 |
Chapitre neuvième
L'affaire terminée il monta sur un petit cheval que les
Compagnons lui avaient acheté et il s'en alla tout seul vers son pays. En cours
de route, il se trouva beaucoup mieux. En arrivant à la Province (47), il quitta
la route habituelle et prit celle de la montagne qui était plus solitaire. Il
avait cheminé un peu lorsqu¹il tomba sur deux hommes armés qui venaient à sa
rencontre, (cette route est de réputation assez mauvaise du fait des assassins).
Après l'avoir dépassé un peu, ils revinrent sur leurs pas, le rattrapèrent
avec beaucoup de hâte et il apprit qu¹ils étaient des domestiques de son frère,
lequel les avait envoyés à sa recherche. À ce qu¹il semble, en effet, de
Bayonne, en France, où le Pèlerin avait été reconnu, ce frère avait reçu la
nouvelle de son arrivée. Les domestiques prirent les devants et il les suivit
sur le même chemin. Un peu avant d¹arriver à sa terre il les retrouva encore qui
venaient à sa rencontre et qui insistèrent beaucoup pour le mener à la maison de
son frère, mais sans pouvoir l'y contraindre.
Il se rendit alors à l¹hôpital et, à l¹heure qui lui parut commode, il s¹en
fut demander l¹aumône à travers le pays (48).
Dans cet hôpital il se mit à parler, avec beaucoup de gens qui venaient le
visiter, au sujet des choses de Dieu, par la grâce de qui un grand profit
spirituel résulta de ces entretiens. Dès le début, après son arrivée, il décida
d¹enseigner le catéchisme, chaque jour, aux enfants. Mais son frère le
désapprouva fortement et déclara que nul enfant ne viendrait. Il lui répondit
qu¹il lui suffirait d¹un seul. Mais après qu¹il eût commencé, beaucoup de gens
vinrent continûment l¹écouter, et même aussi son frère.
En plus du catéchisme, il prêchait également les dimanches et jours de fête,
avec utilité et profit pour les âmes. Les gens venaient de plusieurs milles pour
l¹entendre. En outre il s¹efforça de supprimer certains abus et, avec l¹aide de
Dieu, il en redressa plus d¹un. Par exemple, en ce qui concerne le jeu, il
obtint qu¹il fût prohibé par des mesures effectives, ayant convaincu celui qui
avait la charge de la justice. Il y avait aussi là-bas un autre abus, celui-ci :
les jeunes filles, dans ce pays, vont toujours la tête découverte, elles ne la
couvrent qu¹à partir du jour où elles se marient. Mais il y en a beaucoup qui
deviennent concubines de prêtres et d¹autres hommes et qui leur sont fidèles
comme si elles étaient leurs épouses. Et c¹est une chose à ce point courante que
les concubines n¹ont pas la moindre vergogne à dire qu¹elles se sont couvert la
tête pour un tel et elles sont connues comme vivant dans cet état.
De cet usage naît beaucoup de mal. Le Pèlerin persuada le Gouverneur de faire
une loi d¹après laquelle toute femme qui se couvrirait la tête pour quelqu'un
sans être son épouse serait punie par la justice. De la sorte cet abus commença
de régresser.
Il fit édicter que l¹on pourvoirait les pauvres du nécessaire, sur les fonds
publics et de manière habituelle, et aussi que l¹on sonnerait trois fois
l¹angélus, le matin, à midi et le soir, afin que le peuple fît oraison, comme à
Rome. Quoiqu¹il se fût bien porté, au début, il tomba par la suite gravement
malade. Quand il fut guéri il résolut de partir afin de régler les affaires qui
lui avaient sans un sou, chose dont son frère s¹irrita beaucoup, honteux déjà
qu¹il voulût s¹en aller à pied. Le soir de son départ le Pèlerin eut la
condescendance que voici : il se rendit jusqu¹à la frontière de la Province à
cheval en compagnie de son frère et de ses parents.
Mais quand il fut sortit de la Province il mit pied à terre, sans rien
emporter et s¹en fut en direction de Pampelune. Il gagna Almazan, pays natal du
Père Linez puis Sigüenza et Tolède. De Tolède il se rendit à Valence. Dans tous
ces pays, dont chacun était le pays natal de chacun de ses Compagnons, il ne
voulut rien accepter, bien qu¹on lui proposât de grandes offrandes avec beaucoup
d¹insistance.
À Valence il s¹entretint avec Castro qui était moine chartreux. Comme il
voulait s'embarquer pour Gênes, ses dévoués amis de Valence le prièrent de n¹en
rien faire. On disait que Barberousse courait la mer avec beaucoup de galères,
etc. En dépit des nombreuses choses qu¹on lui raconta, et qui eussent suffi à
l¹effrayer, rien ne put néanmoins le faire hésiter.
S'étant embarqué sur un grand navire, il essuya la tempête dont on a fait
mention plus haut quand on a signalé qu¹il fut trois fois sur le point de
mourir.
Arrivé à Gênes, il prit la route de Bologne sur laquelle
il souffrit beaucoup, surtout la fois où il s¹égara et se mit à longer un cours
d¹eau qui était en contrebas tandis que son chemin montait. Et ce chemin, plus
il le suivrait, plus il le voyait se rétrécir. Et il devint tellement étroit
qu¹il ne pouvait plus ni avancer ni faire demi-tour. Il se mit alors à marcher à
quatre pattes et il chemina de la sorte un bon moment avec une grande peur :
chaque fois qu¹il faisait un mouvement il croyait qu¹il allait tomber dans le
cours d¹eau. Ce furent là la plus grande fatigue et la plus grande épreuve
physique qu¹il eût jamais connues. Mais à la fin il se tira d¹affaire.
Pour entrer à Bologne, il devait passer sur un petit pont de bois. Il tomba de
ce pont et se releva couvert de boue et trempé. Il fit rire les nombreuses gens
qui se trouvaient là.
Dès son arrivée à Bologne, il se mit à demander l¹aumône et n¹obtint pas un
liard, bien qu¹il cherchât dans toute la ville.
Il resta quelque temps à Bologne, y fut malade, puis s¹en alla à Venise,
toujours de la même façon.
Chapitre dixième
À Venise, à cette époque, il s¹appliquait à donner les
Exercices et se livrait à d¹autres entretiens spirituels. Les personnes les plus
en vue auxquelles il les donna furent Maître Pedro Contarini et Maître Gaspard
de Doctis, de même qu¹un Espagnol du nom de Rozas. Il y avait aussi un autre
Espagnol qui s¹appelait le bachelier Hoces. Il fréquentait beaucoup le Pèlerin,
ainsi que l¹évêque de Ceuta (49), et, bien qu¹il eût quelque attirance à faire
les Exercices, il ne mettait pourtant pas son désir à exécution. À la fin il se
résolut à s¹enfermer pour les faire. Après les avoir faits pendant trois ou
quatre jours, il vint dire le fond de sa pensée au Pèlerin : il avait peur que
ce dernier ne lui enseignât, par les Exercices, quelque doctrine mauvaise, s¹il
en croyait du moins ce qu¹un tel lui avait dit. C¹est pourquoi il avait apporté
avec lui certains livres, afin d¹y avoir recours, si par hasard le Pèlerin
voulait le tromper. Il tira grand profit des Exercices et à la fin il résolut
de suivre le genre de vie du Pèlerin. Ce fut aussi le premier des Compagnons qui
mourut.
À Venise le Pèlerin souffrit encore une autre persécution. Beaucoup de gens
disaient qu¹il avait été brûlé en effigie en Espagne et à Paris ; les choses
allèrent si loin qu¹on lui fit un procès. La sentence donnée fut favorable au
Pèlerin.
Les neuf Compagnon arrivèrent à Venise au début de l¹année 1535. Là, ils se
dispersèrent pour aller servir dans divers hôpitaux. Au bout de deux ou trois
mois ils s¹en allèrent tous à Rome recevoir la bénédiction pontificale pour le
voyage de Jérusalem. Le Pèlerin n¹y alla pas à cause du Docteur Ortiz qui se
trouvait là-bas, ainsi que le nouveau Cardinal Théatin (50). Les Compagnons
revinrent de Rome avec des lettres de crédit de deux à trois cents écus qui leur
avaient été données en aumônes pour leur traversée jusqu¹à Jérusalem. Ils
n¹avaient voulu prendre cet argent que sous forme de lettres de crédit. Par la
suite, comme ils ne purent aller à Jérusalem, ils rendirent ces lettres à ceux
qui les leur avaient données.
Les Compagnons retournèrent à Venise de la même manière qu¹à l¹aller,
c'est-à-dire à pied et en mendiant leur vie, mais ils se répartirent en trois
groupes et de telle sorte qu¹ils fussent, dans chaque groupe, de nations
diverses. Une fois à Venise ceux qui n¹étaient pas prêtres reçurent
l¹ordination, ayant été autorisés par le nonce du pape à Venise, Verallo, lequel
devint ensuite Cardinal. On les ordonna ad titulum paupertatis et tous firent le
v¦u de chasteté et de pauvreté.
Cette année-là, les navires n¹appareillaient pas pour le Levant, parce que
les Vénitiens avaient rompu avec les Turcs. Eux alors, voyant s¹éloigner leur
espoir de s¹embarquer, se répartirent à travers le pays vénitien avec
l¹intention d¹attendre, comme ils l¹avaient décidé, que l¹année fût passée. Si
elle s¹écoulait sans qu¹ils aient pu s¹embarquer, ils s¹en iraient à Rome.
Au Pèlerin il échut d¹aller avec Favre et Lainez à Vicence. Là ils trouvèrent
une maison, hors du pays, qui n¹avait ni portes ni fenêtres. Ils y dormaient sur
un peu de paille qu¹ils avaient apportée. Deux d¹entre eux allaient
régulièrement demander l¹aumône en ville deux fois par jour. Ils rapportaient si
peu qu¹ils avaient à peine de quoi subsister. Ils mangeaient d¹habitude du pain
sec, cuit à l¹eau, quand ils en avaient, et celui qui restait à la maison
veillait à le faire cuire. Ils passèrent de cette façon quarante jours, ne
s¹occupant à rien d¹autre qu¹à faire oraison.
Passé les quarante jours, Maître Jean Codure arriva et ils décidèrent
ensemble de commencer à prêcher. Ils allèrent tous les quatre sur différentes
places, le même jour et çà la même heure. Ils commencèrent leur prédication en
criant d¹abord à forte vois et ils appelèrent les gens en agitant leurs bonnets.
Ces sermons firent beaucoup de bruit dans la ville et de nombreuses personnes
furent émues de dévotion. Ils obtinrent en plus grande abondance les ressources
matérielles qui leur étaient nécessaires.
Pendant le temps qu¹il séjourna à Vicence, il eut beaucoup de visions
spirituelles et de nombreuses et quasi habituelles consolations, au contraire de
ce qu¹il avait éprouvé quand il était à Paris. Ce fut surtout quand il commença
de se préparer pour être prêtre, à Venise, et tandis qu¹il se préparait à dire
la messe et aussi pendant toutes les pérégrinations de cette époque, qu¹il eut
de grandes visitations surnaturelles, du genre de celles qu¹il avait l¹habitude
de recevoir quand il était à Manrèse.
Comme il était encore à Vicence, il apprit que l'un de ses Compagnons qui se
trouvait à Bassano était tombé malade au point de mourir. Lui-même souffrait
alors d¹une attaque de fièvres. Néanmoins il se mit en route et il marchait si
vite que Favre, son Companon, ne pouvait le suivre. Au cours de ce voyage il
reçut de Dieu la certitude ‹ et il dit à Favre ‹ que son Compagnon ne mourrait
pas de cette maladie-là. Quand ils furent arrivés à Bassano le malade éprouva
beaucoup de réconfort et il guérit vite.
Puis ils revinrent ensemble à Vicence et là pendant un certain temps, ils
furent réunis tous les dix. Certains d¹entre eux allaient chercher l¹aumône dans
les villages environnants.
Ensuite, l¹année s¹étant écoulée, et comme ils n¹avaient pu s¹embarquer, ils
décidèrent d¹aller à Rome, y compris le Pèlerin, vu que l¹autre fois, quand les
Compagnons y étaient allés sans lui, les deux personnages qu¹il redoutait
s¹étaient montrés tout à fait bienveillants.
Ils se rendirent à Rome, divisés en trois ou quatre groupes. Le Pèlerin, qui
était avec Favre et Lainez, fut, au cours de ce voyage, très spécialement visité
par Dieu. Il avait résolu, après son ordination, de rester un an sans dire la
messe, tout en se préparant et en priant la Madone qu¹elle voulût bien le mettre
avec son Fils. Comme il se trouvait un jour, quelques milles avant d¹arriver à
Rome, dans une église, en train de faire son oraison (51), il éprouva un tel
changement dans son âme et il vit si clairement que Dieu le Père le mettait avec
le Christ, son Fils, qu¹il n¹aurait pas le courage de douter de cette chose à
savoir que Dieu le Père le mettait avec son Fils. *
[ * Et moi qui écris ces choses je déclarai au Pèlerin, quand
il me les raconta, que Lainez rapportait cet épisode avec d¹autres
particularité, d¹après ce que j¹avais entendu dire. Il me répondit que tout ce
que disait Lainez était vrai. Lui-même ne se rappelait pas les détails de
manière si précise, mais il était certain qu¹au moment où il les avait racontés
il n¹avait dit que la vérité.
Il me fit la même remarque à propos d¹autres épisodes.]
Puis, en arrivant à Rome, il dit à ses Compagnons qu¹il voyait les fenêtres
fermées, entendant par là qu¹ils auraient à subir beaucoup de contradiction. Il
ajouta : « Il faut que nous nous tenions fermement sur nos gardes et que nous
n¹engagions pas de conversation avec les femmes, sauf si elles sont de haut
rang.» Plus tard, à Rome, ‹ pour dire un mot à ce sujet, Maître François Xavier
confessait une dame et il la visitait de temps en temps pour s¹entretenir avec
elle de choses spirituelles. Dans la suite elle fut trouvée enceinte, mais le
Seigneur voulut qu¹on découvrît celui qui avait commis la faute. La même chose
arriva à Jean Codure avec l¹une de ses filles spirituelles, ‹ que l¹on surprit
en compagnie d¹un homme.
De Rome, le Pèlerin se rendit au Mont-Cassin pour donner
les Exercices au Docteur Ortiz. Il y resta quarante jours, au cours desquels il
vit, une fois, le bachelier Hoces qui entrait au ciel. Il en eut un accès de
larmes abondantes et reçut une grande consolation spirituelle. Il l¹aperçut de
façon si claire que, s¹il disait le contraire, il lui semblerait mentir. Du
Mont-Cassin il emmena avec lui Francesco Estrada.
De retour à Rome, il s¹appliquait à aider les âmes. Ses Compagnons et lui
demeuraient encore à la vigne (52) et il donnait les Exercices spirituels à
diverses personnes dans le même temps, ‹ l¹une d¹elles habitait à
Sainte-Marie-Majeure, l¹autre au Ponte Sixto.
Un peu plus tard les persécutions commencèrent et Michel (53) se mit à causer
des ennuis au Pèlerin et à dire du mal de lui. Le Pèlerin le fit convoquer
devant le Gouverneur à qui il montra d¹abord une lettre de ce même Michel dans
laquelle le Pèlerin était couvert d¹éloges. Gouverneur interrogea Michel et la
conclusion de l¹affaire fut qu¹on le bannit de Rome.
Ensuite Mudarra et Barreda se mirent à le persécuter, disant que le Pèlerin
et ses Compagnons étaient des fugitifs, bannis d¹Espagne, de Paris et de Venise.
À la fin, en présence du Gouverneur et du Légat qui se trouvait alors à Rome,
tous deux avouèrent qu¹ils n¹avaient rien de mauvais à dire contre les
Compagnons si contre leurs m¦urs ou leur doctrine. Le Légat ordonna qu¹on fît
silence sur toute cette affaire mais le Pèlerin n¹accepta pas, déclarant qu¹il
voulait une sentence finale.
Cela ne fut pas du goût du Légat ni du Gouverneur ni même de ceux qui, au début,
s¹étaient montrés favorables au Pèlerin. Mais en fin de compte, au bout de
quelques mois, le Pape vint à Rome.
Le Pèlerin va lui parler à Frascati et lui soumet quelques-unes de ses bonnes
raisons et le Pape se saisit de l¹affaire et commande qu¹on rende la sentence,
laquelle est favorable, etc.
On accomplit à Rome, avec l¹aide du Pèlerin et des
Compagnons quelques oeuvres pies, comme sont les Catéchumènes, Sainte-Marthe,
les Orphelins, etc.
Les autres choses, Maître Nadal pourra les raconter.
Moi, après avoir raconté tout cela, le 20 octobre, je m¹enquis auprès du
Pèlerin sur les Exercices et sur les Constitutions, voulant savoir comment il
les avait composés. Il me répondit au sujet des Exercices qu¹il ne les avait pas
rédigés d¹un seul coup. Toutes les fois qu¹il observait dans son âme des choses
qu¹il trouvait utiles et qui lui semblaient pouvoir être aussi utiles aux
autres, il les consignait par écrit, par exemple comment faire son examen de
conscience au moyen des lignes, etc. En particulier il me dit que les modes
d¹élection, il les avait tirés de son expérience, touchant la diversité des
esprits et des pensées, expérience qu¹il avait eue à Loyola, lorsqu¹il avait
encore mal à la jambe. Et il me dit au sujet des Constitutions qu¹il m¹en
parlerait le soir.
Le même jour, avant de souper, il m¹appela, ayant l¹aspect
d¹une personne qui est plus recueillie qu¹à l¹ordinaire. Il me fit une manière
de protestation dont l¹essentiel était de montrer l¹intention véritable et le
désir de simplicité qui l¹avaient animé dans son récit, ajoutant qu¹il était
bien certain de n¹avoir rien raconté qui fût de trop. Il avait, dit-il, commis
bien des offenses envers Notre Seigneur depuis qu¹il avait commencé de le servir
mais il n¹avait jamais eu de consentement pour un péché mortel. Au contraire il
allait toujours croissant en dévotion, c'est-à-dire en facilité de trouver Dieu,
et maintenant plus que jamais dans sa vie. Toutes les fois qu¹il voulait trouver
Dieu et à l¹heure qu¹il voulait, il le trouvait. Même à présent, il avait, à des
nombreuses reprises, des visions, surtout de celles dont il a été parlé plus
haut, c'est-à-dire voir le Christ comme soleil.
Et cela lui arrivait souvent quand il se trouvait occupé à
régler des choses importantes, – ce qui le faisait venire in confirmatione
(54). Quand il disait la messe il avait aussi beaucoup de visions. Quand il
rédigeait les Constitutions, il en avait aussi très souvent. Il pouvait,
maintenant, affirmer cela plus facilement parce que, chaque jour, il écrivait ce
qui se passait dans son âme et il en trouvait à présent mention écrite par
dévers lui. Et c¹est ainsi qu¹il me montra une très grande liasse de manuscrits
(55) dont il me lut une bonne partie. Il s¹agissait surtout des visions qu¹il
avait eues en confirmation de quelque clause adoptée dans les Constitutions. Il
voyait tantôt Dieu le Père, tantôt les trois Personnes de la Trinité, tantôt la
Madone qui parfois intercédait pour lui et parfois le confirmait. En particulier
il me parla de certaines déterminations qu¹il avait prises après avoir dit
quarante jours de suite la messe chaque jour, et, chaque fois, avec beaucoup de
larmes. La question était de savoir si une église de la Compagnie aurait un
revenu quelconque et si la Compagnie pourrait en profiter. La méthode dont il
usait quand il rédigeait les Constitutions était de dire chaque jour la messe,
de présenter à Dieu le point précis dont il s¹occupait et de faire oraison à ce
sujet. C¹est toujours avec des larmes qu¹il faisait oraison et disait sa messe.
Je désirais voir de plus près tous les papiers qu¹il m¹avait montrés, relatifs
aux Constitutions, et je le priai de me les laisse un peu de temps. Mais il ne
voulut pas.
* * * * *
Notes
47. Il s¹agit de la province du Guipuzcoa, au
pays basque espagnol.
48. Le bâtiment où se trouvait cet hôpital dit de
« la Magdalena » existe encore, à la lisière nord-est d¹Azpeitia, à quelque deux
kilomètres du château de Loyola. Il est très probable qu¹Ignace voulut y
séjourner en vue d¹expier publiquement les « écarts » de sa jeunesse. Mais son
frère, le notable Martin Garcia, ne pouvait juger compatible avec la dignité de
la famille un tel souci d¹abaissement.
49. Le texte italien porte Cette. On interprète
généralement ce nom de ville par Ceuta où il avait en effet un évêché. Mais on
peut être tenté de lire Chieti, ville d¹Italie, appelée Theatinum en latin, où
Carafa, le futur pape Paul IV, fut évêque, d¹où le nom de « Théatins » qu¹ont
porté les membres de la congrégation qu¹il a fondée. Il est très vraisemblable
que le jeune Hoces se soit méfié d¹Ignace de Loyola à cause des médisances qui
auraient eu précisément leur source chez l¹évêque de Chieti. Carafa, qui
séjournait à Venise à cette époque, s¹était très vilement irrité contre le
Pèlerin parce que ce dernier lui avait adressé une lettre de critiques
pertinentes touchant la Règle et le genre de vie des Théatins.
50. Ignace de Loyola avait eu maille à partir
avec le docteur Ortiz, à Paris, lors de l¹affaire Castro, Peralta et Amador. La
prudence du Pèlerin est très caractéristique. Il ne souhaitait pas voir son
oeuvre à nouveau compromise par des malentendus.
51. Cette vision est dite « de la Storta » du nom
que portait la chapelle où elle eut lieu, sise à un carrefour de routes, à seize
kilomètres de Rome. Les spécialistes ont beaucoup étudié la signification de
cette haute expérience mystique vécue par saint Ignace. Elle l¹a déterminé à
choisir pour l¹Ordre qu¹il allait. Elle l¹a déterminé
à choisir pour l¹Ordre qu¹il allait fonder, le titre de « Compagnie de Jésus ».
Dieu le Père, en effet, l¹avait admis manifestement pour compagnon de son fils.
L¹Expression, dans tout le passage, est confuse. Elle reflète certainement
l¹embarras que devait éprouver saint Ignace à rendre par des paroles humaines un
si mystérieux et impressionnant souvenir.
52. À leur arrivée dans Rome, Ignace de Loyola et
ses Compagnons furent hébergés par un personnage nommé Quirino Garzoni. Il mit à
leur disposition une petite maison qu¹il possédait au pied du Pincio et qui
était entourée de vignes.
53. Michel Landivar, un Navarrais qui avait
failli tuer François Xavier, à Paris, dans un accès de colère et qu¹Ignace avait
accueilli de nouveau dans son groupe à cause de son repentir et en dépit de son
caractère instable.
54. En latin dans le texte. Cette formule « venir
en confirmation » est fréquente dans le vocabulaire mystique de saint Ignace.
Elle correspond à une grâce reçue de Dieu et qui apporte à une décision prise
une sorte de caution. Cette garantie peut être de nature diverse : illumination
intérieure ou simple signe, facile à interpréter, telle l¹approbation d¹un
supérieur.
55. Il s¹agissait des manuscrits du Diario
spirituel du Journal spirituel tenu par saint Ignace. Il n¹en reste qu¹un
fragment qui couvre une période allant du 2 février 1544 au 13 mars 1545.
Justement dans ce fragment ‹ le reste a été brûlé il est question du problème
dont le Fondateur entretient son secrétaire : les églises fondées par la
Compagnie seront-elles soumises à la loi de pauvreté radicale comme seront les
résidences et les maisons professes, ou bien pourront-elles recevoir des revenus
? Saint Ignace avait finalement opté pour la pauvreté radicale.
Le Journal spirituel de saint Ignace est un texte difficile à lire. Il
vient d¹être excellemment traduit et commenté par le R.P. Giuliani, S. J., dans
un volume de la collection Christus (Paris, 1959, Desclée De Brouwer éd.).
Document extraordinaire, il révèle à quel point saint Ignace de Loyola, était un
homme d¹action il laissait à sa mort, survenue le 31 juillet 1556, un Ordre
groupant mille membres répartis en douze Provinces et soixante seize
établissements ‹ mais aussi un homme de méditation et de prière, sans cesse
attentif à discerner la volonté de Dieu.
|