LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Anna Maria Taïgi
La sainte aux sept enfants

Sergio C. Lorit

Traduit du livre italien
"TAIGI, la santa con sette figli"
(Città nuova editrice, 1964)
P. Marcel LITALIEN, o.ss.t.
Montréal, 1984

Elle triompha des vainqueurs

Elle mourut à l’aube du 9 juin 1837, au numéro 7 de la rue " Santi Apostoli ", dans le palais Righetti, après trois heures d’agonie, dans un total abandon. C’était vendredi. Elle avait 68 ans et 20 jours.

Les maladies, les tribulations et les pénitences avaient fini par réduire Anne-Marie à un tel état de prostration que, déjà, en octobre de l’année précédente, ne pouvant plus se sentir, elle fut forcée de prendre le lit. Elle ne put jamais, dés lors se relever.

Clouée à cette paillasse : des accès d’asthme, à répétition, des douleurs arthritiques et névritiques, parfois très intenses, des convulsions violentes, une perpétuelle effusion de sueurs. Elle supporta ces souffrances avec beaucoup de résignation, dans le silence, huit mois durant. Elle fit preuve d’une patience à toute épreuve ; son calme était des plus paisibles. Maman exemplaire, elle gardait, malgré tout, le gouvernail de la maison, continuait d’accueillir les gens puissants et déshérités qui persistaient à recourir à elle, pour une aide ou un conseil.

Sachant que tout était inutile pour le soulagement de ses souffrances, elle se prêtait avec docilité et bienveillance aux soins que lui procuraient ceux qui l’entouraient. Elle continuait de recevoir chaque jour la sainte communion, durant la messe célébrée dans la chapelle qu’elle avait obtenu d’aménager dans son appartement. C’était pour elle l’unique source de paix intérieure, l’unique source de consolation pour son âme.

Le 2 juin 1837, c’était encore un vendredi, une fièvre soudaine annonçait sa fin prochaine. Le docteur Paglioli se souvenait de bien d’autres fièvres qui avaient assailli sa déconcertante patiente ; il n’y attacha pas d’importance excessive : " chose insignifiante, avait-il dit, une légère fièvre passagère ". Anne-Marie lui avait souri doucement, comme pour le rassurer de son pronostic, elle laissa croire qu’elle serait apaisée. Elle était prête pour le grand voyage.

Elle s’y prépara, en arrangeant aussitôt, pour le mieux, les affaires de famille, pour se consacrer ensuite, aux choses d’en haut.

Le soir du dimanche 4 juin, la fièvre reprit et cette fois-ci, eIle était maligne. Après une nuit affreuse, le matin du 5, à peine Anne-Marie avait-elle reçu la communion, qu’elle commença à entrer dans le coma de l’agonie. Elle était, en réalité, entrée dans le mystère d’une ineffable apparition céleste, quand à l’improviste, son mari et ses enfants inquiets, autour de on lit, craignaient de recueillir d’un moment à l’autre, l’instant fatal du dernier soupir. Elle se ranima, une lumière d’incroyable béatitude dans ses pauvres yeux, demi-éteints. " Appelez-moi immédiatement Mgr Natali ", demande-t-elle.

Le bon prêtre accourut aussitôt et les personnes entourant le lit durent se retirer. Anne-Marie lui confia le poids du dernier secret que, depuis lors, elle gardait pour elle seule, dans le silence de son coeur : le secret de la date de sa mort, elle le lui confia comme elle lui avait confié tous les autres secrets du ciel, avec un sourire radieux.

Le jour suivant, mardi le 6 juin, la fièvre grimpa au-delà de toute mesure, et la souffrance d’Anne-Marie atteignit des degrés élevés dans l’échelle de la douleur physique. Face à cette situation qui menaçait d’empirer d’un moment à l’autre, le médecin voulut tenter ce qui était encore possible, la prescription de médicaments plus violents, plus pénibles à supporter ; la malade savait très bien que ces moyens drastiques, comme tous les autres qui avaient été employés, s’avéraient inutiles, parce que son état était déjà fixé dans le grand livre de Dieu. Toutefois, pour ne pas entrer en contradiction avec le bon docteur, pour ne pas laisser chez ses fils et ses filles, son mari, le regret de ne pas lui avoir assuré tous les soins possibles, elle abandonna totalement son pauvre corps crucifié par la souffrance, à la dernière torture de la science.

Le lendemain, mercredi le 7 juin, il apparut très évident à tous qu’il valait mieux lui épargner ce martyre. Le mal, en effet, plutôt que de s’apaiser, s’aggravait inexorablement, d’heure en heure.

La maison Taïgi tint donc conseil et décida qu’il était opportun, ce matin-là, de lui faire apporter le Viatique de l’église Sainte-Marie " in-via-Lata ", plutôt que de la faire communier privément, comme d’habitude. Il en fut ainsi.

Elle passa une autre journée et, l’après-midi du 8 juin, quelqu’un frappa à la porte avec discrétion. Sophie alla ouvrir et elle se trouva face à face avec le cardinal Pedicini.

Que voulait Son éminence, de la pauvre moribonde ? Lui parler encore, si c’était possible. Anne-Marie fit avancer une chaise, la plus belle de la maison, tout prés de son lit. Le colloque qui suivit, dura plus d’une heure. Ce fut la dernière conversation de cette humble femme du peuple avec un prince de l’Église.

Le soir, les souffrances physiques s’accrurent encore, de façon indicible ; l’angoisse de la fin atteignit le fond du calice amer. Elle se tut jusqu’à ce que lui revienne la force d’esquisser un sourire sur son visage. De crainte que cette force s’évanouisse, plus occupée des autres que d’elle-même, elle voulut que les siens s’éloignent de sa chambre afin que son état ne les afflige pas.

Monseigneur Natali s’entretint seul à seule avec elle, pour un peu de temps. " Comment êtes-vous ? " lui demanda-t-il. " Ce sont des peines de mort ", lui répondit-elle, à demi-voix.

" Que ta volonté soit faite ", lui chuchota le bon prêtre. " Sur la terre comme au ciel ", ajouta-t-elle. Et ce fut sa dernière réponse.

Monseigneur Raphaël Natali rejoignit les autres dans la cuisine, et, ensemble, ils prirent les dispositions nécessaires pour qu’Anne-Marie fut assistée, réconfortée par beaucoup d’amour, beaucoup d’attention, jusqu’à son dernier soupir. Des charges furent attribuées à chacun, à chacune. L’un alla à la maison voisine de la " Madelena ", chez les fils de saint Camille de Lellis, des prêtres voués au service des malades. Un autre se rendit au couvent des Carmes, pour appeler le Père Filippi uigi, dernier confesseur d’Anne-Marie. Un troisième, par la rue " del Corso " entra à " Santa-Maria-in-Via-Lata ", pour demander le vicaire dom Luigi Antonini.

Mais l’homme propose et Dieu dispose. Ce dernier en avait décidé autrement. On sait qu’il voulait que cette humble femme déjà souffrante, franchisse les étapes de la passion de Jésus, de Gethsémani au Calvaire, l’imite aussi dans les trois dernières heures d’abandon sur la Croix.

Les Camilliens vinrent, de fait ; mais leurs experts jugèrent qu’elle pourrait vivre encore quelque temps et s’en retournèrent à leur couvent, convaincus que leur présence n’était pas indispensable pour le moment. Son confesseur ne vint pas parce que, dit-on, les règles carmélitaines ne permettaient pas d’aller hors du couvent, durant la nuit.

Le vicaire de Sainte-Marie-in-Via-Lata vint, au contraire, mais croyant qu’il valait mieux laisser la patiente tranquille, il se retira dans une autre salle pour lire son bréviaire.

Le vieux Monseigneur Natali qui avait veillé sans cesse, jour et nuit, les derniers temps, au chevet de la malade, et avait dû pourvoir personnellement à tous les besoins de la maison au moment où personne n’y pensait, parce qu’on était aux prises avec l’angoisse, fut invité par les Taïgi à s’allonger quelque peu sur un lit, pour s’accorder un moment de sommeil, s’il voulait pouvoir être sur pied, le lendemain.

Les Taïgi, de leur part, fils et filles, neveux et nièces, adoptèrent des attitudes différentes : les uns décidèrent d’aller se reposer, les autres de veiller dans la cuisine, obéissant à la maman qui les avait éloignés de sa chambre.

Ainsi, deux femmes seulement demeurèrent en service, dans la chambre d’Anne-Marie. Mais les deux femmes avaient accepté l’opinion des Pères Camilliens qui prétendaient que cette pauvrette ne mourrait pas à l’instant ; elles la voyaient calme et tranquille ; elles se placèrent dans un coin et se mirent à converser à voix basse, de leurs faits et gestes, sans trop se préoccuper de la malade.

Mais voici que, " vers les quatre heures de la nuit, racontera Monseigneur Natali, je me suis senti fortement poussé à me lever en toute hâte, comme je le fis. Je courus à la chambre de la malade qui était alors à l’extrémité. J’en avertis immédiatement le vicaire et on commença aussitôt les prières de la recommandation de l’âme. Les prières étaient à peine terminées, qu’au milieu d’une invocation au Sang très précieux de Jésus, à l’égard duquel la moribonde avait toujours eu une dévotion particulière, elle rendit son âme bienheureuse à Dieu ; il était quatre heures et demie du matin, un vendredi, comme elle l’avait prédit ".

" Ainsi, conclura l’excellent prêtre, confident fidèle et discret d’Anne-Marie Taïgi, se vérifiera tout ce que la servante de Dieu avait annoncé d’elle-même, plusieurs années auparavant, relativement à sa mort. Elle me dit, en effet, les premières années au cours desquelles j’ai pu faire sa connaissance, qu’à sa mort, elle serait abandonnée de tous, comme le Seigneur le lui avait laissé entendre, plus d’une fois. En d’autres occasions, elle m’assurait que je serais là, présent. Je ne pus alors mettre en harmonie ces deux assertions contradictoires. Les événements ayant eu lieu, j’en saisis très bien l’explication.

On dirait une règle, à lire l’histoire des saints, celle de ceux qui suscitèrent à leur mort un mouvement impétueux de commotion pour rassembler des foules imposantes de citadins venant de partout, que souvent leurs funérailles se transformaient en de réels triomphes, en apothéose irrésistible, comme si les villes où ils vécurent et les terres qui les connurent, désiraient participer, elles aussi, ici-bas, à l’allégresse céleste.

Anne-Marie échappa à cette règle ; il fut écrit qu’elle devait roter son époux céleste jusque dans l’humilité de la sépulture ; la nouvelle de sa mort traversa, en effet, le petit portail du numéro 7 de la " via Santi Apostoli " pour atteindre deux ou trois de ses nombreux admirateurs, un bon nombre de ses favorisés.

Les vendredi et samedi, alors que la dépouille mortelle, revêtue des habits mi-mondains, mi-religieux, un petit crucifix de cuivre dans ses mains croisées sur la poitrine, demeura exposée dans la chambrette où elle expira. Peu de gens apparurent à la porte de la maison Taïgi, pour réciter un " requiem " ou pour donner, ne fut-ce que de façon furtive, une parole de consolation, aux familiers éprouvés par une telle perte.

Il faut savoir, pour se rendre compte du fait, que les autorités de Rome et des environs, les gouvernants, avaient été amenés, en raison de la crainte, de la peur, qui se répandaient dans la population, à prendre des mesures très sévères contre toute menace de contagion, à suggérer à la population d’agir avec beaucoup de précaution. On suggérait de ne pas mettre les pieds dans une maison où quelqu’un était mort, sans qu’elle ait d’abord été désinfectée. Cela, non seulement pour éviter toute contagion, mais aussi pour échapper à la tristesse.

Il est indispensable, pensaient les médecins, " de se distraire avec des idées plaisantes et indifférentes ". Ce qui importait le plus, pour fuir l’épidémie, c’était de lui opposer la barrière d’un moral très élevé.

Si c’étaient les dispositions du gouvernement et les suggestions de la science de l’époque, les gens, de leur part, poussèrent la prudence jusqu’à éviter, à fuir comme pestiférés tous ceux qui, en ces jours, vivaient quelques décès au sein même de leur famille, quelle qu’en ait été la cause.

Cette situation explique de façon très compréhensible la raison pour laquelle la familleTaïgi s’appliqua à tenir cachée la mort d’Anne-Marie ; " abandonnée par ses amis, terrée dans la misère, raconte le cardinal Pedicini, elle préférait passer quelques jours enfermée à l’intérieur de sa modeste demeure ".

Monseigneur Natali profita de ces deux jours pour faire prendre, dans la cire, le masque, le haut du buste de la défunte. Le soir du samedi 10 juin, la dépouille mortelle fut déposée dans un cercueil de bois et une fausse tombe de fer blanc, contenant un court mémoire rédigé par le prêtre ami lui-même. À la nuit tombante, elle fut transférée dans l’église voisine de Santa-Maria-in-Via-Lata où elle demeura toute la journée du dimanche, gardée en cachette par quelques parents, ignorée de plusieurs, inconnue de presque tous.

Les dispositions des autorités exigeaient, de fait, qu’aucun cadavre ne quitte la maison avant d’être enfermé dans une caisse et ne doive pas être exposé. " Pour cette raison, raconte le cardinal Pedicini, non seulement on ne pouvait pas voir la dépouille mortelle, mais le peuple ne pouvait même pas savoir qui ce fut. On ne devait risquer aucune curiosité, ni rechercher quoi que ce soit, par crainte de la colère, de l’épouvante, qui étaient tellement grandes, lorsqu’on rencontrait sur son chemin, un cadavre porté à l’église. Non seulement, on ne cherchait pas à savoir qui il était, comme la chose est arrivée, mais on cherchait tout de suite à quitter la rue, par crainte de contacter le miasme, de quelque nature qu’il fut, de donner la moindre prise à la peste tellement redoutée ".

Le soir de ce même dimanche 11 juin, les premières ombres étant déjà répandues sur la ville, le cercueil de bois, fut introduit dans un cercueil de plomb qu’un magistrat scella soigneusement. Puis, un petit groupe de personnes, en ordre disparate, afin de n’être pas remarquées, l’accompagna jusqu’au cimetière du Verano où par la volonté du pontife Grégoire VI lui-même, un lieu de choix l’attendait.

En effet, la nouvelle de la mort d’Anne-Marie Taïgi à peine connue, le cardinal Pedicini s’était empressé d’écrire au vicaire de Sa Sainteté, le cardinal Odescalchi, une longue lettre dans laquelle il disait, entre autres choses : " Ayant plu à Dieu de rappeler à l’éternel repos l’âme d’Anne-Marie Taïgi, domiciliée au numéro 7 de la " via Santi Apostoli " que le soussigné Cardinal, vice-chancelier, a eu la chance de fréquenter et de connaître, d’admirer ses vertus autant que ses dons extraordinaires de lumières singulières, qui lui sont venus de la part de Dieu ; des dons qui l’ont abondamment enrichie, si on la compare à d’autres grands saints. Des centaines de preuves existent, au sujet de l’authenticité de ces dons qu’elle mettait au service des affaires publiques de l’Église et du monde. Tout était indiqué avec une grande précision, bien avant que se produisent les événements qui se réalisaient conformément à ses prédictions, aux détails qui les accompagnaient. On ne peut attribuer qu’à Dieu les dons extraordinaires qu’elle possédait. Le cardinal qui vous écrit, croit qu’il est de son devoir de porter le fait à la connaissance et à la piété religieuse de votre Eminence, pour que la dépouille de cette âme remarquable qui fut sa compagne dans l’exercice de tant de vertus, ait des égards particuliers qui se sont pratiqués dans des cas semblables, des cas qui, de fait, ne sont pas fréquents ".

Le cardinal Odescalchi référa immédiatement, la chose au pape qui donna, sans tarder, l’instruction que la dépouille d’Anne-Marie serait placée le plus prés possible de la chapelle du cimetière, du côté de l’Évangile, près de la marche de la porte.

Dans les jours qui suivirent, pendant que les fils faisaient installer une plaque de marbre blanc, sur la tombe, une plaque sur laquelle, sous la croix rouge et bleue des trinitaires, on avait inscrit : " Anne-Marie Antonia Gésualda Taïgi, née Giannetti, à Sienne, le 20 mai 1769, décédée à Rome, le 9 juin 1837, tertiaire déchaussée de l’Ordre de la Sainte-Trinité ". Le cardinal Pedicini apprit que les conditions financières de la famille Taïgi étaient précaires. Toute la maisonnée devait survivre avec quatre écus, le reste du mois, pendant que les dettes atteignaient 200 écus : pour le médecin, les funérailles, le masque et le buste de cire, les deux cercueils, l’acte notarié, la pierre tombale.

Le cardinal se faisait pourvoyeur ; il envoya sur la " via Santi Apostoli ", son maître de chambre, avec cinquante écus, " en mémoire de la disparue ". Il envoya aussi, certaines personnes de Milan et de Turin, demeurées tout à fait inconnues. Ces personnes faisaient parvenir des offrandes généreuses, des offrandes qui permirent de solder les dettes.

La Providence ne manqua jamais de veiller sur la pauvreté de la maison Taïgi. Elle veilla de façon particulière sur Sophie qui se préoccupait, avant la mort de sa mère, de l’avenir de ses enfants. Anne-Marie l’avait rassurée.

Dix-neuf ans après, le 31 mars 1856, le procès informatif sur la renommée des vertus et la sainteté d’Anne-Marie eut lieu. On procéda à l’exhumation de sa dépouille pour l’identification et la translation, à l’intérieur des murs de la cité.

" La planche qui fermait le cercueil de bois fut enlevée et, comme il est écrit dans l’acte légal de reconnaissance, le cadavre tout entier, recouvert de ses vêtements, se montra à tous ".

Puisque en ce temps, le corps d’Anne-Marie Taïgi, tertiaire déchaussée de l’Ordre des trinitaires, était réclamé soit par les trinitaires espagnols de Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, soit par les trinitaires italiens de la basilique Saint-Chrysogone au Transtévère, pour ne pas léser les uns et les autres, la nuit du 11 juin 1856, elle fut ensevelie dans l’église de Santa Maria della Pace ", dans un sépulcre fermé par un marbre, portant l’inscription : " Ici repose la servante de Dieu, Anne-Marie Taïgi ".

Huit ans après, le pape Pie IX l’honora du titre de vénérable. C’était, selon la règle du temps, le premier pas sur la voie de la glorification.

Entre-temps, l’autorité ecclésiastique reconnaissait le droit incontestable des trinitaires italiens, parce qu’il revenait aux Italiens de conserver la dépouille mortelle de l’Italienne Anne-Marie Taïgi. Ainsi, au cours de la nuit du 10 juillet 1865, le corps était définitivement transférée au delà du Transtévère, dans l’antique basilique de Saint-Chrysogone.

Finalement, le 30 mai 1920, le jour même où l’église célébrait la fête de la Sainte Trinité, l’humble femme du peuple, femme de maison, mère de famille et tertiaire déchaussée, eut une grandiose apothéose ; elle connut, dans sa ville d’adoption, le triomphe des saints. Tout Rome qui, depuis quelque temps, parlait de ses miracles, parut vouloir converger vers Saint-Pierre, pour assister à l’acte de sa béatification.

" C’est une mère de famille, avait déjà dit d’elle le pape Benoît XV, qui se présente, après avoir été l’ange consolateur de ses parents, après avoir édifié ses compagnes d’études, après avoir dépensé utilement ses années d’adolescence, en travaux et en services propres à son état et à sa condition. Elle peut servir de modèle à ceux qui n’ont pas encore quitté le foyer domestique. C’est une mère de famille à qui n’a jamais souri une grande aisance ; sa jovialité calme et paisible rendait alors inexcusables toutes ces mères qui disaient ne pouvoir atteindre la piété, ne pouvoir s’abstenir de continuelles lamentations, à cause de leur pauvreté et de leurs misères. Elle est une mère de famille sur qui pesait lourdement l’assistance de ses vieux parents, le soin d’un mari pas toujours aimable, l’éducation d’une nombreuse progéniture. Oh ! Comme elle fut admirable, l’affabilité avec laquelle Anne-Marie répondait aux exigences des vieux parents ; elle vainc le mal par le bien, et gagne le coeur de son mari. Elle éduque ses enfants en leur prodiguant beaucoup d’affection, évitant de leur infliger des sentiments de peur ou de crainte. Elle est une mère de famille qui ordonne bien sa maison, n’abandonne pas ses devoirs envers chacun, trouve le temps et le moyen de visiter les pauvres, les malades, de se faire toute à tous ".

C’est la page indubitablement la plus maigre de l’allocution de Benoît XV, parmi les nombreuses que j’ai eu le loisir de lire, à l’exaltation d’Anne-Marie Taïgi. C’est en même temps la page la plus efficace qu’on peut écrire pour présenter notre protagoniste dans ses traits les plus purs, dans son aspect le plus humain, dans sa valeur la plus authentique, dans son essence la plus vraie : femme du peuple, épouse et mère comme le sont des millions d’autres épouses et d’autres mères, et toutefois lumineuse, d’une lumière du paradis, non pas tant par les dons surnaturels par lesquels le ciel a voulu la récompenser abondamment, que par cette sainteté acquise instant par instant, avec les minimes actions journalières, imprégnées de respect affectueux envers les parents, d’amour compréhensif à l’égard du compagnon de sa vie, de patience dans l’éducation des fils et des filles, des petits-enfants, de modestie dans les occupations domestiques avec le balai et au milieu des casseroles, de charité sans bornes pour le prochain. Oui, la sainteté, en somme, à la portée de toutes les mères de famille. Que toutes sachent, comme Anne-Marie, se faire toutes à tous.

Accrochons-nous à cette essentielle présentation faite par un pape, à la chrétienté entière, et nous goûterons les pages de Louis Veuillot, brillant écrivain français qui, exilé de France, respira à Rome les parfums enivrants d’Anne-Marie Taïgi.

JE VEUX MAINTENANT M’ÉLOIGNER DE QUELQUES PAS, PRENDRE CONGÉ DE LA FAÇON LA PLUS DIGNE DE CEUX QUI AURONT CONDESCENDU À LIRE CETTE COURTE ET MODESTE BIOGRAPHIE, EN AJOUTANT QUELQUES PAGES, QUELQUES RÉFLEXIONS QUI ME SONT PLUS PERSONNELLES.

" Elle était une Thérèse, une contemplative, une vraie amante. Rien de tellement plaisant, cependant, dans sa vie : un mari à servir, un homme grossier bien qu’honnête, plusieurs enfants, mille difficultés, des maladies fréquentes, des ennemis, des calomniateurs. Elle avait beaucoup à faire, dans la gouverne de sa maison ; elle y faisait non seulement régner l’ordre, mais la joie sainte. La pauvreté y habitait à demeure, mais jamais la misère n’y pénétra. Elle convertissait ses ennemis, pardonnait à ses détracteurs. Elle savait être toute, et toujours, à Dieu ".

" Elle avait été belle et gracieuse. Elle n’attendit pas que cette fleur se fanât ; dés qu’elle fut appelée, elle se rendit. Dieu l’enveloppa promptement dans l’amour, la lumière, le désir du sacrifice, la connaissance de la douleur, la contemplation de la vérité. Il donnera satisfaction à sa charité, quand elle lui demandera de guérir les malades. Il y joignait la science de la religion, à la connaissance du passé, du présent et du futur, nourrissait cette charité qu’elle ne cessait de lui demander, dans le souci qu’elle avait de la conversion des pécheurs ".

" Les dons intellectuels lui furent distribués comme par un miracle sans pareil. Peu de temps, avant qu’elle fut entrée dans la vie de perfection, elle vit apparaître un globe d’or, terne, qui devint un soleil incomparablement resplendissant, dans lequel elle voyait toutes choses. Elle connaissait avec certitude le sort des défunts. Son regard allait jusqu’aux extrémités du monde ; elle reconnaissait des personnes qu’elle n’avait jamais vues, pénétrait l’âme jusqu’au tréfond. Les choses accomplies, comme les choses futures, se révélaient à sa vie, dans les circonstances les plus détaillées. Un simple coup d’oeil lui suffisait. L’objet réclamé par sa pensée, se montrait et elle le reconnaissait. Elle voyait le monde entier, comme nous apercevons la façade d’un édifice. Les individus comme les nations, lui étaient présents. Elle discernait les causes du mal, les remèdes qui pouvaient le guérir. "

" Par ce miracle permanent et sans limites, la pauvre compagne de Dominique Taïgi, devenait un théologien, un docteur, un prophète. Jusqu’à sa mort, l’humble femme put lire dans le soleil mystérieux. "

" Les pauvres, les grands du monde, les princes de l’église venaient lui demander conseil et secours, la surprenaient au milieu des humbles services de sa maison, alors que, souvent, elle était malade. Elle ne refusait jamais son dernier morceau de pain, ni l’or plus précieux encore, de son temps. Elle n’acceptait jamais de dons, et à plus forte raison, des louanges. Les plus puissants protecteurs ne purent jamais la décider à faire sortir les siens de la condition dans laquelle ils étaient nés. Une reine, réfugiée à Rome, l’invita à accepter de l’or. Madame, lui répondit-elle, comme vous êtes naïve, je sers un Dieu qui est plus riche que vous ".

Elle touchait les malades et ceux-ci guérissaient par la puissance qui lui venait de la prière. D’autres, avertis de leur mort prochaine, mouraient saintement. Elle pratiquait de grandes austérités pour les âmes du purgatoire, et ces mêmes âmes venaient la remercier ".

" Elle souffrait dans son corps et dans son âme ; attirée instamment vers le ciel, par la véhémence du désir. Elle était ramenée et clouée sur la terre par les nombreux poids de la vie. C’était un perpétuel martyre. Mais elle savait que Dieu le voulait ainsi. Elle savait aussi, qu’elle expiait pour les autres, que Jésus l’associait à son sacrifice, qu’elle était victime avec lui. Les douleurs d’amour sont d’ineffables ivresses ".

" Pie VI mourait à Valence, Pie VII était prisonnier à Fontainebleau ; sous Grégoire XVI, réapparaissait la révolution. On disait que le règne des papes était terminé, que la loi du Christ et le Christ lui-même se mouraient, que la science aurait vite relégué parmi les chimères ce prétendu Fils de Dieu, déchiré ses maximes, injurieuses à la raison humaine ".

" Durant ce temps, Dieu suscitait cette femme qui guérissait les malades par le seul attouchement de sa main, les sortait de leur lit par la seule force de la prière. Dieu lui donnait la connaissance du passé, du présent et de l’avenir. Elle affirmait le retour de Pie VII, annonçait l’élévation de Grégoire XVI, voyait déjà Pie IX lui succéder ".

" Elle était la réponse de Dieu aux forts vainqueurs de la politique, des champs de bataille, des académies ".

   

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