LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

sainte
CATHERINE DE SIENNE
dominicaine, auteur mystique
et Docteur de l'Église
(1347-1380)

INDEX DES PRIÈRES

I

Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans l'Église.- Elle fut recueillie pendant l'extase de la Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du Pape Urbain VI.

II

Prière faite pour les ministres de l'Église pendant la même extase.

III

Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI voulait retourner à Avignon.

IV

Prière écrite en cinabre de la main même de sainte Catherine.

V

Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la Communion, le Vendredi 18 février 1379.

VI

Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas apôtre.

VII

Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379.

VIII

Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l'an 1379.

IX

Prière faite à Rome, le 1er mars 1379.

X

Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.

XI

Prière faite à Rome, le jour de l'Annonciation de la Sainte Vierge, 1379.

XII

Prière faite à Rome.

 

 

PRIERES
DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

I

Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans l'Église.- Elle fut recueillie pendant l'extase de la Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du Pape Urbain VI.

1.     O Déité, Déité, ineffable Déité! Bonté suprême qui par amour seulement nous avez faits à votre image et ressemblance, vous ne vous êtes pas contenté de dire, lorsque vous avez créé l'homme, le fiat qui tira les autres créatures du néant ; mais vous avez dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance (Genèse, 1, 26),afin que la Trinité tout entière concourût à notre existence et imprimât sa forme dans les puissances de notre âme. Et en effet, ô Père éternel ! qui conservez tout en vous, notre mémoire vous ressemble, puisqu'elle retient et conserve tout ce que l'intelligence voit et comprend de vous-même. Cette connaissance la fait participer à la sagesse de votre Fils unique. Vous nous avez aussi donné la volonté du Saint Esprit, qui surabonde de votre amour et saisit tout ce que l'intelligence connaît de votre ineffable bonté, pour remplir de vous notre mémoire et notre cœur.

2.      Oh ! oui, je vous rends grâces de cet amour infini que Vous avez manifesté au monde, en nous donnant l'intelligence pour vous connaître, la mémoire pour vous retenir, la volonté pour vous aimer par dessus toutes choses, comme vous le méritez ; et cette puissance, cet amour, ni le démon, ni aucune créature ne peuvent nous les ravir sans notre consentement. Que l'homme rougisse de se voir tant aimé, et de ne pas aimer son Créateur, sa vie véritable.

3.     O éternelle Bonté ! vous me faites comprendre l'immensité de votre amour. Lorsque, après la désobéissance de notre Père, notre faiblesse nous eut entraînés dans la corruption du péché, l'amour vous a forcé de jeter sur nous des regards de miséricorde, et vous nous avez envoyé dans notre détresse votre Fils, le Verbe incarné, caché sous les voiles de notre chair misérable et revêtu de notre mortalité.

4.      Et vous, Jésus, notre réconciliateur, notre réformateur, notre rédempteur, Verbe et Amour du Père, vous êtes intervenu entre l'homme et son Créateur, et vous avez changé la guerre qui les séparait en une paix profonde. Vous avez puni la désobéissance d'Adam et nos iniquités sur votre corps sacré, en vous faisant obéissant jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Sur la Croix, ô doux Jésus ! vous avez satisfait d'un seul coup à l'offense de votre Père et à notre faute ; vous les avez expiées sur vous-même.

5.     J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ! de quelque côté que je me tourne je rencontre votre ineffable amour. Comment excuser celui qui ne vous aime pas ? Car, ô Dieu fait homme pour que je vous aime, vous m'avez aimé avant ma naissance, et vous m'avez fait capable de connaître et de sentir votre infinie puissance et votre bonté. Tout ce que je puis aimer et tout ce qui a l'être, je le trouve eu vous ; le péché seul ne s'y trouve pas, et puisqu'il n'est pas en vous, il n'est pas digne d'être aimé.

6.      Si nous voulons aimer Dieu comme nous le devons, nous trouvons en vous ses infinies perfections ; si nous voulons aimer l'humanité, vous l'avez en vous dans son indicible pureté. Si nous voulons aimer un maître, c'est vous, qui nous avez rachetés de votre sang, et qui, par ce prix inestimable, nous avez tirés de la servitude du péché. Oui, nous vous appartenons, car vous avez été notre père, notre frère, notre maître, notre ami, notre compagnon, avec une incompréhensible charité.

7.     O Dieu éternel ! votre Fils, fidèle à votre volonté, a répandu son Sang précieux pour nous, misérables, sur l'arbre de la sainte Croix. Comment vous remercier de tant de bienfaits, moi misérable créature, et vous la Sagesse, la Puissance, la Bonté même. Vous êtes la Beauté par essence, et moi je ne suis que la bassesse, l'abjection. Vous êtes la Vie éternelle, moi la mort ; vous la Lumière, moi l'obscurité ; vous la Sagesse, moi la folie ; vous l'Infini, moi la fragilité même. A chaque instant je puis mourir, ô Médecin ! vous voyez le mal qui m'accable. J'ai perdu mon âme et ma vie en ne vous aimant pas, vous qui nous avez faits pour vous et qui nous attirez sans cesse par votre grâce ; vous qui nous uniriez à vous si nous y consentions, si notre volonté ne se révoltait pas contre votre Majesté sainte (Il y a dans cette prière quelques variantes entre le texte italien et le texte latin. Nous avons souvent suivi le latin, comme offrant un sens plus clair.).

8.      Ah ! Seigneur, j'ai péché, ayez pitié de moi ! Que votre éternelle Bonté ne s'arrête pas à ces souillures que nous avons contractées en nous séparant de vous, et en éloignant nos âmes de leur objet véritable. J'implore votre miséricorde, qui est sans bornes, et je vous supplie de jeter un regard de clémence et de tendresse sur l'Église, votre unique Épouse. Éclairez votre Vicaire en ce monde, afin qu'il ne vous aime pas et ne s'aime pas pour lui-même, mais qu'il s'aime et qu'il vous aime pour vous. S'il vous aime et s'il s'aime pour lui, nous périrons ; car il est notre perte ou notre salut, puisque nous sommes ses brebis et qu'il doit nous sauver de nos égarements. Mais s'il vous aime et s'il s'aime pour vous, nous vivrons, puisque nous recevrons du Bon Pasteur la vie de l'exemple.

9.     O Dieu suprême et ineffable ! — J'ai péché et je ne suis pas digne de vous prier, mais vous pouvez m'en rendre moins indigne. Punissez, Seigneur, mes péchés, et ne regardez pas ma misère. J'ai reçu de vous un corps que je vous rends et que je vous offre. Voici ma chair et mon sang ; frappez, détruisez, réduisez mes os en poussière, mais accordez ce que je vous demande pour le souverain Pontife, l'unique époux de votre unique Épouse. Qu'il connaisse toujours votre volonté, qu'il l'aime et qu'il la suive, afin que nous ne périssions pas. Donnez-lui, mon Dieu, un cœur nouveau ; que votre grâce augmente toujours en lui ; qu'il soit infatigable à porter l'étendard de votre sainte Croix, et qu'il dispense aux infidèles les trésors de votre miséricorde comme à nous-mêmes, qui jouissons de la Passion et du Sang de l'Agneau sans tache, votre Fils bien-aimé. — J'ai péché, Seigneur ; Dieu éternel, ayez pitié de moi !

II

Prière faite pour les ministres de l'Église pendant la même extase.

1.     Je le reconnais, ô Dieu éternel, vous êtes un océan tranquille, où vivent et se nourrissent les âmes ; elles y trouvent leur repos dans l'union de l'amour, parce qu'elles suivent en tout votre volonté souveraine, qui ne veut d'autre chose que notre sanctification. Dès qu'elles se comprennent, elles se renoncent pour se revêtir de vous-même. O doux amour, le signe véritable de ceux qui demeurent en vous est de se détacher de leur volonté propre et des créatures qui trompent ; c'est de faire ce que vous voulez, en suivant votre bon plaisir et non leur inclination ; c'est de se réjouir moins dans les choses heureuses de ce monde que dans les contraires ; car l'adversité est uni moyen entre les âmes et vous ; elle les éprouve comme l'or dans la fournaise, et montre si c'est par amour qu'elles accomplissent votre volonté. Il faut aimer l'adversité comme les autres choses que vous avez créées ; tout est bon et digne d'être aimé, excepté le péché, que seul vous n'avez pas fait.

2.      Hélas ! malheureuse, en aimant le péché, j'ai perdu le temps qui vous appartenait ; j'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Punissez mes péchés, effacez mes iniquités, purifiez-moi, ô Dieu éternel et ineffable ; exaucez votre pauvre servante ; qui vous demande de diriger vers vous les cœurs et les volontés des ministres de notre sainte mère l'Église, votre Épouse, afin qu'ils suivent l'Agneau, votre Fils, dans le chemin de la Croix, et qu'ils imitent sa pauvreté, sa douceur, son humilité, non pas imparfaitement, mais d'une manière surhumaine et divine.

3.     Qu'ils soient des anges sur la terre, puisqu'ils doivent consacrer et distribuer le corps et le sang de votre Fils unique, la Victime sans tache. Qu'ils ne s'en rendent pas indignes, comme des animaux sans raison ; mais unissez les dans votre amour, ô vous qui donnez la paix ; purifiez-les dans l'océan tranquille de votre miséricordieuse bonté, afin qu'ils ne perdent pas un temps précieux, en n'utilisant pas le présent pour l'avenir. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; entendez ma prière, et exaucez votre pauvre servante qui vous implore, ô tendre Père, pour tous ceux que vous m'avez donnés, et que je voudrais tous aimer dans la perfection de votre infinie charité, ô grand, éternel, ineffable, véritable Dieu !

III

Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI voulait retourner à Avignon.

1.     O Père tout puissant, Dieu éternel, douce et ineffable Charité, je vois en vous et je comprends par mon cœur que vous êtes la voie, la vérité, la vie. C'est par vous, que tout homme qui vous désire doit arriver ; et c'est votre tendresse qui l'éclaire et le dirige par la connaissance de votre Fils bien-aimé Notre Seigneur Jésus-Christ. Vous êtes le Dieu éternel et incompréhensible, qui, poussé par votre seul amour et votre miséricordieuse bonté, nous avez envoyé, après la perte du genre humain, Notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils unique, revêtu de notre chair mortelle. Vous avez voulu qu'il vienne, non pas dans les jouissances et les grandeurs de ce siècle périssable, mais dans l'abaissement, la pauvreté et la douleur ; il a connu et accompli votre volonté pour notre salut ; il a méprisé les dangers du monde et les efforts du démon, et il a vaincu la mort par la mort, en se faisant obéissant jusqu'à la mort cruelle de la Croix.

2.      Maintenant, Amour incompréhensible, qui êtes toujours le même, vous envoyez votre Vicaire pour sauver vos enfants qui périssent par leur rébellion contre la sainte Église, votre unique Épouse. Vous l'envoyez au milieu des périls et des angoisses, comme vous avez envoyé votre Fils bien-aimé, notre Rédempteur, pour sauver vos enfants morts par la désobéissance d'Adam et par le péché. Hélas ! ces pauvres hommes que vous avez créés se laissent égarer par l'orgueil et la sensualité. L'ennemi les trompe, et ils s'opposent à votre sainte volonté, qui doit les sauver ; il détournent le souverain pontife de ses desseins si utiles et si nécessaires à l'Église. O amour éternel, ces infortunés craignent la mort du corps, et non celle de l'âme ; ils écoutent leurs sens et leur amour-propre, et non la vérité de vos jugements et la profondeur de votre sagesse infinie. Vous êtes cependant notre règle unique, le chemin que nous devons suivre.

3.     Vous nous l'avez dit : il faut nous réjouir au milieu des difficultés et des peines, car c'est là notre vocation. Votre admirable Providence a voulu que le monde et la chair ne produisent que des fruits d'amertume, afin que nous n'y placions pas nos joies et nos espérances, mais que nous n'ambitionnions que les fruits de salut et les grâces d'en haut. Que votre Vicaire se réjouisse de suivre votre volonté et les traces de Jésus-Christ, qui a livré et sacrifié pour nous son très saint Corps, et qui, dans son amour, a versé tout son sang pour laver nos péchés et nous sauver. C'est lui qui a donné à votre Vicaire les clefs qui lient et qui délient nos âmes, afin que nous suivions en tout votre volonté et vos exemples.

4.      J'implore pour lui votre souveraine clémence ; purifiez son âme, et que son cœur brûle dit désir de ramener ceux qui sont égarés, et de les sauver par votre puissance. Si ses lenteurs vous déplaisent, ô amour éternel, punissez-les sur mon corps qui vous appartient, et que je vous offre, afin que vous l'affligiez et le détruisiez selon votre bon plaisir. Seigneur, j'ai péché, ayez pitié de moi.

5.     Dieu éternel, vous vous êtes passionné pour votre créature avec une miséricorde sans bornes ; vous avez envoyé votre Vicaire pour retrouver ce qui était perdu, et je vous en rends grâces, malgré mon indignité et ma bassesse, O Dieu véritable ! Bonté infinie, Charité qui ne peut se comprendre, comment l'homme, que votre amour a racheté au prix du sang de votre Fils unique, n'a-t-il pas honte de résister à votre volonté, qui n'a d'autre but que notre sanctification !

6.     O Dieu ! vous vous êtes fait homme pour nous ; vous vous unissez à nous, et vous avez établi votre Vicaire le dispensateur des grâces nécessaires à notre sanctification et au salut de vos enfants égarés ; faites, je vous en conjure, qu'il suive en tout votre volonté, qu'il n'écoute pas les conseils de la chair et de l'amour-propre, et qu'il ne soit arrêté par aucune crainte, aucun obstacle. Hors de vous, Seigneur, tout est imparfait : aussi ne regardez pas mes péchés que je vous confesse, mais exaucez votre pauvre servante qui espère en votre miséricorde infinie.

7.     Lorsque vous nous avez quittés, vous n'avez pas voulu nous laisser orphelins, et vous nous avez donné votre Vicaire, qui nous purifie dans le Saint Esprit, non seulement par le baptême, qui nous rend une première fois l'innocence, mais encore par la pénitence, qui lave et efface sans cesse la multitude de nos péchés. Vous êtes venu à nous, et vous n'avez reçu que des outrages ; nous nous sommes éloignés de vous, parce que nous avons jugé selon la chair et l'amour-propre. O Jésus ! votre face s'est obscurcie, parce que vos créatures abusent de vos grâces, et qu'elles dépouillent l'Église, votre unique Épouse.

8.- Faites, ô éternelle Bonté, que votre Vicaire ait soif de nos âmes, et qu'il brûle du désir de votre gloire ; qu'il s'attache à vous, qui êtes la souveraine et infinie Miséricorde. Guérissez par lui nos infirmités, rétablissez votre Épouse par la sagesse de ses conseils et l'efficacité de ses oeuvres, O mon Dieu! réformez aussi la vie de ceux qui l'entourent, afin qu'ils s'attachent à vous seul dans la simplicité de leur cœur et la perfection de leur volonté ; ne vous arrêtez pas à l'indignité de votre pauvre servante, qui vous prie pour eux, mais placez-les dans les jardins de votre volonté. O Père! je vous bénis, afin que vous bénissiez vos serviteurs ; qu'ils se méprisent eux-mêmes pour l'amour de vous, et qu'ils suivent la lumière de votre volonté, qui seule est sainte et éternelle. O Dieu! recevez, pour tous, mes humbles actions de grâces.

IV

Prière écrite en cinabre de la main même de sainte Catherine.

        Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.- L'original est conservé à Sienne.

        Esprit Saint, venez en mon cœur . attirez-le à vous par votre puissance, mon Dieu, et donnez-moi la crainte et la charité. O Christ§ gardez-moi de toute mauvaise pensée . réchauffez-moi, enflammez-moi de votre très doux amour, et toute peine me semblera légère ! Mon Père, mon doux Seigneur, assistez-moi dans toutes mes actions ! Jésus amour, Jésus amour.

V

Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la Communion, le Vendredi 18 février 1379 .

          Nous donnons les dates des prières de sainte Catherine d'après l'édition de Gigli. La version latine donne celle de 1377 aux prières XIV et XV, et celle de 1378 aux prières XV, XVII, XVIII, XXIV. Sainte Catherine était alors à Sienne ou à Florence ; ces prières n'ont pu être faites à Rome qu'en 1379.

1.     O souveraine et éternelle Trinité, Amour ineffable, vous m'appelez votre fille, et moi je puis vous dire : Mon Père ! Vous vous êtes donné à moi en me donnant le corps et le sang de votre Fils bien-aimé, qui est Dieu et homme tout ensemble ! Unissez-moi aussi, je vous en conjure, au corps mystique de la sainte Église, ma mère, à la société universelle de la religion chrétienne ; car le feu de votre charité m'a fait connaître le désir que vous avez de voir mon âme se réjouir dans cette union sacrée. O Amour inexprimable, vous m'avez vue et connue en vous, et ce sont les rayons de votre lumière, dont j'étais revêtue, qui vous ont passionné pour votre créature !

2.      Vous l'avez tirée de vous-même, vous l'avez créée à votre image et à votre ressemblance ; et moi, cependant, pauvre créature, je ne pouvais vous connaître qu'en voyant en moi votre image et votre ressemblance. Mais, afin que je puisse vous voir et vous connaître en moi, vous vous êtes uni à nous ; vous êtes descendu des hauteurs de votre divinité jusqu'aux dernières infirmités de notre nature. Comme la faiblesse de mon intelligence ne pouvait comprendre et contempler votre grandeur, vous vous êtes fait petit, et vous avez caché vos splendeurs admirables sous les voiles infimes de notre humanité. Vous vous êtes manifesté par la parole de votre Fils unique, et je vous ai connu en moi-même.

3.     O abîme de charité ! oui, c'est ainsi, Trinité adorable, que vous vous êtes manifestée, que vous nous avez montré votre Vérité ; c'est surtout par l'effusion de votre sang que nous avons vu votre puissance, puisque vous avez pu nous laver de nos fautes. Nous avons vu votre sagesse, puisque, sous la chair de notre humanité, vous avez caché la force de votre divinité, qui a vaincu le démon et l'a dépouillé de sa puissance. C'est votre sang qui nous a montré votre charité, puisque par la seule ardeur de votre amour vous nous avez rachetés, lorsque vous n'aviez pas besoin de nous.

4.      Ainsi s'est manifestée votre Vérité, qui nous a créés pour nous donner la vie éternelle. Oui, votre créature a connu la vérité par le Verbe, votre Fils unique. Sans lui, elle était inaccessible à nos regards obscurcis par le péché. Rougis donc, ô créature ; rougis d'être ainsi aimée et honorée par ton Dieu, et de ne pas le connaître, lui que sa charité infinie a fait descendre des hauteurs de sa gloire jusqu'à la bassesse de La nature, pour que tu le connaisses en toi. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

5.     O mystère admirable ! vous connaissiez votre créature en vous avant qu'elle fût créée ; vous voyiez qu'elle devait. commettre l'iniquité, qu'elle devait s'écarter de votre vérité, et cependant vous l'avez créée. O amour incompréhensible! vous me dites : Mon âme, et moi je vous dis : Mon Père ! O Père si plein de miséricorde, je vous en conjure, unissez tous vos serviteurs dans le feu de votre charité ; disposez-les à recevoir les inspirations et les enseignements que répand et veut répandre la lumière de votre charité.

6.      Votre vérité a dit : Cherchez, et vous trouverez ; demandez, et vous recevrez ; frappez, et il vous sera ouvert, (Mt. VII, 7). Eh bien ! moi, pauvre et misérable, je frappe à la porte de votre Vérité, je m'adresse à votre Majesté, j'implore votre clémence, et je lui demande miséricorde pour le monde, et surtout pour la sainte Église ; car je sais par votre Fils qu'il faut me nourrir sans cesse de cette nourriture ; puisque vous le voulez, ne me laissez pas périr de faim.

7.     O mon âme ! que fais-tu ? Ne sais-tu pas que le Seigneur ton Dieu te voit sans cesse ? Ne sais-tu pas que rien ne peut fuir son regard, et que ce qui échappe à l’œil de la créature ne peut jamais éviter le sien ? Ne commets donc plus l'iniquité, et relève-toi de tes fautes. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; il est temps de secouer le sommeil. O éternelle Trinité ! vous voulez que nous avancions, et si nous ne nous réveillons pas dans la prospérité, vous nous envoyez l'adversité. Comme un habile médecin, vous brûlez avec le feu de la tribulation les plaies que n'a pu guérir le baume des consolations.

8.      O Père ! ô Charité incréée ! je n'admirerai jamais assez ce que m'a révélé votre lumière ! Vous m'avez vue et connue, vous avez vu et connu toutes les créatures raisonnables, en général et en particulier, avant que nous ayons l'être. Vous avez vu Adam, le premier homme ; vous avez connu sa faute et celles qui devaient en être la suite, en lui et dans sa postérité. Vous avez su que le péché s'opposerait à votre Vérité, et qu'il empêcherait les créatures raisonnables d'atteindre la fin à laquelle vous les aviez destinées. Vous avez vu les tourments que votre Fils devrait subir pour sauver le genre humain et réparer la vérité en nous. Oui, vous me l'avez dit, votre prescience vous avait tout annoncé. Comment se fait-il, Père éternel, que vous ayez créé votre créature ?

9.     O mystère adorable, incompréhensible ! Oui, vous n'aviez pas d'autres raisons que l'amour dans notre création ; vous nous avez vus de vous-même, et votre charité vous a forcé à nous créer malgré toutes les iniquités que nous devions commettre contre vous. Vous n'avez pu résister, ô Amour éternel ; vous aperceviez dans votre lumière toutes les offenses de votre créature contre votre infinie bonté, mais vous avez paru ne pas les voir, vous ne vous êtes arrêté qu'à la beauté de votre oeuvre ; vous l'avez aimée, vous vous êtes passionné pour elle, et vous l'avez tirée de votre sein pour la créer à votre image et à votre ressemblance. O Vérité éternelle ! vous vous êtes révélée à votre indigne servante.

10.    Vous lui avez appris que c'est l'amour qui vous a forcé à lui donner l'être. Vous voyiez qu'elle devait vous offenser, mais votre charité a détourné vos regards de ses offenses pour les fixer uniquement sur la beauté de votre créature ; car la vue de l'offense pouvait empêcher l'amour de répandre la vie. Vous le saviez, et vous n'avez écouté que l'amour, parce que vous n'êtes qu'un foyer d'amour.

11.   Et moi, mes fautes m'ont empêchée de vous connaître ; mais accordez-moi la grâce, ô très doux Amour, de l'épandre en votre honneur tout le sang de mon corps ; faites que je me dépouille entièrement de moi-même. Bénissez aussi, ô mon Dieu, celui qui m'a donné la sainte Communion ; détachez-le de lui-même, revêtez-le de votre volonté, fixez-le en vous par des liens indissolubles, afin qu'il soit une plante répandant son parfum dans le jardin de la sainte Église. Accordez-nous, je vous en conjure, ô Père très clément, votre douce bénédiction ; lavez nos âmes dans le sang de votre Fils. O Amour, Amour, je vous demande la mort !

VI

Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas apôtre.

1.     O Déité, Déité, éternelle Déité, véritable Amour, qui par l'union de l'humanité de votre Verbe, Notre Seigneur Jésus-Christ, avec votre divinité, nous avez donné, quand nous étions perdus, la lumière de la foi, qui éclaire l’œil de notre intelligence pour nous faire apercevoir et connaître le véritable objet de notre âme, votre adorable Divinité. Vous avez lait de, votre Fils unique, Notre Seigneur, la victime sans tache qui devait nous réconcilier avec vous, et vous l'avez placé comme la-pierre angulaire, la colonne inébranlable de notre sainte mère l'Église, votre unique Épouse. C'est lui qui doit renouveler sans cesse l'Église par des plantes nouvelles et fécondes. Nul maintenant ne peut s'opposer à votre volonté, qui est éternelle et immuable.

2.      Ne regardez pas les péchés qui me rendent indigne de vous prier, mais daignez les effacer par les mérites de saint Thomas, votre apôtre. Oui, purifiez mon âme, Dieu puissant, mon amour ; exaucez votre servante qui vous invoque. Vous êtes un feu qui brûlez toujours, mais vous conservez ce qui vous est agréable, et vous ne détruisez dans l'âme que ce qui peut vous déplaire. Brûlez par le feu de votre Esprit, consumez et anéantissez jusqu'à la racine tout amour et tout désir de la chair dans le cœur des plantes nouvelles dont vous avez bien voulu parer le corps mystique de notre sainte mère l'Église. Changez leurs attachements profanes en élans d'amour pour vous ; donnez-leur un cœur nouveau avec la connaissance de votre sainte volonté, afin qu'ils méprisent le monde et se renoncent eux-mêmes. Qu'ils soient remplis de ferveur ; qu'ils deviennent les apôtres de la foi et les modèles de toutes les vertus ; qu'ils abandonnent bien réellement les désirs trompeurs et lés richesses de ce monde périssable, pour vous suivre seul dans la pureté de l'intention et l'ardeur de la charité.

3.     Faites que notre Chef et notre Père, l'époux de votre Église, soit toujours fidèle à vos inspirations ; qu'il n'élève, ne reçoive et n'écoute que ceux qui en sont dignes et que ces auxiliaires nouveaux, semblables aux anges qui vous servent dans le ciel, travaillent avec votre Vicaire à rendre notre sainte mère l'Église conforme à votre cœur, par la simplicité de leur cœur et la perfection de leur vie.

4.      Qu'ils comprennent qu'ils sont réellement des membres nouveaux du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, et que votre Providence sait en retrancher, sans le secours de l'homme, les rameaux inutiles qui ne portent pas de fruits. Qu'ils naissent avec Jésus, et croissent comme lui en vertu ; qu'ils soient utiles à l'Église par leurs exemples et par leurs mœurs ; qu'ils soient comme des greffes nouvelles dont la nature fait porter des fleurs plus parfumées et des fruits plus agréables. Que votre grâce céleste retranche toute affection charnelle ; que la rosée de votre Esprit Saint, qui se répandit sur vos Apôtres, fasse germer en eux de nouvelles vertus. Qu'ils élèvent vers vous la suavité de leur odeur, et qu'ils donnent à l'Église la richesse de leurs vertus et l'efficacité de leurs œuvres, afin que votre Épousé soit réformée en eux.

5.     O Amour éternel ! purifiez, sanctifiez votre Vicaire, afin qu'il soit pour les autres un modèle de pureté et d'innocence ; qu'il reste toujours fidèle à votre grâce et qu'il la communique au peuple qui lui a été confié. Qu'il convertisse aussi les infidèles par de célestes enseignements, et qu'il offre des fruits de salut à votre incompréhensible Majesté. Oui, daignez m'exaucer, mon Dieu, et recevez les actions de grâces de votre pauvre Servante, ô Dieu véritable, souveraine Bonté.

VII

Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379.

1.     Je le confesse, Dieu éternel, je le confesse, adorable Trinité, vous me voyez et vous me connaissez, votre lumière me l'a fait comprendre. Je sais que vous n'ignorez pas les besoins de votre Épouse bien-aimée, la bonne volonté de votre Vicaire, et les obstacles qu'il rencontre dans le bien qu'il veut faire. J'ai vu à vos clartés que tout vous est présent, parce que rien ne peut échapper à votre regard ; j'ai vu aussi le remède que vous avez préparé en vous-même pour guérir la mort des hommes, vos enfants.

2.      Ce remède est le Verbe, votre Fils unique, et vous avez trouvé moyen de nous l'appliquer toujours. Vous avez conservé les cicatrices de ce Fils bien-aimé, afin qu'elles puissent sans cesse solliciter pour nous votre miséricorde. Oui, j'ai vu dans votre lumière que l'ardeur de votre charité vous a fait conserver les cicatrices du corps de Jésus-Christ : ni sa résurrection, ni sa gloire ne peuvent en effacer la couleur sanglante. Vous avez vu en vous, qu'après le mal dont vous l'aviez délivré, l'homme devait tomber encore dans le péché par sa faute, et vous lui avez donné pour remède le sacrement de Pénitence, où le prêtre verse sur l'âme le sang de l'humble Agneau ; et, comme vous avez vu en votre Verbe le principal moyen de nous réconcilier avec vous, vous avez vu aussi tous les autres moyens nécessaires à notre salut. J'ai compris dans votre lumière que vous avez vu toutes ces choses ; c'est par cette lumière que je vois, et sans elle je marcherais dans les ténèbres.

3.     O doux Amour, vous avez vu en vous les nécessités de notre mère la sainte Église ; vous savez ce qui lui manque, et vous lui accordez le secours dont elle a besoin par les prières de vos serviteurs ; vous voulez qu'ils soient des murs sur lesquels s'appuient les murs de la sainte Église : car la clémence du Saint Esprit les embrase du zèle de sa réforme. Vous connaissez la loi de notre nature corrompue, qui se révolte sans cesse contre votre volonté. Vous saviez que nous devions la suivre ; car vous n'ignorez pas combien nous sommes faibles, impuissants, misérables : aussi votre admirable Providence a tout disposé pour que nous ayons tous les secours nécessaires. Vous nous avez donné le rocher inexpugnable de la volonté, afin de défendre la-faiblesse de notre chair ; car la volonté est si forte, que ni le démon, ni les créatures ne peuvent la vaincre sans le consentement du libre arbitre qui en dispose.

4.      D'où vient, ô Bonté éternelle, cette force de la volonté dans votre créature, si ce n'est de vous qui êtes la Force souveraine et infinie ? Oui, nous participons à votre volonté, quand la nôtre en découle. La volonté de l'homme est invincible quand elle obéit à la vôtre ; elle est impuissante quand elle s'en éloigne ; il est dit que vous l'avez faite à votre ressemblance, et tant qu'elle la conserve, elle triomphe, O Père éternel, vous montrez dans notre volonté la force de la vôtre : car, s'il y a tant de puissance dans une chétive créature, combien ne doit-il pas y en avoir en vous, Créateur et Maître de toutes choses !

5.     Cette volonté que vous avez confiée à notre libre arbitre, est encore fortifiée par la lumière de la foi ; par cette lumière, l'homme connaît votre éternelle volonté, et il voit qu'elle n'a d'autre but que notre sanctification. Cette vue augmente et fortifie sa volonté, qui par la foi devient active et puissante ; car une volonté bonne et une foi vive ne peuvent exister sans les oeuvres. Votre lumière produit et augmente le feu dans l'âme, parce qu'elle ne peut ressentir le feu de votre charité, si la lumière ne lui montre votre amour pour nous. Votre lumière est l'aliment du feu dans nos âmes comme le bois est celui du feu sur la terre ; elle augmente la charité, parce qu'elle montre la bonté divine, et cette charité se développe en elle, parce qu'elle désire connaître Dieu davantage, et que vous voulez toujours la satisfaire.

6.      O Providence admirable, vous ne voulez pas que l'homme marche dans les ténèbres, et qu'il l'este dans la peine ; vous lui avez donné la lumière de la foi, qui éclaire sa route, et lui procure la paix. Avec elle, I'âme ne peut mourir de faim, ni languir dans la nudité de la misère. Vous la nourrissez de votre grâce, vous lui faites savourer les douceurs de votre charité, vous la revêtez de la robe nuptiale de votre amour et des ornements de votre volonté sainte ; vous lui prodiguez les trésors de votre éternité. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; car les ténèbres de la loi mauvaise qui est en moi, -et que j'ai toujours suivie, ont obscurci le regard de mon intelligence. Je ne vous ai pas connu, vous qui êtes la véritable Lumière, et cependant il a plu à votre ardente charité de m'illuminer de ses clartés.

7.     Oui, vous aviez prévu la faute que devait commettre l'homme, et vous avez préparé un remède à cette faute dans le Verbe, notre Rédempteur. Vous avez prévu notre faiblesse, et vous avez préparé un secours à cette faiblesse dans la force de la volonté, qui a son origine en vous ; et ce qui la guide et la soutient, c'est la lumière sacrée de la foi ; c'est cette lumière qui est le commencement, le milieu et la fin de toute perfection ; c'est elle qui la conserve et l'augmente dans les âmes ; c'est elle qui féconde la charité et lui fait produire des œuvres (Ce paragraphe ne se trouve pas dans la version latine).

8.      O Dieu, Amour, Charité infinie ! vous pénétrez votre créature ; elle est en vous, et vous en elle, par la création, par la force de la volonté, par ce feu dont vous l'avez animée, par la lumière naturelle que vous lui avez donnée pour vous voir, ô véritable Lumière, pour s'exercer avec zèle à toutes les vertus, pour louer et glorifier votre saint nom. O Lumière au dessus de toute lumière ! ô Bonté au dessus de toute bonté ! ô Sagesse au dessus de toute sagesse, Feu au dessus de tout feu ! vous êtes tout ; car seul, vous êtes Celui qui est, et rien ne peut être s'il n'a reçu l'être de vous.

9.     O mon âme, aveugle et misérable, n'es-tu pas indigne de former avec les serviteurs de Dieu un appui à la sainte Église ? Ne mériterais-tu pas plutôt d'être dévorée par les bêtes dont tu accomplis toujours les actes ? Je vous rends grâces, ô Dieu éternel, je vous rends grâces de vouloir bien m'utiliser ainsi malgré mes iniquités.

10.    Je vous en conjure, inspirez aux cœurs de vos fidèles des désirs ardents qui les excitent à la réforme de votre Épouse ; faites qu'ils prient sans cesse pour elle, afin que vous puissiez les exaucer. Conservez aussi et augmentez le bon vouloir de votre Vicaire, et accordez-lui de rendre sa vie parfaite.

11.   Je vous prie aussi, et je vous implore pour toutes les créatures raisonnables, mais surtout pour ceux que vous m'avez confiés, et que je vous rends, à cause de mon insuffisance et de ma faiblesse. Je ne veux pas que mes péchés leur nuisent, car j'ai toujours suivi la pente mauvaise de la chair ; je désire et je demande que vous les conduisiez à la perfection, afin qu'ils méritent d'être exaucés dans les prières qu'ils vous adressent et qu'ils doivent vous adresser pour le salut du monde et la réforme de votre Église. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; pardonnez-moi ma misère et mon ingratitude, ô Dieu éternel. Je reconnais que votre bonté a bien voulu me conserver pour épouse, malgré mes infidélités continuelles et mes fautes sans nombre. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

VIII

Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l'an 1379.

1.     O Dieu éternel ! Dieu éternel, je vous en conjure, ayez pitié de nous ! Vous l'avez dit, auguste Trinité, la compassion qui fait naître la miséricorde vous est naturelle : accordez-nous donc cette miséricorde qui en est inséparable. Oui, je le reconnais, c'est votre compassion qui nous a donné votre Verbe pour rédempteur, et cette compassion avait sa source dans cet amour qui vous a fait créer votre créature. Parce que vous l'aimiez, vous avez voulu, après la perte de son innocence, la revêtir encore de votre grâce, et la rétablir dans son premier état. Vous ne lui avez pas ôté la liberté de vous offenser, mais vous lui avez laissé son libre arbitre, et cette loi mauvaise qui combat contre l'esprit et incline l'âme au mal.

2.      Pourquoi, mon Dieu, lorsque vous lui êtes si bon, l'homme est-il si cruel pour lui-même ? Quelle plus grande cruauté peut-il exercer contre lui que de se tuer par le péché ? Il est bon envers ses sens ; mais cette bonté est une barbarie contre son âme et même contre son corps, puisque le corps sera tourmenté avec l'âme dans l'enfer. Cette conduite vient de son aveuglement, qui l'empêche de connaître votre bonté pour nous. Montrez-lui donc que votre bonté ne lui servira de rien, s'il n'en a pas aussi pour lui-même ; car vous avez créé l'homme sans l'homme, mais vous ne pouvez le sauver sans lui.

3.     O Père tendre et miséricordieux ! vous voulez que l'homme connaisse votre infinie bonté, afin qu'il apprenne à être bon pour lui-même, et ensuite pour son prochain ; car, comme l'a dit le glorieux Apôtre, la charité doit commencer par nous-même. Que l'âme regarde votre bonté, afin qu'elle perde sa cruauté, et qu'elle prenne la nourriture qui la soutient et lui donne la vie. Dieu éternel, Abîme ardent de charité, votre regard veille sur nous ; et pour que votre créature sache que votre miséricorde et votre justice observent les oeuvres de chacun, vous lui avez donné l’œil de l'intelligence, qui voit que tout bien procède de la lumière, et que tout mal est causé par sa privation ; car comment aimer ce qu'on ne voit pas, et comment voir sans la lumière ?

4.      O Dieu éternel, Père tendre et miséricordieux, ayez compassion de nous ; nous sommes des aveugles car nous nous sommes privés de la lumière ; moi, surtout, pauvre misérable, qui me nuis toujours à moi-même. Jetez ce regard de bonté qui a tout créé, sur les besoins du monde, et daignez le secourir. Vous nous avez donné l'être que nous n'avions pas, sauvez donc ce qui vous appartient. Vous avez répandu, quand il le fallait, la lumière de vos Apôtres sur le monde ; nous en avons maintenant besoin plus que jamais ; suscitez un autre Paul, dont les clartés illuminent toute la terre. Étendez votre miséricorde comme un voile qui nous cache aux regards de votre justice ; ne jetez sur nous que ceux de votre bonté ; enchaînez-nous avec les liens de votre charité, et qu'elle détruise tous les motifs de votre colère.

5.     O douce et suave Lumière, ô Principe et Fondement de notre salut, puisque vous voyez nos besoins, faites-nous voir aussi votre éternelle bonté, pour la connaître et pour l'aimer. O union et rapport du Créateur avec la créature, et de la créature avec le Créateur, c'est votre charité qui nous attache à vous, c'est votre lumière qui est notre lumière. Oui, celui qui ouvre les yeux de son intelligence avec le désir de vous connaître, vous connaît. La lumière entre dans l'âme, dès que la volonté lui donne entrée ; elle est toujours à la porte de l'âme, et dès qu'on lui ouvre, elle entre comme les rayons du soleil qui frappent à une fenêtre fermée pour pénétrer dans une maison et l'éclairer. Il faut que votre créature ait la volonté de vous connaître, afin qu'elle ouvre son intelligence, et que vous y répandiez vos splendeurs.

6.      Quel miracle ne produisez-vous pas dans l'âme, ô bonne Lumière ! Non seulement vous en chassez les ténèbres et vous y versez la clarté, mais vous détruisez par votre chaleur l'humidité de l'amour-propre, et vous entretenez l'ardeur vivifiante de la charité ; vous rendez le cœur libre, parce que vous lui faites connaître la liberté que vous nous avez donnée, en nous arrachant à la servitude du démon, à laquelle nous étions si malheureusement livrés.

7.     L'homme alors hait sa faiblesse à l'égard des sens ; il devient dur pour eux et bon pour sa raison, en se rendant maître des puissances de son âme. Il ferme sa mémoire aux misères et aux vains plaisirs du monde ; il se détache d'eux par l'oubli, et vos bienfaits deviennent l'unique objet de ses pensées. Il oblige sa volonté à v6us aimer par dessus toutes choses, et à aimer tout en vous.

8.      Il ne veut plus suivre que vous, et alors il est bon pour lui-même, et comme il est bon pour lui, il est bon pour son prochain ; il est prêt à donner sa vie pour le salut des âmes. Tout ce qu'il fait par charité, il le fait avec prudence, parce que vous lui montrez avec quelle prudence vous accomplissez tout en nous. Vous êtes la lumière qui rendez le cœur droit sans fausseté, large sans petitesse, tellement que toute créature raisonnable devient susceptible d'amour, et cherche le salut des autres selon les lois de la charité. Comme la lumière est inséparable de la prudence et de la sagesse, celui qu'elle éclaire expose bien son corps pour le salut du prochain, mais il n'y sacrifie jamais son âme ; il n'est jamais permis à l'homme de commettre la faute la plus légère, cette faute devrait-elle sauver le monde ; car pour l'utilité d'une créature finie, qui n'est rien par elle-même, on ne doit pas offenser le Créateur infini de toutes choses, qui est le souverain Bien.

9.     Celui qui voit la lumière abandonnera s'il le faut sa fortune, pour sauver la vie de son prochain. Son cœur sera si ouvert, que tout le monde pourra y lire et le comprendre. Jamais son visage et sa langue ne déguiseront sa pensée ; il se montrera dépouillé du vieil homme, et revêtu de votre volonté. O Père tout puissant, notre méchanceté vient de ce que nous ne voyons pas la bonté avec laquelle vous avez racheté nos âmes dans le sang précieux de votre Fils.

10.    O Père miséricordieux, jetez un regard de bonté sur votre Église et sur votre Vicaire ; abritez-le sous les ailes de votre miséricorde, afin que l'iniquité des superbes ne puisse lui nuire, et accordez-moi d'arroser de mon sang et d'engraisser de la moelle de mes os le jardin de votre sainte Épouse. Si je regarde en vous, je vois que rien ne vous est caché. Les hommes du monde l'ignorent parce qu'ils sont ensevelis dans les ténèbres de l'amour-propre. S'ils le savaient, ils ne seraient pas si cruels pour leurs âmes, mais ils deviendraient bons à cause de votre bonté. Oh ! je vous le demande de tout mon cœur, accordez la lumière nécessaire à toute créature raisonnable.

11.   Oui, par le Verbe votre Fils, vous avez été à la fois bon et juste ; son corps sacré a satisfait votre justice pendant que nos misères étaient l'objet de votre bonté. O Bonté suprême ! comment n'attendrissez-vous pas notre dureté ? comment mon cœur n'échappe-t-il pas de mes lèvres ? Il faut qu'un nuage obscurcisse mon esprit, et que mon âme n'aperçoive pas votre ineffable tendresse. Quel père livrera pour un serviteur révolté son propre fils à la mort ? Il n'y a que vous, ô mon Dieu ! Vous avez revêtu votre Verbe de notre chair afin qu'il souffrit, et que nous puissions en recueillir le fruit si nous le voulons. Il faut maintenant que notre sensualité souffre, pour que notre âme reçoive le fruit de vie ; c'est la loi et la vérité ; car vous avez dit : "Je suis la Voie, la Vérité, et la Vie" (Jean, XIV, 6). Si nous voulons acquérir votre bonté, il faut marcher dans le chemin que vous avez volontairement suivi.

12.    O Dieu éternel ! je me plains moi-même à vous : punissez-moi d'être si cruelle pour mon âme et si faible pour mes sens. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O bienfaisante cruauté ! qui brise et qui surmonte la sensualité pendant cette vie passagère, pour glorifier l'âme pendant l'éternité ! D'où vient la patience, d'où viennent la foi, l'espérance et la charité, si ce n'est de cette bonté, qui enfante la miséricorde ? Qui détache l'âme d'elle-même pour l'attacher à vous ? c'est cette bonté qu'on obtient par votre lumière.

13.   O Bonté ineffable ! Bonté qui détruisez comme un baume délicieux la colère et la cruauté dans les âmes ! je vous le demande encore, communiquez-vous à toutes les créatures raisonnables, et surtout à ceux que vous m'avez dit d'aimer d'un amour particulier. Rendez-les bons, afin qu'ils exercent cette cruauté parfaite qui détruit les vices de la volonté. Vous avez enseigné cette cruauté lorsque vous avez dit : "Celui qui vient à moi, et qui ne hait pas son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères et son âme, ne peut être mon disciple" (Luc, XIV, 20). Haïr son âme est difficile. Les serviteurs du monde haïssent souvent le reste sans agir par vertu ;cela n'est pas difficile, mais il est plus pénible à l'homme de quitter sa nature que de la suivre. Notre nature est raisonnable ;nous devons par conséquent obéir à la raison.

14.    O vérité suprême ! vous êtes un parfum au dessus de tous les parfums, une magnificence au dessus de toutes les magnificences, une bonté au dessus de toutes les bontés, vous êtes une justice qui surpasse toutes les justices ; vous êtes la source même de la justice, qui rend à chacun selon ses œuvres. C'est par justice que vous permettez que le méchant se nuise à lui-même, en désirant des choses aussi viles que les richesses et les plaisirs du monde ; car tout ce que vous avez créé est au dessous de l'homme. Vous l'avez fait pour qu'il en soit le maître, et non l'esclave. Vous seul êtes plus grand que nous, et c'est vous seul que nous devons toujours chercher, toujours servir. Aussi votre justice veut que l'homme de bien trouve en cette vie même la paix et le repos de son âme, parce qu'il met son affection en vous, qui êtes la paix véritable et le repos suprême. Ceux qui fournissent ainsi courageusement la carrière recevront de votre miséricorde la vie éternelle.

15.   Vous êtes la Bonté infinie ; personne ne vous contemple et ne vous comprend plus que vous ne le permettez ; et vous le permettez autant que nous dilatons nos âmes pour vous recevoir. O très doux Amour ! jamais je ne vous ai bien connu, et par conséquent jamais je ne vous ai bien aimé. Je vous recommande avec instance ceux dont vous m'avez chargée : vous me les avez confiés pour que je les réveille, et je dors toujours. Réveillez-les vous-même, ô Père tendre et secourable, afin que le regard de leur intelligence soit toujours fixé sur vous. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ! Mon Dieu, venez à mon aide ! Seigneur, hâtez-vous de me secourir ! Ainsi soit-il.

IX

Prière faite à Rome, le 1er mars 1379.

1.     O puissante et éternelle Trinité, Trinité éternelle, Trinité éternelle, c'est vous qui nous avez donné le doux, l'aimable Verbe ! O doux, ô aimable Verbe ! autant notre nature est faible et portée au mal, autant la vôtre est forte et propre au bien ! L'homme est faible parce qu'il a reçu une nature faible de son père ; car le père ne peut donner à son fils une autre nature que celle qu'il a en lui-même. Nous sommes enclins au mal, parce que nous recevons avec la vie une chair révoltée. Notre nature est fragile et vicieuse, parce que nous sortons tous d'Adam comme d'une même souche. Notre premier père est devenu faible, parce qu'il s'est séparé de votre force infinie, ô Père éternel ; il s'est révolté contre vous, et il a trouvé la révolte en lui ; il a quitté le principe de la puissance et de la bonté, il est tombé dans la défaillance et les mauvais penchants.

2.      O Verbe, Fils de Dieu, votre nature est forte et propre au bien ; car vous l'avez reçue de votre Père tout puissant. Il vous a donné sa nature divine, où rien n'est imparfait, où le mal n'a jamais été et ne peut jamais être. Aussi, aimable Verbe, vous avez soutenu notre faiblesse en vous unissant à nous. Par cette union, vous avez fortifié notre nature ; par la vertu de votre Sang, vous en avez guéri l'infirmité dans le saint baptême. Et lorsque nous sommes arrivés à l'âge de raison, nous avons été affermis par votre doctrine ; car l'homme qui la suit dans la vérité en s'en revêtant parfaitement, devient si fort et si porté au bien, qu'il sent à peine la révolte de la chair contre l'esprit.

3.     Son âme est intimement unie à votre doctrine et son corps, soumis à son âme, en veut suivre tous les mouvements. Ce qui le charmait autrefois dans les joies coupables du monde lui fait maintenant horreur, et les vertus qui lui semblaient si pénibles à pratiquer deviennent ses plus chères délices. il est donc bien vrai, ô Verbe éternel, que vous corrigez la faiblesse de notre nature par la force de la nature divine que vous avez reçue de votre Père, et cette force vous nous l'avez donnée par le Sang et par la doctrine.

4.      O Sang, que j'appelle éternel parce qu'il est uni à la nature divine (Quelques théologiens ont critiqué cette expression eterno sangue, sang éternel ! Mais sainte Catherine l'explique elle-même, par l'union avec la nature divine, avant les siècles, dans la pensée de Dieu. C'est dans le même sens qu'il est dit dans l'Apocalypse : Agnus qui occisus est ab origine mundi (XIII, 8). Saint Paul dit : Per proprium sanguinem introivit semel in sancta aeterna redemptione inventa (Hb., IX, 12) et saint Thomas explique ainsi ce passage : Quasi dicat Per istum sanguinem redempti sumus, et hoc in perpetuum, quia virtus ejus est infinita), l'homme qui connaît votre force par la lumière, se sépare de sa faiblesse ; car la lumière véritable ne s'acquiert jamais sans la haine de la sensualité, qui détruit la lumière naturelle. O Sang délicieux, vous fortifiez l'âme, vous l'illuminez, vous la rendez angélique, vous l'enveloppez de votre charité, au point qu'elle s'oublie elle-même et qu'elle ne peut plus voir que vous ; la faible chair qui lui est unie sent elle-même le parfum des vertus ; le corps et l'âme n'ont qu'une voix pour crier vers vous, et cela tant que leur saint désir augmente et se développe. Sitôt que le désir se refroidit, la révolte de la chair se réveille plus violente que jamais. O doctrine de vérité, vous donnez à l'âme qui vous possède une telle force, qu'aucune adversité ne peut l'abattre. Dans tout combat, elle trouve la victoire ; elle est invincible tant qu'elle vous suit, parce que vous venez de la Force suprême ; mais si elle ne vous suivait pas, votre force lui serait inutile. Hélas ! pauvre malheureuse, je n'ai jamais suivi la vraie doctrine, et je suis si faible, que la moindre épreuve m'abat. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

X

Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.

1.     O Trinité éternelle, Dieu tout puissant, nous sommes des arbres de mort, et vous êtes l'arbre de vie. Dieu infini, quel spectacle de voir dans votre lumière l'arbre de votre créature ! Vous aviez tiré de vous, Pureté suprême, son âme pure et innocente, et vous l'avez unie à un corps formé du limon de la terre. Vous aviez donné à cette arbre pour rameaux les puissances de l'âme, qui sont l'intelligence, la mémoire et la volonté. Et quels fruits devaient porter ces rameaux ? La mémoire devait retenir, l'intelligence devait comprendre, la volonté devait aimer. O arbre, dans quel heureux état le jardinier divin t'avait planté !

2.      Hélas ! cet arbre, ô mon Dieu, s' est séparé de l'innocence par sa faute ; il est tombé, Il est devenu d'un arbre de vie un arbre mort ; et il ne pouvait plus porter que des fruits empoisonnés. Mais, éternelle Trinité, vous vous êtes passionnée jusqu'à la folie pour votre créature ; et lorsque vous avez vu que cet arbre ne devait plus produire que des fruits de mort, parce qu'il s'était séparé de vous, qu êtes la Vie, vous l'avez sauvé par ce même amour qui vous avait poussé à le créer ; vous avez greffé votre divinité sur l'arbre perdu de notre humanité. Bonne et bienfaisante greffe, vous avez mêlé votre douceur à notre amertume, la splendeur aux ténèbres, la sagesse à la folie, la vie à la mort, l'infini au fini.

3.     Après l'injure que votre créature vous avait faite, qui donc vous a pu forcer à cette union qui nous rend la vie ? C'est l'amour, le seul amour ; et cette greffe merveilleuse a vaincu la mort. Mais cela ne suffisait pas aux ardeurs de votre charité, ô Verbe éternel : vous avez voulu arroser cet arbre de votre propre Sang, et ce Sang par sa chaleur fait fructifier l'arbre, dès que l'homme consent à s'unir et à vivre en vous. Son cœur et ses affections doivent être liés à la greffe céleste par les liens de la charité et l'imitation de votre doctrine. Nous ne pouvons et ne devons pas suivre le Père, en qui ne peut être la peine ; nous devons par la peine et le tourment de nos désirs nous rendre conformes à vous ; car vous êtes la vie, et rions produirons des fruits de vie en recevant votre sève vivifiante. Dès que nous vous sommes unis, les rameaux donnent leurs fruits ; la mémoire se remplit du souvenir continuel de vos bienfaits ; l'intelligence vous contemple pour connaître votre éternelle volonté et vos perfections ; la volonté veut aimer ce que l'intelligence lui a fait connaître. Chaque rameau donne ses fruits aux autres rameaux ; et parce que l'âme, par la connaissance qu'elle a de vous, se connaît mieux elle-même, elle se hait dans sa sensualité.

4.      O Amour infini, quelles merveilles vous avez opérées dans les créatures raisonnables ! O Dieu éternel, si, lorsque l'homme était un arbre de mort, vous avez daigné en faire un arbre de vie, en vous y greffant vous-même, ne pourriez-vous pas, malgré la multitude de ceux qui, par leur faute, portent des fruits de mort, en ne s'unissant point à vous qui êtes la vie, ne pourriez-vous pas sauver le monde que je vois se séparer de vous et persévérer dans la mort ! Oui, les hommes ne viennent pas à la fontaine où est le Sang qui doit arroser leur arbre ; la vie éternelle coule pour nous, pauvre créatures, qui l'ignorons et n'en profitons pas.

5.     O mon âme aveugle et misérable, où sont les cris et les prières que tu dois répandre en la présence de ton Dieu, qui t'y invite sans cesse ? Où est ta douleur profonde pour ces arbres qui restent dans la mort ? Où sont ces désirs suppliants qui fléchissent l'éternelle Bonté ? Hélas ! je ne les ai pas, parce que je n'ai pas encore perdu l'amour de moi-même. Si je l'avais perdu, si je cherchais Dieu, si je voulais uniquement la gloire de son nom, mon cœur s'échapperait de mon corps et mes os distilleraient leur moelle. Mais je n'ai jamais produit que des fruits de mort, parce que je ne suis pas greffé sur vous, mon Dieu.

6.      Quelle lumière, quel éclat reçoit l'âme qui est greffée véritablement sur vous ! O générosité sans borne, la mémoire nous dit sans cesse que nous sommes obligés d'aimer et de suivre la doctrine et les exemples du Verbe, votre Fils unique. Sans la lumière de la foi, nous ne pourrions suivre cette doctrine et ces exemples ; aussi l'intelligence fixe cette lumière pour en avoir la connaissance, la volonté aime aussitôt ce que l'intelligence lui montre ; tous les rameaux se communiquent leur fécondité.

7.     O arbre, où prends-tu donc tes fruits de vie, puisque tu es mort et stérile ? C'est l'Arbre de vie qui te les donne ; s'il n'était pas greffé sur toi, tu n'aurais aucune vertu, puisque tu n'es rien. O Vérité éternelle, vous nous produisez des fruits d'amour et de lumière, des fruits de cette prompte obéissance qui vous a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix. Vous avez porté des fruits en greffant votre divinité sur notre humanité, en attachant votre corps sacré sur le gibet du Calvaire. L'âme qui vous est unie ne pense qu'à votre honneur et au salut des âmes. Elle devient sage, fidèle, patiente et prudente.

8.     Rougis de honte, toi qui par tes fautes te prives de si grands biens et t'exposes à de si grands malheurs. Tes bonnes oeuvres ne peuvent servir à Dieu, et tes offenses ne peuvent lui nuire ; mais son infinie bonté se réjouit lorsque sa créature veut bien recevoir ses dons ineffables et accepter le bonheur qui lui est destiné. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Unissez-vous, greffez sur vous ceux que vous m'avez donnés à aimer d'une manière spéciale, afin qu'ils portent des fruits de vie. O bonté infinie ! la rosée de votre lumière céleste donne à l'âme qui vous est unie la paix de la conscience ; et la rosée de vos serviteurs dissipe les nuages et rend la lumière et la paix à l'Église votre Épouse ; faites tomber ces rosées, je vous en conjure humblement. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Ainsi soit-il.

XI

Prière faite à Rome, le jour de l'Annonciation de la Sainte Vierge, 1379.

1.     O Marie ! Marie, temple de la Trinité, Marie, foyer du feu divin, Marie, Mère de la miséricorde, vous avez porté je fruit de vie ; vous avez sauvé le genre humain, puisque c'est avec votre chair que le Christ nous a rachetés. Oui, le Christ nous a rachetés par sa Passion, et vous, par les douleurs de votre âme et de votre corps (La sainte Vierge contribua réellement à notre rédemption par sa maternité divine et par ses souffrances au Calvaire. Elle pouvait bien dire comme saint Paul : Gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea pro corpore ejus, quod est Ecclesia (Coloss. I, 24).). O Marie, océan tranquille, Marie, source de la paix ! Marie, vous êtes l'arbre nouveau qui nous a donné cette fleur odorante, ce Verbe, ce Fils unique de Dieu, qui vous a choisie comme une terre fertile. Vous êtes la terre et vous êtes l'arbre.

2.      O Marie, char de feu, vous avez conservé et caché le feu dans la cendre de notre humanité. Marie, vase d'humilité, où brillait la lumière de la vraie science qui vous a élevée au dessus de vous-même, vous avez charmé le Père céleste, et il vous a ravie ; il vous a captivée dans les liens d'un amour ineffable, et par cette lumière, cette ardeur de votre charité, cette flamme de votre humilité, vous l'avez vaincu vous-même, et vous avez forcé sa divinité à descendre en vous. Sa bonté infinie pour les hommes était d'ailleurs votre complice.

3.     O Marie, grâce à la lumière que vous aviez, vous n'avez pas été une-vierge folle, mais une vierge prudente ; car vous avez demandé à l'ange Comment ce qu'il vous annonçait pourrait se faire. Vous n'ignoriez pas que tout était possible à la toute-puissance de Dieu, et vous n'aviez aucun doute à cet égard. Pourquoi disiez-vous : "Je ne connais pas d'homme" ? (Luc, 1, 34). Ce n'était pas le manque de foi, mais votre humilité profonde qui vous le faisait dire ; vous croyiez à la puissance de Dieu, mais vous ne pensiez qu'à votre indignité.

4.      Marie, vous avez été troublée par les paroles de l'ange ; il me semble, dans la lumière de Dieu, que ce n'était pas de crainte, mais d'admiration. Et qu'admiriez-vous ? Vous admiriez l'immensité de la bonté de Dieu, et vous étiez troublée en voyant combien vous étiez indigne de la grâce qu'il voulait vous faire. Cette comparaison de votre indignité et de votre faiblesse avec le miracle ineffable de la grâce divine, vous remplissait de confusion. Votre demande prouvait votre humilité profonde ; vous étiez, non pas effrayée, mais étonnée de l'immensité de la bonté de Dieu, que vous compariez à votre petitesse et au néant de votre vertu.

5.     Aujourd'hui, ô Marie, vous êtes le livre où notre règle est écrite. Car en vous brille la sagesse du Père céleste, en vous paraît la dignité, la force, la liberté de l'homme. Oui, j'y vois la dignité de l'homme ; car, lorsque je vous contemple, ô Marie, je vois que le Saint Esprit a représenté en vous la sainte Trinité en y formant le Verbe incarné, le Fils unique de Dieu. Il y a montré la Sagesse éternelle, qui est le Verbe ; la puissance du Père, qui a pu faire une si grande chose ; et la clémence du Saint-Esprit, par la grâce et la charité duquel s'est accompli cet ineffable mystère.

6.      Si je médite sur cet acte de vos conseils, ô éternelle Trinité, je découvre que vous avez pris en considération la noblesse et la dignité du genre humain. L'amour vous avait forcé à le créer, l'amour vous a forcé à le racheter et à le sauver. Vous aviez bien prouvé que vous aimiez l'homme avant qu'il fût, puisque vous avez voulu le tirer de vous par amour ; mais vous avez prouvé bien davantage cet amour, lorsque vous vous êtes donné à lui, en vous revêtant des haillons de son humanité. Pouviez-vous donner plus que vous-même, et n'avez-vous pas le droit de lui dire : Que te devais-je ? et ce que je pouvais, ne l'ai-je pas fait ? Oui, tout ce que, dans vos conseils, la Sagesse éternelle avait jugé nécessaire pour sauver le genre humain, votre clémence ineffable l'a voulu, et votre puissance l'a accompli, au jour de l'Annonciation.

7.     Votre infinie miséricorde voulait le salut de votre créature, ô éternelle Trinité ! et vous désiriez lui donner le bonheur parfait qui lui était destiné, puisque vous l'aviez créée pour qu'elle fût unie à vous, et qu'elle en jouît pleinement ; mais votre justice s'y opposait, en vous disant que, si vous étiez miséricordieux, vous étiez juste aussi, et que votre justice ne devait pas changer. La justice ne laisse jamais le mal sans châtiment et le bien sans récompense. L'homme ne pouvait être sauvé s'il ne satisfaisait pas à la justice pour sa faute.

8.      Alors, qu'avez-vous fait ? Qu'avez-vous décidé ? Comment votre sagesse éternelle et incompréhensible est-elle restée dans la vérité, en faisant à la fois miséricorde et justice ? Quel moyen avez-vous pris pour nous sauver ? Ce moyen a été de nous donner le Verbe, votre Fils unique. Il a revêtu notre humanité qui vous avait offensé, afin qu'en souffrant dans notre chair il peut satisfaire à votre justice, non pas par la vertu de l'humanité mais par celle de la Divinité unie à l'humanité. L'homme qui avait péché, s'acquitta envers la justice, parce que la miséricorde lui prêta, pour payer sa dette, la divinité du Verbe.

9.     O Marie, le Verbe qui s'est incarné eu vous, est resté cependant uni à son Père, comme la parole intérieure de l'homme, lorsqu'elle s'exprime et qu'elle se communique, ne se sépare pas du cœur. N'est-ce point une preuve de la dignité de l'homme, pour qui Dieu a. fait de si grandes et de si nombreuses merveilles ?

10.    Nous voyons encore aujourd'hui en vous, ô Marie, la force et la liberté de l'homme ; car c'est après la délibération de l'auguste Trinité qu'un ange vous est envoyé pour vous annoncer le mystère des conseils divins, et pour vous demander votre consentement. Avant de descendre en votre sein, le Fils de Dieu s'adresse à votre liberté ; il attend à la porte de votre volonté, il vous soumet le désir qu'il a d'habiter en vous, et il n'y serait jamais entré, si vous ne lui aviez dit : "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole" (Luc, I, 38). N'est-ce pas là une grande preuve de la force et de la liberté de la volonté ? Rien de bien ou de mal ne peut se faire sans elle. Le démon ni aucune créature ne la forcent au mal, si elle ne devient pas leur complice ; et personne ne peut la contraindre au bien, si elle veut résister. La volonté de l'homme est donc libre.

11.   O Marie, le Dieu tout puissant frappait à votre porte, et si vous ne lui aviez pas ouvert votre volonté, il n'eût pas pris la nature humaine. O mon âme, sois remplie de confusion, en voyant que Dieu fait avec toi un pacte et une alliance en Marie. Tu dois maintenant comprendre que celui qui t'a faite sans toi, ne peut pas sans toi te sauver, puisqu'il s'adresse à la volonté de Marie et qu'il attend son consentement. O Marie, amour délicieux de mon âme ! en vous est écrit le Verbe qui nous donne la doctrine de vie ; vous êtes le tableau qui nous le représente et qui nous l'explique.

12.    Dès que la Sagesse, le Fils unique de Dieu, a été dans votre sein, il y a trouvé la croix du désir ; et toute son ambition a été de mourir pour le genre humain, qu'il voulait sauver en prenant notre nature. C'était une grande croix que cette ambition qu'il voulait satisfaire.

13.   O Marie, j'ai recours à vous et je vous offre mes prières pour l'Épouse de notre doux Sauveur, votre Fils bien-aimé ; je vous implore pour son Vicaire, afin qu'il reçoive la lumière qui lui est utile pour discerner les meilleurs moyens de réformer l'Église. Unissez-lui les fidèles ; rendez leur cœur semblable au sien, et qu'ils ne se révoltent jamais contre leur chef. Il est, mon Dieu, comme une enclume ; ses nombreux ennemis l'attaquent par leurs paroles et lui nuisent tant qu'ils peuvent.

14.    Je vous prie aussi pour ceux que vous m'avez donnés ; enflammez-les, qu'ils soient des charbons ardents que consument votre amour et celui du prochain. Qu'ils aient, aux jours de l'épreuve, leurs barques bien fournies et bien disposées, pour eux et pour les autres. Je vous prie pour ceux que vous m'avez donnés : au lieu de les édifier, je les ai toujours scandalisés, au lieu d'être pour eux un modèle de vertus, je ne leur ai donné que des exemples d'ignorance et de négligence. Mais je m'adresse hardiment à vous en ce jour de grâce, parce que je sais, ô Marie, que rien ne peut vous y être refusé. Aujourd'hui, ô Marie, votre terre u produit notre Sauveur. Hé-las ! je vous ai offensé toute ma vie, ô mon amour ; oui, j'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

15.   O Marie, soyez bénie entre toutes les femmes, pendant tous les siècles, car vous nous avez donné aujourd'hui votre substance. La Divinité s'est tellement unie et incorporée par vous à notre humanité, que rien maintenant ne peut l'en séparer, pas même la mort et notre Ingratitude. Car, comme la Divinité est restée unie au corps dans le sépulcre, et à l'âme de Jésus-Christ dans les limbes, puis à son âme et à son corps après la Résurrection, notre alliance avec elle n'a jamais été rompue, et elle ne le sera jamais pendant toute l'éternité.

XII

Prière faite à Rome.

1.     O Vérité ! qui suis-je pour que vous me donniez la vérité ? Je suis celle qui ne suis pas, et votre Vérité est celle qui agit, parle, et fait toute chose. Votre Vérité est celle qui donne la vérité, et c'est par votre Vérité que je dis la vérité. Votre Vérité éternelle se communique de différentes manières à toutes les créatures ; mais elle ne s'épuise pas et ne change jamais. Vous, Dieu éternel, Fils de Dieu, vous êtes venu de Dieu pour accomplir la volonté de votre Père, et personne ne peut avoir la vérité sans vous. Si quelqu'un veut avoir votre vérité, il ne doit l'affaiblir par aucune erreur ; il faut la posséder sans mélange, et c'est ainsi que les bienheureux en jouissent dans votre éternelle contemplation ; car ils participent à la vision que vous avez de vous-même.

2.      Vous êtes la lumière avec laquelle votre créature vous voit, et, pour elle comme pour vous, il n'y a que ce moyen de vous contempler. Dès que les saints vous voient, ils jouissent de la lumière qui vous fait connaître, et parce que vous êtes toujours la même lumière, le même moyen, le même objet, ils ont la vision que vous avez de vous-même (Sainte Catherine ne confond pas la vision béatifique avec la vision divine ; elle les unit seulement comme saint Paul, lorsqu'il dit : Qui autem, adhaeret Domino, unus spiritua est (I Cor. VI,17). Saint Jean dit aussi Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus, qui videbimus eum sicuti est (I Ep. III, 2).). Ils l'ont seulement à des degrés différents, les uns plus, les autres moins, selon la différence de leur mérite.

3.     Les âmes, pendant cette vie, lorsqu'elles sont en état de grâce, reçoivent votre vérité par la lumière de la foi, qui nous fait croire l'enseignement de l'Église ; mais ces âmes, selon leur disposition, reçoivent plus ou moins parfaitement la vérité, qui ne varie pas et qui est la même pour tous. Ainsi les bienheureux jouissent de la même vision, mais plus ou moins parfaitement, selon leur élévation dans la gloire.

   

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