LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Considérations
sur les
principales actions de la vie

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NEUVIÈME CONSIDÉRATION

DE LA CONFESSION ET DE LA DIRECTION

Comme la vie du corps se conserve par la nourriture et se répare par les remèdes, aussi la vie de l'âme dépend de la confession et de la communion ; la confession la guérit, et la communion la nourrit.[1] L'un et l'autre est un sacrement, qu'il faut recevoir avec les préparations requises.

I - De l'examen

La confession suppose l'examen de conscience comme une disposition nécessaire à ce sacrement. Il contient cinq parties : I° l'action de grâces, 2° l'invocation du Saint-Esprit pour connaître ses péchés, 3° la revue de toutes ses actions, pensées et paroles, 4° la douleur d'avoir péché, 5° le bon propos de s'amender. Voyez auquel de ces cinq points vous vous arrêtez davantage.[2]

II - Il le faut faire tous les jours

Il est important de faire tous les jours cet examen; car il maintient l'âme dans l'humilité et dans la connaissance de soi-même; il attire de nouvelles grâces du ciel par la reconnaissance de celles qu'on a reçues; il dispose à la confession, et fait qu'on n'y omet point de péché considérable; il empêche aussi le vice de prendre racine dans l'âtre; il rend l'usage de la contrition facile par les actes fréquents qu'on en produit; il met ordre à l'avenir, il prévoit les dangers, il marque les occasions. En un mot, il rend l'homme plus sage, plus vigilant, plus pur, plus humble, et le met à tous moments en état de mourir. Êtes-vous en cette disposition ? Manquez-vous à votre examen ? Quelle en est la cause ?

L'homme sage prévoit le mal et le détourne autant qu'il peut. Vous serez jugé après votre mort ; prévenez ce jugement en vous jugeant vous-même. Si vous vous excusez, Dieu vous accusera; si vous vous pardonnez, Dieu vous condamnera. Au contraire il vous défendra si vous vous accusez; il vous pardonnera si vous vous condamnez.

Il y en a qui se plaignent qu'ils ne se souviennent point le soir de ce qu'ils ont fait la journée ; et comment se souviendront-ils de ce qu'ils auront fait pendant un mois ou un an ? Cela montre qu'il est moralement impossible de se bien confesser si on ne le fait souvent.

L'action de grâces est une des plus importantes parties de l'examen. Considérez les biens que Dieu vous a faits ce jour-là, et vous concevrez sans peine la douleur du mal que vous aurez fait. Il est bon de rappeler en sa mémoire les péchés qu'on a commis ; mais il ne faut pas les rechercher avec trouble et inquiétude. Si vous avez commis quelque faute notable, elle se présentera aussitôt à votre esprit. Arrêtez-vous à celle-là, concevez-en de l'horreur, cherchez-en les remèdes, faites une ferme résolution de vous en corriger le jour suivant, et vous aurez fait un bon examen.

Il est surtout important d'entretenir un vice à combattre et une vertu à acquérir. Ce doit être le sujet principal de votre examen. Il y en a qui ne font rien parce qu'ils veulent trop faire ; ils déclarent la guerre à tous les vices, et n'en détruisent pas un. C'est un artifice de leur ennemi qui les joue et leur donne le change. Nos forces sont bornées et limitées ; nous ne pouvons pas tout faire à la fois ; elles sont faibles quand elles sont divisées ; il les faut réunir pour surmonter son ennemi. Il est bon d'en entreprendre un, et de ne point mettre bas les armes qu'on ne l'ait entièrement défait. Quelle est la matière de votre examen ? à quel vice faites-vous la guerre ? Combien y a-t-il que vous le combattez ? Quel avantage en avez-vous remporté ?

III - De la confession

Le sacrement de pénitence est la seconde planche que Dieu nous ait laissée après le naufrage. Autant de fois que nous nous confessons, nous honorons la sagesse de Dieu par l'aveu que nous faisons de nos ignorances ; sa puissance par l'exposition de nos faiblesses ; sa sainteté par la déclaration de nos crimes. Nous faisons amende honorable à sa grandeur et à sa majesté que nous avons offensée. Nous doI1nons satisfaction à sa justice. Nous humilions notre orgueil, nous détournons les châtiments que nous avons mérités, nous lui sacrifions notre honneur, qui est la chose du monde que nous aimons le plus ; nous purifions notre âme ; nous guérissons nos plaies ; nous acquérons un droit particulier aux grâces de Dieu ; nous déracinons nos vices; nous assurons notre salut; nous procurons la paix et le repos à notre conscience.

IV - Défaut de ceux qui veulent ne rien omettre

Il y en a qui font consister l'excellence de leur confession à se souvenir de tous leurs péchés, à tout dire et à ne rien oublier. S'il leur en échappe un seul, ils se troublent et croient n'avoir rien fait qui vaille. C'est ce qui leur donne horreur de la confession, croyant qu'ils n'en font jamais une qui soit entière. Ce scrupule est dangereux, puisqu'il tend à éloigner l'âme des sacrements et lui donne aversion de son remède.

N'êtes-vous point de ces gens-là ? Pourquoi vous tourmentez-vous d'une chose qui n'est point en votre pouvoir ? N'est-ce pas à Dieu de vous donner connaissance de vos péchés ? S'il ne veut pas que vous les déclariez, pourquoi le voulez-vous faire ? S'il le voulait, il vous en ferait souvenir ; puisque vous ne vous en souvenez pas, c'est qu'il ne le veut pas. Il ne vous oblige pas à dire ce que vous ne savez point, mais ce que vous savez. Après que vous l'avez dit, et que vous avez pris le temps qui vous est prescrit par votre confesseur à vous examiner, vous devez être en repos, et s'ils retournent en votre esprit, ils ne rentrent pas pour cela dans votre cœur, d'où ils ont été chassés par l'absolution du prêtre.

V - Défaut de ceux qui veulent sentir la contrition

Il n'est point aussi [3] nécessaire qu'une contrition soit sensible pour être véritable. Il faut avoir une grande douleur de ses péchés ; mais il ne faut pas juger de sa grandeur [4] par le sentiment qu'on en a. Il y en a qui ont des larmes à commandement, et qui ne sont pas pour cela plus touchés de douleur que ceux qui n'en ont point. Nous le voyons dans Pharaon, dans Judas, et dans Antiochus.[5] Celui-là montre qu'il est véritablement pénitent qui déteste son péché et ne le veut plus commettre. Si vous ne vous sentez point de douleur, priez Dieu de vous en donner. Si vous n'en avez point, suppléez à la douleur sensible par votre humilité. Prosternez-vous de corps et d'esprit devant Dieu. Reconnaissez vos infidélités et vos ingratitudes. Demandez-en le pardon, et sans tant de discussion, de recherche et d'examen, allez vous confesser de bonne foi. Dieu qui voit votre coeur sait bien que vous ne voulez pas le tromper, ni faire un sacrilège, et que puisque vous vous confessez n'y étant point obligé, vous montrez bien que le péché vous déplaît et que vous voulez vous amender.

VI - La rechute n'est pas toujours une marque
que la pénitence a été nulle

À la vérité, il y a bien sujet de douter si un pénitent a de la douleur, qui retombe si souvent dans le même péché incontinent après s'en être confessé. La haine étant la plus forte et la plus constante des passions, celui qui se réconcilie promptement avec son péché donne sujet de croire qu'il ne l'a jamais haï. Je sais que la rechute n'est pas une marque certaine que la pénitence a été défectueuse. Les sacrements ne nous rendent pas impeccables, bien qu'ils diminuent les péchés. La vérité d'un acte précédent n'est pas détruite par la vérité d'un acte suivant ; ainsi je puis retomber malade, quoique j'aie recouvré véritablement la santé.

VII - Quelles rechutes sont à craindre

Tout cela est véritable. Mais quand les rechutes sont grandes [6] et fréquentes, quand on n'en est ni plus vigilant, ni plus fidèle, il y a lieu de craindre que la douleur n'ait pas été véritable.

Avez-vous dessein en vous confessant de tromper Dieu ? Non, dites-vous. Agissez-vous de bonne foi ? Oui. Demeurez donc en paix, et ne vous troublez point.

VIII - Il faut écouter les instructions du prêtre
avec attention

Ne vous imaginez pas être bien confessé pour avoir dit tous vos péchés, si vous ne les avez détestés. Il y en a qui emploient tout leur temps à chercher de quoi dire, et ne songent presque point à détester ce qu'ils ont fait ni à prévoir ce qu'ils doivent faire. La crainte qu'ils ont à oublier quelque péché est si grande qu'ils ne s'occupent que de cela pendant que le prêtre leur parle et leur donne l'absolution.[7] C'est dont ils devraient faire un grand scrupule, car les instructions du prêtre dans le sacrement sont en quelque façon des paroles sacramentelles qui portent grâce avec elles et qui ont une vertu particulière de rendre la santé aux malades. Il n'est pas nécessaire que vous disiez les péchés dont vous ne vous souvenez pas; mais il est souvent nécessaire que vous entendiez la correction qu'on vous fait et les avis qu'on vous donne.

IX - Sentiments de piété lorsqu'on reçoit l'absolution

Savez-vous ce qui se passe lorsque le prêtre vous donne l'absolution ? Le ciel s'ouvre ; le Saint-Esprit descend ; les démons sont chassés de votre âme ; le Fils de Dieu l’a lavé de son Sang ; vous êtes revêtu de la robe nuptiale, et mis en état d'assister aux noces et d'approcher de la sainte table ; vous sortez des enfers ; vous ressuscitez comme le Lazare ; vous êtes délié de vos péchés et de la peine que vous aviez encourue ; vous rentrez dans la communion de l'Église; vous êtes rétabli dans la qualité d'enfant de Dieu ; vous recouvrez le droit à l'héritage du paradis que vous aviez perdu ; vous recevez les grâces infuses, les dons du Saint-Esprit, et une infinité d'autres trésors. Et pendant que cela se passe, vous êtes distrait volontairement à songer à vos péchés ? Vous vous occupez de choses vaines et inutiles, contre la défense que vous en a faite votre confesseur? Quel aveuglement et quelle tentation !

Défiez-vous de cette ruse du démon. Après un examen raisonnable, humiliez-vous devant Dieu. Confondez-vous à la vue de vos infidélités. Concevez-en de la douleur en votre âme sans vous mettre en peine de la sentir, Formez une ferme résolution de vous amender. Allez vous confesser. Déclarez vos péchés nettement et modestement. Quand vous avez dit ce que vous savez, ne songez plus à rien, mais écoutez ce que le prêtre ou plutôt ce que le Fils de Dieu vous dit par la bouche du prêtre. Et quand il vous donne l'absolution, persuadez-vous être sur le Calvaire, et que le Sang du Fils de Dieu coule à gros torrents sur votre âme pour la purifier. Demeurez en silence et dans un profond respect, et vous retirez sans dire mot, à mains que vous ne vous souveniez d'un péché considérable, que vous n'auriez pas dit, car alors il le faudrait déclarer. Mais, comme j'ai dit, donnez-vous de garde de l'aller chercher, ne vous occupant que de ce soin et de cette pensée, pendant que le prêtre vous parle et vous absout.

X - Il ne faut pas éviter la confusion

Puisque la confession est principalement instituée pour humilier le pécheur, plus vous aurez de confusion, plus vous donnerez de satisfaction à la justice divine. C'est la meilleure de toutes les pénitences que vous puissiez faire. Gardez-vous donc de pallier vos péchés, de les dissimuler, de les excuser ; niais déclarez-en toujours la malice, et buvez avec plaisir la confusion que vous cause cette déclaration.

XI - S'il la faut chercher

Il y en a qui estiment qu'il est bon d'obliger de temps en temps les âmes les plus saintes à faire une déclaration nouvelle des impuretés de leur vie passée, pour en avoir de la confusion. Pour moi, j'avoue que je ne suis pas de ce sentiment, et que je le trouve très dangereux. Qu'est-il besoin d'aller remuer ce bourbier ? N'est-ce pas assez qu'une âme s'humilie devant Dieu, sans salir son imagination ? Qui peut dire que cela ne réveillera point la tentation ? [8] Y a-t-il lieu, y a-t-il temps, y a-t-il sainteté, quelle qu'elle soit, qui puisse être en assurance, et insulter à la faiblesse du démon ? Les pensées déshonnêtes sont toujours des ennemis à craindre, beaucoup plus les discours. Ces remèdes sont de la nature des poisons, qui tuent les malades s'ils ne sont bien préparés. Il se peut faire que quelques hommes en fassent bon usage ; je ne les conseillerais jamais aux femmes, principalement quand les confesseurs les y veulent obliger, à moins que leur sainteté ne fût connue et ne pût être soupçonnée de quelque curiosité. Mais combien en trouvera-t-on de la sorte ?

XII - S'il faut se confesser souvent

Ceux qui sont scrupuleux, font bien de se confesser rarement, je veux dire une fois la semaine. Ceux qui ne le sont pas ne sauraient mieux faire que de se confesser souvent. À force de se laver les mains on les tient nettes. Qu'il est difficile de se confesser rarement et de faire une bonne confession ! Comment vous souviendrez-vous de tous vos péchés? Comment les pourrez-vous détester ? Peut-on haïr en un moment ce qu'on a longtemps aimé ? Peut-on aimer en un moment ce qu'on a longtemps haï ? On juge qu'un malade veut guérir quand il prend les remèdes propres à son mal. Jugerai-je que vous voulez vous amender, fuyant la Confession, qui est le plus puissant moyen pour vous tirer du vice ?[9]

XIII - De la satisfaction

Faites la pénitence que le prêtre vous impose, et ne la regardez pas comme une peine, mais comme une grâce très grande que Dieu vous fait, changeant les peines éternelles de l'enfer aux peines temporelles de cette vie ; de grandes et longues douleurs en une courte et légère satisfaction.

Il est vrai qu'une partie de la pénitence est de s'amender de son péché ; mais cela n'empêche pas qu'on ne doive le haïr et punir. Les péchés d'habitude ne se déracinent qu'avec peine ; à moins de vous imposer de bonnes pénitences autant de fois que vous les commettrez, vous ne vous en déferez jamais.

La pénitence doit dédommager la justice de Dieu, elle fait même sa fonction sur la terre. Si vous voulez que Dieu vous pardonne, ne vous pardonnez rien. Si vous voulez qu'il vous épargne, ne vous épargnez point. Si vous vous faites grâce, il vous fera justice. Si vous vous faites justice, il vous fera grâce.

XIV - Nécessité d'un Directeur

Avez-vous un directeur ? Pourquoi n'en aurez-vous point ? Savez-vous le chemin du ciel ? Y a-t-il homme sur la terre qui soit suffisant à lui-même ? Dieu nous gouverne-t-il par des révélations particulières ? Êtes-vous plus éclairé que saint Paul, que le Fils de Dieu envoie à Ananias pour être instruit ?[10] que les plus grands saints, qui se sont laissé conduire ? La brebis est un animal docile et qui demande un pasteur.[11] Vous n'êtes point brebis si vous n'avez point de conduite. Il ne faut que se connaître pour se défier de soi-même. V a-t-il sur la terre créature plus malade que vous ? Si vous ne le croyez pas, vous êtes morte. Hé ! d'où vient donc que vous ne voulez point de médecin ? N'est-ce point tenter Dieu que de s'en vouloir passer ? Qui vous assurera que vous êtes dans la bonne voie, sinon ceux à qui Notre-Seigneur a donné le gouvernement des âmes, et auxquels il a dit : Celui qui vous écoute m'écoute, et celui qui vous méprise me méprise.[12]

Vous êtes, dites-vous, une personne habile et spirituelle : vous devez donc avoir plus d'humilité et plus de défiance de vous-même que les autres ; vous devez avoir plus de dépendance de Dieu et plus de soumission à sa conduite ; et puisqu'il ne conduit les hommes que par les hommes, vous ne devez pas croire que votre conduite soit de Dieu si vous n'avez personne pour vous instruire. Il faut pour traiter et pour gouverner les âmes avoir une science céleste, des grâces extraordinaires, surtout la discrétion des esprits, sans laquelle on ne croire que votre conduite soit de Dieu, c'est-à-dire que votre façon de vous conduire soit de Dieu si vous n’avez personne pour vous instruire. Il faut pour traiter et pour gouverner les âmes avoir une science céleste, des grâces extraordinaires, surtout la discrétion des esprits, sans laquelle on ne peut discerner les mouvements de la grâce et de la nature, de Dieu et du démon. Or, ces grâces étant gratuites, elles nous sont données pour les autres et non pas pour nous-mêmes. Celui qui est fort éclairé pour la conduite du prochain est souvent très aveugle pour la sienne propre, d'autant que Dieu ne fait couler ses grâces que par le canal de l'obéissance et par la direction d'une autorité légitime.

C'est pourquoi saint Bernard a très bien dit de celui qui s'établit le maître de soi-même qu'il se rend disciple d'un fou, et qu'il n'a pas besoin de démon pour le tenter, parce qu'il est à soi-même le plus méchant et le plus dangereux de tous les démons. Cassien ajoute que, comme il est impossible qu'une âme soit trompée qui s'abandonne aveuglément à la conduite de ses supérieurs, il ne se peut faire aussi qu'elle ne tombe dans l'illusion si elle s'appuie sur son propre jugement. Il faut donc avoir un directeur auquel on découvre sa conscience et dont on prenne avis.

XV - Du choix d'un directeur

Il y a de certaines dévotes qui font les précieuses, et qui ne sauraient trouver de directeur qui soit à leur goût. Il leur en faut changer tous les mois ; et pour autoriser leur légèreté, elles produisent l'exemple de sainte Thérèse, dont la conduite était inconnue à la plupart de ses, confesseurs ; et le sentiment de saint François de Sales, qui ordonne d'en choisir un entre dix mille.

J'avoue que les saintes Thérèse, je veux dire celles qui sont dans ses voies, ont besoin de directeurs savants et expérimentés. Mais êtes-vous une sainte Thérèse ? Obéissez-vous comme elle à tous vos confesseurs ? Faites-vous ce qu'ils vous ordonnent, jusqu'à quitter Notre-Seigneur, qui lui apparaissait visiblement, quand l'obéissance le lui ordonnait ? Si vous êtes humble, docile et obéissante comme elle, le Fils de Dieu ne manquera pas de vous donner des gens plus capables et plus éclairés que vos confesseurs, quand il en sera temps. Cependant il vous instruira par lui-même, sans toutefois vous soustraire de l'obéissance que vous leur devez. Les personnes qui sont si délicates en matière de directeurs, si difficiles à contenter, auraient besoin d'en avoir un qui leur enseignât les éléments de la vie spirituelle, et qui les fît marcher par les voies de l'humilité et de la mortification.

N'êtes-vous point de ces gens-là ? Ne faites-vous point la sainte Thérèse ? N'êtes-vous point trop difficile au choix de vos directeurs ? N'épluchez-vous point trop leurs actions ? C'est prudence de choisir le meilleur et ne pas se fier à tout le monde ; mais quand vous en aurez choisi un, il faut s'y fier entièrement, à moins que sa conduite et ses moeurs ne vous donnent sujet raisonnable de craindre qu'il ne vous égare ; car alors vous pourrez consulter quelque personne qui vous déclare ce que vous devez faire, et si vous vous y devez arrêter. C'est le sentiment de tous les sages, qu'il faut se défier d'un confesseur ou d'un directeur qui veut rendre les personnes esclaves de sa conduite, qui leur ôte la liberté d'aller à d'autres, et qui les oblige à lui faire voeu d'obéissance. Tout cela m'est fort suspect, et me fait craindre que cette conduite ne soit plus humaine que divine.

XVI - S'il est bon d'en changer

La légèreté est un grand vice et ordinaire aux femmes, qui sont timides et qui craignent d'être trompées ; mais il ne faut pas se jeter aussi dans une autre extrémité. Il y en a qui se font un point d'honneur de ne changer jamais, quoiqu'elles reconnaissent beaucoup d'ignorance et fort peu de piété dans celui qui les gouverne. Elles ne le veulent point quitter, soit parce qu'elles ne veulent pas se manifester à d'autres, soit parce qu'elles appréhendent de passer pour légères et inconstantes.

Je conseillerais à ces gens-là de ne changer jamais ni de serviteurs ni de servantes, ni de maison, ni de médecin, si ignorant qu'il puisse être. Hélas ! tout nous est cher, hormis notre âme. Si le corps est malade, on cherche le plus habile de tous les médecins, et on ne craint point en cela le respect humain, au contraire on en fait gloire ; et quand l'âme est malade, tout médecin est bon ; dût-elle périr éternellement, elle n'en aura point d'autre ; est-ce là s'aimer ? Mais est-ce là être raisonnable ?

Apprenez que les hommes ne sont pas tous également éclairés, et que Dieu ne communique pas ses dons indifféremment à tout le monde. Il en est de l'édifice spirituel comme du matériel. Il y en a qui savent bien creuser les fondements d'une maison, et qui n'en sauraient élever les murailles ; d'autres savent bien élever les murailles, mais n'en sauraient faire le toit.

XVII - De la défiance

Il faut se gouverner en tout avec prudence ; mais il faut se donner de garde de deux vices en matière de direction : l'un est la défiance, l'autre l'attachement du coeur. Si vous cachez vos desseins, dit le Saint-Esprit, vous ne serez point dirigé, et si vous êtes sans directeur, vous serez bientôt égaré ; vous n'aurez ni conseil dans vos doutes, ni secours dans vos combats, ni consolation dans vos peines.[13]

XVIII - De l'attachement du cœur

Il est aussi très dangereux de séparer Dieu de son directeur, car il arrivé ensuite, ou qu'on le méprise, ou qu'on s'y attache d'une façon déréglée. Si vous ne regardez que Dieu en la personne qui vous dirige, vous lui parlerez avec respect, vous l'écouterez avec humilité, vous lui obéirez avec soumission, vous lui ouvrirez votre coeur avec confiance. Que si Dieu vous l'ôte, vous n'en serez point troublé ni inquiété, d'autant que ce n'est point sur la créature que vous devez vous appuyer, mais sur Dieu, lequel vous ôtant un homme vous en donnera un autre ; et quand vous ferez de votre côté ce que vous savez, il ne manquera pas de vous enseigner ce que vous ne savez pas.

Que si vous traitez trop familièrement avec votre directeur, si vous sentez un désir empressé de le voir et de lui parler ; si vous souffrez avec impatience de son éloignement ; si vous disputez ; si vous murmurez ; si vous vous plaignez de ce qu'il ne vous considère pas tant que les autres, et qu'il ne vous donne pas assez de temps pour lui parler ; il est évident que vous le considérez plutôt comme un homme que comme la personne de Jésus-Christ.  Ensuite vous devez appréhender la malédiction fulminée contre ceux qui s'appuient sur la créature, et qui mettent toute leur confiance dans un bras de chair.

Examinez si vous n'êtes point de ces gens-là. Changez de directeur s'il ne vous est pas propre.[14] S'il est sage, savant et vertueux, ne le changez pas, mais changez-vous vous-même, et corrigez le dérèglement de votre passion.


[1] Après le Sacrifice, le Père Crasset considère et recommande l'usage des sacrements, remède et nourriture. Il insistera sur les préparations Qui doivent en sauvegarder la réception et en assurer les fruits. Rien ne montre mieux que ces deux chapitres le souci que prend partout le prudent et charitable Père (Cf. chap. XI) de se tenir tout prés des âmes et de maintenir toujours leur vigilance en éveil.

[2] On a reconnu les cinq actes recommandés pour l'examen (soit de conscience, soit particulier dans les Exercices, dés la première semaine, et dans l'ordre où ils y sont proposés. Notons l'apologie motivée, si précise et si pleine, — vrai canevas d'instruction — qui fait l'objet de ce passage (n° II).

[3] Par ailleurs, d'autre part ; nous dirions : Il n'est pas nécessaire non plus.

[4] De son intensité.

[5] Le Pharaon ne cesse de molester le peuple de Dieu, et n'autorise son départ que forcé par les châtiments d'en haut (Ex., 7 ;13). Judas désespéré jette dans le Temple les trente deniers de sa trahison ; mais il ne pleure pas sa faute ; il n'en demande pas par (Mt. 26 ;5).

Antiochus le persécuteur, frappé d'un mal secret, meurt consumé par les vers (II Mac. ; 9 ;5).

[6] Graves.

[7] Le souci absorbant des péchés oubliés ou la crainte excessive d'en omettre, peuvent devenir une cause de distraction, et nourrir le scrupule; le Père Crasset dépiste l'adversaire, en dénonçant cette ruse de l'ennemi.

[8] Le Père Crasset ne blâme pas l'accusation réitérée des fautes, mais il veut que l'on regarde à la matière et au motif. Le mieux est souvent l'ennemi du bien. On ne saurait admettre que, pour le seul espoir d'une confusion plus grande, on risque de compromettre la paix de la conscience, par des retours inutiles et dangereux sur les fautes passées, sur certaines fautes surtout. Une psychologie avisée fait entrevoir au confesseur expérimenté les réveils possibles et importuns de la tentation ; il redoute ici un piège caché . Il écarte donc d'une main résolue le motif, spécieux, louable en soi, qui servirait de prétexte à cette « curiosité ». Il veut qu'on soit bien sûr, en tout cas, de l'esprit dans lequel on fera cette « déclaration nouvelle » ; il sent que, dans la majorité des cas, elle procédera d'un esprit de crainte, plutôt fait pour soulever une nuée de scrupules que pour stimuler a confiance.

[9] Examen des fautes, contrition, aveu, tout devient moins facile quand les confessions sont plus espacées.

[10] Actes des Apôtres : 9 ; 7.

[11] Saint Jean : 6 ; 45.

[12] Saint Luc : 10 ; 6.

[13] Doutes, combats, peines ; l'esprit, le coeur, la volonté, cherchent appui. Il dira plus bas : respect, soumission, confiance.

[14] Approprié à vos besoins spirituels ; apte à vous conduire.

 

   

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