LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

SECONDE PARTIE
Les trois voies

LIVRE III
De la voie unitive

CHAPITRE I
De la voie unitive simple

1303. Cette voie est l'état des âmes ferventes qui vivent habituellement dans l'union intime avec Dieu, sans avoir encore reçu le don de contemplation infuse. Habitués déjà à pratiquer les vertus morales et théologales, elles s'efforcent de les perfectionner en cultivant les dons du Saint Esprit ; leur oraison se simplifie de plus en plus et devient une oraison de simplicité, ou de simple recueillement qu'on appelle contemplation improprement dite, acquise, ou active. Que cet état existe, c'est ce que montrent l'expérience, la distinction des deux genres de contemplation, comme aussi la différence entre les dons actifs et contemplatifs.
1304. 1° L'expérience montre d'abord qu'il y a, dans le cloître et dans le monde, des âmes vraiment ferventes, unies à Dieu d'une façon habituelle, pratiquant les vertus chrétiennes avec générosité et constance, parfois même d'une façon héroïque, et qui cependant ne jouissent pas de la contemplation infuse. Ces âmes sont dociles au Saint Esprit, correspondent habituellement à ses inspirations, reçoivent même de temps en temps des lumières et des inspirations spéciales, sans que rien ne vienne déceler à elles-mêmes ou à leur directeur qu'elles sont dans l'état passif proprement dit.
1305. 2° C'est aussi ce qui ressort de la distinction entre la contemplation acquise et la contemplation infuse, dont on retrouve des traces jusque chez Clément d'Alexandrie et Richard de S. Victor, et qui est devenue classique depuis la fin du dix-septième siècle : les âmes qui demeurent dans la contemplation acquise pendant une période notable de leur vie, sont dans la voie unitive simple. Ici, pour éviter toute équivoque, nous ne disons point qu'il y ait deux voies divergentes, puisque nous admettons au contraire que la contemplation acquise est une excellente disposition à la contemplation infuse, quand il plaît à Dieu de nous la donner. Mais il est des âmes nombreuses qui ne la reçoivent point, tout en demeurant unies intimement à Dieu ; elles restent donc dans la voie unitive simple, sans qu'il y ait nécessairement faute de leur part.
1306. 3° Ce qui confirme cet argument, c'est que, parmi les dons du Saint Esprit, les uns nous sont donnés surtout pour l' action, et les autres surtout pour la contemplation. Or il arrive que certaines âmes, douées d'un tempérament plus actif et d'ailleurs absorbées par des occupations plus nombreuses, cultivent plus spécialement les dons actifs, et sont ainsi moins aptes à la contemplation proprement dite. Cette remarque n'a pas échappé au P. Noble : «  Ce n'est pas, dit-il, dans la fatigue du travail ou dans l’affairement de tâches compliquées et captant l'attention tout entière que la pensée peut se concentrer au dedans d'elle-même et fixer un immobile regard sur les réalités spirituelles et éternelles. Pour contempler, il ne faut pas être harcelé par d'opiniâtres et fatigants labeurs ; du moins il faut pouvoir leur imposer assez de répit pour que le cœur et l'esprit s'élèvent paisiblement vers Dieu. » (Rev. des Jeunes, 25.09.1923, p. 613). Ces âmes ne jouiront donc pas, habitueIlement du moins, de la contemplation infuse, mais seront étroitement unies à Dieu dans l'action, et dociles aux inspirations du Saint Esprit : c'est cet état que nous appelons voie unitive simple.
Comme elle est caractérisée : 1° par la culture des dons du Saint Esprit et 2° par l'oraison de simplicité, nous allons traiter successivement de ces deux éléments.

ART. I. DES DONS DU SAINT ESPRIT

Nous traiterons successivement : 1° des dons du Saint Esprit en général ; 2° de chacun d'eux en particulier ; 3° de leur rôle dans la contemplation ; 4° des fruits et des béatitudes qui correspondent aux dons.

§ I. Des dons du Saint Esprit en général

Nous exposerons : 1° leur nature ; 2° leur excellence ; 3° la façon de les cultiver ; 4° comment on peut les classifier.

I. Nature des dons du Saint Esprit

1307. Nous avons dit, n° 119, comment le Saint Esprit habitant notre âme, y produit, outre la grâce habituelle, des habitudes surnaturelles qui perfectionnent nos facultés et leur permettent de produire des actes surnaturels sous l'impulsion de la grâce actuelle. Ces habitudes sont les vertus et les dons : c'est en précisant la différence entre ces deux sortes d'habitudes que nous verrons mieux en quoi consistent les dons.
1308. 1° Différence entre les dons et les vertus. A) La différence fondamentale ne vient pas de l'objet matériel ou du champ d'action qui est en réalité le même, mais de leur manière différente d'opérer dans notre âme.
Dieu, nous dit S. Thomas, peut opérer en nous de deux façons : a) en se pliant au mode humain d'agir de nos facultés : c'est ce qu'il fait dans les vertus, alors il nous aide à réfléchir, à rechercher les meilleurs moyens pour arriver à notre but ; pour surnaturaliser ces opérations, il nous donne des grâces actuelles, mais nous laisse prendre l'initiative selon les règles de la prudence ou de la raison éclairée par la foi : c'est donc nous qui agissons, sous l'impulsion de la grâce. b) Mais Dieu agit, par le moyen des dons, d'une façon supérieure au mode humain d'agir : il prend lui-même l'initiative ; avant que nous ayons eu le temps de réfléchir et de consulter les règles de la prudence, il nous envoie des instincts divins, des illuminations et des inspirations, qui opèrent en nous, sans délibération de notre part, non toutefois sans notre consentement. Cette grâce, qui sollicite suavement et obtient efficacement notre consentement, peut être appelée grâce opérante : par elle nous sommes plus passifs qu'actifs, et notre activité consiste surtout à consentir librement à l'opération de Dieu, à nous laisser conduire par l'Esprit Saint, à suivre promptement et généreusement ses inspirations.
1309. B) A l'aide de ce principe fondamental, on comprend mieux les différences entre les dons et les vertus : a) Les vertus nous inclinent à agir conformément à la nature de nos facultés : ainsi, à l'aide de la grâce que nous recevons, nous cherchons, raisonnons, travaillons tout comme nous le faisons dans les actes d'ordre purement naturel ; ce sont donc des énergies premièrement et directement actives. Les dons au contraire nous donnent une souplesse, une réceptivité qui nous permet de recevoir et de suivre les motions de la grâce opérante : c'est cette grâce qui met en branle nos facultés, sans cependant leur enlever leur liberté, si bien que l'âme, nous dit S. Thomas, est plus passive qu'active : « non se habet ut movens sed magis ut mota » (IIa IIæ, q. 52, a. 2). b) Dans les vertus, nous nous conduisons d'après les principes et les règles de la prudence surnaturelle ; nous avons donc à réfléchir, à délibérer, à consulter, à choisir, etc. (n° 1020) ; sous l'influence des dons, nous nous laissons conduire par une inspira- tion divine, qui, soudainement, sans réflexions personnelles, nous presse vivement de faire telle ou telle chose. c) Comme la part de la grâce est beaucoup plus grande dans les dons que dans les vertus, les actes faits sous l'influence des dons sont normalement et toutes choses égales d'ailleurs, plus parfaits que ceux qui se font sous l'action des vertus ; c'est grâce aux dons que se pratique le troisième degré des vertus, et qu'on fait des actes héroïques.
1310. C) On se sert de diverses comparaisons pour mieux faire comprendre cette doctrine. a) Pratiquer les vertus, c'est naviguer à la rame, user des dons c'est naviguer à la voile : on avance ainsi plu rapidement et avec moins d’efforts. b) L’enfant qui, soutenu par sa mère, fait quelques pas en avant, c’est le symbole du chrétien qui pratique ses vertus avec l’aide de la grâce ; l’enfant que la mère prend dans ses bras pour le faire avancer plus rapidement, c'est l'image du chrétien qui utilise les dons en correspondant à la grâce opérante qui lui est donnée. c) L'artiste qui pince les cordes de la harpe pour en tirer des sons harmonieux est l'image du chrétien qui pratique les vertus ; mais, quand le Saint Esprit vient lui-même par ses touches divines faire vibrer les cordes de notre âme, celle-ci se trouve sous l'influence des dons. C'est une comparaison dont se servent les Pères pour exprimer l'action de Jésus dans l'âme de Marie : « Sua vissima cithara qua Christus utitur ad delicias Patris ».
1311. 2° Définition. De ce qui vient d'être exposé, on peut conclure que les dons du Saint Esprit sont des habitudes surnaturelles qui donnent à nos facultés une telle souplesse qu'elles obéissent promptement aux inspirations de la grâce. Mais, comme nous l'expliquerons bientôt, cette souplesse n'est d'abord qu'une simple réceptivité et a besoin d'être cultivée pour atteindre son plein développement. De plus elle n'entre en exercice que lorsque Dieu nous accorde cette grâce actuelle qu'on appelle opérante. Alors notre âme, tout en étant passive sous l'action de Dieu, est très active pour faire sa volonté ; et on peut dire des dons qu'ils sont tout à la foi des souplesses et des énergies, des docilités et des forces, rendant l'âme plus passive sous la main de Dieu et en même temps plus active à le servir et à faire ses œuvres.

II. Excellence des dons

On peut considérer cette excellence en soi et par rapport aux vertus.
1312. 1° En soi, il est évident que ces dons sont excellents. Plus nous sommes unis et dociles au Saint Esprit, source de toute sainteté, et plus par là même nous sommes parfaits. Or les dons nous mettent sous l'action directe du Saint Esprit, qui, vivant en notre âme, illumine notre intelligence de ses lumières, lui indique nettement ce que nous devons faire, enflamme notre cœur et fortifie notre volonté pour lui faire accomplir le bien suggéré. C’est donc une union aussi intime qu’elle peut l’être sur terre. Aussi ses résultats sont précieux. Ce sont les dons qui nous font pratiquer le degré le plus parfait des vertus morales et théologales, celui que nous avons appelé le troisième degré ; et qui inspirent les actes héroïques. C'est grâce à eux que l'âme est élevée, quand Dieu le veut, à la contemplation infuse, la souplesse et la docilité qu'ils produisent étant la disposition prochaine requise pour l'état mystique. C'est donc le chemin de raccourci pour arriver à la plus haute perfection.
1313. 2° Si nous comparons les dons aux vertus, ils sont, nous dit S.Thomas (IIa IIæ, q. 9, a. 3 ad 3), plus parfaits que les vertus morales ou intellectuelles. Celles-ci n'ont pas en effet Dieu pour objet immédiat, tandis que les dons portent les vertus à un degré supérieur où, se confondant avec la charité, elles nous unissent à Dieu. Ainsi la prudence, perfectionnée par le don de conseil, nous fait participer à la lumière même de Dieu, le don de force met en nous, à notre disposition, la force même de Dieu. Mais les dons ne sont pas supérieurs aux vertus théologales, surtout à la charité ; la charité est en effet le premier et le plus parfait des biens surnaturels, la source d'où découlent les dons. Toutefois on peut dire que les dons perfectionnent les vertus théologales dans leur exercice ; ainsi le don d'intelligence rend notre foi plus vive et plus pénétrante en lui manifestant l'harmonie intime de nos dogmes, et le don de sagesse perfectionne l'exercice de la charité en nous faisant goûter Dieu et les choses divines. Ce sont donc des moyens qui se rapportent aux vertus théologales comme à leur fin ; mais elles y ajoutent une perfection de plus.

III. De la culture des dons du Saint Esprit

1314. 1° Développement progressif. Nous recevons les dons du Saint Esprit en même temps que l'état de grâce : ce sont alors de simples facultés surnaturelles. Quand vient l'âge de raison et que notre cœur s'oriente vers Dieu, nous commençons, sous l'influence de la grâce actuelle, à mettre en œuvre tout notre organisme surnaturel, y compris les dons du Saint Esprit : il n'est pas croyable en effet que les dons restent inutilisés et inutilisables pendant une longue période de notre vie. Mais, pour qu'ils atteignent leur développement normal et complet, il faut avoir pratiqué tout d'abord les vertus morales pendant un temps notable, qui varie selon les desseins de Dieu sur nous et notre coopération à la grâce : ce sont en effet ces vertus qui, comme nous l'ayons dit, assouplissent peu à peu notre âme et la préparent à cette docilité parfaite que suppose le plein exercice des dons. En attendant ceux-ci croissent, comme habitudes, avec la grâce habituelle ; fréquemment ils ajoutent leurs énergies, sans que nous en ayons conscience, à celles des vertus pour nous faire pratiquer les actes surnaturels.
Il y a même des occasions où, par sa grâce opérante, le Saint Esprit provoquera d'une façon transitoire une ferveur inaccoutumée qui sera comme une contemplation passagère. Quelle âme fervente n'a pas en effet ressenti, à certains moments, de ces inspiratiohs soudaines de la grâce, où nous n'avions qu'à recevoir et suivre la motion divine ? C'était en lisant le saint Evangile ou un livre pieux, dans une communion ou une visite au Saint Sacrement, dans une retraite, au moment du choix d'un état de vie, d'une ordination, d'une prise d'habit ; il nous semblait alors que la grâce de Dieu nous emportait doucement et fortement.
1315. 2° Moyens pour cultiver les dons. A) La pratique des vertus morales est la première condition nécessaire à la culture des dons. Tel est l'enseignement de S. Thomas (Ia IIæ, q. 68, a. 8 ad 2). Pour acquérir en effet cette divine souplesse que confèrent les dons, il faut avoir dompté ses passions et ses vices, par des habitudes de prudence, d'humilité, d’obéissance, de douceur, de chasteté. Comment en effet pourrait-on percevoir, accueillir et suivre docilement les inspirations de la grâce quand l'âme est agitée par la prudence de la chair, l'orgueil, l'indocilité, la colère, et la luxure ? Avant d'être conduit par les instincts divins, il faut avoir tout d'abord suivi les règles de la prudence chrétienne ; avant d’obéir aux mouvements de la grâce, il faut avoir observé les commandements et triomphé de la superbe. Aussi, Cajetan, le fidèle commentateur de S. Thomas, dit avec raison : « Que les directeurs spirituels notent bien ceci, et qu'ils veillent à ce que leurs disciples s'exercent d'abord dans la vie active avant de leur proposer les sommets de la contemplation. Il faut en effet dompter ses passions par des habitudes de douceur, de patience, etc., de libéralité, d'humilité, etc., pour pouvoir, une fois apaisé, s'élever à la vie contemplative. Faute de cette ascèse préalable, beaucoup qui, au lieu de marcher, s'en vont sautant dans la voie de Dieu, se retrouvent, après avoir consacré un long temps de leur vie à la contemplation, vides de toutes vertus, impatients, colères, orgueilleux, pour peu qu’on les mette à l'épreuve. De tels gens n’ont eu ni la vie active, ni  la vie contemplative, ni l’union des deux, mais ils ont édifié sur le sable, et plût à Dieu que ce défaut fût rare.
1316. B) On cultive aussi les dons en combattant l'esprit du monde, qui est diamétralement opposé à l'Esprit de Dieu. C'est ce que nous demande S. Paul : « Pour nous, nous avons reçu, non l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce… L'homme naturel ne reçoit pas les choses de l'Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c'est par l'Esprit qu'on en juge » (I Cor., II, 12-14). Pour mieux combattre cet esprit du monde, il faut lire et méditer les maximes évangéliques, et y conformer sa conduite aussi parfaitement que possible ; alors on sera prêt à se laisser conduire par l'Esprit de Dieu.
1317. C) Viennent ensuite les moyens positifs et directs qui nous mettent sous l'action du S. Esprit : a) Avant tout, le recueillement intérieur, ou habitude de penser souvent à Dieu, vivant non seulement près de nous, mais en nous (n° 92). On arrive ainsi graduellement à ne pas perdre de vue la présence de Dieu, même au milieu des occupations les plus absorbantes ; on se retire souvent dans la cellule de son cœur, pour y trouver le Saint Esprit et prêter l'oreille à sa voix : « Audiam quid loquatur in me Dominus Deus » (Ps. LXXXIV, 9). Alors se réalise ce que dit l'auteur de l'Imitation : « Beata anima quæ Dominum in se loquentem audit, et de ore ejus verbum consolationis accipit » (De Imit. L. III, c. 1) ; le Saint Esprit parle au cœur, et ses paroles portent avec elles lumière, force et consolation.
1318. b) Et, comme ce divin Esprit nous demande des sacrifices, il faut s'habituer à suivre promptement et généreusement ses moindres inspirations, quand il nous parle d'une façon claire et certaine : « quæ placita sunt ei facio semper » (Joan., VIII, 29). Autrement il cesserait de se faire entendre, ou du moins parlerait beaucoup moins fréquemment : « Hodie si vocem ejus audiertis, nolite obdurare corda vestra, sicut in exacerbatione secundum diem tentationis in deserto, ubi tentaverunt me patres vestri » (Ps. XCIV, 8 ; Hebr., III, 7-8). Si les sacrifices qu'il nous demande paraissent difficiles, ne nous décourageons pas, mais, comme Augustin, demandons simplement la grâce de les accomplir. L'important, c'est de ne jamais résister de propos délibéré à ses divines inspirations : plus nous sommes dociles, et plus il se plaît à mouvoir notre âme.
1319. c) Il faut même aller au devant de lui, en l'invoquant avec confiance en union avec le Verbe incarné qui nous a promis de nous envoyer son Esprit, en union avec Celle qui est le temple le plus parfait et l'épouse du Saint Esprit, comme le firent les Apôtres qui, au Cénacle, priaient en union avec Marie : « cum Maria, matre Jesu » (Act., I, 14). L'Eglise nous fournit, dans sa liturgie, de magnifiques prières pour attirer en nous l'Esprit de Dieu : la séquence Veni Sancte Spiritus, l'hymne Veni Creator Spiritus, et d'autres invocations qu'on trouve dans le Pontifical pour l'ordination des sous-diacres, des diacres et des prêtres : elles ont évidemment une efficacité spéciale, et leur contenu est si beau qu'on ne peut les réciter sans une pieuse émotion. C'est aussi une excellente habitude de réciter, avant chacune de nos actions, le Veni Sancte Spiritus, comme on le fait dans les Séminaires ; nous y demandons la divine charité, principe des dons, et le don de sagesse « recta sapere », qui étant le plus parfait, contient tous les autres. Récitée avec attention et ferveur, cette prière ne peut rester sans effet.

IV. Classification des dons du Saint Esprit

1320. Le prophète Isaïe, en annonçant la venue du Messie, déclare que l'esprit de Dieu reposera sur lui, « esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte » (Is., XI, 2-3) ; et, comme par le baptême nous sommes incorporés au Christ, nous participons à ces mêmes dons. D'après la Tradition, ils sont au nombre de sept. On peut les classifier de différentes façons.
A) Au point de vue de la perfection, le moins parfait est la crainte de Dieu, le plus parfait est le don de sagesse.
B) Si on considère les facultés sur lesquels ils agissent, on distingue les dons intellectuels et les dons affectifs : les premiers, qui illuminent notre intelligence, sont : les dons de science, d'intelligence, de sagesse et de conseil ; les seconds, qui fortifient la volonté, sont la piété, la force et la crainte de Dieu. Parmi les dons intellectuels, il en est trois surtout qui produisent la contemplation infuse, les dons de science, d'intelligence et de sagesse, les autres sont appelés actifs.
C) Si on examine les dons dans leur correspondance avec les vertus qu'ils perfectionnent,

le don de conseil perfectionne la prudence ;
le don de piété perfectionne la religion, annexe de la justice ;
le don de force perfectionne la vertu de force ;
le don de crainte perfectionne la vertu de tempérance ;
les dons de science et d'intelligence perfectionnent la vertu de foi ;
le don de crainte se rattache à l'espérance ;
le don de sagesse à la vertu de charité.

C'est cette division que nous suivons, parce qu'elle nous montre mieux la nature de chaque don, en le rapprochant de la vertu qui lui correspond.

§ II. De chacun des dons en particulier

I. Le don de conseil

1321. 1° Nature. A) Le don de conseil perfectionne la vertu de prudence en nous faisant juger promptement et sûrement, par une sorte d'intuition surnaturelle ce qui convient de faire, surtout dans les cas difficiles. Par la vertu de prudence nous réfléchissons et recherchons avec soin, les meilleurs moyens pour atteindre un but, profitant des leçons du passé et mettant à profit nos connaissances présentes pour prendre une sage décision. Avec le don de conseil, il en va tout autrement ; le Saint Esprit nous parle au cœur et nous fait comprendre en un instant ce que nous avons à faire, et ainsi se réalise la promesse faite par Notre Seigneur à ses apôtres : « Lorsqu'on vous livrera, ne pensez ni à la manière dont vous parlerez, ni à ce que vous devez dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur l'heure » (Matth., X, 19). C'est ce que nous voyons dans la conduite de S. Pierre, après la Pentecôte ; arrêté par les Sanhédrites, il reçoit l'ordre de ne plus annoncer Jésus-Christ ; et aussitôt il réplique : « Obedire oportet Deo magis quam hominibus » (Act., V, 29) : mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes.
Bien des Saints ont joui de ce don de conseil. S. Antonin le possédait à un si haut degré que la postérité lui a décerné le titre de bon conseiller, Antoninus consiliorum ; il était en effet consulté non seulement par les simples fidèles, mais encore par les hommes d'Etat, en particulier Côme de Médicis, qui le choisit plusieurs fois pour ambassadeur. Nous admirons aussi ce don dans une Ste Catherine de Sienne, qui, toute jeune encore et sans avoir jamais étudié, donne de sages conseils aux princes, aux Cardinaux, au Souverain Pontife lui-même ; dans une Ste Jeanne d'Arc, qui, ignorante de l'art de la guerre, trace des plans de campagne admirés par les meilleurs capitaines, et nous indique où elle puisait sa sagesse : « Vous avez été à votre conseil, moi aussi j'ai été au mien ».
1322. B) L'objet propre du don de conseil c'est la bonne direction des actions particulières ; les dons de science et d'intelligence nous donnent les principes généraux ; mais le don de conseil nous les fait appliquer aux mille cas particuliers qui se présentent à nous : la lumière du Saint Esprit nous montre alors ce qu'il faut faire dans le temps, le lieu et les circonstances où l'on se trouve; et, si nous sommes chargés de conduire les autres, quels conseils on doit leur donner.
1323. 2° Nécessité. A) Pour tous, ce don est nécessaire en certains cas plus importants et plus difficiles, où il y va de notre salut ou de notre sanctification, par exemple dans les questions de vocation, ou de certaines occasions de péché qu'on rencontre dans l'exercice même de ses fonctions. La raison humaine étant faillible et incertaine en ses voies, et ne pouvant procéder que lentement, il importe, aux moments décisifs de notre vie, de recevoir les lumières de ce divin Conseiller, qui d'un seul coup d’œil embrasse tout, et qui, en temps opportun, nous fait voir avec sûreté ce que nous devons faire dans telle circonstance difficile. Avec le don de conseil, dit Mgr Landrieux, elle a le discernement sûr des moyens ; elle voit son chemin ; elle y marche avec assurance, fût-il ardu, aride et rebutant... elle sait attendre l'heure propice. B) Ce don est particulièrement nécessaire aux supérieurs et aux prêtres, soit pour leur sanctification personnelle, soit pour la sanctification des autres. a) Il est parfois si difficile de savoir concilier la vie intérieure et l'apostolat, l'affection qu'on doit aux âmes et la chasteté parfaite, la simplicité de la colombe et la prudence du serpent, que ce n'est pas trop d'une lumière spéciale du Saint Esprit pour nous suggérer au moment voulu la conduite à tenir. b) De même les Supérieurs, qui doivent faire observer la règle avec fidélité et garder cependant la confiance et l'affection de leurs subordonnés, ont besoin de beaucoup de tact pour allier une juste sévérité avec la bonté, ne pas multiplier les prescriptions et les avis et faire observer la règle par amour encore plus que par crainte. c) Quant aux directeurs, de quelle lumière n'ont-ils pas besoin pour discerner ce qui convient à chacun de leurs dirigés, connaître leurs défauts et choisir les meilleurs moyens de les réformer, décider des vocations et conduire chaque âme au degré de perfection ou au genre de vie auquel elle est appelée !
1324. 3° Moyens de le cultiver. A) Pour cultiver ce don, il faut tout d’abord avoir un sentiment profond de notre impuissance, et souvent recourir au Saint Esprit pour qu’il nous fasse connaître ses voies : « Vias tuas, Domine, demonstra mihi : et semitas tuas edoce me » (Ps. XXIV, 4). Il ne manquera pas de venir nous éclairer d'une façon ou de l'autre, parce qu'il s'abaisse vers les humbles ; surtout si nous avons soin de l'invoquer dès le matin pour toute la journée, au commencement de nos principales actions, et spécialement dans tous les cas difficiles. B) En outre, il faut s'accoutumer à prêter l' oreille à la voix du Saint Esprit, à tout juger à sa lumière, sans se laisser influencer par les considérations humaines, et à suivre ses moindres inspirations ; trouvant alors notre âme souple et docile, il lui parlera au cœur beaucoup plus fréquemment  .

II. Le don de piété

1325. 1° Nature. Ce don perfectionne la vertu de religion, annexe de la justice, en opérant en nos cœurs une affection filiale envers Dieu, et une tendre dévotion envers les personnes ou les choses divines, pour nous faire accomplir avec un saint empressement nos devoirs religieux. La vertu de religion ne s’acquiert que laborieusement, le don de piété nous est communiqué par le Saint Esprit.
A) Il nous fait voir en Dieu un Père très bon et très aimant, et non plus seulement un Maître souverain : « Accepistis spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus : Abba, Pater » (Rom., VIII, 15). Il dilate donc notre âme dans la confiance et dans l'amour, sans exclure la révérence qui lui est due. Il cultive donc en nous un triple sentiment : 1) un respect filial pour Dieu, qui nous le fait adorer avec un saint empressement, comme un Père bien-aimé ; alors les exercices spirituels, au lieu d’être une tâche ardue, deviennent comme un besoin de l’âme, un élan du cœur vers Dieu ; 2) un amour tendre et généreux, qui nous porte à nous sacrifier pour Dieu et pour sa gloire, en vue de lui plaire ; ce n'est donc pas une piété égoïste, qui recherche les consolations, une piété inerte qui reste oisive alors qu'il faudrait agir, une piété sentimentale qui ne recherche que les émotions et se perd en rêveries ; c'est la piété virile qui manifeste son amour en faisant la volonté divine ; 3) une obéissance affectueuse, qui voit dans les commandements et les conseils l'expression très sage et très paternelle des volontés de Dieu sur nous ; de là un saint abandon entre les mains de ce Père très aimant, qui sait mieux que nous ce qui nous convient, et qui ne nous éprouve que pour nous purifier et nous unir à lui : « diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum » (Rom., VIII, 28).
1326. B) Ce même sentiment nous fait aimer les personnes et les choses qui participent à l'être divin et à ses perfections. 1) Ainsi nous aimons et vénérons la Ste Vierge, parce qu'elle est la Mère de Dieu et notre mère (n° 155-156) ; ainsi nous reportons sur elle quelque chose de notre vénération et de notre amour pour Dieu, puisqu'elle est de toutes les créatures celle qui reflète le mieux ses perfections. 2) De même nous aimons et révérons dans les Anges et les Saints un reflet des attributs divins. 3) La Sainte Ecriture nous apparaît comme la parole de Dieu, une lettre écrite pour nous par notre Père du ciel, et nous communiquant sa pensée et ses desseins sur nous. 4) La Sainte Eglise, c'est pour nous l'Epouse du Christ, sortie de son sacré côté, perpétuant sa mission sur terre, revêtue de son autorité infaillible ; notre mère, qui nous a enfantés à la vie de la grâce et l'alimente par ses sacrements. Nous nous intéressons donc à tout ce qui la touche de près, à ses succès comme à ses humiliations ; nous épousons tous ses intérêts et sommes heureux de les promouvoir ; nous compatissons à ses douleurs : en un mot nous avons pour elle un amour filial. Nous y ajoutons une obéissance cordiale, sachant bien que se soumettre à ses prescriptions c'est obéir à Dieu lui-même : « qui vos audit, me audit » (Luc, X, 16). 5) Le chef de cette Eglise, le Souverain Pontife, est pour nous le lieutenant, le représentant visible de Jésus Christ sur terre : nous reportons donc sur lui notre vénération et notre amour pour le chef invisible de l'Eglise, et il nous est doux de lui obéir comme au Christ lui-même. 6) Ces sentiments nous les éprouvons aussi à l'égard de nos supérieurs, en qui nous aimons à voir Jésus Christ. Et si Dieu nous confie des inférieurs, nous reportons sur eux la tendresse filiale que Dieu nous témoigne.
1327. Nécessité. A) Tous les chrétiens ont besoin de ce don pour accomplir avec joie et empressement leurs devoirs de religion envers Dieu, de respectueuse obéissance à l'égard de leurs supérieurs, de condescendance à l'égard de leurs inférieurs. Sans lui, ils agiraient avec Dieu comme avec un maître : la prière serait un fardeau plus qu'une consolation, les épreuves providentielles apparaîtraient comme des châtiments sévères ou même injustes. Sous l'influence de ce don au contraire, Dieu nous apparapit comme un Père, c’est avec une joie filiale que nous lui rendons nos hommages, et avec une douce soumission que nous baisons la main qui ne nous frappe que pour nous purifier et nous unir plus intimement à Lui.
1328. B) Ce don est bien plus nécessaire encore aux prêtres, aux religieux, à toutes les personnes qui se consacrent à Dieu tout en vivant dans le monde. a) Sans lui, les nombreux exercices spirituels qui forment la trame de leur vie, deviendraient vite un joug jnsupportable : car on ne peut penser longuement à Dieu que quand on l'aime, et c'est précisément le don de piété qui, uni à la charité, met dans l'âme ces sentiments de tendresse filiale envers Dieu qui transforment nos exercices en une douce conversation avec notre Père céleste. Sans doute les sécheresses viennent parfois troubler cet entretien ; mais on les accepte avec patience, et même avec joie, comme venant d'un Père qui ne se cache que pour se faire chercher ; et, comme on ne désire qu’une chose, lui plaire, on est content de souffrir pour lui. b) Ce don ne nous est pas moins nécessaire pour traiter avec bonté et douceur les âmes qui ne nous seraient pas naturellement sympathiques ; pour avoir une tendresse paternelle à l'égard de celles qu'il veut bien nous confier, et entrer dans les sentiments de S. Paul qui voulait former en ses disciples Jésus Christ lui-même : « Filioli mei quos iterum parturio donec formetur Christus in vobis » (Galat., IV, 19).
1329. 3° Moyens de cultiver ce don. A) Le premier, c'est de méditer fréquemment ces beaux textes de la Ste Ecriture qui nous décrivent la bonté, la miséricorde paternelle de Dieu à l'égard des hommes et surtout à l'égard des justes (n° 93-96). Le titre de Père est celui sous lequel il aime à être connu et aimé, surtout dans la Loi nouvelle ; nous devons donc recourir à lui, en toutes nos difficultés, avec l'empressement et la confiance d'un fil. Ainsi nous accomplirons nos exercices de piété avec amour, en recherchant avant tout le bon plaisir de Dieu et non pas notre consolation. B) Le second, c'est de transformer nos actions ordinaires en actes de religion, les faisant pour plaire à notre Père céleste (n° 527) : ainsi notre vie tout entière devient une prière, et par conséquent un acte de piété filiale à l'égard de Dieu, et de piété fraternelle à l'égard du prochain. Ainsi nous accomplissons parfaitement la parole de saint Paul : « Exerce teipsum ad pietatem... pietas autem ad omnia utilis est promissionem habens vitæ quæ nunc est et futuræ : la piété est utile à tout : elle a des promesses pour la vie présente et pour la vie à venir » (I Tim., IV, 7-8).
 
III. Le don de force

1330. 1° Nature. C'est un don qui perfectionne la vertu de force en donnant à la volonté une impulsion et une énergie, qui lui permet de faire ou de souffrir allègrement et intrépidement de grandes choses, malgré tous les obstacles. Il diffère de la vertu en ce qu'il vient non pas de nos efforts aidés de la grâce, mais de !'action du Saint Esprit qui saisit l'âme par en haut et lui donne un empire particulier sur les facultés inférieures et sur les difficultés du dehors. La vertu n'enlève pas une certaine hésitation, une certaine crainte des obstacles et des insuccès ; le don y substitue la décision, l'assurance, la joie, l’espoir certain du succès et produit ainsi de plus grands résultats. Voilà pourquoi il est dit de S. Etienne qu'il était plein de force parce qu'il était rempli du Saint Esprit : « Stephanus autem plenus gratia et fortitudine... cum autem esset plenus Spiritu Sancto » (Act., VI, 8 ; VII, 55).
1331. Agir et souffrir, au milieu même des difficultés les plus épineuses, et cela au prix d'efforts parfois héroïques, tels sont les deux actes auxquels nous porte le don de force. a) Agir, c'est-à-dire entreprendre sans hésitation ni crainte les choses les plus ardues ; par exemple, pratiquer le recueillement parfait dans une vie très mouvementée, comme le fit S, Vincent de Paul ou Ste Thérèse ; garder inviolablement la chasteté au milieu des rencontres les plus scabreuses, comme S. Thomas d' Aquin et S. Charles Borromée ; demeurer humble au milieu des honneurs, comme S. Louis ; braver les périls, les ennuis, les fatigues, la mort même, comme le fit François Xavier ; fouler aux pieds le respect humain, mépriser les honneurs, comme le fit S. Chrysostome, qui ne craignait qu'une chose, le péché. b) Il ne faut pas moins de force pour supporter de longues et douloureuses maladies, comme le fit Ste Lidwine, ou des épreuves morales comme celles qu’endurent certaines âmes dans les épreuves passives ; ou simplement pour observer pendant toute une vie, sans défaillance, tous les points de sa règle, Le martyre est considéré comme l'acte par excellence du don de force, et avec raison, puisqu'on donne pour Dieu le bien le plus cher, la vie ; mais verser son sang goutte à goutte en se dépensant complètement pour les âmes, comme le font, après S. Paul, tant d'humbles prêtres, et tant de pieux laïques, est un martyre à la portée de tous, et qui n'est guère moins méritoire.
1332. 2° Nécessité. Il est inutile d'insister longuement sur la nécessité de ce don. Nous avons dit en effet, n° 360, qu'en bien des circonstances il faut, pour conserver l'état de grâce, pratiquer l'héroïsme. Or c'est précisément le don de force qui nous permet d'accomplir généreusement ces actes difficiles. Combien plus nécessaire encore est ce don dans certaines professions où l'on est obligé de s'exposer aux maladies et à la mort, par exemple au médecin, au soldat, au prêtre !
1333. 3° Moyens de le cultiver. A) Puisque notre force ne vient pas de nous-mêmes, mais de Dieu, il faut évidemment la chercher en lui en reconnaissant humblement notre impuissance. La Providence se sert en effet des instruments les plus faibles, pourvu qu'ils aient conscience de leur faiblesse et s'appuient sur Celui qui seul peut les fortifier. Tel est le sens de ces paroles de S. Paul : « Ce qui était insensé aux yeux du monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages ; et ce qui était faible, il l'a choisi pour confondre les forts... pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu ». C'est surtout dans la sainte communion que nous pouvons aller chercher en Jésus la force dont nous avons besoin pour triompher de tous les obstacles. S. Chrysostome représente les chrétiens, au sortir de la sainte table, forts comme des lions, parce qu'ils participent à la force même du Christ.
1334. B) Il faut aussi saisir avec soin les mille petites circonstances où, par la continuité de l'effort, on peut pratiquer la force et la patience. C'est ce que font ceux qui se soumettent joyeusement à une règle depuis le matin jusqu'au soir, qui s'efforcent d'être attentifs à leurs prières et recueillis tout le long du jour, qui gardent le silence alors qu'ils ont envie de causer, qui évitent de regarder les objets qui excitent leur curiosité, qui souffrent sans se plaindre les intempéries des saisons, qui se montrent aimables à l'égard de ceux qui leur sont naturellement antipathiques, reçoivent avec patience et humilité les reproches qu'on leur fait, s'accommodent aux goûts, aux désirs et aux tempéraments des autres, supportent sans s'irriter la contradiction, en un mot, s'appliquent à triompher de leurs petites passions et à se vaincre eux-mêmes. Faire tout cela, non pas une fois en passant, mais habituellement, le faire non seulement patiemment, mais joyeusement, c'est déjà de l'héroïsme ; et il ne sera pas difficile alors d'être héroïque dans les grandes circonstances quand elles se présenteront : nous aurons avec nous la force même du Saint Esprit (Act., I, 8).

IV. Le don de crainte

1335. 1° Nature. Il ne s'agit pas ici de la peur de Dieu, qui, au souvenir de nos péchés, nous inquiète, nous attriste ou nous agite. Il ne s'agit pas non plus de la crainte de l'enfer, qui suffit pour amorcer une conversion, mais non pour achever notre sanctification. Il s'agit de la crainte révérentielle et filiale qui nous fait redouter toute offense de Dieu.
Le don de crainte perfectionne à la fois les vertus d'espérance et de tempérance : la vertu d'espérance, en nous faisant redouter de déplaire à Dieu et d'être séparé de lui ; la vertu de tempérance, en nous détachant des faux plaisirs qui pourraient nous séparer de Dieu. Il peut donc se définir un don qui incline notre volonté au respect filial de Dieu, nous éloigne du péché en tant qu’il lui déplaît, et nous fait espérer en la puissance de son secour.
1336. Il comprend trois actes principaux : a) un vif sentiment de la grandeur de Dieu, et par suite une extrême horreur des moindres péchés qui offensent son infinie majesté. « Ne sais-tu pas, disait le Seigneur à Ste Cathetine de Sienne, que toutes les peines que l'âme supporte ou peut supporter en cette vie ne suffisent pas à punir même la plus petite faute. L'offense qui m'est faite à moi, le Bien infini, appelle une satisfaction infinie. C'est pourquoi je veux que tu saches que toutes les peines de cette vie ne sont pas une punition mais une correction… » (Dialogue, l. I, ch. 2). C'est ce qu’avaient compris les saints, qui se reprochaient amèrement leurs plus légères fautes, et ne croyaient jamais avoir assez fait pour les réparer. b) Une vive contrition des moindres fautes commises, parce qu'elles ont offensé un Dieu infini et infiniment bon ; de là naît un désir ardent et sincère de les réparer, en multipliant les actes de sacrifice et d'amour. c) Un soin vigilant à éviter les occasions de péché comme on évite un serpent : « quasi a facie colubri fuge peccata » (Eccli., XXI, 2) ; et par suite une grande attention à vouloir connaître en tout le bon plaisir de Dieu pour y conformer notre conduite. Il est évident qu'en agissant de la sorte on perfectionne la vertu de tempérance, en évitant les plaisirs défendus, et celle d'espérance en élevant ses regards vers Dieu avec une filiale confiance.
1337. 2° Nécessité. A) Ce don est nécessaire pour éviter une trop grande familiarité envers Dieu. Il en est qui sont tentés d'oublier la grandeur de Dieu et l'infinie distance qui nous sépare de lui, et de prendre avec lui et avec les choses saintes des libertés inconvenantes, de lui parler avec trop de hardiesse, de traiter avec lui comme d'égal à égal. Sans doute Dieu invite lui-même certaines âmes à une douce intimité, à une familiarité surprenante ; mais c'est à lui de prendre les devants, et non pas à nous. D'ailleurs la crainte filiale n'empêche nul- lement cette tendre familiarité qu'on voit en quelques saints. B) Ce don n'est pas moins utile pour nous préserver, dans nos rapports avec le prochain, surtout avec nos inférieurs, de ces manières hautaines et fières qui se rapprochent beaucoup plus de l'esprit païen que de l'esprit chrétien ; la crainte révérentielle de Dieu, qui est leur père en même temps que le nôtre, nous fera exercer notre autorité d'une façon modeste, comme il convient à ceux qui la tiennent non d'eux-mêmes, mais de Dieu.
1338. 3° Moyens de cultiver ce don. A) Il faut méditer souvent l'infinie grandeur de Dieu, ses attributs, son autorité sur nous ; et considérer, à la lumière de la foi, ce qu'est le péché qui, si léger qu'il soit, est encore une offense à l'infinie majesté de Dieu. Alors on ne peut s’empêcher de concevoir une crainte révérentielle pour ce Souverain Maitre que nous ne cessons d'offenser : « confige timore tuo carnes meas ; a judiciis enim tuis timui » (Ps. CXVIII, 120) ; et, quand on parait devant Jui, c'est avec un cœur contrit et humilié. B) Pour entretenir ce sentiment, il est bon de faire avec soin ses examens de conscience, en s'excitant encore plus à la componction qu'à la recherche minutieuse de ses fautes : « cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies » (Ps. L, 19). Et, pour obtenir une pureté de cœur plus parfaite, il convient de s'unir, de s'incorporer de plus en plus à Jésus pénitent : plus nous avons part à sa haine du péché et à ses humiliations, et plus notre pardon sera complet.

V. Du don de science

1339. Remarques sur les trois dons intellectuels. Avec le don de science nous arrivons aux trois dons intellectuels qui concourent le plus directement à la contemplation ; le don de science, qui nous fait juger sainement des choses créées dans leur rapport avec Dieu ; le don d'intelligence qui nous manifeste l'harmonie intime des vérités révélées ; le don de sagesse, qui nous les fait juger, apprécier et goûter. Ils ont tous les trois ceci de commun qu'ils nous donnent une connaissance expérimentale ou quasi-expérimentale, parce qu'ils nous font connaître les choses divines non par raisonnement, mais par une lumière supérieure qui nous les fait saisir comme si nous en avions l'expérience. Cette lumière, que nous communique le Saint Esprit, est sans doute la lumière de la foi, mais plus active, plus illuminatrice qu'elle ne l'est habituellement, et qui nous donne comme une sorte d'intuition de ces vérités, semblable à celle que nous avons des premiers principes.
1340. 1° Nature. La science dont nous parlons ici, n'est pas la science philosophique que l'on acquiert par la raison, ni même la science théologique qui s'acquiert par le travail de la raison sur les données de la foi, mais la science des Saints, qui nous fait juger sainement des choses créées dans leurs rapports avec Dieu. On peut donc définir le don de science un don qui, sous l'action illuminatrice du Saint Esprit, perfectionne la vertu de foi en nous faisant connaître les choses créées dans leurs rapports avec Dieu. Car, nous dit M. Olier, « Dieu est un être qui remplit et qui occupe tout. Il paraît sous l'extérieur de toutes choses. Il nous dit, dans les cieux et sur la terre, quelque chose de ce qu'il est en lui-même. Ainsi, sous chaque créature, qui est comme un sacrement des perfections de Dieu, nous devons adorer ce qu'elle représente... Nous l'eussions fait avec facilité si la grâce d'Adam ne nous eût pas été enlevée, mais le péché nous l’a ravie, et elle n'est rendue en Jésus-Christ qu'aux âmes bien pures auxquelles la foi montre la majesté de Dieu partout où elle se trouve. Cette lumière de la foi s'appelle proprement la science des Saints. Sans le secours des sens, sans l'expérience de la raison, elle montre la dépendance où se trouve de Dieu toute créature… Cette connaissance s'acquiert sans fatigue et en un instant, par un seul regard on pénètre la cause de toutes choses et on trouve en chacune un sujet d'oraison et de contemplation perpétuelle. » (Esprit de M. Olier, t. II, p. 346).
1341. L'objet du don de science ce sont donc les choses créées, mais en tant qu'elles nous conduisent à Dieu. a) Si nous considérons leur origine, elles nous disent qu'elles viennent de Dieu qui les a créées et les conserve ; si nous étudions leur nature, nous y voyons une image ou un reflet de Dieu ; leur fin est de nous porter à Dieu : ce sont comme des échelons pour aller jusqu’à Dieu. C'est ainsi que les Saints envisageaient les choses, en particulier S. François d'Assise. Il regardait tous les êtres comme ayant un rapport commun avec le Père unique, et chacun lui apparaissait comme un frère dans la grande famille du Père céleste : le soleil, l'eau limpide, les fleurs et les oiseaux : « Lorsqu'il sentait la solidité inébranlable et la puissance des rochers, aussitôt il sentait et reconnaissait du même coup combien Dieu est fort et quel appui il nous offre. L'aspect d'une fleur dans la fraîcheur matinale, ou de petits becs ouverts avec une confiance ingénue, dans un nid d'oiseaux, tout cela lui révélait la pureté et la beauté naïve de Dieu, ainsi que la tendresse infinie du cœur divin d’où tout cela jaillissait. Et ce sentiment remplissait François d'une sorte de joie continue à la vue et à la pensée de Dieu, comme aussi d'un incessant désir de lui rendre grâces. » (J. Joergensen, S. François d’Assise, p. 463-466). b) C'est aussi ce don de science qui nous fait voir promptement et certainement ce qui regarde notre sanctification et celle des autres. Ainsi ce don nous éclaire sur l'état de notre âme, ses mouvemcnts secrets, leurs principes, leurs motifs et les effets qui en peuvent résulter. Il nous apprend aussi la manière de traiter avec le prochain en vue de son salut : ainsi le prédicateur connaît par ce don ce qu'il doit dire à ses auditeurs pour leur faire du bien ; le directeur comment il doit conduire les âmes, chacune selon ses besoins spirituels et les attraits de la grâce, et cela en vertu d'une lumière qui lui permet de pénétrer jusqu'au fond des cœurs : c'est le don infus du discernement des esprits. C'est ainsi que plusieurs Saints, éclairés par Celui qui sonde les reins et les cœurs, connaissaient, avant les déclarations de leurs pénitents, leurs pensées les plus secrètes.
1342. 2° Utilité. Il est évident que ce don est très utile aux simples chrétiens et surtout aux religieux et aux prêtres. a) Il nous détache des créatures, en nous montrant combien en elles-mêmes elles sont vaines, incapables de nous rendre heureux, et même dangereuses, parce qu'elles tendent à nous pervertir, en nous attirant à elles, en nous captivant pour nous détourner de Dieu. Ainsi détachés, nous nous élevons beaucoup plus facilement vers Celui qui seul peut combler tous les désirs de notre cœur, et, comme le Psalmiste, nous nous écrions : « Oh ! si j'avais les ailes de la colombe, je m'envolerais et m'établirais en repos ; voici que je m'enfuirais bien loin et demeurerais au désert : Quis mihi dabit pennas sicut columbæ et volabo et requiescam » (Ps. LIV, 7). b) Il nous aide à bien user des créatures, en nous en servant comme d'échelons pour aller jusqu'à Dieu. Par instinct naturel, nous désirons en jouir et sommes tentés d'en faire notre fin ; grâce à ce don, nous ne voyons plus en elles que ce que Dieu y a mis, et de ce pâle reflet des beautés divines nous remontons jusqu'à la beauté infinie ; et, comme Augustin, nous redisons : « O pulchritudo semper antiqua et semper nova, sero te cognovi, sero te amavi » (Confess., l. X, c. 27).
1343. 3° Moyens de le cultiver. a) Le grand moyen, c'est d'ouvrir sans cesse les yeux de la foi lorsque nous regardons les créatures : au lieu de s'arrêter à ces ombres qui passent, ne faut-il pas voir en elles la Cause première qui a daigné leur communiquer une image de ses perfections, s'attacher à elle, et mépriser tout le reste ? C'est bien là ce que faisait S. Paul, qui, épris de l'amour de Jésus, écrivait : «  Pour son amour j’ai voulu tout perdre, regardant toutes choses comme de la balayure afin de gagner le Christ : propter quem omnia detrimentum feci et arbitror ut stercora, ut Christum Iucrifaciam » (Phil., III, 8). b) C'est dans cet esprit que nous saurons nous priver de tout ce qui est inutile, et même de quelque chose d'utile, par exemple, d'un regard, d'une lecture, d'un peu de nourriture, pour en faire un sacrifice à Dieu. C'est ainsi que nous nous détacherons peu à peu des créatures pour ne plus voir en elles que ce qui peut nous conduire à leur auteur.

VI. Le don d'intelligence

1344. 1° Nature. Le don d'intelligence se distingue de celui de science, parce que son objet est beaucoup plus vaste : au lieu de se borner aux choses créées, il s'étend à toutes les vérités révélées ; en outre son regard est beaucoup plus pénétrant ; il nous fait pénétrer (intus legere, lire au dedans) le sens intime des vérités révélées. Sans doute il ne nous fait pas comprendre les mystères, mais il nous fait percevoir que, malgré leur obscurité, ils sont croyables, qu'ils s'harmonisent entre eux et avec ce qu'il y a de plus noble dans la raison humaine, et confirme ainsi les motifs de crédibilité. On peut donc le définir : un don qui, sous l'action illuminatrice du Saint Esprit, nous donne une intuition pénétrante des vérités révélées, sans toutefois nous en découvrir le mystère. C'est ce que nous fera mieux comprendre son action dans notre âme.
1345. 2° Effets. Ce don produit en nous trois effets principaux.
A) Il nous fait pénétrer à l'intérieur des vérités révélées de six façons différentes, nous dit saint Thomas (IIa IIæ, q. 8, a. 1) :
1) Il nous découvre la substance cachée sous les accidents, par exemple Jésus sous les espèces eucharistiques ; c'est ce qui faisait dire au paysan dont parle le Curé d'Ars : « Je l’avise et il m'avise ».
2) Il nous explique le sens des mots caché sous la lettre ; c'est ce que fit Notre Seigneur en dévoilant aux disciples d'Emmaüs le sens des prophéties. Et que de fois le Saint Esprit ne fait-il pas comprendre aux âmes intérieures le sens profond de tel ou tel passage de nos Saints Livres ?
3) Il manifeste la signification mystérieuse des signes sensibles ; c'est ainsi que S. Paul nous montre dans le baptême d'immersion le symbole de notre mort au péché, de notre ensevelissement et de notre résurrection spirituelle avec le Christ.
4) Il nous fait saisir sous les apparences les réalités spirituelles, nous montrant dans l'ouvrier de Nazareth le Créateur du monde.
5) Par lui nous voyons les effets contenus dans la cause, par exemple, dans le sang de Jésus versé au Calvaire la purification de notre âme et notre réconciliation avec Dieu, dans le côté percé de Jésus la naissance de l'Eglise et des sacrements.
6) Par lui enfin nous voyons la cause dans les effets comme dans les événements extérieurs l'action de la Providence.
1346. B) Ce don nous montre les vérités de la foi sous un jour tel, que, sans nous les faire comprendre, il nous affermit dans notre croyance ; c'est ce que nous dit S. Thomas : « Cognoscitur quod ea quæ exterius apparent veritati non contrariantur... quod non est recedendum ab iis quæ sunt fidei » (IIa IIæ, q. 8, a. 3). A un degré plus élevé, il nous fait contempler Dieu, non point par une intuition positive immédiate de l'essence divine, mais en nous montrant ce que Dieu n'est pas, comme nous l'expliquerons plus tard (Ia IIæ, q. 69, a. 2 ad 3 ; IIa IIæ, q. 8, a. 7). C) Enfin il nous fait connaître un plus grand nombre de vérités, en nous aidant à déduire des principes révélés les conclusions théologiques qui y sont contenues. C'est ainsi que des paroles : « Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis » se tire presque toute notre doctrine sur le Verbe incarné, et que du texte : « ex qua natus est Jesus qui vocatur Christus », on déduit toute la doctrine sur la Ste Vierge. Ce don, si utile à tous les fidèles, l'est donc tout particulièrement aux prêtres et aux théologiens, pour leur donner l'intelligence des vérités révélées qu'ils doivent expliquer à leurs disciples.
1347. 3° Culture du don d'intelligence. A) La disposition principale nécessaire pour l'obtenir est une foi vive et simple qui sollicite avec humilité la lumière divine pour mieux saisir les vérités révélées : « Da mihi intellectum et discam mandata tua » (Ps. CXVIII, 73). C'est ainsi qu'agissait S. Anselme qui, après avoir fait un acte de foi vive, cherchait l'intelligence de nos mystères, selon sa maxime « fides quærens intellectum » : c'est par la foi que nous arrivons à l'intelligence des verités surnaturelles. B) Après cet acte de foi, il faut s'accoutumer à pénétrer 1e plus possible au cœur du mystère, non pas pour le comprendre (ce qui est impossible), mais pour en saisir le sens, la portée, l'analogie avec la raison ; et, quand on a étudié un certain nombre de mystères, on les compare les uns avec les autres, et cette comparaison projette souvent une vive lumière sur chacun d'eux : c'est ainsi que le rôle du Verbe dans la Sainte Trinité fait mieux comprendre le mystère de son union avec la nature humaine et son action rédemptrice ; réciproquement l'Incarnation et la Rédemption projettent de nouvelles lumières sur les attributs divins et les relations entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. Mais pour les mieux saisir, il faut aimer ces vérités et les étudier plus avec le cœur qu'avec l'esprit, et surtout avec humilité. Notre Seigneur nous le dit en effet dans cette belle prière adressée à son Père : « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits » (Matth., XI, 25).

VII. Le don de sagesse

Nous exposerons sa nature, ses effets et le moyen de le cultiver.
1348. 1° Nature. C'est un don qui perfectionne la vertu de charité, et réside à la fois dans l'intelligence et la volonté parce qu'il répand dans notre âme la lumière et l'amour. Il est donc considéré avec raison comme le plus parfait des dons, celui en qui se résument tous les autres, de même que la charité comprend toutes les vertus. A) S. Bernard l'appelle la connaissance savoureuse des choses divines. Il y a donc un double élément dans le don de sagesse : 1) une lumière, qui éclaire notre intelligence et lui fait porter un jugement droit sur Dieu et sur les choses créées, en ramenant celles-ci à leur premier principe et leur dernière fin ; elle nous aide donc à juger des choses par leurs causes les plus élevées et à les ramener à l'unité dans une vaste synthèse ; 2) un goût surnaturel qui agit sur la volonté et lui fait savourer les choses divines par une sorte de secrète connaturalité ou sympathie. Une comparaison nous fera mieux comprendre ce double rôle : c'est comme un rayon de soleil, rayon de lumière, qui éclaire et réjouit les yeux de l'âme, rayon de chaleur qui réchauffe le cœur, l'embrase d'amour et le comble de joie.
1349. B) On peut donc définir le don de sagesse un don qui perfectionne la vertu de charité, en nous faisant discerner et juger Dieu et les choses divines dans leurs principes les plus élevés, et en nous les faisant goûter. Il diffère donc du don d'intelligence qui nous fait bien connaître les vérités divines en elles-mêmes et dans leurs rapports mutuels, mais non dans leurs causes les plus élevées ; et qui ne nous les fait pas goûter directement, tandis que le don de sagesse nous les fait aimer et savourer : « gustate et videte quoniam suavis est Dominus » (Ps. XXXIII, 9). Ainsi c'est ce don qui permet à S. Paul de voir d'un seul coup d'œil le plan divin de la Rédemption, avec la gloire de Dieu comme cause finale première, le Verbe incarné comme cause méritoire et exemplaire, le bonheur des élus comme cause finale secondaire, et la grâce divine comme cause formelle ; c'est lui qui fait échapper de son âme ce cantique d'action de grâces : « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi... » (Ephes., I, 3). C'est grâce à ce don que S. Jean ramène toute la théologie au mystère de la vie divine, dont l'amour est à la fois le principe et le terme : Deus caritas est ; et que S.Thomas résume toute sa Somme en cette unique pensée : Dieu est à la fois le premier principe d'où sortent toutes les créatures, la dernière fin à laquelle elles reviennent, et la voie qu'elles suivent pour retourner à Lui.
1350. 2° Effets du don de sagesse. Outre l'augmentation de charité qu'il produit dans l'âme, ce don perfectionne toutes les autres vertus : a) Il rend la foi inébranlable par la connaissance quasi expérimentale qu'il nous donne des vérités révélées ; ainsi, quand on a goûté longuement les joies de la communion, comment pourrait-on douter de la présence réelle ? b) il affermit notre espérance : lorsqu'on a compris et goûté le dogme de notre incorporation au Christ, comment ne pas espérer, puisque Celui qui est notre tête est déjà au ciel, et que les Saints qui règnent avec lui dans la cité bienheureuse sont déjà nos frères ? c) Il nous fait pratiquer dans leur perfection les vertus morales ; car, quand on a goûté les joies de l’amour divin, celles de la terre n'ont plus de saveur pour nous ; on aime la croix, la mortification, l'effort, la tempérance, l'humilité, la douceur, parce que ce sont là autant de moyens de ressembler davantage au Bien-Aimé et de lui témoigner son amour.
Ainsi donc il y a cette différence entre le don de sagesse et le don d'intelligence que celui-ci est un regard de l'esprit et que celui-là est une expérimentation du cœur ; l'un est lumière et l'autre est amour : ainsi ils s'harmonisent et se complètent. Mais le plus parfait est le don de sagesse : car le cœur va plus loin que l'esprit, il a plus de pénétration et comprend ou devine ce que la raison ne saisit pas ; et, dans les Saints surtout, il y a souvent plus d'amour que de connaissance.
1351. 3° Moyens de le cultiver. A) La sagesse étant l'un des dons les plus précieux, il faut le désirer ardemment, le demander avec instance, et le rechercher avec une ardeur inlassable. C'est bien ce que nous conseille le livre de la Sagesse ; il veut que nous la prenions pour épouse, pour la compagne de notre vie tout entière, et nous suggère une belle prière pour l'obtenir : « Dieu de nos pères, Seigneur de miséricorde,… qui par votre sagesse avez établi l'homme pour dominer sur toutes les créatures que vous avez faites pour régir le monde dans la sainteté et la justice... donnez-moi la sagesse qui est assise près de votre trône, et ne me rejetez pas du nombre de vos enfants. Car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un homme faible, à la vie courte, et peu capable de comprendre votre jugement et vos lois... Envoyez-moi cette sagesse de votre sainte demeure du ciel  ; envoyez-la du trône de votre gloire, afin qu'elle soit avec moi dans mes labeurs, et que je connaisse ce qui vous est agréable. Car elle connaît et comprend toutes choses, et elle me conduira avec prudence dans mes œuvres, et me gardera par sa lumière. Et ainsi mes œuvres vous seront agréables, je gouvernerai votre peuple avec justice, et je serai digne du trône de mon Père. » (Sap., IX, 1-12). B) La sagesse ramenant tout à Dieu, nous devons nous efforcer de voir comment toutes les vérités que nous étudions viennent de lui, comme premier principe, et tendent à lui comme dernière fin. Il faut donc nous habituer à ne pas nous noyer dans les détails, mais à tout ramener aux principes, à l'unité, en faisant d'abord des synthèses particulières de ce que nous avons étudié, et en préparant ainsi une synthèse générale de toutes nos connaissances.
1352. C) Puisque ce don nous fait goûter les choses divines, nous devons aussi nous accoutumer à aimer et à goûter ces choses, en nous rappelant que toute connaissance qui ne mène pas à l'amour est vaine. D'ailleurs comment ne pas aimer ce Dieu qui est l'infinie beauté et l'infinie bonté ? « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » (Ps., XXXIII, 9). Il en est de même des choses divines, en qui nous voyons une participation de la beauté et de la bonté de Dieu : nous ne pouvons aimer et goûter Dieu sans que cet amour ne rejaillisse sur ce qui participe à ses perfections.

§ III. Le rôle des dons dans l'oraison et la contemplation

De ce que nous venons de dire il résulte que l'exercice des dons nous est d'un grand secours dans l'oraison.
1353. 1° Avant même que les dons ne soient arrivés à leur complet développement, au moment où nous commençons à les cultiver, ils ajoutent leur lumière et leur influence à celle des vertus pour nous faciliter l'oraison. Sans nous mettre dans l'état passif ou mystique, ils assouplissent déjà notre âme, et la rendent plus sensible à l'action du Saint Esprit. C'est l'enseignement commun des théologiens, que résume ainsi le P. Meynard ; après avoir mentionné l'opinion de quelques auteurs qui ont cru que les dons du Saint Esprit, réservés exclusivement aux actes héroïques, restaient inactifs dans la pratique des vertus ordinaires, il ajoute : « Leur action s'étend également à une multitude de circonstances où la volonté de Dieu demande de nous une certaine promptitude et une docilité plus grande dans la pratique des vertus ordinaires de la vie chrétienne, par exemple, quand il s'agit de se défaire de ses vices, de dompter ses passions, de résister aux tentations de la chair, du monde et du démon, surtout quand la faiblesse et l'infirmité du sujet demandent un secours plus complet et plus efficace, et par conséquent un principe d'action plus élevé. Ce dernier sentiment, que nous croyons être l'expression de la vérité, est fondé sur ce que les dons ne produisent pas des œuvres d'un genre particulier et distinct des vertus, mais nous viennent simplement en aide pour pratiquer toutes les vertus d'une manière plus prompte et plus facile. » (Traité de la vie intérieure, t. I, n° 246). Or si les dons du Saint Esprit interviennent dans la pratique des vertus ordinaires, ils nous facilitent aussi l'oraison, acte de la vertu de religion et l'un des moyens les plus efficaces pour pratiquer les vertus.
Ces dons agissent alors soit à l’état latent, sans qu’il soit possible de distinguer leur action de celle des vertus ; à certains moments cependant, ils agissent d'une façon plus manifeste, en nous donnant des intuitions transitoires qui saisissent l'âme plus vivement que les raisonnements, et en excitant des mouvements d'amour supérieurs à ceux que nous éprouvons habituellement.
1354. 2° A plus forte raison ces dons nous aident dans la contemplation active, qui consiste dans une sorte d'intuition affectueuse de la vérité. C'est en effet le propre des dons d'intelligence et de sagesse, même avant leur complet épanouissement, de faciliter cette simple vue de foi en rendant notre intelligenceplus pénétrante et notre amour plus ardent. Déjà leur action, sans nous mettre encore dans l’état mystique, est plus fréquente et plus efficace que dans l'oraison ordinaire; et c'est ce qui explique comment notre âme peut arrêter plus longuement et plus affectueusement ses regards sur une seule et même vérité.
1355. 3° Mais c'est surtout dans la contemplation infuse que les dons jouent un rôle important ; arrivés à leur complet épanouissement, ils communiquent à l'âme une souplesse merveilleuse qui la rend apte à l'état mystique ou contemplatif. A) Trois d'entre eux, les dons de science, d'intelligence et de sagesse, concourent d'une façon spéciale à la contemplation. Expliquons notre pensée : a) à vrai dire, ce sont nos facultés supérieures elles-mêmes, intelligence et volonté, en tant que perfectionnées et transformées par les vertus théologales et les dons, et mises en œuvre par la grâce actuelle opérante, qui sont les principes élicitifs de la contemplation ; les dons sont en effet greffés sur nos facultés, et par conséquent les facultés et les dons concourent indivisiblement au même acte. Ces facultés, ainsi transformées, sont les principes élicitifs de la contemplation, c'est-à-dire la source prochaine d'où jaillissent, sous l'action d'une grâce opérante, les actes de contemplation, comme l'intelligence, perfectionnée par la vertu de foi, est le principe élicitif des actes de foi.
b) Tous les théologiens reconnaissent que les dons d'intelligence et de sagesse sont les principes élicitifs de la contemplation ; mais quelques-uns n'attribuent pas ce rôle au don de science. Nous croyons, avec la majorité des auteurs, qu'il ne faut cependant pas l'exclure ; car la contemplation prend quelquefois son point de départ dans les créatures, et alors le don de science intervient pour nous faire voir l'image de Dieu dans les créatures. « Dieu, dit S. Jean de la Croix, a laissé sur chacune de ses créatures un vestige de ce qu’il est, non seulement en les faisant sortir du néant, mais encore en les dotant de grâces et de propriétés innombrables. Il a augmenté encore leur beauté par l'ordre admirable, la dépendance indéfectible qui les relie les unes aux autres... Les créatures ont conservé un vestige du passage de Dieu, c'est-à-dire, l'empreinte de sa grandeur, de sa puissance, de sa sagesse et d'autres attributs divins. » (Cantique spirituel, str. V). Or c'est le propre du don de science de nous élever des créatures au Créateur, de nous montrer la beauté de Dieu cachée sous des symboles visibles.
1356. B) Ces trois dons se prêtent un mutuel concours, et agissent ou tous ensemble, ou l'un après l'autre, dans la même contemplation. a) Ainsi le don de science nous élève des créatures à Dieu pour nous unir à lui : 1) il est accompagné d'une lumière infuse, par laquelle nous voyons clairement le néant de tout ce que le monde recherche, honneurs, richesses, plaisirs, le prix de la souffrance et des humiliations, comme moyens d'aller à Dieu et de le glorifier, le reflet des perfections divines caché dans les créatures, etc. 2) Cette lumière est accompagnée d'une grâce qui agit sur la volonté, pour la détacher des créatures et l'aider à ne s'en servir que comme d’échelons pour aller jusqu'à Dieu.
b) Le don d'intelligence nous fait pénétrer plus avant : en nous montrant les harmonies secrètes qui existent entre notre âme et Dieu, entre les vérités révélées et nos aspirations les plus profondes, comme aussi les relations de ces vérités entre elles, il fixe notre esprit et notre cœur sur la vie intime de Dieu, sur ses opérations immanentes, sur les mystères de la Trinité, de l'Incarnation ou de la grâce, et nous les fait admirer en eux-mêmes et dans leurs mutuels rapports, si bien que nous avons peine à en détacher notre esprit et notre cœur. Ruysbroeck le compare à la lumière du soleil : le soleil, par son rayonnement, remplit l'air d'une clarté simple ; il éclaire toute forme et figure et fait distinguer toutes les couleurs. Ainsi ce don pénètre dans l'esprit et y produit la simplicité ; et cette simplicité est traversée par les rayons d'une singulière clarté ; alors nous sommes capables de recevoir la connaissance des attributs sublimes qui sont en Dieu, et qui sont l'origine de toutes ses œuvres (L’ornement des noces spirituelles, livre II, c. 66-68).
c) Le don de sagesse, en nous faisant tout apprécier par rapport à Dieu, et savourer les choses divines, fixe encore plus amoureusement notre esprit et notre cœur sur l'objet contemplé, et nous fait adhérer à lui avec plus d'ardeur et de constance. Ruysbroeck décrit ainsi la saveur produite par ce don : « Cette saveur est si forte qu'il semble à l'âme que le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment doivent se fondre et s'anéantir dans cette saveur insondable. Ces délices sont dessus et dessous (c. à d. dans les facultés supérieures et les facultés inférieures) dedans et dehors, et ont embrassé et pénétré le royaume de l'âme tout entier. Ainsi l'intelligence contemple la simplicité, d'où découlent toutes ces délices. En suite de quoi la raison éclairée se met à considérer ; elle sait pourtant bien que ces incompréhensibles délices doivent toujours échapper à sa connaissance : car sa considération se fait à la clarté d'une lumière créée et ces délices sont sans mesure. C'est pourquoi la raison défaille en cette considération ; mais l’intelligence, qui est transformée grâce à cette clarté sans limites, contemple et fixe sans cesse l’incompréhensible joie de la béatitude. » (Royaume des amants, c. XXXIII).
1357. C) Les quatre autres dons, sans avoir un rôle aussi important dans la contemplation, y ont cependant une certaine part, et cela de deux façons : a) Ils nous y disposent en contribuant eux aussi à rendre notre âme plus souple et plus docile à l’action du Saint Esprit ; b) ils y coopèrent en excitant en notre cœur de pieuses affections qui entretiennent la contemplation : ainsi le don de crainte nous donne des sentiments de componction et de détachement des créatures ; le don de piété, des sentiments d'amour filial ; le don de force, des sentiments de générosité et de constance ; le don de conseil nous permet d'appliquer à nous-mêmes et aux autres les lumières reçues du Saint Esprit. On le voit donc, chacun de ces dons a son rôle dans la contemplation.

NOTE : LES CINQ SENS SPIRITUELS ET LES DONS

1358. Un certain nombre de Pères et de théologiens ainsi que beaucoup d'auteurs mystiques parlent de cinq sens spirituels, analogues aux cinq sens imaginatifs dont nous avons déjà parlé n° 991. Voici le beau texte où S. Augustin les décrit : « O mon Dieu, qu'est-ce que j'aime quand je vous aime ?... C'est une certaine lumière, une certaine voix, une certaine odeur, une certaine nourriture, un certain embrassement : tout cela n'étant éprouvé que par ce qu'il y a en moi d'intérieur. Mon âme voit briller une lumière qui n'est pas dans l'espace, elle entend un son qui ne s'éteint pas avec le temps, elle sent un parfum que le vent n’emporte pas, elle goûte un aliment que l'avidité ne fait pas diminuer, elle s'attache à un objet que la satiété ne lui fait pas abandonner. Voilà ce que j'aime quand j'aime mon Dieu. » (Confes., l. X, ch. VI). Que faut-il entendre par ces sens spirituels ? Il nous semble que ce ne sont là que des fonctions ou opérations des dons du Saint Esprit, en particulier des dons d'intelligence et de sagesse. Ainsi les sens spirituels de la vue et de l'ouïe se rapportent au don d'intelligence, qui nous fait voir Dieu et les choses divines (n° 1341) et entendre Dieu qui nous parle au cœur. Les trois autres sens se rapportent au don de sagesse, qui nous fait goûter Dieu, respirer ou odorer le parfum de ses perfections, et entrer en contact avec lui, par une sorte d'étreinte, d'embrassement spirituel qui n'est autre chose qu'un amour expérimental de Dieu. De cette façon on concilie sur ce point la doctrine de S. Augustin et de S. Thomas, du P. Poulain et du P. Garrigou-Lagrange.

§ IV. Des fruits du Saint Esprit et des béatitudes

Aux dons se rattachent les fruits du Saint Esprit et les béatitudes, qui y correspondent et les complètent, ainsi que les grâces gratuitement données qui ont avec les dons une certaine analogie (n°1314).

I. Les fruits du Saint Esprit

1359. Quand une âme correspond fidèlement aux grâces actuelles qui mettent en branle les vertus et les dons, elle produit des actes de vertu, d'abord imparfaits et pénibles, puis meilleurs et plus savoureux, qui remplissent le cœur d'une sainte joie. Ce sont les fruits du Saint Esprit qu'on peut définir : des actes de vertu arrivés à une certaine perfection et qui remplissent l'âme d'une sainte joie. S. Paul en énumère neuf : la charité, la joie, la paix, la patience, la mansuétude, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance (Galat., V, 22-23). Mais il n'a pas voulu dresser une liste complète   ; et S. Thomas fait remarquer avec raison que ce nombre est symbolique et désigne en réalité tous les actes de vertu dans lesquels l'âme trouve une consolation spirituelle : « Sunt fructus quæcumque virtuosa opera in quibus homo delectatur » (Ia IIæ, q. 70, a. 2).
1360. Ces fruits se distinguent des vertus et des dons comme l'acte se distingue de la puissance. Cependant tous les actes de vertu ne méritent pas le nom de fruits, mais ceux-là seulement qui sont accompagnés d’une certaine suavité spirituelle. Au début, les actes de vertu exigent souvent beaucoup d'efforts, et ont parfois une certaine âpreté comme un fruit qui n'est pas mûr. Mais quand on s'est longuement exercé à la pratique des vertus, on acquiert la facilité d'en produire les actes, on les fait sans effort pénible, et même avec plaisir, comme les actes des habitudes acquises ; c'est alors qu'on les appelle des fruits. C'est donc en cultivant les vertus et les dons qu'on obtient les fruits, et par eux les béatitudes, prélude du bonheur éternel.

II. Les Béatitudes

1361. Les béatitudes sont le dernier couronnement de l'œuvre divine en nous. Comme les fruits, ce sont des actes, mais d'une perfection telle qu'ils semblent procéder des dons plutôt que des vertus ; ce sont des fruits, mais d'une maturité si parfaite, qu'ils nous donnent déjà un avant-goût de la béatitude céleste ; de là leur nom de béatitudes. Notre Seigneur, dans le discours sur la montagne, les ramène à huit : la pauvreté en esprit, la douceur, les larmes, la faim et la soif de la justice, la miséricorde, la pureté de cœur, la patience au milieu des persécutions. Mais on peut dire aussi que ce nombre est symbolique et n'a rien de limitatif. Ces béatitudes ne désignent pas le bonheur absolu et parfait ; ce sont plutôt des moyens pour arriver à la béatitude éternelle, et des moyens très efficaces : car, lorsqu’on embrasse joyeusement la pauvreté, la douceur, la pureté, l'humiliation, lorsqu'on sait se dominer soi-même au point de prier pour ses ennemis et d'aimer la croix, on imite parfaitement Notre Seigneur, et on fait des pas rapides dans les voies de la perfection.
1362. Conclusion. Les dons du Saint Esprit nous introduisent dans la voie unitive, quand nous savons les cultiver. 1) Ils nous font en effet pratiquer toutes les vertus, morales et théologales, au degré le plus élevé, et nous unissent ainsi à Dieu, nous transforment peu à peu en lui, en nous faisant imiter ses divines perfections. 2) Ils mettent dans notre âme cette souplesse, cette docilité qui permet au Saint Esprit de s'emparer de notre âme et d'y agir librement. C'est déjà sous l'influence latente de ces dons, et parfois avec leur concours manifeste que se fait l'oraison de simplicité, dont nous allons traiter.
 

ART II.  L’ORAISON DE SIMPLICITÉ

1363. L'oraison de simplicité, ainsi appelée par Bossuet, était connue bien avant lui, et portait différents noms qu'il est bon de rappeler.
1) Ste Thérèse l'appelle l'oraison de recueillement ; ce qu'il faut entendre du recueillement actif, par opposition au recueillement passif dont nous parlerons au chapitre second : l'âme y recueille ses diverses facultés pour les concentrer sur Dieu, l'écouter et l'aimer.
2) Plusieurs la nomment oraison de simple regard, de simple présence de Dieu, ou de simple remise en Dieu, ou une simple vue de foi, parce que l'âme fixe son regard affectueusement sur Dieu, se maintient en sa présence, se remet entre ses mains, et par une simple vue de foi, le regarde et l'aime.
3) Bossuet l'appelle oraison de simplicité, parce qu'elle nous fait tout simplifier, les raisonnements et les affections de l'oraison, et même la vie tout entière.
4) Les Carmes, et avec eux, beaucoup d'auteurs depuis le XVIIe siècle, la nomment contemplation acquise pour la distinguer de la contemplation infuse.
Nous allons exposer : 1° la nature de cette oraison ; 2° ses avantages ; 3° la manière de la faire ; 4° ses rapports avec la contemplation proprement dite.

§ I. Nature de l'oraison de simplicité

1364. Bossuet a fort bien décrit cette oraison : « Il faut s'accoutumer à nourrir son âme d'un simple et amoureux regard en Dieu et en Jésus-Christ Notre Seigneur ; et, pour cet effet, il faut la séparer doucement du raisonnement, du discours et de la multitude d'affections, pour la tenir en simplicité, respect et attention, et s'approcher ainsi de plus en plus de Dieu, son premier principe et sa dernière fin. La méditation est fort bonne en son temps, et fort utile au commencement de la vie spirituelle ; mais il ne faut pas s'y arrêter, puisque l'âme, par sa fidélité à se mortifier et à se recueillir, reçoit pour l’ordinaire une oraison plus pure et plus intime, que l'on peut nommer de simplicité, qui consiste dans une simple vue, regard ou attention amoureuse en soi, vers quelque objet divin, soit Dieu en lui-même, ou quelqu'un de ses mystères, ou quelques autres vérités chrétiennes. L'âme quittant donc le raisonnement, se sert d'une douce contemplation qui la tient paisible, attentive et susceptible des opérations et impressions divines que le Saint Esprit lui communique : elle fait peu et reçoit beaucoup ; son travail est doux, et néanmoins plus fructueux ; et, comme elle approche de plus près de la source de toute lumière, de toute grâce et de toute vertu, on lui en élargit aussi davantage. » Ainsi donc cette oraison comprend deux actes essentiels : regarder et aimer ; regarder Dieu ou quelque objet divin en vue de l'aimer, et l'aimer pour le mieux regarder. Si l'on compare cette oraison avec la méditation discursive, ou affective, on y remarque une triple simplification, qui justifie bien l'expression employée par Bossuet.
1365. 1° La première simplification c'est la diminution, puis la suppression des raisonnements qui tenaient une si grande place dans la méditation des débutants. Obligés d'acquérir des convictions profondes, et d'ailleurs peu habitués aux pieuses affections, ils avaient besoin de réfléchir longuement sur les vérités fondamentales de la religion et sur leurs rapports avec la vie spirituelle, sur la nature, la nécessité des principales vertus chrétiennes, et les moyens de les pratiquer, avant de faire jaillir de leur cœur des sentiments de reconnaissance et d'amour, de contrition; d'humiliation et de ferme propos, des demandes ardentes et prolongées. a) Mais le moment vient où ces convictions se sont tellement affermies dans l'âme qu'elles font pour ainsi dire partie de notre mentalité habituelle et qu'il suffit de quelques minutes pour les rappeler à l'esprit. Alors jaillissent promptement et facile- ment les pieuses affections dont nous parlions, et l'oraison devient affective.
1366. b) Plus tard une autre simplification se réalise : les quelques minutes de réflexion sont remplacées par un regard intuitif de l'intelligence. Nous connaissons sans difficulté et par une sorte d'intuition les premiers principes. Or, quand nous avons longtemps médité sur les vérités fondamentales de la vie spirituelle, elles deviennent pour nous aussi certaines et lumineuses que les premiers principes, et nous les saisissons d'un coup d'œil synthétique avec facilité et complaisance, sans avoir besoin de les analyser d'une façon minutieuse. Ainsi l'idée de père appliquée à Dieu, qui au début avait besoin de longues réflexions pour nous livrer son contenu, nous apparaît d'un seul coup d'œil comme si riche, si féconde, que nous nous y arrêtons longuement et avec amour pour en savourer les multiples éléments. c) Il arrive même parfois que l'âme se contente d'un regard confus sur Dieu ou les choses divines, qui la maintient cependant doucement et affectueusement en la présence de Dieu et la rend de plus en plus docile à l'action du Saint Esprit ; alors sans multiplier les actes d'intelligence ou de volonté, elle s'abandonne à Dieu pour exécuter ses ordres.
1367. 2° Une simplification analogue s'opère dans les affections. Au début, elles étaient nombreuses, variées, et se succédaient avec rapidité : amour, reconnaissance, joie, compassion, douleur de ses fautes, désir de mieux faire, demande de secours, etc. a) Mais bientôt une seule et même affection se prolonge pendant cinq, dix minutes : l'idée de Dieu notre Père, par exemple, excite dans le cœur un amour intense qui, sans s'exprimer par de multiples paroles, alimente pendant quelques minutes l'âme tout entière, la pénètre et y produit des dispositions généreuses. Sans doute elle ne suffira pas à remplir tout le temps de l'oraison, et il faudra passer à d'autres affections pour ne pas tomber dans les distractions ou une sorte d'oisiveté ; mais chacune tiendra une place si large qu'il ne sera pas nécessaire d'en multiplier le nombre comme autrefois.
1368. b) Parmi ces affections, l'une finit par dominer et revenir sans cesse à l'esprit et au cœur : son objet devient comme celui d'une idée fixe, autour de laquelle gravitent d'autres idées sans doute, mais en petit nombre et qui se subordonnent à la première. Pour quelques-uns, ce sera la Passion de Notre Seigneur, avec les sentiments d’amour et de sacrifice qu’elle suscite (Galat., II, 20). Pour d’autres, ce sera Jésus vivant dans l'Eucharistie qui deviendra le centre de leurs pensées et de leurs affections, et sans cesse, ils rediront : Adoro te, devote, latens Deitas. Il en est qui sont saisis par la pensée de Dieu présent dans l'âme et qui ne songent qu'à le glorifier tout le long du jour (Joan., XIV, 23 ; I Cor., III, 17 ; VI, 20). C'est ce qu'explique fort bien le P.Massoulié : Quand l'âme vient à considérer que non seulement elle a l'honneur d'être en la présence de Dieu, mais encore le bonheur de le posséder en elle-même, cette pensée la pénètre vivement, et la fait entrer dans un recueillement profond. Elle regarde ce Dieu d'amour et de majesté, et toute la Trinité adorable, qui daigne bien entrer en elle, et y habiter comme dans son temple. Elle le regarde avec une extrême complaisance, elle jouit du plaisir de cette possession, et elle y trouve un repos inexprimable, voyant tous ses désirs accomplis autant qu'ils peuvent l'être sur la terre ; car que peut désirer et espérer l'âme de plus grand que de posséder Dieu ?
1369. 3° Cette simplification s'étend bientôt à la vie tout entière : « La pratique de cette oraison, dit Bossuet, doit commencer dès le réveil, en faisant un acte de foi de Dieu qui est partout, et de Jésus-Christ, les regards duquel, quand nous serions abîmés au centre de la terre, ne nous quittent point ». Il se poursuit le long du jour. Tout en vaquant à ses occupations ordinaires, on s'unit à Dieu, on le regarde et on l'aime. Dans les prières liturgiques et les prières vocales on s'attache plus à la présence de Dieu vivant en nous qu'au sens particulier des paroles, on cherche avant tout à lui témoigner son amour. Les examens de conscience se simplifient : d'un regard rapide on voit ses fautes aussitôt qu'elles sont commises et on les regrette sans délai. Les études et les œuvres extérieures de zèle se font en esprit de prière, sous le regard de Dieu, avec le désir ardent de le glorifier, ad majorem Dei gloriam. Il n'est pas jusqu'aux actions les plus communes qui ne soient pénétrées de l'esprit de foi et d'amour et ne deviennent ainsi des hosties fréquemment offertes à Dieu, « offerre spirituales hostias, acceptabiles Deo » (I Petr., II, 5).

§ II. Avantages de l'oraison de simplicité

1370. Le grand avantage de cette oraison, c'est que par elle toute la vie est ramenée à l'unité, et se rapproche ainsi de la vie divine, pour la plus grande gloire de Dieu et le bien spirituel de l’âme. 1° Dieu est glorifié tout le long du jour. Ce regard habituel et affectueux de l'âme vers Dieu le fait connaître et aimer mieux que toutes les considérations : on s'oublie soi-même, et à plus forte raison on oublie les créatures, ou du moins on ne les voit que dans leurs rapports avec Dieu, sous l'influence du don de science (n° 1341). La vie devient ainsi un acte prolongé de la vertu de religion, un acte de reconnaissance et d'amour qui nous fait redire avec Marie : « Mon âme glorifie le Seigneur : magnificat anima mea Dominum ».
1371. 2° Par là même l'âme est sanctifiée. a) En concentrant son attention sur une vérité pendant un temps notable, elle apprend à mieux connaître Dieu, et, comme ce regard est accompagné d'amour, elle l'aime d'un amour plus intense, et s'unit à lui d'une façon plus intime, attirant par là en elle les perfections divines et les vertus de Notre Seigneur. b) Alors le détachement devient plus facile : quand on pense habituellement à Dieu, les créatures ne nous apparaissent plus que comme des échelons pour aller au Créateur : pleines d'imperfections et de misères, elles n'ont de valeur que dans la mesure où elles reflètent les perfections divines, et nous crient de remonter jusqu'à la source de tout bien. c) L'humilité devient plus facile : à la lumière divine, on voit clairement son néant et ses péchés, et on se réjouit de pouvoir, par l'humble aveu de ses fautes, glorifier Celui qui seul mérite tout honneur et toute gloire : Soli Deo honor et gloria, mihi autem ignominia et confusio. Au lieu de se préférer au prochain, on se regarde comme le dernier des pécheurs, prêt à sourire amoureusement toutes les épreuves et les humiliations. On peut donc dire en toute vérité que l'oraison de simplicité nous aide singulièrement à glorifier Dieu et à sanctifier notre âme.
1872. Solution des difficultés. a) On reproche parfois à ce genre d'oraison de favoriser l'oisiveté. Ste Thérèse répond ainsi à cette objection : « Revenant à ceux qui discourent, je leur dis de ne pas employer à cet exercice, si méritoire qu'il soit d'ailleurs, tout le temps de l'oraison. Comme ils y trouvent du plaisir, ils se figurent que pour eux il n'est point de jour de dimanche, et que tous les instants appartiennent au travail. Le reste, à leur avis, n'est qu'une perte de temps. Eh bien ! moi, je regarde cette perte comme un gain véritable. Que de la façon indiquée plus haut, ils se mettent intérieurement en présence de Jésus-Christ ; que là, sans effort de l'entendement, ils restent à lui parler, à jouir de sa compagnie ; qu'au lieu de se fatiguer à ordonner un discours, ils se contentent de représenter leurs besoins et les raisons qu'aurait Notre-Seigneur de ne pas les souffrir auprès de lui. Ils feront bien pourtant d'user de variété, de crainte que l'âme ne se fatigue par la continuité d'un même aliment. Ceux dont je parle sont extrêmement savoureux et profitables : une fois que l'âme y a pris goût, elle y trouve une nourriture substantielle et vivifiante, avec de très précieux avantages. » (Vie, ch. XIII, p. 171). C'est qu'en effet l'âme ne reste pas oisive : elle ne raisonne plus, mais elle regarde, elle aime, elle loue Dieu, elle se donne à lui, et, si elle reste un moment en silence c'est pour l'écouter ; si Dieu cesse de parler, elle reprend ses pieuses affections, et ainsi n'est jamais oisive.
1878. b) D'autres objectent que concentrer ainsi son attention sur une idée fixe, c'est se fatiguer la tête et tomber dans la contention. Ce serait un danger réel, si on voulait entrer dans ce genre d'oraison avant d'y être préparé, et s'y maintenir par des efforts de tête. Mais c'est là précisément ce qu'il faut éviter, dit Bossuet : « Il faut observer de ne pas tourmenter sa tête, ni même trop exciter son cœur ; mais prendre ce qui se présente à la vue de l'âme avec humilité et simplicité, sans ces efforts violents qui sont plus imaginaires que véritables et fonciers ; se laisser doucement attirer à Dieu, s'abandonnant à son esprit.» (Opuscule de la meilleure manière de faire oraison, t. VII, p. 501). Il ne s'agit donc pas de faire des efforts violents, mais de suivre doucement les attraits de la grâce, et, quand on a épuisé une pensée, de passer à une autres sans vouloir s'obstiner à s'occuper de la première. Alors l'oraison de simplicité, au 1ieu d'être une fatigue, est un doux repos de l'âme qui s'abandonne à l'action du Saint Esprit. C'est du reste ce qu'on comprendra mieux en voyant comment se fait cette oraison.

§ III. Manière de faire l'oraison de simplicité

1374. 1° De l'appel à cette oraison. Pour faire l'oraison de simplicité d'une façon habituelle, il faut réaliser les conditions que nous avons indiquées pour la voie unitive (n° 1296). Toutefois, s'il s'agit de s'adonner de temps en temps à ce genre d'oraison, il suffit d'y être attiré par la grâce de Dieu. Au reste on peut réduire à deux les signes distinctifs d'un appel divin à cette oraison : a) un certain dégoût pour l'oraison discursive ou la multiplicité des affections, joint au peu de profit qu'on en retire ; nous supposons bien entendu qu'il s'agit d'une âme fervente qui s'efforce de bien méditer, et non d'une âme tiède qui est résolue à vivre dans la médiocrité. b) Un certain attrait pour simplifier l'oraison, pour fixer son regard sur Dieu et se tenir en sa présence, joint au profit qu'on retire de ce saint exercice. En pratique, quand un directeur voit qu'une âme fervente éprouve une grande difficulté à faire des considérations ou de multiples affections, il est opportun de lui exposer les grandes lignes de cette manière d'oraison, de l'exhorter à en faire l'essai, et de lui demander compte des résultats obtenus : s'ils sont bons, on l'engagera à continuer.
1375. 2° De l'oraison elle-même. Il n'y a pas, à proprement parler, de méthode pour ce genre d'oraison, puisqu'il n'y a guère qu'à regarder et à aimer. Toutefois on peut donner quelques conseils aux âmes qui y sont appelées, pour les aider à se maintenir sous le regard de Dieu. Ces conseils seront proportionnés au caractère, aux dispositions et aux attraits surnaturels des pénitents. a) A ceux qui ont besoin de fixer leur sens sur quelque objet pieux, on conseillera de jeter les yeux sur la croix, le tabernacle ou une pieuse image propre à concentrer la pensée sur Dieu. Comme le dit le Curé d'Ars, « on n'a pas besoin de tant parler pour bien prier. On sait que le Bon Dieu est là, dans le saint tabernacle; on lui ouvre son cœur ; on se complaît en sa sainte présence ; c'est la meilleure prière. b) Ceux qui ont une vive imagination pourront se représenter une scène évangélique, non dans le détail, comme autrefois, mais en gros, par exemple Notre Seigneur au Jardin des Oliviers, ou sur le Calvaire ; puis le contempler amoureusement souffrant pour nous, et se dire : « Il m'a aimé et s'est livré pour moi : dilexit me et tradidit semetipsum pro me » (Galat., II, 20)  .
1376. c) Il en est qui aiment à parcourir doucement un texte de la Sainte Ecriture ou de quelque pieuse prière, à le goûter, à s'en nourrir. C'est ce que conseille S. Ignace dans la seconde manière de prier (n° 993) ; et l'expérience montre que beaucoup d'âmes sont initiées à l'oraison de simplicité par ce moyen ; il faut alors leur conseiller de se faire un recueil des plus beaux textes, de ceux qu'ils ont déjà savourés en les lisant et de les utiliser selon les attraits du Saint Esprit.
1377. d) Aux âmes affectueuses on conseillera de faire des actes motivés d'amour de Dieu, par exemple : « Je vous aime de tout mon cœur, ô mon Dieu, parce que vous êtes la bonté même, Deus caritas est, la beauté infinie... » ; et on savoure longuement ces quelques pensées. Ou bien on s'adresse à Jésus, et on pense aux titres qu'il a à notre amour : « Je vous aime, ô Jésus, vous qui êtes l'amabilité même; vous êtes mon Seigneur, je veux vous obéir ; mon Pasteur, je veux vous suivre et me nourrir de vous ; mon Docteur, je crois en vous ; mon Rédempteur, je vous bénis et j'adhère à vous ; mon chef, je m'incorpore à vous ; mon ami le plus fidèle, je vous aime par dessus tout, et je veux vous aimer toujours ». On peut aussi utiliser la méthode primitive d'oraison que M. Olier a laissée à ses disciples : Jésus devant les yeux : « Tenons-nous en révérence et en respect vers une chose si divine et si sainte ; et après que notre cœur se sera répandu en amour, en louanges et en autres devoirs, demeurons quelque temps en silence devant lui... » ; Jésus dans le cœur : nous supplierons l'Esprit de Jésus de venir en notre âme pour nous rendre conformes à ce divin Modèle : « Nous nous donnerons à lui pour en être possédés et pour être animés de sa vertu ; ensuite de quoi nous demeurerons encore un temps en silence auprès de lui, pour nous laisser détremper de son onction divine... » ; Jésus dans les mains, voulant « que sa divine volonté s'accomplisse en nous, qui sommes ses membres, qui devons être soumis à notre chef, et qui ne devons point avoir de mouvement que celui que nous donne Jésus-Christ, notre vie et notre tout ; qui, remplissant notre âme de son Esprit, de sa vertu et de sa force, doit être opérant en nous et par nous tout ce qu'il désire. » (Introduction, ch. IV).
1378. e) Il est des âmes où domine la volonté, qui ne peuvent plus discourir ; et qui par ailleurs se trouvant dans la sécheresse et les distractions, ont peina à tirer de leur cœur de pieuses affections. L'oraison simplifiée qui leur convient est ainsi décrite par le P. Piny : « Cette oraison consiste à vouloir passer tout le temps de l'oraison à aimer Dieu, et à l'aimer plus que nous-mêmes ; à vouloir y être pour le prier par un esprit de charité ; à vouloir y demeurer abandonné à sa divine volonté… Il faut remarquer que l'amour a cet avantage sur les actes de la plupart des vertus et sur les autres sortes d'union, que, si nous voulons aimer, nous aimons, que si nous voulons par une véritable volonté nous unir amoureusement à la volonté de Celui que nous aimons ou que nous voulons aimer, nous possédons aussitôt cette union par cet acte de notre volonté : l'amour, en effet, n'est pas autre chose qu'un acte affectif de notre volonté. » (L’oraison du cœur, ch. 1).
1379. f) Dans cette oraison, on est exposé aux distractions et aux sécheresses comme dans l'oraison affective. Il n’y a qu’à s’en humilier, et à offrir à Dieu la peine qu'on en éprouve, en s'efforçant, malgré tout, de se maintenir en sa présence avec une soumission parfaite à sa volonté : les distractions peuvent bien empêcher la pensée de se fixer sur Dieu, mais non la volanté, dont l'acte persévère virtuellement malgré les imaginations vagabondes.
1380. 3° De la préparation et de la conclusion. A) On s'est demandé si, quand on fait l'oraison de simplicité, il faut préparer son sujet. La réponse doit être, en général, affirmative, On sait que S. François de Sales conseillait à Ste Chantal de préparer son oraison : « Je ne dis pas que quand on a fait sa préparation, et qu'en l'orayson on est attiré à cette sorte d'orayson (simple regard), il n'y faille aller ; mais prendre pour méthode de ne se point préparer, cela m'est un peu dur, comme encore de sortir tout à fait de devant Dieu sans action de grâce, sans offrande, sans prière expresse. Tout cela peut être utilement fait, mais que cela soit une règle, je confesse que j'ai un peu de répugnance. » (Lettre du 11 mars 1610, t. XIV, p. 266). Ce conseil est très sage : préparer un sujet n'empêchera pas le Saint Esprit de nous en suggérer un autre, s'il le veut ; et, s'il ne le juge pas à propos, on s'occupera du sujet qu'on a préparé.
1381. B) Cette préparation s'étend à la résolution qu'on prend à la fin de l'oraison ; mieux vaut assurément en déterminer une la veille au soir. Il se peut que le Saint Esprit en suggère une autre, ou simplement porte l'âme à se donner à Dieu tout le long du jour ; mais celle qu'on a prise soi-même aura eu son utilité. Ajoutons toutefois que, comme tout se simplifie, la résolution la meilleure sera souvent la même, par exemple, celle de vivre habituellement sous le regard de Dieu, ou de ne lui rien refuser, ou de tout faire par amour. Quelque vagues que semblent ces résolutions à ceux qui ne font pas oraison de cette façon, elles sont au contraire très précises pour les âmes que Dieu y a conduites, parce qu'il se charge de les rendre pratiques par les inspirations qu'il enverra souvent pendant la journée.
 
§ IV. Rapport entre l'oraison de simplicité et la contemplation infuse

Pour exprimer avec précision la doctrine commune sur ce sujet, nous montrerons : 1° que l’oraison de simplicité n'est au fond, dans ses débuts, qu'une contemplation acquise ; 2° qu'elle est une excellente disposition à la contemplation infuse et parfois même y aboutit.
1382. 1° C'est une contemplation. a) C'était bien la pensée de Bossuet qui, après avoir décrit cette oraison, ajoute : « L'âme quittant donc le raisonnement, se sert d'une douce contemplation qui la tient paisible, attentive et susceptible des opérations et impressions divines, que le Saint Esprit lui communique ». C'est aussi la conclusion qui se dégage de la nature même de cette oraison comparée à celle de la contempration. Celle-ci se définit, comme nous l'avons dit (n° 1298), une simple intuition de la vérité ; or l'oraison de simplicité, dit Bossuet, « consiste dans une simple vue, regard ou attention amoureuse en soi, vers quelque objet divin » ; c'est donc avec raison qu'on l’appelle contemplation.
b) C’est une contemplation acquise, non infuse, au moins à ces débuts, tant qu'elle demeure faible et intermittente. Alors en effet elle ne dure que quelques minutes, et fait place à d'autres pensées et affections ; ce n'est que peu à peu que l'âme s'accoutume à regarder et aimer Dieu par une vue simple de foi, pendant un temps un peu plus notable, et d'une façon synthétique, comme l'artiste contemple un chef-d'œuvre dont il a auparavant étudié en détail les divers éléments. Il semble bien qu'il y ait là un procédé psychologique ordinaire qui suppose évidemment une foi vive, et même l'action latente des dons du Saint Esprit, mais non une intervention spéciale de Dieu, une grâce opérante.
1383. 2° L'oraison de simplicité est une disposition favorable à la contemplation infuse. Elle met, en effet, l'âme dans un état qui la rend très attentive et très docile aux mouvements de la grâce, facile mobilis a Spiritu Sancto. Quand donc il plaira à la divine Bonté de s'emparer d'elle pour y produire un recueillement plus profond, une vue plus simple, un amour plus intense, elle entre dans la seconde phase de l'oraison de simplicité, telle que Bossuet la décrit au n° V de l’opuscule déjà cité : « Ensuite il ne faut pas se multiplier à produire plusieurs autres actes où dispositions différentes, mais demeurer simplement attentif à cette présence de Dieu, exposé à ses divins regards, continuant ainsi cette dévote attention ou exposition, tant que Notre Seigneur nous en fera la grâce, sans s'empresser à faire d'autres choses que ce qui nous arrive, puisque cette oraison est une oraison avec Dieu seul, et une union qui contient en éminence toutes les autres dispositions particulières, et qui dispose l'âme à la passivité, c'est-à-dire que Dieu devient le seul maître de son intérieur, et qu'il y opère plus particulièrement qu'à l'ordinaire : tant moins la créature travaille, tant plus Dieu opère puissamment : et puisque l'opération de Dieu est un repos, l'âme lui devient donc en quelque manière semblable en cette oraison, et y reçoit aussi des effets merveilleux »…
On remarquera ces expressions que nous avons soulignées et qui indiquent si clairement l'action puissante, spéciale de Dieu et la passivité de l'âme ; ici il est bien question de la contemplation infuse, et l'oraison, commencée avec une certaine activité par un regard amoureux sur Dieu, se termine par le repos ou quiétude, où Dieu opère beaucoup plus puissamment que l'âme.
1384. Ainsi il y a une certaine continuité entre l'oraison affective simplifiée, que l'on peut acquérir par l'esprit de foi, et la quiétude, oraison infuse produite avec la collaboration de l'âme par les dons du Saint Esprit. Il y a une différence essentielle entre les deux, l'une étant acquise et l'autre infuse ; mais il y a un trait d'union, un pont, c'est l'oraison de simplicité qui commence par une simple vue de foi, et se termine, quand il plaît à Dieu, par la mainmise du Saint Esprit sur l'âme. Sans doute il n'est pas obligé, même quand on est parvenu à l'oraison de simplicité, de la transformer en oraison infuse, qui demeure toujours un don gratuit auquel nous ne pouvons nous élever nous-mêmes ; mais souvent il le fait, quand il trouve l'âme bien disposée : car il ne désire rien tant que de s’unir d'une façon plus parfaite les âmes généreuses qui veulent ne rien lui refuser.

Conclusion du premier chapitre

1385. Cette première forme de la vie unitive est déjà bien parfaite. 1) Unie affectueusement et habituellement à Dieu, l'âme s'efforce de pratiquer les vertus en ce qu'elles ont de plus élevé, avec l'aide des dons du Saint Esprit, agissant tantôt d'une façon latente et tantôt d'une façon plus manifeste. Les dons qui prédominent chez elle sont, à cause de son tempérament, de ses occupations et des attraits divins, ceux qui portent à l'action ; mais, en agissant, elle demeure en communion avec Dieu : c'est pour lui, c'est avec lui, c'est sous l'action de sa grâce qu'elle travaille et qu'elle souffre. 2) Quand vient le moment de la prière, son oraison est fort simple : elle regarde des yeux de la foi ce Dieu qui est son Père, qui habite en elle, qui collabore avec elle ; et, en le contemplant, elle l'aime : parfois cet amour se manifeste par des élans généreux ; d'autres fois par de purs actes de volonté ; car elle a ses sécheresses et ses épreuves, et elle ne peut que dire : Mon Dieu, je vous aime, ou du moins je veux vous aimer, je veux, par amour, faire votre volonté, coûte que coûte. 3) Il y a des moments où les dons de science, d'intelligence et de sagesse, qui habituellement n'opèrent en elle qu'à l’état latent, se manifestent comme un éclair et la mettent un moment dans un doux repos. C'est une sorte d'initiation à la contemplation infuse.

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