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L’heure des ténèbres
Comme tous les grands saints,
Gemma connut les heures douloureuses de l’apparente absence de Dieu, les heures
de doute, les heures de l’incompréhension des proches. Ainsi, pendant longtemps
même son confesseur douta de la réalité des stigmates. Durant une extase Gemma
laissa son cœur parler : elle-même en était arrivée à douter de la réalité des
faits extraordinaires qui survenaient en elle :
6-1-Quand tout le monde doute d’elle
Ô Jésus, je n’en puis plus. Ô
Maman, Maman! J’ai envie de dire: Y crois-tu Jésus ? Eux n’y croient pas.
(On la croyait hystérique) Jésus, dis-moi exactement ce qu’il en est. Oui,
Jésus... Va lui dire, toi! Pas moi: mon confesseur ne me croit pas.
6-2-Silence de Dieu et nuit de l’esprit
Extrait d’une lettre de Gemma au
Père Germano :
Je me suis bien persuadée que
seul Dieu peut me satisfaire et j’ai mis en lui toutes mes espérances. Que Jésus
ne veuille plus de moi, qu’il me repousse, moi, je le chercherai toujours.
(12 novembre 1900)
À une amie, Gemma écrit : Je
m’ennuie à vivre encore ici-bas, c’est là pour moi une torture si amère de vivre
et de rester en ce monde, séparée de Jésus, que je n’en peux vraiment plus. Et
puis quelle est mon anxiété à la pensée qu’à tout moment je puis perdre Jésus,
je ne saurais le dire. Celui-là seul le comprend qui l’aime éperdument. Souvent,
lorsque je me sens auprès de lui, je lui redis: Jésus, après toi seul je
soupire, tu peux me donner tout ce que tu veux, alors donne-moi le paradis...
J’ai peur, ma vie passée me fait trembler... (Lettre du 21 mai 1901 à Mère
Giuseppa du Sacré-Cœur)
Le silence de Dieu, Gemma
l’exprime même pendant ses extases. Voici quelques-unes de ses plaintes à
Jésus :
Ô Jésus, je te cherche
toujours. Je cherche à promouvoir sans cesse ta gloire, à n’aimer rien d’autre
que ton amour. Mais Jésus, réponds-moi : pourquoi ce silence ?... Pourquoi ne
réponds-tu pas? Dis-moi quelque chose. Si tu désires que je corresponde à tes
dons, dispense-les moi en douceur et non point avec tant de hâte.
Ô Jésus, ô Lumière, où
es-tu ?... Illumine mes yeux. Ô mon Dieu, ne me laisse pas vivre dans les
ténèbres... Ô Jésus, quand donc te reverrai-je ? Mais peut-être m’as-tu dit que
je ne te reverrai plus ? Je ne me rappelle pas si tu me l’as dit... Mais je ne
te vois pas... pas du tout... Lorsque j’étais petite, on me disait que tu étais
toujours là. Mais je ne te vois pas... Où es-tu ?... Où es-tu parti ?... Sans
même me dire adieu !...
Mon Dieu, mon secours... ma
force... mon soutien... ma lumière ! Éclaire mes pas... Où es-tu parti, mon
amour ?... Où t’es-tu caché ?... Pourquoi ne te montres-tu plus ?... Mon Jésus,
où es-tu parti ? Infinie Beauté, où t’es-tu cachée. Ô Jésus, où dois-je te
chercher. Montre-toi au moins une fois...
Ô saint amour, embrase-moi ! Ô
Jésus, tout m’ennuie, tout m’est pénible. Il n’est en ce monde pas une seule
chose que je désire: je n’aspire qu’après l’Amour céleste, lui seul je l’aime et
n’aime que lui... Ô Saint Amour, embrase-moi! Je ne désire que toi. Puis,
lorsque je serai morte, je voudrais que tout le monde dise : “Gemma a été
victime d’amour, elle est morte uniquement victime d’amour.” Cela, afin que tout
le monde aime Jésus...
Regarde, Jésus : tu es un Roi
puissant et généreux qui suscite des batailles, mais qui veut toujours la
victoire. Accorde-moi la grâce de céder à tous tes appels et de t’aimer avec
tendresse.
Jésus, je t’aime. Supplée
toi-même à ce qui manque à mon amour. Bon Jésus, je te bénis ; mais supplée
toi-même à ce qui manque. Bon Jésus, je te loue pour aujourd’hui et pour demain.
Supplée toi-même à ce qui manque à ma louange.
Sois béni, Jésus, d’avoir pour
ainsi dire ordonné aux créatures de m’abandonner, afin que je te sois toujours
plus proche. Ah ! toi, tu consoles, toi seul consoles. Jésus, que m’importe de
ne pas trouver de consolation dans le monde ? Toi seul me suffis. Que
m’importerait d’être méprisée ? C’est toi qui consoles. Si tu m’avais fait
comprendre cela plus tôt, je me serais abandonnée entre tes bras. Et si c’est
ainsi que tu traites une pécheresse, qu’en est-il des âmes pures et saintes qui
sont tiennes ?
Ô Seigneur, si j’avais du
moins quelque certitude d’être en état de grâce...
6-3-Jésus s’explique
Avant de partir, Jésus m’avait
consolée en disant : “Ne t’afflige pas si je fais semblant de t’abandonner. Ne
crois pas qu’il s’agisse d’une punition, c’est une invention de ma part pour te
détacher entièrement des créatures et t’unir à moi. Quand tu auras le sentiment
que je te repousse, c’est que je t’attire encore plus fortement à moi. Lorsque
je te paraîtrai loin, c’est alors que je serai le plus près... Ma fille, la
fidélité et l’amour te sont nécessaires. Aussi, prends donc patience si je te
laisse seule. Souffre, résigne-toi, console-toi. N’imite pas certaines âmes
attachées aux consolations et joies spirituelles et qui aiment peu la croix.
Dans l’aridité spirituelle, elles abrègent peu à peu leurs prières parce
qu’elles n’y trouvent plus les consolations qu’elles y éprouvaient auparavant.
Toi, au contraire, agis de la sorte: unis tes peines aux miennes, considère
comme un grand bienfait ce dont je t’ai privée, embrasse joyeusement cette
croix, si tu veux m’être agréable...” Après ces paroles, Jésus m’a chargée de
vous rappeler ceci : “Lorsqu’il désire élever une âme, il commence par beaucoup
l’humilier...”” (Lettre à Mg Volpi, de mai 1901)
6-4-Les attaques du démon
Gemma eut souvent à faire avec le
démon. Son Ange, pour lui rappeler que l’obéissance est le plus sûr moyen de
pouvoir résister au démon, lui donna le conseil suivant : “Ma fille,
souviens-toi que lorsque tu manques à l’obéissance, quelle qu’elle soit, tu
commets toujours un péché. Pourquoi donc es-tu toujours aussi rétive pour obéir
à ton confesseur ? Rappelle-toi aussi qu’il n’y a pas de chemin plus court et
plus vrai que celui de l’obéissance.”
Après une terrible attaque du
démon, Gemma écrit : “L’assaut a été violent, je dirais même terrible. Aucune
bénédiction, aucun scapulaire n’ont suffi à modérer la tentation la plus laide
qu’on puisse imaginer. Le démon était si affreux que j’ai fermé les yeux et ne
les ai rouverts qu’une fois complètement délivrée. Mon Dieu, si je suis sans
péché aucun, c’est à Toi seul que je le dois. Sois-en remercié. Que dire en de
pareils moments ? Chercher Jésus sans le trouver est une souffrance plus grande
que la tentation elle-même...”
Comme Gemma se plaignait
douloureusement à Jésus, elle obtint la réponse suivante :
... Quant à toi, sois heureuse
de ce que je te conduise comme je le préfère, par des voies âpres et
douloureuses. Tu as l’impression que la terre se dérobe sous tes pieds et le
ciel à tes yeux, mais toi, ne manque pas de foi, ni d’amour, ni d’espérance. Ne
cherche qu’à gagner des mérites en pratiquant les vertus, méprise les propos du
monde, et, en dépit de tes ennemis, cours dans les voies de ma volonté divine.
Tiens-toi étroitement unie à Jésus, humilie-toi en s présence, aie recours en
tout à son infinie bonté, sache tirer parti de ce que le démon utilise pour te
perdre. Ma fille, a-t-il ajouté, si vraiment tu m’aimes, aime-moi aussi dans les
ténèbres. Le Seigneur prend plaisir à jouer avec les âmes qui lui sont les plus
chères, c’est par amour qu’il joue: tantôt il les console et les met en honneur
auprès des hommes, tantôt il permet qu’elles deviennent la risée du monde.”
(Lettre à Mg Volpi, de mars 1900)
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