient ici le chapitre XIII.
Le P. Silverio fait de même).
Pour
que cette doctrine ne reste pas confuse, il convient de montrer à
quel temps, à quelle époque, l'homme, adonné à
la spiritualité, doit abandonner l'oraison discursive qu'il fait
au moyen des représentations, images, formes et figures dont nous
avons parlé; car il ne doit les abandonner ni plus tôt, ni
plus tard que ne le demandent les dispositions de son âme. S'il convient
de les quitter à temps pour qu'elles n'empêchent pas l'âme
d'aller à Dieu, il est également nécessaire de ne
pas abandonner avant le temps la méditation imaginaire, sous peine
de retourner en arrière. Sans doute, les opérations de ces
puissances ne sont pas un moyen proche d'union à Dieu pour ceux
qui sont déjà avancés, elles servent cependant aux
commençants de moyens éloignés pour disposer et préparer
leur esprit par les sens aux choses spirituelles; elles servent également
à écarter en passant toutes les autres formes ou images grossières,
matérielles, mondaines, naturelles.
Nous
donnerons donc ici quelques signes ou marques que l'homme adonné
à la spiritualité doit découvrir en soi pour juger
s'il convient ou non de laisser ces formes à un moment donné.
Les signes
que l'homme adonné à la spiritualité doit découvrir
en soi pour abandonner la méditation discursive sont au nombre de
trois.
Premier
signe. L'âme découvre qu'il lui est désormais impossible
de méditer et de se servir de l'imagination; elle n'y puise aucun
goût comme précédemment. Elle trouve, au contraire,
de la sécheresse dans ce qui auparavant captivait habituellement
ses sens et lui procurait de la suavité. Mais tant qu'elle y trouvera
du goût et qu'elle pourra se servir de la méditation discursive,
elle ne doit pas s'en éloigner, et elle y restera jusqu'à
ce que son âme soit placée dans la paix et la quiétude
dont nous parlerons quand il sera question du troisième signe.
Second
signe. L'âme n'éprouve aucune envie d'appliquer son imagination
et ses sens à d'autres objets particuliers, soit extérieurs,
soit intérieurs. Je ne dis pas qu'elle doive constater alors que
son imagination ne va plus ici ou là, car cette faculté a
coutume d'être vagabonde, même quand l'âme jouit d'un
profond recueillement; mais je dis qu'il s'agit du moment où l'âme
n'a plus envie d'appliquer à dessein son imagination sur ces objets.
Troisième
signe. Ce troisième signe est le plus certain. L'âme se plaît
à se trouver seule avec Dieu, à le regarder avec amour sans
s'occuper d'aucune considération particulière; elle jouit
de la paix intérieure, du calme, et du repos; elle ne produit aucun
acte des puissances ni de la mémoire, ni de l'intelligence, ni de
la volonté; je parle d'actes au moins raisonnés qui passent
d'une idée à une autre; elle a seulement cette connaissance
ou attention générale et amoureuse dont nous avons parlé,
mais sans avoir l'intelligence particulière d'un autre objet.
L'âme
adonnée à la spiritualité doit reconnaître en
elle au moins ces trois signes réunis pour se décider en
toute sécurité à abandonner l'état de méditation
discursive et sensitive et entrer dans celui de contemplation et de pur
esprit. Il ne lui suffit pas d'avoir le premier seul, sans le second. Car
il pourrait se faire que l'impuissance de se représenter et de méditer
les choses de Dieu comme précédemment vînt de ses distractions
ou de son peu de recueillement. Il faut donc qu'elle découvre en
elle le second signe, c'est-à-dire qu'elle n'éprouve aucune
envie, aucun désir de s'occuper d'autres choses étrangères:
quand, en effet, l'impuissance de fixer l'imagination et les sens dans
les choses de Dieu procède de la distraction ou de la tiédeur,
l'âme éprouve aussitôt le désir et l'envie de
s'occuper d'autres choses différentes, et trouve des prétextes
pour abandonner l'oraison.
Il ne
suffit pas, non plus, de découvrir en soi le premier et le second
signe, il faut avoir simultanément le troisième. Si, en effet,
l'âme constate qu'elle ne peut discourir sur les choses de Dieu ni
y penser et que, de plus, elle n'a pas envie de s'occuper de choses différentes,
cet état pourrait procéder de la mélancolie ou de
quelque autre humeur provenant de la tête ou du coeur; cette humeur,
en effet, cause ordinairement dans nos sens une sorte d'enivrement ou suspension
des facultés, de telle sorte que l'on ne pense à rien; on
ne songe qu'à goûter les charmes de cet assoupissement. Pour
se prémunir de pareille illusion, l'âme doit constater qu'elle
possède le troisième signe, qui consiste dans la connaissance
et l'attention amoureuse de Dieu qui, comme nous l'avons dit, lui communiquent
la paix.
Il est
vrai que, dans les commencements de cet état, on ne s'aperçoit
presque pas de cette connaissance amoureuse, et cela pour deux raisons:
la première, parce que, dans les débuts, cette connaissance
amoureuse est ordinairement très subtile et délicate et presque
insensible; la seconde, parce que l'âme, ayant été
habituée à l'autre exercice, celui de la méditation
qui est totalement sensible, ne comprend pas ou presque pas cette connaissance
insensible, nouvelle pour elle et purement spirituelle. Cela lui arrive
surtout lorsque, par suite de cette ignorance, elle ne garde pas le repos
et s'efforce de continuer son premier état qui était plus
sensible; aussi, bien qu'elle se trouve dans une paix intérieure
pleine d'amour, plus abondante, elle n'arrive pas à s'en rendre
compte et à en jouir. Toutefois, plus elle s'habituera à
se tenir dans le calme, plus aussi elle le sentira et plus elle goûtera
cette connaissance générale et amoureuse de Dieu; elle s'y
plaira plus que dans toutes les choses créées, parce qu'elle
y trouvera la paix et le repos, la saveur et les délices, sans qu'il
lui en coûte de fatigue.
Pour
donner plus de clarté à cette pensée, nous en exposerons
au chapitre suivant les causes ou les motifs, et nous verrons ainsi que
les trois signes dont nous avons parlé sont nécessaires pour
passer à l'état de contemplation surnaturelle.
CHAPITRE XII
ON PROUVE LA
CONVENANCE
DES SIGNES
DONT IL A
ÉTÉ QUESTION, ET ON
MONTRE LA
NÉCESSITÉ POUR L'ÂME
DE LES CONSTATER
EN ELLE-MÊME
POUR MONTER
PLUS HAUT.
Il faut
savoir, au sujet du premier signe dont nous avons parlé, que l'âme
adonnée à la spiritualité qui doit entrer dans la
voie de l'esprit, c'est-à-dire la contemplation, doit abandonner
la voie imaginaire ou de méditation sensible, lorsqu'elle n'y trouve
plus aucun goût et qu'elle est dans l'impossibilité de discourir.
Il y a à cela deux raisons, qui n'en forment pour ainsi dire qu'une
seule. La première, c'est que l'âme a déjà reçu
d'une certaine manière tout le bien spirituel qu'elle devait trouver
dans les choses de Dieu par la voie de la méditation et du raisonnement.
La marque consiste en ce qu'elle ne peut plus comme précédemment
ni méditer, ni faire de raisonnement, ni y trouver du goût
ou de la suavité; car elle n'était pas encore arrivée
jusqu'alors à l'esprit qu'il y avait là pour elle. D'ordinaire,
en effet, chaque fois que l'âme reçoit quelque nouveau bien
spirituel, elle le goûte au moins spirituellement et dans le moyen
qui le lui communique et lui est utile; sans cela, ce serait une merveille
qu'il lui fût de quelque utilité. Elle ne trouve pas dans
sa cause cet attrait et cette saveur qu'elle éprouve lorsqu'elle
le reçoit. Et alors se vérifie l'axiome des philosophes:
Quod sapit, nutrit: ce qui a de la saveur fortifie et donne de l'embonpoint.
Aussi Job a-t-il dit: Numquid... poterit comedi insulsum, quod non est
sale conditum? « Est-ce que l'on peut manger ce qui est fade et nullement
assaisonné de sel? (Job, VI, 6) ».
Telle
est la cause pour laquelle l'âme ne peut plus méditer ni discourir
comme précédemment: le peu de goût que l'esprit y trouve
et le peu de fruit qu'il en tire.
Le second
motif vient de ce que l'âme possède déjà l'esprit
de la méditation substantiellement et habituellement. Il faut savoir
que la fin de la méditation et du discours dans les choses de Dieu
est d'arriver à quelque connaissance et amour de Dieu; or chaque
fois que l'âme produit ce fruit par la méditation, elle accomplit
un acte, et de même que, dans tous les genres la multiplicité
des actes finit par engendrer dans l'âme l'habitude, de même
les actes multipliés de ces connaissances pleines d'amour de Dieu
que l'âme a produits arrivent à en former l'habitude. Dieu
a coutume, de son côté, de produire ce résultat en
beaucoup d'âmes, sans l'intermédiaire de ces actes, ou du
moins d'un grand nombre d'entre eux; il les met tout de suite dans la contemplation
et dans l'amour.
Ainsi
ce que précédemment l'âme obtenait parfois à
l'aide de la méditation sur des connaissances particulières
est, comme nous l'avons dit, devenu par l'usage une habitude et s'est changé
en une connaissance amoureuse de Dieu qui est générale, sans
rien de distinct ni de particulier comme avant. Aussi, dès que l'âme
se met en oraison, elle ressemble à celui qui a l'eau à sa
portée; il se désaltère avec plaisir sans qu'il lui
en coûte le moindre travail et qu'il soit nécessaire d'amener
l'eau spirituelle par les moyens précédents, c'est-à-dire
les raisonnements, les représentations et les images. Dès
qu'elle se met en présence de Dieu, elle possède la connaissance
de Dieu confuse, amoureuse, pleine de paix et de calme, et boit les eaux
de la sagesse, de l'amour et de la suavité. Voilà pourquoi
elle éprouve beaucoup de peine et de répugnance lorsqu'on
veut que, dans cet état de paix, elle s'applique à la méditation
et aux connaissances particulières. Il lui arrive comme à
l'enfant que l'on force à abandonner le sein où il prend
le lait qui y est déjà amené, pour l'obliger à
l'y attirer par la pression et le mouvement des mains. Il ressemble encore
à celui qui, goûtant d'un fruit après en avoir ôté
l'écorce, se voit obligé de le laisser pour recommencer à
lui enlever la même écorce, qui n'existe plus; et ainsi il
ne pourrait plus savourer le fruit qu'il avait en main. Ne serait-il pas
semblable à celui qui abandonne la proie qu'il possède, pour
courir après celle qu'il ne possède pas?
Telle
est la conduite d'un grand nombre d'âmes qui commencent à
entrer dans cet état. Elles s'imaginent que toute leur occupation
doit consister à raisonner et à se représenter quelques
particularités des choses de Dieu par des figures et des images,
quand c'est là l'écorce de la vie spirituelle. Elles n'y
trouvent point cette quiétude pleine d'amour substantielle à
laquelle elles aspirent; elles ne comprennent rien à ce qui se passe;
elles se croient perdues et se figurent perdre le temps; et alors elles
recherchent de nouveau l'écorce de la vie spirituelle, c'est-à-dire
les raisonnements; mais elles ne la trouvent plus, parce que cette écorce
a disparu; et ainsi elles ne jouissent point du fruit en lui-même
de la contemplation, ni même de son écorce qui est la méditation.
Alors elles se troublent à la pensée qu'elles vont à
reculons et qu'elles se perdent. Et, en vérité, elles se
perdent, mais ce n'est pas de la manière qu'elles pensent. Elles
se perdent en effet, par rapport à leurs propres sens et à
leur première manière de sentir et de comprendre les choses;
car par là elles gagnent le fruit spirituel qu'on est en train de
leur donner; et moins elles comprennent ce qui se passe, plus elles entrent
dans la nuit de l'esprit dont il est question dans ce livre et par laquelle
elles doivent passer pour s'unir à Dieu, qui surpasse toute connaissance.
Il y
a peu à dire du second signe. On voit avec évidence qu'il
est impossible à l'âme de goûter alors les imaginations
étrangères et mondaines, dès lors qu'elle ne goûte
pas les choses de Dieu qui sont plus conformes à son état,
et cela pour les motifs dont nous avons parlé. Toutefois, ainsi
que nous l'avons dit, l'imagination a coutume, au milieu de ce recueillement,
d'aller et de venir, elle se laisse à sa mobilité naturelle,
sans que l'âme s'y plaise ou y consente; elle en éprouve plutôt
de la peine en se voyant troublée dans sa paix et sa tranquillité.
Il convient
et il est nécessaire, pour pouvoir abandonner la méditation,
d'avoir le troisième signe dont nous avons parlé et qui consiste
dans une connaissance et vue générale ou amoureuse de Dieu.
Toutefois il ne semble pas nécessaire d'insister ici, dès
lors que nous en avons déjà parlé un peu à
l'occasion du premier signe, et que nous en traiterons expressément
lorsqu'il sera question de cette connaissance générale et
confuse, c'est-à-dire après que nous aurons achevé
tout ce qui concerne les conceptions particulières de l'entendement.
Pour
le moment, nous donnerons une seule raison qui montre avec évidence
comment le contemplatif doit, dans le cas où il lui faut abandonner
la voie de la méditation et du raisonnement, avoir nécessairement
cette connaissance ou vue amoureuse de Dieu d'une façon générale;
car si l'âme n'avait pas alors cette connaissance et cette présence
de Dieu, il s'ensuivrait qu'elle ne ferait rien et qu'elle n'aurait rien:
et, en effet, après avoir abandonné la méditation
qui l'aide à discourir par ses puissances sensitives, s'il lui manque
aussi la contemplation, ou connaissance générale dont nous
avons parlé et où elle tient en activité ses puissances
spirituelles, la mémoire, l'entendement et la volonté, qui
sont déjà unies dans cette connaissance toute faite et possédée,
elle serait nécessairement privée de tout exercice par rapport
à Dieu; car l'âme ne peut agir, ni recevoir, ni conserver
ce qu'elle a acquis, si ce n'est par la voie de ces deux puissances sensitives
et spirituelles.
Par le
moyen des puissances sensitives, nous l'avons vu, elle peut discourir,
chercher, acquérir la connaissance des choses; par le moyen des
puissances spirituelles elle peut se réjouir dans l'objet de ces
connaissances déjà reçues, sans que ses puissances
exercent encore leur travail, leur recherche, ou leur raisonnement.
Ainsi
donc, la différence qu'il y a entre l'exercice des puissances dans
l'un et l'autre état, est celle qui existe entre travailler
à une oeuvre et jouir de l'oeuvre faite, ou encore entre recevoir
et profiter de ce que l'on a reçu, ou entre se fatiguer à
suivre un chemin et se reposer au terme de ce chemin, ou, si l'on veut,
entre préparer un mets et manger et savourer le mets déjà
préparé et mastiqué.
Si l'âme
n'est nullement occupée sous aucun de ces deux rapports, si elle
n'agit pas à l'aide de ses puissances sensitives dans la méditation
ou le raisonnement, ou à l'aide de ses puissances spirituelles dans
la contemplation et connaissance simple dont nous avons parlé et
dans laquelle elle jouit d'un bien reçu et acquis, en un mot, si
elle ne se sert nullement de ses puissances, on ne voit pas où ni
comment on pourrait dire qu'elle est occupée. Il est donc nécessaire
pour elle de posséder cette connaissance générale
avant d'abandonner la voie de méditation ou de raisonnement.
Il faut
savoir ici que cette connaissance générale dont nous parlons
est parfois très subtile et très délicate, surtout
quand elle est plus pure, plus simple, plus parfaite, plus spirituelle,
plus intérieure; aussi l'âme, tout en s'en occupant, ne la
voit pas et ne la sent pas. Cela arrive surtout, nous le répétons,
quand cette connaissance est en soi plus lumineuse, plus pure, plus simple
et plus parfaite; et elle l'est d'autant plus que l'âme qui la reçoit
est plus pure et plus dégagée des autres notions et connaissances
particulières où pouvaient avoir prise l'entendement et le
sens. Aussi l'âme manquant des connaissances qui sont fournies par
l'entendement et le sens selon leur capacité habituelle, ne les
sent plus; elle n'a plus sa sensibilité accoutumée. C'est
là le motif pour lequel, bien que cette connaissance soit plus pure,
plus simple, plus parfaite, elle est moins sentie de l'entendement et lui
paraît plus obscure. Au contraire, quand elle se trouve dans un entendement
moins pur et moins simple, elle lui paraît plus claire et plus importante;
parce qu'elle est alors investie, mélangée, enveloppée
de quelques formes intelligibles, il est plus facile à l'entendement
et aux sens de s'y arrêter.
Une comparaison
fera mieux comprendre cette pensée. Voici un rayon de soleil qui
entre par la fenêtre d'un appartement; or plus ce rayon est rempli
d'atomes et de grains de poussières, plus aussi il est palpable,
sensible et perceptible au sens de la vue. Mais il est évident que
ce rayon est aussi moins pur, moins lumineux, moins simple, moins parfait,
dès lors qu'il est rempli de tant de grains de poussière
et d'atomes. Nous voyons, en outre, que plus le rayon est pur et dégagé
de cette poussière et de ces atomes, moins il est palpable, et plus
il paraît obscur à l'oeil matériel; plus il est pur,
et plus il paraît obscur et insaisissable. Si ce rayon était
complètement pur et dégagé de tous ces atomes et de
toute cette poussière même la plus subtile, il serait alors
tout à fait obscur et imperceptible pour l'oeil, qui n'y trouverait
plus rien des objets visibles; l'oeil n'aurait plus d'objets visibles où
s'arrêter, parce que la lumière n'est pas l'objet de la vue,
mais un moyen de voir l'objet visible. Aussi, quand il n'y a point d'objets
sur lesquels la lumière ou le rayon puissent se refléter,
on ne voit ni cette lumière, ni ce rayon. Si un rayon, par exemple,
entre par une fenêtre et sort par l'autre sans rencontrer quelque
objet qui fasse corps, il semble bien qu'on ne verra rien. Et cependant
le rayon serait en soi plus pur et plus limpide que quand il est tout enveloppé
d'atomes visibles et qu'il se voit et se fait sentir plus lumineux.
Ainsi
en est-il de la lumière spirituelle par rapport à l'entendement,
qui est la vue de l'âme. Cette connaissance générale,
cette lumière surnaturelle dont nous parlons, se communique avec
tant de pureté et de simplicité, et dans un dégagement
et éloignement si complet de toutes formes intelligibles qui sont
les objets propres de l'entendement, que l'entendement ne la sent pas,
ne la voit pas. Parfois même, au contraire, quand cette connaissance
est plus pure, elle aveugle l'entendement, parce qu'elle le prive de ses
lumières habituelles, de ses représentations ou images, et
alors il se rend bien compte des ténèbres où il se
trouve.
Mais
quand cette lumière divine ne se communique pas à l'âme
avec tant de force, elle ne sent pas les ténèbres, elle ne
voit pas la lumière; elle ne perçoit rien de ses connaissances
d'ici-bas et de là-haut ;(Les anciennes éditions donnaient
à cette phrase un sens tout différent: « Tambien esta
divina luz embiste con tanta fuerza en el alma... Quand cette divine lumière
se communique à l'âme avec beaucoup de force. » Le texte
nouveau dit: « no embiste: Quand cette divine lumière ne se
communique pas avec tant de force. » Ce texte, conforme aux manuscrits,
est d'ailleurs en rapport parfait avec la doctrine de l'auteur. – Le P.
Silverio donne également ce texte: no embiste.) aussi elle se trouve
parfois comme dans un oubli si profond qu'elle ne sait ensuite ni où
elle était, ni ce qu'elle a fait: la notion du temps semble avoir
disparu pour elle. Il peut donc arriver et il arrive que l'âme passe
de longues heures dans cet oubli et, quand elle revient à elle-même,
il lui semble que cet oubli n'a duré qu'un moment, ou un rien de
temps. La cause de cet oubli vient de la pureté et de la simplicité
de la connaissance dont nous avons parlé. Et comme cette connaissance
est pure et limpide, elle fait que l'âme à laquelle elle se
communique est simple, pure, limpide, dégagée de toutes les
conceptions ou images des sens et de la mémoire par lesquelles elle
agissait dans le temps, et elle laisse l'âme dans l'oubli et en dehors
de la notion du temps. Cette oraison, si longtemps qu'elle dure, nous le
répétons, semble de très courte durée à
l'âme, car elle a été unie à Dieu par son intelligence
dégagée de tout créé et par suite indépendante
du temps; telle est l'oraison dont il est dit qu'elle pénètre
les cieux, parce qu'elle n'est pas dans le temps. Elle pénètre
les cieux, parce que l'âme alors est unie à Dieu par son intelligence
devenue céleste; aussi cette connaissance laisse-t-elle dans l'âme,
quand elle revient à elle-même, les effets qu'elle y a produits
sans qu'elle s'en aperçoive et qui sont l'élévation
de l'esprit à l'intelligence céleste des choses de Dieu,
le détachement et l'éloignement de toutes les choses de la
terre, de leurs formes, figures et jusqu'à leur souvenir.
C'est
là ce que David affirme lui être arrivé quand, revenu
à lui-même après un semblable oubli, il a dit: Vigilavi
et factus sum sicut solitarius in tecto: « A mon réveil, je
me suis trouvé comme le passereau solitaire sur le toit (Ps. CI,
8). » Il se dit solitaire, parce qu'il est étranger à
toutes les choses de la terre, et en est dégagé. Il habite
sur le toit, parce que son esprit est élevé très haut.
Aussi l'âme est-elle comme une personne qui ignore toutes les choses
de la terre; elle ne connaît que Dieu, et ne sait même pas
comment elle le connaît. L'Épouse déclare, au livre
des Cantiques, un des effets produits en elle par ce sommeil ou cet oubli,
c'est-à-dire l'absence de connaissance, quand elle dit, au moment
où elle recevait cette faveur: « Nescivi: je ne savais (Cant.
VI, 11) » d'où me venait cette faveur. Bien qu'il semble alors
à l'âme qui reçoit cette connaissance qu'elle ne fait
rien, qu'elle n'est occupée à rien, parce qu'elle n'agit
point à l'aide de ses sens et de ses puissances, elle ne doit pas
s'imaginer qu'elle se perd; loin de là. Sans doute, l'harmonie des
puissances de l'âme est suspendue, mais son intelligence est dans
l'état dont nous avons parlé. Voilà pourquoi l'Épouse
des Cantiques se répondit à elle-même dans sa sagesse
pour résoudre cette difficulté: Ego dormio, et cor meum vigilat:
« Bien que je dorme » selon mon état naturel, en cessant
d'agir, « cependant mon coeur veille (Ibid. V, 2) », parce
qu'il est élevé surnaturellement à une connaissance
surnaturelle. La preuve à laquelle on peut reconnaître que
l'âme est occupée à cette connaissance secrète
consiste en ce qu'elle ne goûte aucun plaisir dans les objets créés
inférieurs ou supérieurs.
Il ne
faut cependant s'imaginer que cette connaissance, étant ce que nous
avons dit, doive nécessairement causer cet oubli. Cela arrive seulement
quand Dieu éloigne spécialement l'âme de l'exercice
de toutes ses puissances naturelles et spirituelles. Ce phénomène
est même le moins fréquent, parce que ce n'est pas toujours
que cette connaissance occupe l'âme tout entière. Pour que
cette connaissance suffise dans le cas dont nous parlons, il suffit que
l'entendement soit dégagé de toute connaissance particulière,
soit de l'ordre temporel, soit de l'ordre spirituel, et n'ait aucun désir
de s'occuper des objets créés, comme nous l'avons dit, parce
que c'est le signe que l'âme est alors occupée.
Ce signe
doit exister pour comprendre que l'âme est dans cet oubli, quand
cette connaissance ne s'applique et ne se communique qu'à l'entendement,
c'est-à-dire quand parfois l'âme ne la voit pas. Quand, en
effet, elle se communique en même temps à la volonté,
ce qui arrive presque toujours, l'âme ne manque pas de comprendre
plus ou moins, si elle veut y faire attention, qu'elle est occupée
de cette connaissance et s'en entretient. Elle le reconnaît à
cette suavité pleine d'amour qui en découle, sans qu'elle
sache ni comprenne d'une manière particulière ce qu'elle
aime. C'est pour ce motif qu'elle appelle générale cette
connaissance pleine d'amour. Car, de même qu'elle l'est dans l'entendement
en se communiquant à lui d'une manière obscure, de même
aussi elle l'est dans la volonté en lui communiquant l'amour et
la suavité d'une façon confuse, sans qu'elle sache distinctement
ce qu'elle aime.
Cela
suffit maintenant pour comprendre comment il convient à l'âme
d'être occupée dans cette connaissance avant d'abandonner
l'oraison discursive. Elle doit donc s'assurer que, tout en ne paraissant
rien faire, elle est occupée utilement, dès lors qu'elle
découvre en elle les signes dont nous avons parlé. Cela suffit,
en outre, pour comprendre comment, par la comparaison dont nous nous sommes
servi, ce n'est point parce que cette lumière se représente
à l'entendement plus compréhensible et plus palpable qu'elle
doit être plus claire, plus élevée, plus pure; elle
ressemble au rayon de soleil, que est d'autant plus sensible à l'oeil,
qu'il est plus rempli d'atomes.
Il est
donc clair, comme l'expriment Aristote et les théologiens, que plus
la lumière divine est élevée et excellente, et plus
elle est obscure pour notre entendement.
Il y
aurait beaucoup à dire sur cette divine connaissance considérée
en elle-même ou dans les effets qu'elle produit chez les contemplatifs.
Mais nous renvoyons ce sujet à la place qui lui convient. Il n'y
avait même pas lieu d'en parler si longuement que nous venons de
le faire, mais il était à craindre que cette doctrine demeurât
encore plus confuse qu'elle ne l'est maintenant, car, il faut l'avouer,
elle l'est encore beaucoup. Rien d'étonnant. C'est, en effet, une
matière dont on traite bien rarement d'une façon explicite
soit de vive voix soit écrit; de plus, elle est par elle-même
si extraordinaire et si obscure! A ces difficultés s'ajoutent encore
celles de la pauvreté de mon style et de mon peu de savoir. Aussi,
je ne me flatte pas de savoir me faire comprendre. Bien des fois je constate
que je m'étends trop longuement et que je sors des limites voulues
pour l'endroit où je suis ou le point de doctrine en question. (Le
reste du chapitre ne se trouve pas dans les mss. A et B. Il peut se faire
qu'il ait été ajouté au texte.) Néanmoins j'avoue
que je le fais parfois à dessein; car ce qui n'est pas compris quand
on le présente avec certaines raisons, l'est peut-être mieux
quand on l'expose avec d'autres arguments. Il me semble, en outre, qu'en
agissant ainsi j'ai donné un peu de lumière sur le sujet
que je dois traiter. Aussi il me semble bon, pour terminer cette question,
de ne pas manquer de répondre à une difficulté qui
peut surgir au sujet de la durée de cette connaissance générale;
c'est ce que je vais faire rapidement dans le chapitre suivant.
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