“- Padre, mais je ne
crois pas en Dieu.
- Mais Dieu croit en toi !”
SOUS LE SIGNE DE LA CROIX
d'après le père Jean Derobert
La vie de Padre Pio est
un très grand mystère. Lui-même l'avouait : “Je suis un mystère
pour moi-même !…” C'est un mystère d'amour. Sa vie nous échappe
pour mieux nous mener au pied de la croix et nous faire comprendre
plus profondément tout ce que cela signifie pour nous. Et ce n'est
que dans la prière que nous pouvons rejoindre un homme aussi proche
de Dieu que l'était le cher Père. Les faits sont là, certes, comme
autant de signes d'une emprise divine sur une créature.
Padre Pio, premier Prêtre stigmatisé, disparaît derrière la Sainte
Humanité du Christ.
NAISSANCE
Il était né le 25 Mai
1887 à Pietrelcina, qui pourrait se traduire par “petite pierre”. De
fait, ce petit village du Sannio, dans la Province de Bénévent, dans
la région de Naples, est littéralement accroché à un rocher.
Francesco Forgione (c'était son nom) fut habité dès le sein de sa
mère par l'œuvre rédemptrice du Sauveur. Il l'avait confié au Père
Agostino, son Père Spirituel : “Je souffrais dès avant ma
naissance”. Il vécut quatre vingt un ans sous la motion de cette
grâce de “victime” qui lui faisait dire : “Je suis crucifié
d'amour” . Il fut baptisé dès le lendemain de sa naissance dans
la petite église Sainte Marie des Anges qui se dresse tout près de
sa maison natale. Francesco était le deuxième enfant d'une famille
de cinq. Deux enfants étaient morts avant sa naissance, un petite
sœur deviendra, elle aussi, religieuse Brigittine à Rome. Son père
Grazio Forgione devra s'expatrier par deux fois en Amérique, à
Buenos Aires, tout d'abord, puis à New York et dans la baie de la
Jamaïque, pour payer les études de son fils et, plus tard, les
dépenses médicales occasionnées par la piètre santé du jeune
religieux. Il devra, en effet, passer sept longues années hors du
couvent, dans sa famille, tant sa santé était délabrée. Quant à la
mère, Maria-Giuseppa di Nunzio, c'était une femme pieuse, douce et
ferme tout à la fois, très travailleuse car elle devait remplacer
son époux dans le travail des champs. Elle était pleine d'attention
pour son fils Francesco.
OFFRANDE
Dès l'âge de cinq ans,
l'enfant jouissait de la vision de la Vierge Marie qu'il priait deux
fois par jour à l'église. C'était un garçon silencieux, tranquille
et très obéissant. Il disait lui même qu'il ne valait rien mais
qu'il était un “maccherone senza sale”, un nouille insipide… Mais le
confrère auquel il avait fait cette confidence lui avait répondu :
“Vous le dites par sainte humilité !”, ce qui n'était pas
faux ! Il jouait rarement avec les enfants de son âge car il ne
supportait pas les blasphèmes et les jurons que certains proféraient
souvent. Son meilleur compagnon de jeu, il le confiera plus tard,
n'était autre que son Ange Gardien. Ses nuits étaient très
tourmentées. Sans cesse, il était assailli par le démons de l'enfer
et le petit Francesco se battait contre eux, en hurlant dès que sa
mère avait soufflé la bougie et qu'il se trouvait dans le noir. Les
vexations diaboliques, c'est-à-dire les coups dont les démons
frappaient le jeune enfant, commencèrent en fait à peu près à l'âge
de quatre ans, selon le Père Benedetto, qui fut longtemps son
Provincial. “Le diable, dit-il, se présentait sous des
aspects hideux, et souvent menaçants, horribles, épouvantables”.
C'était un tourment tel que le pauvre enfant ne pouvait pas dormir,
il pleurait, mais il suffisait que “Mamma Peppa” allume à nouveau la
lumière pour que, tout aussitôt, disparaisse le Prince des Ténèbres.
Le père, Zi'Grazio, lui, n'était au courant de rien et les cris de
l'enfant avaient le don de lui taper sur les nerfs. Il poussait des
cris si assourdissants qu'il menaça un jour de le jeter par la
fenêtre s'il ne se calmait pas et il n'était pas loin de penser que
cet enfant venait tout droit de l'enfer ! Sa mère lui avait
répondu : “Nous l'élèverons pour expier nos péchés !” Et elle
ne croyait pas si bien dire. Elle ne se doutait pas le moins du
monde, à cette époque-là, de l'exceptionnelle vocation de son petit
garçon. Ces attaques diaboliques ne cesserons pratiquement jamais et
affligeront Padre Pio jusqu'à la mort A cinq ans à peine, il
caressait déjà l'idée de se donner tout entier à Dieu. Le Père
Benedetto da San Marco in Lamis, qui fut son Provincial et l'un de
ses directeurs spirituels, écrivait : “A cinq ou six ans, au
Maître-Autel, lui apparut le Sacré Cœur de Jésus ; il lui fit signe
d'approcher de l'autel et lui mit la main sur la tête, attestant
d'accepter et de confirmer l'offrande faite à Lui-même et de se
consacrer à son amour”. Et le Père Benedetto conclut : “Il
sentit s'affermir sa décision et grandir l'ardeur de L'aimer et de
se donner tout entier à Lui”. A cause de ce devoir de
consécration, le petit Francesco redoubla d'intensité dans sa prière
d'enfant. Il acceptait les souffrances et s'imposait même, lui, si
jeune, des pénitences ! Un jour, “Mamma Peppa” le surprit — il
n'avait à ce moment que huit ou neuf ans — derrière son lit, qui se
frappait avec une chaîne de fer. Elle le supplia de s'arrêter, mais
il continuait de plus belle. Elle lui demanda pourquoi il se
frappait ainsi. “Je dois me battre comme les juifs ont battu
Jésus, répondit l'enfant, et lui ont fait jaillir le sang sur les
épaules !” Le 27 Septembre 1899, Padre Pio fut confirmé et fit
sa première communion. Il écrira plus tard : “Au souvenir de
cette journée, je me sens tout entier dévoré par une flamme très
vive qui brûle et ne fait pas mal…” Ce qui laisse entendre qu'il
reçut pleinement les Dons du Saint Esprit. Grâce aux visites d'un
Frère Capucin, Francesco décida catégoriquement d'être, comme lui,
un religieux “avec la barbe”.
CAPUCIN
Le 6 Janvier 1903,
Francesco entra au couvent de Morcone, non loin de Pietrelcina.
A
l'entrée, un écriteau donnait cet avertissement : “Ou la pénitence,
ou l'enfer”. Le message était clair et le jeune Francesco qui avait
tout juste seize ans, n'eut pas de peine à choisir et à s'engager
résolument dans cette vie qui, à cette époque, était très austère et
sévère. Il reçut son nom de religieux : désormais il sera “Fra
Pio da Pietrelcina”. Plus que jamais, il devint un homme de
prière et d'intercession. Sept années plus tard, en 1910, il
confiera à son Provincial sa vocation de victime : “J' en viens à
vous demander une permission, celle de m'offrir au Seigneur comme
victime pour les pauvres pécheurs et les âmes du purgatoire. Ce
désir s'est développé de plus en plus dans mon cœur, au point qu'il
est devenu, dirai-je, une forte passion. Il est vrai que cette
offrande, je l'ai faite plusieurs fois au Seigneur, le conjurant de
bien vouloir déverser sur moi les châtiments qui sont préparés pour
les pécheurs et les âmes du purgatoire, même en les multipliant,
pourvu qu'il convertisse et qu'il sauve les pécheurs et qu'il
admette bien vite au Paradis les âmes du purgatoire. Mais maintenant
je voudrais la faire, cette offrande, avec votre permission…”
C'est tout simplement héroïque… Il avait reçu également le don des
larmes. Lorsqu'il fut envoyé, pour y poursuivre ses études
ecclésiastiques au couvent de Sant'Elia a Pianisi, il versait de
telles quantités de larmes pendant l'oraison et après la communion
que cela “formait un petit ruisseau” diront les témoins. Il avait
accepté d'en donner la raison à son Père Spirituel : “Je pleure
mes péchés et les péchés de tous les hommes…” Car Frère Pio
était bien un vrai disciple du Poverello d'Assise, Saint François,
qu'un paysan avait surpris en larmes “L'Amour n'est pas aimé !”
s'était-il écrié. Comment ne pas comprendre les attaques dont le
démon, qu'il appelait “Barbe-Bleue”, lui infligeait. Combien de fois
n'a-t-il pas été battu, jeté à bas de son lit, ligoté par celui
auquel il arrachait les âmes ? J'ai été moi-même témoin des coups
qu'il avait reçus durant la nuit. Il arrivait le matin, à la
sacristie, pour s'y préparer à la Messe, le visage parfois tuméfié.
Durant son repos forcé qui dura sept ans, à Pietrelcina, il s'était
aménagé une cellule tout en haut d'un escalier de pierre, sur le
rocher en face de sa maison natale. Si les murs de cette pièce
pouvaient parler ! Ils portent encore les marques des luttes
effroyables qui se sont déroulées à cet endroit. Il suivit ses
études de Théologie à Serracapriola avec le Père Agostino da San
Marco in Lamis, son premier directeur spirituel, ainsi qu'au couvent
de Montefusco. Bientôt, il sera atteint par cette mystérieuse
maladie, dont nous avons déjà fait mention, qui lui occasionna de
très violentes douleurs. Il était à la fois dévoré par la fièvre et
par l'amour de Dieu… Une transpiration abondante, une toux qui lui
arrachait la poitrine, se joignaient aux tourments d'ordre
spirituel : il était assailli de scrupules… “Ce martyre,
écrit Padre Pio dans une lettre du 17 Octobre 1915, fut très
douloureux pour ma pauvre âme, à la fois par son intensité et par sa
durée. Cela débuta, si je me souviens bien, vers l'âge de dix-huit
ans et dura jusqu'à vingt et un an bien sonnés. Cependant, dans les
deux premières années, ce fut presque insupportable. Lorsque mon âme
souffrit cela, je me trouvais à Sant'Elia, puis à San Marco, et
aussi ailleurs…” Le 19 Décembre 1908, il reçut les Ordres
Mineurs : Portier, Lecteur, Exorciste, Acolyte. Deux jours plus
tard, dans la cathédrale de Bénévent, il fut ordonné Sous-Diacre.
Mais ses mortifications et ses jeûnes eurent raison de sa santé et
il dut interrompre le cours de ses études. C'est à ce moment-là
qu'il commença son long “congé de maladie” au cours duquel il sera
marqué, bien qu'invisiblement, des stigmates de la Passion du
Seigneur. Ce fut, pour le jeune capucin, une période de vie
intérieure intense, de continuelle pénitence et l'occasion d'une
très rapide progression dans les voies de la sainteté A vingt trois
ans, très malade et pensant à une mort prochaine, il demanda la
faveur de l'Ordination Sacerdotale. Il fut donc ordonné le 10 Août
1910 dans la Cathédrale de Bénévent. Le voilà Prêtre pour
l'éternité : “Comme j'étais heureux, ce jour-là, écrit-il, mon
cœur était brûlant d'amour pour Jésus…J'ai commencé à goûter le
paradis !” Sur l'image-souvenir de son Ordination Sacerdotale,
il avait écrit son programme de vie : “Jésus, mon souffle et ma
vie, aujourd'hui que, tremblant, je t'élève dans un mystère d'amour,
qu'avec Toi, je sois pour le monde, voie, vérité, vie et pour Toi,
Prêtre saint, victime parfaite”. Alors commence cette longue
série de Messes impressionnantes qu'il célèbrera jusqu'à sa mort. La
dernière fois qu'il montera à l'autel, ce sera le 22 Septembre 1968,
il mourra quelques heures plus tard, le 23 Septembre, à 2 heures 30,
au cœur de la nuit….
STIGMATES
En cette tragique
matinée du 20 Septembre 1918, Padre Pio est marqué des plaies
de
la crucifixion… Il les conservera cinquante années… Le 22 Octobre
suivant, il doit, “par sainte obéissance”, raconter ce qui s'est
passé à son Supérieur Provincial : “… C'était le matin du 20 du
mois dernier, écrit-il donc, après la célébration de la
sainte Messe, quand je fus surpris par un repos semblable à un doux
sommeil. Tous mes sens internes et externes, les facultés de mon
esprit également, se trouvaient dans une quiétude indescriptible. Il
y avait un silence total autour de moi. Il fut suivi immédiatement
d'une grande paix et je m'abandonnais à la complète privation de
tout. Il y eut un répit dans la ruine elle-même (Il s'agit,
selon toute vraisemblance, de ce qu'il croit être le véritable état
de son âme) — Et tout cela se produisit en un éclair. Et tandis
que cela était en train de se réaliser, je vis devant moi un
mystérieux personnage, semblable à celui que j'avais vu le soir du 5
Août (quand il reçut le ‘trait de feu’) qui se différenciait
seulement en ceci : ses mains, ses pieds et son côté ruisselaient de
sang. Sa vue m'épouvanta, et ce que je ressentis en cet instant, je
ne saurais vous le dire. Je me sentais mourir et je serais mort si
le Seigneur n'était intervenu pour soutenir mon cœur que je sentais
bondir dans ma poitrine. Ce personnage disparut de ma vue, et je
m'aperçus que mes mains, mes pieds et mon côté étaient percés et
ruisselaient de sang ! Imaginez la torture que j'éprouvais alors et
que j'éprouve continuellement presque tous les jours…” Il faut
l'avoir vu à l'autel, les mains sanglantes !… J'ai eu la grâce de
lui servir la messe ! Il fallait voir le sang qui coulait de ses
mains blessées… un sang parfumé mystérieusement !… Il fallait
l'entendre prononcer à mi-voix des paroles à l'adresse de Celui qui
était là, sur l'autel, continuant, en son Prêtre, à offrir au Père
le Sacrifice rédempteur. Vraiment, là, on comprenait que le Prêtre,
à l'autel, ne peut qu'être identifié au Christ souffrant. Il doit
lui-même, offrir tout son être à Jésus comme une “humanité de
surcroît”. La grâce de Padre Pio était, pour les Prêtres, la prise
de conscience de cette identification au Crucifié du Golgotha. Non,
après avoir assisté, ou plus exactement, participé à la Messe que
célébrait le Père dans le petit matin de San Giovanni Rotondo, les
Prêtres ne peuvent plus célébrer la Messe comme avant… Ils sont
Jésus-Christ !…
BIEN DES AMES
La célébrité de Padre
Pio ne fit que croître ; les âmes affluaient autour de son autel et
auprès de son confessionnal. Padre Pio avait, en effet, reçu le don
infus de la scrutation des consciences et du discernement des
esprits. Il dévoilait les fautes oubliées, et j'ai, à ce sujet, des
souvenirs quelque peu “cuisants” !… Il montrait la gravité de
certains péchés, considérés par les pénitents comme véniels et
secouait les plus tenaces des fidèles. Et ceux-ci n'hésitaient pas à
participer à la Messe du saint Prêtre qui, entrecoupée d'extases,
durait le plus souvent plus de deux heures.
PERSECUTIONS
A la suite de plusieurs
examens des stigmates de Padre Pio, une polémique, puis, une
persécution, fut déclenchée. Le Saint Office prit plusieurs mesures
restrictives malgré les vives réactions des pèlerins. Du 11 Juin
1931 au 15 Juillet 1933, Padre Pio resta prisonnier dans son
couvent. La seule permission qu'il obtint fut celle de pouvoir
célébrer la Messe… en privé, dans la chapelle intérieure… deux
longues années terribles pour lui ! En 1942, selon la volonté du
Pape Pie XII, Padre Pio fut l'initiateur des Groupes de Prière.
Cette œuvre allait de pair avec celle de la “Casa Sollievo della
Sofferenza” (Maison du Soulagement de la Souffrance) C'était le
grandiose hôpital qu'il avait fait construire tout à côté du
couvent. Le 5 Mai 1956 fut donc inauguré solennellement ce grand
édifice. Mais les importantes sommes d'argent qui seront données à
Padre Pio pour ce Centre de soins, et qui provenaient de la foule de
ses fils spirituels venant du monde entier, furent la cause d'une
deuxième série de persécutions. Padre Pio ne voulait pas que l'on
parle de ces persécutions. Elles constituent une page très
douloureuse dans la vie du stigmatisé du Gargano. Elles ont
cependant existé. Elles sont le fait de personnes ecclésiastiques et
non de l'Église elle-même. Elles ont servi à la plus grande Gloire
de Dieu puisqu'elles n'ont fait que prouver un peu plus la sainteté
du Religieux de San Giovanni Rotondo, par l'obéissance et la
patience dont il donna le témoignage.
MIRACLE DE LA DERNIERE MESSE
Lors de la Messe
solennelle qu'il célébra pour le cinquantième anniversaire de sa
stigmatisation,
les Groupes de Prière avaient entouré Padre Pio de leur vénération
et de leur affection. A l'issue de l'Office, il eut un collapsus et
s'effondra. On l'emporta dans sa cellule… Il rendit sa belle âme à
Dieu au cœur de la nuit suivante. Mais, un certain temps après la
mort constatée, les cicatrices même des plaies qui avaient marqué
son corps pendant un demi-siècle disparurent d'un coup et la peau
redevint comme celle d'un petit enfant.. comme s'il n'y avait jamais
eu la moindre blessure. J'ai dit, dans l'ouvrage que j'ai rédigé sur
celui qui fit mon Père spirituel tendrement aimé puisque c'est
lui-même qui me prit comme fils, le “fils de son cœur” comme il
disait : “Padre Pio, Transparent de Dieu”, que le Père avait été
ici-bas comme “l'incarnation mystique de Jésus”, le Seigneur ayant
pris possession totalement de tout l'être de cet humble religieux.
La mission qui était de ramener à Dieu les hommes qui s'étaient
éloignés de Lui, était désormais terminée. Padre Pio mourut. Et il
ne resta plus ici-bas, que les membres de Francesco Forgione qui
n'avaient jamais foulé notre terre… Tel était Padre Pio...
FLASHES SUR PADRE PIO
Je me souviendrai
toujours de cette lointaine soirée d'Octobre 1955 où j'ai rencontré
pour la première fois Padre Pio… J'avais été conduit à la tribune de
la petite église du couvent en longeant des couloirs sombres sur
lequel s'ouvraient les portes des cellules. J'avais pris place à
côté d'un religieux dont je me souviens qu'il était, ce soir-là,
fort enrhumé ! Je fus attiré de suite par l'expression étrange de
son visage, tendu vers un au-delà que lui seul voyait. Il passa sa
main sur son front dans un geste qui devait lui être familier, cette
main portait un gant, ou plus précisément, une mitaine… J'étais à
côté de Padre Pio, cet homme que j'avais eu si peur de rencontrer…
Car “l'ennemi des âmes”, comme disait le Père lui-même, n'avait
évidemment aucun intérêt à ce que nous nous rencontrions ! J'avais
surpris Padre Pio dans sa prière. Et j'ai compris alors ce que
voulaient dire des mots comme “recueillement”, “concentration
d'esprit”, “regards d'amour sur Dieu”. De temps à autre, ses yeux se
portaient sur le tabernacle que l'on apercevait à travers la
balustrade qui fermait le chœur monastique, ou bien ils s'élevaient
vers cet émouvant crucifix qui se dressait au dessus d'elle…
celui-là même qui avait été le témoin, sinon l'auteur, de sa
stigmatisation au matin du Vendredi 20 Septembre 1918. Padre Pio
était vraiment l'homme de la prière. C'était aussi l'homme de la
souffrance, l'homme du pardon, l'homme de l'offrande. Voilà les
quatre “points cardinaux” de cette attachante personnalité.
HOMME DE LA PRIERE
Chaque soir, Padre Pio
présidait la cérémonie qui réunissait les fidèles dans la petite
église du couvent avant que ne fut construite la grande basilique.
On y récitait le chapelet, on y donnait la Bénédiction
Eucharistique. On y récitait également la fameuse “Neuvaine
irrésistible” au Sacré Cœur de Jésus et la “Visite à la Madone”.
Entendre cette voix était quelque chose d'inoubliable et, dès les
premiers jours, j'en fus bouleversé et profondément ému. Il y a,
certes, beaucoup de gens qui sont capables de lire un texte
intelligemment, et même avec du sentiment, en y mettant le ton !
Mais ces phrases, prononcées par Padre Pio, se revêtaient d'un
exceptionnel relief. On y sentait la vibration intense d'une âme
remplie de foi. C'était l'effusion la plus suave qui soit d'un cœur
plein d'amour. Padre Pio scandait chacune des paroles. Il les
prononçait avec un accent tel qu'on ne pouvait pas ne pas en être
remué et ému jusqu'aux larmes. Lui-même, d'ailleurs, prononçait
certains mots avec des sanglots dans la voix. Tel a été mon premier
contact avec lui. Et la simple évocation de ce souvenir me
bouleverse encore ! A la Messe, en prononçant les paroles de la
Consécration, Padre Pio souffrait atrocement. Il savait bien, lui,
ce qu'était la souffrance physique et ce qu'était la souffrance
morale ou spirituelle… Et comme il savait aussi que seule la
souffrance
est capable de racheter le monde parce qu'elle est porteuse de
rédemption, Padre Pio unissait ses propres souffrances à celles du
Seigneur en Sa douloureuse Passion. Et cette offrande, il la faisait
passer toute entière dans sa prière. Il savait bien aussi ce
qu'était cette terrible “nuit de l'esprit” dont parle saint Jean de
la Croix et dans laquelle il s'est trouvé plongé dès son plus jeune
âge jusqu'au moment de la définitive et irréversible rencontre, dans
l'éternel face à face au delà de la mort, lorsque, enfin, ses yeux
ont pu contempler Dieu sans voile. Ce qu'il conseillait aux âmes qui
s'adressaient à lui et qu'il guidait vers les plus hauts sommets de
la vie spirituelle et mystique, il l'a vécu, lui, le premier dans sa
piété la plus profonde. Lorsque dans toute sa vie les tempêtes
s'étaient abattues plus fortement et plus violemment sur lui,
lorsque la Croix, qui avait été plantée au cœur de sa vie, s'était
faite plus lourde, lorsqu'il prenait sur lui les innombrables
intentions qui, de tous les coins du monde, avaient afflué vers lui,
vers ce paratonnerre des hommes, il déposait tout dans le Cœur de
Jésus, il mettait en Lui seul toute sa foi et toute son espérance.
Il récitait chaque jour cette “Neuvaine irrésistible” dont les mots,
pour lui, et sur ses lèvres, revêtaient une tonalité proprement
“mantrique” Cette prière s'appelle “irrésistible” parce qu'elle est
fondée sur trois affirmations solennelles du Seigneur Lui-même. Nous
lisons, dans l'Évangile, ces trois promesses, et, exprimées par
Padre Pio, elles ne pouvaient pas laisser le Cœur de Jésus
insensible. Voilà cette prière : “O mon Jésus qui avez dit : ‘En
vérité, en vérité, je vous le dis, demandez et vous recevrez,
cherchez et vous trouverez, frappez et il vous sera répondu’, voilà
que je frappe, je cherche et je demande (telle) grâce…” “O mon Jésus
qui avez dit : &En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que
vous demanderez à mon Père, en mon nom, Il vous l'accordera’. Voici
qu'à Votre Père, en Votre Nom, je demande (telle) grâce… “O mon
Jésus qui avez dit : ‘En vérité, en vérité, je vous le dis, le ciel
et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point !’ Voici
que, m'appuyant sur l'infaillibilité de vos saintes paroles, je
demande (telle) grâce…” Et chaque parole, chaque formulation de
la grâce implorée, était suivie de la récitation d'un “Notre
Père”, à cause de la soumission à la Volonté de Dieu, d'un
“Je vous salue, Marie”, car Notre Dame était là pour appuyer
cette prière, et d'un “Gloire au Père…”, pour exprimer, par
avance et dans la confiance, notre remerciement à Dieu. Venait
ensuite, à chaque fois, l'invocation : “Cœur Sacré de Jésus, j'ai
confiance en Vous !” Ainsi priait Padre Pio…Il priait bien, il
priait beaucoup, il priait toujours. Il était, au plein sens du
terme, “l'homme fait prière”. Jamais il ne se lassait de prier. Bien
plus, on lit dans les lettres qu'il écrivait à ses Directeurs
spirituels, qu'il se plaignait de ne jamais avoir assez de temps
pour prier. Il avait écrit un jour : “Je voudrais que les
journées aient quarante heures !” Il priait partout, à l'autel,
au confessionnal, à sa place au matronée de la basilique où on le
voyait lever son chapelet comme pour le montrer aux fidèles qui, en
bas, le regardaient, priaient avec lui, priaient par lui. Il priait
dans les escaliers, dans les couloirs, dans l'ascenseur, dans sa
cellule le jour, la nuit, à l'exception des très rares heures de
sommeil. Il priait avec des gémissements du cœur, il priait avec des
“oraisons jaculatoires”, mais il priait spécialement avec son
chapelet. Il s'était promis de ne pas réciter moins de cinq rosaires
par jour. Il fut vraiment un “dévoreur” de chapelets. Un jour, son
Supérieur lui demanda combien de chapelets il avait récités dans la
journée. Et Padre Pio avait répondu : “Bah ! al mio Superiore,
devo dire la verità !… J'en ai récité trente quatre !…” Il
répétait souvent : “Allez à la Madone, faites-la aimer ! Récitez
toujours le Rosaire. Récitez-le bien ! Récitez le plus que vous
pourrez !” Il priait pour ceux qui s'étaient recommandés à sa
prière et aussi, chose étrange, pour ceux dont le Seigneur lui
soufflait l'intention, même s'il ne les connaissait pas. Sa prière
ornait et en même temps nourrissait sa constante, profonde et
habituelle union à Dieu. Padre Pio nous a laissé ce grand exemple de
prière. Il nous a fait comprendre que tout travail spirituel ne peut
être accompli et réussi si, à la base, il n'y a pas ce regard
d'amour porté sur Dieu dans une intense prière. Et dans sa prière,
Padre Pio était arrivé au sommet de l'union transformante de Dieu,
aux sphères les plus élevées de l'échelle mystique… Le 18 Avril
1912, il avait raconté à son Père Spirituel une lutte terrible qu'il
avait eu à soutenir contre l'enfer qui pratiquement chaque nuit le
frappait et le persécutait de toutes les façons possibles, et la
consolation du Seigneur lui était venue après la Messe : “A la
fin de la Messe, écrit-il donc, je me suis entretenu avec
Jésus pour l'action de grâce. O combien fut suave le colloque tenu
avec le Paradis ce matin !… Le Cœur de Jésus et le mien se
fondirent. Ce n'étaient plus deux cœurs qui battaient, mais un seul.
Mon cœur avait disparu comme une goutte d'eau s'évanouit dans la
mer…” Padre Pio pleurait de joie et il ajoutait : “Quand le
Paradis envahit un cœur, ce cœur affligé, exilé, faible et mortel ne
peut le supporter sans pleurer…” Il disait : “Soyez des âmes
de prière. Ne vous fatiguez jamais de prier. C'est la chose
essentielle. La prière fait violence au Cœur de Dieu, elle obtient
les grâces nécessaires !” Padre Pio était un homme de prière.
C'était aussi — et par voie de conséquence — un homme de souffrance.
HOMME DE SOUFFRANCE
Si toute la vie
terrestre du Seigneur ne fut qu'un continuel martyre qui aboutit au
Calvaire, on peut en dire tout autant de la vie de Padre Pio. C'est
vraiment l'homme de la souffrance : il souffrait dans son corps et
il souffrait dans son âme. Il faut lire et relire toutes les lettres
qu'il a échangées avec ses Directeurs Spirituels, le Père Benedetto
et le Père Agostino. Cet échange de correspondance débuta dans les
tout premiers jours de sa vie religieuse. Ces lettres nous ont
révélé quelle fut la souffrance la plus intime et la plus
déchirante, quelle fut l'épreuve terrible à laquelle le Seigneur
avait soumis son humble serviteur : c'était l'incertitude de son
amour pour Dieu, l'incertitude d'accomplir Sa Volonté, l'incertitude
de se trouver en état de grâce, l'incertitude de son propre salut
éternel. Il ne voyait plus clair. Lors de la dernière rencontre que
j'ai eue avec lui, un mois et demi avant sa mort, il me fit cette
demande qui étonna beaucoup le jeune Prêtre que j'étais alors :
“Mon fils, prie pour que je garde la foi !…” Telle est l'épreuve
à laquelle Dieu soumet d'ordinaire les âmes qu'il veut purifier le
plus parfaitement possible parce qu'il veut les élever aux plus
hauts degrés d'union avec Lui par d'ineffables expériences
mystiques. C'est ainsi que lui, qui eut à diriger un nombre
incalculable d'âmes dans les voies de la spiritualité la plus
exigeante, demeura, quant à lui, dans la “nuit de l'esprit” la plus
profonde. Ses Directeurs spirituels lui prodiguaient de sages
conseils et, bien souvent, il les “resservait” aux âmes qui
s'adressaient à lui, et même, le cas échéant, à ses Directeurs
eux-mêmes qui étaient devenus ses “dirigés” ! Mais ces conseils ne
l'effleuraient même pas et il s'étonnait de cette insensibilité. Il
avait dit : “Je suis un mystère pour moi-même !” Il souffrit
aussi, à l'extérieur de son âme, de toutes les calomnies que le
Démon avait déchaînées contre lui. On l'avait accusé de violer le
Vœu de Pauvreté en manipulant d'importantes sommes d'argent alors
qu'il rendait compte scrupuleusement à ses Supérieurs. D'ailleurs,
le Pape Pie XII lui-même l'avait expressément autorisé à administrer
le grandiose hôpital qu'il avait fait édifier avec les dons de ses
fils spirituels. On l'accusa même sur son honnêteté, sur la pureté
de ses mœurs à cause du groupe de ses filles spirituelles. Il en a
beaucoup souffert. Il souffrit des persécutions auxquelles il fut
soumis, de sa ségrégation, de ne pouvoir, pendant de longs mois,
administrer le Sacrement de la Réconciliation… Il souffrait de tout
ce que l'on publiait sur son compte… Il a souffert du fanatisme de
certaines personnes qui vivaient autour du couvent et qui élevaient,
entre le monde et lui, une inexplicable barrière. Il demeura dans
l'obéissance, offrant à Dieu cette intolérable souffrance morale que
Dieu avait permise pour aider à sa propre sanctification. Mais la
grande souffrance de Padre Pio dans son corps, ce fut, sans
conteste, l'impression dans ses membres des sacrés stigmates de la
Passion. Le célèbre savant, le Professeur Enrico Medi, qui était un
fils spirituel du Père, avait déclaré un jour : “Il me semble
que, dans la vie de l'Église, dans l'Histoire de l'Église, il n'y a
pas eu de saint à qui Dieu ait demandé autant de sang qu'à Padre
Pio…” Cette souffrance fut la participation de Padre Pio à la
Passion rédemptrice de Jésus, ou plutôt il faut dire que Jésus était
venu revivre sa vie et Sa Passion en Padre Pio. C'est pour cela
qu'il fut, au plein sens du terme, un “Transparent de Dieu”.
HOMME DU PARDON
Padre Pio a été l'homme
de Dieu qui absout pour conférer aux pécheurs la grâce sanctifiante
et les réconcilier avec Dieu. La Grâce Sanctifiante est un Don
surnaturel qui est fait à l'âme et qui nous rend fils de Dieu,
frères de Jésus, membres de l'Église et héritiers du Paradis. Telle
est la définition du Catéchisme. Ce Don de Dieu, reçu au Baptême, se
perd par le péché et se retrouve par l'Absolution On peut regarder
Padre Pio comme un puissant intermédiaire entre nous et Dieu pour
nous obtenir les grâces qui nous sont nécessaires. Mais il faut
surtout le regarder comme un grand distributeur de la Grâce, avec un
“G” majuscule, car c'est bien la Grâce Sanctifiante qu'il a
distribuée tant et tant de fois pendant plus d'un demi-siècle.
Depuis 1918, pas un jour de repos, pas un jour de répit, sauf les
jours où la maladie le contraignait à garder le lit, mais ce n'était
pas du repos pour lui. Pendant un demi-siècle, il a subi les assauts
répétés de ces foules de pénitents de toutes catégories sociales, de
toutes les nations, de ces gens qui étaient avides de voir Dieu de
tout près. A San Giovanni Rotondo, il y avait un autel et un
confessionnal… Padre Pio, par son assiduité au confessionnal, nous a
appris la valeur de la Grâce Sanctifiante, la beauté de cette Grâce
qui est si riche et qui est, finalement, la condition du salut
éternel. Au plus fort de son activité, il passait parfois jusqu'à
dix sept heures au confessionnal ! Lorsque, pendant les quelques six
mois qu'il passa au couvent Sainte Anne de Foggià avant de monter
définitivement à San Giovanni Rotondo, le peuple parlait de lui et
disait ; “il Padre che confessa…” ou bien “il confessore…”
Il était devenu un martyr du confessionnal, un martyr du Sacrement
du Pardon et de la Miséricorde de Dieu. Padre Pio fut donc l'homme
qui absout pour redonner aux âmes cette Grâce Sanctifiante, mais il
voulait voir, en chacune de ces âmes les dispositions suffisantes.
Il n'absolvait pas celui — ou celle — qui ne méritait pas
l'absolution. Il avait écrit à un Prêtre ami : “Si l'on savait
comme il est terrible de s'asseoir au Tribunal de la Confession !
Nous administrons le Sang du Christ ! Attention à ne pas le répandre
avec légèreté !” Il condamnait et haïssait le péché et il
employait souvent des paroles fortes et sévères par amour du
pécheur, pour sa conversion et pour son salut. Il disait souvent :
“Je ne donne pas de gâteau à celui qui a besoin d'une purge !”
Il était terrible pour les pénitents superficiels, pour ceux qui
n'étaient pas sincères, ceux qui étaient hypocrites. Car il lisait
dans les consciences et il lui arrivait de dire au pénitent ses
propres péchés avant même que celui-ci ait eu le temps d'ouvrir la
bouche. J'en ai fait moi-même la douloureuse expérience !… Mais par
contre, avec les vrais repentis, quel accueil ! Quelle douceur !
Qu'il était bon avec les pécheurs qu'il avait une ou plusieurs fois
chassés du confessionnal parce qu'il voyait bien que leur repentir
n'était pas sincère et qu'ils n'étaient pas prêts à quitter leurs
péchés et qui revenaient à lui, humblement, sincèrement repentis et
contrits ! Il les aimait tant, ces pécheurs ! Il avait appris à les
connaître pendant les trois courts séjours qu'il fut contraint
d'effectuer à l'armée pendant la Grande Guerre. La Providence avait
permis que cet ange de délicatesse et de pureté puisse approcher ce
milieu où parfois règne une certaine grossièreté, pour qu'il
apprenne à aimer l'homme pécheur. Il était si heureux de donner
l'Absolution, car il disait que, au degré de Grâce Sanctifiante que
l'on avait atteint sur la terre correspondait exactement le degré de
gloire dans le Paradis pour toute l'éternité. Padre Pio confesseur…
Padre Pio directeur d'âmes… Avec quelle sollicitude il suivait et
guidait ceux qui s'étaient confiés à ses soins et qui étaient ses
enfants spirituels, les “fils de son cœur”, comme il les appelait.
Les lettres qu'il avait échangées avec eux lorsqu'il pouvait encore
écrire en témoignent abondamment. Il était très exigeant avec ses
fils spirituels. Il leur disait : “Je vous accueille bien
volontiers comme mes fils spirituels, mais à condition que vous vous
comportiez toujours bien et que vous ne me fassiez pas faire
mauvaise figure devant Dieu et devant les hommes, que vous soyez des
exemples de vie chrétienne. Autrement, je sais aussi employer le
bâton !” Il les incitait à accomplir fidèlement leurs devoirs
religieux, leurs devoirs de famille, leur devoir professionnel et
social. Il les exhortait à être des âmes de prière, fidèles à la
méditation quotidienne et à la mortification. Il les poussait à
accepter et à reprendre la croix de chaque jour et à marcher dans la
joie sur le chemin de la sainteté, attentifs à conserver la paix de
l'âme, la tranquillité d'esprit, la sérénité et la bonté dans les
rapports avec les autres. C'est ainsi, affirmait-il, que l'on
pouvait se constituer cet important capital de Grâce Sanctifiante et
se préparer une meilleure place auprès de Dieu Padre Pio nous lance
donc un appel pressant à la confession fréquente et à la conversion
de chaque jour. Cet appel, Padre Pio l'adressait spécialement au
monde d'aujourd'hui si éloigné de la foi et de la pratique
religieuse, si enclin au péché et au blasphème, si esclave des
passions les plus avilissantes, si attiré par certaines idéologies
et par les sectes toujours plus envahissantes. Padre Pio adressait
cet appel à ce monde qui viole si facilement les lois du mariage, le
respect de la personne humaine depuis sa conception jusqu'à sa mort
naturelle. Il l'adressait à ce monde qui, aujourd'hui, joue un jeu
très dangereux avec la Génétique et la Bioéthique. Ce monde-là,
Padre Pio le rappelait — et le rappelle encore — à revenir vers
Dieu. Pour cela, il encourageait beaucoup à prier la Vierge, Notre
Dame des Grâces, la Mère de la Divine Grâce, la Porte du Ciel…
HOMME DE L'OFFRANDE
Padre Pio était celui
qui offrait la divine Victime à l'autel. Chacun sait à quel point
était impressionnante, émouvante, sublime, tragique, la Messe de
Padre Pio ! C'était quelque chose d'unique au monde. Pourquoi ?…
Peut-être parce que cette Messe durait en général près de deux
heures et que, de temps à autre, il était arrivé au Père de rester à
l'autel quatre ou cinq heures, comme cela s'était souvent produit
lors de sa ségrégation qui dura deux longues années, de 1929 à 1931.
Rien que pour cela, elle aurait déjà été extraordinaire. Cela aurait
du faire fuir les fidèles qui préfèrent des Messes rapides et bien
enlevées ! Au contraire, les foules arrivaient, nombreuses, pour
participer à cette Messe hors du commun que Padre Pio célébrait à
cinq heures du matin ! Il y faisait passer toute sa personne, toute
sa vocation de co-rédempteur à côté de l'Unique Rédempteur, toute sa
mission de témoin de Dieu, sa mission de salut et de sanctification
qu'il accomplissait au confessionnal, mais plus encore sur cet
autel. “Sanctifie-toi et sanctifie !” lui avait dit le Seigneur dès
son enfance… A l'autel, le Père était transfiguré. Son visage, très
pâle et, en même temps, très ardent, était parfois inondé de larmes.
Souvent, je l'ai vu ainsi. L'intensité de sa ferveur, les
douloureuses contractions de son corps, la beauté de ses gestes,
certains sanglots silencieux, tout montrait qu'il vivait intensément
la Passion du Christ. On avait l'impression que toute distance de
temps et d'espace entre l'autel et le Calvaire s'était évanouie. On
avait l'impression très nette, la certitude même, d'être comme
physiquement présents sur ce rocher du Golgotha ou autour de la
table de la Cène. Et voir Padre Pio élever l'hostie dans ses mains
transverbérées et sanglantes rendait plus sensible encore l'union
mystique du Prêtre qui offrait et de la Victime qui offrait son
Sacrifice. Padre Pio avait répondu à l'une de ses filles
spirituelles qui lui demandait : “Père, pour nous, qui
êtes-vous ?” — “Au milieu de vous, je suis le frère, au
confessionnal, le juge, à l'autel, la victime !” Chaque jour, à
l'autel, le Père revivait cet événement de sa propre crucifixion, le
Vendredi 20 Septembre 1918…
PADRE PIO, HOMME DE LA MESSE
C'était le modèle,
pourrait-on dire, de chaque Prêtre… On ne pouvait pas “assister”
à
sa Messe, on devenait, presque malgré soi, “participant” de ce drame
qui se jouait chaque matin sur l'autel. Crucifié avec le Crucifié,
le Père revivait la Passion de Jésus avec une douleur dont j'ai été
le témoin ému et bouleversé. J'étais le privilégié, car je lui
servais la Messe. Le Père nous apprenait par là que notre salut ne
pourrait s'obtenir que si, d'abord, la Croix était plantée dans
notre vie. Il disait “Je crois que la très Sainte Eucharistie est
le grand moyen pour aspirer à la sainte Perfection, mais il faut la
recevoir avec le désir et l'engagement d'ôter de son cœur tout ce
qui déplaît à Celui que nous voulons avoir en nous”. (27 Juillet
1917) Il m'avait expliqué, peu après mon Ordination Sacerdotale,
qu'il fallait, en célébrant l'Eucharistie, mettre en parallèle la
chronologie de la Messe et celle de la Passion de Jésus. Il
s'agissait de comprendre et de réaliser, tout d'abord, que le Prêtre
à l'autel EST Jésus Christ, et qu'il ne Le représente pas seulement.
Dès lors, Jésus, en son Prêtre, revit indéfiniment la même Passion :
Du signe de la croix
initial jusqu'à l'Offertoire, il faut rejoindre Jésus à Gethsémani,
il faut le suivre dans son agonie, souffrant devant cet océan de
péché, cette “marée noire” de refus de Dieu. Il faut le rejoindre
dans sa douleur de voir que la Parole du Père, qu'il était venu nous
apporter, ne serait pas reçue, ou si mal, par les hommes. Et c'est
dans cette optique qu'il faut écouter les Lectures de la Messe comme
si elles nous étaient personnellement adressées.
L'Offertoire, c'est l'arrestation. L'Heure est venue…
La Préface, c'est le chant de louange et de remerciement que Jésus
adresse au Père car Il lui a permis de parvenir enfin à cette Heure.
Depuis le début de la Prière Eucharistique jusqu'à la Consécration,
on rejoint (rapidement !…) Jésus dans son emprisonnement, dans son
atroce flagellation, son couronnement d'épines et son chemin de
croix dans les ruelles de Jérusalem, regardant, au “Memento”, tous
ceux qui sont là et pour lesquels nous prions spécialement.
La Consécration nous donne le Corps livré… maintenant, le Sang
versé… maintenant. C'est — mystiquement — le moment de la
crucifixion du Seigneur dans la méditation que nous faisons à mesure
que la liturgie se déroule. A ce moment de la Messe, Padre Pio
souffrait atrocement… il ressentait à ce moment, les clous qui
fixaient Jésus à la Croix.
On rejoignait ensuite Jésus en croix et offrant, en cet instant, au
Père, son Sacrifice rédempteur. C'est le sens de la prière
liturgique qui suit immédiatement la Consécration. Le “Par Lui, avec
Lui et en Lui” correspond au cri de Jésus : “Père, je remets mon âme
entre Tes mains !” Dès lors, le Sacrifice est consommé et accepté
par le Père.
Les hommes, désormais, ne sont plus séparés de Dieu et ils se
retrouvent unis. C'est la raison pour laquelle, à cet instant, on
récite la prière de tous les enfants de Dieu, le “Notre Père…”
La fraction de l'hostie marque la mort de Jésus…
L'intinction, le moment où le Prêtre laisse tomber une parcelle du
Corps du Christ dans le calice du Précieux Sang, marque le moment de
la résurrection, car le Corps et le Sang sont à nouveau réunis et
c'est au Christ vivant que nous allons communier.
La bénédiction du Prêtre marque les fidèles de la croix comme d'un
signe distinctif et comme un bouclier protecteur contre les assauts
du Malin…
On comprendra qu'après
avoir entendu de la bouche même du cher Père une telle explication,
sachant bien que, lui, vivait douloureusement cela, il m'ait demandé
de le suivre sur ce chemin… ce que je fais chaque jour… et avec
quelle joie ! Et lorsque que le Lundi 23 Septembre 1968, à deux
heures du matin, il se trouvait sur le fauteuil de sa cellule,
revêtu de son habit de capucin, serrant entre ses doigts son
chapelet et qu'il expira doucement en murmurant les noms de Jésus et
de Marie, il pouvait ajouter, comme on le dit en Italie : “La Messa
è finita, andate in pace !…” La Messe est finie, allez dans la
paix ! C'était la Messe de l'homme de Dieu qui s'offrait lui-même
comme victime. Padre Pio nous invite à mettre vraiment la Messe au
centre de notre vie, nous unissant nous-mêmes à la divine Victime
par la foi et l'amour, réalisant le plus parfaitement possible cette
fusion par la communion. Toute la personnalité de Padre Pio, sa
grande figure mystique, se résume dans ces quatre points que nous
venons de voir : 1° – Padre Pio, c'est l'homme de Dieu qui prie et
qui nous laisse comme message : “Soyez,, vous aussi, des âmes de
prière. Priez,, unis à vos frères, dans les Groupes de Prière !” 2°
– Padre Pio, c'est l'homme de Dieu qui souffre et qui nous laisse
comme message : “Acceptez et vivez le Christianisme authentique et
intégral, c'est-à-dire, le Christianisme avec la Croix !” 3° – Padre
Pio, c'est l'homme de Dieu qui absout et qui pardonne et qui nous
laisse comme message : “Avec le Sacrement de Réconciliation,
fréquemment reçu, vivez et grandissez dans la Grâce Sanctifiante !”
4° – Padre Pio, c'est l'homme de Dieu qui s'offre avec Jésus et qui
nous laisse comme message : “A la Messe, offrez Jésus crucifié et
offrez-vous, vous-mêmes, avec Lui !” Padre Pio est maintenant dans
la Gloire du Ciel… ainsi va le déclarer le Successeur de Pierre,
parlant au nom de l'Église toute entière. Nous savons bien que, de
là-haut, il nous regarde, il bénit et protège tous ceux qui, dans le
monde entier, qu'il avait, ici-bas, accueillis comme “fils et
filles de son cœur”. Il ne pourra oublier tous ceux qui, de plus
en plus nombreux, écoutent sa parole, méditent ses écrits,
accueillent son message, son invitation à la sainteté. Car la
mission du Père était bien celle-ci : nous entraîner à sa suite afin
d'entrer avec lui dans le Cœur du Christ.
SPIRITUALITE DE PADRE PIO
Padre Pio était de ces
êtres dont la présence, comme celle du feu, crée une certaine
fascination, presque un envoûtement… parfois même une certaine gêne,
tant ceux qui les entourent se sentent différents, inférieurs et
lointains. Il semble que ces êtres-là soient des exilés d'une autre
terre, d'un autre monde, et qu'ils passent au milieu de nous à la
manière des météores. De temps à autre, c'est vrai, le Seigneur
envoie sur cette terre, dans ce monde pécheur qui est le nôtre, des
“âmes solaires” dont la mission est de ramener l'humanité vers
l'Amour de son Dieu. Padre Pio était de celles-là… A l'approcher, il
devenait évident que, de sa personne tout entière, émanait une
“aura” étonnante, une irradiation de sainteté. Le Seigneur avait
pris totalement possession de son être au point même de lui être
configuré par les plaies de la crucifixion dont, pendant cinquante
années, son corps fut marqué… Il était comme “l'incarnation
mystique” de Jésus, car Padre Pio s'était ouvert à la demande de
Dieu et Jésus était venu revivre en lui son mystère de la Croix. Il
apportait ainsi, dans notre monde, en réalité, la présence
substantielle de Jésus et de Marie, car on ne peut jamais séparer le
Rédempteur de celle qui fut sa “généreuse collaboratrice dans son
Œuvre de Rédemption”, pour reprendre la belle expression du Pape Pie
XII dans le discours qu'il tint le 1er Novembre 1950 lors
de la proclamation du Dogme de l'Assomption. Quand Padre Pio était
là, on pouvait dire que Jésus et Marie étaient présents, eux aussi,
par lui. Et parce qu'il était l'instrument d'une Présence qui le
dépassait humainement, puisqu'il s'agissait de celle du Seigneur et
de Sa Mère, Padre Pio avait atteint la perfection de sa vocation
sacerdotale : il était à la fois le Prêtre et la Victime. Cette
présence de Jésus et de Marie, Padre Pio la faisait donc ressentir à
ceux qui l'approchaient parce qu'il vivait lui-même de cette
présence mystérieuse et réelle. Il nous enseignait, par là, à être
tout à Dieu par Marie, dans le temps, afin d'être, pour l'éternité,
tout à Dieu avec Marie. Le Père connaissait cette mission grandiose
qui était la sienne. Tout jeune, il avait entendu Jésus lui dire :
“Sanctifie-toi… et sanctifie !” Cette mission, il l'a remplie. Il a
porté la Croix dans sa chair pour la planter dans notre cœur… A nous
de capter le message de cette “âme d'exception”. Les hommes, hélas,
ont un cœur, mais ils ne savent pas aimer ! A la demande de son Père
Spirituel ,Padre Pio avait rédigé un “Programme de vie spirituelle”
qui est très intéressant pour nous et qu'il a suivi, sans doute,
jusqu'à sa mort. En voici le texte : “Au Nom de Notre Seigneur
Jésus-Christ ! Amen ! Dévotions particulières quotidiennes : pas
moins de quatre heures de méditation — et celles-ci, d'ordinaire,
sur la vie de Notre Seigneur , naissance, Passion et mort.
Neuvaines : à la Vierge de Pompéi, à Saint Joseph, à Saint Michel
Archange, à Saint Antoine, au Père Saint François, au Sacré Cœur de
Jésus, à Sainte Rita, à Sainte Thérèse de Jésus. Chaque jour, pas
moins de cinq rosaires en entier”. Un Maître Spirituel. Padre
Pio était un grand confesseur. Au plus fort de son activité, il lui
est arrivé de rester rivé à son confessionnal jusqu'à dix sept
heures par jour. C'était de l'héroïsme, surtout quand on connaît son
extraordinaire délicatesse d'âme et l'intensité de son union à Dieu.
Devant le péché qui était déversé dans son âme sacerdotale, il ne
pouvait, en effet, que souffrir le martyre… ou plutôt, le Christ
souffrait en lui. Mais c'était aussi un grand Directeur Spirituel.
Il a dirigé plusieurs âmes d'élite dont certaines sont mortes “en
odeur de sainteté” comme Lucia Fiorentino dont le procès en
Béatification est en cours. En outre, le Père donnait souvent, au
confessionnal, de sages directives avec un bon sens tout surnaturel.
En Mars 1956, il m'avait donné, au cours d'une confession, ce
programme de vie qui pourrait être d'une grande utilité pour les
lecteurs : “Vivre en présence de Dieu… toujours ! Puis, faire de
ta prière une conversation avec Dieu : il deviendra quelqu'un de
vivant pour toi… toujours ! Faire absolue confiance en Dieu,
interpréter les événements comme venant de Sa Main… toujours ! Et
enfin, malgré tout ce qui peut t'arriver de mal, tous les ennuis,
fais confiance à Dieu parce que c'est Lui qui tient les ‘cordicelle’
(ce terme désigne les ficelles dont on se sert pour mouvoir les
marionnettes)… Sempre e basta ! Toujours et cela suffit !”
J'étais un peu interloqué par l'apparente simplicité de ce programme
de vie spirituelle. “Mais enfin, Père, répondis-je, ce n'est tout
de même pas en ne pratiquant que ces points-là que vous êtes arrivé
où vous êtes… Je ne parle pas de vos stigmates, ce doit être pour
vous une grande épreuve…” “Si !” “Et pour le reste ?” “Figliolo !
(petit enfant), crois-tu que l'Évangile ait été écrit pour
les gens compliqués ?” Cette réponse m'avait bouleversé, venant
de la part de quelqu'un qui vivait en Dieu, qui souffrait le martyre
devant les indifférents, et qui s'adressait au jeune séminariste que
j'étais alors et qui ne demandait qu'à le rejoindre. Cela m'a laissé
une impression extraordinaire. A la Lumière de l'Esprit-Saint. Il
enseignait la dévotion à l'Esprit-Saint. La connaissance de la
théologie de l'Esprit-Saint est, en effet, indispensable pour un
directeur d'âmes. Il doit conduire ces âmes à la vertu, il doit les
diriger vers le but, vers l'intimité divine dans la perfection de
l'Amour de Dieu. On trouve donc, dans les lettres de direction qu'il
adressait à ceux et à celles qu'il accompagnait, des enseignements
sur l'activité de l'Esprit-Saint dans l'organisme spirituel. Padre
Pio rendait les âmes conscientes de ce qu'était, pour elles, cette
intimité divine et ce qu'elle exigeait en échange. Sans cesse il
rappelait la dignité qui est la nôtre : celle d'être des Temples de
l'Esprit-Saint : “Que votre âme soit toujours le temple de
l'Esprit-Saint !” écrivait-il le 30 Janvier 1915. Il fallait
veiller à ce que rien ne vienne troubler ni profaner ce Temple. Il y
avait donc, dès le début, un appel à la pureté d'âme : “Soyons
vigilants et ne laissons pas l'ennemi se frayer un chemin pour
pénétrer dans notre âme et contaminer le Temple de l'Esprit-Saint…
Souvenons-nous toujours que, par le Baptême, nous sommes devenus le
Temple de Dieu vivant et que chaque fois que nous tournons notre âme
vers le monde, le démon et la chair, auxquels nous avons renoncé par
le Baptême, nous profanons ce Saint Temple”. (3 Mai 1915) On
comprend alors pourquoi Padre Pio était le premier à reconnaître
l'Esprit-Saint comme source de lumière et cause efficiente de notre
sanctification. Il invitait donc à l'invoquer souvent et à demeurer
en contact avec Lui : “Que l'Esprit-Saint vous comble de ses très
Saints Dons, qu'il vous sanctifie, vous guide dans les voies du
Salut éternel et qu'il vous réconforte dans vos innombrables
afflictions !” (31 Mai 1915) Padre Pio rappelait souvent aussi
la force transformatrice de l'Esprit-Saint qui sanctifie et soutient
les âmes en marche vers la sainteté : “Que l'Esprit-Saint vous
sanctifie toujours plus !” ( 4 Mars 1915 ) Le 12 Mai 1914,
l'Archevêque de Bénévent était venu à Pietrelcina pour conférer la
Confirmation “à quatre cent cinquante grands et petits”,
raconte Padre Pio lui-même. “Je n'avais jamais assisté à une si
sainte cérémonie depuis le jour où je fus confirmé. Je versais des
larmes de consolation dans mon cœur à cette sainte cérémonie, parce
qu'elle me rappelait ce que me fit ressentir le Très Saint Esprit
Paraclet ce jour où je reçus le Sacrement de la Confirmation, jours
très particulier et inoubliable pour toute la vie. Combien de doux
mouvements cet Esprit Consolateur ne me fit-il pas ressentir en ce
jour ? A la pensée de ce jour, je me sens tout entier brûlé d'une
très vive flamme qui brûle, dévore et ne fait pas mal !”
Les Charismes
Cette sanctification,
dont parlait Padre Pio, s'opère dans l'exercice du devoir d'état.
L'Esprit-Saint donne, pour cela , des grâces particulières que les
maîtres spirituels désignent sous le nom de “charismes”. Padre Pio
conseillait vivement d'implorer de Dieu ces charismes :
“Abandonnez-vous dans les bras du Divin Père avec une filiale
confiance et ouvrez votre cœur aux charismes de l'Esprit-Saint qui
n'attend qu'un signe de votre part pour vous en enrichir…” (10
Décembre 1914) Si l'Esprit-Saint est en nous, s'il transforme notre
âme, s'il l'enrichit de charismes pour la conduire à la sainteté, il
reste qu'il faut collaborer avec Lui, écarter tout d'abord les
obstacles, s'abandonner entièrement à son action et se laisser enfin
conduire par Lui en toute docilité : “Ne vous abandonnez jamais à
vous-mêmes, n'ayez confiance qu'en Dieu seul, attendez de Lui toute
la force… Laissez l'Esprit-Saint opérer en vous, abandonnez-vous à
ses transports et ne craignez point”. (29 Mars 1914) La
mortification - Et quelle est la condition incontournable pour que
l'Esprit-Saint agisse en nous ?… Padre Pio le déclare très
nettement : “Considérons à présent ce que l'âme doit pratiquer
pour que l'Esprit-Saint puisse sûrement vivre en elle. Tout se
réduit à la mortification de la chair avec les vices et la
concupiscence , et à se garder de son propre esprit… Veillons à
mortifier notre esprit propre qui enfle d'orgueil, nous rend
impulsif, nous dessèche ; veillons, en somme, à réprimer la vaine
gloire, la colère, l'envie, trois esprits mauvais qui rendent
esclaves la plupart des hommes. Ces trois esprits mauvais sont
extrêmement opposés à l'Esprit du Seigneur…” (23 Octobre 1914 )
Foi – Espérance – Charité – Padre Pio était convaincu que la
présence des trois vertus théologales : la Foi, l'Espérance et la
Charité, planait sur tout son propre comportement spirituel. Sa
mission était de proposer aux âmes les chemins par lesquels elles
devaient atteindre leur but surnaturel qui est la vision béatifique.
Or, il expliquait que le désir du but exigeait deux choses : la
confiance de pouvoir l'atteindre, et l'amour ardent qui conduisait à
désirer ce but. Il faisait donc comprendre qu'il fallait, à toutes
forces, développer en nous ces trois vertus théologales : la FOI par
laquelle nous connaissons Dieu comme notre fin dernière, l'ESPERANCE
qui nous fait espérer l'atteindre, la posséder… ou plutôt, nous
laisser envahir et posséder par Lui, et la CHARITE qui nous pousse
vers Lui. Il exhortait souvent les âmes à se servir de ces facultés
surnaturelles pour l'union directe avec Dieu. Ces vertus ont pour
but, en effet, de détacher l'âme de tout ce qui est inférieur à
Dieu. Elles ont, par conséquent, aussi celui de l'unir à Lui :
“Dans le très doux Jésus, je voudrais vous prier de chasser toute
crainte, autant qu'il est possible et d'avoir toujours confiance,
foi et amour…” (30 Octobre 1915) “…Avec la foi et
l'espérance, ne te manquera pas le doux nectar de l'amour qui t'unit
toujours davantage au Bien Suprême…” (13 Juin 1918) La Foi –
Plusieurs fois, on trouve, dans les lettres de direction qu'il
écrit, la mention de l'excellence de la Foi qui unit à Dieu :
“Dieu veut s'unir à l'âme dans la Foi, et l'âme, qui doit célébrer
cette céleste union en pure foi, doit avancer, car elle est le seul
et unique moyen d'arriver à cette union d'Amour”. (19 Décembre
1913) Par nature, la foi est obscure, aussi l'intelligence doit-elle
se soumettre à la décision de la volonté. Il faut vouloir croire…
Mais la foi est un don que Dieu ne refuse jamais de verser dans
l'âme qui l'en supplie : “Une foi vive, une croyance aveugle et
une adhésion totale à l'autorité constituée par Dieu sur toi, voilà
la lumière qui éclaira les pas du peuple de Dieu dans le désert…”
(22 Octobre 1916). Mais, nous le savons, “Foi” veut dire
“confiance”… “Notre Dieu n'est-il pas fidèle plus que tout ce que
nous pouvons humainement concevoir Il ne permettra pas que nous
soyons tentés au-delà de nos forces”. (6 Août 1915) Marcher dans
la foi veut dire aussi marcher dans l'obscurité, autrement — on le
comprend aisément — l'amour n'aurait aucune valeur. Padre Pio
insistait beaucoup sur cette foi et sur cet abandon, peut-être parce
qu'il savait par expérience que l'ennemi attaque plus facilement sur
ce point-là et que c'est justement là qu'il est le plus facilement
victorieux. Il disait que cette foi et cette confiance devaient être
la base sans laquelle nous ne pourrions jamais rien construire de
solide. Il faut être persuadé que Dieu dirige vraiment notre vie,
qu'il la voit et qu'il l'aime… “C'est Lui qui tient les
ficelles !” m'avait-il dit à moi-même. Il fallait être sûrs de
la Providence de Dieu sur nous et sur le monde et sentir sur nous ce
regard d'Amour du Père. Il engageait ses " enfants spirituels “à
suivre les inspirations de la grâce quand elles sont garanties par
le Directeur responsable de leur âme… Il ne doit pas vous importer
d'y voir clair vous-mêmes ; cela n'est pas nécessaire. Il suffit
qu'y voit clair celui qui vous dirige et a soin de vos âmes… Le plus
beau ‘Credo’ est celui que l'on prononce dans la nuit, dans le
sacrifice et en se faisant violence”. (7 Décembre 1916). Est-ce
à dire que, pour lui-même, Padre Pio y voyait clair ? Non ! “Dire
seulement ‘Credo’ est pour moi un martyre atroce” écrivait-il le
13 Novembre 1918, deux mois à peine après avoir été marqué
visiblement des plaies de la crucifixion. Par expérience
personnelle, il savait ce que l'acte de foi comportait d'ardu pour
l'âme. Il me revient en mémoire cette confidence qu'il me fit peu
avant sa mort : “Mon fils, prie pour que je garde la foi !…”
De toutes façons, Padre Pio le savait bien : la Foi nous apprend à
tout voir avec le regard de Dieu. “Soyons toujours bien disposés
à reconnaître dans tous les événements de la vie l'ordre très sage
de la divine Providence…” écrivait-il le 22 Février 1915.
L'Espérance – Padre Pio enseignait à vivre toujours joyeux dans
l'espérance, reprenant le mot de l'Apôtre Paul (Romains 12 / 12 )
Sans jamais se lasser, il répétait à ceux qui bénéficiaient de son
ministère que l'espérance nous fait nous confier à Dieu tout en nous
méfiant de nous-mêmes. La vocation du chrétien, disait-il, “lui
demande de toujours aspirer à la patrie des bienheureux, de se
considérer comme pèlerin sur une terre d'exil… de ne pas s'attacher
aux choses de ce monde”. (16 Novembre 1914 ) “Ne vous
abandonnez jamais à vous-même, ne mettez qu'en Dieu seul toute votre
confiance”. (29 Mars 1914) Et le Père nous faisait comprendre
que, puisque Dieu est infiniment bon, il ne peut refuser ce qui nous
convient ; et puisqu'il est Tout-Puissant, il trouvera toujours le
moyen de surmonter toutes les difficultés et de supprimer tous les
obstacles : “Ne vous abandonnez jamais à vous-même lorsque la
tempête fait rage ; mettez toute votre confiance dans le Cœur du
très doux Jésus” (28 Février 1915). L'Espérance, en effet, est
une vertu dynamique. Elle porte en elle une féconde activité
sanctificatrice. Elle pousse à avoir toujours confiance en l'aide de
Dieu, mais sans nier, ou sous-estimer pour autant, l'apport humain :
“Ne te lasse donc pas de travailler avec constance, confiance et
résignation à ton amendement”. (11 Juin 1918) Combien de fois
Padre Pio n'a-t-il pas insisté sur l'immense bonté de Dieu envers
les hommes, sur sa miséricorde envers les pécheurs et sur sa
fidélité à tenir ses promesses. “Consolez-vous donc dans le
Seigneur, puisque votre âme a choisi Dieu pour sa part, Jésus est
avec vous. Il vous a aidée jusqu'à présent, il ne peut, ni ne veut,
vous abandonner. Il perfectionnera son œuvre…” (19 Mai 1915)
Souvent, Padre Pio prêchait l'abandon des biens terrestres et
contingents justement à cause de leur caractère transitoire. C'est
une raison suffisante qui pousse et oriente vers l'exercice de la
vertu d'espérance. Tout ce qui est contingent et passager, pour
agréable que cela puisse être, est changeant, sera détruit et ne
pourra jamais satisfaire les aspirations au bonheur du cœur humain :
“Comme elle est douce, l'éternité du Ciel — écrit-il le 28
Décembre 1917 — et combien misérables sont les moments de la
terre ! Aspire sans cesse à la première et méprise hardiment les
aises et les moments de cette vie mortelle”. Et enfin : “Que
le fondement de notre espérance soit toujours en haut et au
Paradis !” (2 Mai 1917) La Charité – amour de Dieu – Pour Padre
Pio, parler et écrire sur la charité était comme un besoin. Celui
qui porte, chevillé au cœur, cet Amour de Dieu ne sait pas comment
s'y prendre pour le faire aimer davantage. Le Père était convaincu
que, dans la voie de la sainteté, ce qui n'est pas amour et qui ne
conduit pas à l'amour est une perte de temps. C'est même une
illusion. La grâce va donc nous pousser à aimer Dieu et à aimer nos
frères. Il ne faut jamais séparer ces deux directions : “Dans
toutes les choses naturelles — écrit-il le 23 Octobre 1914 —
le premier mouvement, le premier penchant, le premier élan est de
tendre vers un but et de vouloir l'atteindre : c'est une loi
physique ; il en est de même pour les choses surnaturelles : le
premier mouvement de notre cœur est celui d'aller vers Dieu ; ce qui
n'est autre que d'aimer son vrai bien. C'est avec raison que la
Sainte Écriture l'appelle le lien de la perfection”. L'objet
premier de l'amour surnaturel ne pourra jamais être atteint en ce
monde. L'âme vraiment aimante ne s'apaisera totalement que par la
vision béatifique. Padre Pio le dit très clairement : “Vous aimez
ce très tendre Époux, mais cela vous semble bien peu de chose, car
vous désireriez l'aimer d'un amour parfait et dévorant, mais à nous,
misérables et infortunés mortels, cet amour, du moins dans toute sa
plénitude, ne nous est accordé que dans l'autre vie. Oh ! misérable
condition de notre nature humaine !” (19 Mai 1914) La Charité –
Amour du prochain – Padre Pio avait soin d'engager les âmes qu'il
dirigeait dans l'amour du prochain. Cette charité théologale doit
également rayonner sur lui ,c'est-à-dire : sur le prochain. L'Amour
de Dieu et l'amour des “frères d'exil”, comme il disait, sont, en
effet, les deux composantes de la même vertu : “Aucune âme qui a
choisi pour elle ou pour les autres le Divin Amour, comme cela est
ton cas, et lui a tout sacrifié, ne peut ou ne doit être égoïste
dans le Cœur de Jésus, mais elle doit nécessairement se sentir
enflammée aussi de cette charité envers les frères !…” (30 Mai
1918) La charité est l'essence de la perfection. C'est pourquoi
Padre Pio la proposait aux âmes avec une conviction toute
particulière : “La charité est la première vertu dont a besoin
l'âme qui tend à la perfection…” (13 Octobre 1918) “Sois
autant qu'il te sera possible d'une humeur toujours égale, et que,
dans toutes tes actions, apparaisse la résolution que tu as prise de
toujours aimer l'Amour de Dieu !” (20 Juillet 1918) Il ne faudra
cependant jamais oublier que, tant que l'on est encore “en exil”,
l'Amour que nous aurons pour Dieu sera toujours mêlé à la souffrance
et à l'effort. On ne peut concevoir l'Amour de Dieu sans la Croix :
“Plus nombreuses sont vos peines, et plus grand est l'Amour de
Dieu pour vous… Vous connaissez l'Amour de Dieu pour vous aux peines
qu'il vous envoie …” (19 Septembre 1914) La grande preuve de
l'Amour du Christ pour nous est, en effet, sa Croix. Comment, dès
lors, ne pas comprendre que Jésus y fasse participer ceux qu'il
aime ? Enfin, dernière précision : on ne peut aimer Dieu par
volonté, avec les seules énergies humaines, en employant les
facultés intellectuelles et volitives. C'est, au contraire, une
action de la grâce, c'est l'œuvre de l'Esprit-Saint : “Oh !
combien sublime est la belle vertu de charité que le Fils de Dieu
nous a apportée !”, écrivait-il le 22 Décembre 1914. Vivre
l'aujourd'hui de Dieu – Foi, Espérance, Charité… voilà trois pôles
de la spiritualité que Padre Pio enseignait à ses fils spirituels…
Mais à côté de ces grands axes, le Père leur donnait souvent de
judicieux conseils avec un bon sens naturel et surnaturel. Il
voulait, tout d'abord, que l'on rejoigne la volonté de Dieu telle
qu'elle se manifestait clairement “aujourd'hui”. Pour lui, il ne
fallait jamais s'évader dans “l'ailleurs”, c'était une utopie. Padre
Pio insistait toujours sur le Christ d'aujourd'hui, il insistait sur
le présent : “la volonté de Dieu, répétait-il, se trouve
ici !…” En conséquence, il ne fallait jamais nous évader de nos
devoirs quotidiens, car c'est là que le Seigneur nous attendait,
c'est là qu'il nous rejoignait. Il ne fallait surtout pas croire, et
jamais, que nous ferions mieux “ailleurs”, car c'était justement
dans cet “ailleurs” que nous attendait le Démon . Il disait
souvent : “Le Démon est toujours dans ‘l'ailleurs’ !” Et
c'est tellement vrai ! La Patience – Lorsqu'il était difficile de
discerner la volonté de Dieu, Padre Pio conseillait toujours
d'attendre et de se mettre, par la prière, dans une attitude
d'accueil : “Dieu n'est pas pressé !” disait-il souvent.
L'Obéissance – Elle est un acte religieux… Elle a donc un caractère
sacré, spécialement dans la famille… Il insistait toujours sur ce
point lorsqu'il parlait de l'éducation des enfants. Il exigeait que
l'on développe le respect mutuel. Il semble bien qu'il aurait fort à
faire aujourd'hui, le cher Père, dans notre civilisation où
l'obéissance est devenue synonyme d'esclavage et d'emprise sur la
liberté !… Avancer régulièrement — Padre Pio avait une sainte
horreur de tous ceux qui passaient leur temps à s'examiner et à
faire le point. Il détestait souverainement tous ceux qui se
remettaient sans cesse en question et qui s'adonnaient à de
perpétuelles révisions de vie… Il ne fallait pas nous attarder à
réfléchir sur les obstacles et les difficultés que l'on aurait pu
rencontrer, car, expliquait-il, cela aurait été le meilleur moyen de
piétiner et de mourir avant d'arriver. Il fallait toujours avancer,
car la vie est mouvement en avant et ceci quelles que soient les
épreuves et les joies sur la route que le Seigneur nous indiquait
“pour aujourd'hui”, sans se tracasser inutilement, mais en nous
attachant simplement à ce que l'on devait faire “maintenant”,
“aujourd'hui”. Revenir sans cesse à l'actuel et au présent, voilà
qui était un point constant dans la spiritualité de Padre Pio et
c'était, à l'évidence, la marque d'une spiritualité très équilibrée
et, en même temps, très sereine.
Sous le regard du Seigneur
Toute notre vie, dans
ses moindres détails, devait toujours se dérouler sous le regard de
Dieu. Padre Pio insistait beaucoup sur cette présence de Jésus et
sur son action salutaire dans les âmes. C'était, pour lui, la
garantie la plus sûre de la victoire et du progrès dans les voies de
l'Esprit-Saint… Il avait tellement confiance en Dieu ! Il inculquait
avec tellement de force, dans l'âme de ses “fils” cette certitude de
l'assistance permanente du Seigneur ! “Combattez intensément le
bon combat — écrivait-il le 4 Mars 1914 — Jésus vous en
donnera la force, ou plutôt, il est avec vous et il combattra aussi
pour vous afin que vous puissiez tout surmonter”. C'est
pourquoi, il recommandait par dessus tout une confiance filiale et
illimitée en l'Amour de Jésus qu'il vénérait sous le symbole de son
Cœur… signe de son Amour : “Mais ne perdez pas courage,
écrivait-il, Jésus est toujours près de vous. Il combattra
toujours avec vous et pour vous , et l'ennemi sera parfaitement
battu. Comme toujours. Abandonnez-vous totalement sur le Divin Cœur
de Jésus de même qu'un nouveau-né dans les bras de sa mère”. (6
Février 1915) Dévotion Mariale - Padre Pio avait une intime et
vitale dévotion envers la Vierge Marie. Toutes les lettres qu'il
avait adressées soit à son Père Spirituel, soit à son Supérieur
Provincial, soit encore à ses enfants spirituels, les “fils de son
cœur”, montrent l'amour qu'il vouait à Notre Dame. Il voulait que
ses enfants aient, pour la Vierge Marie, le même amour filial que
lui. Nous le savons, Notre Dame accompagnait toujours le Père à
l'autel… comme Elle accompagne, d'ailleurs, chaque Prêtre… mais bien
peu, hélas, s'en rendent compte ! “Transparent de Dieu” — Tel était
Padre Pio que j'ai bien connu et aimé avec tendresse. Ce
“Transparent de Dieu” avait eu la mission de rappeler au monde la
nécessité de la prière, de la pénitence, de la conversion. Jésus
était venu en cet humble religieux revivre sa douloureuse Passion.
Saurons-nous capter avec vérité le grand Message qu'il nous a laissé
de la part du Seigneur ? Peu importent, finalement, les anecdotes
dont certaines biographies qui lui sont consacrées, sont remplies.
Là n'est pas l'essentiel. A travers son Prêtre qu'il avait marqué
des plaies de sa crucifixion, Jésus était venu appeler le monde à la
conversion… Il s'agit de prendre cela très au sérieux…
Père DEROBERT