Imaginons, dans une grande maison, une très belle chambre d’enfant, avec
beaucoup de jouets et de bibelots plus jolis les uns que les autres. La
maman laisse son petit, ravi, découvrir toutes les merveilles mises à sa
disposition. Puis, au moment de le laisser seul, pour jouer à son aise,
elle le prévient:
—Tu
peux faire tout ce que Tu veux, mais surtout ne descends pas le petit
escalier protégé par une grille. C’est très dangereux. Et tu es beaucoup
trop petit: si tu ouvrais la grille pour descendre, immédiatement tu
glisserais et tu tomberais: tu te ferais très mal... Et puis, si tu
aimes ta maman autant que Maman t’aime, tu ne feras pas ce que je
t’interdis de faire, pour ton bien.
Maman s’en va... L’enfant heureux joue et rit. Il ne pense même pas à
l’escalier. Alors pourquoi, sans même qu’il s’en soit aperçu, se
trouve-t-il près de la grille? L’enfant veut s’éloigner, mais une voix
doucereuse susurre à son oreille:
—Mais
descends donc... Tu vois bien, ce n’est pas dangereux.
Après de nombreux reculs et beaucoup d’hésitations, le petit enfant
ouvre la grille de protection et hasarde un pas: immédiatement, c’est la
chute. Le péché, c’est cela, c’est aussi un manque d’amour.
Seigneur, de toute éternité Vous saviez cela. De toute éternité Vous
saviez que notre curiosité et nos manques d’amour nous entraîneraient
vers le mal, vers la chute, vers le désespoir. Et sur la route du
non-amour, nous serions bien malheureux. Cela, Vous le saviez bien. Et
Vous saviez aussi que seule votre présence près de nous pourrait nous
réapprendre l’Amour, car nous sommes si faibles: âme et chair; et la
chair a pris le dessus sur l’esprit depuis la chute. Alors, du sein de
votre éternelle Trinité, une décision est prise: le Père nous enverra
son Fils Bien-Aimé... Après la lente préparation d’un peuple choisi,
quand le cœur de quelques hommes fut enfin prêt, Jésus-Christ put venir
parmi nous, comme l’un de nous.
Jésus! Tu es venu chez nous; Tu as pris notre chair mortelle et
sensible. Tu as aussi pris un cœur semblable au nôtre, un cœur bon,
capable des plus grands dévouements, mais aussi susceptible de se
laisser séduire par une sensibilité trop accentuée. Oui, Jésus, Tu as
pris aussi notre sensibilité, notre sensibilité charnelle et notre
sensibilité spirituelle qui peut s’apitoyer, laisser parler le cœur.
Jésus, Tu T’es fait l’un de nous, avec notre nature complète, sensible
et intelligente. Et Tu as vécu parmi nous, comme nous, au milieu de
nous, et Tu as aimé... Et Tu as découvert la fragilité du cœur humain et
ses capacités d’aimance et de souffrance. Et Tu as découvert aussi la
solitude humaine.
Jésus, Ton Cœur du Fils de Dieu-Amour s’émut au plus haut point. Oui, Tu
devais nous quitter. Pour nous délivrer du péché, Tu devais faire la
volonté du Père et passer par la Croix. Mais Tu ne pouvais pas nous
laisser orphelins: notre cœur fait pour l’amour, malgré notre péché, ne
l’aurait pas supporté. Alors, Jésus, dans un élan de suprême action de
grâce, et d’infinie pitié, sachant que ton Heure était venue, que ton
Agonie et ton Chemin commençaient, sachant que dans peu de temps tous
seraient scandalisés à ton sujet, Tu inventas l’Eucharistie.
La maman a entendu crier son petit enfant. Vite, elle est accourue et a
soigné son pauvre blessé rapidement remis sur pied. Les années ont
passé, l’enfant a grandi, mais, est-ce le souvenir de sa chute? il est
devenu pensif, réfléchi, et souvent il s’absorbe dans ses pensées. Ses
proches l’ont surnommé: le Ravi... Et voici qu’un jour le Ravi a fait un
curieux rêve.
Le Ravi est à Jérusalem, dans la salle du Cénacle. Il contemple Jésus.
C’est le repas de la fête pascale. Les mets, rituels, furent
particulièrement soignés; les apôtres sont détendus, joyeux: ils ont
oublié leurs soucis et leurs craintes. Tout va bien pour eux et pour
Lui. Des réflexions plaisantes fusent de partout: et Jésus sourit...
Jésus sourit, Il a même l’air joyeux et le Ravi est bienheureux... Sans
bruit il se glisse près de Lui. Il aime bien, quand il le peut, se
serrer contre les pieds de Jésus, Le regarder et L’écouter: Il a
toujours des paroles étonnantes, les paroles de la vie éternelle. Et le
Ravi L’entend dire: “J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque
avec vous avant de souffrir!”
Avant de souffrir? Le Ravi tend l’oreille et se souvient de
conversations anciennes au cours desquelles le Maître disait, comme en
confidence, qu’Il devait aller à Jérusalem, car les prophètes ne peuvent
pas mourir ailleurs qu’à Jérusalem. Le Maître disait aussi qu’Il devait
y être arrêté, condamné à mort et beaucoup souffrir, et même être
crucifié. Le Ravi est soudain inquiet: il se fait tout petit pour mieux
se rapprocher de Jésus.
Le Ravi, inquiet, cherche à se rassurer: tout est calme à Jérusalem, et,
dans deux jours, c’est le Sabbat solennel... Pourtant, le Ravi se
souvient aussi d’une étrange parole: “Je ne vous laisserai pas
orphelins, Je vous enverrai un Consolateur...” Hum! pense le Ravi,
un consolateur, çà ne remplacera jamais le Maître. Et puis, qui est-il
ce consolateur? Personne ne le connaît...
Le Ravi se rappelle encore la parole qui avait tellement troublé les
disciples: “Il vous est nécessaire que Je m’en aille...”
—Non,
ne pars pas, crie le Ravi rempli d’angoisse. Non ne pars pas Jésus!
Le Ravi a crié dans son cœur et les apôtres ne l’ont pas entendu, mais
Jésus, discrètement le regarde, lui, le petit Ravi. Et Jésus lui sourit
et lui dit: “Ne crains pas, je serai toujours avec Toi, jusqu’à la
fin des temps.” Le Ravi voudrait sourire, lui aussi, mais il ne peut
pas, car il pleure. Il ne sait pas si c’est de joie ou de peine. Le cœur
du petit Ravi est ému jusqu’aux larmes, et de joie, et de peine. Mais il
ne peut rien dire, ni rien demander... Alors, se hissant comme il peut
sur les genoux de Jésus, il réussit à grimper jusque sur la poitrine de
Jésus, là où Jean a déjà posé sa tête.
Le Ravi contemple Jésus... Le Ravi se presse contre Jésus dont il entend
battre le Cœur. Et la pensée de Jésus pénètre son cœur à lui, le Ravi,
et l’emplit d’un amour incroyable et d’une nouvelle intelligence, comme
si son cœur de Ravi lisait les pensées de Jésus.
Jésus regarde ses apôtres et les aime. Jésus regarde leurs grosses mains
d’hommes qui n’ont pas rechigné devant les durs travaux manuels. Jésus
regarde ces grosses mains d’hommes, grosses, mais si délicates, si
sensibles, si capables de gestes d’amour... Jésus sourit et soupire.
Jésus regarde ses apôtres: ici, sur terre, ils n’ont que leurs yeux pour
Le voir, ils n’ont que leurs oreilles pour L’entendre. Le Paraclet,
l’Esprit qu’Il va bientôt leur envoyer, comment connaîtront-ils sa
présence, comme entendront-ils sa voix. Le repas s’avance, toujours
aussi gai, mais Jésus soupire et le Ravi s’inquiète.
Que se passe-t-il? Jésus se lève soudain: le Ravi a eu à peine le temps
de sauter à terre... Le Ravi, remis de ses émotions, suit Jésus et Le
contemple, lavant les pieds de chacun de ses disciples. Puis Jésus s’asseoit
de nouveau, à sa place. Le Ravi aussi reprend sa place!...
—Comprenez-vous
ce que je viens de faire? dit Jésus.
—Bien
sûr que non! gémit le Ravi. Les apôtres, eux, sidérés, ne disent rien.
—Vous
M’appelez Maître et Seigneur, et vous faites bien, car vraiment, je Le
suis. Si donc Moi, le Seigneur et Maître je vous ai lavé les pieds, vous
aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
—Bien
dit! lance le Ravi qui a souvent remarqué l’arrogance de
quelques-uns...
Maintenant, la salle du Cénacle est devenue silencieuse. Les apôtres
n’osent plus rien dire, comme dans l’attente d’un grand événement dont
ils ne connaissent encore rien. Jésus fait débarrasser la table, mais
demande qu’on laisse le plat plein d’une délicieuse sauce:
—J’en
aurai besoin, dit Jésus dans un souffle. Puis Jésus demande qu’on
apporte du pain et une grande coupe de vin. Les apôtres se regardent...
et se taisent. Le Ravi, absorbé dans son extase, contemple le Maître
adoré.
Jésus prie silencieusement:
—Père,
durant des années j’ai expérimenté la condition humaine: ce sont des
pauvres petits à l’intelligence limitée. Ils ne peuvent entrer en
contact avec le monde, notre Création, qu’avec leurs sens. Ils n’ont que
leurs yeux pour voir les beautés que nous avons créées... Ils n’ont que
leurs oreilles, parfois sourdes, pour entendre notre Parole... Ils n’ont
que leurs doigts pour toucher les choses, les sentir, et les modeler
quand c’est possible. Et surtout, ils n’ont qu’un petit cœur de chair
pour aimer leur prochain, et Nous aimer, Nous, Trinité intouchable,
inaudible et invisible pour eux. Comment pourront-ils nous entendre,
nous comprendre, nous aimer, et faire notre si sainte et si bonne
volonté? Père, Je dois revenir vers Toi, mais permets-Moi de rester
aussi avec eux, proche d’eux, pour qu’ils puissent au moins Me voir et
Me toucher. Père, Je Te rends grâce...
Malgré Lui, le Ravi a laissé son cœur prier avec Jésus: il n’a pas
compris toutes les Paroles de Jésus, mais il sait que Jésus, qui doit
retourner au Père, restera cependant avec nous. Le Ravi est comme en
extase: il n’a pas compris non plus le mot “Trinité”, mais il adore...
Le petit Ravi se blottit contre le Cœur Eucharistique de Jésus préparant
le plus grand de ses dons et Jésus permet qu’il entre dans son Cœur,
comme dans un tabernacle, là où sera Jésus, pour être avec Jésus... Le
Ravi pénétre les mystères de l’Eucharistie, les contemple dans une
extase silencieuse et adorante. Il voit les myriades d’étincelles
d’amour qui s’échappent du tabernacle-Cœur de Jésus, à la rencontre de
tous les hommes assoiffés de Dieu et d’amour véritable. Il adore en
silence, mais soudain une voix le fait sortir de son extase: “En
effet, comme l’éclair qui jaillit illumine l’horizon d’un bout à
l’autre, ainsi le Fils de l’homme, quand son Jour sera là. Mais
auparavant, il faut qu’Il souffre beaucoup et qu’Il soit rejeté par
cette génération.”
Cette génération! Laquelle?
Le petit Ravi a vivement sursauté et s’est blotti contre la poitrine de
Jésus, tout près de la tête de Jean. Il est de nouveau en extase, en
adoration. Il n’a pas compris toutes les paroles du Maître, mais il
laisse son cœur prier avec le Cœur de Jésus, le Cœur de Jésus qui
supplie le Cœur du Père:
-Père, permets-Moi de rester avec les hommes. Je ne peux pas les laisser
orphelins: ils sont trop petits, perdus dans l’immensité de notre
Création. Ils sont trop fragiles, trop faibles, trop tentés par l’Ennemi
qui cherche à les aveugler, à les tromper pour mieux les détruire. Père,
viendront des jours où ils ne connaîtront plus la vérité, où on leur
fera croire que nous n’existons pas... Père, permets-Moi de rester avec
eux.
Le petit Ravi n’en croit pas ses oreilles. Il ne comprend pas très bien,
mais il pleure. Il se serre de plus en plus contre Jésus, comme pour
pénétrer dans son Cœur, ne plus faire qu’un avec Jésus qu’il aime tant.
Il regarde Jean qui s’est redressé pour laisser Jésus libre de ses
mouvements: car Jésus vient de prendre la grosse miche de pain azyme
frais et qui sent bon la vie. Jésus contemple le pain et dit:
—En
vérité Je vous le dis, l’un de vous me trahira.
—Seigneur,
ce n’est pas possible!!!...
—Seigneur,
est-ce moi? demandent quelques-uns des apôtres situés près de Lui. Jésus
fait signe que non...
—Seigneur
qui est-ce? demandent Jean et Pierre.
—Seigneur,
est-ce moi? ose dire Judas.
—C’est
toi qui le dis, confirme Jésus en lui tendant une bouchée de pain
trempée dans la sauce... Ce que tu fais, fais-le vite!
—Oh!
Mon Dieu! s’exclame le petit Ravi qui vient de comprendre, et qui ne
peut retenir ses larmes en se souvenant d’une prière dont le sens lui
demeurait caché: “Si l’insulte me venait d’un ennemi, je pourrais
l’endurer; si mon rival s’élevait contre moi, je pourrais me dérober.
Mais toi, un homme de mon rang, mon familier, mon intime! Que notre
entente était bonne quand nous allions d’un même pas dans la maison de
Dieu!” (Ps 54, 13-15)
-Non, mais le Maître a dû lui demander de porter une aumône, répond
Thomas qui se souvient de la pauvre femme qu’ils ont croisée
tout-à-l’heure.
Le petit Ravi pleure de plus en plus fort: heureusement, personne ne
l’entend. Seul Jésus a perçu les gros sanglots qui s’accordent aux
battements de son Cœur; alors, laissant sa main monter jusqu’à son Cœur,
Il caresse, d’un doigt plein de compassion, de tendresse, d’amour et de
miséricorde, le petit corps éploré.
Jésus regarde encore longuement ses apôtres et dit:
—Mes
amis, Je vous appelle amis car, serviteurs de vos frères, vous êtes
aussi mes amis, recueillez-vous et priez, priez de toutes vos forces
pour ne pas entrer en tentation. Demandez au Père de graver en vous,
d’une manière indélébile, les instants uniques et solennels pendant
lesquels vous allez recevoir le plus grand Don de Dieu, le Don béni et
saint qui vous assurera de ma présence éternelle parmi vous. Les apôtres
se regardent, étonnés, stupéfaits, mais se taisent et commencent à
prier. À demi rassuré, le petit Ravi cesse de sangloter et se redresse
pour s’imprégner des paroles et de la prière de Jésus.
Jésus prie avec ses apôtres et les enveloppe de son Amour. Il leur
parle, mais silencieusement, et seul le Ravi peut entendre les douces
paroles:
—Pauvre
Pierre! Tu me renieras tout à l’heure... Mais tu regretteras ta faute
jusqu’à ton dernier soupir! Tu m’aimeras assez pour Me suivre, et pour
donner, humblement, ta vie pour Moi, jusqu’à la Croix. Toi, mon Jean,
mon Bien-Aimé, tu es si pur, si simple, que c’est à Toi que je confierai
ma Mère: tu sauras l’écouter et la consoler... Et tu auras le grand
bonheur de lui rendre présent le Corps de son Jésus.
—Brave
Thomas, qui ne peut encore croire que ce que tu vois: que de services tu
sauras rendre à ceux dont la foi sera défaillante. Cher Jacques, le
compagnon de mes jeux d’enfance et mon premier martyr! Et toi aussi,
Thaddée, le doux ami de ma jeunesse!
Le petit Ravi, surpris, voit Jésus essuyer une larme...
—Matthieu,
ce sont les âmes que tu auras sauvées que tu compteras un jour, au Ciel.
Et toi, mon Simon, mon Zélote assagi, tu auras tellement à cœur de
délivrer les hommes de la lèpre de leurs péchés!
—Comment
pourra-t-il faire? interroge le Ravi que seul Jésus entend.
—Le
Sang de l’Agneau effacera toutes les lèpres.
-De quel Agneau? Tout a déjà été consommé, car rien ne doit rester du
repas pascal. Le Ravi demeure perplexe... mais Jésus lui sourit et
continue.
—Philippe,
quand tu sauras que, qui Me voit, voit le Père, tu iras sur toutes les
routes du monde, en Éthiopie et au-delà, pour éclairer les âmes...
—Et
toi, mon fidèle André, mon premier disciple, malgré ta timidité
maladive, ta foi et ton amour pour Moi te conduiront jusque dans les
pays reculés de l’Asie peu connue.
—Voici
mon grand Jacques: je vois les foules nombreuses venir à toi, bravant
tous les périls des longs chemins qui vont à Compostelle.
—Barthélémy,
la foi que tu as reçue quand tu étais sous le figuier ne s’éteindra
jamais en toi... Elle sera toujours ta force, jusqu’au martyre.
Jésus s’arrête et soupire. Tous ses apôtres Le contemplent:
—Voici
que je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne jusqu’à ce que le
règne de Dieu soit venu dit Jésus en montrant la Coupe. Je vais au Père,
et là où je vais, vous ne pouvez pas venir. Mais celui qui restera avec
Moi verra des fleuves d’eau vive couler de mon sein.
Les visages des apôtres sont de plus en plus étonnés, ahuris. Leur
désarroi est visible: vraiment, le Maître est trop difficile à
comprendre depuis quelques jours! Pourtant ils n’osent rien dire et
attendent: ils savent qu’avec le Maître il faut toujours attendre... De
son côté le petit Ravi murmure:
—C’est
vrai, Jésus, comment peux-Tu partir vers le Père, là où nous ne pouvons
pas venir, et rester avec nous jusqu’à la fin des temps? Et comment des
fleuves d’eau vive peuvent-ils couler de ton sein?
—Mes
amis, vous comprendrez bientôt. Pour le moment, priez et adorez le
Seigneur qui vous comble de ses dons.
Tout est paix et silence dans la salle du Cénacle. Le petit Ravi est
toujours blotti sur la poitrine du Seigneur, tout contre son Cœur. Le
petit Ravi adore son Seigneur et jouit de son amour. Il voudrait
demeurer là toute l’éternité... mais voici que le Seigneur se penche
vers la coupe et le pain. Jésus saisit le pain et l’élève, et, bénissant
le Père...
L’esprit du Ravi a brusquement quitté la salle du Cénacle: il est
toujours sur le Cœur du Seigneur. Le Seigneur est toujours là, mais Il
est comme transformé, et, à travers le Corps de Jésus devenu comme
lumineux et transparent, le Ravi distingue des multitudes de prêtres,
revêtus d’habits de fête: ces prêtres, c’est ainsi qu’il devine qu’on
les appelle, semblent épouser le Corps du Seigneur et ne faire plus
qu’un avec Lui. Ce sont des hommes de tous les temps, de toutes les
races, de toutes les nations; ils élèvent tous des sortes de galettes de
pain et des coupes de vin. Chacun de ces prêtres est resté lui-même, et
pourtant tous sont devenus Jésus offrant son sacrifice. Le Ravi, ravi et
ébahi, se serre encore davantage contre Jésus...
Jésus a saisi le pain et rend grâce au Père. Il bénit le pain d’un grand
signe que le Ravi ne connaît pas, comme une sorte de croix. Jésus rompt
le pain en disant:
—Prenez
et mangez en tous, et mangez-en tout: ceci est mon Corps
qui va être livré pour vous et pour tous les hommes en rémission des
péchés. Mon Corps est vraiment le pain du Ciel que je vous ai promis.
Qui mangera ce pain n’aura plus jamais faim. Jésus partage le pain qu’Il
a déjà coupé en deux, en douze morceaux qu’Il tend à ses apôtres. Les
disciples mangent cet excellent pain, sans comprendre, et regardent
Jésus qui a conservé devant Lui le douzième morceau: Jésus ne touche pas
à ce douzième morceau...
—Tiens!
se dit le Ravi, pourquoi Jésus ne mange-t-Il pas le douzième morceau? Ce
ne peut pas être pour Judas qui ne reviendra pas. Alors, pour qui?
Les apôtres aussi ont remarqué que Jésus ne mangeait pas le douzième
morceau et pensent, eux, sauf Pierre et Jean qui savent, qu’Il le
réserve pour Judas...
Maintenant Jésus prend la coupe. De nouveau Il rend grâces, longuement.
Le Ravi s’aperçoit que Jésus pleure, mais les apôtres n’ont pas l’air de
s’en apercevoir. Alors le Ravi quitte le Cœur de Jésus (oh! il reviendra
vite!) et rejoint Jean qui est tout près. Le Ravi s’installe sur
l’épaule de Jean: de là, il voit mieux Jésus, il peut mieux contempler
le visage de Jésus, à la fois triste et rayonnant de bonheur. N’y tenant
plus, il souffle à l’oreille de Jean:
—Jean,
regarde comme le visage de Jésus s’est transformé... Vois-tu comme moi
la lumière qui émane de Lui?
Jean qui a déjà vu Jésus transfiguré acquiesce mais ne s’étonne plus: il
se contente d’aimer son Maître adoré. Mais le Ravi insiste: il est si
petit, le Ravi, et sa voix est si faible, qu’il peut engager une
conversation avec Jean sans que personne ne s’en aperçoive.
—Jean,
vois-tu comme moi tous ces prêtres qui entourent Jésus, qui semblent ne
faire plus qu’un avec Lui? Vois-tu comme moi tous ces prêtres, ces
millions de prêtres qui offrent avec Jésus son Corps et son Sang, et qui
boivent le Sang de l’Agneau? Oh! Jean, parmi tous ces prêtres, il me
semble te voir, et je vois aussi Pierre, et les autres... Jean, les
vois-tu aussi?
Jean ne répond pas, mais il demeure fasciné, comme dans une extase
nouvelle, inconnue qui le saisit tout entier... Le Ravi ne peut sortir
de sa contemplation, et conserve ses yeux fixés sur Jésus. Jésus, devenu
Lumière, Jésus qui ne fait qu’un avec la foule des prêtres de tous les
temps, Jésus qui, après avoir béni la coupe, et l’avoir offerte au Père,
la montre aux apôtres en disant:
—Prenez
cette coupe qui renferme mon Sang, mon Sang livré pour vous et pour la
multitude en rémission des péchés. Buvez le Sang de l’Alliance nouvelle
et éternelle, le Sang de l’Agneau de Dieu, immolé pour le salut de tous
les hommes. Prenez et buvez-en tous car ceci est vraiment mon Sang déjà
versé pour vous...
Jésus s’arrête un court instant, puis ajoute:
—Voici
que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps.
La coupe circule... Chaque apôtre boit une petite gorgée de vin, et
s’absorbe, comme subjugué, dans une curieuse et pesante contemplation:
qu’ont-ils vu, qu’ont-ils senti? Aucun n’a jamais rien révélé de cette
grâce immense... Ont-ils vu Jésus transfiguré une nouvelle fois?
Probablement, mais ils ne nous l’ont pas dit. En ont-ils parlé plus
tard, entre eux, après la Résurrection de Jésus, et au cours de leurs
longues courses apostoliques? Certainement, mais sans s’y attarder, car
ce qui comptait le plus pour eux, c’était d’abord et avant tout, la
transmission du message évangélique. Et certaines grâces qui
transforment une vie sont trop grandes, trop puissantes et de plus trop
intimes pour être divulguées...
Quand les onze amis de Jésus revinrent à eux, Jésus continua:
—Vous
venez de vivre l’instant le plus solennel de votre vie. Ce que Je viens
de faire, Je vous ordonne de le faire, vous aussi, en mémoire de Moi. Et
chaque fois que vous bénirez et consacrerez le pain et de vin comme Je
viens de le faire, Je serai au milieu de vous. Chaque fois que vous
mangerez et boirez le pain et le vin consacrés, comme je viens de le
faire, et en mémoire de Moi, vous annoncerez ma mort, la mort de votre
Seigneur, jusqu’à ce que Je revienne. Vous annoncerez aussi ma prochaine
Résurrection.
Les apôtres boivent les paroles de Jésus, mais ne comprennent pas. Le
petit Ravi a repris sa place sur le Cœur de Jésus et murmure:
—Seigneur,
ne pourrais-Tu pas ne pas partir? Et si Tu dois absolument partir, oh!
reviens vite... Comment pourrions-nous vivre sans Toi, sans Toi qui a
les paroles de la vie éternelle?
Jésus poursuit son enseignement:
—Beaucoup
de mes petits viendront à vous, tout au long des siècles, pour manger
mon Corps et boire mon Sang. Et c’est vous et vos successeurs qui les
leur donnerez. Mon Pain de Vie et la Source vive de mon Sang se
multiplieront à l’infini entre vos mains consacrées. Mon Corps est la
vraie nourriture et mon Sang est le vrai breuvage. Je suis la force des
faibles, la gloire des humbles, la douceur des violents amoureux de
Dieu. Tous les hommes pourront Me recevoir dans le pain et le vin que
vous consacrerez. Mais n’oubliez jamais que mon Corps et mon Sang sont
la sainteté de Dieu. Veillez donc à ne pas jeter les perles aux
pourceaux. Car quiconque mangera et boira indignement le pain et le vin
du Seigneur, sans discerner sa Présence, mangera et boira sa propre
condamnation.
Bouleversé, le petit Ravi ferme les yeux. Les apôtres qui n’ont pas
compris, se regardent, interrogatifs. Jésus est toujours au milieu de
ses apôtres et Il prie de nouveau le Père:
—Père,
l’Heure est venue: glorifie ton Fils afin que le Fils Te glorifie et
que, par le pouvoir que Tu Lui as donné sur toute chair, Il donne la vie
éternelle à tous ceux que Tu lui as donnés. Père, la vie éternelle,
c’est qu’Ils Te connaissent, Toi, et qu’ils Me connaissent aussi, Moi,
ton Fils, ton Unique, que Tu leur as envoyé. Qu’ils sachent que, qui Me
voit, Te voit aussi, Père avec qui Je suis Un dans l’unité de notre
Esprit d’Amour. Qu’ils sachent que l’Esprit d’Amour nous unit dans
l’ineffable Trinité de Dieu que Nous sommes, Dieu unique et vrai, seul
Créateur, seul éternellement Vivant.
Le petit Ravi n’a rien compris du tout. Les apôtres non plus: ils
comprendront plus tard, bien plus tard. Pour l’instant, ils n’ont retenu
qu’une chose: l’Heure dont leur Maître leur a si souvent parlé est
arrivée. Les apôtres ont peur et n’osent plus rien dire: ils attendent
et écoutent...
Le petit Ravi sent le Cœur de Jésus battre plus fort, plus
douloureusement aussi. Le petit Ravi pleure sur le Cœur de Jésus, sans
savoir pourquoi: il se sent pourtant si heureux. Jésus contemple ses
apôtres et les enveloppe d’un extraordinaire regard d’Amour. Ce n’est
pas un amour d’homme, c’est vraiment l’Amour de Dieu qui est là,
emplissant tous les cœurs de bonne volonté.
—Père,
déjà Je ne suis plus du monde, et eux non plus ne sont plus du monde.
Mais ils doivent rester dans le monde. Père, Moi Je vais vers Toi,
garde-les dans ton Amour afin qu’ils soient UN comme Nous.
Le petit Ravi qui était perdu dans son amour extatique, s’étonne
soudain: curieusement les apôtres, sans même s’en apercevoir se sont
donné la main, faisant entre eux comme l’embryon d’une chaîne humaine.
Ils prient aussi:
—Notre
Père, qui es aux Cieux.
Jésus sourit:
—Père,
qu’ils soient toujours un, Moi en eux, et eux en Moi, afin que leur
unité soit parfaite et que le monde sache que Tu m’as vraiment envoyé,
et que Tu les aimes comme Tu M’as aimé.
Jésus contemple ses amis et les laisse prier. Puis brusquement Il se
lève en disant:
—Partons
d’ici, vite! Je dois aller au Rendez-vous de l’Amour, au Jardin des
Oliviers. C’est l’Heure! C’est mon Heure!
Le petit Ravi se réveille brusquement...
°°°°°°°°°°°
Jésus, laisse-nous, nous aussi, vivre avec Toi le rêve du Ravi.
Nous Te retrouvons dans la salle du Cénacle. Ton regard d’Amour
enveloppe tes apôtres. Ô ton regard d’Amour, Jésus! Ton amour est
palpable, ce soir, et les apôtres le sentent bien. Confusément ils
devinent que quelque chose de grand, de très grand, se prépare, mais ils
ne savent pas quoi. Ils Te regardent, et ils T’aiment.
Ta dernière Pâque de l’Ancienne Alliance avait été très gaie. Jérusalem
semblait si calme, si tranquille, que toutes les craintes des apôtres
s’étaient envolées. Et la fête avait été bruyante... Jésus s’était joint
à la joie commune et son sourire les avait remplis d’un bonheur qu’ils
n’avaient jamais connu auparavant. Maintenant Jésus regarde ses amis
intensément, et son regard d’Amour les enveloppe d’une paix inconnue.
Ils regardent Jésus et vivent de son Amour.
Le bonheur qui règne dans la salle du Cénacle le soir de ce premier
Jeudi-Saint est un bonheur céleste: Dieu est là. Les apôtres regardent
Jésus et vivent de son Amour. Tout est silence et bonheur autour des
apôtres qui ne sont plus du monde terrestre, du monde des hommes
pécheurs; les apôtres vivent Dieu, et ils se taisent: ils “boivent”
Jésus.
Le temps d’intense prière dura longtemps: Jésus semblait en extase, mais
les aspects de son visage étaient si changeants, passant de l’extrême
bonheur à des expressions de si grande douleur, que les apôtres ne
pouvaient Le quitter des yeux. Voici que Jésus demande qu’on lui porte
une coupe de vin, et du pain. Les apôtres se taisent toujours, immobiles
et interrogatifs.
Jésus, Tu as dit, il y a seulement quelques minutes que Tu ne boirais
plus de vin... et Tu demandes qu’on T’apporte une coupe pleine!... Tu as
à peine goûté au délicieux repas, et Tu désires un pain!... Ton visage,
en extase, a comme révélé tous les sentiments que ton être épousait,
toutes les joies et les souffrances humaines... Maintenant, tout est
paix en Toi, Tu regardes tes apôtres...
Jésus, Tu es serein, abandonné à la volonté du Père qui vient de Te
glorifier. Mais que vivais-Tu tout-à-l’heure dans ton Corps et dans ton
Cœur quand Tu semblais porter les misères humaines, les souffrances des
hommes, quand Tu semblais vivre une si terrible agonie que déjà des
gouttes de sang semblaient perler sur ton front et tes tempes?
Jésus, Tu es devenu soudain si grave. Tu vas prendre le pain, le bénir
et l’offrir à ton Père, et en même temps une larme coule de tes yeux,
une larme discrète que seul le Ravi a pu voir, car il n’y a que le cœur
pour voir ces larmes-là. Le Ravi Te contemple, il voit tes larmes
d’amour, tes larmes de sang que seul le cœur peut voir. Ô Jésus,
l’Eucharistie que Tu vas instituer, est-ce ton agonie qui est
commencée?
Jésus, Tu prends le pain et Tu l’offres au Père: “Père, bénis ce pain
qui va devenir mon corps, qui va être ma chair livrée pour le salut et
la nourriture des hommes affamés de Dieu. Père, voici mon Corps, le
Corps de la Victime immolée par amour et consumée d’amour. Père, mon
Sacrifice, c’est ta volonté sainte, c’est l’Amour qui rejoint l’Amour
dans l’unité de notre Esprit. Père, voici l’Agneau de Dieu qui enlève le
péché du monde. Voici l’Agneau de Dieu. “
Jésus se tait. Les apôtres ont entendu la prière de Jésus, mais ils ne
l’ont pas comprise: ils ne savent pas où est l’agneau dont parle Jésus;
ils ne savent pas encore, pour la plupart, qui est l’Agneau de Dieu. Ils
aiment Jésus et pour Lui, ils iraient jusqu’au bout du monde: du moins
ils le croient. Jésus se tait, Jésus prie, Jésus n’est qu’amour... Jésus
est l’Agneau, l’Agneau de Dieu, l’Agneau pascal de l’Alliance nouvelle
qui va être immolé, dans quelques instants. Et Jésus redoute cette Heure
qui est la sienne. Il la redoute, et pourtant Il l’espère: Il l’a tant
attendue, tant désirée, d’un si grand désir...
Jésus offre de nouveau le pain et le montre aux apôtres:
—Voici
l’Agneau de Dieu qui va être livré pour vous et pour tous les hommes, de
toutes les nations, et de tous les siècles. Je suis l’Agneau de Dieu qui
va être livré pour vous, livré et crucifié... Mais dans trois jours Je
ressusciterai, puis Je retournerai au Père. Mais ne craignez pas, Je ne
vous laisserai pas orphelins.
Jésus redit:
—Voici
l’agneau de Dieu qui va être livré pour vous et pour la multitude.
Puis Il rompt le pain, le partage, et le donne aux apôtres:
—Prenez
et mangez, ceci est mon Corps. Mangez ma chair. Si vous ne mangez
pas la chair du Fils de l’Homme, vous n’aurez pas la vie en vous.
Jésus tient le pain dans ses mains très saintes. Le pain ne fait qu’un
avec Lui. Toute sa Vie passe dans ce pain qu’Il bénit. Il tient
fortement le pain devenu Lui. Il rompt le pain dont la croûte se déchire
comme, dans quelques heures, ses chairs seront déchirées. Le pain
souffre, mais c’est Lui qui souffre, c’est Jésus qui est déchiré,
blessé, ouvert, donné, partagé. C’est Jésus déjà qui est torturé. Jésus
frémit, tremble, mais distribue le pain qui maintenant est sa chair.
Jésus distribue le pain comme tout-à-l’heure Il a distribué les morceaux
de l’agneau pascal de la Pâque de l’ancienne Alliance.
Les apôtres mangent sans rien dire, ahuris, hébétés, pétrifiés. Leur
intelligence a cessé de fonctionner: ils ne comprendront que plus tard
ce qui s’accomplit aujourd’hui devant eux. lIs se souviendront, un jour,
avec grande émotion, de cet instant de leur première communion. Pour
l’instant ils mangent, pour la première fois, la chair de l’Agneau
Immolé, la Chair de Jésus que est l’Agneau Immolé, l’Agneau de Dieu. Les
apôtres mangent, en regardant Jésus: ils n’ont pas encore deviné qu’Il
était le Serviteur souffrant sans consolateur, car déjà Jésus vivait
Gethsémani, mais eux ne pouvaient pas le savoir.
Les apôtres mangent le pain que le Seigneur leur donne; ils n’ont pas
très bien compris que c’était vraiment le Corps de Jésus qu’ils étaient
en train de consommer, mais une béatitude nouvelle remplit leur cœur.
Ils regardent Jésus et Jésus les regarde. Ils se taisent; ils prient...
et ils aiment. Il leur est bon d’être là, seuls avec Jésus, en cet
instant béni.
Le Cénacle est empli d’un silence d’amour, le silence de Dieu présent et
amoureux de sa créature capable d’amour. Le pain est consommé,
religieusement. Jésus, maintenant se saisit de la coupe. Comme Il l’a
fait avec le pain, Il l’élève vers le Père:
—Père,
Je Te bénis de M’avoir exaucé. Père, voici la coupe de mon Sang, le Sang
de l’Agneau, le Sang de notre Amour qui sera bientôt versé pour la soif
de tous mes petits, la soif des humbles de cœur. Père, voici la coupe de
mon Sang, le Sang de l’Alliance éternelle.
Jésus est toujours en extase. Il semble regarder au loin des choses que
les apôtres ne devinent même pas. Jésus élève la coupe et pleure:
—Oh!
Père, si c’est possible, éloigne ce calice, cette coupe du péché des
hommes qui ne veulent pas de Dieu. Père, éloigne de Moi cette coupe de
haine, cette coupe trop amère qui tuera tant de nos enfants. Père,
éloigne, si c’est possible, ce calice de mort, ce calice de haine, ce
calice du désespoir. Père...
Les apôtres, écoutent haletants. Que voit donc Jésus pour avoir tant de
peine? Pourquoi cette souffrance qui déforme ses traits? Pourquoi ces
larmes? Les apôtres contemplent Jésus qui lève la coupe pleine de vin:
—Ceci
est le calice de mon Sang qui sera versé dans quelques instants,
le Sang de l’Alliance Nouvelle, le Sang qui donnera la vie. Prenez cette
coupe, buvez mon Sang versé, buvez-en tous.
Jésus élève la coupe de vin. Pourquoi ses mains saignent-elles? Pourquoi
le sang qui coule de ses doigts tombe-t-il dans le calice plein de vin,
se mêlant au vin qu’Il avait fait préparer? Le sang de Jésus a remplacé
le vin dans la coupe pascale.
Les apôtres regardent, mais le Mystère Eucharistique est caché à leurs
yeux qui n’ont pas encore connu le Chemin de Croix. Mais Jésus sait et
Il dit:
—Voici
mon Sang, le Sang de l’Alliance nouvelle et éternelle. Buvez-en Tous.
Chez les juifs d’alors, le sang était sacré: on ne devait jamais
l’introduire dans les aliments. Les apôtres vont-ils boire? Vont-ils
participer au Sacrifice de leur Seigneur, vont-ils prendre la Vie de
Jésus, la Vie de sainteté, la Vie divine qui se propose à eux? Pierre
esquisse un mouvement de recul quand Jésus lui tend la coupe, la coupe
de son Sang. Mais il est tellement subjugué, tellement hors de lui,
qu’il boit... Tous les apôtres boiront...
Les apôtres boivent, un peu; ils sont trop intimidés pour boire
davantage. Ils attendent. Et Jésus leur dit:
—Faites
ceci en mémoire de Moi; toutes les fois que vous ferez cela, vous
annoncerez ma mort et ma résurrection, vous annoncerez mon retour.
Jésus, après la pâque ancienne qui vient d’être célébrée, a pris un long
moment pour continuer l’enseignement de ses apôtres. Il a longuement
prié le Père, pour qu’Il Le glorifie, et que par le pouvoir qu’Il Lui
a donné sur toute chair, Il donne, à ton tour, la Vie éternelle à tous
ceux que le Père Lui a donnés. Car la vie éternelle c’est de
connaître Dieu le Père, le seul vrai Dieu, et Celui qu’Il a envoyé,
Jésus-Christ. Maintenant Jésus a achevé l’Œuvre que le Père Lui avait
confiée. Le Père Le glorifie de la Gloire qu’Il avait auprès de Lui
avant que le monde fût. Maintenant c’est la Pâque nouvelle.
C’est la Pâque nouvelle; Jésus l’a instituée et les siens l’ont
accueillie. Maintenant les apôtres savent que Jésus vient d’auprès du
Père. Ils ont connu qu’Il est sorti du Père et qu’Il retourne vers le
Père. Il vient de faire d’eux les prêtres de l’Alliance éternelle: ils
comprendront bientôt, quand l’Esprit les aura envahis, la grandeur de
leur sacerdoce. Alors ils sauront... ils sauront et, en mémoire de
Jésus, ils renouvelleront son Sacrifice de la Croix, son sacrifice
d’Amour. Ils sauront et ils feront comme Jésus, en mémoire de Jésus. Et,
dans leurs mains consacrées, le pain deviendra son Corps, le vin
deviendra son Sang. Dans leurs mains sanctifiées, sa Vie sera donnée
abondamment à tous ceux qui Le recevront avec un cœur purifié, un cœur
dont Il aura pardonné toutes les fautes.
Jésus, quand nous regardons tes prêtres, pendant la messe, c’est Toi que
nous voyons. C’est Toi, Jésus, que nous voyons, en filigrane, c’est Toi
que nous contemplons nous donnant ta Chair à manger et ton Sang à boire.
Jésus, l’espace d’un instant, tes prêtres ne sont plus des hommes
ordinaires: ils sont devenus Toi nous donnant la Vie éternelle. Alors,
on devine, toujours comme en filigrane, l’Agneau de Dieu Immolé pour
nous délivrer de nos péchés. Nous devinons le Serviteur Souffrant de
Gethsémani qui n’a pas de consolateur. Nous voyons l’Agneau Immolé
mourant sur la Croix, l’Agneau béni dont le Cœur sera bientôt transpercé
par la lance d’un soldat.
Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :