Avertissement
Maître spirituel dont les leçons
inspireront de nombreux mystiques, Jean de Ruysbrœck a donné ses
lettres de noblesse à la littérature néerlandaise. Pourtant, la
pauvreté de ses vêtements et son humilité étaient telles, qu'il fut
longtemps considéré par ses contemporains comme un illettré. Ses
premiers biographes continuèrent à accréditer cette "légende"
quoique son érudition théologique et patristique ainsi que sa
maîtrise du latin eussent été remarquables. Son talent littéraire
lui permit de rédiger en moyen néerlandais
des ouvrages qui contribuèrent beaucoup à la formation de la langue
des Pays-Bas. Ainsi, notamment avec L’Ornement des Noces
Spirituelles, un de ses premiers ouvrages et l'un des plus
grands chefs-d’œuvre de la littérature mystique chrétienne, il
adopta, autant que possible, malgré les difficultés considérables
liées aux expériences mystiques, un vocabulaire courant, qu'il
voulait compréhensible par les simples laïcs comme par les
ecclésiastiques.
Jean de Ruysbrœck a été
surnommé, à cause de la
sublimité de sa doctrine, le divin Contemplateur ou encore
l'Admirable.
Les documents dont nous
sous sommes servis peuvent en partie être retrouvés sur le site:
http://livres-mystiques.com/index.htm
ou, plus rapidement,
dans la rubrique :
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbrœck/table.html
La vie
de
Jan van Ruysbrœck
(Jean de Ruysbrœck)
(1293-1381)
La vie de Jan van Ruysbrœck nous est
connue grâce à Henri Pomerius (1382-1431) qui fut bien placé pour
obtenir des renseignements sûrs. En effet, né en 1382, un an
seulement après la mort de Ruysbrœck, il entra au monastère des
chanoines réguliers de Groenendael, où Ruysbrœck avait passé toute
sa vie religieuse. Devenu prieur, Pomerius vit mourir deux disciples
immédiats de Ruysbrœck: Jean de Hoelaere († 16 mars 1431) et Jean de
Scoonhoven († 22 janvier 1431). Ce dernier se rendit célèbre en
défendant la doctrine de son maître Ruysbrœck, contre les attaques
de Gerson.
Pomerius mourut le 2 juin 1469; il
avait écrit son ouvrage avant 1420, soit moins de quarante ans après
la mort de Ruysbrœck, le saint Prieur de Groenendael.
L'ouvrage de Pomerius comprend trois
parties :
1°L'histoire de la fondation de
Groenendael,
2°La biographie de Ruysbrœck,
3°La biographie de Jean van Leeuwen,
le « bon cuisinier ».
Un autre document précieux sur la vie
de Ruysbrœck est un prologue inséré en tête du manuscrit le plus
complet de ses œuvres. Ce prologue est d'un contemporain de
Ruysbrœck, Maître Gérard,
prieur d'une Chartreuse proche de Groenendael. Ce manuscrit, datant
de 1461, et qui appartenait jadis au prieuré même de Groenendael, se
trouve aujourd'hui à Bruxelles.
Jean de Ruysbrœck (Jan van Ruusbroec)
est né en 1293 dans le petit village de Ruusbroeck, situé entre
Bruxelles et Halle. Ce village du Brabant est aujourd’hui englobé
dans l’agglomération bruxelloise. Sa famille était très honorable et
très aisée. Dès sa plus tendre enfance il aima s'isoler dans la
nature. À l'âge de 11 ans, il fut confié à un oncle, Maître Jean
Hinckaert, chanoine de Sainte-Gudule, qui l'éveilla très tôt aux
vérités de l'Evangile, et le mit dans une école pour y apprendre les
lettres, la philosophie, puis les sciences: humaine et divine.
Jean de Ruysbrœck devint prêtre à 24
ans, en 1317, et exerça son ministère durant vingt-cinq ans à
Bruxelles, comme chapelain de Sainte Gudule, en compagnie de Maître
Hinckaert et de Franco van Coudenberg, chapelains de la même église
et animés des mêmes désirs de vie vertueuse. C'est pendant sa
présence à Bruxelles qu'il rédigea ses premiers ouvrages, écrits en
flamand,
en réalité, en dialecte brabançon. Ces ouvrages, parus entre 1330 et
1336, constituent l'essence même de sa doctrine fondée
essentiellement sur son expérience mystique. On peut citer:
– Le Royaume des Amants de Dieu,
– L'Ornement des Noces Spirituelles.
Ce livre commente une citation évangélique: Voici l’Époux qui
vient, allez à sa rencontre. (Mat, XV, 6) C’est surtout par Les
Noces Spirituelles que la doctrine Ruysbrœckienne se répandit dans
les pays germaniques.
– L'Anneau de la Pierre Brillante
– La foi chrétienne
et Les quatre Tentations virent
le jour entre 1336 et 1343
La sainteté de Jean de Ruysbrœck était
telle que ses hagiographes rapportèrent de nombreux miracles et
légendes, destinés à montrer les faveurs que Dieu lui réserverait
tout au long de sa vie. Évidemment il faut prendre ces légendes
avec précaution et nous ne nous y attarderons jamais. Cependant pour
notre divertissement, nous rapportons ici un fait étonnant raconté
par un religieux
anonyme, son premier biographe:
"À
peine l'enfant avait-il sept jours, comme sa nourrice allait le
laver dans un bassin, il se tint debout sans aucun autre appui que
celui d'une grâce particulière de Dieu."
On raconte aussi que lorsque sa maman
fut décédée, elle lui apparut à plusieurs reprises pour lui demander
un soulagement à ses peines du Purgatoire. Et l'on dit que, dès la
fin de sa première Messe, le jeune
prêtre "apprit, dans une apparition
certaine de sa mère, qu'elle était enfin délivrée de toute peine."
Revenons maintenant à des choses plus
terre à terre.
Prêtre séculier, Jean décida de suivre
le Christ humble dans la voie de l'humilité, et de se conformer
autant qu'il le pourrait à ce modèle, au point de passer même pour
méprisable et sans valeur aux yeux de tous ceux qui ignoraient sa
vie très sainte. Cependant, il eut l'occasion, à Bruxelles, de
s'opposer fortement à Bloemardinne, une femme qui fut l'initiatrice
d'une secte, satanique dirions-nous aujourd'hui, secte qui attirait
de nombreux adeptes. Il semble que Bloemardinne dirigea la secte "du
libre esprit" vers 1307.
L'homme de Dieu s'opposa avec vigueur
à ces erreurs néfastes qui se multipliaient, et bien qu'il eût à
soutenir un grand nombre d'adversaires, il put démontrer pleinement
la fausseté des écrits de cette femme perverse.
En 1343, Jan
van Ruysbrœck, que nous appellerons le plus souvent Ruysbrœck, ou
encore le dévot Prieur, décida de vivre dans la solitude, avec son
oncle et Franco van Coudenberg, dans l'ermitage
de Groenendael
(Viridis Vallis, ou le Vauvert). Le frère Jean van Leeuwen, surnommé
"le bon cuisinier", devait bientôt rejoindre la petite communauté
naissante, qui, en 1350, adopta l'habit des chanoines réguliers de
saint Augustin, ainsi que la règle. Ruysbrœck put alors s'adonner
tout entier à la contemplation et se livrer à l'influence divine.
Lorsqu'il se sentait
envahi par l'inspiration, Ruysbrœck s'enfonçait dans la forêt toute
proche, et se mettait à écrire tout ce qui lui venait à la pensée.
Puis, il retournait au monastère et partageait avec ses frères les
enseignements merveilleux qu'il avait reçus. Son influence bénéfique
était telle qu'on lui donna le surnom d'Admirable. Pèlerins et
fidèles affluaient pour l'écouter et prier avec lui.
Le
prieur de Groenendael
Ruysbrœck avait déjà été prieur pour
les quelques compagnons qui, d’abord groupés autour de lui, dans la
maison de son oncle, l’accompagnèrent à Groenendael dans la forêt de
Soignes, mise à leur disposition par le duc Jean III de Brabant en
1343. Là, leur retraite était mieux protégée, La communauté qu’il
entendait former ne devait pas être cloîtrée: sans règle, ni
supérieur, avec très peu d’observances, elle devait cependant
permettre la réalisation d’une vie intérieure intense, et permettre
une vie commune, telle qu’elle sera plus tard décrite dans le livre,
La Pierre brillante. Cependant, la communauté d’abord
informelle, évolua vers la vie canoniale augustinienne, embrassée le
10 mars 1350. En effet, en 1349, l'évêque de Cambrai avait vêtu les
membres de la petite communauté de la tunique blanche et de la chape
noire des chanoines de saint Augustin. Le prévôt de la communauté
fut Franco van Coudenberg à qui Ruysbrœck, prieur, voulut demeurer
soumis.
La production littéraire de Ruysbrœck
pendant cette période reflète l’activité d’un conseiller spirituel
attentif, discret et retiré: ses ouvrages, surtout des opuscules,
sont souvent de nature explicative. On a parlé d'une mystique
essentialiste sur la nature de laquelle les erreurs d’interprétation
sont aisées.
4-1-Dans
un rayon de feu
Du vivant de Ruysbrœck, des hommes
témoignèrent: nous savons que très souvent le dévot Prieur se hâtait
vers le bois, et, retrouvant sa retraite solitaire, s'asseyait sous
un arbre. Un jour qu'il y était resté plus longtemps que d'habitude,
les frères, inquiets, se mirent à le chercher à travers les chemins
de la vaste forêt.
"Par
hasard, un frère, qui lui était assez intime, le cherchant avec
soin, remarqua de loin un arbre qui semblait par en haut tout
enveloppé d'un rayon de feu. S'approchant alors en silence, il
trouva l'homme de Dieu assis sous cet arbre, encore tout ravi hors
de lui par la grande ferveur de la douceur divine. De ceci il
apparaît clairement de quelle ferveur intérieure d'esprit et de
quelle splendeur il était enflammé en même temps qu'illuminé, alors
que le rayonnement en paraissait au dehors d'une façon si
manifeste."
4-2-La
lévitation
À
force de méditer la Passion du Seigneur, Ruysbrœck "parvint à une
telle abondance de la divine grâce, que souvent il s'élevait dans le
ravissement divin au-dessus de lui-même." Les lévitations de
Ruysbrœck ont souvent été constatées par ceux qui vivaient proches
de lui.
4-3-Des
apparitions du Christ, de la Vierge Marie et des saints
Les hagiographes de Ruysbrœck
racontent que souvent Notre-Seigneur Jésus-Christ visitait son
fidèle serviteur avec une douceur très intime, et l'enrichissait de
multiples grâces; ainsi, un jour il lui apparut visiblement avec la
bienheureuse Vierge Marie, sa glorieuse Mère, et tous les saints de
la cour céleste. Jésus lui parla:
— Tu
es mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis ma complaisance.
Et l'embrassant, il dit à sa Mère et
aux chœurs des saints présents:
— Voici
mon enfant d'élection.
En retour, le dévot Prieur manifestait
pour le Seigneur Jésus, une grande familiarité et un amour hors du
commun. De plus, en plusieurs circonstances il eut avec le Seigneur
Jésus des entretiens cachés, dont il n'est pas permis aux hommes
de parler". Cela, le dévot Prieur le fait entendre parfois en
ses livres et le "Bon Cuisinier" le rapporte lui aussi;
"car ce dernier
le vit un jour élevé en une telle gloire, qu'à ce moment, personne
parmi les vivants ne le surpassait en mérites."
Beaucoup d'hommes remarquables de
Flandre, de Strasbourg, de Bâle et principalement des villes du
Rhin, souvent élevés en dignité, venaient à Ruysbrœck, désireux de
le voir et de bénéficier de ses conseils.
Et le bon Prieur se
montrait si prévenant envers eux, qu'il semblait avoir été prévenu
par avance de leur venue.
5-1-Ruysbrœck et Tauler
Parmi les nombreux visiteurs qui
vinrent trouver le bon Prieur, l'un des principaux fut un certain
dominicain, docteur en théologie, du nom de Jean Tauler, très
célèbre, tant à cause de sa rare érudition que de sa grande sainteté
de vie. Tauler visitait fréquemment J. Ruysbrœck, car il l'avait en
grande vénération. Cela transparaît fréquemment dans les écrits de
Tauler, dans lesquels on peut remarquer bien des points empruntés,
sans aucun doute, au vénérable Ruysbrœck. Cela montre aussi combien
Tauler, comme de nombreux visiteurs du dévot Prieur, progressa
auprès de lui dans la connaissance de la vie intérieure et
contemplative.
5-2-Une
vocation religieuse
Une femme, d'une haute naissance,
avait coutume de venir visiter le dévot prieur, malgré
l'éloignement, faisant jusqu'à deux milles, pieds nus. Elle
fut confirmée par Ruysbrœck dans le mépris du monde et l'amour de
Dieu: abandonnant tous ses biens, elle se rendit à Cologne où elle
embrassa la vie monastique dans l'ordre des Clarisses.
Durant les dernières années de sa vie,
le dévot Prieur, devenu presque aveugle, emmenait fréquemment avec
lui, dans la forêt, un frère chargé de transcrire sur des tablettes
ce qu'il dictait sous l'action de l'Esprit-Saint. Il agissait
également souvent ainsi pour échapper au nombre grandissant des
visiteurs. Réfugié dans la forêt il dictait de nouveaux ouvrages.
Déjà ses livres se répandaient, ainsi
que nous l'apprend Maître Gérard, le prieur des Chartreux qui écrit:
"Et moi, frère Gérard, de l'ordre des Chartreux, de la maison de
Notre-Dame de la Chapelle près Hérinnes, toutes les fois que je
rencontrais de ces livres, je les annotais soigneusement, selon la
force de mon intelligence." Frère Gérard
"en avait lui-même pris une copie
et comme il y trouvait certains passages obscurs, il pria Ruysbrœck
de venir lui en donner l'explication. C'est ce que fit le saint
prieur..."
Gérard Groot
fréquentait également Groenendael et profitait de l'influence et des
enseignements du prieur.
La mort
de Ruysbrœck
Quand il eût atteint sa
quatre-vingt-huitième année, Ruysbrœck commença à voir ses forces
décliner. Il comprit qu'il allait mourir bientôt. En effet, lorsque
sa mère fut délivrée des peines du Purgatoire après l'ordination de
son fils, elle lui apparut plusieurs fois et lui prédit qu'il
s'endormirait joyeusement pendant le temps de l'Avent du Seigneur.
Le dévot prieur, très avancé en âge,
se disposa donc à mourir saintement. Il demanda à être transporté
par les frères à l'infirmerie commune des frères. "Là, atteint
d'une grave attaque de fièvre et souffrant en même temps de
dysenterie, il passa sur son lit presque quinze jours, dans une
grande faiblesse. Enfin au milieu de ses frères en prière, et après
s'être recommandé dévotement à eux, tout présent d'esprit et le
visage radieux, il s'endormit heureusement dans la paix en un très
doux soupir et sans les signes ordinaires des agonisants." Il
avait plus de quatre-vingt-huit ans et était prêtre depuis
soixante-quatre ans.
7-1-Apparition à un médecin
Un médecin, ami de Ruysbrœck, ayant
appris que son ami était très malade se rendit aussitôt à
Groenendael. Ayant constaté la faiblesse du serviteur de Dieu, il
voulut rester pendant quelque temps auprès de lui. Après la mort de
son ami, le médecin fut pris d'un léger sommeil, et il vit le saint
Prieur, revêtu des habits sacerdotaux, s'avancer vers l'autel, comme
pour témoigner, par cette vision, de son affection envers lui, et de
la grâce singulière qui l'animait durant la célébration de la Messe.
7-2-Guérison d'un cruel mal de dents
À l'époque de Ruysbrœck, la médecine
était peu efficace et il n'existait aucun remède pour soulager les
maux de dents. Une religieuse béguine de Malines, tourmentée depuis
longtemps par un cruel mal de dents, recouvra soudainement la santé
après avoir approché de sa bouche une relique, une dent
du saint prieur.
7-3-La
translation du corps
Environ cinq ans après la mort du
dévot Prieur, Monseigneur Jean Tserclaes, alors évêque de Cambrai,
voulut que les ossements du prieur fussent enlevés de son tombeau et
transportés par les frères dans un nouveau sépulcre. Lorsque le
tombeau fut ouvert, les frères y découvrirent le corps et les
ornements qui l'enveloppaient: tout était intact. Alors on exhuma
le corps, saint et vénérable, et on l'exposa pendant trois jours
dans l'enceinte du monastère de Groenendael afin qu'il pût être
vénéré par tous ceux qui le souhaitaient. Il s'exhalait du corps un
parfum si agréable, qu'on aurait pu croire que ce n'était pas le
corps d'un mort, mais bien
plutôt quelque onguent d'une merveilleuse suavité.
Nous savons que Jan van Ruysbroeck est
mort en 1381, en odeur de sainteté. Lors de la suppression du
monastère (1783) son corps fut transféré à Sainte-Gudule de
Bruxelles. Il fut béatifié par le pape Pie X en 1908. L'Église
voulait, en effet, reconnaître d'une façon officielle le "culte
rendu de temps immémorial au vénérable serviteur de Dieu, Jean de
Ruysbrœck, chanoine régulier. Le décret de la Sacrée
Congrégation des Rites est du 1er décembre 1908; il a été approuvé
par Pie X, le 9 du même mois.
Historique de cette béatification
La cause de béatification de Ruysbrœck
avait été introduite grâce à Jacques Boonen, archevêque de Malines
en 1624; elle dut être suspendue en 1627, en raison des guerres qui
affligeaient les Pays-Bas.
En 1783, le chapitre de Sainte-Gudule
de Bruxelles obtint un office et une messe en l'honneur de Jean
Ruysbrœck, puis tout fut de nouveau interrompu par la Révolution
française.
Enfin, en 1883, le cardinal Goossens
put réintroduire la cause, et obtenir la reconnaissance du culte, ce
qui équivaut à une béatification. L'office et la messe propres du
Bienheureux ont été accordés le 29 août 1909 au diocèse de Malines.
Démêlés
avec Gérard Groot et Jean Gerson (1363-1429)
Un grand maître de l'époque, Gérard
Groot (Gérard le Grand) rencontra plusieurs fois le Prieur de
Groenendael. Un jour, il crut trouver dans ses écrits des éléments
qui ne lui semblèrent pas conformes à la foi catholique, et il
exprima ses doutes. Ruysbrœck lui aurait répondu:
— Maître Gérard, sachez vraiment,
que jamais je n'ai écrit une parole dans mes livres, que sous la
motion de l'Esprit-Saint.
On sera étonné d'apprendre qu'après la
mort de Ruysbrœck, ses écrits, toujours si fidèles à la doctrine
catholique, rencontrèrent quelques difficultés avec Jean Gerson, le
célèbre docteur en sainte Écriture et Chancelier de Paris. C'est une
lettre de Gérard Groot aux moines de Groenendael, qui nous fait
connaître les premières critiques dirigées contre le livre de
Ruysbrœck intitulé "L'Ornement des Noces spirituelles". En
effet, ayant examiné ce livre et n'ayant pas vraiment compris la
pensée de l'auteur exprimée dans la troisième partie du livre, Jean
Gerson le déclara d'abord suspect d'hérésie. Mais, ayant mieux
approfondi la doctrine de Ruysbrœck, Jean Gerson revint sur sa
déclaration et reconnut l'inspiration divine de ses œuvres.
Toutefois, dans une seconde lettre, il redit que les expressions,
dont Ruysbrœck s'était servi pour exprimer sa pensée, étaient
parfois défectueuses. Gérard Groot ne précise pas les griefs
formulés contre Ruysbrœck: mais il ajoute "qu'il
prit à partie le docteur en question
et qu'il le mit à la raison."
Une autre attaque, rapportée par
Gérard Groot, vint d'Allemagne. "Un des nôtres, écrit-il, nous a
fait savoir qu'un autre savant et vénérable docteur, maître Henri de
Hesse, a dit publiquement que le livre des Noces contient beaucoup
d'erreurs. Pour ma part, comme je vous l'ai déjà dit ailleurs,
j'avoue qu'il y a des expressions qui seraient à modifier: si on les
prenait au pied de la lettre, elles seraient fautives; mais pour ce
qui regarde le fond même de la doctrine je suis fermement convaincu
de sa parfaite orthodoxie..." Il est certain "que Ruysbrœck
n'a pas toujours employé les formules théologiques usitées alors, et
Gerson était en droit de le faire remarquer", affirme Gérard
Groot. Mais il ne faut pas oublier que Ruysbrœck écrivait pour le
peuple et en langue vulgaire.
Par ailleurs, et il importe de le
faire remarquer, la matière qui est traitée dans Le Livre des Noces,
concerne les plus hauts sommets de l'union mystique. Les termes
utilisés pour exprimer cette union mystique échappent parfois à la
terminologie technique habituelle en théologie.
Une certaine personne, ayant vécu à
Groenendael, peu de temps après la mort du Maître, proposa un ordre
suivant lequel la lecture de ses œuvres lui semblait le plus
profitable. Dans la suite de notre étude nous approfondirons les
œuvres de Ruysbrœck pour tenter d'en dégager la spiritualité. Nous
ne suivrons pas dans notre étude des œuvres de Ruysbrœck l'ordre
indiqué par cette personne, mais pour l'information de nos lecteurs,
nous présentons ici, en quelques mots et selon cet ordre, le contenu
des œuvres de Ruysbrœck:
– Le livre des Douze vertus
insiste particulièrement sur l'humilité, inspirée par la
contemplation de la puissance de Dieu et de sa souveraine bonté. À
partir de là, le lecteur peut, par l'obéissance et la pauvreté
d'esprit, embrasser totalement la volonté du Seigneur.
– Le livre des Douze points de la
vraie foi est
essentiellement une paraphrase du Credo.
– Le Miroir du salut éternel,
résume la doctrine de Ruysbrœck.
– Les Sept degrés de l'échelle
d'amour spirituel
présentent l'échelle mystérieuse par laquelle on s'élève jusqu'à
l'intimité amoureuse avec Dieu. Cette échelle indiquée par Ruysbrœck
a très certainement inspiré sainte Thérèse d'Avila.
– Les Sept clôtures
énumèrent les enceintes dans lesquelles une âme doit s'enfermer pour
arriver à la cohabitation avec les trois personnes de la Sainte
Trinité.
– Le livre des Quatre tentations,
très court, s'élève contre les principales tendances de toutes les
époques: l'amour de ses aises et du confort, l'esprit d'hypocrisie,
l'orgueil de l'esprit qui veut tout comprendre, et la fausse
liberté, qui, déjà au temps de Ruysbrœck, inspirait la secte des
Frères et des Sœurs du libre esprit, comme le font, de nos
jours, la plupart des sectes.
– Le livre du Tabernacle Spirituel,
décrit le Tabernacle de l'Ancien Testament, avec les prescriptions
données par Dieu pour sa construction. Il en fait l'application aux
sept demeures spirituelles, celles que les âmes doivent habiter pour
posséder Dieu. Ces demeures indiquées par Ruysbrœck ont, également,
inspiré sainte Thérèse d'Avila.
– Le Royaume des Amants,
explique comment Dieu, après avoir créé et racheté l'homme, le
conduit par ses voies et au moyen des sept dons du Saint-Esprit,
jusqu'à la contemplation et la possession de son Royaume. Ce traité
peut être considéré comme un véritable traité de théologie ascétique
et mystique.
– Les Noces spirituelles,
ouvrage écrit par Ruysbrœck probablement vers 1335 ou 1336, expose
les diverses formes de vie spirituelle: la vie active, la vie
intime et la vie contemplative, étapes indispensables par
lesquelles l'âme aboutit à l'union avec Dieu.
– La Pierre brillante,
serait le résultat d'un entretien de Ruysbrœck avec un ermite.
Appliquant aux justes un texte de l'Apocalypse, l'auteur distingue
trois catégories d'hommes qui reçoivent et possèdent la grâce de
Dieu. Il les appelle les serviteurs fidèles, les amis intimes et les
fils cachés.
– Le Livre de la plus haute vérité,
est une explication de quelques passages difficiles du Royaume des
amants.
– Le Livre des Douze Béguines
est formé de divers traités qui se suivent sans ordre apparent.
Quelques fioretti
Le
bonheur en Dieu
"Un jour tandis qu'il
passait dans les rues de Bruxelles, l'esprit occupé des choses
célestes, deux séculiers considérant la simplicité de son habit,
l'un d'eux se prit à dire: 'Plût à Dieu que je fusse doué d'une
sainteté de vie aussi grande que celle de ce prêtre!' A quoi l'autre
répondit: 'Pour tout l'or du monde, je ne voudrais certes pas être à
sa place; car alors, je n'aurais pas un seul jour de bonheur!' Ce
que le saint homme entendant par hasard, pensait au fond de son âme:
Ah! Tu connais peu de quelle suavité sont pénétrés ceux qui ont
goûté l'esprit de Dieu!"
La
sainteté
"On raconte du dévot
Prieur qu'une fois il fit comprendre brièvement ces choses à deux
clercs de Paris, qui étaient avides de recevoir de lui un mot
d'édification. Il leur dit en effet entre autres choses:
— Vous
pouvez être aussi saints que vous le voulez.
Ce que ceux-ci ne
comprenant guère, ils se détournèrent de lui scandalisés, et lui
absent, ils racontèrent à quelques frères du monastère, d'un esprit
troublé, ce que le dévot prieur leur avait répondu. Car ils voyaient
en ces paroles plutôt une ironie qu'une réponse aimable et
paternelle. C'est pourquoi les frères susdits les ramenant vers leur
père, lui demandèrent humblement d'exposer à ces clercs sa pensée.
Alors il leur dit :
— N'est-ce
pas vrai, comme je l'ai dit, que vous êtes aussi saints que vous le
voulez? Oui, assurément. Car la mesure de votre sainteté dépend de
la bonté de votre volonté. Considérez donc en vous-mêmes à quel
degré votre volonté est bonne, et la mesure de votre sainteté vous
sera manifeste. Car chacun est saint dans la mesure même où il est
attaché au bien.
Ce qu'ayant entendu, ils
se retirèrent avec un grand profit d'édification."
L'orthodoxie des écrits de Ruysbrœck
"Gérard Magne
qui était fort docte, commença à interpeller de cette manière le
très Saint Père, à propos de certains de ses écrit :
-J'admire, Père Prieur, que vous
écriviez des œuvres sublimes; toutefois vous vous préparez par elles
de nombreux émules, et de multiples détracteurs pour vous et votre
doctrine.
Entendant ces paroles, l'homme très
humble répondit avec beaucoup de mansuétude :
— Maître
Gérard, prenez pour certain et avéré, que je n'ai jamais mis un seul
mot dans mes écrits, si ce n'est sous l'inspiration du Saint-Esprit,
et la présence singulière et très douce de la Très Sainte Trinité."
Conseils
enflammés et conférences silencieuses
Ruysbrœck, le dévot Prieur devait
parfois faire des conférences dans des monastères ou ailleurs.
Beaucoup de monde venait à lui, pour lui demander des conseils et le
dévot Prieur s'appliquait à répondre à toutes leurs demandes.
Parfois, il était si plein de l'Esprit qu'il se répandait en paroles
enflammées. Ce qui était merveilleux c'est que, rempli des dons de
la grâce, il aurait pu faire jaillir le feu de la pierre en
pénétrant les cœurs endurcis. Pourtant, il arrivait que devant des
personnes d'un rang élevé et noble, "il
oubliait tout ce qu'il savait et demeurait silencieux et muet, comme
s'il n'avait jamais goûté le témoignage de l'Esprit. Chaque fois que
cela lui arrivait, il se mettait humblement la tête entre les mains
pour recueillir son esprit. Lorsqu'il reconnaissait que cette
absence se prolongeait, il disait à ses auditeurs:
— Mes
enfants, il n'y a rien à faire pour le moment.
Et leur disant adieu, il partait
aussitôt..."
Ruysbrœck tourmenté par Satan
Le diable, antique rival du salut
des hommes, s'efforçait de lui susciter de grandes tentations.
Il venait souvent sous la forme d'un crapaud ou de toute autre bête
malfaisante : c'est lui-même qui le rapportait à ses frères les plus
familiers. Très souvent, quand il prévoyait la venue du diable, il
se prémunissait contre lui avec des armes spirituelles. "Ainsi
il arriva un jour qu'étant couché dans une petite chambre en
compagnie du supérieur du monastère, en raison de sa vieillesse, il
perçut l'approche de l'ennemi et s'écria, de sorte que le supérieur
l'entendit :
— Mon
Père, voilà qu'il vient, mon Père, voilà qu'il vient."
Nous indiquons
ci-dessous quelques sites Internet où l'on peut lire les textes de
Ruysbrœck traduits en français.
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Ruysbroek/Ruysbrœck/tome6/frere.html
http://alexandrina.balasar.free.fr/jean_de_Ruysbrœck_extrait.htm
http://voiemystique.free.fr/
On peut aussi
consulter :
1997 Encyclopædia
Universalis France S.A.
C'était
la résidence d'un pieux personnage, appelé Lambert, qui
succédait lui-même en ce lieu à deux autres ermites, Jean de
Busco et Arnold de Diest. Sur la demande de Franco van
Coudenberg, Lambert consentit à aller fixer un peu plus loin
sa cellule, au désert de Boetendael, afin de faire place à
Ruysbrœck et à ses compagnons.
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