ON Y TRAITE
DE LA MANIÈRE
DONT L'ÂME
POURRA
SE DISPOSER
POUR ARRIVER PROMPTEMENT
À SON
UNION AVEC DIEU. ON Y DONNE
DES AVIS ET
DES ENSEIGNEMENTS TRÈS
UTILES À
CEUX UI COMMENCENT AUSSI
BIEN QU'À
CEUX QUI ONT DÉJÀ RÉALISÉ
BEAUCOUP DE
PROGRÈS, AFIN QU'ILS SACHENT
SE DÉBARRASSER
DE TOUT CE QUI N'EST PAS SPIRITUEL, NE POINT S'EMBARRASSER
DE CE QUI EST SPIRITUEL ET DEMEURER DANS
CETTE PROFONDE NUDITÉ ET IBERTÉ
D'ESPRIT QUE
REQUIERT
L'UNION DIVINE.
SOMMAIRE
Toute
la doctrine qui sera exposée dans cette Montée du Carmel
se trouve contenue dans les strophes suivantes. Celles-ci montrent comment
on arrive jusqu'au sommet de la montagne, c'est-à-dire à
l'état élevé de perfection que nous appelons ici l'union
de l'âme avec Dieu. Comme elles doivent servir de fondement à
ce que je vais dire, j'ai voulu les réunir ici afin que l'on comprenne
et que l'on voie bien la substance du sujet que je vais traiter ainsi que
l'exposé que j'en donnerai. Néanmoins, lorsque je les expliquerai,
il conviendra de mettre encore la strophe elle-même dont il sera
question, et chacun des vers dont elle se compose, selon que l'exigera
le sujet ou l'exposé.
STROPHES
OÙ L'ÂME
CHANTE L'HEUREUX SORT QU'ELLE
A EU DE PASSER
PAR LA NUIT OBSCURE
DE LA FOI
PURE ET SA PURIFICATION POUR ARRIVER À
L'UNION DE L'AMOUR.
I
Par une nuit
profonde,
Étant
pleine d'angoisse et enflammée d'amour,
Oh! l'heureux
sort!
Je sortis
sans être vue,
Tandis que
ma demeure était déjà en paix.
II
J'étais
dans les ténèbres et en sûreté
Quand je sortis
déguisée par l'escalier secret,
Oh! l'heureux
sort!
J'étais
dans les ténèbres et en cachette,
Tandis que
ma demeure était déjà en paix.
III
Dans cette
heureuse nuit,
Je me tenais
dans le secret, personne ne me voyait,
Et je n'apercevais
rien
Pour me guider
que la lumière
Qui brûlait
dans mon coeur.
IV
Elle me guidait
Plus sûrement
que la lumière du midi
Au but où
m'attendait
Celui que
j'aimais,
Là
où nul autre ne se voyait.
V
O nuit qui
m'avez guidée!
O nuit plus
aimable que l'aurore!
O nuit qui
avez uni
L'aimé
avec sa bien-aimée
Qui a été
transformée en lui!
VI
Sur mon sein
orné de fleurs,
Que je gardais
tout entier pour lui seul,
Il resta endormi,
Et moi je
le caressais
Et avec un
éventail de cèdre je le rafraîchissais.
VII
Quand le souffle
provenant du fort
Soulevait
déjà sa chevelure,
De sa douce
main
Posée
sur mon cou il me blessait,
Et tous mes
sens furent suspendus.
VIII
Je restai là
et m'oubliai,
Le visage
penché sur le Bien-Aimé.
Tout cessa
pour moi, et je m'abandonnai à lui,
Je lui confiai
tous mes soucis
Et m'oubliai
au milieu des lis.
PROLOGUE
Si je
devais expliquer et faire comprendre cette nuit obscure par laquelle passent
les âmes pour arriver à la divine lumière, à
l'union parfaite d'amour de Dieu, autant qu'elles le peuvent en cette vie,
il faudrait une science plus éclairée que la mienne et une
expérience plus grande. Elles sont si nombreuses et si profondes
les ténèbres et les épreuves tant spirituelles que
temporelles par lesquelles ont coutume de passer ces bienheureuses âmes
pour pouvoir arriver à cet état de perfection, que ni la
science humaine ne suffit pour le comprendre, ni l'expérience pour
l'exposer. Je dis expérience pour l'exposer, car celui-là
seul qui passe par cette voie pourra les connaître mais il sera impuissant
à les exprimer. Aussi, pour dire quelque chose de cette nuit obscure,
je ne me fierai ni à la science, ni à l'expérience,
car l'une et l'autre peuvent faillir et induire en erreur. Mais, tout en
n'omettant pas de m'en servir autant que possible, je m'aiderai en tout
de la faveur divine, de la saint Écriture, au moins pour ce qu'il
y a de plus important et de difficile à comprendre. En suivant sa
lumière, nous ne pouvons nous tromper, puisque celui qui y parle
est l'Esprit-Saint lui-même. Et s'il m'arrive de me tromper parce
que je n'aurai pas bien compris ce qu'il dit là ou ailleurs, mon
intention n'est pas de m'écarter du véritable enseignement
et de la doctrine de notre sainte Mère l'Église catholique;
d'avance je me conforme et me soumets sans réserve non seulement
à sa manière de voir, mais encore à quiconque aura
dans ces questions des lumières plus sûres que les miennes.
Ce n'est
point parce que je découvre en moi des aptitudes pour une entreprise
si haute et si ardue que je me suis déterminé à traiter
ce sujet, mais parce que j'ai confiance que Notre-Seigneur m'aidera à
subvenir à l'extrême nécessité où se
trouvent un grand nombre d'âmes. Elles ont commencé à
marcher dans le chemin de la vertu; Notre-Seigneur voudrait les placer
dans la nuit obscure, afin de les amener par là à la divine
union; et elles ne vont pas plus loin, soit parce qu'elles ne s'y laissent
pas introduire, soit parce qu'elles ne comprennent pas leur état,
et qu'elles manquent de guides expérimentés et capables de
les conduire au sommet de la perfection.
Aussi
est-il vraiment déplorable de voir beaucoup d'âmes à
qui Dieu confère des qualités et des faveurs spéciales
pour monter plus haut et qui parviendraient au sublime état dont
nous parlons, si elles voulaient s'en donner la peine, mais qui restent
dans leurs manières vulgaires de traiter avec Dieu; elles manquent
de volonté ou de lumière, ou bien il n'y a personne pour
les guider et leur enseigner à quitter le sentier des commençants.
Si cependant
Notre-Seigneur leur accorde tant de grâces que sans ces moyens et
ces secours il les fasse monter, elles arriveront beaucoup plus tard; elles
éprouveront plus de difficulté; enfin elles auront moins
de mérite, parce qu'elles ne se sont pas remises entre les mains
de Dieu et ne l'ont pas laissé les introduire librement dans le
chemin pur et véritable qui conduit à l'union.
Sans
doute, Dieu, qui les élève, n'a pas besoin de pareils secours.
Toutefois, si elles ne se laissent pas porter par lui, elles font moins
de chemin parce qu'elles résistent à celui qui les élève;
elles méritent moins parce qu'elles ne lui abandonnent pas leur
volonté; et par le fait même elles souffrent davantage.
Il y
a en effet des âmes qui, au lieu de s'abandonner à Dieu tout
en s'aidant elles-mêmes, troublent son action par leur agitation
indiscrète ou leur résistance. Elles ressemblent à
de petits enfants que leurs mères voudraient porter dans les bras
et qui se mettent à trépigner et à pleurer afin de
marcher par eux-même, quand ils en sont incapables, ou du moins quand
ils ne peuvent faire que des pas d'enfants.
Il faut
donc savoir se laisser conduire par Dieu quand Sa majesté veut nous
élever. Voilà pourquoi nous donnerons, avec son secours,
aux commençants et à ceux qui sont déjà en
voie de progrès, des enseignements et des conseils pour qu'ils sachent
se comprendre ou du moins se laissent conduire par lui. Il y a, en effet,
des confesseurs et des Pères spirituels qui n'ont point la lumière
nécessaire ni l'expérience de ces voies; au lieu de venir
en aide à ces âmes, ils ont coutume plutôt de les empêcher
d'avancer et de leur être nuisibles; ils ressemblent aux bâtisseurs
de Babel qui, au lieu de fournir des matériaux convenables, en apportaient
d'autres tout différents, parce qu'ils ne comprenaient plus le langage
qu'on leur parlait; aussi l'édifice ne s'élevait pas. Voilà
pourquoi c'est une épreuve très rude et très pénible
pour l'âme qui, dans des circonstances analogues, ne comprend pas
son état et ne trouve personne qui la comprenne. Il lui arrivera
peut-être que Dieu l'élève à la voie très
haute d'une contemplation pleine d'obscurité et de sécheresse,
et elle se croira perdue. Au milieu de ces ténèbres, de ces
épreuves, angoisses et tentations, elle rencontrera quelqu'un qui
lui tiendra le langage des consolateurs de Job. On lui dira que c'est de
la mélancolie, du chagrin, ou affaire de nature, ou peut-être
le châtiment de quelque faute secrète pour laquelle Dieu l'a
délaissée. Généralement, on juge tout de suite
que cette âme doit être bien coupable ou qu'elle l'a été,
dès lors qu'elle éprouve de pareils tourments. D'autres lui
diront qu'elle recule, puisqu'elle ne trouve plus ni goûts ni consolations
comme précédemment dans les choses de Dieu. Aussi la pauvre
âme voit redoubler ses souffrances; ou il lui arrivera que sa plus
grande peine viendra de la vue de sa propre misère. Il lui semblera
voir plus clair que la lumière du jour qu'elle est remplie de maux
et de péchés; c'est là, en effet, la lumière
et la connaissance que Dieu lui donne dans cette nuit de contemplation,
comme nous le dirons plus loin. Comme elle trouve quelqu'un qui partage
sa manière de voir et lui dit qu'elle souffre par sa faute, sa peine
et ses angoisses grandissent démesurément et arrivent d'ordinaire
à un état pire que la mort. Ce n'est pas assez pour de pareils
confesseurs. Comme ils s'imaginent que cet état est la conséquence
de leurs péchés, ils les obligent à repasser leur
vie et à faire une foule de confessions générales.
C'est les crucifier de nouveau et ne pas comprendre que ce n'est plus le
temps d'employer de tels moyens, mais de laisser ces âmes dans l'état
de purification où Dieu les a placées, de les consoler, de
les encourager à vouloir cette épreuve tout le temps qu'il
plaira à Dieu. Jusqu'alors, en effet, il n'y a pas de remède,
quoi que fassent ces âmes, et qui que disent leurs confesseurs.
Telle
est la question que nous traiterons, avec la grâce de Dieu. Nous
montrerons comment l'âme doit se comporter dans cet état,
quel doit être le rôle de son confesseur, et quelles sont les
marques auxquelles on reconnaîtra si cette épreuve est une
purification l'âme; et alors, dans ce cas, s'il s'agit d'une purification
des sens ou de celle de l'esprit que nous appelons nuit obscure. Nous dirons
aussi comment on pourra reconnaître que cet état provient
de la mélancolie ou d'une autre imperfection des sens ou de l'esprit.
Il peut
arriver aussi que certaines âmes ou leurs confesseurs s'imaginent
que Dieu les conduit par cette voie de la nuit obscure de la purification
de l'esprit, et ce ne sera peut-être que l'une de ces imperfections
dont nous avons parlé. D'un autre côté, il y a aussi
beaucoup d'âmes qui s'imaginent être dépourvues de l'esprit
d'oraison et qui le possèdent à un très haut degré,
tandis que d'autres, au contraire, s'imaginent en avoir beaucoup et n'en
ont presque point.
Il y
en a qui font pitié à voir, tant elles souffrent et se fatiguent,
et qui néanmoins reculent; elles recherchent leur avancement dans
ce qui, loin de le procurer, ne peut que l'empêcher. Il y en a encore
qui, au contraire, sans fatigue ni agitation, réalisent de grands
progrès. Il y en a même qui se troublent et s'inquiètent
des faveurs et des grâces que Dieu leur accorde pour leur avancement
et ne réalisent aucun progrès. On pourrait énumérer
encore beaucoup d'obstacles qui se trouvent dans cette vie et découlent
des joies, des peines, des espérances ou des chagrins que l'on éprouve;
les uns proviennent de l'esprit de perfection, les autres de l'imperfection.
Telle
est la matière dont nous tâcherons, avec l'aide de Dieu, de
dire quelques mots. Celui qui lira cet écrit pourra se rendre compte
quelque peu de la voie où il se trouve et de celle qu'il doit suivre,
s'il a la prétention de parvenir au sommet de cette montagne.
Comme
il s'agit ici de la nuit obscure, par laquelle l'âme doit aller à
Dieu, que le lecteur ne s'étonne pas de trouver quelque obscurité
dans notre enseignement. Mais, à notre avis, ce ne sera qu'au début;
car s'il continue sa lecture, il arrivera peu à peu à mieux
comprendre ce qu'il a lu tout d'abord; d'ailleurs les diverses parties
de cet écrit s'expliquent l'une par l'autre. Et s'il vient à
le relire, nous pensons qu'il le trouvera plus clair et son enseignement
plus sûr.
Toutefois,
si quelques personnes ne goûtaient pas cette doctrine, il faudrait
l'attribuer à mon peu de savoir et à l'imperfection de mon
style; car la matière que je traite est bonne en soi et très
nécessaire. Mais il me semble que si on l'exposait avec plus de
talent et de perfection que je ne le ferai, elle ne serait pas encore goûtée
d'un grand nombre. La raison c'est que l'on n'écrira pas des choses
qui soient très faciles à suivre et offrent de l'attrait
à ceux qui se plaisent à rechercher Dieu par la voie des
douceurs. Nous donnerons plutôt une doctrine substantielle et solide
pour les uns comme pour les autres, à la condition que l'on veuille
passer par la nudité d'esprit dont il s'agit dans cet ouvrage. D'ailleurs,
mon intention principale n'est pas de m'adresser à tous en général,
mais bien à quelques personnes, aux religieux et religieuses de
la réforme de Notre-Dame du Mont Carmel, qui m'ont demandé
ce livre. Dieu leur a fait la grâce de les placer dans le sentier
de cette montagne; comme ils sont déjà dépouillés
complètement des biens de ce monde, ils comprendront mieux cette
doctrine de la nudité d'esprit. |