CHAPITRE 26
Il y a plusieurs fleurs
en un arbre , mais toutes n’apportent pas de fruit . De même il y a
plusieurs bonne œuvres , mais toutes ne méritent pas récompense
céleste , si elles ne sont faites avec discrétion , car jeûner ,
prier , visiter les lieux saints , sont des œuvres vertueuses ; mais
si l’homme ne les fait à cette intention et avec cet esprit , qu’il
espère que , par l’humilité , il pénètrera les cieux , qu’il croit
qu’il est en tout serviteur inutile ,et qu’il ait en toutes choses
une grande discrétion , car autrement , elles profitent bien peu
pour le ciel.
Représentez-vous deux hommes , l’un libre , et l’autre obligé à
obéir . Si celui qui est libre jeûne , il a le mérite simple du
jeûne . Que si celui qui est obligé à l’obéissance , mange de la
viande selon l’obéissance de la règle , il jeûnerait néanmoins par
dévotion , si l’obéissance le permettait : celui-là aura double
mérite , l’un de l’obéissance , l’autre pour n’avoir effectué ses
désirs et pour n’avoir fait sa volonté.
Partant , demeurez comme une épouse qui prépare d’abord son lit
nuptial avant que l’époux vienne . En premier lieu , soyez comme une
mère qui prépare ses vêtements avant que l’enfant naisse ; en
deuxième lieu , comme un arbre qui pousse plus tôt les fleurs que
les fruits ; en troisième lieu , soyez comme un vase pur , disposé à
recevoir la liqueur avant qu’on l’y verse.
Ici la Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille sainte Brigitte de
quelque dévot feint qu’elle compare à celui qui porte les armes en
guerre corporelle , et est mal armé.
CHAPITRE 27
La Sainte Mère de Dieu
dit à sainte Brigitte : Celui-là dit qu’il m’aime ; mais quand il me
sert , il me tourne le dos . Or , quand je lui parle , il me dit :
Que dit-vous ? et détourne ses yeux de moi , et les jette à ce qui
lui plaît le plus.
Il est admirablement armé comme celui qui est exposé à une guerre
corporelle , le heaume duquel aurait les yeux derrière la tête , le
bouclier duquel serait aux épaules au lieu de l’avoir au bras ;
duquel les gaines et le fourreau seraient vides , ayant jeté l’épée
et le couteau ; la cuirasse duquel , qui doit couvrir le corps et la
poitrine , serait sur la selle , les sangles de laquelle seraient
lâchées : de même cet homme est spirituellement armé devant Dieu ,
et c’est pourquoi il ne sait discerner entre ami et ennemi , ni ne
sait offenser son ennemi.
L’esprit avec lequel il combat est semblable à celui qui raisonne en
son esprit , disant : Je veux être le dernier au combat , afin que
je puisse voir si les premiers perdront . Que s’ils surmontent, je
viendrai avec tant d’impétuosité que je serai compté des premiers .
Partant , celui qu’il a envoyé à la guerre a suivi la sagesse
charnelle , et non Dieu.
La Sainte Vierge Marie parle à sa fille de trois sortes de
tribulations qui sont désignées par trois sortes de pains.
CHAPITRE 28
La sainte Mère de Dieu
parle : Là où se trouve de la pâte pour faire du pain , là il faut
grandement considérer et travailler . Mais Notre-Seigneur apporte et
met à table du pain de froment , et on donne à la communauté un
mauvais pain . Il y a une troisième sorte de pain pire que l’on
donne aux chiens. Par la considération , il faut entendre la
tribulation , car l’homme spirituel et dévot s’afflige grandement
qu’on ne lui rende l’honneur qu’on lui doit , et qu’on ait si peu
d’amour en son endroit.
Tous ceux donc qui sont affligés de la sorte , sont ce blé qui
réjouit Dieu et tous les citoyens célestes. Or , tous ceux qui se
troublent pour les adversités du monde , ceux-là sont comme un
méchant pain , néanmoins il profite à plusieurs pour obtenir le ciel
; mais ceux qui s’affligent pour ne pouvoir faire le mal qu’ils
désirent , ceux-là sont le pain des chiens qui sont en enfer.
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille comment il y a des démons qui
veulent précipiter les hommes , quelques autres pour les retarder ,
quelques autres pour les tenter en leurs abstinences , et de la
manière qu’il faut tenir contre eux.
CHAPITRE 29
La Sainte Mère de Dieu
parle à sainte Brigitte : Tous ceux que vous voyez qui vous
entourent , sont vos ennemis spirituels , savoir , l’esprit du
diable , car ceux qui ont des perches esquelles vous voyez des
lacets , ce sont ceux qui vous veulent précipiter dans les péchés
mortels.
Ceux que vous voyez avoir des crochets en leurs mains , ce sont ceux
qui vous veulent retarder du service de Dieu , afin que vous soyez
oisive à bien faire . Ceux qui ont des instruments où il y a
plusieurs dents comme des fourches , avec lesquels on pousse ou on
retire ce que l’homme désire , ce sont ceux qui vous suggèrent
d’entreprendre des biens par-dessus vos forces , savoir , dans les
veilles , jeûnes , oraisons , labeurs , ou en d’irraisonnables
dépenses d’argent . Or donc , ces esprits sont désireux de vous
nuire ; soyez donc constante à ne vouloir offenser Dieu et à
demander son secours contre leur cruauté , et alors , leurs menaces
ne vous nuiront point.
La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte , lui disant que
les choses belles et précieuses du monde , ne nuisent point aux
serviteurs de Dieu , quand ils en usent pour l’honneur de Dieu, à
l’exemple de saint Paul.
CHAPITRE 30
Il est écrit que saint
Paul , ce grand apôtre , dit devant ce prince qui tenait captif
saint Pierre , qu’il était sage , et appela saint Pierre pauvre . Et
il ne pécha pas en cela , d’autant que ses paroles tendaient à
l’honneur et à la gloire de Dieu . Il en est de même de ceux qui
veulent parler aux grands: que s’ils n’y peuvent entrer sans être
bien habillés , ils ne pèchent point , pourvu que les pierre
précieuses , l’or et l’argent , ne soient non plus en affection et
estime dans leurs cœurs , que leurs vêtements ordinaires , car tout
ce qui apparaît beau , précieux et luisant , n’est que terre.
La sainte Mère de Dieu montre à sainte Brigitte , et prouve par
exemple que les prédicateurs et amis de Dieu sont non moins
couronnés devant Dieu , s’ils ne convertissent les hommes , que
s’ils les convertissaient , ayant la droite et pure intention de le
faire.
CHAPITRE 31
La Mère de Dieu parle ,
disant : Celui qui conduit les ouvriers au travail , disant ; Portez
du sable du rivage , et regardez grain à grain si vous trouverez
quelque grain d’or , celui-là n’aurait pas moins de récompense de
n’en avoir pas trouvé que d’en avoir trouvé.
Il en est de même aussi de celui qui , par, parole et par exemple ,
tâche d’avancer le salut des âmes , car il n’aura pas moins de
récompense de n’en avoir converti pas un que d’en avoir converti
plusieurs ; car comme le maître dit par exemple : Le combattant qui
, au commandement de son maître , va à la guerre avec désir de
batailler fortement et généreusement , s’en retournant blessé sans
aucun captif , n’en obtiendrait pas moins de récompense d’avoir été
vaincu que s’il eût vaincu , à raison de sa bonne volonté : de même
en est-il avec les amis de Dieu , car pour chacune des paroles
qu’ils auront dites , pour chacune des œuvres qu’ils auront faites
pour l’amour de Dieu et pour l’amendement des âmes , et pour chaque
heure de tribulation qu’ils endurent pour l’amour de Dieu , ils sont
couronnés , soit que plusieurs se convertissent , soit que pas un ne
se convertisse.
La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , parle à sainte Brigitte de
son infinie miséricorde à l’endroit des pécheurs , et à l’endroit de
ceux qui la louent et qui l’honneur.
CHAPITRE 32
La sainte Mère de Dieu
dit à sainte Brigitte : C’est une maxime qui court parmi vous : Il
ne peut sortir de mon pays avec un tel . J’en dis de même maintenant
qu’il n’y a pas tel et si grand pécheur au monde , qui dit de cœur
que mon Fils est Créateur et Rédempteur de tous , qu’il est son ami
intime et de cœur , que soudain je ne sois disposée à venir à lui ,
comme une mère charitable vient à son fils , l’embrassant et lui
disant : Qu’est-ce qu’il vous plaît , ô mon fils?
Et quand même il aurait mérité les peines horribles de l’enfer , et
qu’il aurait volonté de ne soucier des honneurs du monde , ni des
cupidités et affections de la chair , que l’Eglise déteste , et
qu’il ne désirerait rien plus que son seul entretien , lors lui et
moi serions aussitôt amis.
Dites donc à celui qui compose un chant et une hymne à ma louange ,
non à sa louange ni récompense propre , mais pour la louange de
celui qui , à raison de toutes ses œuvres , est digne de louange ,
que , comme les princes du monde donnent des récompenses à ceux qui
les louent , de même je les récompenserai spirituellement ; car
comme une syllabe a sur soi plusieurs notes, de même Dieu se plaît à
lui donner autant de couronnes pour chaque syllabe qui est au chant
; et on dira de lui : Voici venir celui qui loue , qui n’a point
dicté ni composé le chant pour quelque bien temporel , mais
seulement pour l’honneur de Dieu.
DECLARATION
Celui-ci , étant tenté sur le mystère de la sainte Trinité , étant
ravi en extase , vit comme trois faces de femmes. Le première lui
dit : j’ai été mariée plusieurs fois . Je n’ai jamais vu celui qui
est un et trine.
La seconde répondit : S’ils sont trois et un , il est nécessaire que
l’un soit premier et l’autre dernier , ou que deux soient en un . Et
la troisième ajouta : Ils ne peuvent pas se faire eux-mêmes : qui
les a donc faits ? Et alors le Saint-Esprit dit clairement : nous
viendrons à lui et demeurerons avec lui . Et s’éveillant , il a été
délivré de la tentation.
Après ceci , Jésus-Christ dit à sainte Brigitte : Je suis Dieu , qui
est trine en personne et un en essence . Je vous veux montrer quelle
est la puissance du Père , quelle la sagesse du fils , quelle la
vertu du Saint-Esprit . Et cette révélation a été accomplie là ou il
parle du pupitre . D’ailleurs , Notre-Seigneur lui dit : Dite-lui
qu’il méritera plus devant moi par son infirmité que par sa sainteté
, car le Lazare a été plus beau et plus éclatant par sa douleur , et
Job plus aimé par sa patience , et néanmoins , mes élus ne me
déplaisent point quand ils sont saints , car leur cœur est toujours
avec moi , et leur corps est toujours retenu par une discrète
abstinence et labeur.
Sainte Brigitte , épouse , dit ici des choses notables de la ville
de Rome , proposant comme par question les consolations , ordres ,
dévotions , dont jouissaient anciennement tous les Romains , tant
clerc que laïques , etc . Pourquoi maintenant tout cela est changé,
hélas ! en désolation , désordre et abomination , comme il paraît ès
susdites choses . Combien malheureuse est Rome corporellement et
spirituellement.
CHAPITRE 33
Mon révérend Seigneur ,
je vous prie qu’entre autre choses , on avertisse le pape , qu’on
lui dise combien faible est l’état de Rome , qui était autrefois
heureux corporellement et spirituellement , mais maintenant
malheureux en ces deux manières : corporellement, d’autant que ses
princes séculiers , qui devaient être sa défense et sa protection ,
lui sont des larrons très cruels . C’est pourquoi plusieurs de leurs
maisons sont détruites , plusieurs églises entièrement ruinées et
désolées , dans lesquelles il y a plusieurs ossements de saints qui
reluisent en plusieurs miracles , les âmes desquels sont éminemment
couronnées au royaume de Dieu.
Leurs temples , aussi tout découverts et dont les murailles sont
abattues , sont changés en décharges des hommes des champs et des
bêtes.
Spirituellement , cette ville est malheureuse , d’autant que
plusieurs constitutions et ordonnances , que plusieurs papes
inspirés du Saint-esprit avaient faites , sont maintenant effacées
de l’Eglise , au lieu desquelles , ô malheur trop funeste !
plusieurs nouveaux abus se sont introduit par la suggestion du
diable , contre la révérence de Dieu et le salut des âmes.
La constitution de l’Eglise était que les clercs allassent aux
ordres sacrés , ayant une vie dévote et bienheureuse , servant Dieu
incessamment et dévotement , montrant aux autres par bonne œuvres la
voie du paradis ; et à tels on donnait les rentes de l’Eglise . Mais
maintenant , un abus est notre Eglise , que les laïques ont les
biens de l’Eglise , qui ne se marient point , pour porter le nom de
chanoine , mais impudemment ; ils ont le jours des concubines en
leurs maisons , et la nuit en leurs lits , disant audacieusement :
Il ne nous est pas loisible d’avoir des femmes , car nous sommes
chanoines.
Autrefois aussi , les prêtres , diacres et sous-diacres avaient
grandement en horreur l’infamie d’une vie immonde . Or , maintenant
, quelques-uns d’iceux , au lieu d’en rougir , en tirent vanité .
Partant, telle sorte de prêtres doivent plus justement être appelés
lions du diable , que clercs ordonnés de Dieu souverain.
Les saint Pères , comme saint Benoît et autres , ont fait des règles
par licence des souverains pontifes , bâtissant des monastères , où
les abbés avait coutume de demeurer avec leurs frères , célébrant
dévotement les heures du jour et de la nuit , informant et
instruisant soigneusement les moines à bien vivre . Lors
certainement , il leur était à joie et à contentement de visiter
leurs monastères , quand , jour et nuit , les moines rendaient à
Dieu , en chantant , l’honneur et la gloire . Les criminels se
corrigeaient par l’éclat de leur bonne vie , et les bons étaient
affermis en leurs résolutions par la divine doctrine des prélats ,
voire les âmes qui étaient en purgatoire en étaient affranchies par
leur dévotes prières.
Lors le moine qui observait très bien sa règle , était en un grand
honneur devant Dieu et devant les hommes , et celui qui ne
l’observait pas , savait qu’il encourait le dommage et le scandale
de tous . Lors , un chacun pouvait discerner par l’habit quel moine
il était.
Mais contre cette honnête coutume, est né en plusieurs un abus
détestable , car les abbés demeurent souvent en leurs châteaux ,
dans les villes , où il leur plaît . C’est pourquoi il est sanglant
et douloureux de visiter maintenant les monastères , car on voit si
peu de moines au chœur , à l’heure où il faut dire les heures , ou
voire quelquefois aucun ne s’y trouve , où aussi on lit si peu , et
souvent on n’y chante rien , et on demeure plusieurs jours sans y
dire la sainte messe. Les bons sont molestés et moqués de la
mauvaise volonté de ces religieux , et les méchants se rendent pires
de leur mauvaise conversation.
Il faut aussi craindre que peu d’âmes reçoivent de leur prières du
soulagement dans leurs peines .Il y a aussi dans la ville plusieurs
habitations de moines , et chacun a sa maison pour soi ; et
quelques-uns baisent un enfant à l’arrivée de leurs amis , disant :
Voici mon fils.
A grand’peine aussi peut-on connaître un moine par l’habit , car la
tunique , qui autrefois tombait sur les pieds , maintenant couvre à
peine les genoux ; leurs manches , qui étaient autrefois grande et
larges , sont maintenant étroites et tirées . On porte maintenant un
glaive au lieu de tablettes et d’un style , et à grand ‘peine
peut-on trouver maintenant un habit par lequel on puisse connaître
un moine, hormis le scapulaire , qu’on cache souvent , afin qu’on ne
le voie , comme si c’était scandale de porter un habit monacal.
Quelques autres n’ont point de honte de porter une cuirasse et des
armes sous leur tunique , afin qu’après le crépuscule , ils puissent
faire ce qui leur plaît.
Il y a aussi de grands saints qui ont abandonné de grandes richesses
, embrassant une règle avec la pauvreté , qui rejetèrent toute sorte
de cupidités , ne voulant avoir rien de propre.
Ils abhorraient toute sorte de superbe et de pompe du monde , se
couvrant de pauvres habits , détestant et ayant en abomination la
concupiscence de la chair , c’est pourquoi ils ont vécu purement .
Or , ceux-ci et leur frères sont appelés mondains , les règles
desquels les souverains pontifes ont confirmées , se réjouissant que
quelques-uns voulussent embrasser une telle manière de vivre pour
l’honneur de Dieu et le salut des âmes ; mais maintenant , ce leur
est un grand regret au cœur de voir leurs règles changées en des
abus détestables ,et n’être aucunement gardées , comme celles de
saint Augustin , de saint Dominique et de saint François , qu’ils
avaient dictées par l’Esprit de Dieu, et que plusieurs hommes riches
et nobles avaient exactement gardées.
Car de fait , on trouve maintenant plusieurs hommes qui sont appelés
riches , qui sont aussi pauvres dans leurs coffres que ceux qui ont
fait vœu de pauvreté , comme la renommée en est partout . C’est
pourquoi plusieurs d’entre eux ont de propre ce que leurs règles ont
défendu , se réjouissant plus de leur propre exécrable que de la
sainte et glorieuse pauvreté . Ils se glorifient aussi , d’autant
que leurs habits sont d’étoffes aussi riches et précieuses que ceux
des évêques riches .D’ailleurs , il y a des monastères érigés par
saint Grégoire et par d’autres saints , à cette fin et intention que
les femmes y seraient tellement recluses qu’à peine on les pourrait
voir en toute leur vie.
Or , maintenant , il y a des abus si détestables , en ce qu’on donne
indifféremment l’entrée à clercs laïques et aux sœurs auxquelles on
se plaît ; voire leurs portes sont même ouvertes la nuit . Et
partant ces lieux sont maintenant plus semblables aux lieux infâmes
qu’à des monastères , à des cloîtres saints et sacrés.
Il y avait aussi une autre constitution en l’Eglise , qui défendait
qu’aucun ne prendrait de l’argent pour ouïr les confessions , mais
seulement des lettres qu’on leur dépêchait , comme il était juste
d’en recevoir , quand le pénitencier en avait extrêmement besoin .
Mais entre ceux-ci un autre abus s’est glissé : c’est que les riches
, ayant fait leur confession , offrent et donnent ce qui leur plaît
. Mais avant la confession , on pactise avec les pauvres . Et
certainement , les pénitenciers n’ont point honte de mettre leur
argent en leur bourse pendant qu’ils absolvent.
Il a été ordonné en l’Eglise , 1° que chaque personne laïque se
confesserait une fois l’an , et pour le moins , recevrait le corps
de Notre-Seigneur , car les clercs et les cloîtrés le font plus
souvent en l’année.
2° Il fut ordonné que ceux qui ne pouvaient être continents se
marieraient ; 3° que tous les chrétiens jeûneraient au carême , les
Quatre-Temps , et à toutes les vigiles des fêtes , ce qui est assez
connu d’un chacun , excepté de ceux qui sont atteints d’une grande
infirmité ou qui sont en de grandes douleurs . 4° Il fut ordonné que
chacun s’abstiendrait , les jours de fête , de tout labeur mondain
et manuel.
5° Il fut aussi ordonné qu’aucun ne gagnerait par usure.
Mais au lieu de ces cinq ordonnances très bonnes , se sont glissés
cinq autres abus déshonnêtes et grandement nuisibles : 1° il y a à
Rome cent personnes parvenues à l’âge de discrétion , qui meurent
sans jamais avoir fait leur confession , et n’avoir non plus reçu le
corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ que de vrais idolâtres . J’en
excepte les prêtres et religieux , et quelques femmes de dévotion ,
qui se confessent et communient souvent.
2° Plusieurs prennent en mariage des femmes légitimes . Que s’ils
ont des discussions avec elles , ils les laissent autant qu’il leur
plaît , sans avoir recours à la puissance ecclésiastique , prennent
pour femmes des adultères , les ayant en honneur et les aimant .
Quelques autres n’ont point horreur d’avoir en leurs maisons
l’adultère avec la femme légitime , se réjouissant de les voir en
même maison.
3° Plusieurs personnes saines mangent de la viande dans le carême ,
et parmi une grande multitude , il y en a peu qui soient contentes
d’un seul repas le jour . On en trouve aussi d’autre qui , le jour ,
s’abstiennent de la viande , mange des viandes de carême, mais qui ,
la nuit , en quelque logis , se saoulent de chair . Certainement ,
les clercs et les laïques font cela , et sont semblables aux
Sarrasins, qui jeûnent le jour , et qui , la nuit , se remplissent
de chair.
4° Bien que quelques ouvriers ne travaillent point les jours de fête
, néanmoins , les riches en tels jours envoient leurs valets
travailler à leurs vignes , labourer aux champs , couper du bois en
leurs forêts et l’apporter en leurs maisons , et de la sorte , les
pauvres valets n’ont pas plus de repos les fêtes que les autres
jours.
5° Les chrétiens exercent l’usure comme les Juifs , et en vérité ,
les usuriers chrétiens sont plus insatiables et plus cupides que les
Juifs!
Il a été encore ordonné dans l’Eglise que ceux qui auraient
introduit tels abus seraient anathématisés. Il y en a plusieurs qui
abhorrent autant la malédiction que la bénédiction , et bien qu’ils
sachent qu’ils sont excommuniés publiquement , n’évitent point de
rentrer dans l’Eglise ni de parler avec les hommes , car il y a peu
de prêtres qui défendent l’entrée de l’Eglise aux excommuniés ; peu
aussi ont en abomination la conversation des excommuniés , s’ils
sont conjoints par quelques liens d’amitié ; ils ne refusent pas non
plus la sépulture aux excommuniés , pourvu qu’ils soient riches.
N’admirez dons point , mon Seigneur , si j’ai appelé malheureuse la
ville de Rome , à raison de tels abus , et de plusieurs autres
choses contraires aux saints décrets de l’Eglise . C’est pourquoi il
faut craindre que la foi catholique dépérira bientôt , si ce n’est
que quelqu’un arrive qui aime Dieu par-dessus toutes choses , et son
prochain comme soi même , abolissant tous les abus avec une foi non
feinte . Afin que le clergé aime Dieu de tout son cœur , abhorrant
les coutumes pernicieuses , compatissez donc avec l’Eglise et le
clergé , qui , à cause de l’absence du pape , ont été comme des
orphelins , et néanmoins ont défendu en amour d’enfants le siège de
leur père , et ont sagement résisté aux traités , persévérant en la
défense , au milieu de plusieurs tribulations.
Il est traité ici d’une vision que sainte Brigitte , épouse , eut
des peines diverses qu’on préparait à une âme qui était encore dans
le corps , et en quelle manière tout ce genre de peines se devait
changer en un très grand honneur et gloire , si elle se fût
convertie avant de mourir.
CHAPITRE 34
Il me semblait que je
voyais des hommes debout , qui préparaient , les uns des cordes ,
les autres des chevaux ; les autres dressaient un supplice ; et
tandis que je voyais ceci , il apparut une vierge comme troublée ,
me disant si j’entendais ceci ; et moi répondant que je ne
l’entendais point , elle me dit : Tout ce que vous voyez , c’est une
peine spirituelle qu’on prépare à cette âme que vous connaissez .
Ces cordes serviront pour lier le cheval qui traînera cette âme , et
ces forces serviront pour déchirer le nez , les yeux , les oreilles
et les lèvres , et la fourche est pour la pendre.
Et lorsque je me troublais de toutes ces choses , cette vierge me
dit derechef : Ne vous troublez pas , car il est temps encore : si
elle veut elle peut rompre les cordes , renverser les chevaux ,
faire fondre les forces comme de la cire , et ôter le poteau . Et
davantage , elle peut avoir une si ardente charité envers Dieu, que
tous ces signes de peines lui réussiront à un très grand honneur ,
de sorte que les cordes dont elle devait être liée , se changeront
en des ceintures d’or ; au lieu des chevaux avec lesquels elle
devait être traînée par les rues , on lui enverra des anges qui la
conduiront devant Dieu : au lieu des forces avec lesquelles elles
devait être déchirée , on donnera à son nez des odeurs suaves , à sa
bouche de bonnes saveurs , à ses yeux de beaux objets , à ses
oreilles une agréable et délectable mélodie.
DECLARATION
Celui-ci fut Marséalons , roi , qui , venant à Rome , fut tellement
humble , humilié et marri de ses offenses , qu’il fit souvent les
stations tête nue , priant Dieu et le faisant prier de ne retourner
point en son pays , s’il devait retomber en ses fautes passées .
Dieu exauça sa voix , car sortant de Rome , et arrivé à Monte Fiasco
, il tomba malade et mourut , duquel fut faite une autre révélation.
Voyez , ma fille , ce qu’a fait la miséricorde de Dieu , et ce que
fait une bonne volonté . Cette âme a été en la gueule des lions ,
mais sa bonne volonté l’a affranchie de leurs dents ; et maintenant
, elle est en la voie qui conduit à la patrie , et sera participante
de tous les biens qui se font en l’Eglise.
L’épouse sainte Brigitte parle à Jésus-Christ du désir du salut des
âmes , et de la réponse qui lui a été faite par le Saint-Esprit ,
que les excès et superfluités des hommes , tant au boire qu’au
manger , résistent aux visites envoyées par le Saint-Esprit.
CHAPITRE 35
O doux Jésus , Créateur
de toutes les choses , plût à Dieu que ceux-ci connussent et
comprissent les feux de l’amour du Saint-Esprit ! car certainement ,
ils désireraient alors davantage les choses célestes , et auraient
en horreur et en abomination les choses terrestres et soudain il m’a
été répondu en esprit ; leurs excès et superfluités résistent aux
visites du Saint-Esprit , car l’excès dans les viandes ; dans la
boisson et dans les convives , empêche que le Saint-Esprit ne soit
doux en eux , et qu’ils ne soient rassasiés des délectations
mondaines ; et l’excès en l’or , argent , en vases , vêtements et
rentes , empêche que le feu de mon amour n’enflamme et n’allume
leurs cœurs.
L’excès aussi de la famille , des serviteurs , chevaux et animaux ,
empêche que le Saint-Esprit ne s’en approche ; voire mes anges ,
leurs serviteurs , s’éloignent d’eux , et les diables trompeurs s’en
approchent , c’est pourquoi ils ne ressentent point la douceur des
visites , dont moi , qui suis Dieu , visite les saints et mes amis.
Dieu parle à son épouse de la crainte et de l’amour de Dieu , avec
lesquels anciennement les religieux entraient dans les monastères.
Et maintenant les ennemis de Dieu , c’est-à-dire , les faux
religieux , vont au monde , poussés à ce faire par la superbe et
l’inique cupidité ; et de même en font les soldats en leur milice.
CHAPITRE 36
Oyez maintenant ce que
maintenant mes ennemis font contre ce que mes amis avaient fait
autrefois . Enfin , mes amis entrent dans les monastères de l’amour
divin et d’une crainte discrète ; mais ceux qui sont maintenant dans
les monastères , vont par le monde , poussés par la superbe et la
cupidité , ayant leur propre volonté , et faisant et accomplissant
leurs plaisirs.
Ceux donc qui meurent en une telle volonté , la justice de Dieu veut
qu’ils ne jouissent des joies célestes , mais qu’il souffrent sans
fin des peines effroyables dans l’enfer. Sachez aussi que ceux qui
vivent dans les cloîtres , qui sont contraints , contre leur volonté
, d’être prélats , ne sont pas du nombre . Les soldats aussi , qui
autrefois portaient les armes , étaient préparés et disposés à
donner leur vie pour la justice , et à répandre leur sang pour la
sainte foi ; ils dénonçaient les indignes à la justice , et
faisaient déprimer , humilier et abaisser les méchants . Mais
maintenant , écoutez comment ils sont contraires à ceci : en vérité
, ils aimaient mieux mourir à la guerre pour l’orgueil , cupidité et
envie , selon les suggestions diaboliques , que de vivre selon mes
commandements , et en ce faisant , obtenir les joies éternelles.
Donc , tous ceux qui meurent en telle volonté , on leur donnera la
récompense selon le jugement de la justice , c’est-à-dire , ils
seront donnés au diable en solde éternelle ; mais ceux qui me
servent auront leur solde bienheureuse , qui sera sans fin avec la
milice céleste.
Jésus-Christ parle à son épouse sainte Brigitte , lui demandant
comment est-ce que le monde est . Réponse de l’épouse : Le monde est
comme un sac dilaté , auquel tous courent indiscrètement . Juste et
cruelle sentence contre ceux-là.
CHAPITRE 37
Le Fils de Dieu parle ,
demandant à sa fille comment le monde va , et elle répond : C’est
comme un sac dilaté et étendu , auquel tous courent , et comme un
homme qui court sans se soucier de ce qui suit.
Notre-Seigneur lui répondit : C’est pourquoi la justice veut que
j’aille avec le soc sur le monde , sans pardonner à jeune ni vieux ,
pauvre ni riche , gentil ni chrétien ; mais je jugerai un chacun
selon qu’il mérite , et un chacun mourra en son péché , et la maison
sera délaissée , avec les habitants d’icelle ; néanmoins , je ne la
perdrai pas encore tout à fait.
Et elle dit : O Seigneur ! ne vous indignez pas si je parle .
Envoyez quelqu’un de vos amis qui les avertisse des périls proches
et infortunés qui pendent sur leur tête.
Il est écrit , dit Notre-Seigneur , que le mauvais riche ,
désespérant en enfer de son propre salut , demanda qu’on envoyât
quelqu’un pour avertir ses frères , afin qu’ils ne se perdissent
comme lui , et il lui a été répondu : Cela ne se fera point , car
ils ont Moïse et les prophètes par lesquels ils peuvent être
enseignés . J’en dis maintenant de même : ils ont les évangiles ,
les prophéties , les exemples et les paroles des docteurs ;
Ils ont la raison et l’intelligence : qu’ils en usent , et ils
seront sauvés , car si je vous envoie , vous ne pourrez pas crier si
haut que vous soyez entendue . Si j’y envoie mes amis , ils sont si
petits en nombre que , s’ils crient , à grand peine les oiront-ils .
Néanmoins , j’enverrai mes amis à ceux qu’il me plaira , et ils
prépareront la voie de Dieu.
Jésus-Christ dit à son épouse sainte Brigitte de n’ajouter point foi
aux songes , et il s’en faut bien donner garde , bien qu’ils soient
tristes ou joyeux . Comment le diable y mêle souvent la fausseté
avec la vérité , d’ou vient qu’au monde il y a plusieurs erreurs .
Les prophètes n’ont pas erré , d’autant qu’ils ont dirigé toutes
choses à Dieu.
CHAPITRE 38
Le Fils de Dieu parle ,
disant : Pourquoi les songes joyeux vous élèvent-ils de la sorte ,
et pourquoi les tristes vous dépriment-ils si bas ? Ne vous avais-je
pas dit que le diable était envieux , et que , sans la permission
divine , il ne vous pouvait pas plus vous faire du mal qu’un fétus
devant vos pieds . Je vous ai dit aussi qu’il était le père ,
l’auteur et l’inventeur du mensonge , et qu’en toutes ses faussetés
, il mêle quelque vérité.
Partant , je vous dis que le diable ne dort pas , mais vous
environne , afin qu’il trouve quelque occasion contre vous ; partant
, il vous faut donner de garde qu’il ne vous déçoive , car par la
subtilité de sa science , il entre dans l’intérieur par les
mouvements intérieurs ; car quelquefois , il met dans le cœur des
choses tristes , afin qu’étant abattue , vous laissiez à bien faire
ce que vous pourriez faire , et afin qu’avant vos misères , vous
soyez misérable et dolente.
Souvent aussi le diable met dans le cœur déçu , trompé et qui veut
plaire au monde , plusieurs faussetés par lesquelles plusieurs sont
déçus , comme les faux prophètes . Cela arrive à celui qui aime plus
quelque autre chose que Dieu . Et partant , cela arrive , attendu
que , parmi tant de faussetés , il s’y trouve quelque vérité , car
autrement , le diable ne saurait jamais tromper , s’il ne mêlait la
vérité avec la fausseté , comme vous avez vu en ce possédé ,qui ,
bien qu’il confessât y avoir un seul Dieu , était néanmoins
impudique en son geste , et ses paroles montraient quelque chose
d’étranger , d’autant que le diable était en lui et le possédait.
Or , maintenant , vous pouvez me demander pourquoi je permets que le
diable mente . Je le permets et l’ai permis à raison des péchés du
peuple et des clercs , qui ont voulu savoir ce que Dieu voulait
cacher , ou qui désiraient prospérer où Dieu voyait que leur salut
ne s’avançait pas . C’est pourquoi Dieu permet des malheurs à raison
des péchés , qui n’arriveraient jamais , si l’homme n’abusait des
grâces et de la raison . Mais les prophètes , qui ne désiraient et
ne respiraient que Dieu , ni ne voulaient parler que pour l’amour de
Dieu , ne se trompaient point , mais ils ont aimé et parler les
paroles de vérité.
En vérité , comme il ne faut pas recevoir tous les songes , de même
il ne faut pas les mépriser tous , d’autant que Dieu quelquefois
inspire de bonnes choses aux mauvais , afin qu’ils s’amendent et se
corrigent de leurs fautes .Quelquefois aussi , il inspire aux bons
de bonnes choses , afin qu’ils s’approchent plus Dieu . Partant ,
quand et tout autant de fois que cela vous arrivera , n’y opposez
votre cœur , mais pesez-les et discernez-les avec vos amis
spirituels , ou bien laissez-les et bannissez-les de votre cœur ,
d’autant qu’en telles choses on se délecte , on se trompe souvent et
on s’y trouble.
Soyez donc constante en la foi de la sainte Trinité . Aimez Dieu de
tout votre cœur . Soyez obéissante , tant en prospérité qu’en
adversité . Ne vous préférez à pas un , ni par pensée , ni par effet
, mais craignez toujours , même en bien faisant . Ne préférez pas
votre sens au sens d’autrui , et résignez votre volonté à Dieu ,
disposée à tout ce que Dieu voudra . Lors vous ne devez point
craindre les songes , car s’ils sont joyeux , ne les croyez pas ni
ne les désirez pas , si ce n’est que de là dépende l’honneur de Dieu
; que s’ils sont tristes , ne vous abattez pas , mais
abandonnez-vous toute en Dieu.
Après , la Sainte Vierge Marie parlait , disant : Je suis la Mère de
miséricorde , qui prépare les vêtements à ma fille qui dort , et lui
dispose les viandes quand elle est habillée : et quand elle
travaille , je lui prépare les couronnes et les biens.
La Saint Vierge Marie parle de l’épouse à son Fils . Réponse de
Jésus-Christ à sa Mère . Après suivent les paroles de la Mère , qui
sont désignées par le lion et par l’agneau . Comme Dieu permet que
plusieurs choses arrivent aux hommes , qui n’arriveraient point, si
ce n’était à raison de leur impatience et ingratitude.
CHAPITRE 39
La Mère de Dieu parle à
son fils , disant : Notre fille est comme un agneau qui met sa tête
en la gueule du lion . Il vaut mieux , dit Jésus-Christ , que
l’agneau mette sa tête en la gueule du lion , et qu’il soit avec le
lion une même chair et un même sang , que non pas si l’agneau suce
le sang du lion, d’où arriverait que le lion s’indignerait et
s’affaiblirait , attendu que sa pâture n’est pas le sang, mais le
foin . Néanmoins , ô ma Mère très-chère ! d’autant que vous avez
porté en votre ventre toute la sapience et la plénitude de la
prudence , faites entendre à celle-ci qu’est-ce que le lion et
qu’est-ce que l’agneau.
La Mère répondit : Béni soyez-vous , mon Fils , qui , demeurant
éternellement avec le Père , êtes descendu à moi , et néanmoins vous
ne vous êtes jamais séparé de mon Père ! vous êtes ce lion de la
tribu de Juda ; vous êtes cet agneau sans souillure que saint Jean a
montré avec le doigt . Celui-là met la tête en la bouche du lion ,
qui résigne sa volonté en Dieu , et ne voudrait faire la sienne ,
bien qu’il pût , si ce n’est qu’il sut que cela vous plût.
Or , suce le sang du lion celui qui s’impatiente de vos dispositions
et ordonnances , et s’efforce de contrevenir à ce que vous lui avez
commandé , et voudrais plutôt changer d’état , s’il pouvait , que
vous être agréable , bien que cela lui fût expédient . Dieu ne
s’apaise pas de telles choses , mais elles provoquent son ire et son
indignation , car comme la pâture de l’agneau est le foin , de même
l’homme devrait se contenter de choses basses et humbles . C’est
pourquoi Dieu permet beaucoup de choses qui n’arriveraient point
contre le salut des hommes , s’ils n’étaient ingrats , colères et
impatients . Partant , ô ma fille ! donnez votre volonté à Dieu ; et
que si quelquefois vous êtes moins patiente qu’il ne faut ,
levez-vous soudain par la pénitence , car la pénitence est comme une
bonne lavandière qui ôte les souillures , et la contrition est comme
celle qui blanchit parfaitement.
Jésus-Christ parle à son épouse de la mort des chrétiens . Comment
l’homme meurt bien ou mal , et pourquoi les amis de Dieu ne se
doivent troubler , s’ils voient les serviteurs de Dieu mourir
cruellement selon le corps.
CHAPITRE 40
Le Fils de Dieu parle ,
disant : Ne craignez point , ma fille ! cette malade ne mourra point
, car ses œuvres m’agréent . Or , étant morte , le Fils de Dieu dit
derechef : Voyez , ma fille : ce que je vous ai dit est vrai : elle
n’est pas morte , car sa gloire est grande , d’autant que la
séparation de l’âme du corps des justes n’est qu’un sommeil , duquel
ils s’éveillent pour une vie éternelle . Il faut appeler mort
seulement celle-là , que , l’âme étant séparée du corps , vit en une
mort éternelle.
Plusieurs , considérant les choses futures , désirent mourir d’une
mort chrétienne , car qu’est-ce autre chose , une mort chrétienne ,
si ce n’est mourir comme je suis mort , innocemment , volontairement
et patiemment ? Eh quoi ! suis-je à mépriser , d’autant que ma mort
était dure et vile? Ou pour cela , mes élus auraient-ils des fous ,
pour avoir pâti des choses contemptibles ? Ou la fortune aurait-elle
voulu cela , ou le cours des astres ? nenni.
Mais moi et mes élus avons pâti des choses contemptibles , afin que
, par parole et par exemple , nous montrions que les voies du ciel
sont dures et âpres , afin que les méchants considérassent
incessamment combien de pureté leur était nécessaire , puisque mes
innocents et élus ont souffert des choses si âpres et si dures .
Sachez donc que celui-là est mal et misérable , qui , vivant
dissolument , meurt en volonté de pécher ; qui , ayant en poupe les
faveurs du monde , désire de vivre plus longuement et ne sait rendre
grâces à Dieu.
Or , celui qui aime Dieu de tout son cœur , souffre et méprise la
mort , ou est affligé par longues infirmités . Celui-là vit et meurt
heureusement , car la mort dure et âpre diminue le péché et la peine
du péché , et augmente les couronnes . Je vous fais souvenir de deux
qui , selon le jugement des hommes , moururent d’une mort vile et
méprisable, que , s’ils n’eussent obtenu de ma miséricorde un tel
genre de mort, ils n’eussent point été sauvés . Mais d’autant que
Dieu ne punit pas deux fois ceux qui sont contrits de cœur , c’est
pour cela aussi qu’ils sont arrivés à la couronne.
C’est pourquoi les amis de Dieu ne se doivent point affliger , s’ils
sont affliges temporellement, ou s'ils meurt d'une mort amère, car
c'est une chose heureuse de pleurer une heure et d'être affligé au
monde et n'être pas durement afflige dans le purgatoire, où on ne
peut fuir et où on n'est pas donne le temps de travailler.
La Sainte Vierge Marie dit à sa fille que les prêtres, ayant la
juridiction, peuvent absoudre des péchés, bien qu'ils soient
pécheurs et consacrer.
CHAPITRE 41
La sainte Vierge Marie,
Mère de Dieu, parle disant : Allez à celui qui a juridiction
d'absoudre, car bien que le portier soit lépreux, il peut pourtant
ouvrir la porte, s'il a les clefs, aussi bien qu'un qui est sain. Il
en est de même de l'absolution et du saint sacrement de
l'Eucharistie, car quelque soit le prêtre, il peut absoudre des
péchés pourvu qu'il ait la juridiction. Partant, il ne faut pas en
mépriser aucun.
Néanmoins je vous avertis de deux choses: 1° Celui qui désire
quelque chose charnellement, ne l'aura pas. 2° sa vie sera courte.
Et comme la fourmi, portant jour et nuit le grain, quelque fois
s'approchant du trou, tombe et meurt à l'entrée, le grain demeurant
au dehors, de même celui-là, quand il pensera arriver au fruit de
son labeur, mourra, sera confus et puni pour son labeur , vain et
superflu.
La Sainte Vierge parle à sa fille de la manière dont les bonnes
mœurs et les œuvres de justice sont désignées aux amis de Dieu par
les portes, et comment les bons serviteurs de Dieu se doivent donner
garde de la médisance.
CHAPITRE 42
La Sainte Mère de Dieu
parle , disant: Mes amis sont compares à deux portes par lesquelles
les autres doivent entrer. C'est pourquoi il faut se donner garde
diligemment qu'il n'y ait rien de dur et d'âpre qui empêche ceux qui
veulent entrer, ou qui les presse. Or que signifient ces portes,
sinon les mœurs bien compassées, les œuvres de justice et les
paroles d'édification qui apparaissent journalièrement ès amis de
Dieu?
Partant, qu'on prenne attentivement garde qu'en la bouche de mes
amis, il n'y ait quelque chose de dur, c'est-à-dire, médisance et
bouffonnerie; qu'on ne remarque en leurs bonnes œuvres quelque
mondanité; à raison de quoi ceux qui veulent entrer en soient
repoussés; et ceux qui sont entrés les aient en abomination.
La Sainte Mère de Dieu parle à sa fille. En quelle manière les
pasteurs de l'Eglise sont comparés au vermisseau qui ronge les
racines de l'arbre.
CHAPITRE 43
La Mère de Dieu parle à
Sainte Brigitte, disant : Les mauvais pasteurs sont semblables au
vermisseau qui, voyant une bonne semence, ne se soucie point que
l'épi périsse ou tombe, pourvu qu'il puisse ronger les racines, ou
ce qui est auprès de la terre : de même en font-ils, ne se souciant
point que les âmes périssent, pourvu qu'ils fassent leur lucre
temporel. C'est pourquoi mon Fils en fera justice , et ils en seront
bientôt enlevés.
Sainte Brigitte répondit: Tout le temps n'est-il pas devant Dieu
comme une minute, bien qu'il soit long quant à nous ? C'est pourquoi
la patience de votre Fils est grande, même sur les mauvais.
La Mère repartit : Je vous le dis en vérité , leur jugement ne sera
pas prolongé ; mais hélas ! ce qui est horrible leur arrivera ; ils
seront arrachés de leurs délices et portés en la confusion.
Jésus-Christ parle à son épouse. Comment le corps est signifié par
un navire, et le monde par la mer En quelle manière la volonté est
libre pour conduire, avec la grâce, les âmes au ciel, ou avec le
péché, en enfer, et comment la beauté terrestre est comparée a la
vitre.
CHAPITRE 44
Le Fils de Dieu parle :
Oyez, vous qui désirez le port après tant de tempêtes. Quiconque est
en la mer ne doit rien craindre, s'il a avec lui celui qui peut
arrêter les vents, afin qu'ils ne soufflent; qui commande à tout ce
qui nous peut nuire; qui sait amollir les rochers et les écueils,
calme les orages, afin que ceux qui voguent en la mer soient
conduits au port et au repos. De même il y en a dans le monde qui
conduisent les corps comme des navires par les eaux du monde, les
uns en consolation, les autres en désolation, car la volonté des
hommes libres conduit, avec la grâce divine, quelques âmes au ciel
et quelques autres, par le péché, dans les abîmes de l'enfer.
Cette volonté donc qui ne désire rien avec plus de ferveur que
d'ouïr que Dieu est honore, ni ne veut vivre que pour pouvoir servir
Dieu, oui, celle-la plait a Dieu, car Dieu demeure en une telle
volonté avec délices et contentement, et détourne tous les dangers
qui la menacent, rend les écueils doux, au milieu desquels une âme
serait autrement souvent en danger.
Or, que sont les écueils, sinon les mauvais désirs ? Car il est
plaisant et délectable de voir les professions du monde, de les
avoir et de se contenter des honneurs corporels, et de goûter tout
ce qui délecte la chair, car en telles choses, l'âme se met souvent
en danger. Mais lorsque Dieu est dans le navire, toutes choses se
calment, et l'âme méprise les écueils et les orages.
Toute beauté terrestre est semblable à une vitre peinte par dehors ,
qui est au-dedans toute pleine de terre. Or, la vitre étant cassée,
ne sert à rien plus qu'à retourner à sa première nature, qui est
terre noire, qui n'est créée pour autre fin que pour en acheter le
ciel.
Partant, tout homme qui ne désire non plus ouïr ses louanges ni
celles du monde qu'ouïr souffler un air pestiféré, qui mortifie son
corps et ses appétits, et déteste la volupté abominable de la chair,
peut demeurer en repos et veiller joyeusement, car Dieu est à toute
heure avec lui.
Sainte Brigitte se plaint devant la Majesté impériale de ce que
quatre sœurs , filles du Roi Jésus-Christ : l’humilité ,
l’abstinence , la pauvreté et la charité (hélas ! quel malheur !)
sont maintenant réduites à néant , et les sœurs , filles du diable ;
la superbe , la délectation , la superfluité et la simonie , sont
appelées dames, etc.
CHAPITRE 45
Je me plains , non
seulement de ma part , mais aussi de la part de plusieurs élus de
Dieu , et ce , devant votre Majesté royal . Il y avait quatre chères
sœurs du Roi tout puissant , une chacune desquelles avait son siège
et sa puissance en son patrimoine . Quiconque jetait les yeux sur
leur beauté et sur leur éclat , recevrait une indicible consolation
, un grand contentement de leurs bons exemples et de leur dévotion.
La première s’appelait sœur Humilité , duite en la disposition et
ordre de tout ce qu’il fallait faire . La deuxième sœur s’appelait
sœur Abstinence , exempte et affranchie de toute pernicieuse
conversation . La troisième sœur était nommée Contente de peu ,
exempte de toute sorte la superfluités.
La quatrième sœur est Charité , qui paraît en toutes les
tribulations du prochain.
Or , maintenant , ces quatre sœurs sont méprisées et bannies de
leurs héritages , aux trônes et siège desquelles ont succédé quatre
sœurs illégitimes , qui sont engendrées de la volupté , et sont
maintenant appelées dames.
La première de celle-ci s’appelle Superbe , qui s’occupe à plaire au
monde . La deuxième est Plaisir , suivant les appétits déréglés de
la chair . La troisième est Superfluité , par dessus toute nécessité
. La quatrième dame est Simonie , de la déception de la quelle peu
de gens se gardent , car soit que ce qu’elle reçoit soit juste ou
injuste , elle reçoit tout avec une cupidité insatiable.
Ces quatre dames parlent contre les commandements de Dieu , les
voulant rendre vains et les annuler, et donnent à plusieurs âmes
occasion de se perdre éternellement . Partant , mes sœurs , faites ,
par un mouvement d’amour et de charité , comme Dieu fit pour vous ,
et aidez à ces quatre sœurs qui s’appellent vertus , qui sont
sorties de la vertu de Jésus-Christ , souverain Roi , qui sont
maintenant opprimées en la sainte Eglise , qui est le patrimoine de
Jésus-Christ , afin qu’elles soient bientôt élevées et exaltées en
leurs trônes , et afin que les vices , qui sont appelés dames au
monde , soient déprimés , abaissés et anéantis , qui sont traîtres
des saintes âmes , d’autant que ces dames sont nées du vice , ce
diable traître et méchant.
Sainte Brigitte avertit quelque seigneur de faire restitution de ce
qu’il avait injustement acquis . De la voix de l’ange qui fulminait
un arrêt cruel et formidable contre lui.
CHAPITRE 46
Seigneur je vous
avertis du danger proche où est votre âme , vous remettant en
mémoire ce qu’on lit en la sainte Ecriture , au vieux Testament ,
d’un roi (Achab) qui , ayant désiré la vigne d’un autre homme
(Nabot) . lui en donnait le prix et la valeur ; mais d’autant que le
possesseur la vendait à regret , le roi , indigné de cela , usurpa
la vigne par violence et par injustice , et le Saint-Esprit lui
parla par la bouche d’un prophète , condamnant à une mort très
cruelle et misérable le roi et la reine , pour avoir commis une
telle injustice , ce qui fut entièrement accompli en eux ; et ses
enfants ne se sont pas réjouis de la possession de cette vigne.
Maintenant donc , puisque vous êtes chrétien ; puisque vous avez
l’intégrité de la foi , et savez que le même Dieu qui était alors ,
est encore , et qu’il est aussi puissant et juste qu’il l’était
alors , vous devez savoir sans doute qu’il vengera puissamment , et
jugera justement ce que vous tiendrez injustement , ou en
contraignant le possesseur à vendre contre sa volonté , et le payant
aucunement . Vous devez craindre avec douleur et anxiété qu’un si
formidable jugement ne vous arrive tel qu’il arriva à cette reine (Jésabel)
, et que vos enfants n’en soient pas plus riches , mais bien plus
pauvres et affligés.
Je vous exhorte donc , par la passion de Jésus-Christ , qui a
racheté votre âme par son sang , que vous ne la perdiez pour des
choses passagères et périssables , mais que vous restituiez et
satisfassiez pleinement tout ce que vous aurez mal acquis , pour la
consolation du prochain qui en est incommodé , et pour l’exemple
d’autrui ,si vous voulez obtenir l’amitié de Dieu.
Dieu m’est témoin que je ne vous écris pas ceci de moi , car je ne
vous connais point ; mais je vous écris ce qui a été révélé à une
personne qui a été contrainte de vous l’écrire par compassion divine
, car cette personne ne dormait pas , mais elle veillait et elle a
ouï en ses oraisons la voix de l’ange disant : Ourse , Ourse , que
vous êtes trop audacieuse contre Dieu et sa justice ! Votre volonté
a vaincu en vous la conscience , de sorte que votre volonté parle et
opère , et votre conscience se tait . Partant , vous viendrez
bientôt devant le jugement de Dieu , et votre volonté tiendra
silence ; votre conscience parlera , et vous jugera elle-même selon
la justice et l’équité.
Le Fils de Dieu dit à son épouse sainte Brigitte comment nous nous
devons donner garde des tentations du diable , et en quelle manière
le diable est désigné par l’ennemi ;Dieu par la poule ; sa puissance
et sa sagesse par les ailes ; sa miséricorde par les plumes , et les
hommes par les poussins.
CHAPITRE 47
Jésus-Christ parle :
Quand l’ennemi heurte à la porte , vous ne devez pas faire comme les
chèvres , qui courent aux murailles , ni comme les béliers , qui se
battent avec leurs cornes ; mais soyez comme les poussins , qui ,
voyant en l’air l’oiseau de rapine , s’enfuient sous les ailes de la
poule , leur mère , pour s’y cacher et y être protégés ; qui , bien
qu’il ne puissent prendre qu’une plume et se cacher sous elle , s’en
réjouissent grandement.
Or , quel est cet ennemi , sinon le diable qui porte une envie
enragée à toutes nos bonnes actions , l’office duquel est de pousser
à mal l’esprit de l’homme , et de l’émouvoir par des tentations et
des suggestions malheureuses ? Il le pousse par colère , quelquefois
par impatience , par médisance et jugements téméraires , qui sont
réservés à Dieu seul , quand toutes choses ne succèdent selon ses
désirs ; voire fréquemment il l’émeut , le pousse et l’inquiète
importunément par des pensées diverses et innombrables , afin que ,
par icelles , il puisse arracher , ou bien distraire les âmes du
service de Dieu , et afin que les bonnes œuvres soient cachées
devant Dieu.
Partant , quelles que soient vos pensées , vous ne devez quitter
votre place ni être semblable aux chèvres courant aux murailles ,
c’est-à-dire , demeurer en l’endurcissement de votre cœur , ou bien
juger les œuvres d’autrui dans vos cœurs , car souvent , celui qui
est mauvais aujourd’hui sera bon demain . Mais vous devez abaisser
votre puissance , l’arrêter et écouter les volontés divines , en
vous humiliant et craignant , ayant patience en vos adversités , et
priant Dieu afin que ce qui a été mal commencé finisse bien.
Vous ne devez pas non plus être comme les béliers , qui secouent et
éventent leurs cornes , c’est-à-dire , rendre parole pour parole ,
opprobre pour opprobre , mais vous vous devez arrêter constamment
sur vos pieds et vous taire , en retenant fortement les passions
déréglées de la chair , afin qu’en parlant et répondant , vous ayez
prémédité ce que vous dites , et fais violence avec patience et paix
aux passions ; car c’est aux hommes justes de se vaincre eux-mêmes ,
et de s’abstenir des paroles licites , pour éviter le babil ,
l’offense et le péché ; car celui qui , se trouvant et se sentant
intérieurement ému , épanche par parole ou quelque autre action ,
son sentiment , semble en quelque manière s’être vengé de soi-même ,
et avoir manifesté la légèreté et l’inconstance de son esprit. C’est
pourquoi il sera privé de la couronne , puisqu’il n’a voulu avoir
patience pour quelque peu de temps , par laquelle il eût gagné son
frère qui offensait , et eût préparé pour lui une plus grande
couronne.
Or , que sont autre chose les ailes , sinon la puissance et la
sagesse divines ? car je suis comme une poule qui défend puissamment
des lacets du diable , provoque et excite sagement au salut par mes
inspirations , les poussins qui courent en désirant la protection de
mes ailes . Que signifie la plume , sinon ma miséricorde ? Qui
l’obtiendra sera autant en sûreté qu’un poussin qui est échauffé
sous les ailes de sa mère . Soyez donc comme des poussins courant à
mes volontés : en toutes les tentations et contradictions , dites :
La volonté de Dieu soit faite , tant en mes parole qu’en mes œuvres
, car je défends de ma puissance ceux qui se confient en moi ; je
les recrée et les réjouis de ma miséricorde ; je les soutiens de ma
vertu , les visite de mes consolations , et les récompense au
centuple par mon amour.
Jésus-Christ parle à son épouse de quelque roi ; comment il doit
augmenter l’honneur de Dieu et dilater son amour et sa charité aux
âmes . De la sentence , s’il ne le fait pas.
CHAPITRE 48
Le Fils de Dieu parle ,
disant : Si ce roi me veut honorer , qu’il diminue en premier lieu
le déshonneur qu’il me fait , et qu’il augmente mon honneur . Mon
déshonneur est en cela que ma parole et mes commandements sont
méprisés et tenus pour néant par plusieurs.
Si donc il me veut aimer , qu’il ait maintenant plus de charité pour
les âmes de tous , pour lesquelles j’ai amoureusement répandu mon
sang pour leur ouvrir le ciel . Or , qu’il désire plus le repos
qu’on a avec Dieu que de dilater et amplifier son patrimoine , car
de la sorte , il aura plus de plaisir , plus de grâces et de secours
que s’il avait reconquis Jérusalem , où mon corps a été enseveli.
Dite-lui encore , vous qui oyez ceci , que je permets qu’il soit
couronné ; c’est pourquoi il doit plus que tous suivre mes volontés
, plus que tous m’honorer et m’aimer sur toutes choses . Que s’il ne
le fait pas , ses jours seront abrégés . Ceux aussi qui l’aiment
charnellement seront séparé de lui avec peine et tribulation , et
son royaume sera partagé et divisé en plusieurs parcelles.
La vision de l’épouse sous la figure de l’Eglise . Son explication ,
où sont expliqués les moyens et l’état que le pape doit tenir à
l’égard des autres cardinaux et prélats de notre sainte Mère l’Eglise
, et principalement de l’état d’humilité.
CHAPITRE 49
Il semblait à une
personne qu’elle était en un grand chœur , ou apparurent un grand
soleil éclatant et deux sièges , et comme un prêcheur , l’un à
gauche , l’autre à droite , éloignés du soleil d’une grande distance
; et deux rayons sortaient du soleil , dardant sur les chaires .
Lors on oyait une voix du siège qui était à gauche , disant : Salut
éternellement au Roi , Créateur , Rédempteur et juste Juge ! Voici
votre vicaire , qui est assis en votre siège au monde . Il a mis son
siège au lieu où était anciennement le siège de saint Pierre ,
premier pape et prince des apôtres.
La voix qui sortait du siège qui était à droite , répondit , disant
: Comment pourra-t-il entrer dans l’Eglise , où les trous des gonds
sont tout plein de rouillure et de terre ? C’est pourquoi les portes
sont comme abattues à terre car dans les trous , il n’y a point de
lieu où les crochets se puissent attacher pour soutenir les portes ;
les crochets sont aussi tout droits , sans être courbés pour
s’accrocher aux portes . Le pavé est plein de grands fossés , comme
de puits qui n’ont point de fond . Le toit est enduit de poix et
brûlé d’un feu de soufre , distillant comme une pluie épaisse . Les
murailles sont si noires et si difformes de la noirceur épaisse qui
s’élève de l’abîme des fossés et de ce qui distille du toit ,
qu’elles semblent peintes de sang corrompu et d’une pourriture
puante , c’est pourquoi l’ami de Dieu ne doit point habiter en un
tel temple.
La voix qui était à gauche répliqua : Exposez-nous et expliquez-nous
spirituellement ce que vous avez dit corporellement.
Lors la voix dit : Le pape est signifié par les poteaux et leur est
comparé . Par les trous des gonds est marquée l’humilité , qui doit
être tellement vide de toute superbe , qu’il n’y ait point d’autre
apparence que l’humilité pontificale , de même que le trou doit être
entièrement vide de rouillure . Mais maintenant , les trous ,
c’est-à-dire , les livrées et les marques insignes de l’humilité ,
sont pleins de superfluités , de richesses et d’acquisitions , qui
ne servent à autre chose qu’à nourrir la superbe , où rien d’humble
ne paraît , mais toute l’humilité est couverte et changée en pompe
mondaine.
Partant , ce n’est pas de merveille si le pape est comparé aux
portes : il est tout penché vers les choses mondaines , marquées par
la rouillure et par la terre . Partant , que le pape commence
d’embrasser l’humilité en soi-même , en son apparat , en ses
vêtement , en l’or , en l’argent , en ses vases , en ses chevaux et
autre ustensiles , prenant de tout cela le seul nécessaire , donnant
le reste aux pauvres , et spécialement à ceux qu’il connaîtra être
amis de Dieu . Après , qu’il ordonne sa maison avec modération ;
qu’il ait des serviteurs autant qu’il en est nécessaire pour garder
sa vie , car bien qu’il soit en la main de Dieu de l’appeler en
jugement quand il voudra , il est néanmoins juste et équitable qu’il
ait des serviteurs pour affermir la justice , afin que ceux qui
s’élèvent contre Dieu et L’Eglise soient humiliés.
Les cardinaux sont signifiés par les crochets qui sont conjoints aux
portes , qui sont étendus et diffus autant qu’ils peuvent dans les
amplitudes de la superbe , cupidité et volupté de la chair.
Que le pape donc prenne le marteau et les ciseaux, et qu’il
fléchisse les cardinaux à ses volontés, ne leur permettant pas
d’avoir tant de vêtements, tant de serviteurs et tant de meubles,
sinon tout autant que la nécessité le requiert et que l’usage de la
vie le demande. Qu’il les fléchisse avec les ciseaux, c’est-à-dire, qu’il leur parle doucement, avec le conseil divin , avec une
paternelle charité.
Que s’ils ne veulent obéir , qu’il prenne le marteau , leur montrant
sa sévérité, faisant tout ce qu’il pourra, pourvu qu’il ne soit
contre la justice, jusqu’à ce qu’ils obéissent à ses volontés.
Les évêques sont signifiés par le pavé , comme aussi les clercs , la
cupidité desquels n’a point de fond , de la superbe et de la vie
luxurieuse desquels sort une fumée, à raison de quoi ils sont
abominables à tous , aux anges au ciel, et aux amis de Dieu en
terre. Le pape peut amender en plusieurs évêques tous ces
déborde-ment, permettant à un chacun d’avoir seulement le nécessaire
et non le superflu, et qu’il commande aux évêques d’avoir soin de
la vie des prêtres et de les tenir continents ; qu’il les prive de
leur prébendes, s’ils ne s’amendent.
Certainement, Dieu aime plutôt qu’en ce lieu il n’y ait point de
messes, que si des mains polluées touchent le corps de Dieu.
Il est ici traité d’une vision admirable que sainte Brigitte eut du
jugement de plusieurs personnes qui vivaient encore , ou elle ouït
que si les hommes amendaient leurs péchés, Dieu adoucirait son
jugement.
CHAPITRE 50
Il me semblait comme si
un roi était assis en son tribunal de justice, et que toute
personne vivante était auprès de lui , ayant des deux côtés comme
deux hommes : l’un semblait un soldat armé, l’autre comme un Ethiopien noir. Devant le jugement était un pupitre ou était un
livre en même disposition que je l’ai vu au Livre VIII, chapitre
XLVIII. J’ai vu aussi que quasi tout le monde était devant ce
pupitre. Lors j’ouïs le Juge, qui disait au soldat armé : Appelez
celui-là que vous avez servi avec tant de charité. Et soudain
tombèrent tous ceux qui furent nommés, dont quelques-uns
demeurèrent longtemps gisants à terre, quelques autres moins ,
avant que leurs âmes fussent privées du corps.
Or , je n’ai pu comprendre ni ne puis dire tout ce que je vis et
j’entendis, car j’ouïs la sentence et le jugement de plusieurs qui
vivaient encore, qui seront appelés bientôt. Néanmoins, le Juge
me l’a dit avec condition que si les hommes amendaient leurs péchés
, il adoucirait son jugement. J’en vis aussi juger plusieurs,
quelques-uns au purgatoire ; quelque autres furent condamnés aux
malheur éternels.
Il est ici traité d’une vision terrible et formidable d’une âme
présentée devant le Juge ; des oppositions de Dieu ; du livre du
jugement contre elle ; des réponses de l’âme contre elle-même , et
des diverses et étonnantes peines qu’elle endure dans le purgatoire. |