La virginale épouse du
Seigneur comprit désormais qu'elle devenait d'autant plus
aimable
à l'éternel Époux qu'elle se montrait plus charitable envers le
prochain. Elle prépara donc et employa généreusement toutes les
ressources de son coeur à subvenir aux nécessités de ses frères. Mais
elle ne possédait rien en propre sur cette terre, car, ainsi que nous
l'avons dit dans la première partie, elle avait résolu d'observer les
trois grands voeux, en vraie religieuse. Pour ne pas disposer de ce qui
appartenait aux autres, sans leur consentement, elle s'en alla trouver
son père et lui demanda de vouloir bien permettre qu'elle fit l'aumône
aux pauvres, selon sa conscience. Jacques y consentit d'autant plus
volontiers qu'il voyait bien clairement que sa fille marchait en toute
perfection dans la voie de Dieu. Non seulement il lui donna cette
permission dans l'intimité, mais il en fit un ordre notifié à toutes les
personnes de la maison, en disant: " Que personne n'empêche ma très
douce fille de faire l'aumône à son gré, car je lui remets plein
pouvoir, même si elle voulait donner tout ce que j'ai dans cette
maison. " Notre sainte, ayant obtenu licence si complète, commença bien
moins à donner qu'à prodiguer les biens de son père. Cependant, comme
elle eut toujours à un degré extraordinaire le don de discrétion, elle
secourait largement, non pas quiconque le désirait, mais les pauvres
qu'elle savait être dans le besoin, même s'ils ne demandaient rien. En
ce temps, on lui parla de certaines familles pauvres qui, sans demeurer
à côté de sa maison, n'étaient pas loin de son voisinage, et qui
souffraient d'une grande misère, mais rougissaient de demander l'aumône.
Ces bruits n'arrivèrent pas à des oreilles inattentives, et Catherine,
imitant le bienheureux Nicolas, emportait de grand matin du froment, du
vin, de l'huile et d'autres provisions qu'elle pouvait se procurer, et
s'en allait seule à la porte de ces pauvres. Par un miracle du Seigneur,
elle trouvait la porte ouverte, déposait à l'intérieur ce qu'elle avait
apporté; puis, tirant à soi la porte, elle s'enfuyait.
Un jour, elle était si
malade que son corps était complètement enflé de la plante des pieds à
la tête, et qu’elle ne pouvait ni se lever de son lit, ni se tenir sur
ses jambes. Elle apprit qu'une pauvre veuve, habitant les maisons
voisines de celles qui touchaient la sienne, souffrait de la faim avec
ses fils et ses filles, et se trouvait dans une grande misère. Aussitôt
son cœur s'émut de compassion. et, la nuit suivante, elle pria son Époux
de vouloir bien lui accorder temporairement les forces suffisantes pour
qu'elle pût venir au secours de cette pauvre femme. Dès avant le jour,
elle se leva, parcourut toute la maison, remplit de froment un petit sac
qu'elle avait trouvé, remplit aussi de vin un " fiasco " grand vase en
verre, puis d'huile, un autre grand vase; elle recueillit de même ce
qu'elle put découvrir en fait d'aliments et apporta le tout dans sa
cellule. Elle avait pu porter séparément chacun de ces objets dans sa
chambre, mais il paraissait bien impossible qu'elle les portât tous
ensemble à la maison de la veuve, étant donné la distance qui l'en
séparait. Elle les arrange cependant si bien qu'elle les prend tous en
même temps; elle en met sur le bras droit, sur le bras gauche, sur les
épaules, en lie à sa ceinture, et, confiante dans le secours du Ciel,
elle essaie de soulever cette charge. Par un miracle du Seigneur, elle
l'enlève si facilement qu'elle ne lui trouve plus aucune pesanteur. Elle
nous avouait, à moi et à ses autres confesseurs, que tout cela ne lui
pesait pas plus qu'une paille. Et cependant, à bien compter, je crois
qu'il devait y avoir cent livres, ou à peu près, dans le fardeau qu'elle
porta ce jour-là. Le matin venu, aussitôt que l'on eut sonné la cloche,
signal avant lequel personne ne peut circuler dans les rues, notre
sainte, bien que toute jeune fille, et malgré son corps tout enflé,
sortit seule de chez elle, avec son pieux fardeau, et se dirigea vers la
maison de la pauvre femme aussi rapidement que si elle n'eût rien porté
ou n'eût pas senti le poids qui pesait sur elle.
Mais, quand elle approcha de
la demeure de l'indigente, sa charge commença à lui devenir si lourde
qu'il ne lui paraissait plus possible de continuer à la porter un seul
pas plus loin. Elle comprit que c'était là un jeu de son très doux
Époux; elle cria vers le Seigneur avec confiance, souleva son fardeau
avec une peine qui augmentait son mérite, et arriva jusqu'à la porte de
l'habitation de la pauvre veuve. Par la permission de Dieu, elle trouva
cette porte ouverte par en haut, passa son bras en dedans pour l'ouvrir
complètement et déposa son fardeau à l'intérieur. Cette lourde charge
fit en tombant tant de bruit que la pauvresse en fut réveillée.
Catherine voulut alors s'enfuir, mais il plut à son Époux de la
contrarier une seconde fois, et elle ne put pas s'en aller. La force
qu'elle avait reçue quand elle s'était levée après avoir prié semblait
lui être totalement enlevée. Elle restait là, tout appesantie et toute
faible comme auparavant, sans pouvoir faire un pas. Alors, tout à la
fois attristée et souriante, elle s'adressa à son Époux, qui se jouait
ainsi d'elle et lui dit: " O vous, qui m'êtes doux par-dessus toutes
choses, pourquoi m'avez-vous ainsi trompée? Vous plaît-il donc de vous
jouer ainsi de moi et de me confondre en me retenant à cette porte?
Voulez-vous donc manifester mes folies à tous les habitants du quartier,
et tout à l'heure à tous les passants? Est-ce que peut-être vous ne vous
souviendrez plus de toutes les bontés que vous avez bien voulu témoigner
à votre très indigne servante? Oh! je vous en prie, rendez-moi mes
forces pour que je puisse rentrer dans ma maison. " Tout en parlant
ainsi, elle s'efforçait de quitter ce lieu et disait à son corps: " Il
faut que tu marches, quand même tu devrais en mourir. " Elle s'éloigna
un peu, plutôt en se traînant qu'en marchant, mais pas assez pour que la
veuve, qui s'était levée, ne pût reconnaître l'habit de sa bienfaitrice
et deviner qui elle était. Cependant l'éternel Époux, voyant
l'affliction de cœur de son épouse, ne put y rester tout à fait
insensible, et lui rendit la force, qu'il lui avait donnée auparavant,
mais à un degré moins parfait. Catherine revint chez elle avec peine,
avant qu'il fît grand jour, et retomba sur son lit avec la même
faiblesse que la veille. C'est ainsi que ses infirmités corporelles ne
suivaient pas leur cours naturel, mais restaient soumises aux ordres du
Très-Haut, comme nous l'expliquerons plus loin avec la grâce du
Seigneur. Vous trouvez donc ici renouvelé, ô lecteur, l'acte de charité
du bienheureux Nicolas, accompli non pas une fois, mais souvent, et par
une personne grave ment malade. Mais allons plus loin, et cherchons si
nous ne pourrions pas trouver quelque action qui rappelât la générosité
du glorieux Martin.
Un jour qu'elle se trouvait
dans l'église des Frères Prêcheurs de Sienne, un pauvre vint à elle et
lui demanda l'aumône pour l'amour de Dieu. Elle n'avait rien à lui
donner, car elle ne portait habituellement sur elle ni or ni argent.
Elle pria donc le mendiant d'attendre qu'elle revînt à la maison, lui
promettant qu'alors elle lui ferait volontiers et largement l'aumône de
tout ce qu'aile pourrait trouver chez elle. Mais ce pauvre, qui, je
pense, était tout autre que l'apparence ne l'indiquait, lui répondit:
" Si vous avez quelque chose à me donner, je vous le demande ici, car je
ne puis attendre si longtemps. Catherine, ne voulant pas le renvoyer
sans consolation, cherchait, anxieuse, ce qu'elle pourrait bien lui
donner pour subvenir à sa nécessité. Tout en cherchant, elle aperçut une
petite croix d'argent suspendue à un de ces cordons garnis de nœuds,
qu'on appelle vulgairement " Pater Noster ", parce qu'on récite autant
de "Pater " qu'il y a de noeuds. Notre sainte avait dans sa main ce
"Pater Noster "; elle se hâta de briser le cordon, et donna avec joie la
croix au pauvre, qui, l'ayant reçue, s'en alla content, sans plus
demander l'aumône à personne, comme s'il n'était venu que pour obtenir
cette croix. La nuit suivante, pendant que la vierge du Seigneur priait
comme à l'ordinaire, le Sauveur du monde lui apparut. Il avait en main
la petite croix, ornée de nombreuses pierres précieuses, et il dit:
" Reconnais-tu cette croix, ma fille! " " Certainement, je la reconnais,
répondit la sainte, mais elle n'était pas si belle quand elle était à
moi. " Le Seigneur reprit: " Tu me l'as donnée hier, par amour pour les
vertus de charité et de générosité; c'est cet amour que signifient les
pierres précieuses. Je te promets, qu'au jour du Jugement, devant toute
l'assemblée des anges et des hommes, je te présenterai cette croix,
telle que tu la vois, afin que ta joie soit au comble. En ce jour, où je
manifesterai solennellement la miséricorde et la justice du Père, je ne
tairai pas et ne laisserai pas ignorer l’oeuvre de miséricorde que tu as
accomplie envers Moi " Cela dit, la vision disparut, laissant l'âme de
la vierge se répandre tout entière en d'humbles actions de grâces, et
pleine d'ardeur pour renouveler pareil acte de générosité. Le fait
suivant en est la preuve.
L'Époux souverainement
aimable des âmes, charmé par les actes de charité et de miséricorde de
son épouse, continua en effet de la tenter pour notre exemple et de la
provoquer à des actes plus généreux encore. Un jour, on venait de
chanter Tierce dans l'église nommée plus haut: tous les fidèles
s'étaient retirés. Catherine, qui avait coutume de prolonger sa prière,
était restée seule dans l'église avec une compagne. Comme elle
descendait de la chapelle des Soeurs, qui est dans un lieu assez élevé,
pour rentrer à la maison, le Seigneur apparut lui-même à son épouse,
sous la forme d'un jeune homme à moitié nu, pauvre et voyageur. Ce jeune
homme paraissait avoir de trente-deux à trente-trois ans, et demandait à
la sainte, au nom de Dieu, qu'elle voulût bien lui accorder le secours
de quelque vêtement. Catherine, plus ardente que jamais aux oeuvres de
miséricorde, lui dit: "Attendez, mon cher ami, attendez un peu ici, que
je revienne de cette chapelle, et je vous donnerai un vêtement. " Puis
elle rentra; avec l'aide de sa compagne et toutes les précautions que
demandait la modestie, elle fit tomber à ses pieds la tunique sans
manches, qu'elle portait sous sa robe à cause du froid, et revint
l'offrir avec grande joie au pauvre. Celui-ci, l'ayant reçue, demanda
davantage et dit : " Je vous en prie, Madame, maintenant que vous m'avez
pourvu d'un vêtement de laine, voudriez-vous aussi me procurer un peu de
linge. " La sainte y consentit bien volontiers. " Suivez-moi, mon
ami, lui dit-elle, je vous donnerai tout ce que vous me demanderez. "
L'épouse allait devant, et l'Époux suivait sans se faire connaître.
Catherine rentra à la maison paternelle, s'en alla au lieu où était
rangé le linge de son père et de ses frères, prit une chemise et des
caleçons, et les donna joyeusement au pauvre, qui, les ayant reçus, ne
cessa pas pour autant ses demandes. Voyez, Madame, je vous en prie,
dit-il, que puis-je faire de cette tunique, qui n'a pas de manches, pour
couvrir les bras? donnez-moi des manches pour que je sois complètement
vêtu en vous quittant. " Sans paraître importunée de ces nouvelles
exigences, qui ne faisaient qu'enflammer sa charité, la vierge parcourut
toute la maison, cherchant avec soin, si elle ne pourrait pas trouver
des manches. Elle découvrit par hasard, suspendue à une perche, une
tunique neuve qu'on n'avait pas encore mise, et qui appartenait à une
servante de la maison. Elle se hâta de dépendre cette tunique et d'en
découdre rapidement les manches, pour les apporter gracieusement au
mendiant.
Après quoi, Celui qui avait
autrefois tenté Abraham continua ses instances et dit à la sainte :
" Voici, Madame, que vous m'avez habillé; puissiez-vous éprouver la
reconnaissance de Celui pour l'amour duquel vous avez fait cette bonne
action; mais j'ai à l'hôpital un compagnon qui, lui aussi, a grand
besoin de vêtements, si vous vouliez lui envoyer quelque habit, je le
lui porterais volontiers de votre part. " Catherine ne se lassait pas
dans la ferveur de sa générosité; elle ne fut nullement troublée de ces
demandes répétées, et se mit à penser en elle-même, comment elle
pourrait trouver un vêtement pour habiller l'indigent de l'hôpital. Elle
se souvenait que toutes les personnes de sa maison, excepté son père, ne
supportaient qu'avec peine ses aumônes, et mettaient leurs effets sous
clef, de peur qu'elle ne les distribuât aux pauvres. D'un autre côté,
dans sa discrétion, elle trouvait qu'elle avait déjà bien assez pris à
la servante, et qu'elle ne pouvait tout enlever à une fille qui, elle
aussi, était pauvre. Elle se demanda sérieusement alors si elle devait
abandonner au pauvre la seule tunique qu'elle s'était gardée, et son
cœur de vierge ne pouvait se décider à prendre parti. La charité disait
oui, la modestie de la vierge disait non. Dans cette lutte, l'amour
triompha de l'amour. L'amour des âmes l'emporta sur l'amour qui nous
fait compatir aux besoins corporels du prochain. Catherine pensa qu'à
marcher sans tunique elle scandaliserait fort ce prochain, dont l'âme
lui était plus chère que le corps. Pour une aumône corporelle, il n'est
jamais permis de scandaliser les âmes. Elle répondit donc au pauvre
" Vraiment, mon cher ami, s'il m'était permis de rester sans cette robe,
je vous la donnerais bien volontiers, mais comme cela ne m'est pas
possible, et que je ne puis, en ce moment, trouver ailleurs un autre
vêtement, je vous prie de n'avoir pas trop à cœur mon refus, car
j'aurais grand plaisir à vous accorder tout ce que vous me demandez. "
Le pauvre se mit à sourire : " C'est bien, dit-il, je vois que vous me
donneriez de grand coeur tout ce que vous pourriez; portez-vous bien. "
Tandis qu'il se retirait, Catherine crut voir à certains signes qu'elle
avait eu affaire à Celui qui avait coutume de lui apparaître si souvent
à découvert, et de converser si familièrement avec elle. Le coeur de la
vierge en resta tout troublé et tout enflammé; mais, comme elle se
croyait très indigne d'une telle faveur, elle reprit aussitôt les
exercices habituels, auxquels elle consacrait chaque jour son temps.
La nuit suivante, pendant
qu'elle priait, le Sauveur du monde, Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui
apparut manifestement sous la figure du pauvre. Il avait en main la
tunique que la vierge lui avait donnée et qui était maintenant ornée de
perles et de pierres précieuses, aux riches couleurs et tout
étincelantes. "Ma fille bien-aimée, dit le Seigneur, reconnais-tu cette
tunique. " Comme la sainte avouait qu'elle la reconnaissait, mais ne
l'avait pas donnée si richement ornée, Il ajouta: " Tu m'as donné hier
cette tunique avec tant de libéralité, tu as mis tant de charité à
revêtir ma nudité pour m'épargner les souffrances du froid et de la
honte, que je veux maintenant tirer pour toi, de mon Corps sacré, un
vêtement que les hommes ne verront pas, mais que tu sentiras. Ce
vêtement protégera ton corps et ton âme contre tout refroidissement qui
pourrait leur nuire, jusqu'au temps où ils seront revêtus de gloire et
d'honneur, devant les saints et les anges. Aussitôt Notre-Seigneur, avec
ses mains sacrées, tira de la plaie cicatrisée de son propre côté un
habit couleur de sang, rayonnant de toute part, et fait à la mesure du
corps de la vierge. Toujours avec ses saintes mains, il en revêtit
Catherine en lui disant : " Je te donne ce vêtement avec ses merveilleux
privilèges, pendant que tu es sur la terre, en signe et gage du vêtement
de gloire, qu'au temps venu, tu recevras dans les cieux. " Et la vision
disparut. La grâce de ce présent fut si efficace, non seulement pour
l'âme, mais aussi pour le corps de notre sainte qu'à partir de ce
moment, elle ne porta pas plus de tuniques en hiver qu'en été. Elle
n'avait qu'une robe sur sa chemise, et jamais, depuis lors, quelle que
fût la saison, elle n'eut besoin d'autres vêtements pour mieux couvrir
son corps contre les intempéries de l'hiver, dont elle ne s'apercevait
même pas, ainsi qu'elle nie l'a avoué. Bien plus, comme elle sentait
toujours sur elle son vêtement divin, ses sens ne lui disaient rien de
la nécessité d'une autre tunique.
Voyez-vous, lecteur, quel
fut le mérite de cette vierge. Dans ses aumônes secrètes, elle suivit
les traces du bienheureux Nicolas; dans le don de ses propres vêtements,
elle imita le glorieux Martin; non seulement elle mérita de voir ses
oeuvres approuvées par une vision du Sauveur, qui lui dit sa
satisfaction, mais elle reçut à nouveau de l'infaillible Vérité la
promesse de la récompense éternelle, et put sentir continuellement un
signe sensible et perpétuel du plaisir que ses dons avaient fait à
l'Auteur de tout don. Qu'en pensez-vous? Quand le Seigneur a dit à la
sainte qu'il lui montrerait, au jour du Jugement, sa petite croix
d'argent, quand ensuite il lui a promis de la revêtir dans les cieux
d'un vêtement de gloire, ne lui a-t-il pas révélé manifestement non
seulement son salut final, mais la gloire extraordinaire dont elle
jouirait? n'a-t-il pas soulevé devant elle tous les voiles de son
éternelle prédestination? Vous ne trouverez rien de pareil chez les
saints que j'ai nommés. Après leurs admirables aumônes, ils n'eurent pas
révélation de l'éternelle récompense qui devait s'ensuivre. Le Seigneur
avait dit : " Martin, encore catéchumène, m'a recouvert de ce vêtement (Leçons
du IIe Nocturne de la fête de Saint Martin), mais il n'a pas ajouté
: " Je lui donnerai dans les cieux un vêtement de gloire " , bien que
finalement, il le lui eût accordé. Ce saint ne reçut pas un signe
sensible de sa gloire future, comme celui que vous voyez donné à notre
vierge. Et ne croyez pas que de pareilles révélations et de tels signes
soient à dédaigner. Si la simple assurance du salut final cause dans
l'âme une joie et une consolation telles que la langue ni la plume ne
sauraient les exprimer, que doit faire celle d'obtenir une grande
gloire. Ce ferme espoir donne à toutes les vertus un nouveau
développement. Patience, force, tempérance, diligente sollicitude dans
les œuvres saintes de la foi, de l'espérance et de la charité, habitudes
vertueuses de toutes sortes, puisent, dans cette confiance, un continuel
accroissement. Tout ce qui était d'abord difficile devient facile. L'âme
peut tout accomplir et tout supporter pour Celui qui lui notifie
l'éternelle élection dont elle est l'objet et lui apporte ainsi un
inexprimable réconfort. Dès maintenant ce que vous venez d'apprendre
peut vous donner l'idée de quelques-uns des privilèges de notre sainte;
mais je crois que la suite vous en montrera de plus grands et de plus
extraordinaires. Continuons le sujet commencé.
Une autre fois, la vierge
aimée de Dieu, brûlant sans cesse intérieurement du feu de la
compassion, apprit qu'un pauvre, qui s'était volontairement privé des
biens temporels pour l'amour de Dieu, souffrait de la faim. Elle remplit
d’œufs une bourse de toile qu'elle portait cousue à l'intérieur de sa
robe, pour de semblables cas et s'en alla nourrir le Christ, dans la
personne de son pauvre. En approchant de la demeure du pauvre, elle
entra dans une église. Bientôt son esprit, saisi de la pensée que
c'était là la maison de la prière, commença de s'élever, dans son
oraison, vers Celui auquel il restait toujours uni, de sorte que la
vierge eut un de ces ravissements, dont nous avons parlé au chapitre
précédent. Dans cette extase, son corps s'affaissa par hasard du côté où
pendait la bourse pleine d'oeufs. Tout le poids du corps porta sur cette
bourse, de sorte qu'un dé à coudre, qui s'y trouvait avec les oeufs, fut
écrasé et brisé en trois morceaux; mais les oeufs, que la charité y
avait mis, furent plus forts que le cuivre, il n'y en eut aucun
d'endommagé, comme s'ils n'eussent pas été là. Merveille étonnante à
raconter et beaucoup plus étonnante encore dans son accomplissement;
pendant plusieurs heures, ces oeufs supportèrent la pression de tout le
corps de la vierge; leurs coquilles si frêles n'en reçurent pas la
moindre déformation : ce qu'un anneau de cuivre n'avait pu porter, de
fragiles coques d'oeufs purent le soutenir. Et qu'on ne dise pas que le
poids du corps virginal portait tout entier sur l'anneau, car cela
paraîtra impossible à quiconque se donnera la peine de comparer la
surface des oeufs et du corps qui les pressait avec la surface de
l'anneau.
La charité versée par
l'Esprit-Saint au coeur de notre sainte produisait donc presque
continuellement non seulement des oeuvres de miséricorde, pour le
secours du prochain, mais encore des oeuvres miraculeuses et divines, à
l'honneur du Très-Haut. Pour vous le montrer plus clairement, je vais
vous raconter un miracle qui a eu autant de témoins qu'il y avait alors
d'hommes et de femmes habitant la maison paternelle de la sainte,
c'est-à-dire à peu près une vingtaine de personnes, si j'en crois des
témoignages dignes de foi. Je tiens ce récit de Lapa, mère de Catherine,
de Lysa sa belle-sœur, de Frère Thomas son premier confesseur, et de
plusieurs autres personnes qui vivaient alors dans la maison de Jacques
son père.
C'était au temps où, grâce
aux larges permissions de Jacques, Catherine faisait aux pauvres
d'abondantes aumônes. Il arriva que le vin du tonneau où l'on puisait la
boisson de toute la famille se trouva gâté. En fait de pain, de vin, et
de tout aliment destiné à soutenir la vie du corps, la vierge avait
coutume de ne pas donner aux pauvres ce qu'il y avait de plus mauvais,
mais, autant qu'elle le pouvait, elle choisissait pour l’honneur de Dieu
ce qu'il y avait de meilleur. Voyant donc que le vin était mauvais, elle
alla en puiser du bon à un autre tonneau, d'où personne n'en avait
encore tiré, et en servit chaque jour aux pauvres. De l'avis de tous, et
à en juger par ce que l'on consommait habituellement, ce tonneau
contenait autant de mesures de vin qu'il en fallait pour subvenir aux
besoins de la maison pendant quinze jours, tout au plus pendant vingt
jours. en l'économisant beaucoup. Mais avant que la famille puisât à ce
même fût, la vierge du Seigneur en avait, pendant longtemps, servi
chaque jour abondamment aux pauvres, car rien de ce qu'il y avait à la
maison ne pouvait lui être refusé. Bien des jours après que Catherine
eut commencé à donner de ce vin, celui qui était chargé du cellier en
prit enfin au même tonneau pour le service ordinaire de la table. Notre
sainte ne cessa pas pour cela d'en donner aussi largement que
d'habitude; elle en donnait même d'autant plus qu'elle se croyait moins
remarquée, car elle pensait attirer moins sur elle l'attention des
domestiques, en puisant au tonneau où l'on prenait la boisson de toute
la famille. Non seulement quinze jours, mais vingt jours se passent, et
l'on buvait toujours de ce même vin. Un mois tout entier s'écoule, sans
que le fût où l'on tirait paraisse se désemplir. Les frères de notre
sainte et tous les gens de la maison commencent à s'étonner; ils en
parlent à Jacques, et se réjouissent d'avoir un tonneau, qui, après
avoir suffi si longtemps aux besoins de la famille, ne paraissait pas
être près de s'épuiser. Ce qui ajoutait encore au joyeux étonnement de
tous, c'est qu'aucun d'eux ne se rappelait avoir bu vin si bon, de goût
si agréable et si exquis. Ce vin réjouissait le cœur de tous ces hommes
(Ps 103,15) ,non seulement par son étonnante quantité, mais
encore par ses délicieuses qualités. Ils ignoraient la cause de cette
merveille; mais la vierge qui avait reconnu la source bienfaisante d'où
provenait un si grand prodige, se mit à distribuer de ce vin à pleine
mesure, et publiquement, à tous les pauvres qu'elle pouvait trouver.
Même alors le contenu du tonneau ne diminua pas, et le goût du vin ne
fut en rien modifié. Un second mois s'écoula, puis un troisième, le
tonneau était toujours aussi rempli. Les vendanges approchaient, on
commença à préparer les fûts pour le vin nouveau. Ceux qui étaient
chargés des affaires de la maison désiraient que ce tonneau fût
complètement vidé afin qu'on pût le remplir du vin nouveau, dont les
pressoirs regorgeaient. Mais la munificence divine ne tarissant pas
encore, on prépara les autres pièces, on les remplit, et les pressoirs
avaient encore du vin. Le jeune homme qui dirigeait ce travail envoie
alors demander qu'on vide l'inépuisable fût, et qu'on le prépare. On lui
répond que, la veille au soir, on en avait encore tiré un grand fiasco
de vin pur, limpide et clair et qu'il ne paraissait pas moins rempli que
d'ordinaire. Sur quoi le jeune homme répliqua du ton d'un homme à bout
de patience : " Tirez tout ce vin, mettez-le quelque part et préparez ce
tonneau pour recevoir le vin nouveau, car nous ne pouvons attendre
davantage. " O merveille, en quelque sorte inouïe pour notre temps ! On
ouvrit le fût d'où était sorti, la veille, du vin clair en abondance, on
n'en trouva cette fois plus trace, comme s'il n'en fût pas resté une
seule goutte, depuis plusieurs mois. Le bois parut à tous tellement
desséché que personne ne pouvait douter qu'il eût été impossible, depuis
longtemps, de puiser du vin à ce tonneau, et certainement ce ne fut pas
un petit sujet d'étonnement, pour tous les témoins de ce prodige. En
voyant de leurs propres yeux combien le bois de ce fût était sec, ils
commencèrent à mieux reconnaître le caractère miraculeux de
l'augmentation et de l'amélioration d'un vin, qui avait suffi
jusqu’alors à un si long usage. Ce miracle, publiquement accompli, fut
connu de tout Sienne, en ce temps-là. Il eut autant de témoins qu'il y
avait d'habitants dans cette maison. J'ai cité les noms propres de
ceux-là seulement qui m'ont rapporté le fait. C'est par ce récit que je
finis ce chapitre.