LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Saint Philippe Neri
(21 juillet 1515-25 mai 1595)

 

Avant de développer la vie et l’œuvre de saint Filippo Néri, il est intéressant de rappeler ce que Jean-Paul II a dit de lui. Florentin, Filippo Néri fut un romain par le cœur. Il arriva à Rome en 1534 et y resta jusqu’à sa mort. “Il éprouva un profond amour pour cette ville. C’est pour Rome qu’il vécut, travailla, étudia, souffrit, pria, aima et mourut. C’est Rome qui était au centre de son esprit, de son cœur, de ses soucis, de ses projets, de ses institutions, de ses joies et aussi de ses souffrances... C’est pour Rome qu’il fut un saint prêtre, un infatigable confesseur et un subtil éducateur....

Les papes et les cardinaux, les évêques et les prêtres, les princes et les hommes d’état, les religieux et les artistes avaient recours à lui. D’illustres personnalités, tels l’historien Cesare Baronio et le célèbre compositeur Palestrina. Saint Charles Borromée, saint Ignace de Loyola et le cardinal Federico Borromeo se confièrent à lui, comme à un ami et à un père...

Saint Filippo a vécu dans un siècle agité de dramatiques événements, dans une époque passionnée par les découvertes de l’esprit humain, séduite par l’art classique et païen, mais tourmentée par une grave crise due au changement des mentalités. Âme d’une foi profonde, prêtre d’une grande ferveur, doué d’une pénétration hors du commun et d’un charisme exceptionnel, il sut garder intacte la vérité qui lui avait été confiée et la transmettre dans son intégrité et dans sa pureté...”

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La vie de Saint Philippe Neri

1-1 – L’enfance de Filippo Néri

Filippo Néri, 2e enfant d’une famille de 4, naquit à Florence le 21 juillet 1515. Son père était notaire. Sa maman mourut en 1520, en donnant naissance à son 4ème bébé qui ne survécut pas. Le papa se remaria afin de donner à ses petits, une “seconde mère”. C’était l’époque où Savonarole prêchait à Florence. Le 6 mai 1527, le sac de Rome par l’armée impériale de Charles Quint commençait. Au sac de Rome succéda l’insurrection de Florence contre les Médicis : la république fut instaurée. Entre temps Charles Quint qui avait été informé de ce qui se passait dans son armée, voulut, sans trop se presser, délivrer le pape. Ce fut fait en juillet 1530. Mais Rome et Florence n’étaient plus que des tas de ruines... Filippo avait juste quinze ans.

1-2 – Une jeunesse peu habituelle

Filippo avait un oncle, Romolo Néri qui avait fait fortune dans le commerce. Sans enfant, il demanda à adopter Filippo. C’était une chance inouïe pour Filippo qui commença une vie faite de calculs et de rentabilité sur le commerce des tissus et des laines. Dans ce genre d’activité seul le gain comptait...

Mais Filippo, troublé, se demandait comment on pouvait amasser tant d’argent alors qu’il y avait tellement de pauvres... Finalement Filippo quitta son oncle et, de nouveau pauvre, sans argent, inconnu, il marcha vers Rome, à pieds... Nous sommes entre 1534 et 1535.

À Rome, Filippo trouva à se loger chez un florentin, directeur de la douane, Galeotto del Caccia. Filippo devint le précepteur des deux garçons de Caccia. Rome se reconstruisait, mais elle donnait l’image d’une ville mal famée: et partout le besoin de réformes se faisait sentir. Pourtant, tandis que les ordres religieux anciens tombaient dans la décadence spirituelle, de nouvelles fondations voyaient le jour, dont l’Oratoire de l’amour divin fondé en 1517, sous la bienveillante protection du futur pape Clément VII, alors cardinal.

À Rome, chez Galeotto del Caccia, Filippo suivait les cours de philosophie de deux grands maîtres: Cesare Giacomelli et Alfonso Ferro. Il approfondit saint Augustin et se passionna pour saint Thomas d’Aquin. Mais ce qui dominait chez Filippo, c’était l’amour du prochain, charité qu’il puisait dans ses longues heures de contemplation des mystères de Dieu, en particulier la nuit, dans les Catacombes. C‘est d’ailleurs dans les Catacombes que Filippo, une nuit de 1544, vécut une expérience étrange.

1-3 – L’annonce d’une vocation

Filippo priait, plongé dans la contemplation de Dieu. Soudain, il sentit que le feu de l’amour l’embrasait, et il vit une flamme en forme de globe franchir ses lèvres et parvenir jusqu’à son cœur qu’elle fit vibrer intensément. C’était une sorte d’immense palpitation, un immense bonheur, sublime et immatériel.

Filippo connut cette grâce pendant toute sa vie mais plus particulièrement lorsqu’il donnait l’absolution ou lorsqu’il parlait de Dieu: “C’était comme un cantique intérieur, sans expression verbale. Son cœur de chair démultipliait alors son rythme, vertigineusement, et ce surcroît de force semblait stimuler Filippo à aimer Dieu davantage, à l’aimer plus profondément; et il s’y sentait porté par une allégresse indéfinissable.” C’est grâce à cette intime union avec Dieu qu’il trouva sa vocation propre: participer au destin spirituel de ceux qui l’entouraient.

Mais Filippo était pauvre et ne disposait d’aucun appui.

Filippo s’employa d’abord dans les hôpitaux de Rome, notamment ceux de Saint Jean et du Saint-Esprit, où il acquit une solide compétence d’infirmier. Mais à côté de ceux qui souffraient dans leur corps, Filippo découvrit ceux qui souffraient dans leur cœur, et il comprit que leur véritable mal, c’était surtout l’oubli de Dieu. Aussi décida-t-il d’aller vers ces malades. Il s’associa également à la confrérie de la Charité instituée par Clément VII lorsqu’il était encore cardinal, et à l’Oratoire de l’Amour divin.

1-4 – L’espoir d’un concile

Durant toutes ces années, en Allemagne, Charles Quint était de plus en plus fréquemment affronté aux exigences des princes protestants. Il fallait trouver les solutions doctrinales indispensables, il fallait un concile. C’est ainsi que le pape Paul III, élu en octobre 1534, décida d’ouvrir le concile souhaité depuis des années, le 13 décembre 1545, à Trente. Un grand espoir naissait...

Filippo intensifiait son apostolat. Avec le concours de son confesseur, Persiano Rosa, il institua une confrérie vouée à la Sainte Trinité. Pendant l’année sainte 1550, en raison de l’afflux des pèlerins, la confrérie de la Très sainte Trinité qui accueillait chaque jour des centaines de personnes s’appela peu à peu la Confrérie des Pèlerins. Puis, elle devint la Confrérie des Pèlerins et des Convalescents.[1] 

Nous sommes en 1550. Filippo a trente cinq ans; c’est encore un laïc pauvre et dépourvu de tout. Le 10 novembre précédent, le pape Paul III qui avait convoqué le Concile de Trente s’éteignait. Il fut remplacé par Jules III. Sous l’influence de son confesseur, Persiano Rosa, Filippo accepta enfin de devenir prêtre: il fut ordonné le 21 mai 1551. Pour Filippo la célébration de la messe était l’acte le plus élevé qu’un être humain pouvait accomplir. C’est le plus souvent quand il célébrait la messe que l’amour de Filippo pour son Dieu se manifestait le plus.

1-5 – Le prêtre

Quand il n’était encore que laïc, Filippo était déjà sujet à de fréquentes extases et manifestait des dons surnaturels exceptionnels. Après son ordination, ces dons mystiques, qui n’étaient auparavant que passagers, devinrent presque permanents, surtout pendant la messe, mais également à d’autres moments où ses lévitations étaient prolongées sinon continues.

1-5-1 – Le surnaturel devenu naturel

La prêtrise apporta à Filippo d’autres possibilités de communication et d’apostolat, notamment par la confession, la direction spirituelle et les autres sacrements.

Par ailleurs ses miracles se multipliaient. Filippo devenait un véritable thaumaturge. Pour lui le surnaturel se faisait réalité. Qu’on le croie ou non, Filippo évoluait dans un monde qui frôlait le mystère en permanence. Les miracles étaient autant physiques que spirituels. Ainsi, dès que Filippo arrivait chez un malade auprès duquel il avait été appelé, le malade guérissait ou mourait dans la paix.

Filippo devenu prêtre s’installa dans la communauté de San-Girolamo [2] où il restera longtemps. Là il bouleversa la tranquillité de tous ses frères et les convertit à sa joie et à son enthousiasme.

1-5-2 – La vie de Filoppo à San Girolamo

Pendant six heures, de six heures du matin jusqu’à midi, Filippo était dans son confessionnal qui ne désemplissait pas. Là Filippo ne faisait plus qu’un avec le Christ pour pardonner et apporter aux âmes tout ce dont elles avaient besoin sur le plan spirituel. Ensuite il montait dans sa chambre et continuait à recevoir tous ceux qui demandaient à se former...

1-5-3 – Les persécutions

Filippo Néri n’échappa pas à la règle qui veut que tous ceux qui font le bien et ramènent à Dieu d’innombrables âmes soient persécutés. Filippo conseillait la communion fréquente, ce qui n’était pas dans les habitudes de l’époque. Quelques personnes, dont deux moines qui avaient quitté leur monastère et qui habitaient la même maison que lui, lancèrent une véritable campagne de calomnies et s’efforcèrent de le faire passer pour un fou... Ils allaient jusqu’à le tourmenter même dans la sacristie quand il se préparait pour la messe quotidienne. Filippo faisait semblant de ne s’apercevoir de rien...

1-6 – Les dernières années et la mort de Filippo Neri

1-6-1 – Filippo malade

En novembre 1592, Filippo Néri fut atteint d’une grave bronchite. Les médecins le croyaient perdu, mais, au grand étonnement de tout le monde, il se remit. Ce n’était qu’un avertissement, et Filippo, âgé de 78 ans, comprit qu’il devait penser à sa succession. L’Oratoire avait besoin d’une direction assurée par des jeunes en pleine forme. Le 23 juillet 1593, les pères de l’Oratoire élirent à l’unanimité, Baronio, si cher au cœur de Filippo.

À sa grande satisfaction Filippo pouvait se retirer; il déclara: “Je vais pouvoir commencer à faire le bien et à m‘occuper de mon âme!” Car Filippo était convaincu “qu’il n’avait, jusqu’ici, fait aucun bien autour de lui, non, vraiment, aucun!”

Filippo fut très malade durant l’hiver 1593-1594. Ses hémoptysies étaient de plus en plus nombreuses. Il semblait au plus mal... Cependant au printemps suivant, le malade se leva soudain et s’écria: “Ô ma Madone, ô ma Madone!” Puis Filippo continua: “Je suis guéri! Je suis guéri!” Une année se passa sans rechute...

1-6-2 – La mort

Filippo a 80 ans, ce qui était exceptionnel à cette époque. À la fin du mois de mars 1595, il se rend au Vatican pour guérir le pape malade. En mai les hémoptysies de Filippo recommencent. Son état est critique, et le cardinal Federogo Borromeo lui porte le viatique. À la vue de la sainte hostie, l’agonisant reprend connaissance et s’écrie: “Voici Celui que j’aime! Voici Celui que j’aime! Donnez-le-moi vite!”

Le lendemain le malade retrouvait des forces et pouvait célébrer la messe. Cependant Filippo sentait que la mort approchait bien qu’il menât une vie presque normale. Le 25 mai 1595 au matin, Filippo était plein de vie: c’était la fête du Très Saint Sacrement... Pourtant, à deux heures du matin, le jour suivant, 26 mai, Filippo rendait son dernier soupir.

La foule commença à défiler pour prier devant le corps du saint.

1-6-3 – Après la mort de Filippo Néri

Les pères prirent immédiatement les mesures nécessaires pour assurer la survie de l’Oratoire tel que l’avait voulu leur père fondateur. L’œuvre spirituelle de Filippo Neri demeurerait intacte, consacrant, en quelque sorte, ce qui fut toute la vie du fondateur: réussir la réforme de l’Église catholique, parfois appelée Contre-Réforme. L’Église redevenait jeune, à la manière de Filippo Néri...

La réputation de sainteté de Filippo Néri était telle que son procès de canonisation s’ouvrit le 2 août 1595, soit deux mois après sa mort. Pourtant, il fallut suivre toutes les contraintes imposées, et ce n’est que le 25 mai 1615 que Paul V le proclama bienheureux. Grégoire XV eut l’honneur de le canoniser le 12 mars 1622.

Nota : En 1639, pour extraire des reliques, les pères oratoriens ouvrirent le cercueil. Le corps de Filippo apparut intact !

Quatre ans plus tard, François de Sales se rendait à Rome pour y subir, le 22 mars 1599, l’examen qui lui permettrait de devenir évêque. Deux oratoriens: Cesare Baronio, successeur de Filippo, et Ancina assistaient à l’examen. À partir de ce moment, François de Sales commença à fréquenter l’Oratoire et à s’inspirer de ses vertus principales:

            – l’élévation au plus haut degré de la condition du prêtre et de sa formation,

            – La joie dont l’origine et la finalité résident dans l’au-delà,

            – La jeunesse spirituelle.

Rentré à Genève, François de Sales fonda à Thonon une communauté de sept ou huit membres qui reçurent comme règle, de vivre selon le modèle des oratoriens de Rome.

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L’Oratoire

2-1 – La fondation de l’Oratoire

De nombreux jeunes gens se réunissaient autour de Filippo, dans sa chambre pour parler de Dieu. De féconds dialogues naissaient. Le groupe s’accroissait, les conversions se multipliaient, et tous, à l’exemple de leur maître s’en allaient s’occuper des pauvres et des malades. Et tous apprenaient à se connaître... et de là naquit l’Oratoire. Filippo parlait à chacun de ceux qui assistaient aux réunions, il lisait dans leurs cœurs, il transformait les âmes. Même les plus nobles personnages fréquentaient l’Oratoire, et beaucoup devenaient des hommes (ou des femmes) de prière.

Peu à peu l’Oratoire se structura. Filippo institua deux temps de prière et de réflexion par jour. De nouveaux membres se présentaient dont Cesare Baronio qui arriva en 1557 et sera, à la demande expresse de Filippo, l’auteur des Annales de l’Église, un ouvrage monumental. Baronio ne quittait plus son père spirituel dont il sera plus tard, le successeur.

2-2 – L’œuvre de l’Oratoire

2-2-1– La Réforme de l’Église

26 mars 1555, mort du pape Jules III. Marcel II lui succéda mais ne régna que vingt deux jours. Vint ensuite Paul IV (1555-1559) qui, avec Gaetano di Thiene, avait fondé les Théatins, un Ordre religieux rigoureux. Sous l’impulsion de Paul IV, l’atmosphère romaine se transforma: on comprit l’importance de l’oraison et de la prière. Beaucoup de grands personnages, jusqu’ici mondains et frivoles, changèrent de vie et se mirent à fréquenter assidûment l’Oratoire qui prenait de plus en plus d’importance.

2-2-2 – Filippo Néri et le Concile de Trente

On sait que Filippo seconda l’œuvre de réforme de l’Église entreprise par Paul IV. Après la mort de ce dernier, c’est Pie IV (élu le 26 décembre 1559) qui lui succéda.

Paul IV avait eu le mérite de réunir le Concile de Trente et de le clore le 3 décembre 1563, le Concile de Trente. Par ailleurs il rétablissait le port du costume ecclésiastique, il fondait les écoles de catéchisme et incitait les ordres religieux, dont le  Carmel et les Cisterciens à se réformer. Pour appliquer les réformes décidées par le concile de Trente, Paul IV fut fortement épaulé par un jeune neveu Charles Borromée qui deviendra le saint patron des évêques.

Au centre de tous ces grands courants de réforme, Filippo Néri apparaissait comme un précurseur: en effet, il avait préparé la voie à Charles Borromée. Dès qu’ils se connurent suffisamment, les deux hommes se lièrent d’amitié confiante, tout en conservant leur totale liberté de jugement.

2-2-3 – Filippo Néri et les papes

Pie V

Pie V succéda à Pie IV en janvier 1566. C’était une âme assoiffée de Dieu, qui poursuivit avec succès l’œuvre de Pie IV. Mal informé par des gens “bien intentionnés”, Pie V faillit supprimer l’Oratoire. C’est Charles Borromée qui, ayant appris sa décision, sut l’en dissuader.

Pie V s’éteignit le 1er mai 1572. Grégoire XIII lui succéda. Les problèmes auxquels les papes, à cette époque, étaient affrontés étaient multiples, à la fois temporels (le pape était un souverain) et spirituels. Ils durent s’occuper, entre autres:

            – de la réforme de l’Église et de l’application des décisions du Concile de Trente,

            – de la sécession des protestants dans la moitié de l’Europe,

            – de l’administration des états de l’Église,

            – du péril turc toujours présent.

En effet, à cette époque les Turcs se faisaient de plus en plus dangereux. Une alliance des puissances chrétiennes européennes permit la victoire de la flotte chrétienne à Lépante, le 5 octobre 1571. Un coup d’arrêt était porté à la progression des Turcs en méditerranée.

Grégoire XIII

Grégoire XIII avait bien connu l’Oratoire quand il était cardinal; aussi établit-il des relations directes avec Filippo, ce qui facilita grandement le travail d’apostolat de l’Oratoire. D’ailleurs, les miracles et les grâces semblaient naître sous les pas de Filippo, et grâce à ses prières. Dans tous les accouchements difficiles où la mère et l’enfant étaient en danger, on faisait appel à lui: et tout se passait bien... Les malades étaient guéris. Même des morts ressuscitaient! De partout on faisait appel à lui.

C’est que la prière de Filippo était un acte de foi qui déplaçait les montagnes.

Sixte Quint

Avril 1585. Sixte Quint, homme d’origine modeste, succéda à Grégoire XIII. D’emblée le nouveau pape prit des mesures sévères pour faire cesser le banditisme qui avait envahi Rome suite à la mansuétude de Grégoire XIII, et s’astreignit à poursuivre l’œuvre réformatrice de ses prédécesseurs. Il réorganisa le Sacré Collège et créa les congrégations vaticanes chargées de gérer les divers secteurs d’activité de l’Église. Il multiplia également les grands travaux qui donnèrent à Rome l’aspect qu’on lui connaît. Sixte Quint appréciait Filippo Neri et ses disciples. Il nomma à la tête des Congrégations romaines des hommes de l’Oratoire. Les membres de la Curie devinrent moins ambitieux, plus ouverts à l’apostolat que Filippo avait enseigné à quelques-uns d’entre eux. L’influence de Filippo Neri assainissait et purifiait tous ceux qui l’approchaient...

Grégoire XIV

Grégoire XIV succéda à Sixte Quint en 1590. La situation  à Rome était critique: banditisme, famine, épidémies, inondation. C’est à cette époque que l’on vit apparaître le dévouement inlassable de Camille de Leslis pour les malades. Parallèlement l’Oratoire poursuivait son œuvre avec la bienveillante protection de Grégoire XIV qui, après son décès fut remplacé, le 29 octobre 1591 par Innocent IX lequel s’éteignit également quelques mois plus tard. Clément VIII, qui avait été formé à l’Oratoire, le remplaça...

Clément VIII

Un douloureux problème se posait alors en France: le roi Henri IV, protestant, était excommunié. La France pouvait tomber dans l’hérésie et de nouveau dans la guerre civile dont elle sortait à peine. Fallait-il lever l’excommunication majeure qui frappait Henri IV ? À Rome, les avis étaient contradictoires et surtout orientés vers la fermeté. Mais Filippo avait compris la nécessité de faire admettre le roi de France dans l’Église catholique. Le pape réfléchit longtemps sur cette épineuse question; enfin le 30 août 1595, l’absolution de Henri IV fut prononcée par le pontife et annoncée solennellement au consistoire. Filippo ne vit pas cette heureuse conclusion: il était mort trois mois plus tôt: le 25 mars 1595.

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La vie spirituelle de Filippo Neri

3-1 – Filippo et la direction spirituelle

Filippo Néri estimait que l’humilité devait avoir la première place dans toute direction spirituelle. Cependant, contrairement à tant d’autres, il donnait la priorité aux mortifications intérieures. Filippo, en effet, était entouré de personnes souvent favorisées sur le plan  social, et qui se trouvaient plus que d’autres, menacées par l’orgueil. Mais la direction de Filippo était pleine de tendresse et d’attention aux autres qu’il savait écouter et comprendre. Il était un vrai père pour ses dirigés. Aux âmes mortes, Filippo apportait chaleur et simplicité, ce qui était la manifestation de l’amour qui brûlait en lui.

3-2 – La croissance de l’Oratoire

Les recrues, souvent très précieuses et de très haut niveau spirituel et intellectuel, affluaient à l’Oratoire. Une maison et une église lui appartenant devenaient indispensables. En 1575, le pape Grégoire XIII émit une bulle qui assignait un siège à l’Oratoire dans l’église de Santa Maria in Vallicella, située au centre de Rome. De plus, la bulle érigeait à perpétuité, “une congrégation de prêtres et de clercs séculiers, nommée Oratoire.” C’était l’acte de naissance officielle de l’Oratoire de Filippo Néri. C’était une grande nouveauté que l’introduction, dans l’Église, d’une congrégation masculine fondée sur l’exercice de la charité, sans imposer l’obligation des vœux.

Nous sommes en 1575. À l’époque, Filippo ne désirait pas voir l’Oratoire essaimer hors de Rome; il voulait laisser faire le Seigneur et laisser libres les voies de Dieu...

3-3 – Les voies de Dieu

Le 4 février de la même année 1575, naissait en France Pierre de Bérulle, le futur fondateur de l’Oratoire de France, lequel s’inspirera fortement des méthodes de Filippo. Entre temps, François de Sales avait suivi une voie comparable à celle de l’Oratoire de Rome, en rassemblant à Thonon, en Savoie, un groupe de prêtres, dans l’intention de s’opposer à l’hérésie calviniste. Curieusement, par l’intermédiaire de François de Sales et de Bérulle, Filippo Néri se trouve être à l’origine de l’École Française de spiritualité.

3-4 – Quel avenir pour l’Oratoire?

En 1578 l’Oratoire romain comptait 33 membres, mais seulement quatre piliers solides. Filippo hésitait à fonder d’autres oratoires quoique celui de Naples, fondé malgré lui, semblât être un succès.

Filippo demandait à ses oratoriens une grande fidélité. Pourtant aucun vœu n’était imposé; en effet, aux vœux qu’il refusait, Filippo préférait la fidélité réfléchie et constamment renouvelée. Dans la fidélité, et le respect qu’elle sous-entend, résidait toute la doctrine de ce saint original dont la seule certitude qu’il voulait à tout prix partager était: Dieu existe, Dieu nous aime.

3-5 – L’homme et le saint

Le trait principal de la personnalité de Filippo Néri est sa bonne humeur et sa gaieté. Cela était bien nécessaire à celui qui devait  s’attaquer d’abord à l’orgueil de ceux qui venaient à lui. La joie et l’humilité... Et l’on voyait autour de Filippo les caractères les plus orgueilleux changer de nature et, grâce à l’exemple et à l’humble générosité du maître, se transformer en oubliant leur amour-propre et en désirant accueillir pleinement l’amour que Dieu leur offrait. Les plus grands, les plus riches, renonçaient soudain à leurs fastes, si bien que Filippo devait les ramener à un juste équilibre compatible avec leur situation sociale. En effet, pour Filippo, “mortifier une passion quelque modeste qu’elle soit, est bien plus profitable que la multiplication des jeûnes ou des disciplines.”

Filippo était toujours joyeux, car il savait que ce qui est enseigné dans la joie marque les cœurs profondément et devient ferment de vie, même chez les religieux les plus élevés dans la hiérarchie ecclésiale. L’esprit original de Filippo sut ainsi atteindre les esprits souvent austères de ceux qui devaient mettre en œuvre la contre réforme catholique. Beaucoup comprirent la valeur de sa méthode. Cela est vrai, à tel point que le doux François de Sales institua à Thonon, en Savoie, un groupe de prêtre séculiers, vivant en communauté, sur le modèle même des oratoriens de Rome.

Ainsi, discrètement, la joie communicative d’un saint et sa prière qui soutenait sa communauté, conduisait à l’esprit de sacrifice et à l’oraison. Car l’union de Filippo avec Dieu était si totale et si constante que même dans ses activités qui demandaient toute sa concentration, sa pensée et son cœur demeuraient toujours en Dieu et en son amour. Filippo vivait en Dieu et au service des autres.

3-6 – Résumé de la spiritualité de saint Filippo Néri

            – D’abord l’humilité de l’intelligence.

Au siècle ou vivait Filippo, se développait un danger fondamental: l’orgueil de l’intelligence. Pour y remédier, Filippo insistait beaucoup sur la pénitence intérieure qui doit accepter la loi de Dieu.

            – Puis la joie intérieure.

L’humour de Filippo, bien connu, lui valu le qualificatif de “saint de la joie”, et sa maison, “la maison de l’allégresse.”

            – Enfin, la pédagogie de la grâce.

Filippo qui fut éducateur et désirait respecter pleinement la personnalité des enfants et des jeunes, bâtit son projet d’éducation sur les cinq piliers suivants: connaissance approfondie de chaque enfant ou de chaque jeune; lumière apportée à l’esprit par les vérités de la foi, par les lectures et les méditations; la dévotion eucharistique et mariale; la charité pour le prochain; et enfin le jeu sous ses multiples aspects.

Le cardinal Newman qui cherchait à se convertir au catholicisme étudia la vie et la spiritualité de Filippo Néri. Il voulut devenir prêtre oratorien et fonda le premier oratoire en Angleterre.

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L’homme d’un siècle

On a dit que Filippo Néri avait été l’homme du XVIe siècle. Le Cardinal Cusani a dit de lui, lors du procès de béatification: ”Je n’ai jamais connu un homme qui fût vénéré par des évêques, des archevêques, des cardinaux et des papes, aussi bien que par des foules innombrables, à l’égal du bienheureux Filippo.”  Tous ceux qui l’ont connu ont loué sa gaieté. Filippo, en effet, estimait “qu’il est bien plus facile de guider vers le bien les natures joyeuses que les âmes mélancoliques.”

Filippo Néri naît en 1515; il arrive à Rome au moment où l’influence de la Renaissance commence à s’estomper. Il connaît la Réforme protestante. Il suit les travaux du Concile de trente et s’efforce  de mettre en œuvre ses décisions. Enfin il meurt avec le siècle, en 1595.

Quelques textes de Filippo Néri

Les leçons de Filippo Néri s’adressent à tous les chrétiens qui veulent vivre avec le Seigneur, quel que soit leur état de vie. Ce qu’il conseille à des religieux pourrait très bien s’appliquer à ceux qui vivent dans le monde. Voici quelques extraits des lettres qu’il écrivit à ses nièces religieuses:

À Sœur Maria Tregni [3] (une de ses nièces) religieuse à Santa Lucia  à Firenze

L’abandon entre les mains de Dieu

“L’abandon, ce premier pas que nous avons l’intention d’accomplir, est cependant le dernier que nous accomplissons. La peau de notre amour-propre colle, en effet, à celle de notre cœur, si intimement que rien n’est plus difficile que de l’en détacher. Plus nous semblons sur le point d’y parvenir, plus cruellement nous en souffrons... Toutes les peaux... de ce monde doivent être abandonnées pour la vie de l’esprit.

Âme est un terme employé pour signifier l’existence, à entendre ici dans le sens de la conquête des vertus qui passe par la mortification des vices, des péchés, des mauvaises pensées et des affections dangereuses, et qui vise à atteindre la sainteté. Mais prenez garde, ma fille, car l’âme est couverte de bien vilaines peaux, et il faut brandir le couteau de la sainte discipline pour trancher dans le vif et les détacher de nos cœurs...”

L’avarice

“La taupe est une sorte de rat aveugle qui vit toujours sous la terre, mange et creuse le sol, sans jamais se lasser ni se rassasier. C’est l’image même de l’homme avare, et de la femme plus encore, car elle l’est tout naturellement. Or Dieu est à l’antipode de l’avarice, puisqu’il nous a tout donné: la splendeur de la vie, l’immensité de la création, du plus grand des anges jusqu’au plus infime des êtres, et enfin son propre Fils, le doux Christ, Verbe incarné, offert aux hommes pour répondre à leurs demandes... La création entière manifeste la bonté et la générosité du Créateur... Mais si l’avarice est monstrueuse chez l’homme, que dire chez le religieux et la religieuse qui ont fait vœu de pauvreté?... Cette vilaine peau, il faut nous en débarrasser à tout prix...”

L’offrande de sa vie

“Nous devons aller encore plus loin et offrir notre vie même à laquelle nous tenons tant, pour l’honneur de Dieu et le salut de notre prochain... Rude tâche que de modérer ses paroles, d’humilier son cœur et son corps devant tous, de s’avilir jusqu’à s’identifier au rude torchon de cuisine, au torchon tout juste bon à nettoyer les sabots fangeux de nos sœurs...”

Parlant de sainte Catherine de Sienne, calomniée par une personne qu’elle soignait, Filippo écrit: “C’était la volonté de Dieu que la sainte mère parcourût ces sentiers rocailleux, pour mieux se mortifier et apparaître dans toute sa vérité, entièrement détachée de l’honneur et de la réputation du monde, puisqu’elle s’était vouée au service de l’Époux dont le regard devait lui suffire...

Cette peau que l’avarice tend sur le cœur n’est, hélas! pas la seule. Les défauts, les mauvaises habitudes, les vices, le couvrent de plus de peaux que l’oignon l’hiver, lui donnent plus de poils que n’en porte le chat. Renoncer à soi n’est pas si facile qu’on puisse le décider un jour, par subite inspiration. Il y faut une volonté de fer, l’habitude d’une sévérité extrême à l’égard de soi-même, et un usage vigilant du couteau et du rasoir, je veux dire de l’oraison et de l’examen de conscience...

Plus que toute autre chose, pratiquez la sainte vertu d’obéissance... À l’obéissance, sans doute, vous devez ajouter la prière. Mais, tout en vous consacrant à l’oraison et à la communion, prenez garde et tenez-vous prête à interrompre l’une et l’autre, si vous en recevez l’ordre. En la sainte obéissance, en effet, résident la véritable prière et la vraie communion au sens où l’entend le Seigneur...

En effet, le démon redoute bien plus de trouver dans une communauté l’union et la paix que tous les exercices de la vie spirituelle, s’ils ne sont étroitement subordonnés à l’amour fraternel... Le Diable, notre ennemi, ne cesse, pour mieux nous vaincre, de chercher à nous désunir, de susciter entre nous discussions, contestations, haines et rivalités, de former coteries; clans entre nous et dans nos monastères... Contre l’ennemi, l’union et la paix constituent l’arme la plus puissante et la plus redoutable... Veillez par-dessus tout à la pureté de cœur, car l’Esprit-Saint habite les âmes simples et candides... Il est le maître de la prière et nous fait vivre constamment dans la paix et dans la joie, avant-goût du paradis...”

À Sœur Maria Vittoria Treni (son autre nièce), religieuse de Saint-Pierre-Martyr, à Florence.

Filippo Néri rappelle d’abord le souvenir de la victoire de la flotte chrétienne sur les Turcs, avant de faire une longue digression sur le nom de sa nièce: Maria. “C’est dans une intention profonde, me semble-t-il, que vous a été donné ce nom, dans le dessein providentiel qu’en sortant du monde vous soyez tirée, par la main de Dieu, des eaux de la mer, traversée fatale à bien des âmes à tout jamais misérablement englouties... Prise par la main et soutenue, comme un autre Saint Pierre, vous avez marché sur les eaux...”

Filippo évoque alors, dans cette lettre, les grandes figures des Pères de l’Ancien Testament, puis de Job et de David, et enfin des apôtres et des disciples de la primitive Église, tous modèles pour les bons religieux. Et Filippo de conclure: “ Aussi, ma fille très aimée dans le Christ, puisque vous êtes toute proche de la félicité promise, ne regardez pas derrière vous, ne freinez pas votre effort, ne détachez pas votre regard du rivage à atteindre, n’accordez plus une seule pensée à la terre que vous abandonnez. Ce monde n’est qu’un coupe-gorge où l’infortuné voyageur est torturé avant d’être occis, une étrange forêt remplie de monstres, un champ de bataille et de mort. On n’y rencontre que violence et iniquités, quelques justes mis à part, et bien peu nombreux. Considérez-le comme une terre brûlée, comme un incendie dont vous venez d’échapper à grand peine, encore tout enveloppée de flammes et de fumée... Tenez-vous à l’écart des tentations sous peine de vous perdre...”

Mais tout cela ne suffit pas; il faut maintenant tourner son cœur vers Dieu et sa divine miséricorde: “Sans chaleur, sans entretien, sans aliment, l’amour s’étiole. Dès maintenant, ici-bas, apprenons à vouer à Dieu le tribut des louanges que nous passerons l’éternité à lui consacrer, dans les cieux... Il nous en offre la vision, la jouissance et la possession. mais nous ne pouvons nous en rassasier car, plus nous sommes comblés, plus nous en éprouvons le désir...

Souvenez-vous, cependant, dans vos oraisons mentales, des infortunés qui ne disposent, pour franchir cette mer dangereuse, ni d’un pont ni d’un esquif, et doivent la traverser à gué... C’est ainsi, en obtenant par vos prières le salut des âmes, que vous mériterez de faire de grands progrès dans la charité: ce sera votre honneur et votre gloire...”

Pour achever le chemin que nous venons de parcourir avec Filippo Néri ; voici, choisies entre beaucoup d’autres, quelques strophes sur la vanité.

Vanité des vanités
Toute chose n’est que vanité
Le monde entier et ses biens
Toute chose n’est que vanité.

Quand bien même tu règnerais mille ans
Plein de santé et de bonheur
À ta mort qu’en sera-t-il ?
Toute chose n’est que vanité.

Quand tu vivrais entouré d’aises
Dans les châteaux et les palais
À ta mort qu’en sera-t-il ?
Toute chose n’est que vanité.

Aussi, tourne ton cœur vers Dieu
En lui vouant tout ton amour
Il ne te fera jamais faute
Tout le reste n’est que vanité;

S’il t’est possible sans peine ni douleur
De satisfaire tous tes caprices
À ta mort qu’en sera-t-il ?
Toute chose n’est que vanité.

S’il est donné à ton cœur ici-bas
De jouir perpétuellement,
À ta mort qu’en sera-t-il ?
Toute chose n’est que vanité.

Mets donc un terme à tes désirs.
Cherche Dieu qui toujours t’attend,
Et jamais ne te fera faute
Tout le reste n’est que vanité.


[1] Dès que les malades hospitalisés allaient un peu mieux, on les renvoyait. Comme beaucoup se retrouvaient ainsi à la rue, ils allaient chercher refuge dans la maison de la confrérie des Pèlerins.

[2] L’église San-Girolamo appartenait à la confrérie dite de la Carita. Les prêtres qui logeaient dans la communauté n’avaient pour seule obligation que le culte. Pour le reste, ils jouissaient d’une totale liberté.

[3] Tregni ou Ner

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