Le Cantique des cantiques est un
chant d’amour. L’Époux céleste a des
liens très forts avec la terre où se
trouve
l’épouse qu’Il lui a plu de choisir parmi les créatures. Il veut être l’un de
nous, et son langage est le langage de l’amour. “Dieu aime, et son amour n’a de
source qu’en Lui-même. Il aime avec d’autant plus de véhémence que l’Amour n’est
pas quelque chose qu’iI “a”, mais quelque chose qu’Il “est”... Maître, Il se
fait ami.... L’amour n’exalte personne, mais aussi ne déprécie personne... Il
met d’accord les grands et les humbles; non content de les rendre égaux, Il les
rassemble si bien qu’ils ne font plus qu’un... Celui qui s’attache à Dieu ne
fait avec Lui qu’un seul esprit... Il est devenu l’un de nous... Comme Fils de
l’homme, Il hérite de la terre; comme Seigneur, Il règne sur elle; comme
créateur, Il la gouverne; comme Époux, Il la partage. En disant “notre terre”,
il renonce à en être le seul propriétaire et Il consent à la posséder en
association avec l’épouse.” (59e Sermon)
L’Époux a tant d’amour pour l’épouse
qu’il veut la rendre sainte. Saint Bernard reprend dans le Cantique des
cantiques l’exemple des vignes (qui représentent les âmes et l’Église) qu’il
faut tailler, examiner, corriger, instruire pour les sauver. (58e
Sermon) “Quand l’épouse aura atteint la perfection, il conclura avec elle des
noces spirituelles : ils seront deux, non pas en une seule chair, mais en un
seul esprit.” (61e Sermon)
Et voici un hymne à l’Amour : “O
grâce! ô force de l’Amour ! Notre souverain à tous s’est fait l’un de nous.
C’est l’Amour qui opère ce miracle, l’Amour miséricordieux, oubliant sa dignité,
mais usant de sa puissance et de sa force de persuasion. Rien n’est plus violent
que l’amour puisqu’il triomphe de Dieu même. Rien n’est moins violent, puisqu’il
est l’Amour. Quelle est donc cette force, assez violente pour vaincre, assez
vaincue pour souffrir violence ? Il s’est anéanti lui-même afin que vous sachiez
que tout provient de l’amour: la plénitude dans son effusion, la grandeur
descendue à notre niveau, l’Unique entré en alliance avec nous. Époux admirable,
avec qui as-tu donc contracté une alliance si étroite ?... Est-ce pour l’Église
des gentils ? Elle est composée d’hommes mortels et pécheurs. Nous savons bien
qui elle est, mais Toi, qui es-tu pour te prendre d’un amour aussi vif, aussi
exigeant envers cette Éthiopienne ? Tu n’es pas un autre Moïse, mais plus que
Moïse. N’es-tu pas celui qui es beau entre tous les enfants des hommes ? Ce
n’est pas assez dire: tu es la clarté de la vie éternelle, le resplendissement
de la gloire de Dieu, l’effigie de sa substance. Tu es enfin le Dieu béni dans
tous les siècles.” (64e Sermon)
Le Seigneur est plein de compassion.
Parmi les parfums de l’Époux, “Il faut donner la préférence, entre tous les
onguents, à celui de la compassion, le seul que Notre Seigneur n’ait pas voulu
laisser perdre... Composé de pitié envers les malheureux, il (ce parfum) se
répand sur tout le corps du Christ ... qui a montré sa prédilection pour cet
onguent, lorsqu’il a dit: Je veux la miséricorde et non le sacrifice... Tel est
bien le parfum qui s’exhale, avant toute autre vertu, du sein de l’Épouse qui
cherche à se conformer en tout à la volonté de l’Époux” (12e Sermon)
Dieu s’est fait homme pour se
manifester à nous dans son immense bonté et dans son amour. “Se faisant plus
humble que les anges, il a posé une tente pour le soleil et s’est fait pareil au
fiancé quittant son pavillon. Doux, plus que splendide, aimable plutôt que
sublime, tel que l’Esprit de Dieu l’a consacré avant de l’envoyer évangéliser
les pauvres, guérir les cœurs affligés, prêcher le pardon aux captifs et la
délivrance aux prisonniers, annoncer l’année de la paix avec le Seigneur.” (22e
Sermon) “Grâce à ta compassion l’âme peut trouver un secours qui l’aide à vivre
quand elle est attristée ou inquiète.” (33e Sermon)
Il y a la noirceur de la compassion,
lorsqu’on partage la peine d’un affligé. Sachons que Dieu n’a pas en mépris un
cœur brisé et humilié : “il faut laisser la douleur de nos frères nous ternir
ainsi, car notre Roi de Paix ne saurait nous interdire cette tristesse dont Il a
daigné se revêtir lui-même lorsqu’Il a porté nos péchés dans son corps jusqu’au
sommet de la Croix.” (28e Sermon)
Le Seigneur est Miséricorde pour tous
les hommes. Dieu n’appartient pas seulement au peuple juif. Il est aussi le Dieu
des gentils. (Rom III, 29) Saint Bernard ajoute: "Si je suis sans mérite, Lui
n’est pas sans pitié. N’est-Il que justice ? Il est aussi miséricorde.” (14e
Sermon)
Le Seigneur Dieu (le Père) possède la
puissance, et la bonté est à Jésus. “Sous le rapport de la majesté, son Nom est
terrible; mais sous le rapport de la miséricorde, il n’est dans le Ciel aucun
autre nom révélé aux hommes, par lequel nous devrions être sauvés.” (15e
Sermon)
Et Saint Bernard, contemplant l’Époux
debout dans l’épreuve suprême de la Passion, debout dans l’accablement, ira
jusqu’à dire : “Je ne connais personne qui en fût capable, hors Notre Seigneur
Jésus-Christ. Il était vivant dans sa mort même, et son corps brisé sur la
Croix, se tenait dans sa divinité aux côtés de son Père, d’une part en priant
avec nous, de l’autre nous prenant en compassion avec son Père.” (56e
Sermon) Saint Bernard ajoute : “Isaïe à son tour m’a fait sentir la délectable
odeur de la miséricorde dans ces mots: Il s’est livré lui-même à la mort; il a
été mis au rang des scélérats; il a porté les fautes de plusieurs et il a
intercédé pour les pécheurs, afin qu’ils ne périssent pas. Aucune autre parole
ne respire mieux la miséricorde.” (67e Sermon)
Plus tard Bernard complétera sa
pensée et révélera le Cœur du Seigneur, ce qui est tout à fait exceptionnel à
l’époque où il vivait: “Ce qui me manque par ma faute, je le tire hardiment des
miséricordieuses entrailles du Seigneur, et elles sont percées d’assez de plaies
pour que l’effusion se produise. Ils ont percé ses mains, ses pieds et d’un coup
de lance, son flanc; par ces trous béants, je puis humer le miel de ce roc, et
l’huile qui coule de sa pierre très dure, c’est-à-dire voir et goûter la douceur
du Seigneur... Les clous et les plaies crient qu’en la personne du Christ, Dieu
se réconcilie avec le monde. Le fer a transpercé son âme et touché son Cœur,
afin qu’il sût compatir à ma nature vulnérable. Le secret de son Cœur paraît à
nu dans les plaies de son corps; on voit à découvert ce mystère d’infinie bonté,
cette miséricorde de notre Seigneur. Rien mieux que ces plaies ne pouvait faire
éclater en pleine lumière la douce pitié de notre Seigneur. Car il n’y a pas de
plus grande compassion que de donner sa vie pour les créatures condamnées et
vouées à la mort. Tout mon mérite, conclut Saint Bernard, c’est donc la pitié du
Seigneur.” (61e Sermon)
Saint Bernard, dans le 15e
Sermon, compare l’Époux à de l’huile : “L’huile a trois qualités : elle éclaire,
elle nourrit, elle sert d’onguent. Elle alimente le feu; elle fortifie le corps,
elle apaise la douleur. On peut en dire autant du nom de l’Époux. Il éclaire
quand on le prêche; il nourrit quand on le médite; il est un baume apaisant
quand on l’invoque... Jésus est du miel dans notre bouche, une mélodie à nos
oreilles, un chant de joie pour notre cœur. Et enfin, ce nom est un remède.”
Suit une longue série d’exemples sur
les bienfaits du nom de Jésus : il est la lumière pour celui qui est triste, le
retour à la vie pour le pécheur, le courage pour celui qui désespère, le remède
à toutes les maladies de l’âme, car il suffit d’évoquer le nom de Jésus pour se
représenter un homme doux et humble, bon, sobre, chaste, compatissant, paré de
toutes les vertus et de toutes les formes de sainteté. (15e Sermon)
La présence de Jésus ne se fait pas
sentir à l’extérieur, mais au-dedans et doucement : “Le Verbe ne s’entend pas,
mais pénètre ; Il ne parle pas, Il agit; Il ne frappe pas les oreilles, mais
enchante le cœur de sa caresse. Son visage ne prend pas figure, mais donne
figure à l’âme ; sa lumière n’éblouit pas les yeux du corps, elle inonde de joie
la face du cœur; on ne jouit pas de sa beauté sensible, mais du don de son
amour... C’est un compagnon disert dont les propos et les manières sont si
aimables que tout le monde se met à le suivre, comme à la trace de parfums
exquis...”
D’autres fois encore, "Il se présente
comme un roi magnifique et puissant que l’on voit encourager sa pauvre et timide
épouse, l’exhorter à concevoir des désirs... et l’introduire enfin dans ses
appartements réservés. Car le Cœur de l’Époux lui fait toute confiance, Il ne
pense pas qu’Il doive rien cacher à celle qu’Il a tirée de la misère, dont il a
mis la fidélité à l’épreuve et connu la tendresse. C’est ainsi qu’Il ne cesse de
se révéler intérieurement sous des formes changeantes à ceux qui le cherchent...
Sous ces apparences, d’ailleurs, Il est également doux et miséricordieux. Les
baisers expriment sa tendresse, les onguents et les parfums sa clémence et son
cœur compatissant; sur la route Il est gai, affable, généreux. S’Il montre ses
richesses et ses domaines, et s’Il distribue des récompenses, c’est en vertu de
sa largesse royale.” (31e Sermon)
“Notre Seigneur Jésus-Christ est la
fleur du jardin, le surgeon vierge issu
d’une vierge. Il est la fleur des
champs, le martyr parfait, la couronne des martyrs...” (47e Sermon)
“Il est aussi le lis des vallées, c’est-à-dire la couronne des humbles, la
gloire qui leur est réservée et que symbolise cette fleur éminente entre les
fleurs.” (47e Sermon) Cette fleur symbolise l’humilité: “Le juste est
humble, le juste est une vallée.” (47e Sermon) Et l’épouse, quand
elle célèbre l’Époux: “ ne célèbre pas sa grandeur, mais son humilité... Pour
l’épouse, l’abaissement de l’Époux est sa plus douce saveur; elle louera donc de
préférence sa grâce, sa miséricorde et sa condescendance.” (48e
Sermon)
Pour obéir au Père, le Verbe, le Fils
unique s’est fait chair. Il s’est chargé
de nos péchés, Il s’est fait péché
pour
que son Peuple ne périsse pas. L’Époux est devenu noir, mais pourtant sa beauté
est réelle : “Il vaut mieux qu’un seul, en prenant la ressemblance de la chair
pécheresse devienne noir pour tous, et non pas que toute la nation soit
condamnée pour la noirceur de son péché. La forme et l’éclat de l’essence divine
s’obscurciront donc, prenant l’apparence de l’esclave, pour sauver la vie de
l’esclave. La blancheur de la vie éternelle se ternira dans la chair afin de
purifier la chair. Celui qui, en beauté, surpasse tous les enfants des hommes
sera caché dans sa Passion, soumis à l’ignominie de la Croix et aux affres de la
mort, afin de rendre la lumière aux enfants des hommes. Il se dépouillera de
toute beauté et gagnera ainsi, pour Épouse admirable, une Église sans tache et
sans ride.” (28e Sermon)
L’Époux a la peau noire, mais “à
l’intérieur, il y a la blancheur divine, la beauté des vertus, la pureté, de
l’innocence, mais cachées sous la couleur de la faiblesse; et son visage est
comme voilé sous un masque méprisable, tant que, s’étant assimilé la chair
faillible, Il s’expose à toutes les tentations....” (28e Sermon)
Mais “sous la peau de bouc qui
représente le péché, je discerne la main qui ne pèche jamais, la nuque par où ne
passe jamais une pensée mauvaise, la bouche qui fut trouvée sans ruse. Je sais
qu’Il est doux et humble de cœur, aimable à voir, d’esprit délicieux et plus
que quiconque baigné à l’huile de joie... Il a dû devenir en tout semblable à
ses frères afin de leur être miséricordieux.” (28e Sermon)
On peut, avec Saint Bernard, se poser
la question : “Comment donc le soldat comprit-il la beauté du crucifié et
reconnut-il le Fils de Dieu dans cet homme mis au rang des criminels ? ... C’est
à la voix qu’il crut, et non à la face qu’il reconnut le Fils de Dieu. Il était
sans doute de ces brebis dont le Bon pasteur dit qu’elles écoutent sa voix.” (28e
Sermon)
Pour Bernard de Clairvaux, le
Seigneur est beau dans sa gloire, “mais, lorsqu’Il s’est anéanti, lorsqu’Il a
quitté pour la lumière naturelle son éclat impérissable, sa bonté m’apparaît
plus rayonnante encore, sa charité plus expansive, et plus vaste le domaine où
se répand sa grâce. Pour moi, Il se lève brillant comme l’Étoile de Jacob, Il
surgit lumineux comme la Fleur de Jessé, Il est un astre joyeux qui me visite
dans mes ténèbres, Soleil apparu dans les cieux.... Après son couchant, Il
ressuscite du sein de la terre, Soleil étincelant de la justice, et finalement
Roi de gloire vêtu de pourpre, Il se retire dans ses hautes demeures... Ce sont
toutes ces beautés, et d’autres pareilles que l’épouse voit dans son
bien-aimé...” (45e Sermon)
L’Épouse, elle aussi, saura, grâce à
sa foi, reconnaître Celui qu’elle aime et qui lui dit: “Tu me toucheras avec les
mains de la foi, les doigts de l’amour, l’étreinte de la piété, les yeux de
l’esprit. Je ne serai plus noir, alors. Ton Bien-Aimé sera blanc et vermeil. Il
sera beau, ceint de roses et de lis des vallées, je veux dire de martyrs et de
vierges et je me tiendrai au milieu de leur chœur, semblable à eux, vierge et
martyr... Sois donc pareille à eux, pareille à Moi, pour me toucher pareillement
et pour dire à ton tour: mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, et Il se reconnaît
entre dix mille... ne crains pas en cherchant Celui que tu aimes... tu
distingueras d’emblée l’élu entre mille, qui diffère de tous les autres et tu
diras: C’est Celui qui est beau sous la splendeur de ses vêtements et qui
s’avance, éclatant de force.” (28e Sermon)
De son côté l’âme pourra dire :
“Quand me combleras-tu de joie en me montrant ta face ? C’est ta face, Seigneur,
que je demande. Ta face est mon midi.” (33e sermon) Et Saint Bernard
complète plus loin sa pensée: “Afin que ton bonheur s’accomplisse, Il se
montrera tel qu’Il est, et son visage te comblera.” (41e Sermon)
L’humilité, nous dit Saint Bernard,
“c’est une sublime vertu qui mérite d’apprendre ce qui ne s’enseigne pas,
d’acquérir ce qui ne s’apprend pas, de concevoir du Verbe même et pour le Verbe
ce que toute parole est impuissante à exprimer.” (85e Sermon)
L’Époux donne l’humilité, source de
toutes les vertus. L’humilité est un des plus grands dons de l’Époux, car
l’humilité nous justifie, et Dieu accorde ses faveurs aux humbles : “Voyez-vous
comment l’humilité nous justifie ? Je dis bien l’humilité et non l’humiliation.
Tant de gens sont humiliés sans être humbles... La consommation de la justice
n’appartient qu’aux humbles, à ceux là qui peuvent dire: il est bon que tu
m’aies humilié... Sa grâce, Dieu la donne aux humbles, non pas aux humiliés. Est
humble alors qui change son humiliation en humilité et qui dit: il est bon que
je sois humilié... La grâce promise par Dieu ne l’est qu’à la seule humilité
joyeuse et absolue.” (34e Sermon)
Et Bernard dira plus tard, à
l’attention de ceux qui tentent de chasser leurs inclinations mauvaises, qui n’y
arrivent pas mais ne s’en montrent que plus doux et plus humbles envers
eux-mêmes : “Comment jeter la pierre à un homme qui a appris du Seigneur la
douceur et l’humilité de cœur ? N’allons pas croire banni du salut celui qui
imite le Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ, Époux de l’Église.” (49e
Sermon) Car, “l’Époux qui habite dans les hauteurs regarde tout ce qui est
humble au ciel et sur la terre.” (54e Sermon)
La Source de vie -
L’Aqueduc
Jésus-Christ Notre Seigneur est la
source de Vie. Cette source a été
détournée jusqu’à nous pour que nous puissions
y boire. Mais “le filet d’eau céleste descend par un aqueduc qui ne nous déverse
pas toute l’eau de la source, mais instille la grâce goutte à goutte, dans nos
cœurs desséchés, aux uns plus, aux autres moins. L’aque-duc lui-même est plein,
de sorte que tous s’alimen-tent à sa plénitude, sans la recevoir tout entière...”
Cet aqueduc, qui tient toute sa plénitude de la source jaillie du Cœur du Père,
c’est Marie, pleine de grâces donnée au genre humain pour nous donner Jésus, “
le Saint, le Seigneur des armées, la source de Sagesse, le Verbe du Père.”
(Œuvres Mariales. L’aque-duc)
L’Époux, fontaine jaillissant au
milieu du paradis, “irrigue la terre entière et répand ses bienfaits sur tous
les animaux. Heureux ceux qui méritent de s’y désaltérer... L’eau de sapience,
la source de Vie, ne coule pas en eux sans interruption, mais elle y jaillit par
moments, afin que naisse aussi d’eux-mêmes cette source d’eau vive qui monte
jusqu’à la vie éternelle. Les flots intarissables de ce fleuve impétueux
apportent dans la cité de Dieu une joie de tous les instants.” (54e
Sermon)
L’Époux donne la grâce et l’amour:
“Il appartient au Verbe de dire à l’âme: tu es belle, et de l’appeler son amie;
en le faisant, Il lui donne la faculté d’aimer et de se croire aimée... Elle
s’étonne de tant de condescendance et de générosité. La beauté de l’Époux, c’est
l’amour qu’elle a pour lui, et il est d’autant plus grand qu’il a en lui sa
source. Le langage du Verbe, c’est donc l’infusion de sa grâce.” (45e
Sermon) L’Époux est le don suprême: “Rien n’est meilleur, en effet, que de se
reposer et d’être avec le Christ. Mais il lui faut aller à ses affaires et
sortir pour sauver les âmes...” (46e Sermon)
Que l’épouse ne s’inquiète pas,
l’Époux reviendra car il ne peut supporter de voir son amie se tourmenter : “A
ses appels ardents, il accourt, incapable de tarder davantage...” Et comme il
l’a trouvée fidèle, “il passe un de ses bras sous la tête lasse, et de l’autre
s’apprête à l’embrasser, pour la réconforter en la serrant contre lui. Heureuse
l’âme qui repose sur le Cœur du Christ et s’abandonne entre les bras du
Verbe!... le Verbe qui est Dieu... qui est Celui qui est, et qui est la Sagesse
de Dieu... Étonnante bonté de l’Époux qui laisse reposer sur son Cœur l’âme
contemplative, et va jusqu’à écarter d’elle les soucis qui l’assiègent, les
inquiétudes de la vie active et le souvenir des affaires où elle est engagée.”
(51e Sermon)
Il n’est pas mauvais de s’attarder un
peu pour contempler la bonté, la douceur et la condescendance de la nature
divine. Les hommes “n’ont jamais connu dans les affections humaines rien qui ait
la tendresse manifestée par le Cœur du Très-Haut, tendresse exprimée ici par
celui qui pénètre les secrets de Dieu et ne peut rien ignorer de ce qui est en
lui, puisque c’est son propre Esprit... Le Seigneur ne dédaigne pas de se
pencher tendrement sur notre faiblesse, ni de contracter un mariage avec l’âme
en exil, lui témoignant tous les sentiments d’un époux très épris.” (52e
Sermon)
Le don des dons, c’est l’Amour. Les
pages qui suivent, extraites du 83e Sermon, doivent être
l’occasion
d’une profonde adoration de Celui qui est Amour. “Nous voici parvenus au retour
de l’âme qui se convertit au Verbe, se corrige grâce à Lui, et se conforme à
Lui. Par quel moyen ? Par l’amour... Cette conformité marie l’âme au Verbe ;
déjà semblable à Lui par sa nature, elle le devient aussi par sa volonté,
lorsqu’elle l’aime comme elle en est aimée.
Et si cet amour est parfait, ce sont
les noces spirituelles. Pas de joie plus grande que cette conformité. Pas de
bien plus désirable que cet amour grâce auquel l’âme, ne se contentant plus
d’écouter les enseignements des hommes, ose s’adresser au Verbe Lui-même,
s’attacher directement à Lui, Le questionner, L’interroger sur toutes choses, et
montrer d’autant plus d’audace dans ses désirs qu’elle sent son intelligence
plus capable de comprendre. C’est vraiment là un mariage spirituel qui est
saintement contracté. Mais c’est trop peu de dire encore: il y a plus qu’un
contrat, une étreinte, une union totale où le même vouloir, les mêmes refus
confondent deux esprits en un seul...” (83e Sermon)
“... L’amour est à lui-même
suffisant: lorsqu’il survient, il attire à lui et absorbe toutes les autres
passions. Il aime parce qu’Il aime, et ne sait rien de plus... C’est l’Époux et
l’épouse...”
“Ajoutez que cet Époux n’est pas
seulement un amant: il est l’Amour...Dieu est Amour... Il exige d’être craint
comme Seigneur, honoré comme Père, aimé comme Époux... C’est une grande chose
que l’amour, si du moins il remonte à son principe, retourne à son origine et
s’en revient toujours puiser à sa propre source les eaux dont il fait son
courant. De tous les mouvements de l’âme, de ses sentiments et de ses
affections, l’amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son
Créateur... Lorsque Dieu aime, Il ne veut rien d’autre qu’être aimé, car Il
n’aime que pour qu’on L’aime, sachant que ceux qui L’aimeront accéderont par là
même à la béatitude...”(83e Sermon)
“L’amour pur n’est pas mercenaire. Il
ne tire pas sa force d’une espérance, et n’est pas atteint par le doute de la
voir comblée. L’amour pur, c’est celui de l’épouse, parce que l’épouse est tout
amour. Sa seule fortune, son seul espoir est l’amour. De cet amour, l’épouse est
toute pleine, et l’Époux en est content, il n’en demande pas plus, comme elle
n’a rien d’autre à donner...” L’amour de l’Époux, ou plutôt l’Époux qui est
Amour, ne demande qu’amour réciproque et fidélité ?.. Comment l’Amour ne
serait-il pas aimé ?” (83e Sermon)
L’épouse a donc raison de renoncer à
tout autre amour pour répondre à l’Amour. Et même si elle se fond tout entière
dans cet amour, que sera-ce proportionnellement au torrent d’amour éternel qui
jaillit de la source même et se déverse en elle, et jamais l’épouse ne pourra
rivaliser avec ces flots d’amour. “Faudra-t-il pour autant que soient formés en
vain les souhaits de l’épouse désirant les noces spirituelles ?.. Non. Car, s’il
est vrai que la créature, dans la mesure où elle est inférieure au créateur,
aime moins que Lui, elle peut encore L’aimer de tout son être, et rien ne manque
là où il y a totalité. C’est pourquoi, comme je vous l’ai dit, aimer ainsi
équivaut à un mariage ; il n’est pas possible qu’un amour aussi fort n’appelle
pas en retour un amour égal, et la rencontre de ces deux amours constitue
l’entière perfection des noces... Heureuse celle qui a mérité d’être ainsi
prévenue et comblée d’une telle tendresse! Heureuse, si elle a reçu cette grâce
de connaître de si merveilleuses douceurs. C’est là l’amour pur et chaste,
l’amour le plus délicat, aussi paisible que sincère, mutuel, intime, fort, qui
réunit deux amants non pas en une seule chair mais en un seul esprit, de sorte
qu’ils ne soient plus deux, mais un.” (83e Sermon)
Revenons encore sur les noces
spirituelles. L’âme a enfin trouvé le Verbe qui l’a accueillie et qui lui a
pardonné ses infidélités. Désormais, soutenue par le Verbe, l’âme est établie
dans le bien. L’âme a changé sa volonté et retrouvé la vie. Elle est devenue
belle, de la beauté qui plaît à l’Époux, et “elle est soucieuse de préserver
ensemble une conscience pure et une réputation inentamée... Heureuse l’âme
revêtue de cette parure de chasteté et portant, si l’on peut dire, la robe
blanche d’une innocence céleste qui l’autorise à s’estimer conforme, non point
au monde, mais au Verbe dont il est écrit qu’il est la blancheur de la vie
éternelle, la splendeur et la figure de la substance de Dieu.
Parvenue à ce degré, l’âme peut
songer aux noces spirituelles. Elle a le droit de penser qu’elle peut s’unir au
Verbe, puisqu’elle se voit faite à son image. La hautesse (sic) du Verbe ne
saurait l’intimider, maintenant que la ressemblance les associe, que l’amour les
rapproche, que la foi crée entre eux un lien... Il est doux de sauver des âmes
nombreuses, mais sortir de soi pour s’unir au Verbe est infiniment plus doux.
Mais quand viendra cette joie, et combien de temps durera-t-elle ? C’est un
commerce délicieux mais qui n’est l’affaire que d’un bref instant, et dont
l’expérience est rare.” (85e Sermon)
Quand on vient d’achever la lecture,
difficile, des œuvres mystiques de Saint Bernard, on est émerveillé et ébloui
par l’amour que le Verbe (l’Époux) nous porte. Certes, le Cœur de Jésus n’est
pas expressément nommé, mais on le sent constamment présent. Et on ne peut
s’empêcher de penser que c’est le Cœur de Jésus Lui-même qui a inspiré Saint
Bernard pour se faire déjà découvrir à travers l’Amour qui imprègne constamment
ses œuvres mystiques. Et de faire découvrir sa joie qui est aussi la joie de
Saint Bernard.
C’est pourquoi nous avons essayé de
dire cette joie, telle que Saint Bernard aurait pu la chanter.
Ma joie, à moi, c’est de T’aimer
Jésus, c’est de T’adorer, de Te contempler, c’est de Te dire “je T’aime”. Ma
joie, Jésus, c’est de T’aimer.
Ma joie, Jésus, c’est de Te chercher
quand Tu Te caches, c’est surtout de Te retrouver... Ma Joie, Jésus, c’est de
m’abandonner et de me perdre en Toi, de me réfugier dans ton Cœur, ton Cœur de
Dieu qui nous aime tant, ton Cœur qui s’est ouvert pour nous donner ton Amour,
ces fleuves d’eau vive qui nous vivifient, ces sources d’eau vive qui nous
fécondent, ces fontaines de joie qui éclaboussent ta joie...
Ma joie, Jésus, c’est de m’approcher
de tes fontaines de joie pour y recueillir ta joie, pour happer tes
éclaboussures de joie et les garder dans mon cœur pour, un jour, les donner à
mes frères.
Ma joie Jésus, c’est d’être près de
Toi et de Te contempler. Ma joie Jésus, c’est de Te parler et de T’écouter,
d’écouter les merveilles que Tu nous dis, ces merveilles d’Amour, ces merveilles
de joie, ces merveilles de Toi ! Ma joie Jésus, c’est de m’émerveiller,
m’émerveiller de Toi. Ma joie, Jésus, c’est de T’écouter, même si je ne Te
comprends pas toujours, et c’est de Te redire ce que Tu m’as confié. Et c’est de
Te chanter, de louer tes merveilles, de crier ta bonté, et surtout de T’aimer !
Ma joie Jésus, c’est de
m’émerveiller, m’émerveiller de Toi, m’émerveiller en Toi. C’est de
m’émerveiller devant les œuvres de tes mains, ces œuvres merveilleuses que Tu
nous as confiées pour les faire fructifier et pour nous rendre heureux, mais
heureux de Toi, mon Dieu. Ma joie Jésus, c’est de m’émerveiller devant la grâce
d’un tout petit enfant, d’un enfant pur dont le regard révèle ta pureté. C’est
de m’émerveiller devant la bonté de tes enfants les hommes, de ces hommes qui
savent souvent être si bons, de ta bonté, Seigneur !
Ma joie Jésus, c’est de m’émerveiller
devant ta beauté, cette beauté qui me ravit, mais c’est surtout de contempler ta
bonté et ta douceur, ta tendresse et ta miséricorde... Oh! Jésus, ta bonté
m’étonne, ta douceur me séduit, ta Miséricorde me confond, et ta tendresse me
fait fondre d’amour et de reconnaissance. Ma joie Jésus, c’est de savoir que Tu
m’as tant aimé, moi qui ne le méritais pas, moi qui étais pécheur...
Ma joie Jésus, c’est de T’aimer et de
me perdre en Toi. Ma joie Jésus, c’est de Te dire oui! oui, du plus profond de
mon être, car je n’ai plus d’autre crainte que celle de Te faire de la peine, de
ne pas répondre à l’Amour, ton Amour, de ne pas Te donner l’Amour que Tu mendies
de moi. Ma joie Jésus, c’est de T’aimer tout en m’émerveillant de ton Amour,
puis de me perdre en Toi, de m’unir à Toi, de devenir Toi tout en restant
moi-même...
Ma joie Jésus, c’est de T’aimer,
c’est de Te laisser faire en moi pour réaliser ta volonté qui n’est que ton
désir infini de faire de nous des êtres heureux. Ma joie Jésus, c’est d’être
heureux, oui, mais heureux de Toi.
Ma joie Jésus, c’est de T’aimer, et
de Te redonner l’Amour qui vient de Toi. Ma joie Jésus, c’est de T’aimer et de
Te redonner ce qui est déjà Toi, l’Amour infini, l’Amour incréé que Tu es,
l’Amour qui nous façonne, l’Amour qui nous donne la vie simplement en nous
disant: car ta parole est Création.
Ma joie, Jésus, c’est Toi ! Je T’aime
Jésus, Tu es toute ma vie, Tu es toute ma joie, Tu es tout mon Amour, ô mon
Maître que j’aime et qui me rends heureux !
Car Tu me rends heureux, Jésus, d’un
bonheur sans pareil, d’un bonheur sans partage et qui pourtant se donne et se
partage, du bonheur qui es Toi, du bonheur que Tu as préparé pour nous de toute
éternité, du bonheur auquel Tu nous as prédestinés, du bonheur qui es Toi... Car
mon Dieu, Tu es Amour et bonheur ! Tu nous as faits pour Toi et, d’avance, dans
ton Cœur de Père, dans ton Amour de Créateur, Tu nous as tous prédestinés au
bonheur, dans ton Amour.
Ma joie, Jésus, c’est de Te dire je
T’aime... Ma joie, Jésus, c’est d’être heureux, heureux en Toi, heureux de Toi,
heureux de Ta Vie, heureux de Te connaître et de T’aimer, heureux d’être à Toi.
Prédestiné à être heureux, comme
chacun de tous mes frères, de tous tes enfants. Prédestiné à Ton Bonheur.
Ma joie, Jésus, c’est de savoir
cela ! Ma joie Jésus, c’est de T’aimer et d’aimer ton Bonheur ! Ma joie, Jésus,
c’est Toi !
[4] Extraits
des Sermons sur le Cantique des cantiques - Saint Bernard a rédigé
quatre vingt six sermons sur le Cantique des cantiques. L’ensemble
constitue un énorme ouvrage qui, à propos des mots ou des idées abordées
dans ce chant d’amour, traite de nombreux sujets liés, d’abord à la vie
monastique et à la vie mystique, mais également à la vie chrétienne, à
l’Évangile, à la vie de tous les jours ou à la vie spirituelle, en
fonction des besoins ou des circonstances.
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