CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

sainte
CATHERINE DE GÊNES
veuve, religieuse et auteur mystique
(1447-1510)

Vie

CHAPITRE I

Aperçu Historique

La sainte dont nous écrivons la biographie naquit, vécut et mourut à Gênes; elle a été l'une des plus grandes gloires de cette ville célèbre. Les noms qu'elle a portés comptent parmi les plus illustres de la République, et ont joué un rôle immense dans les annales génoises; on les y retrouve, pour ainsi dire, à chaque page. Ces noms fameux, le retentissement qu'ils ont eu pendant plusieurs siècles, et le contraste qu'ils forment avec la vie toute cachée en Dieu à laquelle se voua Catherine, nous ont décidé à placer, en tête de la biographie de la sainte, le court aperçu historique qu'on va lire. La connaissance de la position qu'elle était destinée à occuper dans le monde fera ressortir davantage la grandeur de son humilité, comme de la bassesse et de la pauvreté auxquelles elle s'est condamnée.

Entrons maintenant en matière. La plupart des auteurs fixent la fondation de Gênes, par les Liguriens, à l'année 707 avant Jésus-Christ; elle fut conquise par les Romains et incorporée à la Gaule-Cisalpine vers l'an 222, Magon, frère d'Annibal, la détruisit, en 205, pendant la seconde guerre punique. Les Romains la relevèrent trois ans plus tard, et sous les empereurs, elle devint une ville municipale. Après la chute de l'empire, Gênes appartint successivement aux Hérules, aux Ostrogoths, aux exarques grecs, aux Lombards et à Charlemagne. Elle se rendit indépendante sous les successeurs de ce prince, au commencement du dixième siècle, et se donna des consuls. Les Génois, destinés à jouer bientôt un rôle si important, formaient alors une simple association de mariniers, établie sur le littoral et pierreux que baigne le golfe de Ligurie.

Navigateurs et commerçants hardis, ils ne tardent pas à devenir riches et puissants; dès le onzième siècle, ils entreprennent de lointaines expéditions, transportent en Judée les pèlerins de la Terre-Sainte, et tiennent en respect les pirates sarrasins. Pendant les croisades, ils se montrent à la fois guerriers intrépides et marchands habiles; ne perdant jamais de vue les intérêts de leur commerce, ils se ménagent le trafic avec les infidèles de l'Égypte et de la Mauritanie; leur puissance est respectée et redoutée de tous les peuples qui habitent les côtes de la Méditerranée.

L'empire de cette mer est disputé tour à tour par les Pisans, leurs premiers rivaux, et par les Vénitiens; mais Gênes la superbe tient énergiquement tête à ses adversaire; et, malgré des guerres incessantes, son pouvoir et ses richesses prennent de prodigieux accroissements. Elle forment de nombreux établissements en Corse, en Sardaigne, en Sicile, en Espagne, en Syrie, dans l'Archipel et dans tous le Levant. Ses colonies régies par des consuls, dorées de franchises et de privilèges, brillent d'un éclat extraordinaire.

Mais les Génois, maîtres de la mer, redoutés en Orient, et qui ont déjà promené leurs armes victorieuses depuis les côtes de l'Espagne jusqu'au fond du Pont-Euxin, sont encore  réduits chez eux à l'enceinte de leurs murailles; ils ne possèdent pas même les deux rivières du Ponant et du Levant, qui constitueront plus tard le territoire de la République. Au douzième siècle, Gênes commence enfin à soumettre ses plus proches voisins et les force à reconnaître son autorité. Elle dévaste les domaines des comtes de Lavagne, qui touchent le sol génois, parce que ces seigneurs sont soupçonnés  d'entretenir des intelligences avec Pise; elle bâtit le fort de Rivarola, pour dominer les possessions des comtes, et les oblige à lui prêter le serment de fidélité. Quelques membres de cette noble race, qu'Augustin Justiniani fait descendre des anciens princes de Bavière, viennent alors à Gênes en qualité d'otages; il y restent et y obtiennent le droit de bourgeoisie. Cinquante ans plus tard, on trouve la famille divisée en plusieurs branches, dont les unes sont établies à Lavagne, les autres à Gênes sous le nom de Fieschi (en latin Flisci ). Sainte Catherine, dont nous écrivons l'histoire, sort de cette souche. Vers ce temps, une noblesse domestique et municipale se forme dans la ville et arrive promptement à une très haute illustration.

Les descendants des familles qui ont occupé les principales charges dans la magistrature urbaine prennent la qualité de nobles; les fils commencent à succéder aux emplois et aux commandements des pères; l'aristocratie remplace le régime démocratique qui, jusqu'alors avait été seul en vigueur. La politique génoise, purement mercantile, et n'ayant en vue que l'intérêt particulier, tient la République dans une sorte d'isolement, et, pendant longtemps, ne lui permet pas de jouer un rôle très marqué parmi les cités italiques. Elle cherche à se soustraire à l'avidité et aux exigences des empereurs allemands, tout en s'efforçant de demeurer à l'écart dans la grande lutte d'indépendance des villes lombardes. Adonnée presque exclusivement à son commerce, elle réussit, même après l'issue malheureuse de la croisade de 1189, et lorsque le royaume de Jérusalem n'existe plus que de nom, à continuer son trafic avec les villes de la Syrie soumises à Saladin. Les marchands génois pénètrent jusqu'à Alep et à Damas; jamais la guerre n'interrompit leur négoce; ils font des traités avec les rois maures du Maroc, de Valence et des îles Baléares; avec l'Egypte (en 1200); enfin avec les princes chrétiens de la Petite-Arménie. Cependant les factions guelfe et gibeline finissent par se dessiner également dans la ville de Gênes. Les deux partis y ont de nombreux adhérents; alternativement victorieux et vaincus ils s'excluent et s'exilent réciproquement, tiennent la République dans une agitation continuelle, et changent fréquemment la forme du gouvernement, le nom et les attributions de ceux auxquels ils confient le pouvoir. Les Spinola et les Doria sont les chefs des Gibelins; les Grimaldi et les Fieschi sont à la tête des Guelfes. Mais, au milieu des désordres et des incessantes révolutions qui ensanglantent souvent ses rues, malgré ses luttes continuelles avec Pise, et surtout avec Venise, sa rivale et son irréconciliable ennemie, Gênes étend de plus en plus sa puissance au dehors, et ses relations avec le Levant prennent de prodigieux accroissements. Michel-Paléologue, successeur des empereurs grecs réfugiés à Nicée, rentre à Constantinople en 1261, et met fin à l'empire latin, avec l'assistance des Génois; il leur assigne le faubourg de Galata comme siège principal de leurs colonies.

Vers la même époque, les armateurs de Gênes établissent à Scio, à Mételin, à Ténédos, et dans d'autres lieux de l'Archipel grec, de grandes seigneuries qui forment autant de points d'appui pour les navigateurs de la métropole. Les colons de Galata et de Pera sont les grands fournisseurs de Constantinople; le monopole du commerce de la mer Noire est dans leurs mains; ils contractent des alliances avec les tartares de la Crimée et des embouchures du Tanais; une colonie qu'ils ont établie à Caffa, à l'extrémité de la mer Noire, s'élève à un degré extraordinaire de prospérité et devient l'une des sources principales de la fortune colossale de Gênes. L'essor du commerce de la République ne s'arrête pas même lors de la prise de Ptollémais et de l'expulsion des chrétiens de la Terre-Sainte (1291 ); elle traite avec le Soudan d'Egypte et établit un consul à Alexandrie. Après la fin des croisades, les Génois vont partout où l'on peut trouver des acheteurs et des vendeurs. l'Egypte est alors le marché principal pour les productions de l'Inde; ils prennent en secret la route de la Perse, afin d'éviter le monopole fiscal du soudan. Maître de la mer Noire, ils ouvrent un négoce immense à Tana, sur la mer d'Azoff; les produits de l'Asie viennent y affluer. Ils entretiennent aussi des relations suivies avec le midi de la France, et y établissent des consuls et des comptoirs. Plus hardis que leurs rivaux, ils s'aventurent même sur l'Océan, et, dès le commencement du quatorzième siècle, ils transportent de grands approvisionnements de blé en Angleterre. La République parvient ainsi à une opulence extraordinaire; son commerce brille du plus grand éclat pendant plusieurs siècles. Il commence à baisser après la découverte de l'Amérique et la circumnavigation du cap de Bonne-Espérance. La prise de Constantinople, par Mahomet II, et la perte des colonies de la mer Noire, qui en est la conséquence, lui portent le coup le plus funeste. Prospère au dehors, Gênes continue, pendant toute la période sur laquelle nous venons de jeter un coup d'oeil, à être en proie aux déchirements intérieurs; les familles rivales se disputent le pouvoir, s'expulsent réciproquement, et les annales de la République présentent une succession non interrompue de sanglantes révolutions. Les guerres avec les villes ennemies, et Gênes est en lutte fréquente avec ses voisins; elle joue son rôle dans tous les troubles qui agitent l'Italie à cette époque. Mêlée aux querelles épouvantables occasionnées par la succession de Sicile, tantôt gibeline, on la voit tour à tour aragonaise et angevine, d'après celle de ses factions qui domine dans le moment. Les riches familles plébéiennes profitent des désordres, pour dominer à leur tour et pour exclure la noblesse de l'exercice des plus hautes fonctions. Une aristocratie nouvelle se forme alors; ses membres jouissent par le fait de tous les avantages et de tous les droits des nobles, mais sans en prendre le titre. Les familles qui composent cette aristocratie plébéienne, et parmi lesquelles brillent en première ligne les Adorne, les Frégose, les Guarea, les Montalte et les Boccanegra, se disputent et se ravissent alternativement le pouvoir tout comme les Doria, les Spinola, les Fieschi et les Grimaldi se l'étaient disputé précédemment. Les Adorne et les Frégose, rivaux irréconciliables, s'efforcent de rendre héréditaire dans leurs maisons la puissance souveraine. Les haines guelfes et gibelines se perpétuent, et les nobles prennent une part active à toutes les querelles, tantôt en cherchant à ressaisir le gouvernement, tantôt en soutenant, la lance et l'épée au poing, les familles populaires de leur parti. Sainte Catherine Fiesca entra, par son mariage, dans celle des Adorne. Cependant les classes inférieures, les artisans et la populace, veulent à leur tour, enlever à l'aristocratie nouvelle le pouvoir que celle-ci a enlevé à la noblesse. Une anarchie épouvantable s'ensuit. Les Génois espèrent se procurer le repos et la sécurité en se plaçant sous la seigneurie d'un prince étranger. Ils se flattent de trouver les maîtres qu'ils se choisissent fidèles à leurs promesses et disposés à respecter la liberté de la République. Ils se donnent successivement à l'Empereur Henri VIII de Luxembourg, à Robert, roi de Naples, à l'archevêque Visconti, duc de Milan, à Charles VII de France, et au marquis de Montferrat. Ils rétablissent à plusieurs reprises les seigneuries des rois de France et des ducs de Milan; mais toutes ces expériences leur prouvent simplement l'impossibilité de concilier la forme républicaine avec la domination d'un prince étranger; chaque seigneurie nouvelle a pour prompte conséquence une nouvelle révolution et de nouveaux conflits. Ce fut bien plus tard seulement que la République, fatiguée de désordres, puissante encore, quoique déchue de son antique splendeur, humiliée par Venise après des luttes séculaires, et dépouillée de ses plus riches colonies, arriva enfin à un gouvernement régulier, par la fusion générale de tous les partis. La sainte dont nous écrivons l'histoire naquit vers le milieu du quinzième siècle, dans un temps fécond en malheurs, peu d'années avant la prise de Constantinople, qui devait porter un coup mortel au commerce de Gênes dans le levant. Les luttes intestines entre les partis des Adorne et des Frégose atteignent alors la plus extrême violence; la République se trouve activement mêlée aux guerres des Angevins et des Aragonais, et aux expéditions en Italie de Charles VIII et de Louis XII; la seigneurie de la ville passe alternativement aux ducs de Milan et aux rois de France, et chaque année pour ainsi dire, voit naître une révolte contre le maître qu'on s'est donné. Les annales de Gênes de cette période renferment, à côté de quelques pages brillantes, l'histoire d'un despotisme sans gloire d'une foule de conjuration, et d'intrigues, et d'une rapide décadence. C'est également pendant la vie de Catherine, que Christophe Colomb, sujet de la République, à laquelle il avait vainement offert ses services, dote la couronne d'Espagne d'un nouveau monde, dont la découverte eut bientôt de si fatales conséquences pour sa patrie. Ce même temps est une époque de deuil et de désolation pour l'Eglise. Le grand schisme avait relâché tous les liens : le désordre était partout. L'année qui voit naître notre sainte voit mourir Eugène IV; et, après le pontificat glorieux de Nicolas V et les règnes de Calixte III, de Pie II (Enéas Sylvius) et de Paul II, commence pour la papauté une époque d'humiliation qui rappelle les jours les plus terribles du dixième siècle. L'impeccabilité n'a pas été promise aux successeurs de saint Pierre; mais si leur vertu a pu faillir, leur foi n'a point subi d'éclipse. Bien plus, au temps dont nous parlons, les pontifes dont la conduite privée a donné lieu à des critiques malveillantes, ont été les seuls, parmi leurs contemporains, à comprendre les vrais intérêts de la Chrétienté! ils se sont efforcés de pousser l'Europe à une croisade contre l'envahissement des Turcs; mais aucun prince ne répondit à leurs appels répétés : absorbés par le présent et par les intérêts d'une ambition mesquine et égoïste, les souverains fermèrent les yeux sur les dangers dont l'avenir les menaçait, et sur les périls que couraient la Pologne et la Hongrie. Pie III, neveu de Pie II, à Alexandre VI; il meurt après un pontificat de quelques jours. Jules II (de la Rovère ) est élu à sa place. Assurer l'indépendance du Saint-Siège et la liberté de l'Italie est la grande pensée qui domine ce pape. Quelque jugement que l'on porte sur ses actes, on ne peut s'empêcher de reconnaître en lui un homme loyal et droit, méprisant la corruption, et supérieur aux faiblesses du népotisme. Les dernières années de la vie de sainte Catherine de Gênes s'écoulent sous le règne de Jules II; vingt mois à peine séparent sa mort de l'ouverture du cinquième concile de Latran (10 mai 1512 ); quelques années plus tard, Léon X monte sur la chaire de saint Pierre et Luther donne le signal de la déplorable révolution religieuse du seizième siècle. Nous connaissons maintenant les lieux et les temps auxquels se rattache l'histoire de notre sainte. Catherine est une de ces âmes d'élite que Dieu donne à la terre dans les époques de malaise et de ténèbres, pour indiquer au pèlerin chrétien la voie que le monde a perdue, et pour lui prouver que le Seigneur veille et poursuit l'oeuvre de la sanctification de l'humanité, même pendant les jours les plus mauvais.

   

 

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