LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum


 

Jeanne Chézard de Matel
fondatrice de l’Ordre du Verbe Incarné
(1596-1670)

 

Autobiographie
1596-1641
 

Chapitre 54

Des merveilleuses consolations que le Verbe Incarné me communiqua pendant le délaissement des hommes, et de ses entretiens délicieux, quasi sans intermission.

Je demeurai trois mois sans parler au R. P. Jacquinot, pendant lesquels votre charitable bonté ne me quitta ni jour ni nuit, débordant dans toutes les puissances de mon âme des torrents de délices, voyant que mon cœur et mon corps défaillaient par les surabondances qu’il vous plaisait leur en communiquer, je vous dis : «Seigneur, c’est assez, c’est trop, si vous me permettez de vous parler ainsi, retenir ou contenir dans vous-même ces délectables délices, si vous ne voulez que je meure de joie. Mon cœur ne les peut plus supporter sans mourir. «Permettez-moi de vous dire que ma mort serait attribuée à la tristesse d’être délaissée des hommes et non à la joie d’être caressée d’un Dieu divinement amoureux, dont les excès d’amour m’auraient ravi la vie. Dirait-on point : privée des consolations créées, elle est morte d’ennuis, quelle confiance qu’elle ait fait semblant d’avoir en Celui qui se trouve avec ceux qui pour son amour sont dans les tribulations. Ayez soin de la gloire de votre nom. Ma mort serait précieuse devant vous, puisque vous daignez être auprès de moi en me faisant mourir de joie par vos délicieuses caresses. Mais si on pensait que je serais morte de tristesse, ces pensées ne donneraient point de louanges à votre gloire, devant les hommes ignorant les causes de ma mort. Pourquoi attendriez-vous le Dernier Jugement pour les instruire de votre dilection envers celle qui, ne le méritant pas, montrera en vivant que ces faveurs sont purement d’une bonté divine qui est de soi-même communicative ? Si en mourant dans ces excès de jubilations, mon âme pouvait dire aux créatures d’ici-bas capables d’entendre vos libéralités, que l’impuissance de recevoir en soi les plénitudes de vos joies redoublées l’ont fait sortir de son corps, et d’elle-même, pour en jouir dans votre immensité, elle ne demanderait plus de délai. Vous êtes mon vivre, et mourir pour vous c’est le gain le plus avantageux qui me puisse arriver. Vivons, mon cœur, pour dire avec David : Custodit Dominus omnes diligentes se ; Laudationem Domini loquetur os meum : et benedicat omnis caro nomini sancto eius in sæculum, et in sæculum sæculi. (Ps 144, 20-21) Yahvé garde tous ceux qui l'aiment, et il détruit tous les méchants. Que ma bouche publie la louange de Yahvé, et que toute chair bénisse son saint nom, à toujours et à perpétuité !  Lauda anima mea Dominum, laudabo in vita mea : psallam Deo meo quamdiu fuero (Ps 145, 2). Je veux louer Yahvé tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure. Ne mets pas ta confiance aux hommes ; en eux, il n’y a point de salut : Exibit spiritus eius, et revertetur in terram suam : in illa die peribunt omnes cogitationes eorum. Beatus, cuius Deus Jacob adiutor eius, spes eius in Domino : qui fecit cælum et terram, mare, et omnia, quæ in eis sunt. (Ps 145, 4-6) Il rend le souffle, il retourne à sa glaise, en ce jour-là périssent ses pensées. Heureux qui a l'appui du Dieu de Jacob et son espoir en Yahvé son Dieu, lui qui a fait le ciel et la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment ! Il garde à jamais la vérité,

C’est lui qui est fidèle en ses véritables promesses, lesquelles il accomplit entièrement, ayant pitié de ceux qui endurent les injures et les mépris pour son amour. Il est la nourriture de ceux qui mettent leurs pensées en lui : si les hommes les semblent liés par des apparentes autorités, il les délie par des véritables pouvoirs et quand l’esprit qui se confie en lui semble, selon le jugement des hommes, être abattu et dissipé en ses pensées, il le réunit et le soutient l’élevant à soi. Il reçoit les âmes qui semblent pèlerines en la terre de ceux qui s’en disent les habitants par droit : Dominus custodit advenas, pupillum, et viduam suscipiet. Tibi derelictus est pauper : orphano tu eris adiutor. (Ps 145, 9) Yahvé protège les étrangers, il soutient l'orphelin et la veuve, mais il renverse la voie des méchants. Cher Amour, je fais l’expérience de tous ces versets. Comme pauvre orpheline, j’ai mon recours en vous qui me daignez aider. Vous me gardez, moi qui suis étrangère en cette ville dont l’on me voudrait sortir. C’est parce que j’y suis venue pour étendre votre gloire. L’on mit hors de la synagogue l’aveugle né auquel vous donnâtes la vue parce qu’il vous louait, répondant à ceux qui par malice demeuraient ignorants de votre être éternel, de vos deux naissances, admirablement adorables, de votre extraction et du lien d’où vous les étiez venu visiter. In hoc enim mirabile est quia vos nescitis unde sit, et aperuit meos oculos. A sæculo non est auditum quia quis aperuit oculos cæci nati. Nisi esset hic a Deo, non poterat facere quidquam. (Jn 9, 30, 32-33) Il est étonnant que vous ne sachiez d'où il est; et cependant il m'a ouvert les yeux. Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. 

Seigneur, je peux dire les mêmes paroles pour votre cause à ceux qui s’opposent à votre gloire, quand vous m’avez illuminée de vos divines splendeurs. Je ne connaissais point vos clartés ni les motifs qui vous inclinaient à me faire ces grâces ; de tous les siècles il n’a pas été ouï que vous ayez prévenu de vos bénédictions une personne qui les méritât moins et qui en fût plus indigne que moi ; si vous n’étiez Dieu dont la sapience est bonté et la bonté essentielle qui se plaît en ces communications favorables au petits, vous ne me gratifieriez pas de la sorte. Si je leur disais ces merveilles ils me diraient comme les Pharisiens à cet aveugle divinement illuminé que je les veux enseigner étant fille dont ils prendraient l’enseignement pour une signe de vanité et d’ambition d’être fondatrice d’un nouvel Ordre, duquel ils pensent que mon imagination a forgé les idées. Ceux qui m’ont renvoyée à cause que je veux étendre la gloire de Jésus ignorent que vous m’êtes venu trouver me disant amoureusement : Tu credis in Filium Dei ? (Jn 9, 35) Crois-tu au Fils de l'homme ? Je ne vous réponds pas, Seigneur : Où est-il et je croirai en lui. Je vous vois présent d’une présence amoureuse et vous adore par toutes adorations et crois fermement en vous, Dieu de Dieu, Lumière de lumière, Dieu vrai d’un vrai Dieu, engendré et non fait, qui naissait devant les siècles, et émané éternellement de la substance de votre Divin Père qui par amour êtes venu prendre un corps dans les pures entrailles de la Vierge, votre Sainte Mère, vous faisant homme pour habiter avec nous, et pour faire voir l’excès d’amour que votre Divin Père a pour les hommes. Vous êtes donné pour les sauver par vous-même ; ils vous devraient tous en général et chacun en particulier, en signe de votre amour, dire avec Saint François : Amore amoris tui moriar qui amore amoris mei dignatus es mori : Je mourrai d’amour pour toi, qui t’as daigné mourir par amour de mon amour,  mais d’une mort douloureuse comme la vôtre pour eux. Celle qui me ferait maintenant expirer est trop délicieuse, c’est ce qui me fait vous dire de modifier ces délectations, que je sois crucifiée, devant être glorifiée ; d’où me vient cette hardiesse devant mon Souverain ? Votre amour me l’a donnée, car sans lui les pensées de la mort me voyant criminelle me mettraient dans des frayeurs et tremblements que méritent les crimes que j’ai commis devant vous et contre le ciel. Mais puisqu’il vous plaît de réjouir et délecter mon âme, faites vos volontés sur celle que vous dites qui vous aime. Quoiqu’elle soit indigne de ces caresses, elle les acceptait pour vous magnifier avec votre Sainte Mère, me réjouissant en vous, mon divin Salutaire. Vous avez regardé bénignement la bassesse de la plus vile de vos créatures, pour la combler de bénédictions. Toute petite qu’elle est, vous la pouvez agrandir, parce que votre nom est saint, et faire que les générations à venir reconnaissent en elle vos insignes miséricordes, craignant d’offenser vos bontés s’ils n’en ont des bons sentiments ; vous cherchant en simplicité de cœur, ils vous trouveront la même douceur. Je leur dis après la Sapience : Sentite de Domino in bonitate, et in simplicitate cordis quærite illum : quoniam invenitur ab his, qui non tentant illum : apparet autem eis, qui fidem habent in illum : perversæ enim cogitationes separant a Deo. (Sg 1, 3) Ayez sur le Seigneur de droites pensées et cherchez-le en simplicité de coeur, parce qu'il se laisse trouver par ceux qui ne le tentent pas, il se révèle à ceux qui ne lui refusent pas leur foi.  Car les pensées tortueuses éloignent de Dieu. Vos pensées qui étaient des pensées de paix sur moi me faisaient jouir en terre par avance de celle dont les Bienheureux jouissent dans la Jérusalem céleste, mais qui surpasse tous les sentiments d’en bas. Mon âme semble être votre Sion où vous habitiez avec plaisir. J’expérimentais le dire du Roi-Prophète : Notus in Judæa Deus : in Israel magnum nomen eius. (Ps 75, 2)  Dieu est connu en Juda, son nom est grand en Israël. Mon âme connait votre Majesté comme une âme encore voyagère renfermée en un corps la peut connaître, la louant et confessant pour son Dieu qui daigne la fortifier pour jouir de ces clartés, lui donna par foi les avantages de Jacob, l’avouant victorieuse parce que votre amour aime paraître venu par bonté, lui disant que si elle est forte contre vous qu’à plus forte raison elle le sera contre les hommes, faisant en elle votre demeure pacifique. Et factus est in pace locus eius : et habitatio eius in Sion. Ibi confregit potentias arcuum, scutum, gladium, et bellum. (Ps 75, 3-4) Sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion. C'est là qu'il a brisé les flèches, le bouclier, l'épée et les armes de guerre. Détruisant toutes les armes qui me voudraient suivre ne permettant aucun geste ni en ma partie inférieure ni en la supérieure laquelle vous illumine triplement et admirablement par les splendeurs de vos Trois Augustes Personnes pour montrer que ceux qui se confient en vous sont divinement protégés tandis que ceux qui se présument d’être sages se voient troublés parce que n’est sage que de la sagesse du monde qui est folie devant vous. C’est donc à moi, cher Amour, que vous adressez les paroles du Roi-Prophète : Illuminans tu mirabiliter a montibus æternis : turbati sunt omnes insipientes corde. (Ps 75, 5-6) Lumineux que tu es, et célèbre plus que des montagnes de butin. Ils ont été dépouillés, ces cœurs indomptables.  Vous me dîtes : «Ma fille, tu peux bien dire en te confiant en moi : Quare fremuerunt Gentes, et populi meditati sunt inania ? (Ps 2, 1) Pourquoi ces nations qui remuent,    ces peuples qui murmurent en vain ? C’est en vain qu’on a tenu le conseil pour empêcher mon dessein : Qui habitat in cælis irridebit eos et Dominus subsannabit eos. (Ps 2, 4) Celui qui siège dans les cieux rit, le Seigneur se moque d'eux. Je t’ai déjà dit que de toute éternité je suis constitué Roi sur Sion et que tu es ma Sion, les portes de laquelle j’aime plus que tous les tabernacles de Jacob. Choses glorieuses seront dites de toi parce que tu es ma cité. Les peuples étrangers par toi s’approcheront de moi admirant comme je t’ai favorisé, de renaître par toi, faisant une et reproduction et mystique extension de mon Incarnation en cet Ordre nouveau».

Votre bonté m’occupait continuellement et me portait en les jubilations qui sortaient mon âme d’elle-même ne pouvant ni manger ni dormir. Seigneur, si vous plaisait me laisser un peu dormir. Vous me disiez : Propter Sion non tacebo et propter Jérusalem non quiescam, donec egrediatur ut splendor justus eius, et salvator eius ut lampas accendatur.  (Is 62, 1) A cause de Sion je ne me tairai pas, à cause de Jérusalem je ne me tiendrai pas en repos, jusqu'à ce que sa justice jaillisse comme une clarté,    et son salut comme une torche allumée.

L’on verra comme je suis à toi pour te justifier et pour te donner un nom nouveau.  Quod os Domini nominabit. Et eris corona gloriæ in manu Domini, et diadema regni in manu Dei tui. Non vocaberis ultra Derelicta : sed vocaberis Voluntas mea. (Is 62, 2-4) Que la bouche de Yahvé déterminera. Tu seras une couronne éclatante dans la main de Yahvé, un turban royal dans la main de ton Dieu. On ne te nommera plus délaissée, mais on t'appellera mon plaisir en elle.

Vous me disiez le reste de ce chapitre en me réjouissant d’une si grande liesse, que je vous disais : Mon cœur se dilate de sorte que la joie me peut faire mourir.

Cher Amour, pardonne-moi si je vous dis derechef que vous me laissiez un peu reposer ou il faut que vous faisiez miracle, mais à quoi bon sans nécessité. Je sais que ce serait une imbécilité de vous parler en ces termes si je ne voulais conserver ce corps pour vous servir plus longuement. Toutefois votre volonté soit faite, puisque vous voulez que je veille avec vous et qu’en recevant vos grâces divinement aimables je me réjouisse je le veux. Louez mon âme ton amoureux Sauveur : Gaudens gaudebo in Domino, et exultabit anima mea in Deo meo : quia induit me vestimentis salutis : et indumento justitiæ circumdedit me, quasi sponsam decoratam corona, et quasi sponsam ornatam monilibus suis. Sicut enim terra profert germen suum, et sicut hortus semen suum germinat, sic Dominus Deus germinabit justitiam, et laudem coram universis Gentibus. (Is 61, 10-11) Je me réjouirai en Yahvé, mon âme sera ravie d'allégresse en mon Dieu ; car il m'a revêtu des vêtements du salut, il m'a couvert du manteau de la délivrance, comme le fiancé s'orne d'un diadème, comme la fiancée se pare de ses joyaux. Car, comme la terre fait éclore son germe, et comme un jardin fait pousser ses semences, ainsi le Seigneur, Yahvé, fera germer le salut et la louange, en présence de toutes les nations.

 

Chapitre 55

Des poursuites qu’on fit à Rome pour obtenir la Bulle ; du nom de cet Ordre que la bouche du Seigneur avait nommé ; comme la Sainte Vierge me nourrit de son sein me donnant du lait céleste de ses mamelles bénites.

Le R. P. de Lingendes sachant que le R. P. Général avait été instruit de mes intentions et qu’il avait écrit à ceux qui l’auraient mal informé que le R. P. Jacquinot n’avait jamais rien fait qui fût contre les Constitutions ni intentions de la Compagnie et en vous faire plaisir de me presser d’envoyer une requête à Rome au nom de Madame la Duchesse de la Rocheguyon laquelle suppliait Sa Sainteté de lui concéder une Bulle pour l’établissement duquel la requête l’a supplié. Ledit P. de Lingendes me dit de prier le R. P. Morin de l’Oratoire de l’adresser au R. P. Bertin de leur congrégation qui était pour lors à Rome lequel Père Bertin s’y employa avec affection. Une opposition s’y forma par ceux qui pressaient l’établissement des Filles du Saint Sacrement, pour nous empêcher que le vocable de notre Institut ne fut semblable au leur, parce qu’ils voyaient que dans la Bulle qu’on nous accordait selon notre requête représentait à Sa Sainteté que nous désirons honorer votre Personne Incarnée en tous ses mystères et d’autant que vous résidez réellement au Divin Sacrement de l’Eucharistie pour notre amour que nous voulions, autant qu’il était en notre pouvoir aidées de votre grâce, compenser par nos adorations et services les mépris que les Juifs vous avaient faits pendant que vous étiez visible, et ceux que les hérétiques et mauvais chrétiens vous font tous les jours.

Messeigneurs les Cardinaux Cajetan et Bentivogle examinèrent en particulier cette requête et les attestations que les R. P. Jacquinot et Arnoux, jésuites, et celles de Monsieur de Montreuil, Docteur de Sorbonne, Curé de Saint Sulpice, celle du R. P. Dom Pierre de Saint Bernard, Feuillant, celle du R. P. Morin dans laquelle il faits mention des sentiments de feu Monseigneur Miron. Après des examens très exacts qu’il avait fait après lui par son commandement, ils firent leurs rapports à la Congrégation des Réguliers qui trouva en cette requête et en ces attestations des raisons plus que valables pour obtenir une Bulle de Sa Sainteté, restait seulement de savoir quel nom nous demandions, parce que Monseigneur de Langres avait fait prier de ne nous pas donner le même titre du Saint Sacrement qui avait été accordé à la Bulle des Filles du Port-Royal. Le R. P Bertin nous manda de la part de Monseigneur le Cardinal de Bentivogle de demander le nom que nous désirions. Je m’adressai à votre Majesté avec mon accoutumée confiance, vous disant : «Quel nom voulez-vous donner à votre Institut, qui comprenne tout ce que vous m’avez promis ?» Mon Oracle divin, vous ne me fîtes point attendre élevant à vous mon esprit, vous me dîtes : «Ma fille, je suis la vérité infaillible. Je tiendrai toutes mes promesses et le nom de mon Ordre est Verbe Incarné, je veux que l’on demande ce nom. Ce nom comprenant avec éminence et par excellence tout ce qui est de moi en tant que Verbe Incréé et Verbe Incarné ; en ce nom tu auras tout. Qui a le tout, a les parties, et je t’assure, ma fille, que ce nom sera donné à mon Ordre sans contradiction. C’est moi, ma fille, qui te nomme ce nom auguste et glorieux. J’ai été et je suis dès l’éternité le Verbe Incréé. Je serai infiniment Verbe Incarné. Os enim Domini locutum est. Ecce non est abbreviata manus Domini. (Is 58, 14, 59, 1)  Car la bouche de Yahvé a parlé. Non, la main de Yahvé n'est pas trop courte pour sauver ; Elle te donnera éminemment tous les avantages que ce nom te promet». Votre charitable bonté me caressa avec tant de douceur que je me pâmais de délices et, pour surcroît de faveurs, votre Sainte Mère m’apparut, m’offrant ses mamelles sacrées pour me donner de son lait virginal comme à son dévot Saint Bernard vérifiant derechef les promesses que vous m’aviez faites de me donner les mamelles divines et royales, desquelles vous me vouliez nourrir délicatement et divinement du même lait que vous aviez été allaité, me disant : «Voilà le signe visible de la chose invisible ; c’est un sacrement et un secret d’amour dont ma Mère t’a voulu gratifier. C’est cette divine Prophétesse qui te veut donner son Fils qui est moi ; elle me donne à toi et comme mon Divin Père elle te fait ce don en la présence des Anges et des hommes qui sont glorieux dans l’Empyrée, Isaïe. Le prophète Isaïe eut ordre du Saint Esprit de prendre un grand livre pour y écrire le style d’un homme qui devait être ce Dieu abrégé. Ce soir je te fais le même commandement de prendre un livre pour y marquer le style de ce Dieu qui a voulu être homme. Cet Homme-Dieu est le Verbe Incarné, de la bonté duquel tu dois dire des merveilles, après quoi confesse que tu défaut en la narration d’icelles, et de toutes les faveurs qu’il t’a faites et te fera si tu es fidèle à mon amour. Je me hâterai de te faire des grâces que j’ôterai à ceux et celles qui s’opposeront à toi. Qui enim habet, dabitur illi et qui non habet, etiam quo habet auferetur ab eo. (Lc 8, 18)  Car on donnera à celui qui a, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il croit avoir. Je les priverai des faveurs qu’ils eussent reçu de ma miséricorde à laquelle ils s’opposent, résistant à ma bonté par les contradictions qu’ils font au Saint Esprit. Résistant à ses inspirations, s’opposant à ses desseins par les obstinations malicieuses. Si quis habet aures audiendi, audiat. (Mc 4, 9) Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. J’ôterai les forces de Damas et de Samarie devant que ma Bulle soit fulminée. La grandeur du sang, ni la protestation des grands ne peuvent empêcher mes desseins. Dis, ma fille, O Emmanuel nobiscum Deus. (Mt 1, 23)  Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous.

 

Chapitre 56

Que Sa Sainteté octroya la Bulle ayant ouï le rapport de Messeigneurs les Cardinaux, et comme en l’attendant de la recevoir, la Divine Bonté me fit visiter par ses saints et comme Sa Majesté me commanda d’écrire sur les Cantiques les Sacrés Mariages.

Messeigneurs les Cardinaux admirèrent votre providence en ce nom lequel ils trouvèrent conforme à l’Institut. Ils le dirent à Sa Sainteté qui fut du même sentiment, disant : Fiat ut petitur Qu’il soit fait comme on demande. Il ne tint qu’au R. P. Bertin de faire promptement expédier la Bulle et de nous l’envoyer, ce qu’il ne pressa pas pour donner du temps au Filles du Saint Sacrement de prier Monseigneur de Paris d’exécuter la leur devant voir la nôtre, sachant que celle-là aurait pour supérieurs trois évêques. Il craignait qu’elle fut refusée et la nôtre accordée. Madame la Marquise de la Lande, qui avait voulu être nommée en notre Bulle pour seconde fondatrice avec Madame de la Rocheguyon, pressait le R Père Morin de presser le R P. Bertin de nous envoyer notre Bulle. Il ne se hâta pas pour toutes les sollicitations. Ce long retardement m’ennuyant, votre bonté m’envoya Saint Michel et Saint Denis pour me consoler. Comme j’étais en oraison dans une chapelle en l’église des R. P. Saint Dominique du faubourg Saint Honoré, à présent dans la ville Saint Michel portait d’une main un glaive et de l’autre une balance, j’entendis que ce glaive était pour nous défendre de nos ennemis et cette balance pour peser notre patience.

[246] Saint Denis portait sa tête entre ses mains, me montrant qu’il avait souffert pour le Verbe Incarné et qu’il me protégerait comme patron et Apôtre de France. Une autrefois, il m’apparût revêtu d’une aube avec l’étole, comme quand il se disposait pour célébrer les sacrés mystères. Après lui, Saint Jérôme m’apparut revêtu comme on peint Saint Joseph, à la façon des juifs. Votre Majesté me fit entendre après que tous ces saints furent disparus, que vous me les aviez envoyés pour me réjouir, conforter et instruire et que vous me les aviez donnés pour mes trois maîtres. Saint Michel, comme j’ai dit ci-devant, était pour m’enseigner par des irradiations et illustrations brillantes et sublimes vos mystères divins. Saint Denis avait de vous ordre de m’enseigner la théologie mystique et Saint Jérôme l’Ecriture Sainte. Vous me disiez : «Ma fille, par ces faveurs tu peux connaître les inclinations de ma bonté envers toi.» En attendant cette Bulle, votre Majesté me fit commandement d’écrire Les Quatre Mariages qu’elle avait voulu faire avec notre humanité, avec la Sainte Vierge, et avec l’Eglise, et celui qu’elle avait daigné faire avec moi, la très indigne, me disant d’expliquer le Cantique d’Amour, et que votre Esprit m’instruirait avec abondance de lumières ; que je me confiasse en lui, qu’il vérifierait en moi les paroles couchées en Saint Jean, Jn. 7 : Qui credit in me, sicut dicit Scriptura, flumina de ventre eius fluent aquæ vivæ. (Jn 7, 38) Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Écriture.

«Je disais cela de ceux qui ont reçu mon Esprit qui enseigne toute vérité à qui lui plaît : Spiritus ubi vult spirat : et vocem eius audis. (Jn 3, 8)  Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit.

 A toi, ma fille, est donnée la grâce d’entendre ma voix, de sentir mon souffle, de voir la splendeur du Père des lumières qui de sa bonne volonté t’a envoyé le don très haut et très parfait, ne permettant que les obstacles des créatures te fassent ombre. Il engendre en ton âme et y fait heureusement naître des clartés ravissantes, lesquelles tu ne dois pas mettre sous le mur. Tu dois éclairer tous ceux qui sont en ma maison, afin de glorifier ton Père Céleste, la gloire duquel tu dois chercher et non la tienne. Ne te mets pas en peine du dire des hommes, en faisant les volontés divines. Souviens-toi que j’envoyai moi-même Madeleine à mes Apôtres pour annoncer ma résurrection, et quoique sa mission fut véritable, ni d’elle, ni des autres femmes, mes disciples ne voulurent pas croire que j’étais ressuscité. Et regressæ a monumento nunciaverunt hæc omnia illis undecim, et ceteris omnibus. Erat autem Maria Magdalene, et Joanna, et Maria Jacobi, et ceteræ, quæ cum eis erant, quæ dicebant ad Apostolos hæc. Et visa sunt ante illos, sicut deliramentum verba ista : et non crediderunt illis. (Lc 24, 9-11) A leur retour du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze, et à tous les autres. Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles. Ils tinrent ces discours pour des rêveries, et ils ne crurent pas ces femmes. «Pierre, qui était destiné pour connaître et décréter les vérités de la foi, se leva et courut au monument. Petrus autem surgens cucurrit ad monumentum : et procumbens vidit linteamina sola posita, et abiit secum mirans quod factum fuerat. (Lc 24, 12) Mais Pierre se leva, et courut au sépulcre. S'étant baissé, il ne vit que les linges qui étaient à terre. Pierre qui avait eu la révélation de ma divine filiation ; Pierre qui avait vu ma gloire en ma Transfiguration sur le Thabor ; Pierre qui s’était trouvé au Jardin des Olives, où je fus d’une autre façon transfiguré, couvert de la sueur sanglante que les péchés des hommes me causaient ; voulut voir si les visions et les révélations des femmes étaient véritables. Il connut que oui ; s’étant incliné au sépulcre il vit les langes ; il vit des signes visibles de la chose invisible qui était ma résurrection, laquelle n’était vue que de ceux et celles à qui il me plaisait de me manifester. Pierre crut et admira les merveilles qui s’étaient passées, ayant vu les langes ou les suaires dont mon sacré corps avait été enveloppé et couvert. Pierre qui devait après moi être la pierre fondamentale, comme mon Vicaire Général que je laissais pour chef visible de mon Eglise, contre laquelle les portes d’enfer ne pourront prévaloir, se voulut lui-même assurer de ma résurrection comme du mystère le plus important de la religion catholique, selon le dire du Vaisseau d’Élection : Si autem Christus non resurrexit, inanis est ergo prædicatio nostra, inanis est et fides vestra : invenimur autem et falsi testes Dei. (1Co 15, 14) Et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine. Il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l'égard de Dieu.

 «Pierre ne fut pas seul au sépulcre. Il y vint accompagné de Jean mon favori, lequel avait eu la faveur d’assister au Thabor, la grâce de se trouver au jardin, et la force de se tenir ferme au Calvaire quand la terre trembla, que les pierres se fondirent, et que les sépulcres s’ouvrirent pour laisser sortir leurs morts qui ressuscitèrent pour affirmer de la résurrection du premier-né des morts. Jean qui avait vu l’eau et le sang couler de mon côté ouvert et que je destinais pour être spectateur des plus augustes visions qui seront jamais communiquées aux hommes ; Jean auquel devaient être révélés les plus profonds mystères, autant de mots, autant de secrets, et de sacrements que tous les siècles ne pourront exprimer. «C’est moi le Verbe Incréé et Incarné qui en suis l’Alpha et l’Oméga. Je les déclare à qui il me plaît. Je suis un miroir volontaire qui fait voir mes beautés selon mes volontés. Je suis ce Verbe de vie dont mon favori parle clairement, disant : Quod fuit ab initio, quod audivimus, quod vidimus oculis nostris, quod perspeximus, et manus nostræ contrectaverunt de verbo vitæ : et vita annunciamus vobis vitam æternam, quæ erat apud Patrem, et apparuit nobis. (1Jn 1, 1-2) Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, car la vie a été manifestée, et nous l'avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée. Chère fille, ce disciple bien-aimé a écrit les visions et les faveurs que je lui ai communiquées. Il a dit vérité, poussé et inspiré par l’Esprit véritable lequel Esprit veut que tu écrives celles que notre amour t’a communiquées et te communique ; ressouviens-toi, ma fille, que je t’ai dit, il y a plus de vingt années, que tu es comme la plume d’un léger écrivain et que ce n’était pas sans une providence singulière qu’étant enfant, tu trouvais en l’ouverture des Heures ces versets du Psaume : Eructavit cor meum verbum bonum : dico ego opera mea regi. Lingua mea calamus scribæ, velociter scribentis (Ps 44, 2) Mon coeur a frémi de paroles belles : je dis mon oeuvre pour un roi, ma langue est le roseau d'un scribe agile».

Très cher Epoux, je m’étonnais bien fort de ces paroles desquelles je ne comprenais pas en ce temps-là, ce que vous me signifiez par elles. Mon cœur, ma langue et ma plume sont à vous. Donnez-leur les mouvements qui vous agréeront le plus, et faites, s’il vous plaît, selon votre promesse que j’écrive toujours selon votre Esprit de vérité, et me continuez par bonté le don que vous m’avez fait de l’eau et du sang que cet aigle a vu distinctement couler d’une même source, ce qui nous marque vos deux natures qui n’ont qu’un même support, et que nous les pouvons adorer en vous sans confondre les substances et que la communication des idiomes n’admet point de confusion.

Très cher Amour, faites-moi la faveur qu’en parlant de vos merveilles, je n’embrouille point les esprits qui les liront avec des intentions sincères, telles que je les écris, qui sont de suivre vos volontés en tout, procurant votre gloire et le salut des âmes. Vous m’avez promis que vous témoignez et témoignerez de vous-même en moi et par moi, m’appropriant ces paroles : Ego sum, qui testimonium perhibeo de me ipso : et testimonium perhibet de me, qui misit me, Pater. (Jn 8, 18-15) Je suis à moi-même mon propre témoin, et pour moi témoigne le Père qui m'a envoyé Qui autem diligit me, diligetur a Patre meo, et ego diligam eum, et manifestabo ei meipsum. (Jn 14, 21) Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, je l'aimerai, et je me ferai connaître à lui. Très cher Amour, combien de fois vous ai-je dit : Qui vous pousse à vous manifester si clairement à moi ? Votre miséricordieuse bonté qui se plaît de me gratifier de ces grandes faveurs, que tant de personnes plus dignes que moi, n’ont pas, c’est qu’il plaît à votre Père, à vous et au Saint Esprit de me visiter et de faire votre demeure en mon âme, lui servant de témoins irréprochables, me disant : «Ma fille, dis hardiment tout ce que nous te commandons de dire de nous, notre témoignage est véritable : Tres sunt, qui testimonium dant in cælo : Pater, Verbum, et Spiritus sanctus : et hi tres unum sunt. Et tres sunt, qui testimonium dant in terra : Spiritus, et aqua, et sanguis : et hi tres unum sunt. Si testimonium hominum accipimus, testimonium Dei maius est. (St Augustin  ? ? ?) (1Jn 5, 7-8)  Car il y en a trois qui rendent témoignage : l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont d'accord.  On peut clairement voir qu’en ton âme qui est notre ciel, les Trois Divines Personnes rendent témoignage d’elles-mêmes, par les paroles et par les écrits, et qu’elles ne sont qu’un Dieu très simple en essence ; étant trois hypostases distinctes, elles n’ont qu’une nature. En ton corps on peut encore voir les opérations de Celui qui est venu à toi par l’Esprit, par l’eau et par le sang. Par l’Esprit si l’esprit ne te conduisait en quel dédale ou labyrinthe, te mettrais-tu écrivant si souvent des mystères divins qui ne peuvent être connus à une fille qui n’a point étudié, sans l’onction de cet Esprit, qui t’éclaire avec tant de clarté que tu en parles comme de choses qui semblent d’ être visibles et familières mais avec tant d’abondance qu’il paraît clairement que tu as dans toi celui qui est la source d’eau vive, et que son sang vivifie et toi et tes paroles et que tu en es la distributrice que ce sang t’est donné et versé largement pour guérir les morsures dont le venin de tes ennemis te voudrait faire mourir. Ne crains rien, ma fille, les Trois Divines Personnes ne t’abandonneront pas. Celui qui vient à toi par l’Esprit, par l’eau et par le sang est ton Epoux fidèle. C’est moi qui ai témoigné et qui témoignerai de moi-même. Si on reçoit le témoignage des hommes. Celui de Dieu est plus fort pour persuader les vérités qui sont trop manifestes. Je te confirme encore ces paroles : Beata, quæ credidisti, quoniam perficientur ea, quæ dicta sunt tibi a Domino (Lc 1, 45) Oui, bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! ». Esprit d’amour, je vous réponds par la bouche de celle qui vous a reçu par une abondante survenue : Magnificat anima mea Dominum : et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo. (Lc 1, 46-47) Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur.

 

Chapitre 57

Que le Verbe Incarné me voulut consoler et guérir ; et sa bonté m’a promis qu’il ferait une grande grâce au Roi par le Saint Sacrement. Et comme Il me dit qu’il ne voulait pas que l’Ordre du Verbe Incarné fut unie à celui du Saint Sacrement. Et des faveurs que Dieu me fit.

La veille de Saint Laurent, me trouvant mal disposée, je me mis au lit après avoir communié. Votre bonté qui a toujours des inclinations favorables pour moi me voulut réjouir dans ce lit où j’étais, non seulement malade corporellement, mais affligée spirituellement pour une fille qu’il n’est pas à propos de nommer. Vous me dîtes : «Ma fille, je suis venu pour te consoler et pour te dire que tu aies confiance en moi. J’établirai mon Ordre par les voies que l’on ne pense pas. Tu verras l’union de la tiare et de la couronne de France en cet établissement. Dis avec David : Credidi, propter quod locutus sum : ego autem humiliatus sum nimis. Ego dixi in excessu meo : Omnis homo mendax. Quid retribuam Domino, pro omnibus, quæ retribuit mihi ? Calicem salutaris accipiam : et nomen Domini invocabo. (Ps 115, 1-4) Je crois lors même que je dis : "Je suis trop malheureux", moi qui ai dit dans mon trouble : "Tout homme n'est que mensonge." Comment rendrai-je à Yahvé tout le bien qu'il m'a fait ? J'élèverai la coupe du salut, j'appellerai le nom de Yahvé.

Parle, ma fille, de mes merveilles parce que tu ne peux douter des vérités que je t’enseigne. J’ai permis que tu sois affligée afin de te faire pratiquer ce grand sentiment d’humilité que tu ressens en ton âme, et tu peux dire à ceux qui ignorent l’excès d’amour que j’ai pour toi, que tout homme est menteur quand il pense d’affliger l’âme que je console». Mon Divin Consolateur, que vous pourrais-je offrir en reconnaissance de tant de grâces que vous me faîtes continuellement ?

«Tu prendras le calice de ton salut en invoquant mon nom sur toi, en attendant que tu me rendes tes vœux devant tous les peuples que je ferai spectateurs de mes miséricordes sur toi. Je ferai une merveille pour Louis Treizième qui est à présent à Lyon pour la gloire de mon Divin Sacrement. Attends avec patience et mansuétude ; ne craignez rien, petit troupeau, car il plaît à mon Père céleste de vous donner le règne au temps divinement prévu et destiné».

Au mois de septembre, le R. P. de Lingendes apprit que notre bon Roi était malade. Il me manda de prier pour sa santé et que par la vertu du Divin Sacrement je vous demandasse la santé de sa Majesté. Je priai jour et nuit devant ce trône de grâce, car j’étais dans la tribune que Melle de Longueville avait fait faire en l’Eglise de Sainte Madeleine qui est l’église paroissiale de la Ville l’Evêque. Je conjurai votre bonté de renvoyer la guérison à notre bon Roi, ce que vous ne me refusâtes pas. Le R. P. de Lingendes fit écrire au R. P. Souffrain de prier notre Roi de favoriser l’établissement du Verbe Incarné, mais le R. P. Souffrain fit réponse que Madame de Longueville se trouvant à Lyon auprès de leurs Majestés avait prié le Roi pour favoriser de son autorité l’établissement des Filles du Saint Sacrement, par la grâce duquel il avait été guéri, que la piété du Roi lui avait promit d’employer son crédit auprès de Monseigneur de Paris, et de donner des lettres pour cet établissement lesquelles Monsieur le Garde des Sceaux avait déjà signées et scellées, qu’il n’oserait parler en même temps de l’établissement du Verbe Incarné, et qu’il serait mieux de se joindre à ses filles puisqu’il y avait grand rapport en ces Instituts. Notre Bulle ayant beaucoup des points qui étaient en la leur. Le R. P. Souffrain, passant pour ce qu’il était, pour savant, un homme de grande vertu et de sainteté, donna par sa réponse à penser à cette union au R P. de Lingendes, et sujet à Madame de la Lande de trouver des inventions de faire parler à Madame la Duchesse de Longueville, nommée fondatrice dans la Bulle du Saint Sacrement. Madame de Longueville eût bien désiré cette union. S’étant informé dans Lyon du R. P. Voisin quel sentiment il avait de moi et de mon dessein, ledit Père en parla avec sa charité ordinaire, et selon les connaissances qu’il avait des grandes grâces que vous m’aviez faites. Le R. Père Morin voulu sonder les sentiments des Filles du Port-Royal pour cette union. Il les trouva dans les espérances très hautes de leur établissement et que si elles daignaient nous unir à elles, il faudrait prendre leur Bulle et leurs Constitutions, et abîmer notre Institut dans le leur, comme une goutte d’eau dans la mer. Entendant leurs hautes espérances, j’abaissai mon esprit devant vous, ô mon Seigneur. Je vous disais : «Cher Amour, faites paraître votre volonté. Tous les esprits de ceux qui traitent de nos affaires sont portés à cette union. Le mien en est fort éloigné, si c’est un désir de ma propre gloire, et une résistance au mépris que l’on fait de notre dessein, je renonce à mes propres sentiments pour suivre les vôtres.» Vous ayant dit ces paroles et d’autres semblables, vous me fîtes entendre : Segregate mihi Saulum, et Barnabam in opus, ad quod assumpsi eos. (Ac 13, 2) Mettez-moi à part Barnabas et Saul pour l'oeuvre à laquelle je les ai appelés. «Ma fille, je ne veux pas que ces deux Ordres soient unis. Je veux que vous soyez séparées de ces filles ; elles sont à présent filles de consolation, tout leur rit. Barnabé signifie fils de consolation et toi tu es Paul petite, destinée de ma providence à des grandes contradictions. J’endurcirai le cœur de ceux qui te devraient aider, pour faire voir en cet Ordre et en toi la puissance de ma dextre, qui fera une vertu et qui t’exaltera au temps préordonné. N’en doute pas, ma fille, c’est moi qui te prédis ces souffrances. Je serai avec toi pour te faire croître emmi les contradictions. Tu pourras dire : In tribulatione dilatasti mihi. (Ps 4, 2) dans l'angoisse tu m'as mis au large. Ces filles ne croîtront pas comme elles présument, étant appuyées des grands de la terre. Intellige quæ dico : dabit enim tibi Dominus in omnibus intellectum. (2Tm 2, 7) Comprends ce que je dis, car le Seigneur te donnera de l'intelligence en toutes choses. Ce Seigneur est ton Epoux qui t’est présent et qui contemple les souffrances que tu dois souffrir pour lui. «Tu ne peux pas dire qu’il n’y a point de prophétie pour toi, ni que l’oracle de vérité ne te parle point. Si on te veut affliger en te contredisant pour supprimer les lumières que je te communique, et que la prudence du temps te fait taire, sache, ma fille, que Verbum Dei non est alligatum. Fidelis sermo. (2Tm 2, 9) Mais la parole de Dieu n'est pas liée. Cette parole est certaine. Dis avec mon Apôtre : Omnia sustineo propter electos, ut et ipsi salutem consequantur, quæ est in Christo Jesu, cum gloria cælesti. (2Tm 2, 10) C'est pourquoi je supporte tout à cause des élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est en Jésus-Christ, avec la gloire éternelle. Ma fille, si vous compatissez à mes souffrances, vous règnerez avec moi. Firmum fundamentum Dei stat, habens signaculum hoc : Cognovit Dominus qui sunt eius. (2Tm 2, 19) Néanmoins, le solide fondement de Dieu reste debout, avec ces paroles qui lui servent de sceau: Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent. Je les connais en bénédiction et les marque du signe de ma Croix, les invitant de me suivre, en portant celle que ma sapience leur permet et envoie pour être mes imitateurs.»

 

Chapitre 58

Comme Notre Seigneur m'apparût, portant mes larmes en façon de baudrier, lesquelles il avait divinement relevées sur ses épaules sacrées, et comme il m'expliqua les merveilles de sa bonté envers moi.

Le R. P. Bertin envoya notre Bulle après qu'il eût appris que le Roi et le Parlement avaient donné des lettres de permission pour l'établissement de celles du Saint Sacrement et que Mr de la Ville Évêque avait écrit à Monseigneur de Paris de la part du Roi d'établir les Filles du Saint Sacrement. Pendant ces poursuites, nous demeurions en patience attendant votre heure. Je vous disais : Miserere mei : quoniam in te confidit anima mea. Et in umbra alarum tuarum sperabo. (Ps 56, 2) Pitié pour moi, ô Dieu, pitié pour moi, en toi s'abrite mon âme, à l'ombre de tes ailes je m'abrite, Attendant que votre providence disposait de tous ses desseins, j'écrivis, selon votre commandement sur les Cantiques. Quand j'avais la plume en mains, je ne pensais pas aux ennuis et afflictions d'une espérance différée, mais lorsque j'étais en oraison, je fondais en larmes, sans les pouvoir retenir, quelle violence que je me voulus faire : «Seigneur, vous disais-je, mon espérance étant ferme en vous ; pourquoi pleurai-je tant ? Est-ce que vous me voulez faire voir la faiblesse de mon sexe ? Mes yeux sont deux canaux qui fluent continuellement sans que mon âme en connaisse la cause. Quand vous lui parlez, elle ne s'étonne pas de ses tendresses, ni quand votre Esprit tout ardent souffle pour la fondre en eau. Elle se souvient des paroles du Psalmiste : Emittet verbum suum, et liquefaciet ea : flabit spiritus eius, et fluent aquæ. (Ps 147, 7) Il envoie son verbe sur terre, rapide court sa parole; Elle connaît que vous êtes la fontaine qui daignez fluer dans vos jardins de plaisance : Fons hortorum : puteus aquarum viventium, quæ fluunt impetu de Libano. (Ct 4, 15) Source des jardins, puits d'eaux vives, ruissellement du Liban ! «Quand elle vous connaît présent, ses larmes lui sont des délices, elle les pense des témoignages de l'amour qu'elle vous porte, duquel elle a un signe en bien. C'est la vive flamme que vous produisez en mon coeur ; mais maintenant que ce feu est caché, comme dans un puits profond, qui est à sec, ainsi que le feu sacré du temps de la captivité des juifs, elle ne sait que juger de ses larmes, dont elle ne connaît pas les motifs ni la cause. Se trouvant en ces froideurs, elle dit : Surge Aquilo, et veni Auster, perfla hortum meum, et fluant aromata illius». (Ct 4, 16) Lève-toi, aquilon, accours, autan ! Soufflez sur mon jardin, qu'il distille ses aromates ! Votre bonté, qui est un midi tout brûlant de charité, ne se peut contenir sans me faire sentir les ardeurs qu'elle a pour moi. Elle vous pressa d'une façon divine à me visiter, vous m'apparûtes glorieux, portant un baudrier admirablement fait, auquel pendaient des merveilleuses larmes en façon de perles, ces larmes me dites-vous : «Ma fille, sont mes délectations, et celles de mes courtisans célestes. Ce sont les larmes que tu as versées sans savoir le principe et la fin d'icelles, ni à quoi elles pouvaient être utilement dirigées et employées. Chère épouse, on les tient dans le ciel plus précieuses que vous n'estimez en terre les perles orientales et les pierreries dont les hommes font tant d'état. Tout cela n'est que pour orner le corps pendant cette vie mortelle, mais ces larmes répandues pour mon amour sont récompensées et métamorphosées en des perles qui embellissent l'âme et qui orneront le corps après la résurrection générale, la durée de la vie éternelle. Dans le Louvre de gloire, le ciel empyrée, les larmes y sont admirées parce qu'il n'en peut point produire, étant un lieu de félicité, à l'entrée duquel les bienheureux ont reçu la couronne après que j'ai essuyé leurs larmes à la fin de leur vie mortelle. «Les larmes accroissant la joie accidentelle des saints quand elles sont répandues par des actes d'amour et de contrition par les personnes qui sont dans la voie, lesquelles imitent les vertus de ces fortunés citoyens de l'Empyrée. Ces âmes simples et pacifiques sont comme des brebis qui viennent du lavoir et comme des colombes qui résident proche des fontaines et rivages des eaux de grâce : Oculi eius sicut colombæ super rivulos aquarum, quæ lacte sunt lotæ, et resident juxta fluenta plenissima. (Ct 5, 12) Ses yeux sont des colombes, au bord des cours d'eau se baignant dans le lait, posées au bord d'une vasque. «Ces âmes colombines et ces tourterelles sacrées sont agréables aux saints qui leur ont montré l'exemple de pleurer pour l'absence d'une Majesté qu'elles aiment et qui les a aimées dès l'éternité pour les béatifier. Les saints présentent en sacrifice ces larmes à ce Dieu de bonté comme David présente l'eau que les soldats avaient apportée au péril de leur vie, pour contenter son souhait et son désir. Ma fille, j'agrée cette offrande, mais bien plus celle des larmes que l'amour produit et rend méritoires de la vie éternelle. Madeleine versa des larmes à la mesure de son amour. Elle aima beaucoup ; elle pleura beaucoup. Saint Pierre eut autant de larmes qu'il eut d'amère contrition. Il jouit d'autant de douceur dans le terme qu'il a eu d'amertume et de douleur dans la voie, depuis que je le regardai après ses reniements. Dominus respexit Petrum. Et egressus foras Petrus flevit amare, (Lc 22, 61-62) Le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre. [...] Et, sortant dehors, il pleura amèrement. Flux qui continue tout le reste de sa vie, me pouvant dire : Deus, vitam meam annuntiavi tibi : posuisti lacrymas meas in conspectu tuo, (Ps 55, 9) Tu as compté, toi, mes déboires, recueille mes larmes dans ton outre ! Secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo : consolationes tuæ lætificaverunt animam meam. (Ps 93, 19) Dans l'excès des soucis qui m'envahissent, tes consolations délectent mon âme. Ma fille, revêtu de tes larmes, je me glorifie ; les vois-tu transparentes et luisantes ? Je confesse devant mes bienheureux que tel ornement me plaît et que je l'estime beau et précieux. Confessionem, et decorem induisti : amictus lumine sicut vestimento. (Ps 103, 1-2)  Yahvé, mon Dieu, tu es si grand ! Vêtu de faste et d'éclat, drapé de lumière comme d'un manteau, Ces larmes sont un firmament qui m'environne ; elles sont des eaux relevées jusqu'à moi : Fiat firmamentum in medio aquarum : et dividat aquas ab aquis. Et fecit Deus firmamentum, divisitque aquas, quæ erant sub firmamento, ab his, quæ erant super firmamentum. Et factum est ita. Vocavitque Deus firmamentum, Cælum. (Gn 1, 6-8) Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux" et il en fut ainsi. Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament,  et Dieu appela le firmament "ciel."  Je te rends un ciel solide sur lequel je repose en te portant moi-même par divine inclination. J'étends tes pensées en multipliant en toi mes lumières admirables. Extendens cælum sicut pellem : qui tegis aquis superiora eius. (Ps 103, 2-3)  Tu déploies les cieux comme une tente, tu bâtis sur les eaux tes chambres hautes. Chère fille, ces larmes montent à moi comme une très agréable vapeur, laquelle je convertis en nuées, sur lesquelles nuées je me plais de faire des ascensions merveilleuses et de voler sur les vents de tes soupirs. » Très cher Amour, c'est donc ce que David veut dire quand il s'écrie, ravi d'admiration, voyant vos ascensions amoureuses. Qui ponis nubem ascensum tuum : qui ambulas super pennas ventorum. (103, 3) Faisant des nuées ton char, tu t'avances sur les ailes du vent. «Ces larmes sont agréables à mes Anges qui sont des esprits, ministres de feu et de flammes. Ils viennent contempler ces eaux merveilleuses qui fluent des yeux de mes amantes, que je rends des cieux comme eux, les spiritualisant par grâce. Ils admirent ces cieux relevés des âmes qui l'attire à moi. Ils regardent les corps qu'elles informent exempte par ma grâce des mouvements impurs comme s'ils n'étaient pas fragiles. C'est moi, ma fille : Qui fundasti terram super stabilitatem suam : non inclinabitur in sæculum sæculi, (Ps 103, 5) Tu poses la terre sur ses bases, inébranlable pour les siècles des siècles, parce que ces corps en vertu de la réception du mien sacro-saint, ressusciteront et seront immortels et incorruptibles l'éternité entière. C'est ce qui ravira les Anges parce qu'ils seront spiritualisés, habitant dans l'Empyrée dans une bienheureuse félicité qui se peut dire céleste liberté. «Ils ne seront plus liés par des mariages comme en cette vie : In resurrectione enim neque nubent, neque nubentur : sed erunt sicut angeli Dei in cælo.  (Mt 22, 30). A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel. Abyssus, sicut vestimentum, amictus eius : super montes stabunt aquæ  (Ps 103, 6) De l'abîme tu la couvres comme d'un vêtement, sur les montagnes se tenaient les eaux. «Ma fille, admire comme un abîme de douleur a attiré un abîme de douceur ; tes larmes qui semblaient être un abîme d'ennuis ont attiré ma bonté qui est un abîme d'amour qui la veut de revêtir mon corps glorieux qui est la terre sublime de ses larmes agréables comme d'un vêtement qui je rends éclatant en beauté. Mon corps sera saint qui s'est fait le ciel sublime et la plus relevée montagne qui soit dans l'Empyrée estimé à gloire d'être couvert de tes larmes. Mes épaules sacrées qui furent capables quoiqu'en ce figure de faire une montre de tout bien à Moïse se plaisant à présent à porter les eaux de tes larmes comme un baudrier glorieux comme une chaîne que ce Dieu amoureux a composée lui-même et ainsi qu'une écharpe éclatante en beauté beaucoup plus agréable que si elle eût été des plus riches étoffes relevées en broderies et parsemées de brillants. Super montes stabunt aquæ (Ps 103, 6) sur les montagnes se tenaient les eaux; tes larmes sont divinement relevées par grâce. Celui que le sage nomme fons sapientiæ verbum Dei in excelsis (Si 1, 5) La source de la sagesse, c’est la parole de Dieu au plus haut des cieux, les porte quand il veut paraître paré en tout de fête solennelle ; les Anges ramassent celles des pêcheurs convertis et c'est jour de leur plus grande joie. Ils en font leurs grandes solennités. Ils les pressentent à la Sainte Trinité comme son fruit qu'elle agrée. «J'admire, ma bien-aimée, le plaisir que le Divin Père prend en contemplant son Fils Bien-aimé qui est son champ béni arrosé des larmes que je lui offre dignement en reconnaissance de la rosée d'eau qu'il t'a daigné distiller parce qu'il est amoureusement bon et de soi-même communicatif. Il est le Père des miséricordes et le Dieu de toutes consolations qui pour te consoler envoyé en terre son Fils unique, l'image de sa bonté, fontaine forte et vivante qui emittes fontes in convalibus inter medium montium medium montium pertransibunt aquæ. (Ps 103, 10) Dans les ravins tu fais jaillir les sources, elles cheminent au milieu des montagnes. C'est moi qui suis cette sapience descendu ès vallées et qui produis dans les coeurs humbles des fontaines de grâces. C'est moi qui envoie les eaux lesquelles passent subtilement en les montagnes des élévations d'esprit. Elles se présentent devant mon trône en la présence de mes saints qui sont donc les montagnes qui se réjouissent de voir ces larmes qui obtiennent de moi ce qu'elles demandent pour ma gloire et pour le salut des âmes. Éprouve, ma fille, cette vérité : Beati, qui lugent : quoniam ipsi consolabuntur. (Mt 5, 5) Heureux les affligés, car ils seront consolés. Rigans montes de superioribus suis. (Ps 103, 13) De tes chambres hautes, tu abreuves les montagnes. A ces larmes sont données des grâces sublimes. C'est un don du Père céleste qui vient d'en haut qui fait produire aux âmes des oeuvres qui me sont agréables. «Madeleine avait pleuré devant qu'elle avait fait une bonne oeuvre laquelle serait prêchée avec mon Évangile. Je repris mes disciples des pensées qu'ils auraient contre cette action comme je me plains à Simon le Pharisien de ce qu'il ne m'avait pas rendu témoignage d'amour semblable à ceux de cette pénitente, [264] vraie amante, lui disant : Vides hanc mulierem ? Intravi in domum tuam, aquam pedibus meis non dedisti : hæc autem lacrymis rigavit pedes meos, et capillis suis tersit. Osculum mihi non dedisti : hæc autem ex quo intravit, non cessavit osculari pedes meos. Oleo caput meum non unxisti : hæc autem unguento unxit pedes meos. Propter quo dico tibi : Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit multum». (Lc 7, 44-47)   Tu vois cette femme ? Dit-il à Simon. Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds; elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser; elle, au contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds.  A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Cher Amour, je vous dois beaucoup aimer, puisque vous m'avez remis beaucoup de péchés, desquels on me défend la narration en cette relation de ma vie. Votre sagesse l'a permis pour me faire connaître qu'elle dispose de tout sagement, afin que j'oublie ce qui est de moi et me souvenant de ce qui est de votre bonté et que je dise avec l'Apôtre : Unum autem : quæ quidem retro sunt obliviscens, ad ea vero, quæ sunt priora, extendens meipsum, ad destinatum persequor, ad bravium supernæ vocationis Dei in Christo Jesu. (Ph 3, 13-14) Non, frères, je ne me flatte point d'avoir déjà saisi; je dis seulement ceci: oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus.

 

Chapitre 59

Que Dieu défend son Ordre contre la rage des démons, ordonnant à Saint Michel et ses Anges de combattre pour icelui ainsi qu'ils firent pour l'Incarnation. Notre Seigneur m'appropria les paroles de Jérémie, de l'Apocalypse et d'Isaïe.

M'oubliant de moi et des imperfections que j'ai produites, je ne dois pas m'oublier de la suite de cette narration de vos miséricordes que vous continuez de verser sur moi comme si elles étaient pour moi seule et pour tout ce qui me peut rendre heureuse. Elles préviennent tout ce qui me pourrait nuire pour le détourner, et en vérité, je peux bien dire que je ne suis offensé que par moi-même et que les démons enragés contre l'établissement de votre Ordre ne lui pourront nuire, n'ayant du pouvoir qu'autant que vous leur en permettez. Celui qui tenta Pharaon lequel m'apparut en figure et semblance d'un mort obstiné à résister à tout ce qui est de votre gloire en cet Ordre, et celui qui tenta Arius qui emprunta la figure d'une personne qui se plaît à railler et se moquer de ce qu'il ne peut absolument empêcher n'ont pu arrêter le cours de votre providence sur cet Institut. Saint Michel et ses Anges sont à notre aide. Ils ont la même nature et sont éclairés de la grâce et de la gloire qui les rend plus forts que ceux qui n'ont que cette nature destinée des avantages que vos clartés et vos puissances leur eussent donnés s'ils ne se fussent rendus criminels de lèse majesté divine et humaine, refusant d'adorer la divinité qui se voulait unir à la nature humaine. Ne pouvant empêcher que votre amour, ô Divine Bonté, ne portât et pressât la Seconde Personne à se revêtir d'un corps dans les entrailles d'une femme, se faisant homme pour faire l'Homme-Dieu, et que vous ne fussiez nommé Verbe Incarné pour nous rendre consorts de votre divine nature. La vue de cette Vierge incomparable qui était destinée dès l'éternité pour votre Mère et pour enfermer dans ses flancs virginaux l'homme Orient, qui devait être cette nouveauté admirée sur la terre, selon le dire du Prophète disant : Quia creavit Dominus novum super terram : femina circumdabit virum (Jr 31, 22) Car Yahvé crée du nouveau sur la terre: la Femme recherche son Mari, accroissait les furies de ces esprits révoltés contre vous et contre tous les hommes, la nature desquels ils eussent voulu détruire s'ils eussent pu, ce qui est clairement montré dans l'Apocalypse : Signum magnum apparuit in cælo : Mulier amicta sole, et luna sub pedibus eius, et in capite eius corona stellarum duodecim : et in utero habens, clamabat parturiens, et cruciabatur ut pariat. Et visum est aliud signum in cælo : et ecce draco magnus rufus habens capita septem, et cornua decem : et in capitibus eius diademata septem, et cauda eius trahebat tertiam partem stellarum cæli, et misit eas in terram, et draco stetit ante mulierem, quæ erat paritura : ut cum peperisset, filium eius devoraret. Et peperit filium masculum, qui recturus erat omnes Gentes in virga ferrea : et raptus est filius eius ad Deum, et ad thronum eius, et mulier fugit in solitudinem ubi habebat locum paratum a Deo, ut ibi pascant eam diebus mille ducentis sexaginta. Et factum est prælium magnum in cælo : Michael, et angeli eius præliabantur cum dracone, et draco pugnabat, et angeli eius : et non valuerunt, neque locus inventus est eorum amplius in cælo. (Ap 12, 1-8) Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme ! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement.  Puis un second signe apparut au ciel: un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer; et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône, tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1.260 jours. Alors, il y eut une bataille dans le ciel: Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel.  «Ma fille, cette femme adorable qui était enceinte d'un fils mâle était la figure de ma Mère et de moi qui me devais enfermer dans ses flancs dans lesquels je voulus prendre un corps et me faire le premier-né entre plusieurs frères, demeurant vivant dans le sein de mon Père en vous visitant pour vous éclairer de ma lumière, laquelle je cachais dans ce sein maternel, non pas si entièrement que le dragon n'entrât en appréhension de la ruine de son empire. Armé de colère et s'élevant d'arrogance, ce que tu peux remarquer en ces mots : magnus et rufus, (Ap 12, 3) rouge-feu, paraissant avec sept têtes, chacune ayant son diadème, attirant avec sa queue la troisième partie des étoiles comme ses soldats de la vue desquels il voulait effrayer cette femme, devant laquelle il se tenait pour l'épouvanter par lui-même. Se croyant assez terrible pour lui donner de la crainte et pour la faire enfanter de frayeur et de sa gueule béante, il pensait dévorer son fils mâle. «Il faisait le majestueux avec ses cornes, ignorant les inventions toutes-puissantes de l'amoureuse providence d'un Dieu amoureux des hommes et Fils de cette femme, lequel était par indivis l'Unique de son Père éternel auquel il est égal, et sans faire rapine, il possède la même divinité, laquelle le ravit au trône et fit envoler cette admirable femme qui était son auguste Mère dans la solitude où ce Dieu tout-puissant et lui avait préparé une demeure singulière comme à icelle qui est sans pareille, de laquelle ce Dieu seul peut connaître les excellences et la traiter selon la dignité qui lui avait dès l'éternité destinée. Michel, ayant plus de zèle de la gloire de ma Mère que le dragon n'avait de haine de ses prééminences, combattit avec ses Anges ce dragon bouffi d'orgueil et toute sa suite, les chassant du ciel auquel ils n'entreront jamais, et s'ils gardent leur envenimée malice pour nuire à la semence de cette femme, la terre de mon Humanité Sainte engloutira ce fleuve à la confusion des démons et la mort de la mort que le dragon et serpent antique a procurée aux hommes par la sollicitation qu'il a faite et leur fait tous les jours d'offenser leur Créateur. Je serai la morsure de l'enfer. J'engloutirai ce fleuve. Et adjuvit terra mulierem, et aperuit terra os suum, et absorbuit flumen, quod misit draco de ore suo. (Ap, 12, 16) Mais la terre vint au secours de la Femme: ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon.  «J'ai englouti la mort, je l'ai absorbée. Absorpta est mors in victoria. Ubi est mors victoria tua ? Ubi est mors stimulus tuus ? (1Co 15, 54-55) La mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? M'entretenant des pouvoirs, des splendeurs et de la fécondité que votre divine bonté a communiquée à votre Mère, vous étant fait son Fils, vous ravîtes mon esprit en l'admiration de ses merveilles l'ayant élevé par amour. Vous me dîtes : Ma fille, j’étais entretenue des suréminences de ma Mère par ces deux textes de l’Écriture : de Jérémie et de l’Apocalypse, lesquels sont reconnus de toute l’Eglise, vérifiés en mon auguste Mère et en moi, quand j’ai pris mon humanité en elle et que j’ai absorbé la mort par ma mort, et vaincu l’enfer duquel j’ai été et suis la morsure qu’il n’a pu digérer. Les Limbes m’ont rendu et, après moi, tous les Pères et toutes les âmes qui y étaient captives. J’emmenai la captivité captive, montant sur tous les cieux, donnant des dons aux hommes, desquels mon Apôtre fait des distinctions, assurant que je suis monté en haut pour remplir toutes choses. Qui descendit, ipse est et qui ascendit super omnes cælos, ut impleret omnia. Chère fille, entre tous ceux et celles à qui je destinais des dons, je te regardais pour t’en faire largesse et pour faire voir en toi aux Anges et aux hommes une reproduction mystique des mystères les plus célèbres et les plus avantageux à ma gloire au dehors et au salut des hommes. Souffre, quoique confuse, que je te dise que tu es encore cette femme merveilleuse sur qui enserre d’une façon mystique l’homme Orient qui est moi, et que tu es cette femme qui fut un signe prodigieux revêtue du soleil, coiffée des étoiles et chaussée de la lune, que tu as sous les pieds, méprisant les vicissitudes et les vanités qui sont en terre ; ton chef est plein de science. Les doctes, chez Daniel, sont comparés aux étoiles qui brilleront en perpétuelle éternité. Les splendeurs qui je mets dans ton âme passent jusqu’à l’extérieur. Tu as plusieurs témoins de ces clartés, quand tu ignorerais, comme Moïse, que ton chef et ta face paraissent souvent lumineux. Ces rayons que tu vois sont rendu visibles aux autres quand je le juge à propos pour leur donner dévotion et respect à ma Majesté que se fait voir en qui il me plaît».

«Tu dois savoir qu’il est un signe visible du soleil invisible qui te fait son ciel éclairé de ses lumières. La constance que l’on voit en la poursuite de mes desseins montre ta fermeté et que tu n'es pas agitée des continuelles inconstances qui sont propres à ton sexe. C'est ma grâce, ma fille, qui t'affermit en mes volontés. C'est ma grâce qui te rend agréable à mes yeux. C'est ma grâce qui te veut rendre ma Mère d'une façon merveilleuse et qui te fera enfanter dans l’Église Celui que ma Mère a enfanté dans Bethléem, par une mystique naissance et par une extension de mon Incarnation, malgré les envies, les rages et les furies des démons et les contradictions des hommes. Je t'ai donné des yeux et des ailes d'aigle pour me voir dans le sein de mon Père, dans la source des divines splendeurs et pour voler dans la solitude de ce sein paternel où est le Fils unique qui te révèle ses mystères, parce que tel est le divin plaisir d'honorer de la sorte celle qui lui plaît d'honorer par ses insignes faveurs. Ma Mère a crié par les prophètes qui désiraient cet enfantement, car d'elle, on n'a jamais ouï de cris ; elle a enfanté sans douleurs. «Les tranchées ont prévenu ès patriarches et prophètes, ce qui est clair dans l’Écriture. Il n'est pas nécessaire que tu t'arrêtes et en marquant les passages. Le Prophète Isaïe en fournit plus que suffisamment qui prouve cette vérité. Il voulut que les cieux se rompissent et que la terre s'ouvrit pour donner sortie ou naissance au germe de David, de la semence duquel je devais naître. Il espérait que la verge de la racine de Jessé sortirait et s'élèverait florissante, sur laquelle le Saint Esprit serait veux reposer [sic]. Ses espérances n'ont pas été confondues ; ses prophéties ont étés accomplies. Elles seront reproduites par cet Institut ; n'en doute pas, ma fille. Mon esprit repose en toi. Il se rend trop connaissable. En pourrais-tu douter, sans impugner la vérité connue ? Tu offenserais sa bonté qui se rend de toi comme familière amie. Tu peux encore voir comme je te favorise de mes douceurs et que ce n'est pas toi qui souffres les tranchées de l'enfantement de mon Ordre. Les pères qui te dirigent les ont, car ils s'affligent de ce long retardement, et toi, tu attends en espoir et silence le salutaire divin. Je suis avec toi pour te réjouir ; tu éprouves que ma compagnie est sans ennuis». Cher Amour, Saint Bruno plongé dans les admirations de ses douceurs, l'admirant, la louait par des exclamations : «O Bonté, ô Bonté!», l'appelant elle-même afin qu'elle reconnût divinement ses excellences divines. Imitant ce grand patriarche des saints, je vous prie d'être votre digne louange et votre suffisante rétribution. Je n'ignorais pas que vous m'aviez prévenue de vos bénédictions de douceurs, devant m'avoir révélé que vous vouliez établir un Ordre pour honorer vos sacrés mystères avec votre Divine Personne Humanisée pour l'amour des hommes. Déjà, je ne savais comment vous témoigner mes humbles reconnaissances. Je demeurais abîmée dans mes impuissances, adorant vos excellences suprêmes, disant à toutes les créatures que j'avais invitées pour vous louer et bénir : Glorificantes Dominum quantumcumque potueritis, supervalebit enim adhuc, et admirabilis magnificentia eius. Benedicentes Dominum, exaltate illum quantum potestis : major enim est omni laude. Exaltantes eum replemini virtute, ne laboretis : non enim comprehendetis. (Si, 43, 32-34)  Que vos louanges exaltent le Seigneur, selon votre pouvoir, car il vous dépasse. Pour l'exalter déployez vos forces, ne vous lassez pas, car vous n'en finirez pas. Qui l'a vu et pourrait en rendre compte ? Qui peut le glorifier comme il le mérite ? Il reste beaucoup de mystères plus grands que ceux-là, car nous n'avons vu qu'un petit nombre de ses oeuvres. Si dès ce temps je ne trouvais point de termes pour vous remercier des faveurs que votre bonté m'avait départies, que puis-je faire maintenant, sinon admirer en adorant et adorer en admirant, et, avec les Séraphins, dire : Saint, Saint, Saint est le Seigneur des armées. Toute la terre est pleine de votre gloire, tout tremble de respect devant votre Majesté ; et moi, dois-je parler ? Isaïe dit que celui est un malheur de s'être tu, silence qu'il avait gardé parce que ses lèvres étaient impures, habitant au milieu de ceux que les péchés avaient souillé les lèvres, et qu'en cette mauvaise ou impropre disposition, il avait vu de ses yeux le Roi et le Seigneur des Exercites lequel avait en horreur les lèvres polluées ; qui devait prononcer ses oracles divins. «Ma fille, les lèvres du prophète furent purifiées par le charbon ardent que le Séraphin prit sur l'autel avec des tenailles ayant ouï que mon Père, moi et le Saint Esprit voulions faire une mission aux hommes dit : Ecce ego, mitte me. (Is 6, 8) "Me voici, envoie-moi." Auquel nous répondîmes unanimement : Vade, et dices populo huic : Audite audientes, et nolite intelligere : et videte visionem, et nolite cognoscere. Excæca cor populi huius, et aures eius aggrava : et oculos eius claude : ne forte videat oculis suis, et auribus suis audiat, et corde suo intelligat, et convertatur, et sanem eum. (Is 6, 9-10) "Va, et tu diras à ce peuple: Écoutez, écoutez, et ne comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas. Appesantis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri." «Ma fille, je t'envoie en une semblable mission. Ceux à qui tu parleras n'entendront pas en t'oyant ; me voyant par toi, ils ne me connaîtront pas ; tes lumières les aveugleront ; tes paroles endurciront leur coeur, aggraveront et boucheront leurs oreilles. Ils fermeront les yeux à mes clartés ; ses splendeurs leur seront ténèbres, parce qu'ils voudront comprendre naturellement ce qui ne peut être connu que par une lumière surnaturelle, laquelle je ne donne qu'à ceux qui humilient leurs âmes sous ma puissante main, laquelle porte la lumière et tient enserrées les étoiles, qui représentent la science comme sous un sceau. Aveugle ceux-là, ma fille, qui présument de savoir ce qu'ils ignorent». «Jusqu'à quand, Seigneur ? » «Jusqu'à ce qu'ils auront connu leur aveuglement, leur ignorance en mes voies, et qu'ils dépendent de ma miséricorde sans laquelle, comme tu m'as dit de toi, ils seraient déjà tous consommés». Cher Amour, je vous dis : Exaudi orationem meam Domine, et deprecationem meam : auribus percipe lacrymas meas. (Ps 38, 13) Écoute ma prière, Yahvé, prête l'oreille à mon cri,   ne reste pas sourd à mes pleurs. Que mes larmes entrent et soient reçues de vous. Je sais bien que vous les voyez, que vos oreilles entendent ces larmes qui vous prient de me pardonner, et à tous ceux qui vous résistent : Mirifica misericordias tuas, qui salvos facis sperantes in te. A resistentibus dexteræ tuæ custodi me, ut pupillam oculi. Ego autem in justitia apparebo conspectui tuo : satiabor cum apparuerit gloria tua. (Ps 16, 7-8, 15) Signale tes grâces, toi qui sauves ceux qui recourent à ta droite contre les assaillants. Garde-moi comme la prunelle de l'œil. [...] Moi, dans la justice, je contemplerai ta face,  au réveil je me rassasierai de ton image. Mon divin Sauveur, si vous êtes ma justification, je n'aurai point de confusion de paraître en votre présence. Je serai rassasiée quand votre gloire m'apparaîtra ; je veux dire quand je verrai que les hommes la procureront en toutes leurs actions. C'est ce que je demande à votre bonté, et qu'en cette mission que vous m'aviez donnée d'un établissement qui vous honore, que nous n'y cherchions rien que vous et le salut des âmes. Revenant de ce long ravissement, j'étais toute honteuse de ce que Mademoiselle Guilloire m'avait attendue si longuement, car nous étions en l’Église Saint André-des-Arts qui est sa paroisse. Hé ! Dieu, que j'eus bien désiré d'être dans ma solitude ce matin-là, et de faire un festin des pensées qui me restaient après ce ravissement, mais m'ayant attendue pour dîner avec elle, sa patience et la civilité m'eussent rendue blâmable, joint que je ne lui voulus pas faire semblant du ravissement qui m'avait retenue, la laissant dans les pensées qu'elle avait, la connaissant autant discrète que charitable.

 

Chapitre 60

Comme on remit l'établissement du Verbe Incarné après le voyage que Monseigneur de Paris devait faire à Saint Aubin. Ce qui fut une providence, et que fut résoudre Madame de la Lande à fonder ses dévotions à l'Ordre Saint Benoît.

Quelques mois s'écoulèrent, attendant le temps propre pour présenter notre Bulle à Monseigneur de Paris, c'est de quoi je ne me hâtais pas. Mademoiselle de Longueville et Madame de la Rocheguyon, sa nièce, furent d'avis de la présenter, mais on dit qu'il fallait attendre, que l'heure n'était pas encore venue. Que Monseigneur de Paris la voulait mettre en son conseil composé de personnes doctes et pieuses de la piété desquelles on ne doutait pas. Mais on pensait que le dire de Saint Paul est véritable : que les hommes abondent en leurs sens, et que, sans crime, il leur est permis d'avoir plus de zèle pour les choses qu'ils agréent selon Dieu, que pour celles auxquelles ils n'ont point d'inclination. Les Anges, chez Daniel, étaient bien de différentes inclinations. Les uns et les autres avaient raison, et ils se fussent saintement résisté plus de vingt-deux jours, si la Majesté Divine n'eût envoyé Michel au secours de Gabriel auquel l'Ange de Perse avait résisté trois semaines à bon dessein, désirant de retenir le peuple d'Israël dressé au culte divin pour attirer par son exemple ceux desquels il avait la charge. Peut-être que le bon Monsieur Du Val, porté d'affection sainte pour l'Ordre des Carmélites, eût voulu rendre Paris une autre Mont Carmel, désirant de voir ès âmes dans des hautes contemplations. Monsieur le curé de St Nicolas des Champs, poussé de zèle charitable pour les âmes pécheresses, pensait de vous imiter, les cherchant et les portant sur ses épaules, par ses soins dans le couvent des filles de la Madeleine, laissant les 99 qui vivant en votre crainte dans la conduite de votre providence. Monsieur le Blanc, prié de favoriser les Filles du Saint Sacrement, pensait devoir honorer ce soleil par-dessus tous les astres et de procurer que ses splendeurs éclairassent de nouveau toute la ville de Paris. Il dit à Madame la Marquise de la Lande qu'il se fallait unir avec les Filles du Saint Sacrement, ne sachant pas que ces Filles n'y avaient point d'inclination, et que votre Majesté m'avait dit : Segregate mihi Saulum, et Barnabam in opus, ad quod assumpsi eos. (Ac 13, 2) Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l'oeuvre à laquelle je les ai appelés. Madame la Marquise de la Lande me vint dire ce que Monsieur le Blanc avait dit. Je lui fis réponse : «Madame, vous savez bien que les religieuses du Port Royal veulent établir cet Ordre sans nous admettre avec elles. Il y a de l'apparence que Dieu ne veut pas cette union, et qu'il se contente qu'elles et nous dans nos établissements différents convenions en unité de foi et d'amour pour ce Saint Sacrement». Monsieur Guial, Grand Vicaire de Monseigneur de Paris, fit dire à Mademoiselle de Longueville qu'il se promettait bien de faire exécuter notre Bulle sans qu'elle passât par le Conseil de Monseigneur de Paris, l'esprit duquel il ne voyait point contraire, puisqu'on lui avait dit qu'elle était sous l'obéissance de l'Ordinaire. Mademoiselle de Longueville, agréant les sentiments de Monseigneur Guial, avait disposé Madame de la Rocheguyon, sa nièce, d'envoyer la Bulle à Monseigneur Guial, mais Madame la Marquise de la Lande, pressée de son zèle ordinaire, craignant que Monseigneur Guial prolongeât trop cette exécution en attendant de trouver le temps propre pour en parler à Monseigneur de Paris, demandait la Bulle pour la faire présenter par d'autres qui presseraient plus que Monseigneur Guial. Mademoiselle de Longueville dit à Madame de la Rocheguyon : «Mon sentiment n'est pas de précipiter cette affaire ; vous ferez ce que vous trouverez bon, vous et Madame de la Lande. » Madame de la Rocheguyon, qui par devoir et par inclination désirait suivre les sentiments de Mademoiselle de Longueville, fit réponse qu'elle suivrait en tout ses conseils avec soumission et qu'elle savait bien que je les honorais avec toutes sortes de respect. Cependant Monseigneur de Paris vint visiter Mademoiselle de Longueville, avec laquelle était Madame de la Rocheguyon, les assurant qu'il désirait d'établir l'Ordre du Verbe Incarné, mais qu'il les priait d'ouïr les raisons qui le faisaient différer, qui étaient que les Filles du Port Royal, par la faveur de Madame la Duchesse de Longueville, avaient obtenu du Roi des lettres pour leur établissement et que Sa Majesté lui avait fait écrire par Mr de la Ville au Clerc d'exécuter leur Bulle dans laquelle il y avait trois évêques pour supérieurs et que l'on n'avait peut-être pas représenté à Sa Majesté que, si en un diocèse suffit un seul évêque, à plus forte raison devait suffire un évêque en son diocèse pour supérieur d'un monastère. «Je ne doute pas de la justice de mon bon prince s'il était informé de mes droits et que lui eût dit que cette Bulle rabaissait l'autorité de l'Archevêque de Paris, que sa bonté trop équitable ne goûtât les raisons que j'ai de refuser la Bulle de ces Filles, et me pousse d'établir celle du Verbe Incarné Si je l'établissais au refus de l'autre, sans avoir fait savoir à mon bon prince mes raisons, quelques personnes mal informées pourraient dire que je n'obéisse pas à ses inclinations et que ce n'est pas faire état de l'autorité de mon Roi. Mademoiselle, je ne vous demande que quatre ou cinq mois, lesquels je vais passer à Saint Aubin». Et s'adressant à moi il me dit : «Que dites-vous, ma fille, à ces raisons ? Ai-je tort ? Ne pouvez-vous pas attendre ? Je vois que Mademoiselle de Longueville et Madame de la Rocheguyon sont de mon sentiment. » A ces paroles, je répondis : «Monseigneur, j'aurais mauvaise grâce d'y résister, (que je reconnaissais l'excès de bonté à demander le sentiment de celle qui fait gloire de suivre et d'obéir à vos volontés,) sans m'informer plus avant des raisons qui vous font justement différer, ce que selon icelles vous ne pouvez sitôt exécuter ; il y aura assez de temps après votre retour de Saint-Aubin». Ce voyage me fit penser que Madame de la Lande, pressée d'un saint zèle, ne pouvant attendre, se porterait à une fondation de l'Ordre de Saint Benoît ce qu'elle fit ainsi. Votre providence, ô mon Divin Amour, gouverna les esprits de ces dames, leur conservant la paix et la dilection et me délivra des appréhensions que j'avais que je ne les sus pas contenté toutes deux si elles étaient ensemble fondatrices.

 

Chapitre 61

Qu’on me manda de Lyon d’y venir et fairee le voyage pour gouverner la Congrégation qui était à la veille de se dissoudre et comme la Divine Providence me consola, me promettant son aide avec abondance, m’exhoratnt à la perfection.

Quelques jours après, je reçus des lettres de la Congrégation de Lyon qui me mandaient qu'elles n'étaient que quatre et que deux étaient dans des résolutions de quitter si je ne retournais tôt à Lyon, et pour me persuader qu'elles ne dissimulaient pas, elles me firent écrire par les R. Pères Jésuites. Le R. P. Binet avait répugnance que je sortisse de Paris. Il voulut écrire au R. P. Milieu pour savoir de lui s'il était absolument nécessaire que je fisse le voyage à Lyon. Il manda que oui, et que j'apportasse force argent parce que les quatre filles de la Congrégation n'avaient rien, et étaient endettées. Le R. P. Binet me dit : «Ma fille, il faut que vous alliez à Lyon, pendant que Monseigneur de Paris fera son voyage de Saint Aubin, mais ne manquez pas de revenir après Pâques. Qui quitte la partie la perd. Je maintiendrai Monseigneur de Paris dans ces bonnes volontés ; on peut exécuter votre Bulle sans la remettre en son conseil. » Mademoiselle de Longueville et Madame de la Rocheguyon me permirent de venir dans Lyon pour quatre mois. Tout était d'accord pour ce voyage, et moi, comme les autres fois, je ressentais des indicibles résistances, versant des torrents de larmes devant vous, mon Seigneur, appréhendant comme je pourrais nourrir quatre filles à Lyon et trois que j'emmenais avec moi. Divin Paraclet, vous me voulûtes faire connaître que vous étiez mon consolateur, mon protecteur, et ma providence, me disant : «Ma fille, dit avec le Roi-Prophète : Dominus regit me, et nihil mihi deerit : in loco pascuæ ibi me collocavit. (Ps 22, 2) Yahvé est mon berger, rien ne me manque. Sur des prés d'herbe fraîche il me parque. Le Seigneur te régit, rien ne te manquera. Il pourvoira à tout, n'appréhende pas d'avoir nécessités, confie-toi en la Divine Providence. Jacta super Dominum curam tuam, et ipse te enutriet (Ps 54, 23)  Décharge sur Yahvé ton fardeau et lui te subviendra. Peu de jours après cette assurance de la part de votre bonté, j'entrais dans l'église des R. Pères de l'Oratoire à la rue Saint Honoré. Étant à genoux devant le grand autel, vous élevâtes mon esprit à vous, me faisant voir un ciel qui s'inclinait à moi, lequel était couvert de manne en façon de grain de coriandre blanc comme neige. Au milieu de ce ciel était une colombe qui me figurait le Saint Esprit. J'admirais comme ce ciel pouvait être suspendu et porté et produire la manne qu'il soutenait miraculeusement du côté de la terre. Cette manne s'épanchait à moi et me semblait connaître d'une façon mystique que je m'en allais à Lyon, et qu'elle me suivait comme si elle eût eu du sens et de la connaissance pour avoir de l'inclination à me suivre ; mais je ne m'en dois pas étonner, puisque vous me pouvez aussi bien faire suivre à cette manne mystique, comme vous ordonnâtes et la donnâtes le cours où l'instinct à l'eau miraculeuse qui sortit de la pierre frappée par Moïse de suivre le peuple d'Israël pour leurs besoins. Votre amour est votre poids, par lequel vous employez vos créatures au service et au secours de ceux ou de celles que vous aimez, parce que vous êtes bon et infiniment miséricordieux. Voyant que vous vouliez que je m'en vinsse à Lyon, me promettant ce que Jacob vous demandait, le vivre et le vêtement, non seulement pour moi, mais pour toutes les filles que vous me donneriez. Je fis mon possible pour obtenir permission de Madame de la Rocheguyon de venir à Lyon pour quatre mois. Pour gage de mon prompt retour, elle me dit qu'elle voulait garder la Bulle, à quoi je ne résistais pas, pour ne lui donner à penser que je ne retournerai pas si tôt qu'elle pensait et que j'eus désiré à l'heure que je lui parlais. Je savais bien que je ne serais pas sitôt religieuse dans Lyon que je l'eusse été dans Paris ; c'est de quoi vous me voulûtes avertir. Je ne sais ci c'était pour éprouver mon courage et ma confiance et ma fidélité. Je voulus obéir à vos ordres par action, comme je les avais suivis par écrit, par paroles et par pure intention de votre gloire et du bien de mon prochain. Madame de Beauregard me vint voir pour me dire que mes filles de Lyon l'avaient priée de me faire entendre la nécessité qu'elles avaient de mon retour, et qu'elle leur avait promis de faire son possible pour me ramener. Je lui dis : «Madame, je suis prête de partir quand il vous plaira. Je bénis le Verbe Incarné qui me met sous votre protection et conduite ; que j'espère m'être autant et plus favorable que celle où il me mit quand je sortis de Lyon, qui fut Monsieur de Pure auquel j'ai des immortelles obligations des soins qu'il eut de moi et des faveurs que lui et Madame sa femme m'ont faites. » Apprenant que le R. P. Jacquinot, après ses visites comme Provincial s'était rendu à Paris, je le fus voir et lui dis comme nos filles de Lyon me pressaient d'y faire un voyage ; ce qu'il trouva à propos, de crainte qu'elles ne quittassent la Congrégation. La veille de l'Apôtre Saint André, mille six cents vingt huit, j'étais entrée dans Paris et quatre ans après, à même jour, veille Saint André, je sortis de Paris, ayant l'âme fort triste et ma face baignée de larmes, amenant trois filles avec moi, j'étais la quatrième. Celle qui m'était la plus intime était ma Soeur Élisabeth Grasseteau dont la fidélité est admirable, non seulement à vous, mais à moi. Tout l'Ordre du Verbe Incarné la doit louer jusqu'au dernier jour pour ses vertus, principalement pour sa constante résolution qui n'a pu être ébranlée, quelle sollicitation que l'on ait pu faire pour me quitter, lui représentant qu'elle perdait son temps, et s'assurait en des vaines espérances, que l'Ordre du Verbe Incarné ne serait jamais établi, que j'étais ordinairement malade, que si je mourais tout le dessein serait rompu. Cher Amour, il faut espérer contre tout désespoir pour ce pauvre Institut. «Ma fille, fais comme Abraham. Marche en ma présence, et sois parfaite». Dieu de mon coeur si, en parlant, vous me donniez la perfection, sans attendre ma correspondance, je serais aussitôt parfaite, mais comme vous ne jugez pas à propos de me donner la perfection, en me disant de travailler pour l'acquérir, voulant que connaisse ma faiblesse par mes propres chutes, jusqu'à ce que je vous puisse dire, m'étant reconnue infirme en moi, alors je me suis vue forte en vous, pouvant tout en Celui qui me fortifie. Parfois vous m'approchez de vous, me donnant confiance par les paroles de ce Vase d’Élection : Deponentes omne pondus, et circumstans nos peccatum, per patientiam curramus ad propositum nobis certamen : aspicientes in Auctorem fidei, et consummatorem Jesum, qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem, confusione contempta, atque in dextera sedis Dei sedet. Recogitate enim eum, que talem sustinuit a peccatoribus adversum semetipsum contradictionem : ut ne fatigemini, animis vestris deficientes. Nondum enim usque ad sanguinem restitistis. (He 12, 1-4) Nous devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège et courir avec constance l'épreuve qui nous est proposée, fixant nos yeux sur le chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus, qui au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l'infamie, et qui est assis désormais à la droite du trône de Dieu.  Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude de vos âmes.  4 Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang.

 

Chapitre 62

De mon arrivée à Lyon ; des larmes que je versai en prenant la conduite de la Congrégation du Verbe Incarné sous la commission de votre Sainte Mère et des souffrances que j’eus de deux personnes.

Nous arrivâmes à Lyon l'onzième de décembre, un samedi, mais comme le carrosse de Madame de Pure, qui nous avait pris en descendant du coche, ne put pas nous rendre à notre Congrégation, n'ayant que deux chevaux, il nous rendit chez Madame Colombe, laquelle nous pria de coucher cette nuit chez elle, puisqu'il était fort tard pour monter notre montagne. Nous suivîmes son conseil et acceptâmes sa charité. Le lendemain matin, je voulus aller à Saint Joseph pour recevoir la lumière en l'église de ce saint, nécessaire à la conduite de votre famille, ô Divin Verbe Incarné qui aviez choisi ce grand patriarche pour votre père nourricier, duquel vous vous rendîtes le sujet comme le fils, le nommant votre père. Je lui demandai, tendre Amour, révérence et fidélité envers vous. Je priais votre sainte mère de me regarder comme celle qui dépendait absolument de ses ordres, et que je la considérerai toujours comme la supérieure de notre Congrégation, et que, d'elle, je recevrai la commission de la gouverner en son nom, comme sa vicaire, quoique je me reconnusse très indigne de ce nom, et très incapable de cette conduite; mais que, la considérant mon espérance, après Dieu, je recevais avec humilité cette charge. Après midi, je montai la sainte montagne, non avec esprit de joie, mais de tristesse. Je versais mon coeur par mes yeux, quand je fus dans notre chapelle, pendant que nos sœurs m'attendaient au chœur, chantant le Te Deum (BR. Ad Matutinum) .A toi Dieu. Baignée de mes larmes, je les embrassais toutes comme mes sœurs et mes filles; la vue des petites pensionnaires me réjouit. Seigneur, que de la bouche de ces enfants votre louange soit parfaite. Nourrissez-les de vos mamelles amoureuses, comme j'espère. Quelques jours après mon arrivée, le R. P. Poiré me vint voir, et par une grande charité, il m'offrit toutes les assistances du grand collège dont il était Recteur. Ma Soeur Catherine Fleurin, me fit récit des vertus et de la prudence de ce Père, me priant de ratifier la prière qu'elle lui avait faite de prendre la peine de diriger notre Congrégation, me racontant les afflictions qu’elle avait eues par les importunités de deux personnes incapables du gouvernement qui l'y recherchaient avec passion. Ces deux personnes montrèrent tant de témoignage de joie de ma venue, qu'il semblait qu'elle leur eût apporté les avantages qu'elles présumaient d'avoir, qui étaient d'être absolues en la conduite de la Congrégation. L'avertissement de cette fille, et l'expérience que je fis de leur peu de capacité me fit résoudre à prier de nouveau le R. P. Poiré de m'assister de ses conseils comme sa charité me les avait offerts. Il me dit: «Très volontiers, ma Mère. » Je le priais de me conduire comme sa fille spirituelle et qu'il fit avancer la Congrégation du Verbe Incarné à la perfection à laquelle elle était obligée, qui est d'imiter celui duquel elles portent le nom. Les deux qui pensaient être maîtres, se voyant bien loin de leurs espérances, se résolurent de dresser des batteries que je ne prévoyais pas. Je parlais à l'un et à l'autre avec ma franchise ordinaire, leur témoignant la résolution que j'avais de persévérer sous la conduite du R. P. Recteur qui était plein de prudence, de sagesse et de piété. Ils avisèrent comment ils pourraient faire pour me donner de l’aversion de ce père, mais ils ne purent venir à bout de leur dessein. Le plus suffisant ne me faisait pas paraître qu'il voulait me faire haïr ce père mais ils suggèrent à l'autre tout ce qui me pourrait faire concevoir une haine de lui et de sa conduite. Le conseiller, qui cachait son venin, ne pouvant me voir si souvent que celui à qui il donnait ces bons conseils, lequel me voyant se résolut de m'ôter mes pensionnaires et celles de mes filles qu'il pensait que j'aimais plus, ce qu'il fait encore à présent quand il leur peut parler ou leur faire parler par d'autres; mais, comme vous dîtes, ô mon Seigneur: Non rapiet eas quisquam de manu mea. Pater meus quod dedit mihi, maius omnibus est: et nemo potest rapere de manu Patris mei. (Jn 10, 28-29) Nul ne les arrachera de ma main. Mon Père, quant à ce qu'il m'a donné, est plus grand que tous. Nul ne peut rien arracher de la main du Père. Il n'a pu par toutes ses inventions m'arracher celles que j'ai voulu garder, parce que vous me les avez données, et que votre main qui est plus forte que moi, les a retenues, quelle invention qu'il ait faite pour les mettre dehors, celles qu'il a sorties sont celles que votre providence n'a pas voulues dans son Ordre et que j'ai laissé aller à leur volonté. Très cher Amour, comme je n'ai point de fiel pour tous ceux qui m'ont fait souffrir, je ne veux point avoir de plume pour spécifier et déduire les maux qu'ils m'ont voulu faire puisque votre bonté m'a toujours consolée quand ils pensaient de m'affliger. Je veux dire avec l'Apôtre que ces souffrances, quoique ceux qui en ont su la millième partie les estiment très grandes, ne sont pas comparables aux délectations que vous m'avez communiquées. J'en ai écrit une partie dans les cahiers que Son Éminence fit emporter le premier jour de décembre, elle peut voir ce que j'ai écrit depuis 1633. Je commençai au mois d'avril, après mon retour de Paris, et, si je me souviens bien, ce fut en marquant la faveur que vous me fîtes par vos cinq plaies. Je fus quatre mois sans marquer par écrit les grâces que vous me faisiez. Je ne pouvais pas beaucoup écrire parce que j'avais mal aux yeux et que j'étais, comme je suis encore quasi ordinairement, malade; le soin que votre bonté a eu de me réjouir pendant qu'on cherchait toutes sortes d'inventions de m'affliger, sachant que je ne m'en pouvais plaindre à elle, qui ne m'a pas été une petite mortification. Et vous, mon Dieu et mon tout, en soit éternelle bénédiction. Vous l'avez permis et je ne m'en plains point aux créatures de la terre; à vous mon Seigneur, je me suis adressée plusieurs fois quand cette privation me semblait rigoureuse. Vous me disiez que vous le permettiez pour votre gloire et pour m'éprouver, que je ne perdisse point courage, que je me souvins de ces paroles: Ps. 116 Lapidem quem reprobaverunt aedificantes: hic factus est in caput anguli. A Domino factum est istud: et est mirabile in oculis nostris. (Ps 117 22-23) La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l'angle. C'est de Yahvé que cela est venu: c'est un prodige à nos yeux. Chère fille, l'Ordre se fera au jour que je montrerai ma puissance de ma dextre, jour duquel vous pourrez dire: Haec est dies, quam fecit Dominus: exultemus, et laetemur in ea. (Ps 117, 24)   C'est ici la journée que Yahvé a faite: Qu'elle soit pour nous un sujet d'allégresse et de joie ! Cher Amour, nous vous disions en général et en particulier: O Domine salvum me fac, o Domine bene prosperare: benedictus qui venit in nomine Domini. (Ps 117, 25-26) O Yahvé, accorde le salut ! O Yahvé, donne la prospérité ! Béni soit celui qui vient au nom de Yahvé ! Vous nous bénirez dans votre maison de grâce des bénédictions de votre maison de gloire, Deus Dominus, et illuxit nobis. (Ps 117, 27) Yahvé est Dieu, il nous illumine. Vous rendrez ce jour solennel et vous remplirez de votre liesse par les abondances des faveurs que nous recevions à nos autels, où nous vous rendions nos vœux; chacune de nous vous dira: Deus meus es tu, et confitebor tibi: Deus meus es tu, et exaltabo te. Confitemini Domino quoniam bonus: quoniam in saeculum misericordia eius. (Ps 117, 28-29) C'est toi mon Dieu, je te rends grâce,  mon Dieu, je t'exalte; je te rends grâce, car tu m'as exaucé, tu fus pour moi le salut. Rendez grâce à Yahvé, car il est bon, car éternel est son amour !

 

Chapitre 63

Comme le Verbe Incarné changea les sentiments d’un Père qui avait contredit quatre années à son Ordre, après quoi il fut le plus zélé de son avancement.

Ayant le R. P. Recteur pour notre directeur, nous eûmes presque tout le collège. J’apprit que le R. P. Gibalin s'était déclaré, si je l'ose dire, le persécuteur de l'Ordre du Verbe Incarné, et qu'il déclamait contre celle qu'il ne connaissait pas; les lettres qu'il écrivait à sa nièce à présent supérieure et première religieuse de l'Ordre, marquent les sentiments d'aversion qu'il avait conçus contre toutes les imaginations de Jeanne de Matel, de laquelle il parlait selon qu'il jugeait d'elle; ces lettres m'ont donné sujet de joie quand je les ai lues, sa nièce les ayant gardées pour me les faire voir par les mains du celui qui les avait écrites devant m'avoir vue. J'en réservais encore une. L'avant-veille de Noël, je l'envoyais prier de nous prêcher le jour de votre Nativité. O mon tout humble Verbe Incarné, vous fîtes voir que vous appeliez les choses faibles pour confondre les forts. Ledit R. P. me voulut venir  voir armée des raisons qu’il croyait être invincibles pour me prouver le peu d’apparence qu’il y avait que ses nièces se tinssent en l’espérance d’être de l’Ordre du Verbe Incarné. Il commença sa première visite avec une mine autant dédaigneuse que sa parole. Je tachai d’être le plus civile qu’il me fut possible, et après l’avoir ouï, je lui dis qu’il avait eu beau résister, que  vous avait prié qu’il fut notre Saint Paul converti. Il trouva plus de douceur en mes réponses qu’il n’avait préparé de rigueurs en ses propositions.

J’admirais comme votre Majesté le convainquait, car je disais fort peu. Vous lui pouviez dire : Durum est tibi contra stimulum calcitrare. «Mon Père, lui dis-je, Dieu vous destine pour avoir soin de toutes les maisons de l’ordre, comme Saint Paul de toutes les églises.»

Très cher Amour, vous savez bien que j’ai traité simplement et naïvement avec tous mes confesseurs et directeurs, et que je ne leur ai point celé mes imperfections ni vos grâces. Le R. P. Poiré, désirant que le R. P. Gibalin lui aidât à l’avancement de cet ordre,  lui témoigna une confiance particulière en des entretiens familiers. Mon contentement était grand de les voir unis à contribuer tous leurs soins pour cet institut. Ils me dirent que, puisqu’en mon absence on avait envoyé à Rome, que je devais attendre à Lyon la Bulle qu’on avait demandée sans me le faire savoir et que je ne devais pas penser de m’en retourner à Paris, que cette congrégation de Lyon ne subsisterait pas, et qu’il y avait de l’apparence que votre Majesté me voulait en cette ville pour établir au plutôt cette maison. «Mes Pères, cela sera bien long à attendre, mais comme je n’ai pas quitté Paris que par le conseil de vos Pères, je demeurerai à Lyon, suivant le vôtre.»

Les premières nouvelles que nous reçûmes  furent que Monseigneur le Cardinal de Bentivogle n’avait pas trouvé la supplique qu’on avait envoyée de Lyon conforme à celle qu'on envoya à Paris; de là on put voir comme, sans m'avertir, on dressa ici une supplique qui fut si mal composée et si éloignée du dessein que votre Majesté m'avait montré, que cette supplique fut cause que l'on attendit trois ans sans avoir une Bulle, et, si on n'eût avancé l'argent au banquier, qui est une avance contre la prudence ordinaire et qui a été cause que la Bulle m'a coûté au double, près de douze cents livres, ne l'ayant pas demandée, je n'ai pas laissé de la payer, si on m'eut avertie, peut-être que j'eus trouvé meilleur de demander un sumptum de celle de Paris. Très cher Amour, je connus bien que celui qui avait avancé une partie de l'argent que je lui ai rendu n'avait pas assez de conduite pour conduire des affaires qui demandaient un esprit et un jugement autres que le sien, et que j'aurais beaucoup à souffrir si je ne renvoyais cet homme qui se voulait rendre absolu en notre Congrégation, mais le R. P. Gibalin fut son Avocat pour me faire résoudre à souffrir ce qu'il n'est pas à propos de mettre ici. Vous, soyez béni de tout, ô mon divin Amour, qui m'avez consolée en toutes mes afflictions avec tant d'abondance que je peux dire que vos consolations ont surpassé mes croix, quoiqu'elles aient été grandes selon le jugement des plus sensés qui m'ont dit (après que j'ai été contrainte de dire les raisons pour quoi j'ai renvoyé la personne qui les produisait) que le R. P. Gibalin avait été non seulement sévère, mais cruel de me persuader de souffrir cette personne dont les mauvais traitements me devaient avoir fait mourir d'affliction, lesquels je ne disais pas à mes filles, leur louant à tous cette personne, de laquelle je ne peux dire la haine qu'elle a conçus contre moi, qu'en me servant des paroles de Job: Collegit furorem suum in me, et comminans mihi, infremuit contra me dentibus suis: hostis meus terribilibus oculis me intuitus est. (Jb 16, 10)  Sa colère déchire et me poursuit, en montrant des dents grinçantes. Mes adversaires aiguisent sur moi leurs regards. Le R. P. Poiré résolut de souffrir avec moi, ne me voulut pas commander de renvoyer le sujet de mes peines, laissant à la discrétion du R. P. Gibalin de l'ordonner. Me plaignant à lui, il me disait: «Ma fille, vous avez trop de courage pour ne pas surmonter tout par la bonté de votre coeur, aidée de tant de grâces de Dieu qui vous caresse si fort par des faveurs si extraordinaires, » lesquelles faveurs j'ai écrites autant que le peu de santé que j'ai eu m'a pu permettre comme j'ai dit ci-devant et que Son Éminence les peut voir s'il lui plaît, en divers cahiers, desquels je ne sais pas le nombre, non plus de ceux qui m'ont été pris en mon absence. Je prie votre Majesté que ceux qui les ont, fassent profit de vos bontés, si largement répandues sur moi qui suis très indigne de ces grandes caresses, lesquelles vous m'avez communiquées parce que vous êtes bon, me voyant privée des consolations que toutes les religieuses de ce diocèse ont, desquelles je me reconnais très indigne, parce que ce qui est grâce ne peut être mérité. J'ai fait quelquefois mes plaintes à vous, ô mon Divin Consolateur, vous demandant pourquoi vous permettez que mes filles innocentes fussent délaissées pour mes fautes, car je pense que je suis la cause de leurs ennuis, et selon que je le peux connaître, je dis vérité, et que pour ce qui me concerne je ne me mets pas en peine du long retardement. Je ne désire rien que votre volonté sur moi et sur toutes mes intentions comme la règle de tous mes désirs.

 

Chapitre 64

Que les Serafins me promirent de pourvoir à tout ce qui serait nécessaire pour fonder le temporel de l’Ordre du Verbe Incarné, promesse qu’ils ont fidèlement accompli selon les divines inclinations.

Le vendredi ou samedi, veille de Pentecôte, 1633, pleurant au soir devant votre Majesté qui repose dans son tabernacle, qui est son trône d'amour, j'entendais vos séraphins, qui sont les proches voisins de vos flammes comme esprits ardents et amoureux selon vos divines inclinations, qui se disaient les uns aux autres: Soror nostra parva est et ubera non habet, quid faciemus sorori nostrae in die quando alloquenda est ? Si murus est aedificemus super eum propugnacula argentea. (Ct 8, 8-9) Notre soeur est petite: elle n'a pas encore les seins formés. Que ferons-nous à notre soeur, le jour où il sera question d'elle ? Si elle est un rempart, nous élèverons au faîte un couronnement d'argent. Leur demandant en quel sens ils disaient ces paroles des cantiques d'amour, ils me firent entendre: Tu es notre petite sœur qui n'a point de mamelles pour nourrit les enfants de cet Ordre. Quand il faudra parler de fonder le temporel, nous te promettons de procurer auprès de la Divine Providence tout ce qui est nécessaire pour fonder à ton nom, et de ce qu'elle te donnera pour le lui rendre sans être obligée aux créatures de la terre de cette fondation. Sache, ô notre chère soeur, que le Roi magnifique, ton Époux et ton Seigneur et le nôtre, fera retarder son établissement jusqu'au temps que nous aurons, par ses ordres, pourvu à tout ce qui sera de besoin. Il ne veut pas fonder la première maison de cet Ordre par des dames, qui veulent leur temps et non le sien, lequel viendra. Il ne veut pas donner à un autre la gloire de cette fondation, sa grâce, son esprit et les biens qu'il te donnera suffiront à fonder. Console-toi et mets ta confiance en celui qui n'a point voulu d'autre matière pour se revêtir d'un corps que la pure substance d'une vierge lequel a résolu de te donner ce qu'il veut recevoir de toi pour établir son Ordre; aie patience, et tu verras grandes choses; aie toujours des sentiments avantageux, des amours que sa bonté a pour toi. Le ciel et la terre passeront, et sa parole demeurera. Il accomplira tout ce qu'il t'a promis, et tout ce qu'il nous a ordonné de te promettre, parce que tel est son plaisir. Comme il possède tous les trésors de la science et sapience du Divin Verbe Divin et son Fils unique. Il a, étant Verbe Incarné, en ses mains tous les sorts et tous les trésors qu'il veut donner à ceux et à celles qu'il aime, du nombre desquels tu es, par son infinie charité, à laquelle tu es indiciblement redevable. Votre éloquence, purs esprits sans matière, ravit mon entendement et votre céleste rhétorique me persuada, ce de quoi je ne pourrais douter sans paraître méconnaissante des faveurs de ce Dieu de bonté, qui vous a commandé, non seulement de me garder, mais de pourvoir à ce qu'il faut pour édifier son temple. Très cher Amour, ces promesses que vos séraphins ont faites à celle que vous daignez nourrir des mamelles de vos miséricordes ne me sont pas difficiles à croire, car je sais par ma propre expérience que vous m'avez toujours donné plus que je ne pourrais demander. Je veux selon votre parole chercher en première intention votre Royaume d'amour et sa justice, et tout ce qu'il m'est nécessaire m'arrivera en conséquence, Père très béni, Époux incomparable, vous m'avez plusieurs fois fait entendre: «Celui qui a soin de revêtir des beautés ravissantes les lys des champs, qui ne filent point, et qui nourrit les oiseaux, lesquels ne sèment pas pour leur nourriture, ayant soin des corbeaux délaissés, pourrait-il bien s'oublier de donner la nourriture et les ornements sortables à la royale grandeur d'une épouse; la pourrait-il laisser en nécessité, soit du corps, soit de l'esprit, en voyant que, pour lui être fidèle, elle a été délaissée de son père selon le corps, et qu'elle l'est encore de celui qui l'est selon l'esprit. Non, non, ma bien-aimée, ne crains point d'être délaissée de moi, Delectare in Domino: et dabit tibi petitiones cordis tui, Revela Domino viam tuam, et spera in eo: et ipse faciet. Et educet quasi lumen justitiam tuam: et judicium tuum tamquam meridiem: subditus esto Domino, et ora eum. Noli aemulari in eo, qui prosperatur in via sua:(Ps 36, 4-7)   Mets en Yahvé ta réjouissance: il t'accordera plus que les désirs de ton coeur. Remets ton sort à Yahvé, compte sur lui, il agira; il produira ta justice comme le jour,   comme le midi ton droit. Sois calme devant Yahvé et attends-le, ne t'échauffe pas contre le parvenu, l'homme qui use d'intrigues. Sustinentes autem Dominum, ipsi hereditabunt terram, et delectabuntur in multitudine pacis. (Ps 36,9) Qui espère Yahvé possédera la terre, posséderont la terre, réjouis d'une grande paix. Ma fille, vis joyeuse dans l'abondance de la paix que je te donne, délecte-toi en moi qui suis la pétition la plus favorable que ton coeur puisse désirer. Je n'attends pas que ta bouche me prie; j'exauce les désirs de ton coeur dénué des affections des créatures. » Mon bien-aimé, si vous ne m'assuriez que ce coeur est mis en cette disposition par votre providence, je craindrais quelquefois que ce fût une superbe qui lui fait mépriser tout ce qui est bas. Vos anges tous de feu m'ayant promis de votre part qu'ils auraient soin de ce qui me sera nécessaire, je me fie en leurs promesses que j'estime aussi constantes que leurs essences, étant des esprits invariables, je n'en dois pas douter, comme des hommes qui sont sujets aux changements. Job dit que l'homme ne demeure pas en un même état tandis qu'il est dans cette vie. La confiance que j'ai en ces esprits charitables m'a plusieurs fois relevé le coeur quand je me suis vue assaillie des ennuis qu'une espérance différée peut souvent reproduire en une âme qui est en la voie sujette aux imperfections qui accompagnent cette vie misérable, expérimentant leur prompt secours. Je les invoque en mes besoins avec autant de foi que je sais qu'ils ont de fidélité.

 

Chapitre 65

Que le Verbe Incarné agréa que ses esprits ardents me recussent en leurs chœurs et que les autre huit chœurs m’aillent familièrement instruit de leur ordre hiérarchique et des lumières qu’il m’a COMMUNIQUÉeS sur l’onzième chapitre d’Ezéquiel à sa gloire et de son auguste Mère.

Un jour de la fête Saint Edmond, 16 novembre, entendant la sainte messe, me plaignant de ce que je demeurais tant sans être religieuse, votre bonté pressa ces esprits séraphiques de me consoler. Ils ravirent mon esprit en la présence de votre Majesté, ils me disaient qu'ils me recevraient en leur chœur pour vous louer avec eux, en disant: «Saint, Saint, Saint. » Dès ce jour, je fus si embrasée de leur vive flamme, que je me voyais brûler de ce feu séraphique. Mon coeur et ma poitrine semblaient être une fournaise. Les esprits embrasés et les autres huit chœurs ont été les ambassadeurs que votre Majesté m'a souvent envoyés pour m'enseigner des mystères que je ne pouvais apprendre des hommes. Vous me fîtes entendre que vous preniez plaisir que je converse avec eux, et que vous leur aviez ordonné de m'éclairer de leurs lumières, de m'expliquer comme il purge, éclaire et perfectionne, comme ils sont purgés, éclairés et perfectionnés en leurs ordres hiérarchiques; purgation qui instruit; clarté qui embellit; perfection qui les relève dans les sublimes connaissances des excellences divines. Ils m'enseignent comme ils sont les trônes où votre Majesté se plaît de reposer, et comme les chérubins reçoivent les lumières de science et de sapience, et les séraphins les pures flammes étant vos plus proches voisins du feu qui est assis à la dextre de gloire, qui est votre sainte Mère, ô mon Divin Amour laquelle ayant été en cette terre le buisson ardent sans consommer, elle est maintenant dans l’Empyrée. Ce trône admirable qui fut vu par le prophète, Ézéchiel lorsqu'il eut la faveur, étant auprès du fleuve Chobar, au milieu des prisonniers, de voir les visions de Dieu: Cum essem in medio captivorum juxta fluvium Chobar, aperti sunt caeli, et vidi visiones Dei. (Ez 1, 1) Alors que je me trouvais parmi les déportés au bord de fleuve Kebar, le ciel s'ouvrit et je fus témoin de visions divines. Il vit libre d'esprit cette vierge qui est ce trône au-dessus des chérubins et séraphins, Firmamentum, quod erat super caput eorum. (Ez 1, 25) Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes. Ce firmament sur le chef des chérubins et séraphins nous montre que leurs sciences et leurs lumières sont permanentes et fixées, parce que votre sapience les a faites des essences spirituelles intelligentes, invariables, non seulement en leur élection mais en la grâce et en la gloire que vous leur donnâtes après leur protestation et confirmation de fidélité à votre Majesté de laquelle ils reconnurent tenir la nature et la grâce, reconnaissance qui les disposa à recevoir la gloire qui fut en eux une suite de la confirmation de la grâce, gloire qui est comparée au firmament parce qu'elle ne leur sera jamais ôtée; leur entendement sera éclairé l'éternité entière de vos lumières adorables comme des firmaments solides. Et super firmamentum, quod erat imminens capiti eorum, quasi aspectus lapidis saphiri similitudo throni: et super similitudinem throni, similitudo quasi aspectus hominis desuper. Et vidi quasi speciem electri, velut aspectum ignis intrinsecus eius per circuitum: a lumbis eius usque deorsum, vidi quasi speciem ignis splendentis in circuitu: Velut aspectum arcus cum fuerit in nube in die pluviae, hic erat aspectus splendoris per gyrum. Haec visio similitudinis gloriae Domini, et vidi, et cecidi in faciem meam.(Ez 1, 26-28)  Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose qui avait l'aspect d'une pierre de saphir en forme de trône, et sur cette forme de trône, dessus, tout en haut, un être ayant apparence humaine.  Et je vis comme l'éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour,  et depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour; l'aspect de cette lueur, tout autour, était comme l'aspect de l'arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C'était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je regardai, et je tombai la face contre terre. La mère du souverain Dieu est ce trône relevé à la dextre de son fils; c'est son trône adorable de la matière duquel il a pris un corps, lequel est hypostatiquement uni à sa personne divine qui en est le support. Elle est en son âme toute de feu et de flamme puisqu'elle aime seule, plus que tous les bienheureux ensemble. En son corps elle est cette pierre de saphir où s'est enserré le Fils de Dieu, s'y faisant homme, prenant d'elle son humanité. Il lui a conféré d'une manière ineffable sa divinité qui est feu, laquelle elle a porté neuf mois entiers. Sortant de ses flancs son enfant, il est demeuré dans elle comme son Dieu, non seulement de cette demeure de grâce commune à tous les justes, mais d'une demeure privilégiée qui la fait reconnaître en son âme: Velut aspectum ignis, intrinsecus eius per circuitum: a lumbis eius et desuper, et a lumbis eius usque deorsum, vidi quasi speciem ignis splendentis in circuitu.(Ez 1,27) Et je vis comme l'éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessus; je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour;  Ses entrailles qui ont porté le Verbe Incarné sont remplies et environnées de splendeurs. Elle est cet arc, cet iris, et cette nuée admirable qui nous a donné la pluie qu'elle enfante et produit en terre. Et comme elle est le milieu de la terre, Dieu a opéré en elle et avec elle notre salut, nous environnant de grâces par elle. Elle est le signe de notre paix, elle nous a apporté l'abondance: Velut aspectum arcus cum fuerit in nube in die pluviae. (Ez 1, 28) l'aspect de cette lueur, tout autour, était comme l'aspect de l'arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. Il n'y a point d'esprit éclairé de la lumière de la foi catholique qui veuille disputer contre cette vérité que vous êtes l'image de votre divin père je veux écrire qu'il n'y a point de vrai catholique qui ne confesse quand ce ne serait que par bienséance qu'en votre humanité vous êtes l'image de votre sainte mère laquelle vous a porté dans son sein et en ses flancs virginaux vous qui êtes un feu étant le Verbe du Père qui est le principe qui vous engendre. Vous êtes avec lui et le Saint Esprit une même essence, un Dieu tout feu ce que Moïse avait connu et que Saint Paul affirme parlant du règne immobile que lui est ces imitateurs recevaient en conséquence de la grâce disant: Itaque regnum immobile suscipientes, habemus gratiam: per quam serviamus placentes Deo, cum metu et reverentia. Etenim Deus noster ignis consumens est. Hébreux 12, 28 Ainsi, puisque nous recevons la possession d'un royaume inébranlable, retenons fermement la grâce, et par elle rendons à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec religion et crainte, et Saint Jean dit: Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus: quoniam videbimus eum sicuti est. Jean 3, 2-3. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est. Nous ne pouvons douter que la Vierge Mère du Verbe Incarné ne soit conformée, configurée, transfigurée et transformée par une admirable transformation à l'image du Père qui est son Fils par indivis comme il est le caractère du Père qui l'engendre dans les divines splendeurs dès l'éternité. Je suis la plus naïve ressemblance de ma mère qui m'a conçu et enfanté dans la plénitude des temps. Je suis l'image vivante de mon Père, en moi la vierge ma mère est tirée au vif et au naturel, parce que je suis une partie de sa substance. Je suis os de ses os, chair de sa chair, sang de son sang, ayant d'elle reçu les mêmes qualités naturelles, si qu'il se peut dire, parlant de mon humanité: Qui me voit, voit ma mère; qui voit ma mère me voit. Nous avons autant de vraie ressemblance qu'une mère unique et un fils unique en peuvent avoir. Ma mère est toute belle, et moi, je suis le plus beau des enfants des hommes. Ma mère est la mère de belle dilection et moi je suis l'enfant d'amour. Ma mère est toute de feu et moi, je suis tout de flamme. Ma mère est mon trône de saphir, et moi, je suis sa demeure d'ivoire; elle est en moi, et moi en elle. Ma mère s'est toujours transformée de clarté en clarté, de grâce en grâce, jusqu'à être arrivée à la sublime transformation de la gloire par l'esprit que le Père et moi produisons, lequel a pris un singulier plaisir de la rendre le complément saint de toute notre auguste Trinité en laquelle la troisième personne n'opérant rien, étant le terme de toutes les opérations au dedans. Il a voulu continuellement opérer des merveilles au dehors en ma mère; et parce que nos opérations sont communes au dehors, nous avons opéré avec lui ces merveilles que les hommes et les anges admireront et que nous aimerons une éternité entière parce qu'elle sont des merveilles de nature, de grâce, et de gloire, en celle qui est fille, mère et épouse du Père, du Fils et du Saint Esprit, qui ont donné, qui donnent et donneront un témoignage éternel de leur infinie charité en elle, Dieu est charité. Qui demeure en charité demeure en Dieu. Ma mère est assise à ma dextre, et moi à la dextre de mon Père où sont toutes les divines délectations, desquelles parle David: Notas mihi fecisti vias vitae, adimplebis me laetitia cum vultu tuo: delectationes in dextera tua usque in finem. (Ps 15, 10)  Tu m'apprendras le chemin de vie, devant ta face, plénitude de joie, en ta droite, délices éternelles. Ma mère et moi, sommes tout de feu et d'ambre pour aimer la divinité; nous sommes de feu et d'ambre pour aimer notre humanité pour attirer à nous les hommes qui sont de paille. L'ambre attire la paille, et la merveille est que cette paille attiré par l'ambre n'est point consommée par les flammes d'un homme et d'une femme de feu; au contraire, elle est admirablement conservée dans la fournaise de la divine charité qui fait voir l'effet de mon oraison. Tous les bienheureux sont convertis et consommés en un comme mon Père et moi sommes un par le Saint Esprit qui est le lien et le baiser dans notre Trinité qui procède de notre unique volonté de laquelle il est le terme immense. Chère fille, réjouis-toi, quoique tu sois faible comme la paille; nous sommes d'ambre pour t'attirer ès nous. Notre feu brûle sans consumer quand ma mère m'enfanta dans Bethléem. Le feu fut mis sur la paille et sur le foin, c'est pourquoi le prophète Isaïe eut commandement de crier que toute chair était foin: Vox dicentis: Clama. Et dixi: Quid clamabo ? Omnis caro foenum, et omnis gloria eius quasi flos agri. Exiccatum est foenum, et cecidit flos, quia spiritus Domini sufflavit in eo. (Is 40, 6-7)   Une voix dit: "Crie", et je dis: "Que crierai-je"  "Toute chair est de l'herbe et toute sa grâce est comme la fleur des champs. L'herbe se dessèche, la fleur se fane, quand le souffle de Yahvé passe sur elles. La chair sur laquelle le Saint Esprit a soufflé est admirable en sa privation du support propre, et c'est bien parler proprement, expliquant ce passage: Omnis gloria ejus quasi flos agri (Is 40, 6) Toute chair est de l'herbe et que toute la gloire de la chair est comme la fleur des champs. Cette chair privée de subsistance humaine fut honorée de mon support divin, lequel ne quittera jamais ce qu'il a pris une fois; c'est pourquoi tu peux dire: Verbum autem Domini nostri manet in aeternum. (Is 40, 8) mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais.

 

Chapitre 66

Que le sang précieux du Verbe Incarné m’environne en façon de fosse ; du choix que Dieu a fait de Son Eminence Ducal et qu’il se plaît à la chasteté du Roi et comme sa divine bonté m’a donné conq terres de vision.

Au mois d'août 1634, étant dans le confessionnal après m'être confessée, il vous plut, mon miséricordieux Sauver, de me congratuler des grandes grâces que vous en remerciais avec des sentiments de ma bassesse qui me rendaient confuse devant votre Majesté, laquelle pressée de sa divine charité me dit qu'elle m'avait fait son temple, et qu'elle établirait son ordre où elle se plairait d'habiter. En même temps, vous me fîtes voir un temple auprès d'un château qui semblait un palais. Après je vis une ville. Le tout était fondé sur un roc. Les fossés qui environnaient tous ces beaux édifices étaient remplis de sang, ce qui m'effraya, vous me dîtes: «N'aie point de crainte. Ces fossés remplis de sang ne te doivent effrayer, parce qu'ils sont pour défendre et pour empêcher l'approche et l'entrée de tes ennemis. Ils sont remplis de mon sang, et du sang de mes martyrs, pour te faire voir l'amour que j'ai pour toi. Mon corps sacré est le pont Lévis qui t'introduit près de mon Père et du Saint Esprit qui sont avec moi par concomitance, et suite nécessaire au Sacrement d'amour que tu reçois tous les jours, afin que tu puisses dire après l'Apôtre: Habentes itaque fratres fiduciam in introitu sanctorum in sanguine Christi, quam initiavit nobis viam novam, et viventem per velamen, id est, carnem suam. (He 10, 19-20) Ainsi donc, frères, puisque nous avons, au moyen du sang de Jésus, une libre entrée dans le sanctuaire par la route nouvelle et vivante qu'il a inaugurée pour nous au travers du voile, c'est-à-dire, de sa chair. Tu as part à la communion des saints, tu es comme un arbre planté non seulement auprès du courant des eaux, mais du sang des martyrs, lequel a bouillonné autour de la maison où tu es. Si Sainte Agnès se vantait saintement que ses joues étaient ornées de mon sang, ma fille, dis hardiment que tu es gardée, lavée, nourrie, enrichie, et embellie de mon sang et de celui des martyrs qui sont mes membres glorieux. » Vous me dîtes boit; quand il vous plaît, vous beaucoup de merveilles dont je n'ai pas à présent le souvenir. Quelques jours après vous me fîtes entendre que, par ces fossés de sang, vous me vouliez encore faire connaître que la paix ne se ferait pas de longtemps, que les péchés des hommes attiraient votre juste colère à permettre des guerres si longues, que le sang répandu pendant icelles suffirait pour remplir des fossés plus larges et plus profonds que ceux que j'avais vus: Da pacem Domine in diebus nostris quia non est alius qui pugnet pro nobis nisi tu Deus noster. En la même année 1634, le R. P. Carré, supérieur du noviciat de Saint Dominique au faubourg Saint Germain lés Paris, qui m'avait confessée quand je demeurais à la ville l’Évêque, proche du couvent Saint Honoré où il était en ce temps-là, m'écrivit qu'il me priait de vous prier fermement pour Monseigneur le Cardinal de Richelieu et que je lui mandasse que votre bonté m'avait dit. Je voulus obéir et prier extraordinairement pour Son Éminence Ducal pour laquelle je prie depuis 1622 sans vous demander de me faire connaître quoi que ce soit; quand il vous plaît, vous m'enseignez ce que vous voulez que je sache. Vous représentant que j'obéissais à ce Père qui avait été mon confesseur, et auquel vous m'aviez commandé de dire beaucoup de choses pour l'établissement du noviciat dont il est supérieur, lesquelles il vit clairement venir de vous par des effets qu'elles produisaient. Je vous dis: Seigneur, je ne suis point curieuse de savoir des secrets, quels qu'ils soient, mais ce père penserait, qu'étant éloignée de lui, je ne tiens pas compte de ce qu'il me mande par lettre. Votre bonté qui connaît les coeurs qui n'ont que le désir de vous plaire en obéissant à ceux qui vous représentent, voyant le mien, qui n'avait que le mouvement d'obéir à ce père pour votre gloire, me fit voir une verge verdoyante, me faisant entendre: «Ma fille, c'est moi qui ai élu le Cardinal de Richelieu comme un autre Moïse pour conduire la France et pour donner de l'étonnement à toute l'Europe. Avec cette verge que tu as vue, il conduira le peuple. Je ferai voir ma puissance ès armés qu'il ordonnera par des événements merveilleux comme j'ai déjà détruis et confondu les conseils faits contre lui ainsi que je fis celui d'Achitophel je détruirai encore ceux qui fera contre lui à l'avenir. Il passera la Mer Rouge des contradictions des hommes et des démons. Je montrerai que ma dextre puissante opère plus par lui que la prudence ordinaire et extraordinaire d'un Ministre d’État. «Ma fille, tu verras des grandes merveilles et par les victoires que je donnerai au Roi, tu connaîtras que je me plais en sa chasteté dont les lys sont plus beaux que toute la gloire de Salomon. Je me veux repaître entre ces lys. » Le R. P. Gibalin sait que je lui dis tout ceci, et Monseigneur de Nesme aussi au même temps que vous me le révélâtes parce que vous me dîtes de le leur dire afin que si le R. P. Carré perdait ou rompait ma lettre de laquelle j'oubliais de garder copie, ils fussent deux témoins de ce que vous m'aviez dit: Etenim sacramentum regis abscondere bonum est: opera autem Dei revelare et confiteri honorificum est. (Tb 12, 7) Il convient de garder le secret du roi, tandis qu'il convient de révéler et de publier les oeuvres de Dieu. J'ai dit ci-devant que je ne vous ai point demandé de me conduire par les révélations ni visions mais par la voie qui est la plus parfaite et qui me mènera plus droitement à vous. Vous me dîtes un jour: «Ma fille, Non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. (Rm 9, 16) Ainsi donc, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Il me plaît de te mener moi-même par la voie des visions. Je t'ai fait voir dans le Verbe qui est moi miroir nécessaire à mon Père lequel se voit en moi que suis la figure de sa substance, la splendeur de sa gloire et l'image de sa bonté. Je suis la liesse des visions par ma solidité et la région des vivants; le Père et le Saint Esprit sont dans moi, vivant de la même vie que je vis dans eux; mon père m'engendre dans les clartés éternelles. Il voit en moi ès pensées toutes ses divines perfections. Je suis sa vision, comme sa diction. La vapeur de sa vertu, l'émanation sincère de sa divine clarté, le miroir sans tache de la Majesté. Je produis avec lui l'esprit commun qui est un Dieu très simple avec nous. Je t'ai plusieurs fois élevée en la contemplation de l'essence très simple et des distinctions personnelles. Je t'ai voulu instruire du support de tout l'être divin; en t'instruisant de la sorte. 1° Je t'ai menée en la terre de vision qui est la divinité qui est dans toi et toi dans elle. 2° Je t'ai communiqué en les mystères adorables de mon humanité que tu as vue en plusieurs figures, par diverses visions 3° Je t'ai donné la quotidienne communion qui t'est une terre de vision. 4° Je t'enseigne par l’Écriture qui est une terre de vision, 5° J'établirai par toi mon ordre qui sera une terre de vision, ce que tu as déjà expérimenté et l'expérimenteras à l'avenir. Je ne permettrai point que tu sois trompée, tu ne m'as pas demandé cette voie, et je t'ai destinée pour amener à moi et pour conduire plusieurs âmes, quand je te montrai la couronne d'épines portée par un soleil, j'excitai ton esprit à contempler et admirer cette merveille. Je te passerais par des grandes contradictions desquelles tu seras victorieuse au temps que ma providence a destiné. Rom. c 9 v 17 Miserebor cuius misereor: et misericordiam praestabo cuius miserebor. Igitur non volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Dicit enim Scriptura Pharaoni: Quia in hoc ipsum excitavi te, ut ostendam in te virtutem meam: et ut annuncietur nomen meum in universa t erra. Ergo cuius vult miseretur, et quem vult indurat. (Rm 9, 15-18) Je fais miséricorde à qui je fais miséricorde et j'ai pitié de qui j'ai pitié. Il n'est donc pas question de l'homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l’Écriture dit au Pharaon: Je t'ai suscité à dessein pour montrer en toi ma puissance et pour qu'on célèbre mon nom par toute la terre. Ainsi donc il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.

   

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