CHEMIN DE SAINTETÉ
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Tout faire remonter à Dieu...
Et qui serait assez fou, dites-vous, pour présumer les tenir d'ailleurs ? Personne assurément, et le Pharisien même rend grâces à Dieu (Luc. XVIII, 1). Néanmoins Dieu ne le loue pas de sa justice ; et cette action de grâces, si vous vous souvenez bien de l'Évangile, ne le lui rend pas agréable. Pourquoi ? C'est que quelque dévotion qui paraisse au dehors cela ne suffit pas pour excuser l'enflure du cœur devant celui qui voit de loin ceux qui s'élèvent par l'orgueil (Ps. CXXXVII, 6). On ne se moque pas de Dieu, ô Pharisien. Croyez-vous avoir quelque chose que vous n'ayez point reçu ? Rien, dites-vous, et c'est pour cela que je rends grâces à celui qui m'a donné ce que j'ai. Si vous n'avez rien du tout, vous n'avez eu aucun mérite précédent, pour recevoir les choses dont vous vous glorifiez. Si vous en demeurez aussi d'accord, c'est donc en vain d'abord, que vous vous élevez avec présomption au dessus du Publicain ; car s'il n'a pas ce, que vous avez, c'est parce qu'il ne l'a pas reçu comme vous. De plus, prenez garde que vous ne rapportiez pas pleinement à Dieu tous ses dons, et que, détournant pour vous, quelque chose de sa gloire et de son honneur, vous ne soyez justement accusé de fraude, et de fraude envers Dieu. Car si vous vous attribuiez quelque chose des vertus dont vous vous vantez, comme venant de vous, je croirais que c'est parce que vous vous trompez vous-même, non pas que vous vouliez tromper ; et je corrigerais cette erreur. Mais comme en rendant des actions de grâces, vous montrez que vous ne vous attribuez rien à vous-même, et que vous reconnaissez prudemment que vos mérites sont des dons de Dieu; et de plus, comme en méprisant les autres, vous vous trahissez vous-même, et faites voir que vous parlez avec un coeur double; d'un côté vous faites servir votre langue au mensonge, et de l'autre vous usurpez la gloire de dire la vérité. En effet, vous ne jugeriez pas le Publicain méprisable. au prix de vous, si vous n'estimiez pas que vous êtes plus que lui. Mais que répondez-vous à l'Apôtre qui nous prescrit cette règle, et vous dit : "A Dieu seul soit honneur et gloire ?" (I. Tim. I, 9) Que répondez-vous de même à l'ange qui distingue et apprend ce qu'il plaît à Dieu de se réserver, et ce qu'il daigne départir aux hommes quand il s'écrie : "Gloire à Dieu dans le ciel et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ?" (Luc. II, 14) Voyez-vous maintenant que le Pharisien, en rendant grâces, honore Dieu des lèvres, et que dans son coeur ce n'est que lui-même qu'il honore. Ainsi nous en voyons plusieurs, dans la bouche desquels retentissent des actions de grâces ; mais plutôt par habitude que par un sentiment véritable ; c'est au point même que des scélérats à chacun de leurs crimes rendent souvent grâces à Dieu de ce qu'ils ont réussi, du moins ils le pensent ainsi, dans l'accomplissement de leurs désirs déréglés. Vous entendrez par exemple un voleur, après avoir exécuté son mauvais dessein, et dévalisé quelqu'un, se réjouir secrètement en lui-même, et dire : Dieu soit loué, je n'ai pas veillé en vain, et je n'ai pas perdu ma peine. De même celui qui a tué un homme, ne s'en glorifie-t-il pas, et ne rend-il pas grâces à Dieu de ce qu'il a été plus fort que son adversaire, ou s'est vengé de son ennemi ? Un adultère de même saute de joie, et loue Dieu de ce qu'il a joui enfin d'un plaisir qu'il avait longtemps désiré. Toute sorte d'actions de grâces n'est donc pas agréable à Dieu, il n'y a que celle qui part d'un cœur pur et simple». Saint Bernard de Clairvaux, "Sur la Cantique des Cantiques", Sermon XIII.
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