CHAPITRE III
CE CHAPITRE
MONTRE D'UNE
FAÇON
GÉNÉRALE
COMMENT L'ÂME, AUTANT
QUE CELA DÉPEND
D'ELLE, DOIT
SE TENIR DANS
LES TÉNÈBRES DE
LA FOI POUR
ÊTRE BIEN GUIDÉE
JUSQU'À
LA PLUS HAUTE
CONTEMPLATION.
On commence
à comprendre un peu, je crois, comment la foi est une nuit obscure
pour l'âme, et comment l'âme doit être sous le rapport
de sa lumière naturelle, dans l'obscurité, pour se laisser
guider par la foi au terme élevé de l'union. Mais pour qu'elle
sache se conduire alors, il convient d'expliquer maintenant un peu dans
le détail cette obscurité de l'âme, et cet abîme
de la foi où elle pénètre. Aussi ce chapitre sera-t-il
consacré à en parler d'une façon générale
et, ensuite, Dieu aidant, nous verrons quelle doit être sa conduite
pour ne pas s'égarer, ni contrarier l'action d'un guide tel que
la foi.
Je dis
donc que, pour se laisser guider sûrement par la foi à cet
état de contemplation, l'âme non seulement doit se tenir dans
l'obscurité dans cette partie d'elle-même qui a rapport avec
les créatures et le temporel, c'est-à-dire sa partie sensitive
et inférieure, comme nous l'avons déjà dit, mais aussi
dans cette partie qui a rapport à Dieu et aux choses spirituelles,
c'est-à-dire sa partie raisonnable et supérieure dont nous
nous occupons maintenant.
Pour
arriver à la transformation surnaturelle, il est clair que l'âme
doit être dans les ténèbres et se soustraire à
tout ce qui concerne sa vie naturelle tant sensitive que raisonnable. Le
mot surnaturel signifie ce qui est au-dessus de la nature; par conséquent
ce qui est naturel est en bas. Mais, comme la transformation en Dieu ne
dépend ni des sens ni de l'habileté humaine, l'âme
doit se dépouiller complètement et volontairement de tout
ce qu'elle peut contenir d'affection aux choses d'en haut ou d'en bas;
elle le fera dans toute la mesure où cela dépend d'elle;
et alors qui empêchera Dieu d'agir en toute liberté dans cette
âme soumise, dépouillée, anéantie?
Le dépouillement
devra être complet et s'étendre à tout ce qu'elle pourrait
contenir. Voilà pourquoi, alors même qu'elle acquerrait peu
à peu des faveurs surnaturelles, elle devrait toujours veiller à
se considérer comme si elle en était dénuée,
à se tenir dans les ténèbres comme l'aveugle, en s'appuyant
sur la foi obscure, qui est sa lumière et son guide, et nullement
sur ce qu'elle peut entendre, goûter, sentir ou imaginer, car tout
cela n'est que ténèbres capables de l'égarer ou de
la retarder; mais la foi est au-dessus de nos connaissances, de nos goûts,
de nos sentiments et de nos imaginations. Si elle ne devient pas aveugle
par rapport à ces choses, et cela d'une façon totale, elle
n'arrivera jamais à ce bien surnaturel que nous enseigne la foi.
Celui qui n'est pas complètement aveugle ne se laisse pas conduire
facilement par son guide. Pour peu qu'il y voie, il s'imagine qu'il vaut
mieux prendre le premier chemin qui se présente parce qu'il n'en
voit pas de meilleur: aussi il risque d'égarer son guide qui voit
mieux que lui; car enfin il peut commander plus que son guide. Il en est
de même de l'âme. Si elle s'appuie sur quelqu'une de ses connaissances
ou quelqu'un de ses goûts et de ses sentiments pour Dieu, quelque
excellents d'ailleurs qu'ils soient, ce sera toujours peu de chose et bien
peu proportionné à ce qu'est Dieu; on se trompe facilement
en suivant un tel chemin et l'on retarde la marche en avant, parce que
l'âme ne se conforme pas aveuglément à la foi qui est
son vrai guide. C'est là ce que saint Paul veut nous dire par ces
termes: Credere enim oportet accendentum ad Deum quia est: « Celui
qui veut s'approcher de Dieu doit croire qu'il est (Heb. XI, 6). »
C'est comme s'il disait: Que celui qui aspire à s'unir à
Dieu ne s'appuie pas sur ses connaissances, qu'il ne s'attache pas à
ses goûts, ni à ses sentiments, ni à son imagination,
mais qu'il croie que Dieu est, ce qui ne peut être saisi ni par l'entendement,
ni par ses tendances, ni par l'imagination, ni par un sens quelconque,
ni être connu ici-bas tel qu'il est, car tout ce qu'il peut y avoir
de plus élevé sur cette terre dans nos sentiments, dans nos
connaissances, dans nos attraits, est à une distance infinie de
ce que Dieu est en lui-même, et de ce que sera pour nous la pure
possession de Dieu. Isaïe et saint Paul ont dit: Neque oculus vidit,
neque auris audivit, nec in cor hominis ascendit quae praeparavit Deus
iis qui diligunt illum: « Ce que Dieu a préparé à
ceux qui l'aiment, l'oeil de l'homme ne l'a point vu, son oreille ne l'a
point entendu son coeur ne l'a point goûté, et son intelligence
ne saurait le concevoir (Le Saint ne cite littéralement que saint
Paul. – Isaïe, LXIV,4, dit: Oculus non vidit, Deus, absque te
quae praeparasti expectantibus te. – Saint Paul (I ad Cor., II, 9)
dit comme nous le marquons dans le texte.) ». L'âme aura beau
prétendre s'unir parfaitement ici-bas par la grâce à
Celui à qui elle doit être unie dans la gloire du ciel; saint
Paul nous dit ici: l'oeil de l'homme ne l'a point vu, son oreille ne l'a
point entendu, son coeur de chair ne l'a point goûté. Il est
donc clair que, pour arriver ici-bas à s'unir parfaitement à
lui par la grâce et l'amour, l'âme doit être dans l'obscurité
par rapport à tout ce que l'oeil peut voir, l'ouïe entendre,
l'imagination représenter et le coeur percevoir. Elle se met donc
dans un grand embarras, quand, pour arriver à cet état élevé
d'union avec Dieu, elle s'attache à quelque pensée, à
un goût ou imagination, à son jugement, à ses désirs,
à sa manière d'agir ou à toute oeuvre ou chose personnelle,
et qu'elle ne sait pas s'en délivrer et dépouiller complètement.
Nous l'avons déjà dit: le terme où elle tend est au-dessus
de tout cela et dépasse tout ce qu'elle pourrait connaître
et goûter de plus sublime. Voilà pourquoi, passant par-dessus
tout, elle doit s'appliquer à ne rien savoir. Aussi dans cette voie,
quitter son chemin, c'est trouver le chemin véritable, ou mieux,
passer au terme et laisser le moyen, c'est pénétrer dans
le terme qui est sans mesure, je veux dire en Dieu lui-même. Car
l'âme qui arrive à cet état n'a plus ni modes ni manières
d'agir qui lui soient propres; elle ne s'y attache pas et ne peut s'y attacher.
Je veux dire qu'elle ne s'attache plus à ses manières d'entendre,
de goûter et de sentir, bien qu'elle les possède toutes; elle
est comme celui qui, n'ayant rien, possède tout éminemment.
Elle a le courage de franchir les limites naturelles de ses facultés
intérieures et extérieures, aussi entre-t-elle pleinement
dans le surnaturel qui n'a ni limite ni mesure, mais qui renferme tout
en substance. Pour en arriver là, il faut sortir de l'état
naturel, sortir de soi, s'éloigner de ce qui est bas pour arriver
à ce qui dépasse toutes les hauteurs. Aussi, se transportant
au-delà de tout ce qu'elle peut savoir ou comprendre spirituellement
et naturellement, elle doit désirer ardemment parvenir à
ce qu'elle ne peut connaître en cette vie ni goûter dans son
coeur. Elle laisse derrière elle tout ce qu'elle goûte et
ressent ou peut goûter et ressentir ici-bas dans sa partie spirituelle
et sensitive, et brûle d'arriver à ce qui surpasse tout sentiment
et toute joie. Si elle veut demeurer libre et dégagée de
toute créature pour parvenir à un tel but, elle ne doit point
s'éprendre des impressions qu'elle recevra dans sa partie spirituelle
et sensitive, comme nous le dirons bientôt, lorsque nous traiterons
ce point en particulier; et elle n'en fera aucun cas.
Plus
elle pense à ce qu'elle entend, à ce qu'elle goûte
ou imagine, plus elle l'estime, que ce soit spirituel ou non; et plus par
conséquent elle enlève de son estime pour le souverain Bien,
plus aussi elle retarde sa marche vers lui. Au contraire, moins elle se
préoccupe de tout ce qu'elle peut avoir, si précieux que
ce soit, et plus elle s'approche du souverain Bien et lui réserve
son estime; plus aussi par conséquent elle s'en rapproche.
Marchant
ainsi dans la nuit, elle s'avance à grands pas vers l'union avec
Dieu par la foi, qui, tout obscure qu'elle est, lui donne son admirable
lumière. Il est évident que si elle voulait voir Dieu par
ses forces naturelles, elle tomberait dans un aveuglement plus profond
que celui qui ouvre les yeux pour contempler la splendeur du soleil.
Voilà
pourquoi celui qui suit ce chemin ne verra la lumière qu'en aveuglant
ses puissances, comme Notre-Seigneur nous l'enseigne dans l'Évangile
en ces termes: In judicium ego in hunc mundum veni, ut qui non vident,
videant, et qui vident, caeci fiant: « Je suis venu en ce monde afin
que par un juste jugement ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui
voient deviennent aveugles (Jean, IX, 39). » Ces paroles doivent
s'entendre à la lettre de ce chemin spirituel dont nous parlons.
Il faut donc savoir que l'âme qui est dans les ténèbres,
et s'aveugle par rapport à toutes ses lumières propres et
naturelles, sera éclairée surnaturellement. Celle au contraire
qui voudra s'appuyer sur quelque lumière personnelle se mettra dans
les ténèbres toujours plus profondes et se retardera dans
le chemin de l'union.
Pour
procéder avec plus de clarté, il me semble nécessaire
d'expliquer dans le chapitre suivant ce que nous entendons par cette union
de l'âme avec Dieu dont nous nous entretenons. Ce point, une fois
bien compris, donnera une lumière très vive sur les questions
dont nous aurons à parler désormais; il me semble que c'est
bien le moment de traiter cette question, et ce ne sera pas inutile, quoique
nous devions interrompre le fil de notre discours, dès lors que
nous donnerons par là plus de lumière à notre sujet
lui-même. Ce chapitre sera donc comme une sorte de parenthèse.
Et immédiatement après nous reviendrons à parler des
trois puissances de l'âme considérées dans leurs rapports
avec les trois vertus théologales, dans cette seconde nuit spirituelle.
CHAPITRE IV
OÙ L'ON
EXPLIQUE
PAR UNE COMPARAISON
CE QUE C'EST QUE
L'UNION DE
L'ÂME AVEC DIEU.
Ce qui
précède nous a déjà donné quelque idée
de ce qu'il faut entendre ici par l'union de l'âme avec Dieu, et
nous aidera à comprendre mieux ce que nous devons dire. Mon
but, en ce moment, n'est pas d'en expliquer les diverses parties; je n'en
finirai plus si j'entreprenais d'exposer quelle est l'union de l'entendement,
ou de la volonté, ou de la mémoire, ou encore l'union transitoire
ou permanente de ces puissances, ou quelle est la totale union, soit transitoire,
soit permanente; je parlerai d'ailleurs, à chaque pas, tantôt
de l'une, tantôt de l'autre. Mais, pour le moment cela importe peu
pour faire comprendre ma pensée. Mieux vaudra l'exposer à
l'endroit voulu, quand je traiterai le sujet et que nous présenterons
un exemple vivant à l'appui de la théorie; on comprendra
mieux alors et on saisira mieux les détails, et on pourra mieux
en juger. Je ne veux, pour le moment, parler que de l'union totale et permanente,
selon la substance de l'âme et ses puissances et quant à l'habitude
obscure de l'union, parce que quant à l'acte nous le dirons ensuite
avec l'aide de Dieu; nous verrons comment nous n'avons et nous ne pouvons
avoir d'union permanente dans nos puissances sur cette terre, mais seulement
une union transitoire.
Et d'abord
pour comprendre quelle est cette union dont nous parlons, il faut savoir
que Dieu se trouve dans chaque âme, serait-ce celle du plus grand
pécheur du monde, qu'il y demeure, et qu'il l'assiste substantiellement.
Cette sorte d'union existe toujours entre Dieu et toutes les créatures,
puisqu'il leur conserve l'être qu'elles possèdent; et s'il
ne leur était pas présent de cette manière-là,
elles tomberaient dans le néant, et cesseraient d'exister. Quand
donc nous parlons de l'union de l'âme avec Dieu, nous n'avons pas
en vue cette union qui existe en fait avec toutes les créatures,
mais l'union de l'âme avec Dieu et sa transformation en lui par amour,
qui n'existe pas toujours, mais seulement quand il y a ressemblance par
amour; voilà pourquoi cette union s'appelle union de ressemblance.
Celle-là s'appelle union substantielle, essentielle ou naturelle;
celle-ci au contraire s'appelle surnaturelle; elle a lieu quand les deux
volontés, celle de l'âme et celle de Dieu, sont d'accord entre
elles et que l'une n'a rien qui répugne l'autre. Quand donc l'âme
rejette complètement ce qui en elle répugne ou n'est pas
conforme à la volonté de Dieu, elle est transformée
en Dieu par amour.
Ce dépouillement
doit s'entendre non seulement des actes qui répugnent à Dieu,
mais encore des tendances habituelles; aussi l'âme doit-elle repousser
non seulement les actes volontaires des imperfections, mais elle doit réduire
à néant les tendances de toutes ses imperfections. Toutes
les créatures, toutes leurs actions, leurs habiletés, ne
peuvent atteindre Dieu ni s'élever jusqu'à lui; aussi l'âme
doit-elle se dépouiller de tout créé, de ses actions
et habiletés, c'est-à-dire de sa manière de juger,
de goûter, de sentir; c'est dégagée de tout ce qui
n'est pas semblable ou conforme à Dieu, qu'elle arrive à
recevoir sa ressemblance avec Dieu; il n'y a plus rien en elle qui ne soit
la volonté de Dieu, et elle est transformée en lui.
Sans
doute, comme nous l'avons dit, Dieu est toujours présent dans l'âme
pour lui donner et lui conserver son être naturel par la vertu de
sa puissance, mais il ne lui communique pas toujours l'être surnaturel.
Celui-ci ne se donne que par l'amour et la grâce, et toutes les âmes
ne sont pas en état de grâce; celles qui y sont ne la possèdent
pas au même degré: les unes ont moins d'amour, les autres
en ont plus. Une âme est d'autant plus unie à Dieu qu'elle
est plus élevée en amour, ou qu'elle conforme mieux sa volonté
avec celle de Dieu. Celle dont la volonté est totalement conforme
et semblable à celle de Dieu est aussi celle qui est totalement
unie à Dieu et transformée surnaturellement en Lui.
D'où
il suit, comme nous l'avons dit, que plus l'âme se tourne vers la
créature ou ses qualités personnelles par attrait et par
affection, moins elle a de disposition à l'union divine, parce qu'elle
ne donne pas entièrement à Dieu le moyen de la transformer
surnaturellement. L'âme n'a besoin que de se dépouiller de
ces oppositions et dissemblances naturelles pour que Dieu, qui communique
déjà naturellement à elle par la nature, se communique
à elle surnaturellement par la grâce. C'est là ce que
saint Jean a voulu nous faire comprendre quand il a dit: Qui non ex sanguinibus,
neque ex voluntate carnis, neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt
(Jean, I, 13). C'est comme s'il avait dit: il a donné le pouvoir
de devenir ses enfants, c'est-à-dire de pouvoir être transformés
en lui, seulement à ceux qui ne sont pas nés du sang, ni
des dispositions naturelles et corporelles, ni de la volonté de
la chair, c'est-à-dire de la liberté, ou de la capacité
ou aptitude naturelle, ni surtout de la volonté de l'homme; et par
là on entend toutes les manières humaines de juger et de
comprendre d'après la raison seule; à aucun de ces derniers,
il n'a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu parfaits, mais
à ceux qui sont nés de Dieu, c'est-à-dire à
ceux qui ont pris une nouvelle naissance dans la grâce, après
être morts tout d'abord à tout ce qui constitue le vieil homme,
s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes jusqu'au surnaturel,
en recevant de Dieu cette régénération et filiation
qui surpasse tout ce que l'on peut concevoir. Aussi saint Jean dit ailleurs:
Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritus Sancto, non potest introire
in regnum Dei (Jean III, 5). Cela veut dire: Celui qui ne reçoit
pas de l'Esprit-Saint une nouvelle naissance ne pourra pas voir le royaume
de Dieu, qui est l'état de perfection. Recevoir parfaitement du
Saint-Esprit une nouvelle naissance ici-bas, c'est posséder une
âme très semblable à Dieu par la pureté, sans
qu'il y ait le plus petit mélange d'imperfection; c'est ainsi que
peut s'accomplir la pure transformation de l'âme en Dieu; elle participe
à la nature de Dieu par son union avec lui, bien que cette union
ne soit pas essentielle.
Prenons
une comparaison pour jeter plus de jour sur cette vérité.
Voici le rayon du soleil qui donne sur une vitre; or si la vitre a quelques
taches ou quelques nuages, il ne peut l'éclairer ni la faire briller
aussi complètement que si elle était purifiée de toutes
taches et bien limpide; il l'éclairera même d'autant moins
qu'elle sera moins dépouillée des voiles qui la recouvrent.
Ce ne sera pas la faute du rayon, mais celle de la vitre. Si la vitre,
en effet, était tout entière pure et limpide, le rayon l'éclairerait
et la pénétrerait si bien qu'elle lui serait semblable et
donnerait la même clarté. Sans soute la vitre, tout en ressemblant
au rayon, conserve toujours sa propre nature, bien distincte du rayon,
cependant nous pouvons dire qu'elle est rayon ou lumière par participation.
Ainsi
en est-il de l'âme. Elle est toujours, au point de vue naturel, investie
de la lumière divine de l'être infini. Cette lumière
même demeure en elle, comme nous l'avons dit. Or si l'âme se
met dans les dispositions voulues, c'est-à-dire si elle se purifie
de toutes les taches ou souillures formées par les créatures,
si par conséquent elle met sa volonté en accord parfait avec
celle de Dieu, car l'amour que l'on a pour Dieu consiste à se dépouiller
de tout ce qui n'est pas lui, l'âme devient immédiatement
toute illuminé et transformée en Dieu. Dieu lui communique
si bien son être surnaturel qu'elle semble Dieu lui-même; selle
possède ce que Dieu possède; l'union provenant de cette souveraine
faveur est telle que toutes les choses de l'âme ne font qu'un avec
les choses de Dieu, l'âme paraît être Dieu plutôt
qu'âme; elle est Dieu par participation. Sans doute, elle conserve
son être naturel, aussi distinct de Dieu qu'auparavant malgré
sa transformation, comme la vitre est distincte du rayon tout en étant
éclairée par lui.
De là
il suit clairement que le moyen pour l'âme de parvenir à l'union
divine, comme nous l'avons dit, ne consiste pas dans ses pensées,
dans ses goûts, dans ses sentiments, ou son imagination qui cherche
à se représenter Dieu d'après un mode naturel ou dans
un procédé quelconque, mais il consiste dans la pureté
et l'amour, c'est-à-dire dans le dépouillement et l'abnégation
de tout en vue de Dieu seul. Mais comme il ne peut y avoir de transformation
parfaite s'il n'y a pas une pureté parfaite, l'illumination et l'union
de l'âme avec Dieu seront plus ou moins grandes et en rapport avec
sa pureté. Or, cette union, je le répète, ne sera
pas absolument parfaite, tant que l'âme ne sera pas complètement
purifiée et limpide.
Voici
une autre comparaison qui fera bien comprendre cette vérité.
Représentez-vous un tableau achevé, renfermant une foule
des détails les plus parfaits, et rehaussé des émaux
les plus délicats et les plus fins; quelques-uns même sont
tellement parfaits qu'on ne peut guère en apprécier la finesse
et l'excellence. Or supposez quelqu'un qui a une vue peu claire et imparfaite,
il n'y découvrira que peu de beautés et de perfections; celui
qui l'aura meilleure, en découvrira davantage; et enfin celui dont
la puissance sera plus excellente, les verra encore mieux; car dans ce
tableau il y a tant à voir, que, malgré tout ce qu'on a pu
y admirer de merveilleux, il y aura toujours beaucoup plus à contempler.
Ainsi,
pouvons-nous le dire, en est-il des âmes lorsqu'elles sont éclairées
par Dieu et transformées en lui.
Sans
doute une âme arrive à l'union d'après le degré
plus ou moins grand de ses aptitudes, et ce degré n'est pas le même
pour toutes. Il dépend de la grâce que Dieu accorde à
chacune; et il est semblable à celui des saints qui voient Dieu
dans le ciel. Les uns le voient d'une manière plus parfaite que
les autres; mais tous le voient; tous sont contents et heureux, parce que
leur capacité dépend des mérites plus ou moins grands
qu'ils ont acquis durant leur vie mortelle. Aussi, de même que nous
rencontrons sur la terre certaines âmes qui jouissent d'une égale
paix et tranquillité dans leur état de perfection et que
chacune d'elles est satisfaite, cependant l'une d'elles peut être
beaucoup plus élevée que les autres dans son union avec Dieu;
mais toutes sont également satisfaites, parce que la capacité
de chacune d'elles est remplie. Quant à l'âme qui n'arrive
pas à une pureté conforme à la capacité que
Dieu lui a donnée, elle ne parviendra jamais à la satisfaction
véritable; elle n'a pas encore opéré dans ses puissances
le dépouillement et le vide qui sont exigés pour la pure
union avec Dieu.
|