CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Frère Vital Lehodey
(1857-1948)

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Le Saint Abandon

Introduction

Nous avons indiqué dans un chapitre précédent, que Dom Vital, outre la révision du Directoire Spirituel de son Ordre avait été conduit à rédiger deux autres ouvrages très importants, dont Le Saint Abandon. Certes, Dom Vital écrit d’abord pour les religieux, des cisterciens, dont il a la charge. Cependant, ce volumineux ouvrage, présenté selon un plan très clair et très méthodique, peut éclairer de nombreuses autres personnes soucieuses de se développer spirituellement. Dom Vital s’était rendu compte que même ses moines étaient peu formés au niveau de la mystique, et qu’ils avaient besoin d’être informés sur les notions d’abandon à Dieu, parfois entachées d’hérésies, comme par exemple celles du Quiétisme.

Dom Vital se devait donc d’aborder le maximum de points concernant cette notion d’abandon à la volonté de Dieu, et de donner toutes les  explications et les exemples nécessaires à la bonne compréhension de notions difficiles et généralement mal comprises. En effet, quand il s’agit de la vie spirituelle, nous savons tous que nombreuses sont, de nos jours,  les personnes qui parlent de ce qu'elles ne connaissent pas, même si elles se croient avancées dans la vie spirituelle. Ceci est notamment vrai en ce qui concerne les consolations sensibles. À plusieurs reprises j'ai osé une expérience simple; j'ai demandé à quelques amis ce qu’ils entendaient par cette expression: les consolations sensibles. Les réponses furent étonnantes et quasiment unanimes: "on n’a pas besoin des consolations sensibles." Alors, je leur ai demandé de préciser et d’exprimer ce qu’ils entendaient par ce terme; la plupart furent incapables de répondre, car ils ne savaient pas ce que signifie ce terme: consolations sensibles..

Dom Vital se sentit donc très vite obligé d'approfondir de nombreuses questions concernant la mystique et la vie d'oraison. Ensuite, poussé par le Père capucin, René de Nantes, Dom Vital commença la rédaction du Saint Abandon, en s'inspirant des écrits de grands spirituels connus, et de ses propres expériences. Cet ouvrage considérable est essentiellement un livre d'amour et de confiance. Mais il est aussi un véritable code de vie morale et religieuse; et une porte vers la sainteté.

Remarques importantes

Le Saint Abandon est un très gros ouvrage, essentiellement pédagogique, donc comportant de nombreuses redites. Il a été d'abord été écrit pour des religieux cloîtrés, dont les moines cisterciens.

Pour appuyer ses dires, Dom Vital s'appuie beaucoup sur les exemples des saints: Thérèse d'Avila, Saint François de Sales, Saint Bernard, Gemma Galgani, Saint Alphonse de Liguori, le P. Balthazar Alvarez, sainte Catherine de Gênes, Catherine de Sienne et saint Bernard, etc,...  ou sur les bons auteurs qu'il connaissait: le Père Rodriguez, dans sa Pratique de la Perfection chrétienne, le Père Saint-Jure, le Père de Caussade, etc...

"L’idéal que nous avons à poursuivre est celui-ci: d’un côté, laisser la Providence disposer de nous selon tous ses droits; et, de l’autre, ne pas gêner son action paternelle, lui apporter, au contraire, une pleine soumission passive, et toute l’intelligente et active coopération qu’elle attend de nous."  (P. Balthazar Alvarez)

Le fait que ce livre s'adresse surtout à des religieux peut troubler quelques personnes "du siècle"... Les religieux sont en effet appelés à une sainteté exceptionnelle. Mais, se trouvant le plus souvent affrontés à eux-mêmes ou à leurs seuls frères, leur vie intérieure peut être à la fois troublée ou même plongée dans de profondes ténèbres. Cependant, le but de leur vie reste toujours l'amour du Seigneur, leur apostolat ainsi que la prière pour le salut des âmes. D'où l'importance de leur sainteté personnelle.

En conséquence, tous les hommes peuvent, et même doivent, se sanctifier, quel que soit leur état de vie. Le livre de Dom Vital peut donc être d'une très grande utilité à tous ceux qui ont un vrai désir de répondre à l'appel de Dieu sur eux, et à se sanctifier.

Pour rédiger ce grand ouvrage, Dom Vital s'est appuyé sur son  expérience personnelle: les évènements qu'il vécut, les grands préceptes et les grandes vertus qui construisent une vie vraiment chrétienne, les tentations qu'il dut surmonter. Ses connaissances en matière de direction spirituelle lui furent aussi d'un grand secours. S'étant rendu compte de la méconnaissance de ses moines en matière de mystique, il s'appliqua à approfondir ces questions délicates.

Il résulte des considérations ci-dessus, que l'ouvrage de Dom Vital est un véritable traité de vie spirituelle et mystique.

Présentation de l'ouvrage

Dom Vital écrit: "L’idéal que nous avons à poursuivre est celui-ci: d’un côté, laisser la Providence disposer de nous selon tous ses droits; et, de l’autre, ne pas gêner son action paternelle, lui apporter, au contraire, une pleine soumission passive, et toute l’intelligente et active coopération qu’elle attend de nous." Pour cela il s'appuiera sur des guides confirmés: fondateurs d’Ordres, éducateurs de saints et les saints eux-mêmes. Ce sont des modèles et des maîtres ayant eu toute leur vie un parfait respect de la sainte volonté de Dieu.

Pour présenter, dans cette étude, les grandes idées de Dom Vital, nous les regrouperons suivant les principaux thèmes traités, délaissant le plan suivi par l'auteur. La synthèse réalisée, évidemment incomplète, sera plus facile à lire. Les désirs de Dom Vital en matière de vie spirituelle seront ainsi plus aisés à suivre et  à mettre en œuvre.  

Les principaux thèmes abordés

– La volonté divine

Pour Dom Vital la volonté divine est la règle suprême de notre vie, la norme du bien, du mieux, du parfait; plus on s'y conforme, plus on se sanctifie. Et pour les religieux, la volonté de Dieu est signifiée par son principal signe: la sainte Règle à laquelle répond l'obéissance, avec les ordres des Supérieurs.

– Le bon plaisir divin ou l'abandon

Le bon plaisir divin, auquel répond la conformité de notre volonté se déclare par les évènements. La Règle des religieux est pensée pour répondre aux exigences de la vie en Communauté; le bon plaisir divin, par contre, est orientée davantage vers les besoins spirituels personnels.

C'est cette conformité parfaite, amoureuse et filiale, que Dom Vital a étudiée sous le nom de Saint Abandon.

"Le saint abandon achève en nous, avec autant de force que de suavité, le détachement universel, l'amour divin, toutes les vertus. C'est la chaîne la plus puissante et la plus douce, pour captiver notre volonté sous celle de Dieu, dans une union du cœur pleine d'une humble confiance et d'une affectueuse intimité… Il nous procure un délicieux repos.

Le bon Maître révéla à sainte Gertrude la souveraine perfection d'un abandon complet au bon plaisir divin, la joie que trouve son Cœur à voir une âme se remettre aveuglément aux soins de sa Providence et de son amour."

La science de l'abandon n'est pas autre chose que la science du saint amour. "Le hasard n'est qu'un mot."

Les conditions préalables

Le Saint Abandon demande trois conditions préalables:

– le détachement universel,

– une foi vive,

– une confiance absolue en la Providence.

Dom Vital approfondit particulièrement l'obéissance et l'humilité. Il souhaite que ses lecteurs grandissent chaque jour de plus en plus dans la foi et la confiance envers la Providence.  

Même nos péchés ne peuvent pas entraver les desseins de la Providence. Dieu les a prévus et même fait entrer dans ses plans. C'est Dieu qui a tout combiné et qui est le Maître souverain des hommes et des événements. Il est notre Père infiniment sage et bon, notre Sauveur qui a donné sa vie pour nous, Il est l'Esprit d'amour.

Nous ne comprenons pas toujours la conduite de la Providence qui parfois nous déconcerte. Sachons que c'est la Sagesse de notre Père des Cieux qui nous permet de ne regarder tous les événements, agréables ou fâcheux, qu'à la lumière de l'éternité. Et si le détachement universel, la foi vive et la confiance en la Providence nous préparent admirablement au Saint Abandon, c'est l'Amour de Dieu et l'accueil de sa sainte Volonté qui l'opèrent en nous.  Dom Vital écrit: "Cette sainte et adorable volonté, de signe ou de bon plaisir, si nous savions la voir toujours, l'approuver toujours, nous y attacher toujours, l'accomplir de tout notre cœur, avec amour et fidélité, comme les Anges et les Saints la font au ciel, cette volonté divine aurait vite transformé la face du monde: la sainteté fleurirait partout; partout régneraient la joie dans les cœurs, la charité parmi les hommes, la paix dans les familles et les nations."

Et encore: "Nous, du moins, aimons notre doux Maître, si sage et si bon; faisons de grand cœur tout ce qu'il veut; acceptons avec confiance tout ce qu'il fai : c'est là tout l'homme, tout le chrétien, tout le religieux; c'est le chemin des hautes vertus, le secret du bonheur pour le temps et pour l'éternité."

Car le Saint Abandon ne s'acquiert pas d'un seul coup. Il faut d'abord grandir dans la pratique des vertus, et spécialement de la persévérance, dans la fidélité à la prière, avec une profonde humilité et par l'accueil aimant de la grâce divine.

La vie mystique

Compte tenu des besoins de ses religieux, et de la complexité du sujet, Dom Vital,  dans son livre, Le Saint Abandon, aborde tout naturellement de nombreux autres sujets. Il en résulte que cet ouvrage est un véritable  traité de la vie mystique qui doit conduire, tout naturellement, à l'union à Dieu et à la sainteté. Dom Vital traitera longuement:

– De la volonté divine

– Des consolations et les aridités

Pour que chacun puisse avancer en toute sécurité, Dom Vital estime que les confesseurs et les directeurs sont indispensables.

– De l'apostolat et

– Des fruits du Saint Abandon

3-1-Que signifie ce mot: abandon?

Selon Dom Vital, l'abandon se relie à la vertu théologale de charité. "Il ne s'agit pas ici de résignation, mais du mouvement d'amour confiant, par lequel nous nous remettons entre les mains de la Providence, comme un enfant dans les bras de sa mère." Nous nous défaisons tout simplement de notre propre volonté pour la donner à Dieu. Mais comment faire?

1-"D'abord par la sainte indifférence. Sans elle, l'abandon serait impossible. En effet, la volonté de Dieu, signifiée d'avance ou manifestée par les évènements, ne tend jamais qu'à nous conduire à la vie éternelle."

Malheureusement, nous serons souvent en danger de repousser la volonté divine et même de ne plus la voir. Notre volonté a donc besoin de se former d'abord, généralement par un travail patient et de longue haleine, de s'abstenir et de supporter, de faire fi des séductions et de la souffrance; en un mot, il faut qu'elle apprenne ce que les Saints appellent le complet détachement ou la sainte indifférence.

"Cette indifférence n'est pas une insensibilité maladive, ni une lâche et paresseuse apathie; elle n'est pas davantage l'orgueilleux dédain du stoïcien qui disait à la douleur: 'Tu n'es qu'un vain mot." C'est l'énergie singulière d'une volonté qui, vivement éclairée par la raison et la foi, entièrement maîtresse d'elle-même, dans la plénitude de son libre arbitre… Une âme, saintement indifférente, ressemble à une balance en équilibre prête à pencher du côté de la volonté divine, à une matière première également disposée à recevoir n'importe quelle forme, à une feuille de papier toute blanche sur laquelle Dieu peut écrire à son gré . On la compare à une liqueur, qui n'a plus de forme par soi-même; sa forme est le vase qui la contient."

À une âme ainsi disposée, tout semble également bon. "N'être rien, être beaucoup, être peu; commander, obéir à l'un ou à l'autre; être humiliée, être oubliée; manquer ou être pourvue; avoir de longs loisirs ou être chargée de travail; être seule ou en compagnie... voir un long chemin devant soi ou ne voir de la route que ce qu'il faut pour poser le pied; être consolée, ou être sèche, et être tentée dans cette sécheresse; être bien portante, ou maladive et forcée de languir des années; être impuissante, et devenir une charge pour la communauté qu'on était venu servir; vivre longtemps, mourir bientôt, mourir sur l'heure, tout lui plaît. Elle veut tout, parce qu'elle ne veut rien; et elle ne veut rien, parce qu'elle veut tout..." Elle n'est à Dieu qu'un oui vivant. Saint François de Sales appelle cet abandon le 'trépas de la volonté'.

2-La sainte indifférence rend possible la remise entière d'une âme entre les mains de Dieu. "Elle est en permanence dans la disposition filiale à recevoir tout ce que Dieu veut, avec la douce tranquillité d'un enfant dans les bras de sa mère… "

Dom Vital cite saint François de Sales, "le pieux évêque de Genève, qui a une prédilection marquée pour certains termes de comparaison: 'ainsi, dit-il, un serviteur, à la suite de son prince, ne va nulle part par sa volonté, mais par celle de son maître; un voyageur, embarqué dans la nef de la divine Providence, se laisse mouvoir selon le mouvement du vaisseau, et ne doit avoir aucun autre vouloir que celui de se laisser porter au vouloir de Dieu; le petit enfant qui n'a pas encore l'usage de sa volonté, abandonne à sa mère le soin d'aller, de faire et de vouloir ce qu'elle trouvera bon pour lui. Voyez surtout le très doux Enfant Jésus dans les bras de la Bienheureuse Vierge: comme sa toute bonne Mère marche pour lui, elle veut aussi pour lui; il lui laisse le soin de vouloir et d'aller pour lui, sans s'enquérir où elle va, si elle marche vite ou bellement; il lui suffit d'être entre les bras de sa très douce Mère."

          3-1-1-L'abandon et la prudence

La sainte indifférence ne nous dispense pas de suivre les règles de la prudence. En particulier, "Dieu veut, bien nous aider, mais à la condition que nous fassions ce qui dépend de nous, et il n'autorise en personne l'imprévoyance et la paresse." Et "s'il y a des événements qui échappent à notre prévoyance et dépendent uniquement du bon plaisir divin, il y en a d'autres où la prudence a largement son rôle à remplir, pour prévenir notamment  les éventualités fâcheuses."

Dom Vital fait l'impasse sur la négligence, la dissipation, les attaches et toutes les causes volontaires qui s'opposent à la grâce, mais il ajoute: "Personne n'a le droit de compromettre sa vie par de coupables imprudences, chacun doit avoir un soin raisonnable de sa santé… L'abandon ne dispense pas de la prudence, mais il proscrit l'inquiétude."

          3-1-2-Les désirs et la prière dans l'abandon

Certaines personnes se sont imaginé que celui qui avait choisi de s'abandonner totalement à la volonté de Dieu ne devait plus lui faire aucune demande. Dom Vital va réagir contre cette affirmation. Il cite le P. Balthazar Alvarez: “Ne craignez point, disait-il, de désirer et de demander la santé, si vous êtes résolus à l'employer purement au service de Dieu: ce désir lui plaira."

Dom Vital se réfère aussi à Saint Alphonse: “Lorsque les maladies nous affligent fortement, ce n'est pas une faute de les faire connaître à nos amis ni même de demander au Seigneur qu'il nous en délivre. Je ne parle ici que des grandes souffrances.”

Cependant il convient aussi de savoir imiter Notre Seigneur qui accepta la volonté du Père: “Père, non pas comme je veux, mais comme vous voulez.” Et de dire à notre tour, comme saint Alphonse: "Donnez-moi seulement de me ranger de grand cœur à tout ce que vous aurez décidé.”

Cependant Dom Vital pense également à "Saint François de Sales qui nous enseigne à nous porter toujours là où il y a le plus de la volonté de Dieu et à n'avoir pas d'autres désirs… et qui nous exhorte 'à nous rendre pliables et maniables au bon plaisir divin comme si nous étions de cire.' Et de rappeler aussi la fameuse maxime: “Ne rien désirer, ne rien  demander, ne rien refuser.”

Dom Vital précise: "Il est toujours mieux de ne rien désirer, mais de se tenir prêt à faire ce que l'obéissance demandera de nous…" Mais lorsque l'humilité parle plus haut que l'esprit de sacrifice, il est préférable de ne rien demander et se remettre entre les mains de la Providence.

          3-1-3-La pratique de l'abandon

Il convient de se souvenir que l'abandon n'est pas une vertu passive; au contraire, elle exige parfois de très gros efforts quand on veut la mettre en pratique. Car "Dieu, nous ayant donné le libre arbitre, ne veut pas nous sanctifier sans nous; il réglera son action de telle sorte que notre avancement soit à la fois l'œuvre de sa grâce et de notre libre coopération."

Par ailleurs, l'âme qui se remet entre les mains de Dieu doit s'assurer que son attente de la manifestation de Dieu n'est ni de la paresse, ni du désintéressement. En conséquence, elle doit toujours demeurer prudente

Enfin, dans le Saint Abandon, la charité qui est principalement en exercice met en œuvre d'autres vertus. Il faut toujours s'assurer que ce l'on croit être des "manifestations du bon plaisir divin produisent les fruits que Dieu lui-même en attend pour sa gloire et pour notre bien:

- des événements heureux, la reconnaissance, la confiance et l'amour;

- des épreuves, la pénitence, la patience, l'abnégation, l'humilité etc…

- de toutes ces occurrences, un accroissement de la vie de la grâce, et par suite une augmentation de la gloire éternelle".

On voit donc que "cette amoureuse et filiale conformité n'empêche même pas l'initiative pour la pratique des vertus… et l'on est bien loin d'une pure passivité, où Dieu ferait tout et l'âme n'aurait qu'à recevoir… Nous dirons ailleurs que cette passivité se rencontre, à des degrés divers, dans les voies mystiques, et alors il faut seconder l'action divine et se garder de la contrecarrer; même dans ces voies, la pure passivité est une rare exception.

Ainsi, tandis que les Quiétistes prétendaient s'appuyer sur saint François de Sales, mais bien à tort... l'âme y conserve sa pleine activité pour tout ce qui est de la volonté de Dieu signifiée… La divine bonté, affirme Saint François de Sales, veut bien nous conduire en notre voie, mais elle veut aussi que nous fassions nos petits pas, c'est-à-dire que nous fassions de notre côté ce que nous pouvons avec sa grâce... Cheminons par ces basses vallées des humbles et petites vertus; nous y verrons la charité qui éclate parmi les affections, les lis de pureté, les violettes de mortification."

Et Dom Vital conclut avec la Petite Thérèse, en affirmant qu'un amour vraiment humble, ne pouvant rien faire de grand aux yeux des hommes, cherchera "à ne laisser échapper aucun sacrifice, aucun regard, aucune parole, profiter des moindres actions et les faire par amour, souffrir par amour et même à  jouir par amour.”

          3-1-4-Le sentiment de la souffrance dans l'abandon 

Maintenant Dom Vital met en garde ses lecteurs, et écrit:

"Le sentiment de la souffrance, avec du plus et du moins, se rencontrera forcément dans la simple résignation, et même dans le parfait abandon. En effet, nos facultés organiques ne peuvent point n'être pas impressionnées par le mal, sensible; et nos facultés supérieures ont leur fatigue qu'elles ressentiront, bon gré, mal gré. D'ailleurs, nous sommes dans un état de déchéance, où il y a l'attrait du fruit défendu, l'aversion pour le devoir pénible, et par suite les déchirements de la lutte. Que Dieu nous demande de sacrifier le plaisir ou de supporter la souffrance pour son amour, la partie supérieure de l'âme aura beau se ranger de grand cœur au vouloir divin, l'inférieure pourra sentir encore l'amertume du sacrifice. Et cela ne peut manquer d'arriver souvent; car Dieu est tout occupé à nous purifier, à nous détacher, à nous enrichir; il veut spécialement nous guérir de l'orgueil par les humiliations, de la sensualité par la souffrance et la privation, et, comme le mal est tenace, le remède devra nous être appliqué longtemps et fréquemment. Il est vrai qu'il y aura l'onction de la grâce et la vertu acquise: l'une adoucit la souffrance, et l'autre affermit la volonté. Saint Augustin le proclame avec raison: 'Là où règne l'amour, il n'y a pas de peine; ou bien, si la peine existe, on l'aime.'”

Dom Vital précise: "la crainte, l'ennui, le dégoût, envahissent l'âme et la rendent triste jusqu'à la mort. Parfois même on aura surmonté les plus dures épreuves avec une admirable sérénité et voilà qu'on se trouble pour un rien." Que se passe-t-il? Il se passe que, selon saint François de Sales, Dieu veut nous faire entendre que, si les grandes attaques ne nous troublent point, c'est par la grâce de notre Sauveur. Dom Vital s'appuie sur l'exemple de Notre Seigneur:

"Dès son entrée dans le monde, Notre-Seigneur s'offre à son Père pour être la Victime universelle. Sa vie entière sera croix et martyre… Par son libre choix, il s'abandonne à la peur, à l'ennui, au dégoût; son âme est triste jusqu'à la mort. Il voit la montagne de nos péchés, son Père indignement méconnu, les âmes qui courent aux abîmes, les tortures et l'ingratitude qui l'attendent; il est plongé dans un océan d'amertume. À trois reprises, il implore la pitié de son Père: 'S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi'. Il accepte qu'un ange du ciel vienne le réconforter. Une sueur de sang l'inonde, il n'en prie que plus longuement: 'Mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne.'"

Ce spectacle est inouï, et l'homme ne peut le comprendre. Comment imaginer pour Dieu une telle humiliation, "comparable à cette apparence de faiblesse? C'est pour cela qu'il l'a choisie de son plein gré."

Les plus grands saints ont connu ces heures de grande détresse. Dom Vital cite Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus: “Lorsque le divin Sauveur demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au Jardin de l'Agonie: 'Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi'. Mais, empressons-nous d'ajouter aussi: 'Que votre volonté soit faite, et non la mienne'."

Dom Vital rappelle aussi trois précieux et importants enseignements que Notre Seigneur, notre Maître, nous offre:

– "Ce n'est pas une faute, ni même une imperfection, d'éprouver le sentiment de la souffrance, la crainte, l'ennui, les répugnances et les dégoûts, pourvu que nous ne cessions de dire avec une volonté résolue: Qu'il soit fait, non comme je veux, mais comme vous voulez vous-même.

– Ce n'est ni une faute, ni même une imperfection, d'aller se plaindre à Dieu, avec une amoureuse soumission, comme un enfant blessé se réfugie près de sa mère et lui montre son mal et sa peine." Dom Vital cite encore François de Sales: 'L'amour permet bien de se plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job et de Jérémie, mais à charge que toujours le saint acquiescement se fasse dans le fond de l'âme, en la suprême pointe de l'esprit'.

– Ce n'est pas une faute, ni même une imperfection, dans les grandes épreuves, de demander à Dieu qu'il éloigne ce calice, s'il est possible, et de le demander même avec une certaine insistance, puisque Notre-Seigneur l'a fait."

Dom Vital est certain que tous ceux qui veulent se donner totalement à Dieu, auront beaucoup à souffrir. D'ailleurs, le Seigneur lui-même n'a-t-il pas affirmé: "Tout ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus souffriront persécution. Mais, conclut Notre-Seigneur, bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des Cieux leur appartient. Lorsqu'on vous aura maudits et poursuivis, et qu'on aura dit contre vous toute sorte de mal, à tort cependant, là cause de moi, réjouissez-vous, soyez. dans l'allégresse: votre récompense est grande au ciel, et c’est ainsi qu'on a persécuté les Prophètes avant vous."

Dom Vital va donner quelques exemples. "Saint Pierre d'Alcantara, pénétré de la plus vive compassion pour sainte Thérèse, lui dit qu'une des plus grandes peines dans cet exil, était celle qu'elle avait endurée, c'est-à-dire cette contradiction des gens de bien. Chacun sait que notre bienheureux Père saint Benoît faillit être empoisonné par les siens, et combien nos premiers Pères de Cîteaux eurent à souffrir et de leurs frères de Molesmes et des autres moines de leur temps!  Ou encore saint Basile, accusé d'hérésie devant le pape saint Damase; saint Cyrille, condamné comme hérétique par un concile de quarante évêques, puis déposé honteusement; saint Athanase poursuivi sous inculpation de sortilège, et saint Jean Chrysostome pour mauvaises mœurs. Et saint François de Sales qui pendant trois années, passa pour avoir entretenu un commerce criminel avec une personne du monde.

Mais ainsi parlait saint François de Sales: 'Nous devons vouloir notre salut comme Dieu le veut, et, par suite, vouloir et embrasser, d'une résolution absolue, les grâces qu'il nous départ: car il faut que notre volonté corresponde à la sienne.' Et Dom Vital d'ajouter: "Il y aura toujours, parmi des hommes, la diversité des vues et des humeurs."

3-2-Les fondements du Saint Abandon

          3-2-1-Objet de l'Abandon

Dom Vital rappelle que "les signes permanents de la volonté de Dieu sont les préceptes de Dieu et de l'Église, les conseils évangéliques, nos vœux et nos Règles, les inspirations de la grâce..." Nous connaissons toutes ces choses; par contre, "le bon plaisir de Dieu n'est pas connu d'avance, il le sera par les événements; pour l'ordinaire, il échappe à notre prévoyance, souvent même il déconcerte nos plans… Pour les évènements du bon plaisir divin, l'abandon est tout indiqué. Il consiste, en effet, dans une attente paisible et confiante, tant que la volonté de Dieu ne s'est pas déclarée, et dans un amoureux acquiescement dès qu'elle se fait jour… Le bon plaisir de Dieu est le domaine de l'abandon, et sa volonté signifiée est le domaine de l'obéissance… L'obéissance est requise dans les choses obligatoires; et celles qui demeurent de simple conseil, il faut au moins les estimer; et n'en pas détourner les âmes plus généreuses."

Dom Vital cite ensuite Bossuet: "L'indifférence chrétienne doit se pratiquer ès choses qui regardent la vie naturelle, comme la santé, la maladie, la beauté, la laideur, la faiblesse, la force; ès choses de la vie civile, pour les honneurs, rangs, richesses; ès variétés de la vie spirituelle, comme sécheresses, consolations, goûts, aridités; ès actions, ès souffrances, et en somme en toutes sortes d'événements…

Dieu diversifie son action suivant les sujets: S'agit-il des mondains, il les sèvre des honneurs, des biens temporels, et des délices de la vie. S'agit-il des savants, il permet que l'on déprime leur érudition, leur esprit, leur science, leur littérature. Quant à ses Saints, il les afflige dans ce qui touche à leur vie spirituelle, à l'exercice de leurs vertus."

Dom Vital met en garde "certaines âmes qui font de grands projets de servir Dieu par des actions éminentes et des souffrances extraordinaires, dont l'occasion ne se présentera jamais peut-être; et, pendant qu'elles embrassent en imagination des croix qui n'existent pas, elles fuient ardemment celles que la Providence leur envoie aujourd'hui, et qui sont pourtant bien moindres. N'est-ce pas une déplorable tentation, que d'être si valeureux en esprit et si faible devant la réalité?..." Par contre, "ce serait une illusion très préjudiciable, que de mépriser d'estimer trop peu nos croix journalières, parce qu'elles sont petites… Par leur nombre même, elles apportent à l'âme fidèle une somme énorme de sacrifices et de mérites… Les grandes croix, portées avec autant d'amour, nous vaudraient plus de mérite et de récompense. Mais elles sont rares; l'orgueil, la recherche de soi-même s'y glissent plus facilement…"

En conséquence, comme le dit le Père Dosda 'pratiquons la conformité à la volonté de Dieu jusque dans les moindres détails; par exemple, à propos de l'humiliation résultant d'un oubli ou d'une maladresse, à propos d'une mouche importune, d'un chien qui aboie, d'une pierre qui blesse le pied, d'une lumière qui s'éteint, d'un habit qui se déchire'. Pratiquons-la surtout à propos des différences de caractère, des contrariétés, des humiliations, des mille petits incidents dont fourmille la vie de communauté. C'est un puissant moyen, sans qu'il y paraisse, de mourir à soi-même et d'être tout à Dieu."

          3-2-2-Une voie longue et très ardue

Nous venons de voir que "le Saint Abandon était la remise amoureuse, confiante et filiale, de la perte totale de notre volonté en celle de Dieu." Pour Dom Vital, "le Saint Abandon est une totale union, une sorte d'uniformité de notre volonté avec celle de Dieu, au point que nous soyons prêts d'avance à tout ce que Dieu voudra, et que nous recevions avec amour tout ce qu'il fera. Ce détachement doit être aussi universel que profond." Cela conduit à tenir en haute estime la mortification chrétienne: abnégation, renoncement, esprit de sacrifice, amour de la croix. Mais attention! Dom Vital cite un disciple de saint Alphonse: “Les personnes qui mettent leur sainteté à faire beaucoup de pénitences, de communions, de prières vocales, sont évidemment dans l’illusion. Toutes ces choses ne sont bonnes qu’autant que Dieu les veut."

Dom Vital précise: "Mais, parmi toutes les formes de renoncement, qu'il nous soit permis d'en signaler deux spécialement difficiles, et spécialement indispensables: l'obéissance et l'humilité." Et il insiste: "La voie qui mène au Saint Abandon est longue et très ardue… Dans le sentiment toujours vivant de leurs péchés passés, à la façon des âmes humbles et pures, elles rendent hommage à la Justice infinie qui réclame ce qui lui est dû; elles acceptent avec reconnaissance la punition de leurs fautes… Malgré leur innocence et leurs vertus, ces âmes, inondées de lumière, se voient très indignes de paraître devant l'infinie Sainteté, et dans leur ardent désir de lui plaire, elles acceptent volontiers les plus douloureuses purifications. On voit par là combien l'humilité rend la soumission facile, et dispose au saint abandon… Malgré cela, la souffrance viendra souvent les atteindre. Elles n'y seront pas insensibles." Ce n'est autre, indique Dom Vital, que ce que certains spirituels, dont la Petite Thérèse de Lisieux,  appellent l'enfance spirituelle.

          3-2-3-L'exemple de Notre-Seigneur

C'est  l'exemple de son Maître bien-aimé qui porte une âme à l'abandon: elle veut plaire à Celui qu'elle aime, et, par suite, elle, s'efforce de l’imiter en toutes choses. Or la vie entière de Jésus, sur la terre, n'a été qu'obéissance et abandon.

"Victime chargée des péchés du monde entier, Notre-Seigneur estime que tous les châtiments lui sont dus, qu'aucune souffrance n'est de trop, pour réparer la gloire de son Père et lui ramener ses enfants égarés, et pourtant si tendrement chéris… Et, ajoute Dom Vital, "si nous pouvions suivre la vie de Notre-Seigneur jusque dans ses moindres détails, nous y trouverions partout l'amour, la confiance, la docilité, l'abandon du petit enfant…" Cependant "cet enfant tout-puissant, mais doux et humble de cœur, se laissait porter où l'on voulait, par qui l'on voulait; il s'abandonnait docilement entre les mains de l'Ange, quoique celui-ci n'eût point de science ni de sapience, pour entrer en comparaison avec sa divine Majesté…"

Plus tard, "lorsqu'il entre au Jardin des 0lives, il se livre aux plus terribles assauts de la crainte et des répugnances… Mais il ne cesse de redire, avec un amoureux abandon :' Mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne'… Mais la partie inférieure, humaine de son Être n'en savait ni apercevait rien: essai que jamais la divine bonté n'a fait ni ne fera en aucune autre âme, car elle ne le saurait supporter… Jésus se plaint filialement à son Père: 'Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?' Mais il se hâte d'ajouter de toutes ses forces et avec la plus amoureuse soumission: 'Mon Père, je remets mon âme entre vos mains'…" donnant ainsi, "à son Père et à nous, le suprême témoignage de son amour, mourant en l'amour, par l'amour, pour l'amour et d'amour."

          3-2-4-L'humilité

Dom Vital évoque avec conviction les principales qualité de l'humilité, véritable fondement du Saint Abandon. Pourtant, dit-il, "l’humilité est la vertu la plus antipathique à la nature; mais son importance est capitale, et son action souverainement bienfaisante. En ôtant le principal obstacle, elle prépare les ascensions de l'âme. Elle apporte la force et la sécurité dans les dangers, les illusions, les épreuves, parce qu'elle sait se défier et demander. Elle plaît aux hommes, en nous rendant soumis à nos supérieurs, doux et condescendants avec nos égaux, bons et sans fierté pour nos inférieurs. Elle charme notre Père céleste, parce qu'elle nous donne l'attitude qui convient devant sa majesté et son autorité. Elle nous imprime une touchante ressemblance avec notre Frère, notre Ami, notre Epoux, Jésus, doux et humble de cœur. N'est-il pas l'humilité personnifiée? L'humble l'attire, l'orgueilleux l'éloigne. Il protège l'humble et le délivre; il aime l'humble et le console; il s'incline vers l'humble et le comble de ses grâces; après l'avoir abaissé, il l'élève à la gloire; il révèle à l'humble ses secrets, il l'invite et l'attire à lui doucement. La parole du Maître est formelle: 'Celui qui s'abaisse sera élevé, et, par contre, celui qui s'élève sera abaissé'." Et Dom Vital s'appuie sur Thérèse de Lisieux: "Le seul moyen de faire de rapides progrès dans la voie de l'amour est celui de rester toujours bien petite; c'est ainsi que j'ai fait".

On dit souvent qu'un bon moyen pour devenir humble est d'accepter les humiliations, "selon cette belle parole de saint Bernard: 'L'humiliation mène à l'humilité, comme la patience à la paix, et l'étude à la science.'"

Mais de quelles humiliations s'agit-il? Saint François de Sales est plus prudent quand "il voulait qu'on ne dît jamais de paroles d'humiliation, si elles ne procédaient du fond du cœur: 'autrement, cette sorte de langage est un fin sublimé d'orgueil; pour avoir la gloire d'être estimé humble, on fait comme les rameurs qui vont à leur but en y tournant le dos; sans y penser, on cingle à pleines voiles sur la mer de la vanité'. Nous recourrons donc aux œuvres plutôt qu'aux paroles pour nous abaisser. La meilleure humiliation active, dans nos cloîtres, sera toujours la loyale dépendance envers la Règle, nos Supérieurs et même nos frères. Chacun sait que les douze degrés de l'humilité, d'après notre Père saint Benoît, sont faits presque uniquement d'obéissance. C'est aussi de cette même vertu que saint François de Sales tirait la marque de la véritable humilité.

Outre les humiliations de règle, il y en a d'autres qui sont spontanées. Saint François de Sales 'voulait en celles-ci beaucoup de discrétion, parce que l'amour-propre s'y peut glisser subtilement et imperceptiblement. Il mettait au sixième rang la recherche des abjections, quand elles ne nous venaient pas du dehors'… En effet, l'humiliation nourrit l'orgueil, quand on la repousse avec indignation ou qu'on la subit en murmurant; et c'est ce qui explique comment 'l'on rencontre tant de gens humiliés qui, ne sont pas humbles…' Et d'ailleurs, la honte, la confusion, la véritable humiliation n'est-elle pas de me sentir encore si plein d'orgueil, après tant d'années passées au service du Roi des humbles?... Saint Pierre, martyr, injustement jeté en prison, s'en plaignit à Notre-Seigneur:

– Mais quel crime ai-je donc commis pour me voir infliger pareil châtiment?

– Et moi, lui répondit le divin Crucifié, pour quel crime ai-je été attaché à la croix?..".

Et Dom Vital de conclure: "d'ailleurs, l'amour veut la ressemblance."

3-3-La volonté de Dieu, règle suprême

Sans Dieu, les hommes ne peuvent rien faire. C'est ce que Dom Vital exprime d'abord: "nous ne pouvons rien faire, ni penser au bien, ni le vouloir, ni l’accomplir. À plus forte raison, la correction de tous nos vices, la parfaite acquisition des vertus, la vie d’intimité avec Dieu, représentent une somme énorme d’impuissances humaines, et d’interventions divines…  Notre sanctification, notre salut même, est donc une œuvre à deux: il y faut, de toute nécessité, l’action de Dieu et notre coopération, l’accord incessant de la volonté divine et de la nôtre… Et cette continuelle dépendance nous imposera des renoncements sans nombre… Mais pouvait-il nous arriver plus heureuse fortune que d’avoir la sagesse de Dieu pour guide, sa toute-puissance pour aide, et d’être les associés de Dieu dans l’œuvre de notre salut?" D’autant plus que, ce faisant, "Dieu perfectionne la nature, il nous élève à une vie supérieure, il nous apporte le vrai bonheur de ce monde et la béatitude en germe… Si vous voulez monter jusqu’aux sommets de la perfection, accomplissez la volonté de Dieu, toujours plus et mieux."

Et puis, Jésus n'a-t-il pas dit: "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait"? Et, selon saint  Alphonse: toute la perfection de l’amour divin ne consiste-t-elle pas dans l’union de notre volonté à celle de Dieu, de telle sorte que ces deux volontés n’en fassent plus qu’une? Et, toujours selon saint Alphonse,  Marie, la divine Mère, n’a été la plus parfaite entre tous les Saints que parce qu’elle a toujours été plus parfaitement unie à la volonté de Dieu”.

          3-3-1-La volonté signifiée et le bon plaisir divin

Dom Vital fait la distinction entre la volonté divine signifiée et la volonté du bon plaisir de Dieu.

– La volonté signifiée :" Dieu nous fait connaître sa volonté, et par les règles qu'il nous a tracées, et par les évènements qu'il nous envoie. D'où la volonté de Dieu signifiée, et sa volonté de bon plaisir. La volonté est signifiée, parce qu'il nous a signifié et manifesté qu'il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué..."

La volonté signifiée comporte, pour les religieux, quatre aspects principaux: les commandements de Dieu et de l'Église, les conseils, les inspirations[1], les Règles et Constitutions. "La volonté signifiée nous est connue d'avance, et généralement d'une façon très claire, par les signes ordinaires de la pensée, c'est-à-dire la parole et l'écriture. Il est toujours en notre pouvoir ou de nous conformer par l'obéissance à la volonté signifiée ou de nous y soustraire par la désobéissance."

– La volonté du bon plaisir de Dieu, c'est celle par laquelle nous devons regarder tous les évènements comme venant de Dieu qui dispose de nous en Maître souverain, sans nous consulter; "souvent même contre nos désirs, il nous place dans la situation qu'il nous a choisie, et nous met en demeure d'en remplir les devoirs." Notre meilleur exemple, c'est Jésus que "la volonté de son Père conduira, par toutes sortes de souffrances et d’humiliations, jusqu’à la mort et à la mort de la croix. Il le sait. Et c’est pour accomplir cette volonté crucifiante, mais pleine de vie, qu’il est descendu du Ciel"

– Mais il y a de plus. Ainsi, "Saint François de Sales fait, à ce propos, une remarque très juste: 'Il y a des choses où il faut joindre la volonté de Dieu signifiée à celle de son bon plaisir'. Il cite pour exemple le cas de maladie. Outre la soumission à la divine Providence, il faudra remplir les devoirs d'un bon malade, comme la patience et l'abnégation, et continuer d'être fidèle à toutes les prescriptions de la volonté signifiée, sauf les exceptions et les dispenses que peut légitimer la maladie… En outre, il veut tirer le bien du mal, et, pour cela, faire servir nos fautes et celles d'autrui à la sanctification des âmes par la pénitence, la patience, l'humilité, le support mutuel, etc..."

          3-3-2-Comment se comporter face à la volonté de Dieu signifiée

"La volonté de Dieu signifiée renferme, en premier lieu, les commandements de Dieu et de l’Église, et nos devoirs d'état." Elle renferme, en second lieu, les conseils. Enfin, il ne faut pas oublier les inspirations de la grâce et les conseils qui "nous feront pratiquer les vertus les plus agréables à son divin cœur : la douceur et l'humilité, l'obéissance d'esprit et de volonté, la chasteté virginale, la pauvreté volontaire, le détachement parfait, le dévouement poussé jusqu'au sacrifice et à l'oubli de nous-mêmes."

Dom Vital ajoute: "La volonté signifiée renferme aussi des attraits, des impulsions, des reproches, des remords, des craintes salutaires; des suavité célestes, des élans du cœur, de douces et fortes invitations à l'exercice de quelque vertu… Pour un religieux, ses vœux, ses règles et l'action des Supérieurs sont la principale expression de la volonté signifiée, le devoir jusqu'à la mort, et le chemin de la sainteté."

On voit combien la volonté de Dieu signifiée impose l'obéissance. Dom Vital ne craint pas de dire: "Notre divin Maître, selon la belle parole de notre Père saint Bernard, 'a tant estimé cette vertu, qu'il s'est fait. obéissant jusqu'à la mort, aimant mieux perdre la vie que l'obéissance'.” En effet, "l'obéissance à la volonté signifiée demeure, au milieu des événements accidentels et variables, le moyen fixe et régulier, la tâche de tous les jours et de chaque instant. C'est par là qu'il faut commencer, c'est par là qu'il faut continuer et finir." Car "c'est Dieu lui-même qui nous a choisi notre état de vie et les moyens de nous sanctifier; rien ne peut être meilleur pour nous, rien ne peut même être bon, hors de là."

D'ailleurs nous avons un exemple parfait, "la Bienheureuse Vierge qui faisait les choses les plus communes en apparence; mais elle y mettait toute son âme, et leur donnait par là une valeur incomparable… Nous n'avons pas à choisir entre l'obéissance et l'abandon; ils doivent marcher de conserve et dans l'union la plus, étroite."

          3-3-3-Conformité à la volonté de bon plaisir de Dieu

Pour Dom Vital, "la conformité à la Providence, ou la soumission au bon plaisir de Dieu, contient plusieurs degrés de perfection."  D'ailleurs, précise Dom Vital, "il y a là amour des afflictions par amour pour Dieu, et c'est ce qui distingue ce degré du précédent… On peut souffrir patiemment: c'est bien. Mais on peut aussi "sourire à la douleur, l'accueillir avec empressement, comme un hôte envoyé de Dieu", c'est mieux. Enfin, on peut, "non seulement recevoir et souffrir de bon cœur, pour l'amour de Dieu", c'est le plus parfait.

Nous avons prévenu nos lecteurs que l'œuvre de Dom Vital était un vrai traité de vie mystique. Il complète en effet ses vues sur la volonté de Dieu par un rappel des progrès que nous sommes tous appelés à accomplir sur le chemin de la vie en Dieu. Nous résumons brièvement les positions de Dom Vital concernant "les trois voies classiques des commençants, des progressants et des parfaits:

– Le commençant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiemment; le progressant, mû par l'espérance, la porte volontiers; celui qui est consommé en charité l'embrasse désormais avec ardeur… Selon saint Bernard, les commençants n'ont que la simple résignation, et elle leur vient de la crainte; les progressants portent la croix volontiers, et cette conformité plus élevée est due à l'espérance; les parfaits embrassent la croix avec ardeur, et cette parfaite conformité est le fruit du saint amour."

Mais voici une nouveauté relevée par Dom vital: "Il y a enfin la conformité par pur amour, qui est en soi la plus parfaite; car rien n'est élevé, délicat, généreux, persévérant, comme la sainte dilection." Ce degré de conformité par amour qui occupe les sommets, est le Saint Abandon.

En conclusion, "nous devons respecter toute volonté de Dieu, mener de front l'obéissance à sa volonté signifiée et l'abandon à son bon plaisir." Mais nous devons toujours nous rappeler que "Dieu ne veut pas, en général, nous sanctifier sans nous."

          3-3-4-L'amour de la Croix 

Jésus est pour nous l'Alpha et l'Oméga, le principe et la fin. Cela nous le savons. Mais Dom Vital nous laisse entendre que l'amour dont Dieu nous aime ne va jamais sans la Croix. "Un jour, Notre-Seigneur montra à Gemma Galgani ses cinq plaies béantes… Mais le bon Maître lui enseigna 'qu'on aime dans la mesure où l'on est généreux'." Et Dom Vital nous rappelle que "la pratique la plus recommandée par les Maîtres de la piété est de le suivre principalement au Calvaire et à l'Autel. Beaucoup cependant préfèrent honorer son Sacré-Cœur ou sa très sainte Enfance. Cependant "Jésus-Enfant, pour ne parler que de lui, a la main aussi ferme que douce, il est trop sage pour gâter ses amis.

Dom Vital justifie ses affirmations. Oui la Croix est nécessaire parce que ce sont les hommes qui ont crucifié Jésus, et même maintenant, de nos jours, "on le laisse presque seul dans ses églises, son cœur est continuellement abreuvé de tristesse. Il lui faut une expiation immense, particulièrement pour les péchés et les sacrilèges dont il se voit outragé par les âmes qu'il a choisies entre mille."

Pourtant, en homme plein de sagesse, Dom Vital nous met en garde:  "Cependant, nous ne conseillons pas, pour l'ordinaire, de demander à Dieu des épreuves; nous pensons aussi, qu'au lieu d'envisager les croix trop en particulier, il sera plus prudent d'accepter en général celles que Dieu nous destine, en nous confiant dans sa bonté et sa discrétion."

          3-3-5-La vie et la mort

"Un peu plus tôt, un peu plus tard, il faudra bien mourir. Mais quand sera-ce et dans quelles conditions? Là nous sommes en pleine incertitude… Heureuse ignorance, qui nous avertit d'être toujours prêts, et qui stimule sans cesse notre activité spirituelle!... L'homme est à peine né que la mort commence en lui son travail, et qu'il doit lutter sans trêve pour s'en défendre... La terre est un champ de bataille, où il nous faut lutter jour et nuit contre un ennemi invisible, qui ne dort pas, qui ne connaît ni la fatigue ni la pitié… D'ailleurs, il nous faut vivre au milieu d'un siècle pervers où les péchés et les crimes se multiplient, où le vice triomphe, la vertu est persécutée, l'Église traitée en ennemie, Dieu chassé de partout."

Pourtant nous gardons fortement imprimés en nous le désir du ciel et l'amour de Dieu. "Le désir du ciel et l'amour de Dieu multiplient, où le vice triomphe, la vertu est persécutée, l'Église traitée en ennemie, Dieu chassé de partout. Il y a donc de bonnes raisons qui portent à désirer la mort; il y en a de non moins bonnes qui font souhaiter la prolongation de nos jours; et ce sont à peu près les mêmes."

Dom Vital poursuit ses enseignements: quels sont donc les maux de la vie présente? "Tout d'abord les dangers et les fautes de la vie présente… Maintenant que Dieu se trouve attaqué de toutes parts, la place de ses enfants, de ses serviteurs les plus aimés, n'est-elle pas de combattre à ses côtés et de souffrir pour sa cause?"  Et si "cependant, si Dieu prolonge notre vie, pourvu qu'il nous mène au port, nous l'en bénirons éternellement."

En effet, "la sagesse de Dieu veut qu'il accorde à chacun suivant le rôle qu'il entend, lui confier. S'il arrive que l'un ou l'autre paraisse assez nécessaire à son entourage, c'est un certain indice de la volonté divine, et par suite un motif de modérer ses désirs. Saint Martin de Tours, sur son lit de mort, se trouvait dans une situation de ce genre; il ne craint pas de mourir, il ne refuse pas de vivre, il s'abandonne à la Providence… De même, dans sa dernière maladie, saint François de Sales demeure fidèle à sa maxime: ne rien rien désirer, ne rien demander, ne rien refuser. Nous devons nous conformer, en cela  comme en tout le reste, à la volonté de Dieu, nous contenter des talents qu'il nous a donnés, de la condition dans laquelle il nous a placés. Bref, tous les Saints ont pratiqué le parfait abandon; mais les uns ont souhaité la mort ou la vie, les autres ont voulu n'avoir aucun désir." D'ailleurs, sainte Gertrude "est persuadée que la meilleure disposition qu'on puisse avoir pour bien mourir, c'est de se soumettre à la  volonté de Dieu."

3-4- Les vertus nécessaires

          3-4-1-La foi

Pour mettre en œuvre le Saint Abandon, des vertus fortes, théologales et cardinales sont absolument nécessaires. Aussi Dom Vital va-t-il passer en revue les grandes vertus qui permettent de s'élever juqu'au Saint Abandon. Et tout d'abord, la foi:

"Le juste vit de la foi, rappelle Dom Vital, et pour s'élever jusqu'au Saint Abandon, il faut qu'il soit pénétré d'une foi vive et profonde, et tout particulièrement de la foi à la Providence. Rien n'arrive en ce monde que par l'ordre ou la permission de Dieu… Sans lui, pas une feuille ne s'agite, pas un brin d'herbe ne meurt, pas un grain de sable n'est emporté par le vent… Dieu possède, en son intelligence infinie, le secret de pourvoir sans peine aux plus menus incidents comme aux événements les plus graves."

Il en résulte que "moi qui ne suis qu'un atome insignifiant dans le monde, j'occupe jour et nuit, sans cesse et partout, la pensée et le cœur de mon Père qui est aux cieux. Oh! que cette vérité de foi est profondément touchante et pleine de réconfort! Mais si la Providence combine elle-même ses desseins sur moi, elle en confie l'exécution, au moins pour une large part, aux causes secondes. Elle emploie le soleil, le vent, la pluie; elle met en mouvement le ciel et la terre, les éléments insensibles et les causes intelligentes…" Par conséquent, "dans cet homme qui me fait de la peine, et dans cet autre qui me fait plaisir, c'est la Providence…"

À propos de la Providence, Dom Vital ouvre une parenthèse intéressante sur la laïcisation de nos sociétés: "Le hasard n'est qu'un mot vide de sens, ou plutôt c'est 'l'incognito de la Providence', pour les hommes de foi; mais c'est une laïcisation de la Providence, à l'usage des mauvais cœurs qui veulent s'affranchir de la soumission, de la prière et de la reconnaissance… C'est le Seigneur qui fait le pauvre et le riche; il abaisse et il élève... Pour éprouver les justes et les Saints, Dieu emploie la malice des démons et la perversité des méchants. Job perd ses enfants et ses biens, il tombe de l'opulence dans la misère et il dit: 'Le Seigneur m'avait tout donné, la Seigneur m'a tout ôté; il n'est arrivé que ce qui lui a plu; que le nom du Seigneur soit béni!"

Dom Vital va encore plus loin: évoquant la Passion de Jésus, il écrit: "Hérode et Pilate, les Gentils et le peuple d'Israël, se sont ligués dans cette cité contre Jésus… mais c'était pour accomplir les décrets de la Sagesse du Père… Ils n'étaient que les exécuteurs de ses desseins. Notre-Seigneur le déclare formellement: 'Ce calice, c'est son Père qui le lui a présenté..."

Pour Dom Vital, "Dieu n'a prêté son concours qu'au matériel de l'acte. Il n'a pas concouru au péché, considéré comme tel… Dans le péché, le formel est le défaut volontaire de conformité de l'acte avec la volonté de Dieu. Ce défaut n'est pas un acte, c'en est l'absence. Dieu n'y concourt pas; au contraire…" Ainsi, "la foi à la Providence demande qu'en toute occasion l'on remonte jusqu'à Dieu… Dieu hait la faute; mais il veut l'épreuve qui en résulte pour nous."

Et c'est ainsi que, poursuivant ce raisonnement, Dom Vital arrive tout naturellement à la confiance en la Providence.

          3-4-2-La confiance en la Providence

Dom Vital estime que pour "l'exercice de la charité et du saint abandon, il faut une pleine confiance en Dieu… on ne saurait trouver le parfait abandon, d'une manière habituelle en dehors de la voie unitive[2]; car c'est là seulement que la confiance en Dieu arrive à sa plénitude."

Dieu est bon pour tous tous les hommes: “Il fait luire son soleil sur les bons et les méchants, il fait tomber la pluie sur les justes et les pécheurs.”

Et même, lorsque Dieu se  fâche, il n'oublie jamais sa miséricorde. Et Dom Vital de s'extasier sur la bonté et la tendresse de Notre Père des Cieux: "Il est Père par le dévouement, Mère par la tendresse." Même si une femme pouvait oublier son enfant, n'avoir pas compassion du fruit de ses entrailles, Dieu Notre Père, Lui, ne l'oublierait pas. Oui, Dieu veut être prié, "mais il nous reprochera seulement de ne pas demander assez… Dévoué, tendre et miséricordieux à l'égard de chacune, Jésus, notre doux Sauveur, chérit d'une prédilection marquée les âmes qui ont tout quitté pour ne s'attacher qu'à lui seul; il fait ses délices de les garder près de son tabernacle, et de vivre avec elles dans la plus douce intimité."

Aussi, quand Jésus nous présente un calice plein d'amertume, devons-nous songer que c'est notre Rédempteur qui nous le présente. "Toutes les choses terrestres, toutes, jusqu'aux persécutions, sont faites ou permises par Dieu pour le plus grand bien de l'Église... N'est-ce pas une chose adorable que de voir Dieu gouverner le monde, dans l'unique but de faire des heureux et de se réjouir en eux?... Car la volonté de Dieu, c'est la sanctification des âmes."

D'où la réflexion de Dom Vital: "Avec quelle confiance et quelle docilité ne devrions-nous pas nous laisser faire et correspondre, si nous comprenions mieux ses voies miséricordieuses?... Et n'oublions jamais que "tout vient de Dieu; il n'y a absolument rien où sa volonté ne demeure souveraine maîtresse... Il est vrai qu'il dispose des êtres raisonnables en respectant leur libre arbitre. Ils peuvent donc opposer leurs volontés à la sienne, et paraître la tenir en échec. Mais, en réalité, la résistance des uns, l'obéissance des autres, lui sont connues de toute éternité."

          3-4-3-L'amour de Dieu et la charité

Dom Vital affirme: "Le Saint Abandon, étant la conformité parfaite, amoureuse et filiale, ne peut venir que de la charité; mais il en est le fruit naturel, de sorte qu'une âme parvenue à vivre d'amour vivra aussi d'abandon… En effet, l'amour dispose à l'abandon par un parfait détachement... L'amour y parviendra, car il est dans sa nature d'oublier tout, de se donner sans réserve et de n'admettre pas de partage: il ne veut voir que le Bien-Aimé, il ne cherche que le Bien-Aimé, il aime tout ce qui fait plaisir au Bien-Aimé… L'amour dispose à l'abandon en rendant la foi plus vive et la confiance inébranlable."

Dom Vital fait alors un petit détour vers la mystique et n'hésite pas à affirmer que quand une âme aime vraiment Dieu, elle arrive nécessairement à la voie unitive; les convictions se font bien plus lumineuses, les rapports avec Dieu deviennent un cœur à cœur plein de confiance et d'intimité… L'amour parfait est le père de l'abandon parfait,…  et l'union que produit l'amour est surtout l'union des volontés…

Dom Vital conclut par ce constat: "Peu d'amour donne peu de conformité, un amour médiocre, une conformité médiocre, enfin un amour entier une conformité entière."

Alors Dom Vital peut ajouter ces quelques vérités que tous les grands mystiques ont connues: "Lorsque Dieu se cache par un amoureux artifice, comme pour se faire chercher plus avidement, la pauvre âme, craignant de l'avoir perdu, va partout le demandant avec une amoureuse anxiété; c'est un besoin douloureux, une faim inassouvie, une soif inextinguible. Il lui faut Dieu, elle ne saurait plus se passer de lui; rien ne peut la consoler de son absence, si ce n'est la pensée qu'elle lui plaît en faisant son adorable volonté, et l'espérance de le retrouver plus parfaitement. Elle voudrait le posséder pour ainsi dire infiniment dans l'autre monde, pour l'aimer, pour le louer, pour s'unir à lui au gré de ses désirs.

Dom Vital va encore plus loin, confirmant les dires des plus grands mystiques connus: "L'amour ne vaut qu'autant qu'il sait souffrir. Sans douleur, on ne vit pas bien dans l'amour... Vouloir aimer Dieu sans souffrir, n'est qu'illusion…" En effet, "lorsque Dieu nous prodigue d'ineffables tendresses, et qu'il nous caresse amoureusement comme, un père qui presse son enfant sur son cœur, notre âme émue, haletante, éperdue, sort d'elle-même; elle se donne sans réserve et se livre avec sincérité. Mais l'amour-propre est loin d'être mort à jamais; il faudra donc l'action lente et douloureuse de l’épreuve bien acceptée… L'amour divin croît dans la douleur. Plus la douleur est poignante, plus sont vives les ardeurs du Saint Amour. Plus la tristesse pèse sur son âme, plus elle sent les flammes du divin amour, et son cœur laisse jaillir des paroles de feu." La bienheureuse Marie-Madeleine Postel va plus loin encore: 'Quand on aime, dit-elle, on n'a rien à souffrir, tant on trouve de bonheur à souffrir pour l'objet de son amour.'"

          3-4-4-La persévérance et l'accueil de la grâce

La persévérance dont il s'agit ici est la répétition patiente des actes d'acceptation de la Volonté de Dieu. Cependant: "Le détachement universel, la foi, la confiance et l'amour, ne sont possibles qu'avec la grâce; il la faut même en très grande abondance, pour les obtenir au degré élevé que requiert le saint abandon. Par conséquent, la prière s'impose... En attendant, l'âme cherche Dieu ici-bas sans relâche, elle aspire à une union d'amour toujours plus étroite, union qui donne le sentiment d'une possession savoureuse quand il plaît à Dieu, union où dominera très souvent le besoin, le désir, l'effort laborieux. Dans un cas, l'âme est unie à Dieu; dans l'autre, elle cherche à s'unir; dans les deux, c'est le même mouvement d'amour qui nous porte hors de nous pour nous jeter en Dieu, avec un ardent désir de le posséder. Cette union des cœurs produit l'union des volontés. Dès lors qu'on s'est épris d'une profonde affection pour Dieu, et qu'on s'est donné à lui sans réserve et sans partage, en possédant notre cœur il possède notre volonté, on ne sait plus rien lui refuser. Au ciel, on goûte l'union à Dieu dans les joies sans mélange de l'amour béatifique. Ici-bas, on la trouve bien plus souvent sur le Calvaire que sur le Thabor: quant à l'union de jouissance, elle est rare et fugitive, et, généralement, la souffrance la précède et la suit…"

          3-4-5-L'obéissance

"L'un des principaux engagements des religieux n'est-il pas d'accepter que le Supérieur dispose d'eux selon leurs saintes lois?" Ainsi, "celui qui s'appartient cherche une occupation en rapport avec ses goûts et ses aptitudes, et il n'a qu'à suivre en cela les règles de la prudence chrétienne. Dans nos monastères, nous ne pouvons faire le choix par nous-mêmes; c'est l'obéissance qui nous assigne ou de rester dans le rang de la Communauté, ou de gérer tel emploi temporel, telle charge spirituelle. Il y aura donc ici pour nous matière au saint abandon."

Se référant à saint François de Sales, Dom Vital pose la question: "Mon Dieu, vaut-il mieux, pour votre gloire et pour mon bien, que je passe par les charges ou que je reste sans emploi ? Je n'en, sais rien, vous le savez, Seigneur, et j'ai toute confiance en vous; arrangez cela au mieux de nos intérêts communs; je m'en rapporte à vous. Et Dom Vital ajoute: Concluons donc avec saint François de Sales qu'il sera toujours meilleur de ne rien désirer, mais de s'abandonner tout à fait entre les mains de la Providence… Mais lorsque le Supérieur a parlé, c'est Dieu qui a parlé; et l'un des engagements des religieux n'est-il pas d'accepter que le Supérieur dispose de nous selon nos saintes lois?... Nous n'avons pas le droit de refuser un emploi, parce qu'il est trop modeste. Rien n'est vil et méprisable que l'orgueil et le manque de vertu. Il n'y a pas de bas office au service du Très-Haut; les moindres travaux sont d'un prix inestimable à ses yeux, quand on les ennoblit par la foi, l'amour et le dévouement. La Très Sainte Vierge a surpassé de beaucoup les Séraphins eux-mêmes, parce qu'elle a rehaussé par les plus saintes dispositions les occupations les plus modestes…"

Surtout n'oublions pas que "dès lors que c'est Dieu qui nous les assigne, il sera avec nous… D'ailleurs, Dieu n'exige pas de nous le succès; mais il demande que l'on fasse de son mieux, et il s'en contente.

Terminons par une observation capitale du P. Rodriguez: 'Ce que Dieu considère en nous pendant cette vie, ce n'est pas l'importance du rôle que nous remplissons dans la Communauté… Attachez-vous seulement, à bien jouer le rôle qui vous a été donné, à faire un bon emploi des aptitudes que vous avez reçues,' de manière à glorifier Dieu par votre sanctification."

Tout cela suppose une profonde humilité ainsi que nous le conseille Dom Vital: "Avec une profonde humilité, approuvez, louez, puis aimez cette volonté souveraine, toute sainte, tout équitable, toute belle. Jetez les yeux sur la volonté de Dieu spéciale, par laquelle il aime les siens… Dites-lui souvent ces belles paroles qu'il disait lui-même à son Père en sa cruelle agonie: Seigneur, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne."

          3-4-6-La pratique des vertus.

Avec Dom Vital, nous pouvons conclure ce long chapitre sur la pratique des vertus: "La pratique des vertus est la seule voie du salut et de la perfection pour les adultes. C'est la fin prochaine de la vie spirituelle; c'en est l'exercice essentiel"… qu'ils soient religieux ou laïcs. Pratiquer les vertus n'est pas facultatif: "Il faut le faire absolument, et non sous condition. Dès lors que la pratique des vertus appartient à la volonté de Dieu signifiée, nous n'avons qu'à nous y porter, suivant les principes de l'ascèse chrétienne, avec la grâce assurément, mais par notre propre détermination, sans attendre que Dieu, par les dispositions de sa Providence, nous mette en demeure de le faire et nous déclare à nouveau sa volonté… Il n'y a donc pas lieu à l'abandon pour le fond même de cette pratique. Mais il trouvera sa place en plusieurs choses, comme le degré, la manière et certains moyens:

– Le degré de la vertu dépend de l'homme et pas seulement de la grâce qui abonde en toute âme fidèle; mais nous n'avons pas un idéal assez élevé, le courage et la persévérance nous manquent.

– Il existe plusieurs manières défectueuses de pratiquer la vertu. Un orgueil secret, le besoin de jouir, la peur de souffrir, peuvent en effet s’ y glisser. Dieu veut que nous cultivions désormais les vertus, non plus parce qu'elles nous sont agréables, utiles, honorables, et propres à contenter l'amour que nous avons pour nous-mêmes, mais parce qu'elles sont agréables à Dieu.

– Enfin, Dieu se réserve d'intervenir à son heure et comme il lui plaît, pour aplanir les obstacles, susciter les occasions, faciliter le travail. Il le fait par chaque événement de son bon plaisir, employant tous les hommes aux intérêts de sa gloire, mais les uns dans l'action plutôt que dans la souffrance, les autres par le martyre, les persécutions, la mortification volontaire, la maladie, etc… C'est donc à notre activité spirituelle, aidée de la grâce, qu'il faut demander la pratique des vertus."


[1] Le pieux Évêque de Genève indique à quels signes on discerne les inspirations divines, et comment il faut s'y comporter.
[2] C'est-à-dire une parfaite union avec Dieu et la volonté de Dieu.

   

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