Jeanne Chézard de Matel
fondatrice de l’Ordre du Verbe Incarné
(1596-1670)
Autobiographie
1596-1641
Chapitre 54
Des merveilleuses
consolations que le Verbe Incarné me communiqua pendant le
délaissement des hommes, et de ses entretiens délicieux, quasi sans
intermission.
Je demeurai trois mois
sans parler au R. P. Jacquinot, pendant lesquels votre charitable
bonté ne me quitta ni jour ni nuit, débordant dans toutes les
puissances de mon âme des torrents de délices, voyant que mon cœur
et mon corps défaillaient par les surabondances qu’il vous plaisait
leur en communiquer, je vous dis : «Seigneur, c’est assez, c’est
trop, si vous me permettez de vous parler ainsi, retenir ou contenir
dans vous-même ces délectables délices, si vous ne voulez que je
meure de joie. Mon cœur ne les peut plus supporter sans mourir.
«Permettez-moi de vous dire que ma mort serait attribuée à la
tristesse d’être délaissée des hommes et non à la joie d’être
caressée d’un Dieu divinement amoureux, dont les excès d’amour
m’auraient ravi la vie. Dirait-on point : privée des consolations
créées, elle est morte d’ennuis, quelle confiance qu’elle ait fait
semblant d’avoir en Celui qui se trouve avec ceux qui pour son amour
sont dans les tribulations. Ayez soin de la gloire de votre nom. Ma
mort serait précieuse devant vous, puisque vous daignez être auprès
de moi en me faisant mourir de joie par vos délicieuses caresses.
Mais si on pensait que je serais morte de tristesse, ces pensées ne
donneraient point de louanges à votre gloire, devant les hommes
ignorant les causes de ma mort. Pourquoi attendriez-vous le Dernier
Jugement pour les instruire de votre dilection envers celle qui, ne
le méritant pas, montrera en vivant que ces faveurs sont purement
d’une bonté divine qui est de soi-même communicative ? Si en mourant
dans ces excès de jubilations, mon âme pouvait dire aux créatures
d’ici-bas capables d’entendre vos libéralités, que l’impuissance de
recevoir en soi les plénitudes de vos joies redoublées l’ont fait
sortir de son corps, et d’elle-même, pour en jouir dans votre
immensité, elle ne demanderait plus de délai. Vous êtes mon vivre,
et mourir pour vous c’est le gain le plus avantageux qui me puisse
arriver. Vivons, mon cœur, pour dire avec David : Custodit
Dominus omnes diligentes se ; Laudationem Domini loquetur os meum :
et benedicat omnis caro nomini sancto eius in sæculum, et in sæculum
sæculi. (Ps 144, 20-21) Yahvé garde tous ceux qui l'aiment, et
il détruit tous les méchants. Que ma bouche publie la louange de
Yahvé, et que toute chair bénisse son saint nom, à toujours et à
perpétuité ! Lauda anima mea Dominum, laudabo
in vita mea : psallam Deo meo quamdiu fuero
(Ps 145, 2). Je veux louer Yahvé
tant que je vis, je veux jouer pour mon Dieu tant que je dure. Ne
mets pas ta confiance aux hommes ; en eux, il n’y a point de salut :
Exibit spiritus eius, et revertetur in terram suam : in illa die
peribunt omnes cogitationes eorum. Beatus, cuius Deus Jacob adiutor
eius, spes eius in Domino : qui fecit cælum et terram, mare, et
omnia, quæ in eis sunt. (Ps 145, 4-6) Il rend le souffle, il
retourne à sa glaise, en ce jour-là périssent ses pensées. Heureux
qui a l'appui du Dieu de Jacob et son espoir en Yahvé son Dieu, lui
qui a fait le ciel et la terre, la mer, et tout ce qu'ils
renferment ! Il garde à jamais la vérité,
C’est lui qui est
fidèle en ses véritables promesses, lesquelles il accomplit
entièrement, ayant pitié de ceux qui endurent les injures et les
mépris pour son amour. Il est la nourriture de ceux qui mettent
leurs pensées en lui : si les hommes les semblent liés par des
apparentes autorités, il les délie par des véritables pouvoirs et
quand l’esprit qui se confie en lui semble, selon le jugement des
hommes, être abattu et dissipé en ses pensées, il le réunit et le
soutient l’élevant à soi. Il reçoit les âmes qui semblent pèlerines
en la terre de ceux qui s’en disent les habitants par droit :
Dominus custodit advenas, pupillum, et viduam suscipiet. Tibi
derelictus est pauper : orphano tu eris adiutor. (Ps 145, 9)
Yahvé protège les étrangers, il soutient l'orphelin et la veuve,
mais il renverse la voie des méchants. Cher Amour, je fais
l’expérience de tous ces versets. Comme pauvre orpheline, j’ai mon
recours en vous qui me daignez aider. Vous me gardez, moi qui suis
étrangère en cette ville dont l’on me voudrait sortir. C’est parce
que j’y suis venue pour étendre votre gloire. L’on mit hors de la
synagogue l’aveugle né auquel vous donnâtes la vue parce qu’il vous
louait, répondant à ceux qui par malice demeuraient ignorants de
votre être éternel, de vos deux naissances, admirablement adorables,
de votre extraction et du lien d’où vous les étiez venu visiter.
In hoc enim mirabile est quia vos nescitis unde sit, et aperuit meos
oculos. A sæculo non est auditum quia quis aperuit oculos cæci nati.
Nisi esset hic a Deo, non poterat facere quidquam. (Jn 9, 30,
32-33) Il est étonnant que vous ne sachiez d'où il est; et cependant
il m'a ouvert les yeux. Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait
ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu,
il ne pourrait rien faire.
Seigneur, je peux dire
les mêmes paroles pour votre cause à ceux qui s’opposent à votre
gloire, quand vous m’avez illuminée de vos divines splendeurs. Je ne
connaissais point vos clartés ni les motifs qui vous inclinaient à
me faire ces grâces ; de tous les siècles il n’a pas été ouï que
vous ayez prévenu de vos bénédictions une personne qui les méritât
moins et qui en fût plus indigne que moi ; si vous n’étiez Dieu dont
la sapience est bonté et la bonté essentielle qui se plaît en ces
communications favorables au petits, vous ne me gratifieriez pas de
la sorte. Si je leur disais ces merveilles ils me diraient comme les
Pharisiens à cet aveugle divinement illuminé que je les veux
enseigner étant fille dont ils prendraient l’enseignement pour une
signe de vanité et d’ambition d’être fondatrice d’un nouvel Ordre,
duquel ils pensent que mon imagination a forgé les idées. Ceux qui
m’ont renvoyée à cause que je veux étendre la gloire de Jésus
ignorent que vous m’êtes venu trouver me disant amoureusement :
Tu credis in Filium Dei ? (Jn 9, 35) Crois-tu au Fils de
l'homme ? Je ne vous réponds pas, Seigneur : Où est-il et je croirai
en lui. Je vous vois présent d’une présence amoureuse et vous adore
par toutes adorations et crois fermement en vous, Dieu de Dieu,
Lumière de lumière, Dieu vrai d’un vrai Dieu, engendré et non fait,
qui naissait devant les siècles, et émané éternellement de la
substance de votre Divin Père qui par amour êtes venu prendre un
corps dans les pures entrailles de la Vierge, votre Sainte Mère,
vous faisant homme pour habiter avec nous, et pour faire voir
l’excès d’amour que votre Divin Père a pour les hommes. Vous êtes
donné pour les sauver par vous-même ; ils vous devraient tous en
général et chacun en particulier, en signe de votre amour, dire avec
Saint François : Amore amoris tui moriar qui amore amoris mei
dignatus es mori : Je mourrai d’amour pour toi, qui t’as daigné
mourir par amour de mon amour, mais d’une mort douloureuse comme la
vôtre pour eux. Celle qui me ferait maintenant expirer est trop
délicieuse, c’est ce qui me fait vous dire de modifier ces
délectations, que je sois crucifiée, devant être glorifiée ; d’où me
vient cette hardiesse devant mon Souverain ? Votre amour me l’a
donnée, car sans lui les pensées de la mort me voyant criminelle me
mettraient dans des frayeurs et tremblements que méritent les crimes
que j’ai commis devant vous et contre le ciel. Mais puisqu’il vous
plaît de réjouir et délecter mon âme, faites vos volontés sur celle
que vous dites qui vous aime. Quoiqu’elle soit indigne de ces
caresses, elle les acceptait pour vous magnifier avec votre Sainte
Mère, me réjouissant en vous, mon divin Salutaire. Vous avez regardé
bénignement la bassesse de la plus vile de vos créatures, pour la
combler de bénédictions. Toute petite qu’elle est, vous la pouvez
agrandir, parce que votre nom est saint, et faire que les
générations à venir reconnaissent en elle vos insignes miséricordes,
craignant d’offenser vos bontés s’ils n’en ont des bons sentiments ;
vous cherchant en simplicité de cœur, ils vous trouveront la même
douceur. Je leur dis après la Sapience : Sentite de Domino in
bonitate, et in simplicitate cordis quærite illum : quoniam
invenitur ab his, qui non tentant illum : apparet autem eis, qui
fidem habent in illum : perversæ enim cogitationes separant a Deo.
(Sg 1, 3) Ayez sur le Seigneur de droites pensées et cherchez-le en
simplicité de coeur, parce qu'il se laisse trouver par ceux qui ne
le tentent pas, il se révèle à ceux qui ne lui refusent pas leur
foi. Car les pensées tortueuses éloignent de Dieu. Vos pensées qui
étaient des pensées de paix sur moi me faisaient jouir en terre par
avance de celle dont les Bienheureux jouissent dans la Jérusalem
céleste, mais qui surpasse tous les sentiments d’en bas. Mon âme
semble être votre Sion où vous habitiez avec plaisir.
J’expérimentais le dire du Roi-Prophète : Notus in Judæa Deus :
in Israel magnum nomen eius. (Ps 75, 2) Dieu est connu en Juda,
son nom est grand en Israël. Mon âme connait votre Majesté comme une
âme encore voyagère renfermée en un corps la peut connaître, la
louant et confessant pour son Dieu qui daigne la fortifier pour
jouir de ces clartés, lui donna par foi les avantages de Jacob,
l’avouant victorieuse parce que votre amour aime paraître venu par
bonté, lui disant que si elle est forte contre vous qu’à plus forte
raison elle le sera contre les hommes, faisant en elle votre demeure
pacifique. Et factus est in pace locus eius : et habitatio eius
in Sion. Ibi confregit potentias arcuum, scutum, gladium, et bellum.
(Ps 75, 3-4) Sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion. C'est là
qu'il a brisé les flèches, le bouclier, l'épée et les armes de
guerre. Détruisant toutes les armes qui me voudraient suivre ne
permettant aucun geste ni en ma partie inférieure ni en la
supérieure laquelle vous illumine triplement et admirablement par
les splendeurs de vos Trois Augustes Personnes pour montrer que ceux
qui se confient en vous sont divinement protégés tandis que ceux qui
se présument d’être sages se voient troublés parce que n’est sage
que de la sagesse du monde qui est folie devant vous. C’est donc à
moi, cher Amour, que vous adressez les paroles du Roi-Prophète :
Illuminans tu mirabiliter a montibus æternis : turbati sunt omnes
insipientes corde. (Ps 75, 5-6) Lumineux que tu es, et célèbre
plus que des montagnes de butin. Ils ont été dépouillés, ces cœurs
indomptables. Vous me dîtes : «Ma fille, tu peux bien dire en te
confiant en moi : Quare fremuerunt Gentes, et populi meditati
sunt inania ? (Ps 2, 1) Pourquoi ces nations qui remuent, ces
peuples qui murmurent en vain ? C’est en vain qu’on a tenu le
conseil pour empêcher mon dessein : Qui habitat in cælis
irridebit eos et Dominus subsannabit eos. (Ps 2, 4) Celui qui
siège dans les cieux rit, le Seigneur se moque d'eux. Je t’ai déjà
dit que de toute éternité je suis constitué Roi sur Sion et que tu
es ma Sion, les portes de laquelle j’aime plus que tous les
tabernacles de Jacob. Choses glorieuses seront dites de toi parce
que tu es ma cité. Les peuples étrangers par toi s’approcheront de
moi admirant comme je t’ai favorisé, de renaître par toi, faisant
une et reproduction et mystique extension de mon Incarnation en cet
Ordre nouveau».
Votre bonté m’occupait
continuellement et me portait en les jubilations qui sortaient mon
âme d’elle-même ne pouvant ni manger ni dormir. Seigneur, si vous
plaisait me laisser un peu dormir. Vous me disiez : Propter Sion
non tacebo et propter Jérusalem non quiescam, donec egrediatur ut
splendor justus eius, et salvator eius ut lampas accendatur.
(Is 62, 1) A cause de Sion je ne me tairai pas, à cause de Jérusalem
je ne me tiendrai pas en repos, jusqu'à ce que sa justice jaillisse
comme une clarté, et son salut comme une torche allumée.
L’on verra comme je
suis à toi pour te justifier et pour te donner un nom nouveau.
Quod os Domini nominabit. Et eris corona gloriæ in manu Domini,
et diadema regni in manu Dei tui. Non vocaberis ultra Derelicta :
sed vocaberis Voluntas mea. (Is 62, 2-4) Que la bouche de Yahvé
déterminera. Tu seras une couronne éclatante dans la main de Yahvé,
un turban royal dans la main de ton Dieu. On ne te nommera plus
délaissée, mais on t'appellera mon plaisir en elle.
Vous me disiez le reste
de ce chapitre en me réjouissant d’une si grande liesse, que je vous
disais : Mon cœur se dilate de sorte que la joie me peut faire
mourir.
Cher Amour,
pardonne-moi si je vous dis derechef que vous me laissiez un peu
reposer ou il faut que vous faisiez miracle, mais à quoi bon sans
nécessité. Je sais que ce serait une imbécilité de vous parler en
ces termes si je ne voulais conserver ce corps pour vous servir plus
longuement. Toutefois votre volonté soit faite, puisque vous voulez
que je veille avec vous et qu’en recevant vos grâces divinement
aimables je me réjouisse je le veux. Louez mon âme ton amoureux
Sauveur : Gaudens gaudebo in Domino, et exultabit anima mea in
Deo meo : quia induit me vestimentis salutis : et indumento justitiæ
circumdedit me, quasi sponsam decoratam corona, et quasi sponsam
ornatam monilibus suis. Sicut enim terra profert germen suum, et
sicut hortus semen suum germinat, sic Dominus Deus germinabit
justitiam, et laudem coram universis Gentibus. (Is 61, 10-11) Je
me réjouirai en Yahvé, mon âme sera ravie d'allégresse en mon Dieu ;
car il m'a revêtu des vêtements du salut, il m'a couvert du manteau
de la délivrance, comme le fiancé s'orne d'un diadème, comme la
fiancée se pare de ses joyaux. Car, comme la terre fait éclore son
germe, et comme un jardin fait pousser ses semences, ainsi le
Seigneur, Yahvé, fera germer le salut et la louange, en présence de
toutes les nations.
Chapitre 55
Des poursuites
qu’on fit à Rome pour obtenir la Bulle ; du nom de cet Ordre que la
bouche du Seigneur avait nommé ; comme la Sainte Vierge me nourrit
de son sein me donnant du lait céleste de ses mamelles bénites.
Le R. P. de Lingendes
sachant que le R. P. Général avait été instruit de mes intentions et
qu’il avait écrit à ceux qui l’auraient mal informé que le R. P.
Jacquinot n’avait jamais rien fait qui fût contre les Constitutions
ni intentions de la Compagnie et en vous faire plaisir de me presser
d’envoyer une requête à Rome au nom de Madame la Duchesse de la
Rocheguyon laquelle suppliait Sa Sainteté de lui concéder une Bulle
pour l’établissement duquel la requête l’a supplié. Ledit P. de
Lingendes me dit de prier le R. P. Morin de l’Oratoire de l’adresser
au R. P. Bertin de leur congrégation qui était pour lors à Rome
lequel Père Bertin s’y employa avec affection. Une opposition s’y
forma par ceux qui pressaient l’établissement des Filles du Saint
Sacrement, pour nous empêcher que le vocable de notre Institut ne
fut semblable au leur, parce qu’ils voyaient que dans la Bulle qu’on
nous accordait selon notre requête représentait à Sa Sainteté que
nous désirons honorer votre Personne Incarnée en tous ses mystères
et d’autant que vous résidez réellement au Divin Sacrement de
l’Eucharistie pour notre amour que nous voulions, autant qu’il était
en notre pouvoir aidées de votre grâce, compenser par nos adorations
et services les mépris que les Juifs vous avaient faits pendant que
vous étiez visible, et ceux que les hérétiques et mauvais chrétiens
vous font tous les jours.
Messeigneurs les
Cardinaux Cajetan et Bentivogle examinèrent en particulier cette
requête et les attestations que les R. P. Jacquinot et Arnoux,
jésuites, et celles de Monsieur de Montreuil, Docteur de Sorbonne,
Curé de Saint Sulpice, celle du R. P. Dom Pierre de Saint Bernard,
Feuillant, celle du R. P. Morin dans laquelle il faits mention des
sentiments de feu Monseigneur Miron. Après des examens très exacts
qu’il avait fait après lui par son commandement, ils firent leurs
rapports à la Congrégation des Réguliers qui trouva en cette requête
et en ces attestations des raisons plus que valables pour obtenir
une Bulle de Sa Sainteté, restait seulement de savoir quel nom nous
demandions, parce que Monseigneur de Langres avait fait prier de ne
nous pas donner le même titre du Saint Sacrement qui avait été
accordé à la Bulle des Filles du Port-Royal. Le R. P Bertin nous
manda de la part de Monseigneur le Cardinal de Bentivogle de
demander le nom que nous désirions. Je m’adressai à votre Majesté
avec mon accoutumée confiance, vous disant : «Quel nom voulez-vous
donner à votre Institut, qui comprenne tout ce que vous m’avez
promis ?» Mon Oracle divin, vous ne me fîtes point attendre élevant
à vous mon esprit, vous me dîtes : «Ma fille, je suis la vérité
infaillible. Je tiendrai toutes mes promesses et le nom de mon Ordre
est Verbe Incarné, je veux que l’on demande ce nom. Ce nom
comprenant avec éminence et par excellence tout ce qui est de moi en
tant que Verbe Incréé et Verbe Incarné ; en ce nom tu auras tout.
Qui a le tout, a les parties, et je t’assure, ma fille, que ce nom
sera donné à mon Ordre sans contradiction. C’est moi, ma fille, qui
te nomme ce nom auguste et glorieux. J’ai été et je suis dès
l’éternité le Verbe Incréé. Je serai infiniment Verbe Incarné. Os
enim Domini locutum est. Ecce non est abbreviata manus Domini.
(Is 58, 14, 59, 1) Car la bouche de Yahvé a parlé. Non, la main de
Yahvé n'est pas trop courte pour sauver ; Elle te donnera éminemment
tous les avantages que ce nom te promet». Votre charitable bonté me
caressa avec tant de douceur que je me pâmais de délices et, pour
surcroît de faveurs, votre Sainte Mère m’apparut, m’offrant ses
mamelles sacrées pour me donner de son lait virginal comme à son
dévot Saint Bernard vérifiant derechef les promesses que vous
m’aviez faites de me donner les mamelles divines et royales,
desquelles vous me vouliez nourrir délicatement et divinement du
même lait que vous aviez été allaité, me disant : «Voilà le signe
visible de la chose invisible ; c’est un sacrement et un secret
d’amour dont ma Mère t’a voulu gratifier. C’est cette divine
Prophétesse qui te veut donner son Fils qui est moi ; elle me donne
à toi et comme mon Divin Père elle te fait ce don en la présence des
Anges et des hommes qui sont glorieux dans l’Empyrée, Isaïe. Le
prophète Isaïe eut ordre du Saint Esprit de prendre un grand livre
pour y écrire le style d’un homme qui devait être ce Dieu abrégé. Ce
soir je te fais le même commandement de prendre un livre pour y
marquer le style de ce Dieu qui a voulu être homme. Cet Homme-Dieu
est le Verbe Incarné, de la bonté duquel tu dois dire des
merveilles, après quoi confesse que tu défaut en la narration
d’icelles, et de toutes les faveurs qu’il t’a faites et te fera si
tu es fidèle à mon amour. Je me hâterai de te faire des grâces que
j’ôterai à ceux et celles qui s’opposeront à toi. Qui enim habet,
dabitur illi et qui non habet, etiam quo habet auferetur ab
eo. (Lc 8, 18) Car on donnera à celui qui a, mais à celui qui
n'a pas on ôtera même ce qu'il croit avoir. Je les priverai des
faveurs qu’ils eussent reçu de ma miséricorde à laquelle ils
s’opposent, résistant à ma bonté par les contradictions qu’ils font
au Saint Esprit. Résistant à ses inspirations, s’opposant à ses
desseins par les obstinations malicieuses. Si quis habet aures
audiendi, audiat. (Mc 4, 9) Que celui qui a des oreilles pour
entendre entende. J’ôterai les forces de Damas et de Samarie devant
que ma Bulle soit fulminée. La grandeur du sang, ni la protestation
des grands ne peuvent empêcher mes desseins. Dis, ma fille, O
Emmanuel nobiscum Deus. (Mt 1, 23) Emmanuel, ce qui signifie
Dieu avec nous.
Chapitre 56
Que Sa Sainteté
octroya la Bulle ayant ouï le rapport de Messeigneurs les Cardinaux,
et comme en l’attendant de la recevoir, la Divine Bonté me fit
visiter par ses saints et comme Sa Majesté me commanda d’écrire sur
les Cantiques les Sacrés Mariages.
Messeigneurs les
Cardinaux admirèrent votre providence en ce nom lequel ils
trouvèrent conforme à l’Institut. Ils le dirent à Sa Sainteté qui
fut du même sentiment, disant : Fiat ut petitur Qu’il soit
fait comme on demande. Il ne tint qu’au R. P. Bertin de faire
promptement expédier la Bulle et de nous l’envoyer, ce qu’il ne
pressa pas pour donner du temps au Filles du Saint Sacrement de
prier Monseigneur de Paris d’exécuter la leur devant voir la nôtre,
sachant que celle-là aurait pour supérieurs trois évêques. Il
craignait qu’elle fut refusée et la nôtre accordée. Madame la
Marquise de la Lande, qui avait voulu être nommée en notre Bulle
pour seconde fondatrice avec Madame de la Rocheguyon, pressait le R
Père Morin de presser le R P. Bertin de nous envoyer notre Bulle. Il
ne se hâta pas pour toutes les sollicitations. Ce long retardement
m’ennuyant, votre bonté m’envoya Saint Michel et Saint Denis pour me
consoler. Comme j’étais en oraison dans une chapelle en l’église des
R. P. Saint Dominique du faubourg Saint Honoré, à présent dans la
ville Saint Michel portait d’une main un glaive et de l’autre une
balance, j’entendis que ce glaive était pour nous défendre de nos
ennemis et cette balance pour peser notre patience.
[246] Saint Denis
portait sa tête entre ses mains, me montrant qu’il avait souffert
pour le Verbe Incarné et qu’il me protégerait comme patron et Apôtre
de France. Une autrefois, il m’apparût revêtu d’une aube avec
l’étole, comme quand il se disposait pour célébrer les sacrés
mystères. Après lui, Saint Jérôme m’apparut revêtu comme on peint
Saint Joseph, à la façon des juifs. Votre Majesté me fit entendre
après que tous ces saints furent disparus, que vous me les aviez
envoyés pour me réjouir, conforter et instruire et que vous me les
aviez donnés pour mes trois maîtres. Saint Michel, comme j’ai dit
ci-devant, était pour m’enseigner par des irradiations et
illustrations brillantes et sublimes vos mystères divins. Saint
Denis avait de vous ordre de m’enseigner la théologie mystique et
Saint Jérôme l’Ecriture Sainte. Vous me disiez : «Ma fille, par ces
faveurs tu peux connaître les inclinations de ma bonté envers toi.»
En attendant cette Bulle, votre Majesté me fit commandement d’écrire
Les Quatre Mariages qu’elle avait voulu faire avec notre humanité,
avec la Sainte Vierge, et avec l’Eglise, et celui qu’elle avait
daigné faire avec moi, la très indigne, me disant d’expliquer le
Cantique d’Amour, et que votre Esprit m’instruirait avec abondance
de lumières ; que je me confiasse en lui, qu’il vérifierait en moi
les paroles couchées en Saint Jean, Jn. 7 : Qui credit in me,
sicut dicit Scriptura, flumina de ventre eius fluent aquæ vivæ.
(Jn 7, 38) Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront
de son sein, comme dit l'Écriture.
«Je disais cela de ceux
qui ont reçu mon Esprit qui enseigne toute vérité à qui lui plaît :
Spiritus ubi vult spirat : et vocem eius audis. (Jn 3, 8) Le
vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit.
A toi, ma fille, est
donnée la grâce d’entendre ma voix, de sentir mon souffle, de voir
la splendeur du Père des lumières qui de sa bonne volonté t’a envoyé
le don très haut et très parfait, ne permettant que les obstacles
des créatures te fassent ombre. Il engendre en ton âme et y fait
heureusement naître des clartés ravissantes, lesquelles tu ne dois
pas mettre sous le mur. Tu dois éclairer tous ceux qui sont en ma
maison, afin de glorifier ton Père Céleste, la gloire duquel tu dois
chercher et non la tienne. Ne te mets pas en peine du dire des
hommes, en faisant les volontés divines. Souviens-toi que j’envoyai
moi-même Madeleine à mes Apôtres pour annoncer ma résurrection, et
quoique sa mission fut véritable, ni d’elle, ni des autres femmes,
mes disciples ne voulurent pas croire que j’étais ressuscité. Et
regressæ a monumento nunciaverunt hæc omnia illis undecim, et
ceteris omnibus. Erat autem Maria Magdalene, et Joanna, et Maria
Jacobi, et ceteræ, quæ cum eis erant, quæ dicebant ad Apostolos hæc.
Et visa sunt ante illos, sicut deliramentum verba ista : et non
crediderunt illis. (Lc 24, 9-11) A leur retour du sépulcre,
elles annoncèrent toutes ces choses aux onze, et à tous les autres.
Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala,
Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec
elles. Ils tinrent ces discours pour des rêveries, et ils ne crurent
pas ces femmes. «Pierre, qui était destiné pour connaître et
décréter les vérités de la foi, se leva et courut au monument.
Petrus autem surgens cucurrit ad monumentum : et procumbens vidit
linteamina sola posita, et abiit secum mirans quod factum fuerat.
(Lc 24, 12) Mais Pierre se leva, et courut au sépulcre. S'étant
baissé, il ne vit que les linges qui étaient à terre. Pierre qui
avait eu la révélation de ma divine filiation ; Pierre qui avait vu
ma gloire en ma Transfiguration sur le Thabor ; Pierre qui s’était
trouvé au Jardin des Olives, où je fus d’une autre façon
transfiguré, couvert de la sueur sanglante que les péchés des hommes
me causaient ; voulut voir si les visions et les révélations des
femmes étaient véritables. Il connut que oui ; s’étant incliné au
sépulcre il vit les langes ; il vit des signes visibles de la chose
invisible qui était ma résurrection, laquelle n’était vue que de
ceux et celles à qui il me plaisait de me manifester. Pierre crut et
admira les merveilles qui s’étaient passées, ayant vu les langes ou
les suaires dont mon sacré corps avait été enveloppé et couvert.
Pierre qui devait après moi être la pierre fondamentale, comme mon
Vicaire Général que je laissais pour chef visible de mon Eglise,
contre laquelle les portes d’enfer ne pourront prévaloir, se voulut
lui-même assurer de ma résurrection comme du mystère le plus
important de la religion catholique, selon le dire du Vaisseau
d’Élection : Si autem Christus non resurrexit, inanis est ergo
prædicatio nostra, inanis est et fides vestra : invenimur autem et
falsi testes Dei. (1Co 15, 14) Et si Christ n'est pas
ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est
vaine. Il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l'égard
de Dieu.
«Pierre ne fut pas
seul au sépulcre. Il y vint accompagné de Jean mon favori, lequel
avait eu la faveur d’assister au Thabor, la grâce de se trouver au
jardin, et la force de se tenir ferme au Calvaire quand la terre
trembla, que les pierres se fondirent, et que les sépulcres
s’ouvrirent pour laisser sortir leurs morts qui ressuscitèrent pour
affirmer de la résurrection du premier-né des morts. Jean qui avait
vu l’eau et le sang couler de mon côté ouvert et que je destinais
pour être spectateur des plus augustes visions qui seront jamais
communiquées aux hommes ; Jean auquel devaient être révélés les plus
profonds mystères, autant de mots, autant de secrets, et de
sacrements que tous les siècles ne pourront exprimer. «C’est moi le
Verbe Incréé et Incarné qui en suis l’Alpha et l’Oméga. Je les
déclare à qui il me plaît. Je suis un miroir volontaire qui fait
voir mes beautés selon mes volontés. Je suis ce Verbe de vie dont
mon favori parle clairement, disant : Quod fuit ab initio, quod
audivimus, quod vidimus oculis nostris, quod perspeximus, et manus
nostræ contrectaverunt de verbo vitæ : et vita annunciamus vobis
vitam æternam, quæ erat apud Patrem, et apparuit nobis. (1Jn 1,
1-2) Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce
que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que
nos mains ont touché, concernant la parole de vie, car la vie a été
manifestée, et nous l'avons vue et nous lui rendons témoignage, et
nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et
qui nous a été manifestée. Chère fille, ce disciple bien-aimé a
écrit les visions et les faveurs que je lui ai communiquées. Il a
dit vérité, poussé et inspiré par l’Esprit véritable lequel Esprit
veut que tu écrives celles que notre amour t’a communiquées et te
communique ; ressouviens-toi, ma fille, que je t’ai dit, il y a plus
de vingt années, que tu es comme la plume d’un léger écrivain et que
ce n’était pas sans une providence singulière qu’étant enfant, tu
trouvais en l’ouverture des Heures ces versets du Psaume :
Eructavit cor meum verbum bonum : dico ego opera mea regi. Lingua
mea calamus scribæ, velociter scribentis (Ps 44, 2) Mon coeur a
frémi de paroles belles : je dis mon oeuvre pour un roi, ma langue
est le roseau d'un scribe agile».
Très cher Epoux, je
m’étonnais bien fort de ces paroles desquelles je ne comprenais pas
en ce temps-là, ce que vous me signifiez par elles. Mon cœur, ma
langue et ma plume sont à vous. Donnez-leur les mouvements qui vous
agréeront le plus, et faites, s’il vous plaît, selon votre promesse
que j’écrive toujours selon votre Esprit de vérité, et me continuez
par bonté le don que vous m’avez fait de l’eau et du sang que cet
aigle a vu distinctement couler d’une même source, ce qui nous
marque vos deux natures qui n’ont qu’un même support, et que nous
les pouvons adorer en vous sans confondre les substances et que la
communication des idiomes n’admet point de confusion.
Très cher Amour,
faites-moi la faveur qu’en parlant de vos merveilles, je
n’embrouille point les esprits qui les liront avec des intentions
sincères, telles que je les écris, qui sont de suivre vos volontés
en tout, procurant votre gloire et le salut des âmes. Vous m’avez
promis que vous témoignez et témoignerez de vous-même en moi et par
moi, m’appropriant ces paroles : Ego sum, qui testimonium
perhibeo de me ipso : et testimonium perhibet de me, qui misit me,
Pater. (Jn 8, 18-15) Je suis à moi-même mon propre témoin, et
pour moi témoigne le Père qui m'a envoyé Qui autem diligit me,
diligetur a Patre meo, et ego diligam eum, et manifestabo ei meipsum.
(Jn 14, 21) Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, je l'aimerai, et
je me ferai connaître à lui. Très cher Amour, combien de fois vous
ai-je dit : Qui vous pousse à vous manifester si clairement à moi ?
Votre miséricordieuse bonté qui se plaît de me gratifier de ces
grandes faveurs, que tant de personnes plus dignes que moi, n’ont
pas, c’est qu’il plaît à votre Père, à vous et au Saint Esprit de me
visiter et de faire votre demeure en mon âme, lui servant de témoins
irréprochables, me disant : «Ma fille, dis hardiment tout ce que
nous te commandons de dire de nous, notre témoignage est véritable :
Tres sunt, qui testimonium dant in cælo : Pater, Verbum, et
Spiritus sanctus : et hi tres unum sunt. Et tres sunt, qui
testimonium dant in terra : Spiritus, et aqua, et sanguis : et hi
tres unum sunt. Si testimonium hominum accipimus,
testimonium Dei maius est. (St
Augustin ? ? ?) (1Jn 5, 7-8) Car il y en a trois qui
rendent témoignage : l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont
d'accord. On peut clairement voir qu’en ton âme qui est notre ciel,
les Trois Divines Personnes rendent témoignage d’elles-mêmes, par
les paroles et par les écrits, et qu’elles ne sont qu’un Dieu très
simple en essence ; étant trois hypostases distinctes, elles n’ont
qu’une nature. En ton corps on peut encore voir les opérations de
Celui qui est venu à toi par l’Esprit, par l’eau et par le sang. Par
l’Esprit si l’esprit ne te conduisait en quel dédale ou labyrinthe,
te mettrais-tu écrivant si souvent des mystères divins qui ne
peuvent être connus à une fille qui n’a point étudié, sans l’onction
de cet Esprit, qui t’éclaire avec tant de clarté que tu en parles
comme de choses qui semblent d’ être visibles et familières mais
avec tant d’abondance qu’il paraît clairement que tu as dans toi
celui qui est la source d’eau vive, et que son sang vivifie et toi
et tes paroles et que tu en es la distributrice que ce sang t’est
donné et versé largement pour guérir les morsures dont le venin de
tes ennemis te voudrait faire mourir. Ne crains rien, ma fille, les
Trois Divines Personnes ne t’abandonneront pas. Celui qui vient à
toi par l’Esprit, par l’eau et par le sang est ton Epoux fidèle.
C’est moi qui ai témoigné et qui témoignerai de moi-même. Si on
reçoit le témoignage des hommes. Celui de Dieu est plus fort pour
persuader les vérités qui sont trop manifestes. Je te confirme
encore ces paroles : Beata, quæ credidisti, quoniam perficientur
ea, quæ dicta sunt tibi a Domino (Lc 1, 45) Oui, bienheureuse
celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la
part du Seigneur ! ». Esprit d’amour, je vous réponds par la bouche
de celle qui vous a reçu par une abondante survenue : Magnificat
anima mea Dominum : et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo.
(Lc 1, 46-47) Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit se réjouit
en Dieu, mon Sauveur.
Chapitre 57
Que le Verbe
Incarné me voulut consoler et guérir ; et sa bonté m’a promis qu’il
ferait une grande grâce au Roi par le Saint Sacrement. Et comme Il
me dit qu’il ne voulait pas que l’Ordre du Verbe Incarné fut unie à
celui du Saint Sacrement. Et des faveurs que Dieu me fit.
La veille de Saint
Laurent, me trouvant mal disposée, je me mis au lit après avoir
communié. Votre bonté qui a toujours des inclinations favorables
pour moi me voulut réjouir dans ce lit où j’étais, non seulement
malade corporellement, mais affligée spirituellement pour une fille
qu’il n’est pas à propos de nommer. Vous me dîtes : «Ma fille, je
suis venu pour te consoler et pour te dire que tu aies confiance en
moi. J’établirai mon Ordre par les voies que l’on ne pense pas. Tu
verras l’union de la tiare et de la couronne de France en cet
établissement. Dis avec David : Credidi, propter quod locutus sum :
ego autem humiliatus sum nimis. Ego dixi in excessu meo : Omnis homo
mendax. Quid retribuam Domino, pro omnibus, quæ
retribuit mihi ? Calicem salutaris accipiam : et nomen Domini
invocabo. (Ps 115, 1-4) Je
crois lors même que je dis : "Je suis trop malheureux", moi qui ai
dit dans mon trouble : "Tout homme n'est que mensonge." Comment
rendrai-je à Yahvé tout le bien qu'il m'a fait ? J'élèverai la coupe
du salut, j'appellerai le nom de Yahvé.
Parle, ma fille, de mes
merveilles parce que tu ne peux douter des vérités que je
t’enseigne. J’ai permis que tu sois affligée afin de te faire
pratiquer ce grand sentiment d’humilité que tu ressens en ton âme,
et tu peux dire à ceux qui ignorent l’excès d’amour que j’ai pour
toi, que tout homme est menteur quand il pense d’affliger l’âme que
je console». Mon Divin Consolateur, que vous pourrais-je offrir en
reconnaissance de tant de grâces que vous me faîtes
continuellement ?
«Tu prendras le calice
de ton salut en invoquant mon nom sur toi, en attendant que tu me
rendes tes vœux devant tous les peuples que je ferai spectateurs de
mes miséricordes sur toi. Je ferai une merveille pour Louis
Treizième qui est à présent à Lyon pour la gloire de mon Divin
Sacrement. Attends avec patience et mansuétude ; ne craignez rien,
petit troupeau, car il plaît à mon Père céleste de vous donner le
règne au temps divinement prévu et destiné».
Au mois de septembre,
le R. P. de Lingendes apprit que notre bon Roi était malade. Il me
manda de prier pour sa santé et que par la vertu du Divin Sacrement
je vous demandasse la santé de sa Majesté. Je priai jour et nuit
devant ce trône de grâce, car j’étais dans la tribune que Melle de
Longueville avait fait faire en l’Eglise de Sainte Madeleine qui est
l’église paroissiale de la Ville l’Evêque. Je conjurai votre bonté
de renvoyer la guérison à notre bon Roi, ce que vous ne me refusâtes
pas. Le R. P. de Lingendes fit écrire au R. P. Souffrain de prier
notre Roi de favoriser l’établissement du Verbe Incarné, mais le R.
P. Souffrain fit réponse que Madame de Longueville se trouvant à
Lyon auprès de leurs Majestés avait prié le Roi pour favoriser de
son autorité l’établissement des Filles du Saint Sacrement, par la
grâce duquel il avait été guéri, que la piété du Roi lui avait
promit d’employer son crédit auprès de Monseigneur de Paris, et de
donner des lettres pour cet établissement lesquelles Monsieur le
Garde des Sceaux avait déjà signées et scellées, qu’il n’oserait
parler en même temps de l’établissement du Verbe Incarné, et qu’il
serait mieux de se joindre à ses filles puisqu’il y avait grand
rapport en ces Instituts. Notre Bulle ayant beaucoup des points qui
étaient en la leur. Le R. P. Souffrain, passant pour ce qu’il était,
pour savant, un homme de grande vertu et de sainteté, donna par sa
réponse à penser à cette union au R P. de Lingendes, et sujet à
Madame de la Lande de trouver des inventions de faire parler à
Madame la Duchesse de Longueville, nommée fondatrice dans la Bulle
du Saint Sacrement. Madame de Longueville eût bien désiré cette
union. S’étant informé dans Lyon du R. P. Voisin quel sentiment il
avait de moi et de mon dessein, ledit Père en parla avec sa charité
ordinaire, et selon les connaissances qu’il avait des grandes grâces
que vous m’aviez faites. Le R. Père Morin voulu sonder les
sentiments des Filles du Port-Royal pour cette union. Il les trouva
dans les espérances très hautes de leur établissement et que si
elles daignaient nous unir à elles, il faudrait prendre leur Bulle
et leurs Constitutions, et abîmer notre Institut dans le leur, comme
une goutte d’eau dans la mer. Entendant leurs hautes espérances,
j’abaissai mon esprit devant vous, ô mon Seigneur. Je vous disais :
«Cher Amour, faites paraître votre volonté. Tous les esprits de ceux
qui traitent de nos affaires sont portés à cette union. Le mien en
est fort éloigné, si c’est un désir de ma propre gloire, et une
résistance au mépris que l’on fait de notre dessein, je renonce à
mes propres sentiments pour suivre les vôtres.» Vous ayant dit ces
paroles et d’autres semblables, vous me fîtes entendre :
Segregate mihi Saulum, et Barnabam in opus, ad quod assumpsi eos.
(Ac 13, 2) Mettez-moi à part Barnabas et Saul pour l'oeuvre à
laquelle je les ai appelés. «Ma fille, je ne veux pas que ces deux
Ordres soient unis. Je veux que vous soyez séparées de ces filles ;
elles sont à présent filles de consolation, tout leur rit. Barnabé
signifie fils de consolation et toi tu es Paul petite, destinée de
ma providence à des grandes contradictions. J’endurcirai le cœur de
ceux qui te devraient aider, pour faire voir en cet Ordre et en toi
la puissance de ma dextre, qui fera une vertu et qui t’exaltera au
temps préordonné. N’en doute pas, ma fille, c’est moi qui te prédis
ces souffrances. Je serai avec toi pour te faire croître emmi les
contradictions. Tu pourras dire : In tribulatione dilatasti mihi.
(Ps 4, 2) dans l'angoisse tu m'as mis au large. Ces filles ne
croîtront pas comme elles présument, étant appuyées des grands de la
terre. Intellige quæ dico : dabit enim tibi Dominus in omnibus
intellectum. (2Tm 2, 7) Comprends ce que je dis, car le Seigneur
te donnera de l'intelligence en toutes choses. Ce Seigneur est ton
Epoux qui t’est présent et qui contemple les souffrances que tu dois
souffrir pour lui. «Tu ne peux pas dire qu’il n’y a point de
prophétie pour toi, ni que l’oracle de vérité ne te parle point. Si
on te veut affliger en te contredisant pour supprimer les lumières
que je te communique, et que la prudence du temps te fait taire,
sache, ma fille, que Verbum Dei non est alligatum. Fidelis sermo.
(2Tm 2, 9) Mais la parole de Dieu n'est pas liée. Cette parole est
certaine. Dis avec mon Apôtre : Omnia sustineo propter electos,
ut et ipsi salutem consequantur, quæ est in Christo Jesu, cum gloria
cælesti. (2Tm 2, 10) C'est pourquoi je supporte tout à cause des
élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est en Jésus-Christ,
avec la gloire éternelle. Ma fille, si vous compatissez à mes
souffrances, vous règnerez avec moi. Firmum
fundamentum Dei stat, habens signaculum hoc : Cognovit Dominus qui
sunt eius. (2Tm 2, 19) Néanmoins, le solide fondement de
Dieu reste debout, avec ces paroles qui lui servent de sceau: Le
Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent. Je les connais en
bénédiction et les marque du signe de ma Croix, les invitant de me
suivre, en portant celle que ma sapience leur permet et envoie pour
être mes imitateurs.»
Chapitre 58
Comme Notre
Seigneur m'apparût, portant mes larmes en façon de baudrier,
lesquelles il avait divinement relevées sur ses épaules sacrées, et
comme il m'expliqua les merveilles de sa bonté envers moi.
Le R. P. Bertin envoya
notre Bulle après qu'il eût appris que le Roi et le Parlement
avaient donné des lettres de permission pour l'établissement de
celles du Saint Sacrement et que Mr de la Ville Évêque avait écrit à
Monseigneur de Paris de la part du Roi d'établir les Filles du Saint
Sacrement. Pendant ces poursuites, nous demeurions en patience
attendant votre heure. Je vous disais : Miserere mei : quoniam in
te confidit anima mea. Et in umbra alarum tuarum sperabo. (Ps
56, 2) Pitié pour moi, ô Dieu, pitié pour moi, en toi s'abrite mon
âme, à l'ombre de tes ailes je m'abrite, Attendant que votre
providence disposait de tous ses desseins, j'écrivis, selon votre
commandement sur les Cantiques. Quand j'avais la plume en mains, je
ne pensais pas aux ennuis et afflictions d'une espérance différée,
mais lorsque j'étais en oraison, je fondais en larmes, sans les
pouvoir retenir, quelle violence que je me voulus faire : «Seigneur,
vous disais-je, mon espérance étant ferme en vous ; pourquoi
pleurai-je tant ? Est-ce que vous me voulez faire voir la faiblesse
de mon sexe ? Mes yeux sont deux canaux qui fluent continuellement
sans que mon âme en connaisse la cause. Quand vous lui parlez, elle
ne s'étonne pas de ses tendresses, ni quand votre Esprit tout ardent
souffle pour la fondre en eau. Elle se souvient des paroles du
Psalmiste : Emittet verbum suum, et liquefaciet ea : flabit
spiritus eius, et fluent aquæ. (Ps 147, 7) Il envoie son verbe
sur terre, rapide court sa parole; Elle connaît que vous êtes la
fontaine qui daignez fluer dans vos jardins de plaisance : Fons
hortorum : puteus aquarum viventium, quæ fluunt impetu de Libano.
(Ct 4, 15) Source des jardins, puits d'eaux vives, ruissellement du
Liban ! «Quand elle vous connaît présent, ses larmes lui sont
des délices, elle les pense des témoignages de l'amour qu'elle vous
porte, duquel elle a un signe en bien. C'est la vive flamme que vous
produisez en mon coeur ; mais maintenant que ce feu est caché, comme
dans un puits profond, qui est à sec, ainsi que le feu sacré du
temps de la captivité des juifs, elle ne sait que juger de ses
larmes, dont elle ne connaît pas les motifs ni la cause. Se trouvant
en ces froideurs, elle dit : Surge Aquilo, et veni Auster, perfla
hortum meum, et fluant aromata illius». (Ct 4, 16) Lève-toi,
aquilon, accours, autan ! Soufflez sur mon jardin, qu'il distille
ses aromates ! Votre bonté, qui est un midi tout brûlant de charité,
ne se peut contenir sans me faire sentir les ardeurs qu'elle a pour
moi. Elle vous pressa d'une façon divine à me visiter, vous
m'apparûtes glorieux, portant un baudrier admirablement fait, auquel
pendaient des merveilleuses larmes en façon de perles, ces larmes me
dites-vous : «Ma fille, sont mes délectations, et celles de mes
courtisans célestes. Ce sont les larmes que tu as versées sans
savoir le principe et la fin d'icelles, ni à quoi elles pouvaient
être utilement dirigées et employées. Chère épouse, on les tient
dans le ciel plus précieuses que vous n'estimez en terre les perles
orientales et les pierreries dont les hommes font tant d'état. Tout
cela n'est que pour orner le corps pendant cette vie mortelle, mais
ces larmes répandues pour mon amour sont récompensées et
métamorphosées en des perles qui embellissent l'âme et qui orneront
le corps après la résurrection générale, la durée de la vie
éternelle. Dans le Louvre de gloire, le ciel empyrée, les larmes y
sont admirées parce qu'il n'en peut point produire, étant un lieu de
félicité, à l'entrée duquel les bienheureux ont reçu la couronne
après que j'ai essuyé leurs larmes à la fin de leur vie mortelle.
«Les larmes accroissant la joie accidentelle des saints quand elles
sont répandues par des actes d'amour et de contrition par les
personnes qui sont dans la voie, lesquelles imitent les vertus de
ces fortunés citoyens de l'Empyrée. Ces âmes simples et pacifiques
sont comme des brebis qui viennent du lavoir et comme des colombes
qui résident proche des fontaines et rivages des eaux de grâce :
Oculi eius sicut colombæ super rivulos aquarum, quæ lacte sunt lotæ,
et resident juxta fluenta plenissima. (Ct 5, 12) Ses yeux sont
des colombes, au bord des cours d'eau se baignant dans le lait,
posées au bord d'une vasque. «Ces âmes colombines et ces
tourterelles sacrées sont agréables aux saints qui leur ont montré
l'exemple de pleurer pour l'absence d'une Majesté qu'elles aiment et
qui les a aimées dès l'éternité pour les béatifier. Les saints
présentent en sacrifice ces larmes à ce Dieu de bonté comme David
présente l'eau que les soldats avaient apportée au péril de leur
vie, pour contenter son souhait et son désir. Ma fille, j'agrée
cette offrande, mais bien plus celle des larmes que l'amour produit
et rend méritoires de la vie éternelle. Madeleine versa des larmes à
la mesure de son amour. Elle aima beaucoup ; elle pleura beaucoup.
Saint Pierre eut autant de larmes qu'il eut d'amère contrition. Il
jouit d'autant de douceur dans le terme qu'il a eu d'amertume et de
douleur dans la voie, depuis que je le regardai après ses
reniements. Dominus respexit Petrum. Et egressus foras Petrus
flevit amare, (Lc 22, 61-62) Le Seigneur, se retournant, fixa
son regard sur Pierre. [...] Et, sortant dehors, il pleura
amèrement. Flux qui continue tout le reste de sa vie, me
pouvant dire : Deus, vitam meam annuntiavi tibi : posuisti
lacrymas meas in conspectu tuo, (Ps 55, 9) Tu as compté, toi,
mes déboires, recueille mes larmes dans ton outre !
Secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo :
consolationes tuæ lætificaverunt animam meam. (Ps 93, 19)
Dans l'excès des soucis qui m'envahissent, tes consolations
délectent mon âme. Ma fille, revêtu de tes larmes, je me
glorifie ; les vois-tu transparentes et luisantes ? Je confesse
devant mes bienheureux que tel ornement me plaît et que je l'estime
beau et précieux. Confessionem, et decorem induisti : amictus
lumine sicut vestimento. (Ps 103, 1-2) Yahvé, mon Dieu, tu es
si grand ! Vêtu de faste et d'éclat, drapé de lumière comme d'un
manteau, Ces larmes sont un firmament qui m'environne ; elles sont
des eaux relevées jusqu'à moi : Fiat firmamentum in medio aquarum :
et dividat aquas ab aquis. Et fecit Deus
firmamentum, divisitque aquas, quæ erant sub firmamento, ab his, quæ
erant super firmamentum. Et factum est ita. Vocavitque Deus
firmamentum, Cælum. (Gn 1, 6-8) Qu'il y ait un firmament au
milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux" et il en
fut ainsi. Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous
le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament, et
Dieu appela le firmament "ciel." Je te rends un ciel solide sur
lequel je repose en te portant moi-même par divine inclination.
J'étends tes pensées en multipliant en toi mes lumières admirables.
Extendens cælum sicut pellem : qui tegis aquis superiora eius.
(Ps 103, 2-3) Tu déploies les cieux comme une tente, tu bâtis sur
les eaux tes chambres hautes. Chère fille, ces larmes montent à moi
comme une très agréable vapeur, laquelle je convertis en nuées, sur
lesquelles nuées je me plais de faire des ascensions merveilleuses
et de voler sur les vents de tes soupirs. » Très cher Amour, c'est
donc ce que David veut dire quand il s'écrie, ravi d'admiration,
voyant vos ascensions amoureuses. Qui ponis
nubem ascensum tuum : qui ambulas super pennas ventorum.
(103, 3) Faisant des nuées ton char, tu t'avances sur les ailes du
vent. «Ces larmes sont agréables à mes Anges qui sont des esprits,
ministres de feu et de flammes. Ils viennent contempler ces eaux
merveilleuses qui fluent des yeux de mes amantes, que je rends des
cieux comme eux, les spiritualisant par grâce. Ils admirent ces
cieux relevés des âmes qui l'attire à moi. Ils regardent les corps
qu'elles informent exempte par ma grâce des mouvements impurs comme
s'ils n'étaient pas fragiles. C'est moi, ma fille : Qui fundasti
terram super stabilitatem suam : non inclinabitur in sæculum sæculi,
(Ps 103, 5) Tu poses la terre sur ses bases, inébranlable pour
les siècles des siècles, parce que ces corps en vertu de la
réception du mien sacro-saint, ressusciteront et seront immortels et
incorruptibles l'éternité entière. C'est ce qui ravira les Anges
parce qu'ils seront spiritualisés, habitant dans l'Empyrée dans une
bienheureuse félicité qui se peut dire céleste liberté. «Ils ne
seront plus liés par des mariages comme en cette vie : In
resurrectione enim neque nubent, neque nubentur : sed erunt sicut
angeli Dei in cælo. (Mt 22, 30). A la résurrection, en effet,
on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le
ciel. Abyssus, sicut vestimentum, amictus eius : super montes
stabunt aquæ (Ps 103, 6) De l'abîme tu la couvres comme d'un
vêtement, sur les montagnes se tenaient les eaux. «Ma fille, admire
comme un abîme de douleur a attiré un abîme de douceur ; tes larmes
qui semblaient être un abîme d'ennuis ont attiré ma bonté qui est un
abîme d'amour qui la veut de revêtir mon corps glorieux qui est la
terre sublime de ses larmes agréables comme d'un vêtement qui je
rends éclatant en beauté. Mon corps sera saint qui s'est fait le
ciel sublime et la plus relevée montagne qui soit dans l'Empyrée
estimé à gloire d'être couvert de tes larmes. Mes épaules sacrées
qui furent capables quoiqu'en ce figure de faire une montre de tout
bien à Moïse se plaisant à présent à porter les eaux de tes larmes
comme un baudrier glorieux comme une chaîne que ce Dieu amoureux a
composée lui-même et ainsi qu'une écharpe éclatante en beauté
beaucoup plus agréable que si elle eût été des plus riches étoffes
relevées en broderies et parsemées de brillants. Super montes
stabunt aquæ (Ps 103, 6) sur les montagnes se tenaient les eaux;
tes larmes sont divinement relevées par grâce. Celui que le sage
nomme fons sapientiæ verbum Dei in excelsis (Si 1, 5) La
source de la sagesse, c’est la parole de Dieu au plus haut des
cieux, les porte quand il veut paraître paré en tout de fête
solennelle ; les Anges ramassent celles des pêcheurs convertis et
c'est jour de leur plus grande joie. Ils en font leurs grandes
solennités. Ils les pressentent à la Sainte Trinité comme son fruit
qu'elle agrée. «J'admire, ma bien-aimée, le plaisir que le Divin
Père prend en contemplant son Fils Bien-aimé qui est son champ béni
arrosé des larmes que je lui offre dignement en reconnaissance de la
rosée d'eau qu'il t'a daigné distiller parce qu'il est amoureusement
bon et de soi-même communicatif. Il est le Père des miséricordes et
le Dieu de toutes consolations qui pour te consoler envoyé en terre
son Fils unique, l'image de sa bonté, fontaine forte et vivante
qui emittes fontes in convalibus inter medium montium medium montium
pertransibunt aquæ. (Ps 103, 10) Dans les ravins tu fais jaillir
les sources, elles cheminent au milieu des montagnes. C'est moi qui
suis cette sapience descendu ès vallées et qui produis dans les
coeurs humbles des fontaines de grâces. C'est moi qui envoie les
eaux lesquelles passent subtilement en les montagnes des élévations
d'esprit. Elles se présentent devant mon trône en la présence de mes
saints qui sont donc les montagnes qui se réjouissent de voir ces
larmes qui obtiennent de moi ce qu'elles demandent pour ma gloire et
pour le salut des âmes. Éprouve, ma fille, cette vérité : Beati,
qui lugent : quoniam ipsi consolabuntur. (Mt 5, 5) Heureux les
affligés, car ils seront consolés. Rigans montes de superioribus
suis. (Ps 103, 13) De tes chambres hautes, tu abreuves les
montagnes. A ces larmes sont données des grâces sublimes. C'est un
don du Père céleste qui vient d'en haut qui fait produire aux âmes
des oeuvres qui me sont agréables. «Madeleine avait pleuré devant
qu'elle avait fait une bonne oeuvre laquelle serait prêchée avec mon
Évangile. Je repris mes disciples des pensées qu'ils auraient contre
cette action comme je me plains à Simon le Pharisien de ce qu'il ne
m'avait pas rendu témoignage d'amour semblable à ceux de cette
pénitente, [264] vraie amante, lui disant : Vides hanc mulierem ?
Intravi in domum tuam, aquam pedibus meis non dedisti : hæc autem
lacrymis rigavit pedes meos, et capillis suis tersit. Osculum mihi
non dedisti : hæc autem ex quo intravit, non cessavit osculari pedes
meos. Oleo caput meum non unxisti : hæc autem
unguento unxit pedes meos. Propter quo dico tibi : Remittuntur ei
peccata multa, quoniam dilexit multum».
(Lc 7, 44-47) Tu vois cette femme ? Dit-il à Simon. Je suis
entré dans ta maison, et tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds;
elle, au contraire, m'a arrosé les pieds de ses larmes et les a
essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser; elle, au
contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me couvrir les
pieds de baisers. Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête; elle, au
contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. A cause de cela, je
te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce
qu'elle a montré beaucoup d'amour. Cher Amour, je vous dois beaucoup
aimer, puisque vous m'avez remis beaucoup de péchés, desquels on me
défend la narration en cette relation de ma vie. Votre sagesse l'a
permis pour me faire connaître qu'elle dispose de tout sagement,
afin que j'oublie ce qui est de moi et me souvenant de ce qui est de
votre bonté et que je dise avec l'Apôtre : Unum autem : quæ
quidem retro sunt obliviscens, ad ea vero, quæ sunt priora,
extendens meipsum, ad destinatum persequor, ad bravium supernæ
vocationis Dei in Christo Jesu. (Ph 3, 13-14) Non, frères, je ne
me flatte point d'avoir déjà saisi; je dis seulement ceci: oubliant
le chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon
être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle
à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus.
Chapitre 59
Que Dieu défend son Ordre contre la rage des démons, ordonnant à
Saint Michel et ses Anges de combattre pour icelui ainsi qu'ils
firent pour l'Incarnation. Notre Seigneur m'appropria les paroles de
Jérémie, de l'Apocalypse et d'Isaïe.
M'oubliant de moi et
des imperfections que j'ai produites, je ne dois pas m'oublier de la
suite de cette narration de vos miséricordes que vous continuez de
verser sur moi comme si elles étaient pour moi seule et pour tout ce
qui me peut rendre heureuse. Elles préviennent tout ce qui me
pourrait nuire pour le détourner, et en vérité, je peux bien dire
que je ne suis offensé que par moi-même et que les démons enragés
contre l'établissement de votre Ordre ne lui pourront nuire, n'ayant
du pouvoir qu'autant que vous leur en permettez. Celui qui tenta
Pharaon lequel m'apparut en figure et semblance d'un mort obstiné à
résister à tout ce qui est de votre gloire en cet Ordre, et celui
qui tenta Arius qui emprunta la figure d'une personne qui se plaît à
railler et se moquer de ce qu'il ne peut absolument empêcher n'ont
pu arrêter le cours de votre providence sur cet Institut. Saint
Michel et ses Anges sont à notre aide. Ils ont la même nature et
sont éclairés de la grâce et de la gloire qui les rend plus forts
que ceux qui n'ont que cette nature destinée des avantages que vos
clartés et vos puissances leur eussent donnés s'ils ne se fussent
rendus criminels de lèse majesté divine et humaine, refusant
d'adorer la divinité qui se voulait unir à la nature humaine. Ne
pouvant empêcher que votre amour, ô Divine Bonté, ne portât et
pressât la Seconde Personne à se revêtir d'un corps dans les
entrailles d'une femme, se faisant homme pour faire l'Homme-Dieu, et
que vous ne fussiez nommé Verbe Incarné pour nous rendre consorts de
votre divine nature. La vue de cette Vierge incomparable qui était
destinée dès l'éternité pour votre Mère et pour enfermer dans ses
flancs virginaux l'homme Orient, qui devait être cette nouveauté
admirée sur la terre, selon le dire du Prophète disant : Quia
creavit Dominus novum super terram : femina circumdabit virum
(Jr 31, 22) Car Yahvé crée du nouveau sur la terre: la Femme
recherche son Mari, accroissait les furies de ces esprits révoltés
contre vous et contre tous les hommes, la nature desquels ils
eussent voulu détruire s'ils eussent pu, ce qui est clairement
montré dans l'Apocalypse : Signum magnum apparuit in cælo :
Mulier amicta sole, et luna sub pedibus eius, et in capite eius
corona stellarum duodecim : et in utero habens, clamabat parturiens,
et cruciabatur ut pariat. Et visum est aliud signum in cælo : et
ecce draco magnus rufus habens capita septem, et cornua decem : et
in capitibus eius diademata septem, et cauda eius trahebat tertiam
partem stellarum cæli, et misit eas in terram, et draco stetit ante
mulierem, quæ erat paritura : ut cum peperisset, filium eius
devoraret. Et peperit filium masculum, qui recturus erat omnes
Gentes in virga ferrea : et raptus est filius eius ad Deum, et ad
thronum eius, et mulier fugit in solitudinem ubi habebat locum
paratum a Deo, ut ibi pascant eam diebus mille ducentis sexaginta.
Et factum est prælium magnum in cælo : Michael, et angeli eius
præliabantur cum dracone, et draco pugnabat, et angeli eius : et non
valuerunt, neque locus inventus est eorum amplius in cælo. (Ap
12, 1-8) Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme ! Le soleil
l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent
sa tête; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail
de l'enfantement. Puis un second signe apparut au ciel: un énorme
Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée
d'un diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les
précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le
Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit
au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations
avec un sceptre de fer; et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de
Dieu et de son trône, tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où
Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1.260 jours.
Alors, il y eut une bataille dans le ciel: Michel et ses Anges
combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges, mais
ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. «Ma fille, cette
femme adorable qui était enceinte d'un fils mâle était la figure de
ma Mère et de moi qui me devais enfermer dans ses flancs dans
lesquels je voulus prendre un corps et me faire le premier-né entre
plusieurs frères, demeurant vivant dans le sein de mon Père en vous
visitant pour vous éclairer de ma lumière, laquelle je cachais dans
ce sein maternel, non pas si entièrement que le dragon n'entrât en
appréhension de la ruine de son empire. Armé de colère et s'élevant
d'arrogance, ce que tu peux remarquer en ces mots : magnus et
rufus, (Ap 12, 3) rouge-feu, paraissant avec sept têtes, chacune
ayant son diadème, attirant avec sa queue la troisième partie des
étoiles comme ses soldats de la vue desquels il voulait effrayer
cette femme, devant laquelle il se tenait pour l'épouvanter par
lui-même. Se croyant assez terrible pour lui donner de la crainte et
pour la faire enfanter de frayeur et de sa gueule béante, il pensait
dévorer son fils mâle. «Il faisait le majestueux avec ses cornes,
ignorant les inventions toutes-puissantes de l'amoureuse providence
d'un Dieu amoureux des hommes et Fils de cette femme, lequel était
par indivis l'Unique de son Père éternel auquel il est égal, et sans
faire rapine, il possède la même divinité, laquelle le ravit au
trône et fit envoler cette admirable femme qui était son auguste
Mère dans la solitude où ce Dieu tout-puissant et lui avait préparé
une demeure singulière comme à icelle qui est sans pareille, de
laquelle ce Dieu seul peut connaître les excellences et la traiter
selon la dignité qui lui avait dès l'éternité destinée. Michel,
ayant plus de zèle de la gloire de ma Mère que le dragon n'avait de
haine de ses prééminences, combattit avec ses Anges ce dragon bouffi
d'orgueil et toute sa suite, les chassant du ciel auquel ils
n'entreront jamais, et s'ils gardent leur envenimée malice pour
nuire à la semence de cette femme, la terre de mon Humanité Sainte
engloutira ce fleuve à la confusion des démons et la mort de la mort
que le dragon et serpent antique a procurée aux hommes par la
sollicitation qu'il a faite et leur fait tous les jours d'offenser
leur Créateur. Je serai la morsure de l'enfer. J'engloutirai ce
fleuve. Et adjuvit terra mulierem, et aperuit terra os suum, et
absorbuit flumen, quod misit draco de ore suo. (Ap, 12, 16) Mais
la terre vint au secours de la Femme: ouvrant la bouche, elle
engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon. «J'ai englouti la
mort, je l'ai absorbée. Absorpta est mors in victoria. Ubi est
mors victoria tua ? Ubi est mors stimulus tuus ? (1Co 15, 54-55)
La mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta
victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? M'entretenant des
pouvoirs, des splendeurs et de la fécondité que votre divine bonté a
communiquée à votre Mère, vous étant fait son Fils, vous ravîtes mon
esprit en l'admiration de ses merveilles l'ayant élevé par amour.
Vous me dîtes : Ma fille, j’étais entretenue des suréminences de ma
Mère par ces deux textes de l’Écriture : de Jérémie et de
l’Apocalypse, lesquels sont reconnus de toute l’Eglise, vérifiés en
mon auguste Mère et en moi, quand j’ai pris mon humanité en elle et
que j’ai absorbé la mort par ma mort, et vaincu l’enfer duquel j’ai
été et suis la morsure qu’il n’a pu digérer. Les Limbes m’ont rendu
et, après moi, tous les Pères et toutes les âmes qui y étaient
captives. J’emmenai la captivité captive, montant sur tous les
cieux, donnant des dons aux hommes, desquels mon Apôtre fait des
distinctions, assurant que je suis monté en haut pour remplir toutes
choses. Qui descendit, ipse est et qui ascendit super omnes cælos,
ut impleret omnia. Chère fille, entre tous ceux et celles à qui
je destinais des dons, je te regardais pour t’en faire largesse et
pour faire voir en toi aux Anges et aux hommes une reproduction
mystique des mystères les plus célèbres et les plus avantageux à ma
gloire au dehors et au salut des hommes. Souffre, quoique confuse,
que je te dise que tu es encore cette femme merveilleuse sur qui
enserre d’une façon mystique l’homme Orient qui est moi, et que tu
es cette femme qui fut un signe prodigieux revêtue du soleil,
coiffée des étoiles et chaussée de la lune, que tu as sous les
pieds, méprisant les vicissitudes et les vanités qui sont en terre ;
ton chef est plein de science. Les doctes, chez Daniel, sont
comparés aux étoiles qui brilleront en perpétuelle éternité. Les
splendeurs qui je mets dans ton âme passent jusqu’à l’extérieur. Tu
as plusieurs témoins de ces clartés, quand tu ignorerais, comme
Moïse, que ton chef et ta face paraissent souvent lumineux. Ces
rayons que tu vois sont rendu visibles aux autres quand je le juge à
propos pour leur donner dévotion et respect à ma Majesté que se fait
voir en qui il me plaît».
«Tu dois savoir qu’il
est un signe visible du soleil invisible qui te fait son ciel
éclairé de ses lumières. La constance que l’on voit en la poursuite
de mes desseins montre ta fermeté et que tu n'es pas agitée
des continuelles inconstances qui sont propres à ton sexe. C'est ma
grâce, ma fille, qui t'affermit en mes volontés. C'est ma grâce qui
te rend agréable à mes yeux. C'est ma grâce qui te veut rendre ma
Mère d'une façon merveilleuse et qui te fera enfanter dans l’Église
Celui que ma Mère a enfanté dans Bethléem, par une mystique
naissance et par une extension de mon Incarnation, malgré les
envies, les rages et les furies des démons et les contradictions des
hommes. Je t'ai donné des yeux et des ailes d'aigle pour me voir
dans le sein de mon Père, dans la source des divines splendeurs et
pour voler dans la solitude de ce sein paternel où est le Fils
unique qui te révèle ses mystères, parce que tel est le divin
plaisir d'honorer de la sorte celle qui lui plaît d'honorer par ses
insignes faveurs. Ma Mère a crié par les prophètes qui désiraient
cet enfantement, car d'elle, on n'a jamais ouï de cris ; elle a
enfanté sans douleurs. «Les tranchées ont prévenu ès patriarches et
prophètes, ce qui est clair dans l’Écriture. Il n'est pas nécessaire
que tu t'arrêtes et en marquant les passages. Le Prophète Isaïe en
fournit plus que suffisamment qui prouve cette vérité. Il voulut que
les cieux se rompissent et que la terre s'ouvrit pour donner sortie
ou naissance au germe de David, de la semence duquel je devais
naître. Il espérait que la verge de la racine de Jessé sortirait et
s'élèverait florissante, sur laquelle le Saint Esprit serait veux
reposer [sic]. Ses espérances n'ont pas été confondues ; ses
prophéties ont étés accomplies. Elles seront reproduites par cet
Institut ; n'en doute pas, ma fille. Mon esprit repose en toi. Il se
rend trop connaissable. En pourrais-tu douter, sans impugner la
vérité connue ? Tu offenserais sa bonté qui se rend de toi comme
familière amie. Tu peux encore voir comme je te favorise de mes
douceurs et que ce n'est pas toi qui souffres les tranchées de
l'enfantement de mon Ordre. Les pères qui te dirigent les ont, car
ils s'affligent de ce long retardement, et toi, tu attends en espoir
et silence le salutaire divin. Je suis avec toi pour te réjouir ; tu
éprouves que ma compagnie est sans ennuis». Cher Amour, Saint Bruno
plongé dans les admirations de ses douceurs, l'admirant, la louait
par des exclamations : «O Bonté, ô Bonté!», l'appelant elle-même
afin qu'elle reconnût divinement ses excellences divines. Imitant ce
grand patriarche des saints, je vous prie d'être votre digne louange
et votre suffisante rétribution. Je n'ignorais pas que vous m'aviez
prévenue de vos bénédictions de douceurs, devant m'avoir révélé que
vous vouliez établir un Ordre pour honorer vos sacrés mystères avec
votre Divine Personne Humanisée pour l'amour des hommes. Déjà, je ne
savais comment vous témoigner mes humbles reconnaissances. Je
demeurais abîmée dans mes impuissances, adorant vos excellences
suprêmes, disant à toutes les créatures que j'avais invitées pour
vous louer et bénir : Glorificantes Dominum quantumcumque
potueritis, supervalebit enim adhuc, et admirabilis magnificentia
eius. Benedicentes Dominum, exaltate illum quantum potestis : major
enim est omni laude. Exaltantes eum replemini virtute, ne laboretis :
non enim comprehendetis. (Si, 43, 32-34) Que vos louanges
exaltent le Seigneur, selon votre pouvoir, car il vous dépasse. Pour
l'exalter déployez vos forces, ne vous lassez pas, car vous n'en
finirez pas. Qui l'a vu et pourrait en rendre compte ? Qui peut le
glorifier comme il le mérite ? Il reste beaucoup de mystères plus
grands que ceux-là, car nous n'avons vu qu'un petit nombre de ses
oeuvres. Si dès ce temps je ne trouvais point de termes pour vous
remercier des faveurs que votre bonté m'avait départies, que puis-je
faire maintenant, sinon admirer en adorant et adorer en admirant,
et, avec les Séraphins, dire : Saint, Saint, Saint est le Seigneur
des armées. Toute la terre est pleine de votre gloire, tout tremble
de respect devant votre Majesté ; et moi, dois-je parler ? Isaïe dit
que celui est un malheur de s'être tu, silence qu'il avait gardé
parce que ses lèvres étaient impures, habitant au milieu de ceux que
les péchés avaient souillé les lèvres, et qu'en cette mauvaise ou
impropre disposition, il avait vu de ses yeux le Roi et le Seigneur
des Exercites lequel avait en horreur les lèvres polluées ; qui
devait prononcer ses oracles divins. «Ma fille, les lèvres du
prophète furent purifiées par le charbon ardent que le Séraphin prit
sur l'autel avec des tenailles ayant ouï que mon Père, moi et le
Saint Esprit voulions faire une mission aux hommes dit : Ecce
ego, mitte me. (Is 6, 8) "Me voici, envoie-moi." Auquel
nous répondîmes unanimement : Vade, et dices populo huic : Audite
audientes, et nolite intelligere : et videte visionem, et nolite
cognoscere. Excæca cor populi huius, et aures eius aggrava : et
oculos eius claude : ne forte videat oculis suis, et auribus suis
audiat, et corde suo intelligat, et convertatur, et sanem eum.
(Is 6, 9-10) "Va, et tu diras à ce peuple: Écoutez, écoutez, et ne
comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas. Appesantis
le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, englue-lui les yeux,
de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que
son coeur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri."
«Ma fille, je t'envoie en une semblable mission. Ceux à qui tu
parleras n'entendront pas en t'oyant ; me voyant par toi, ils ne me
connaîtront pas ; tes lumières les aveugleront ; tes paroles
endurciront leur coeur, aggraveront et boucheront leurs oreilles.
Ils fermeront les yeux à mes clartés ; ses splendeurs leur seront
ténèbres, parce qu'ils voudront comprendre naturellement ce qui ne
peut être connu que par une lumière surnaturelle, laquelle je ne
donne qu'à ceux qui humilient leurs âmes sous ma puissante main,
laquelle porte la lumière et tient enserrées les étoiles, qui
représentent la science comme sous un sceau. Aveugle ceux-là, ma
fille, qui présument de savoir ce qu'ils ignorent». «Jusqu'à quand,
Seigneur ? » «Jusqu'à ce qu'ils auront connu leur aveuglement, leur
ignorance en mes voies, et qu'ils dépendent de ma miséricorde sans
laquelle, comme tu m'as dit de toi, ils seraient déjà tous
consommés». Cher Amour, je vous dis : Exaudi orationem meam
Domine, et deprecationem meam : auribus percipe lacrymas meas.
(Ps 38, 13) Écoute ma prière, Yahvé, prête l'oreille à mon cri, ne
reste pas sourd à mes pleurs. Que mes larmes entrent et soient
reçues de vous. Je sais bien que vous les voyez, que vos oreilles
entendent ces larmes qui vous prient de me pardonner, et à tous ceux
qui vous résistent : Mirifica misericordias tuas, qui salvos
facis sperantes in te. A resistentibus dexteræ
tuæ custodi me, ut pupillam oculi. Ego autem in justitia apparebo
conspectui tuo : satiabor cum apparuerit gloria tua.
(Ps 16, 7-8, 15) Signale tes grâces, toi qui sauves ceux qui
recourent à ta droite contre les assaillants. Garde-moi comme la
prunelle de l'œil. [...] Moi, dans la justice, je contemplerai ta
face, au réveil je me rassasierai de ton image. Mon divin Sauveur,
si vous êtes ma justification, je n'aurai point de confusion de
paraître en votre présence. Je serai rassasiée quand votre gloire
m'apparaîtra ; je veux dire quand je verrai que les hommes la
procureront en toutes leurs actions. C'est ce que je demande à votre
bonté, et qu'en cette mission que vous m'aviez donnée d'un
établissement qui vous honore, que nous n'y cherchions rien que vous
et le salut des âmes. Revenant de ce long ravissement, j'étais toute
honteuse de ce que Mademoiselle Guilloire m'avait attendue si
longuement, car nous étions en l’Église Saint André-des-Arts qui est
sa paroisse. Hé ! Dieu, que j'eus bien désiré d'être dans ma
solitude ce matin-là, et de faire un festin des pensées qui me
restaient après ce ravissement, mais m'ayant attendue pour dîner
avec elle, sa patience et la civilité m'eussent rendue blâmable,
joint que je ne lui voulus pas faire semblant du ravissement qui
m'avait retenue, la laissant dans les pensées qu'elle avait, la
connaissant autant discrète que charitable.
Chapitre 60
Comme on remit
l'établissement du Verbe Incarné après le voyage que Monseigneur de
Paris devait faire à Saint Aubin. Ce qui fut une providence, et que
fut résoudre Madame de la Lande à fonder ses dévotions à l'Ordre
Saint Benoît.
Quelques mois
s'écoulèrent, attendant le temps propre pour présenter notre Bulle à
Monseigneur de Paris, c'est de quoi je ne me hâtais pas.
Mademoiselle de Longueville et Madame de la Rocheguyon, sa nièce,
furent d'avis de la présenter, mais on dit qu'il fallait attendre,
que l'heure n'était pas encore venue. Que Monseigneur de Paris la
voulait mettre en son conseil composé de personnes doctes et pieuses
de la piété desquelles on ne doutait pas. Mais on pensait que le
dire de Saint Paul est véritable : que les hommes abondent en leurs
sens, et que, sans crime, il leur est permis d'avoir plus de zèle
pour les choses qu'ils agréent selon Dieu, que pour celles
auxquelles ils n'ont point d'inclination. Les Anges, chez Daniel,
étaient bien de différentes inclinations. Les uns et les autres
avaient raison, et ils se fussent saintement résisté plus de
vingt-deux jours, si la Majesté Divine n'eût envoyé Michel au
secours de Gabriel auquel l'Ange de Perse avait résisté trois
semaines à bon dessein, désirant de retenir le peuple d'Israël
dressé au culte divin pour attirer par son exemple ceux desquels il
avait la charge. Peut-être que le bon Monsieur Du Val, porté
d'affection sainte pour l'Ordre des Carmélites, eût voulu rendre
Paris une autre Mont Carmel, désirant de voir ès âmes dans des
hautes contemplations. Monsieur le curé de St Nicolas des Champs,
poussé de zèle charitable pour les âmes pécheresses, pensait de vous
imiter, les cherchant et les portant sur ses épaules, par ses soins
dans le couvent des filles de la Madeleine, laissant les 99 qui
vivant en votre crainte dans la conduite de votre providence.
Monsieur le Blanc, prié de favoriser les Filles du Saint Sacrement,
pensait devoir honorer ce soleil par-dessus tous les astres et de
procurer que ses splendeurs éclairassent de nouveau toute la ville
de Paris. Il dit à Madame la Marquise de la Lande qu'il se fallait
unir avec les Filles du Saint Sacrement, ne sachant pas que ces
Filles n'y avaient point d'inclination, et que votre Majesté m'avait
dit : Segregate mihi Saulum, et Barnabam in opus, ad quod
assumpsi eos. (Ac 13, 2) Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul
en vue de l'oeuvre à laquelle je les ai appelés. Madame la Marquise
de la Lande me vint dire ce que Monsieur le Blanc avait dit. Je lui
fis réponse : «Madame, vous savez bien que les religieuses du Port
Royal veulent établir cet Ordre sans nous admettre avec elles. Il y
a de l'apparence que Dieu ne veut pas cette union, et qu'il se
contente qu'elles et nous dans nos établissements différents
convenions en unité de foi et d'amour pour ce Saint Sacrement».
Monsieur Guial, Grand Vicaire de Monseigneur de Paris, fit dire à
Mademoiselle de Longueville qu'il se promettait bien de faire
exécuter notre Bulle sans qu'elle passât par le Conseil de
Monseigneur de Paris, l'esprit duquel il ne voyait point contraire,
puisqu'on lui avait dit qu'elle était sous l'obéissance de
l'Ordinaire. Mademoiselle de Longueville, agréant les sentiments de
Monseigneur Guial, avait disposé Madame de la Rocheguyon, sa nièce,
d'envoyer la Bulle à Monseigneur Guial, mais Madame la Marquise de
la Lande, pressée de son zèle ordinaire, craignant que Monseigneur
Guial prolongeât trop cette exécution en attendant de trouver le
temps propre pour en parler à Monseigneur de Paris, demandait la
Bulle pour la faire présenter par d'autres qui presseraient plus que
Monseigneur Guial. Mademoiselle de Longueville dit à Madame de la
Rocheguyon : «Mon sentiment n'est pas de précipiter cette affaire ;
vous ferez ce que vous trouverez bon, vous et Madame de la Lande. »
Madame de la Rocheguyon, qui par devoir et par inclination désirait
suivre les sentiments de Mademoiselle de Longueville, fit réponse
qu'elle suivrait en tout ses conseils avec soumission et qu'elle
savait bien que je les honorais avec toutes sortes de respect.
Cependant Monseigneur de Paris vint visiter Mademoiselle de
Longueville, avec laquelle était Madame de la Rocheguyon, les
assurant qu'il désirait d'établir l'Ordre du Verbe Incarné, mais
qu'il les priait d'ouïr les raisons qui le faisaient différer, qui
étaient que les Filles du Port Royal, par la faveur de Madame la
Duchesse de Longueville, avaient obtenu du Roi des lettres pour leur
établissement et que Sa Majesté lui avait fait écrire par Mr de la
Ville au Clerc d'exécuter leur Bulle dans laquelle il y avait trois
évêques pour supérieurs et que l'on n'avait peut-être pas représenté
à Sa Majesté que, si en un diocèse suffit un seul évêque, à plus
forte raison devait suffire un évêque en son diocèse pour supérieur
d'un monastère. «Je ne doute pas de la justice de mon bon prince
s'il était informé de mes droits et que lui eût dit que cette Bulle
rabaissait l'autorité de l'Archevêque de Paris, que sa bonté trop
équitable ne goûtât les raisons que j'ai de refuser la Bulle de ces
Filles, et me pousse d'établir celle du Verbe Incarné Si je
l'établissais au refus de l'autre, sans avoir fait savoir à mon bon
prince mes raisons, quelques personnes mal informées pourraient dire
que je n'obéisse pas à ses inclinations et que ce n'est pas faire
état de l'autorité de mon Roi. Mademoiselle, je ne vous demande que
quatre ou cinq mois, lesquels je vais passer à Saint Aubin». Et
s'adressant à moi il me dit : «Que dites-vous, ma fille, à ces
raisons ? Ai-je tort ? Ne pouvez-vous pas attendre ? Je vois que
Mademoiselle de Longueville et Madame de la Rocheguyon sont de mon
sentiment. » A ces paroles, je répondis : «Monseigneur, j'aurais
mauvaise grâce d'y résister, (que je reconnaissais l'excès de bonté
à demander le sentiment de celle qui fait gloire de suivre et
d'obéir à vos volontés,) sans m'informer plus avant des raisons qui
vous font justement différer, ce que selon icelles vous ne pouvez
sitôt exécuter ; il y aura assez de temps après votre retour de
Saint-Aubin». Ce voyage me fit penser que Madame de la Lande,
pressée d'un saint zèle, ne pouvant attendre, se porterait à une
fondation de l'Ordre de Saint Benoît ce qu'elle fit ainsi. Votre
providence, ô mon Divin Amour, gouverna les esprits de ces dames,
leur conservant la paix et la dilection et me délivra des
appréhensions que j'avais que je ne les sus pas contenté toutes deux
si elles étaient ensemble fondatrices.
Chapitre 61
Qu’on
me manda de Lyon d’y venir et fairee le voyage pour gouverner la
Congrégation qui était à la veille de se dissoudre et comme la
Divine Providence me consola, me promettant son aide avec abondance,
m’exhoratnt à la perfection.
Quelques jours après,
je reçus des lettres de la Congrégation de Lyon qui me mandaient
qu'elles n'étaient que quatre et que deux étaient dans des
résolutions de quitter si je ne retournais tôt à Lyon, et pour me
persuader qu'elles ne dissimulaient pas, elles me firent écrire par
les R. Pères Jésuites. Le R. P. Binet avait répugnance que je
sortisse de Paris. Il voulut écrire au R. P. Milieu pour savoir de
lui s'il était absolument nécessaire que je fisse le voyage à Lyon.
Il manda que oui, et que j'apportasse force argent parce que les
quatre filles de la Congrégation n'avaient rien, et étaient
endettées. Le R. P. Binet me dit : «Ma fille, il faut que vous
alliez à Lyon, pendant que Monseigneur de Paris fera son voyage de
Saint Aubin, mais ne manquez pas de revenir après Pâques. Qui quitte
la partie la perd. Je maintiendrai Monseigneur de Paris dans ces
bonnes volontés ; on peut exécuter votre Bulle sans la remettre en
son conseil. » Mademoiselle de Longueville et Madame de la
Rocheguyon me permirent de venir dans Lyon pour quatre mois. Tout
était d'accord pour ce voyage, et moi, comme les autres fois, je
ressentais des indicibles résistances, versant des torrents de
larmes devant vous, mon Seigneur, appréhendant comme je pourrais
nourrir quatre filles à Lyon et trois que j'emmenais avec moi. Divin
Paraclet, vous me voulûtes faire connaître que vous étiez mon
consolateur, mon protecteur, et ma providence, me disant : «Ma
fille, dit avec le Roi-Prophète : Dominus regit me, et nihil mihi
deerit : in loco pascuæ ibi me collocavit. (Ps 22, 2) Yahvé est
mon berger, rien ne me manque. Sur des prés d'herbe fraîche il me
parque. Le Seigneur te régit, rien ne te manquera. Il pourvoira à
tout, n'appréhende pas d'avoir nécessités, confie-toi en la Divine
Providence. Jacta super Dominum curam tuam, et ipse te enutriet
(Ps 54, 23) Décharge sur Yahvé ton fardeau et lui te subviendra.
Peu de jours après cette assurance de la part de votre bonté,
j'entrais dans l'église des R. Pères de l'Oratoire à la rue Saint
Honoré. Étant à genoux devant le grand autel, vous élevâtes mon
esprit à vous, me faisant voir un ciel qui s'inclinait à moi, lequel
était couvert de manne en façon de grain de coriandre blanc comme
neige. Au milieu de ce ciel était une colombe qui me figurait le
Saint Esprit. J'admirais comme ce ciel pouvait être suspendu et
porté et produire la manne qu'il soutenait miraculeusement du côté
de la terre. Cette manne s'épanchait à moi et me semblait connaître
d'une façon mystique que je m'en allais à Lyon, et qu'elle me
suivait comme si elle eût eu du sens et de la connaissance pour
avoir de l'inclination à me suivre ; mais je ne m'en dois pas
étonner, puisque vous me pouvez aussi bien faire suivre à cette
manne mystique, comme vous ordonnâtes et la donnâtes le cours où
l'instinct à l'eau miraculeuse qui sortit de la pierre frappée par
Moïse de suivre le peuple d'Israël pour leurs besoins. Votre amour
est votre poids, par lequel vous employez vos créatures au service
et au secours de ceux ou de celles que vous aimez, parce que vous
êtes bon et infiniment miséricordieux. Voyant que vous vouliez que
je m'en vinsse à Lyon, me promettant ce que Jacob vous demandait, le
vivre et le vêtement, non seulement pour moi, mais pour toutes les
filles que vous me donneriez. Je fis mon possible pour obtenir
permission de Madame de la Rocheguyon de venir à Lyon pour quatre
mois. Pour gage de mon prompt retour, elle me dit qu'elle voulait
garder la Bulle, à quoi je ne résistais pas, pour ne lui donner à
penser que je ne retournerai pas si tôt qu'elle pensait et que j'eus
désiré à l'heure que je lui parlais. Je savais bien que je ne serais
pas sitôt religieuse dans Lyon que je l'eusse été dans Paris ; c'est
de quoi vous me voulûtes avertir. Je ne sais ci c'était pour
éprouver mon courage et ma confiance et ma fidélité. Je voulus obéir
à vos ordres par action, comme je les avais suivis par écrit, par
paroles et par pure intention de votre gloire et du bien de mon
prochain. Madame de Beauregard me vint voir pour me dire que mes
filles de Lyon l'avaient priée de me faire entendre la nécessité
qu'elles avaient de mon retour, et qu'elle leur avait promis de
faire son possible pour me ramener. Je lui dis : «Madame, je suis
prête de partir quand il vous plaira. Je bénis le Verbe Incarné qui
me met sous votre protection et conduite ; que j'espère m'être
autant et plus favorable que celle où il me mit quand je sortis de
Lyon, qui fut Monsieur de Pure auquel j'ai des immortelles
obligations des soins qu'il eut de moi et des faveurs que lui et
Madame sa femme m'ont faites. » Apprenant que le R. P. Jacquinot,
après ses visites comme Provincial s'était rendu à Paris, je le fus
voir et lui dis comme nos filles de Lyon me pressaient d'y faire un
voyage ; ce qu'il trouva à propos, de crainte qu'elles ne
quittassent la Congrégation. La veille de l'Apôtre Saint André,
mille six cents vingt huit, j'étais entrée dans Paris et quatre ans
après, à même jour, veille Saint André, je sortis de Paris, ayant
l'âme fort triste et ma face baignée de larmes, amenant trois filles
avec moi, j'étais la quatrième. Celle qui m'était la plus intime
était ma Soeur Élisabeth Grasseteau dont la fidélité est admirable,
non seulement à vous, mais à moi. Tout l'Ordre du Verbe Incarné la
doit louer jusqu'au dernier jour pour ses vertus, principalement
pour sa constante résolution qui n'a pu être ébranlée, quelle
sollicitation que l'on ait pu faire pour me quitter, lui
représentant qu'elle perdait son temps, et s'assurait en des vaines
espérances, que l'Ordre du Verbe Incarné ne serait jamais établi,
que j'étais ordinairement malade, que si je mourais tout le dessein
serait rompu. Cher Amour, il faut espérer contre tout désespoir pour
ce pauvre Institut. «Ma fille, fais comme Abraham. Marche en ma
présence, et sois parfaite». Dieu de mon coeur si, en parlant, vous
me donniez la perfection, sans attendre ma correspondance, je serais
aussitôt parfaite, mais comme vous ne jugez pas à propos de me
donner la perfection, en me disant de travailler pour l'acquérir,
voulant que connaisse ma faiblesse par mes propres chutes, jusqu'à
ce que je vous puisse dire, m'étant reconnue infirme en moi, alors
je me suis vue forte en vous, pouvant tout en Celui qui me fortifie.
Parfois vous m'approchez de vous, me donnant confiance par les
paroles de ce Vase d’Élection : Deponentes omne pondus, et
circumstans nos peccatum, per patientiam curramus ad propositum
nobis certamen : aspicientes in Auctorem fidei, et consummatorem
Jesum, qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem, confusione
contempta, atque in dextera sedis Dei sedet. Recogitate enim eum,
que talem sustinuit a peccatoribus adversum semetipsum
contradictionem : ut ne fatigemini, animis vestris deficientes.
Nondum enim usque ad sanguinem restitistis. (He 12, 1-4) Nous
devons rejeter tout fardeau et le péché qui nous assiège et courir
avec constance l'épreuve qui nous est proposée, fixant nos yeux sur
le chef de notre foi, qui la mène à la perfection, Jésus, qui au
lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il
méprisa l'infamie, et qui est assis désormais à la droite du trône
de Dieu. Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une
telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude de vos
âmes. 4 Vous
n'avez pas encore résisté jusqu'au sang.
Chapitre 62
De mon arrivée à
Lyon ; des larmes que je versai en prenant la conduite de la
Congrégation du Verbe Incarné sous la commission de votre Sainte
Mère et des souffrances que j’eus de deux personnes.
Nous arrivâmes à Lyon
l'onzième de décembre, un samedi, mais comme le carrosse de Madame
de Pure, qui nous avait pris en descendant du coche, ne put pas nous
rendre à notre Congrégation, n'ayant que deux chevaux, il nous
rendit chez Madame Colombe, laquelle nous pria de coucher cette nuit
chez elle, puisqu'il était fort tard pour monter notre montagne.
Nous suivîmes son conseil et acceptâmes sa charité. Le lendemain
matin, je voulus aller à Saint Joseph pour recevoir la lumière en
l'église de ce saint, nécessaire à la conduite de votre famille, ô
Divin Verbe Incarné qui aviez choisi ce grand patriarche pour votre
père nourricier, duquel vous vous rendîtes le sujet comme le fils,
le nommant votre père. Je lui demandai, tendre Amour, révérence et
fidélité envers vous. Je priais votre sainte mère de me regarder
comme celle qui dépendait absolument de ses ordres, et que je la
considérerai toujours comme la supérieure de notre Congrégation, et
que, d'elle, je recevrai la commission de la gouverner en son nom,
comme sa vicaire, quoique je me reconnusse très indigne de ce nom,
et très incapable de cette conduite; mais que, la considérant mon
espérance, après Dieu, je recevais avec humilité cette charge. Après
midi, je montai la sainte montagne, non avec esprit de joie, mais de
tristesse. Je versais mon coeur par mes yeux, quand je fus dans
notre chapelle, pendant que nos sœurs m'attendaient au chœur,
chantant le Te Deum (BR. Ad Matutinum) .A toi Dieu.
Baignée de mes larmes, je les embrassais toutes comme mes sœurs et
mes filles; la vue des petites pensionnaires me réjouit. Seigneur,
que de la bouche de ces enfants votre louange soit parfaite.
Nourrissez-les de vos mamelles amoureuses, comme j'espère. Quelques
jours après mon arrivée, le R. P. Poiré me vint voir, et par une
grande charité, il m'offrit toutes les assistances du grand collège
dont il était Recteur. Ma Soeur Catherine Fleurin, me fit récit des
vertus et de la prudence de ce Père, me priant de ratifier la prière
qu'elle lui avait faite de prendre la peine de diriger notre
Congrégation, me racontant les afflictions qu’elle avait eues par
les importunités de deux personnes incapables du gouvernement qui
l'y recherchaient avec passion. Ces deux personnes montrèrent tant
de témoignage de joie de ma venue, qu'il semblait qu'elle leur eût
apporté les avantages qu'elles présumaient d'avoir, qui étaient
d'être absolues en la conduite de la Congrégation. L'avertissement
de cette fille, et l'expérience que je fis de leur peu de capacité
me fit résoudre à prier de nouveau le R. P. Poiré de m'assister de
ses conseils comme sa charité me les avait offerts. Il me dit: «Très
volontiers, ma Mère. » Je le priais de me conduire comme sa fille
spirituelle et qu'il fit avancer la Congrégation du Verbe Incarné à
la perfection à laquelle elle était obligée, qui est d'imiter celui
duquel elles portent le nom. Les deux qui pensaient être maîtres, se
voyant bien loin de leurs espérances, se résolurent de dresser des
batteries que je ne prévoyais pas. Je parlais à l'un et à l'autre
avec ma franchise ordinaire, leur témoignant la résolution que
j'avais de persévérer sous la conduite du R. P. Recteur qui était
plein de prudence, de sagesse et de piété. Ils avisèrent comment ils
pourraient faire pour me donner de l’aversion de ce père, mais ils
ne purent venir à bout de leur dessein. Le plus suffisant ne me
faisait pas paraître qu'il voulait me faire haïr ce père mais ils
suggèrent à l'autre tout ce qui me pourrait faire concevoir une
haine de lui et de sa conduite. Le conseiller, qui cachait son
venin, ne pouvant me voir si souvent que celui à qui il donnait ces
bons conseils, lequel me voyant se résolut de m'ôter mes
pensionnaires et celles de mes filles qu'il pensait que j'aimais
plus, ce qu'il fait encore à présent quand il leur peut parler ou
leur faire parler par d'autres; mais, comme vous dîtes, ô mon
Seigneur: Non rapiet eas quisquam de manu mea. Pater meus quod
dedit mihi, maius omnibus est: et nemo potest rapere de manu Patris
mei. (Jn 10, 28-29) Nul ne les arrachera de ma main. Mon Père,
quant à ce qu'il m'a donné, est plus grand que tous. Nul ne peut
rien arracher de la main du Père. Il n'a pu par toutes ses
inventions m'arracher celles que j'ai voulu garder, parce que vous
me les avez données, et que votre main qui est plus forte que moi,
les a retenues, quelle invention qu'il ait faite pour les mettre
dehors, celles qu'il a sorties sont celles que votre providence n'a
pas voulues dans son Ordre et que j'ai laissé aller à leur volonté.
Très cher Amour, comme je n'ai point de fiel pour tous ceux qui
m'ont fait souffrir, je ne veux point avoir de plume pour spécifier
et déduire les maux qu'ils m'ont voulu faire puisque votre bonté m'a
toujours consolée quand ils pensaient de m'affliger. Je veux dire
avec l'Apôtre que ces souffrances, quoique ceux qui en ont su la
millième partie les estiment très grandes, ne sont pas comparables
aux délectations que vous m'avez communiquées. J'en ai écrit une
partie dans les cahiers que Son Éminence fit emporter le premier
jour de décembre, elle peut voir ce que j'ai écrit depuis 1633. Je
commençai au mois d'avril, après mon retour de Paris, et, si je me
souviens bien, ce fut en marquant la faveur que vous me fîtes par
vos cinq plaies. Je fus quatre mois sans marquer par écrit les
grâces que vous me faisiez. Je ne pouvais pas beaucoup écrire parce
que j'avais mal aux yeux et que j'étais, comme je suis encore quasi
ordinairement, malade; le soin que votre bonté a eu de me réjouir
pendant qu'on cherchait toutes sortes d'inventions de m'affliger,
sachant que je ne m'en pouvais plaindre à elle, qui ne m'a pas été
une petite mortification. Et vous, mon Dieu et mon tout, en soit
éternelle bénédiction. Vous l'avez permis et je ne m'en plains point
aux créatures de la terre; à vous mon Seigneur, je me suis adressée
plusieurs fois quand cette privation me semblait rigoureuse. Vous me
disiez que vous le permettiez pour votre gloire et pour m'éprouver,
que je ne perdisse point courage, que je me souvins de ces paroles:
Ps. 116 Lapidem quem reprobaverunt aedificantes: hic factus est
in caput anguli. A Domino factum est istud: et est mirabile in
oculis nostris. (Ps 117 22-23) La pierre qu'ont rejetée ceux qui
bâtissaient est devenue la principale de l'angle. C'est de Yahvé que
cela est venu: c'est un prodige à nos yeux. Chère fille,
l'Ordre se fera au jour que je montrerai ma puissance de ma dextre,
jour duquel vous pourrez dire: Haec est dies, quam fecit Dominus:
exultemus, et laetemur in ea. (Ps 117, 24) C'est ici la
journée que Yahvé a faite: Qu'elle soit pour nous un sujet
d'allégresse et de joie ! Cher Amour, nous vous disions en général
et en particulier: O Domine salvum me fac, o Domine bene
prosperare: benedictus qui venit in nomine Domini. (Ps 117,
25-26) O Yahvé, accorde le salut ! O Yahvé, donne la prospérité !
Béni soit celui qui vient au nom de Yahvé ! Vous nous bénirez dans
votre maison de grâce des bénédictions de votre maison de gloire,
Deus Dominus, et illuxit nobis. (Ps 117, 27) Yahvé est Dieu, il
nous illumine. Vous rendrez ce jour solennel et vous remplirez de
votre liesse par les abondances des faveurs que nous recevions à nos
autels, où nous vous rendions nos vœux; chacune de nous vous dira:
Deus meus es tu, et confitebor tibi: Deus meus es tu, et exaltabo
te. Confitemini Domino quoniam bonus: quoniam in saeculum
misericordia eius. (Ps 117, 28-29) C'est toi mon Dieu, je te
rends grâce, mon Dieu, je t'exalte; je te rends grâce, car tu m'as
exaucé, tu fus pour moi le salut. Rendez grâce à Yahvé, car il est
bon, car éternel est son amour !
Chapitre 63
Comme le Verbe
Incarné changea les sentiments d’un Père qui avait contredit quatre
années à son Ordre, après quoi il fut le plus zélé de son
avancement.
Ayant le R. P. Recteur
pour notre directeur, nous eûmes presque tout le collège. J’apprit
que le R. P. Gibalin s'était déclaré, si je l'ose dire, le
persécuteur de l'Ordre du Verbe Incarné, et qu'il déclamait contre
celle qu'il ne connaissait pas; les lettres qu'il écrivait à sa
nièce à présent supérieure et première religieuse de l'Ordre,
marquent les sentiments d'aversion qu'il avait conçus contre toutes
les imaginations de Jeanne de Matel, de laquelle il parlait selon
qu'il jugeait d'elle; ces lettres m'ont donné sujet de joie quand je
les ai lues, sa nièce les ayant gardées pour me les faire voir par
les mains du celui qui les avait écrites devant m'avoir vue. J'en
réservais encore une. L'avant-veille de Noël, je l'envoyais prier de
nous prêcher le jour de votre Nativité. O mon tout humble Verbe
Incarné, vous fîtes voir que vous appeliez les choses faibles pour
confondre les forts. Ledit R. P. me voulut venir voir armée des
raisons qu’il croyait être invincibles pour me prouver le peu
d’apparence qu’il y avait que ses nièces se tinssent en l’espérance
d’être de l’Ordre du Verbe Incarné. Il commença sa première visite
avec une mine autant dédaigneuse que sa parole. Je tachai d’être le
plus civile qu’il me fut possible, et après l’avoir ouï, je lui dis
qu’il avait eu beau résister, que vous avait prié qu’il fut notre
Saint Paul converti. Il trouva plus de douceur en mes réponses qu’il
n’avait préparé de rigueurs en ses propositions.
J’admirais comme votre
Majesté le convainquait, car je disais fort peu. Vous lui pouviez
dire : Durum est tibi contra stimulum calcitrare. «Mon Père,
lui dis-je, Dieu vous destine pour avoir soin de toutes les maisons
de l’ordre, comme Saint Paul de toutes les églises.»
Très cher Amour, vous
savez bien que j’ai traité simplement et naïvement avec tous mes
confesseurs et directeurs, et que je ne leur ai point celé mes
imperfections ni vos grâces. Le R. P. Poiré, désirant que le R. P.
Gibalin lui aidât à l’avancement de cet ordre, lui témoigna une
confiance particulière en des entretiens familiers. Mon contentement
était grand de les voir unis à contribuer tous leurs soins pour cet
institut. Ils me dirent que, puisqu’en mon absence on avait envoyé à
Rome, que je devais attendre à Lyon la Bulle qu’on avait demandée
sans me le faire savoir et que je ne devais pas penser de m’en
retourner à Paris, que cette congrégation de Lyon ne subsisterait
pas, et qu’il y avait de l’apparence que votre Majesté me voulait en
cette ville pour établir au plutôt cette maison. «Mes Pères, cela
sera bien long à attendre, mais comme je n’ai pas quitté Paris que
par le conseil de vos Pères, je demeurerai à Lyon, suivant le
vôtre.»
Les premières nouvelles
que nous reçûmes furent que Monseigneur le Cardinal de Bentivogle
n’avait pas trouvé la supplique qu’on avait envoyée de Lyon conforme
à celle qu'on envoya à Paris; de là on put voir comme, sans
m'avertir, on dressa ici une supplique qui fut si mal composée et si
éloignée du dessein que votre Majesté m'avait montré, que cette
supplique fut cause que l'on attendit trois ans sans avoir une
Bulle, et, si on n'eût avancé l'argent au banquier, qui est une
avance contre la prudence ordinaire et qui a été cause que la Bulle
m'a coûté au double, près de douze cents livres, ne l'ayant pas
demandée, je n'ai pas laissé de la payer, si on m'eut avertie,
peut-être que j'eus trouvé meilleur de demander un sumptum de
celle de Paris. Très cher Amour, je connus bien que celui qui avait
avancé une partie de l'argent que je lui ai rendu n'avait pas assez
de conduite pour conduire des affaires qui demandaient un esprit et
un jugement autres que le sien, et que j'aurais beaucoup à souffrir
si je ne renvoyais cet homme qui se voulait rendre absolu en notre
Congrégation, mais le R. P. Gibalin fut son Avocat pour me faire
résoudre à souffrir ce qu'il n'est pas à propos de mettre ici. Vous,
soyez béni de tout, ô mon divin Amour, qui m'avez consolée en toutes
mes afflictions avec tant d'abondance que je peux dire que vos
consolations ont surpassé mes croix, quoiqu'elles aient été grandes
selon le jugement des plus sensés qui m'ont dit (après que j'ai été
contrainte de dire les raisons pour quoi j'ai renvoyé la personne
qui les produisait) que le R. P. Gibalin avait été non seulement
sévère, mais cruel de me persuader de souffrir cette personne dont
les mauvais traitements me devaient avoir fait mourir d'affliction,
lesquels je ne disais pas à mes filles, leur louant à tous cette
personne, de laquelle je ne peux dire la haine qu'elle a conçus
contre moi, qu'en me servant des paroles de Job: Collegit furorem
suum in me, et comminans mihi, infremuit contra me dentibus suis:
hostis meus terribilibus oculis me intuitus est. (Jb 16, 10) Sa
colère déchire et me poursuit, en montrant des dents grinçantes. Mes
adversaires aiguisent sur moi leurs regards. Le R. P. Poiré résolut
de souffrir avec moi, ne me voulut pas commander de renvoyer le
sujet de mes peines, laissant à la discrétion du R. P. Gibalin de
l'ordonner. Me plaignant à lui, il me disait: «Ma fille, vous avez
trop de courage pour ne pas surmonter tout par la bonté de votre
coeur, aidée de tant de grâces de Dieu qui vous caresse si fort par
des faveurs si extraordinaires, » lesquelles faveurs j'ai écrites
autant que le peu de santé que j'ai eu m'a pu permettre comme j'ai
dit ci-devant et que Son Éminence les peut voir s'il lui plaît, en
divers cahiers, desquels je ne sais pas le nombre, non plus de ceux
qui m'ont été pris en mon absence. Je prie votre Majesté que ceux
qui les ont, fassent profit de vos bontés, si largement répandues
sur moi qui suis très indigne de ces grandes caresses, lesquelles
vous m'avez communiquées parce que vous êtes bon, me voyant privée
des consolations que toutes les religieuses de ce diocèse ont,
desquelles je me reconnais très indigne, parce que ce qui est grâce
ne peut être mérité. J'ai fait quelquefois mes plaintes à vous, ô
mon Divin Consolateur, vous demandant pourquoi vous permettez que
mes filles innocentes fussent délaissées pour mes fautes, car je
pense que je suis la cause de leurs ennuis, et selon que je le peux
connaître, je dis vérité, et que pour ce qui me concerne je ne me
mets pas en peine du long retardement. Je ne désire rien que votre
volonté sur moi et sur toutes mes intentions comme la règle de tous
mes désirs.
Chapitre 64
Que les Serafins
me promirent de pourvoir à tout ce qui serait nécessaire pour fonder
le temporel de l’Ordre du Verbe Incarné, promesse qu’ils ont
fidèlement accompli selon les divines inclinations.
Le vendredi ou samedi,
veille de Pentecôte, 1633, pleurant au soir devant votre Majesté qui
repose dans son tabernacle, qui est son trône d'amour, j'entendais
vos séraphins, qui sont les proches voisins de vos flammes comme
esprits ardents et amoureux selon vos divines inclinations, qui se
disaient les uns aux autres: Soror nostra parva est et ubera non
habet, quid faciemus sorori nostrae in die quando alloquenda est ?
Si murus est aedificemus super eum propugnacula argentea. (Ct 8,
8-9) Notre soeur est petite: elle n'a pas encore les seins formés.
Que ferons-nous à notre soeur, le jour où il sera question d'elle ?
Si elle est un rempart, nous élèverons au faîte un couronnement
d'argent. Leur demandant en quel sens ils disaient ces paroles des
cantiques d'amour, ils me firent entendre: Tu es notre petite sœur
qui n'a point de mamelles pour nourrit les enfants de cet Ordre.
Quand il faudra parler de fonder le temporel, nous te promettons de
procurer auprès de la Divine Providence tout ce qui est nécessaire
pour fonder à ton nom, et de ce qu'elle te donnera pour le lui
rendre sans être obligée aux créatures de la terre de cette
fondation. Sache, ô notre chère soeur, que le Roi magnifique, ton
Époux et ton Seigneur et le nôtre, fera retarder son établissement
jusqu'au temps que nous aurons, par ses ordres, pourvu à tout ce qui
sera de besoin. Il ne veut pas fonder la première maison de cet
Ordre par des dames, qui veulent leur temps et non le sien, lequel
viendra. Il ne veut pas donner à un autre la gloire de cette
fondation, sa grâce, son esprit et les biens qu'il te donnera
suffiront à fonder. Console-toi et mets ta confiance en celui qui
n'a point voulu d'autre matière pour se revêtir d'un corps que la
pure substance d'une vierge lequel a résolu de te donner ce qu'il
veut recevoir de toi pour établir son Ordre; aie patience, et tu
verras grandes choses; aie toujours des sentiments avantageux, des
amours que sa bonté a pour toi. Le ciel et la terre passeront, et sa
parole demeurera. Il accomplira tout ce qu'il t'a promis, et tout ce
qu'il nous a ordonné de te promettre, parce que tel est son plaisir.
Comme il possède tous les trésors de la science et sapience du Divin
Verbe Divin et son Fils unique. Il a, étant Verbe Incarné, en ses
mains tous les sorts et tous les trésors qu'il veut donner à ceux et
à celles qu'il aime, du nombre desquels tu es, par son infinie
charité, à laquelle tu es indiciblement redevable. Votre éloquence,
purs esprits sans matière, ravit mon entendement et votre céleste
rhétorique me persuada, ce de quoi je ne pourrais douter sans
paraître méconnaissante des faveurs de ce Dieu de bonté, qui vous a
commandé, non seulement de me garder, mais de pourvoir à ce qu'il
faut pour édifier son temple. Très cher Amour, ces promesses que vos
séraphins ont faites à celle que vous daignez nourrir des mamelles
de vos miséricordes ne me sont pas difficiles à croire, car je sais
par ma propre expérience que vous m'avez toujours donné plus que je
ne pourrais demander. Je veux selon votre parole chercher en
première intention votre Royaume d'amour et sa justice, et tout ce
qu'il m'est nécessaire m'arrivera en conséquence, Père très béni,
Époux incomparable, vous m'avez plusieurs fois fait entendre: «Celui
qui a soin de revêtir des beautés ravissantes les lys des champs,
qui ne filent point, et qui nourrit les oiseaux, lesquels ne sèment
pas pour leur nourriture, ayant soin des corbeaux délaissés,
pourrait-il bien s'oublier de donner la nourriture et les ornements
sortables à la royale grandeur d'une épouse; la pourrait-il laisser
en nécessité, soit du corps, soit de l'esprit, en voyant que, pour
lui être fidèle, elle a été délaissée de son père selon le corps, et
qu'elle l'est encore de celui qui l'est selon l'esprit. Non, non, ma
bien-aimée, ne crains point d'être délaissée de moi, Delectare in
Domino: et dabit tibi petitiones cordis tui, Revela Domino viam tuam,
et spera in eo: et ipse faciet. Et educet quasi
lumen justitiam tuam: et judicium tuum tamquam meridiem: subditus
esto Domino, et ora eum. Noli aemulari in eo, qui prosperatur
in via sua:(Ps 36, 4-7) Mets en Yahvé ta réjouissance: il
t'accordera plus que les désirs de ton coeur. Remets ton sort à
Yahvé, compte sur lui, il agira; il produira ta justice comme le
jour, comme le midi ton droit. Sois calme devant Yahvé et
attends-le, ne t'échauffe pas contre le parvenu, l'homme qui use
d'intrigues. Sustinentes autem Dominum, ipsi hereditabunt terram,
et delectabuntur in multitudine pacis. (Ps 36,9) Qui espère
Yahvé possédera la terre, posséderont la terre, réjouis d'une grande
paix. Ma fille, vis joyeuse dans l'abondance de la paix que je te
donne, délecte-toi en moi qui suis la pétition la plus favorable que
ton coeur puisse désirer. Je n'attends pas que ta bouche me prie;
j'exauce les désirs de ton coeur dénué des affections des créatures.
» Mon bien-aimé, si vous ne m'assuriez que ce coeur est mis en cette
disposition par votre providence, je craindrais quelquefois que ce
fût une superbe qui lui fait mépriser tout ce qui est bas. Vos anges
tous de feu m'ayant promis de votre part qu'ils auraient soin de ce
qui me sera nécessaire, je me fie en leurs promesses que j'estime
aussi constantes que leurs essences, étant des esprits invariables,
je n'en dois pas douter, comme des hommes qui sont sujets aux
changements. Job dit que l'homme ne demeure pas en un même état
tandis qu'il est dans cette vie. La confiance que j'ai en ces
esprits charitables m'a plusieurs fois relevé le coeur quand je me
suis vue assaillie des ennuis qu'une espérance différée peut souvent
reproduire en une âme qui est en la voie sujette aux imperfections
qui accompagnent cette vie misérable, expérimentant leur prompt
secours. Je les invoque en mes besoins avec autant de foi que je
sais qu'ils ont de fidélité.
Chapitre 65
Que le Verbe
Incarné agréa que ses esprits ardents me recussent en leurs chœurs
et que les autre huit chœurs m’aillent familièrement instruit de
leur ordre hiérarchique et des lumières qu’il m’a COMMUNIQUÉeS sur
l’onzième chapitre d’Ezéquiel à sa gloire et de son auguste Mère.
Un jour de la fête
Saint Edmond, 16 novembre, entendant la sainte messe, me plaignant
de ce que je demeurais tant sans être religieuse, votre bonté pressa
ces esprits séraphiques de me consoler. Ils ravirent mon esprit en
la présence de votre Majesté, ils me disaient qu'ils me recevraient
en leur chœur pour vous louer avec eux, en disant: «Saint, Saint,
Saint. » Dès ce jour, je fus si embrasée de leur vive flamme, que je
me voyais brûler de ce feu séraphique. Mon coeur et ma poitrine
semblaient être une fournaise. Les esprits embrasés et les autres
huit chœurs ont été les ambassadeurs que votre Majesté m'a souvent
envoyés pour m'enseigner des mystères que je ne pouvais apprendre
des hommes. Vous me fîtes entendre que vous preniez plaisir que je
converse avec eux, et que vous leur aviez ordonné de m'éclairer de
leurs lumières, de m'expliquer comme il purge, éclaire et
perfectionne, comme ils sont purgés, éclairés et perfectionnés en
leurs ordres hiérarchiques; purgation qui instruit; clarté qui
embellit; perfection qui les relève dans les sublimes connaissances
des excellences divines. Ils m'enseignent comme ils sont les trônes
où votre Majesté se plaît de reposer, et comme les chérubins
reçoivent les lumières de science et de sapience, et les séraphins
les pures flammes étant vos plus proches voisins du feu qui est
assis à la dextre de gloire, qui est votre sainte Mère, ô mon Divin
Amour laquelle ayant été en cette terre le buisson ardent sans
consommer, elle est maintenant dans l’Empyrée. Ce trône admirable
qui fut vu par le prophète, Ézéchiel lorsqu'il eut la faveur, étant
auprès du fleuve Chobar, au milieu des prisonniers, de voir les
visions de Dieu: Cum essem in medio captivorum juxta fluvium
Chobar, aperti sunt caeli, et vidi visiones Dei. (Ez 1, 1) Alors
que je me trouvais parmi les déportés au bord de fleuve Kebar, le
ciel s'ouvrit et je fus témoin de visions divines. Il vit libre
d'esprit cette vierge qui est ce trône au-dessus des chérubins et
séraphins, Firmamentum, quod erat super caput eorum. (Ez 1,
25) Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes. Ce firmament
sur le chef des chérubins et séraphins nous montre que leurs
sciences et leurs lumières sont permanentes et fixées, parce que
votre sapience les a faites des essences spirituelles intelligentes,
invariables, non seulement en leur élection mais en la grâce et en
la gloire que vous leur donnâtes après leur protestation et
confirmation de fidélité à votre Majesté de laquelle ils reconnurent
tenir la nature et la grâce, reconnaissance qui les disposa à
recevoir la gloire qui fut en eux une suite de la confirmation de la
grâce, gloire qui est comparée au firmament parce qu'elle ne leur
sera jamais ôtée; leur entendement sera éclairé l'éternité entière
de vos lumières adorables comme des firmaments solides. Et super
firmamentum, quod erat imminens capiti eorum, quasi aspectus lapidis
saphiri similitudo throni: et super similitudinem throni, similitudo
quasi aspectus hominis desuper. Et vidi quasi speciem electri, velut
aspectum ignis intrinsecus eius per circuitum: a lumbis eius usque
deorsum, vidi quasi speciem ignis splendentis in circuitu: Velut
aspectum arcus cum fuerit in nube in die pluviae, hic erat aspectus
splendoris per gyrum. Haec visio similitudinis gloriae Domini, et
vidi, et cecidi in faciem meam.(Ez 1, 26-28) Au-dessus
de la voûte qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose qui
avait l'aspect d'une pierre de saphir en forme de trône, et sur
cette forme de trône, dessus, tout en haut, un être ayant apparence
humaine. Et je vis comme l'éclat du vermeil, quelque chose comme du
feu près de lui, tout autour, et depuis ce qui paraissait être ses
reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur
tout autour; l'aspect de cette lueur, tout autour, était comme
l'aspect de l'arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie.
C'était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je
regardai, et je tombai la face contre terre. La mère du souverain
Dieu est ce trône relevé à la dextre de son fils; c'est son trône
adorable de la matière duquel il a pris un corps, lequel est
hypostatiquement uni à sa personne divine qui en est le support.
Elle est en son âme toute de feu et de flamme puisqu'elle aime
seule, plus que tous les bienheureux ensemble. En son corps elle est
cette pierre de saphir où s'est enserré le Fils de Dieu, s'y faisant
homme, prenant d'elle son humanité. Il lui a conféré d'une manière
ineffable sa divinité qui est feu, laquelle elle a porté neuf mois
entiers. Sortant de ses flancs son enfant, il est demeuré dans elle
comme son Dieu, non seulement de cette demeure de grâce commune à
tous les justes, mais d'une demeure privilégiée qui la fait
reconnaître en son âme: Velut aspectum ignis, intrinsecus eius
per circuitum: a lumbis eius et desuper, et a lumbis eius usque
deorsum, vidi quasi speciem ignis splendentis in circuitu.(Ez
1,27) Et je vis comme l'éclat du vermeil, quelque chose comme du feu
près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et
au-dessus; je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout
autour; Ses entrailles qui ont porté le Verbe Incarné sont
remplies et environnées de splendeurs. Elle est cet arc, cet iris,
et cette nuée admirable qui nous a donné la pluie qu'elle enfante et
produit en terre. Et comme elle est le milieu de la terre, Dieu a
opéré en elle et avec elle notre salut, nous environnant de grâces
par elle. Elle est le signe de notre paix, elle nous a apporté
l'abondance: Velut aspectum arcus cum fuerit in nube in die
pluviae. (Ez 1, 28) l'aspect de cette lueur, tout autour, était
comme l'aspect de l'arc qui apparaît dans les nuages, les jours de
pluie. Il n'y a point d'esprit éclairé de la lumière de la
foi catholique qui veuille disputer contre cette vérité que vous
êtes l'image de votre divin père je veux écrire qu'il n'y a point de
vrai catholique qui ne confesse quand ce ne serait que par
bienséance qu'en votre humanité vous êtes l'image de votre sainte
mère laquelle vous a porté dans son sein et en ses flancs virginaux
vous qui êtes un feu étant le Verbe du Père qui est le principe qui
vous engendre. Vous êtes avec lui et le Saint Esprit une même
essence, un Dieu tout feu ce que Moïse avait connu et que Saint Paul
affirme parlant du règne immobile que lui est ces imitateurs
recevaient en conséquence de la grâce disant: Itaque regnum
immobile suscipientes, habemus gratiam: per quam serviamus placentes
Deo, cum metu et reverentia. Etenim Deus noster ignis consumens est.
Hébreux 12, 28 Ainsi, puisque nous recevons la possession d'un
royaume inébranlable, retenons fermement la grâce, et par elle
rendons à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec religion et
crainte, et Saint Jean dit: Scimus quoniam cum apparuerit,
similes ei erimus: quoniam videbimus eum sicuti est. Jean 3,
2-3. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons
semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est. Nous ne pouvons
douter que la Vierge Mère du Verbe Incarné ne soit conformée,
configurée, transfigurée et transformée par une admirable
transformation à l'image du Père qui est son Fils par indivis comme
il est le caractère du Père qui l'engendre dans les divines
splendeurs dès l'éternité. Je suis la plus naïve ressemblance de ma
mère qui m'a conçu et enfanté dans la plénitude des temps. Je suis
l'image vivante de mon Père, en moi la vierge ma mère est tirée au
vif et au naturel, parce que je suis une partie de sa substance. Je
suis os de ses os, chair de sa chair, sang de son sang, ayant d'elle
reçu les mêmes qualités naturelles, si qu'il se peut dire, parlant
de mon humanité: Qui me voit, voit ma mère; qui voit ma mère me
voit. Nous avons autant de vraie ressemblance qu'une mère unique et
un fils unique en peuvent avoir. Ma mère est toute belle, et moi, je
suis le plus beau des enfants des hommes. Ma mère est la mère de
belle dilection et moi je suis l'enfant d'amour. Ma mère est toute
de feu et moi, je suis tout de flamme. Ma mère est mon trône de
saphir, et moi, je suis sa demeure d'ivoire; elle est en moi, et moi
en elle. Ma mère s'est toujours transformée de clarté en clarté, de
grâce en grâce, jusqu'à être arrivée à la sublime transformation de
la gloire par l'esprit que le Père et moi produisons, lequel a pris
un singulier plaisir de la rendre le complément saint de toute notre
auguste Trinité en laquelle la troisième personne n'opérant rien,
étant le terme de toutes les opérations au dedans. Il a voulu
continuellement opérer des merveilles au dehors en ma mère; et parce
que nos opérations sont communes au dehors, nous avons opéré avec
lui ces merveilles que les hommes et les anges admireront et que
nous aimerons une éternité entière parce qu'elle sont des merveilles
de nature, de grâce, et de gloire, en celle qui est fille, mère et
épouse du Père, du Fils et du Saint Esprit, qui ont donné, qui
donnent et donneront un témoignage éternel de leur infinie charité
en elle, Dieu est charité. Qui demeure en charité demeure en Dieu.
Ma mère est assise à ma dextre, et moi à la dextre de mon Père où
sont toutes les divines délectations, desquelles parle David:
Notas mihi fecisti vias vitae, adimplebis me laetitia cum vultu tuo:
delectationes in dextera tua usque in finem. (Ps 15, 10) Tu
m'apprendras le chemin de vie, devant ta face, plénitude de joie, en
ta droite, délices éternelles. Ma mère et moi, sommes tout de feu et
d'ambre pour aimer la divinité; nous sommes de feu et d'ambre pour
aimer notre humanité pour attirer à nous les hommes qui sont de
paille. L'ambre attire la paille, et la merveille est que cette
paille attiré par l'ambre n'est point consommée par les flammes d'un
homme et d'une femme de feu; au contraire, elle est admirablement
conservée dans la fournaise de la divine charité qui fait voir
l'effet de mon oraison. Tous les bienheureux sont convertis et
consommés en un comme mon Père et moi sommes un par le Saint Esprit
qui est le lien et le baiser dans notre Trinité qui procède de notre
unique volonté de laquelle il est le terme immense. Chère fille,
réjouis-toi, quoique tu sois faible comme la paille; nous sommes
d'ambre pour t'attirer ès nous. Notre feu brûle sans consumer quand
ma mère m'enfanta dans Bethléem. Le feu fut mis sur la paille et sur
le foin, c'est pourquoi le prophète Isaïe eut commandement de crier
que toute chair était foin: Vox dicentis: Clama. Et dixi: Quid
clamabo ? Omnis caro foenum, et omnis gloria eius quasi flos agri.
Exiccatum est foenum, et cecidit flos, quia spiritus Domini
sufflavit in eo. (Is 40, 6-7) Une voix dit: "Crie", et je dis:
"Que crierai-je" "Toute chair est de l'herbe et toute sa grâce est
comme la fleur des champs. L'herbe se dessèche, la fleur se fane,
quand le souffle de Yahvé passe sur elles. La chair sur laquelle le
Saint Esprit a soufflé est admirable en sa privation du support
propre, et c'est bien parler proprement, expliquant ce passage:
Omnis gloria ejus quasi flos agri (Is 40, 6) Toute chair est de
l'herbe et que toute la gloire de la chair est comme la fleur des
champs. Cette chair privée de subsistance humaine fut honorée de mon
support divin, lequel ne quittera jamais ce qu'il a pris une fois;
c'est pourquoi tu peux dire: Verbum autem Domini nostri manet in
aeternum. (Is 40, 8) mais la parole de notre Dieu subsiste à
jamais.
Chapitre 66
Que le sang
précieux du Verbe Incarné m’environne en façon de fosse ; du choix
que Dieu a fait de Son Eminence Ducal et qu’il se plaît à la
chasteté du Roi et comme sa divine bonté m’a donné conq terres de
vision.
Au mois d'août 1634,
étant dans le confessionnal après m'être confessée, il vous plut,
mon miséricordieux Sauver, de me congratuler des grandes grâces que
vous en remerciais avec des sentiments de ma bassesse qui me
rendaient confuse devant votre Majesté, laquelle pressée de sa
divine charité me dit qu'elle m'avait fait son temple, et qu'elle
établirait son ordre où elle se plairait d'habiter. En même temps,
vous me fîtes voir un temple auprès d'un château qui semblait un
palais. Après je vis une ville. Le tout était fondé sur un roc. Les
fossés qui environnaient tous ces beaux édifices étaient remplis de
sang, ce qui m'effraya, vous me dîtes: «N'aie point de crainte. Ces
fossés remplis de sang ne te doivent effrayer, parce qu'ils sont
pour défendre et pour empêcher l'approche et l'entrée de tes
ennemis. Ils sont remplis de mon sang, et du sang de mes martyrs,
pour te faire voir l'amour que j'ai pour toi. Mon corps sacré est le
pont Lévis qui t'introduit près de mon Père et du Saint Esprit qui
sont avec moi par concomitance, et suite nécessaire au Sacrement
d'amour que tu reçois tous les jours, afin que tu puisses dire après
l'Apôtre: Habentes itaque fratres fiduciam in introitu sanctorum
in sanguine Christi, quam initiavit nobis viam novam, et viventem
per velamen, id est, carnem suam. (He 10, 19-20) Ainsi donc,
frères, puisque nous avons, au moyen du sang de Jésus, une libre
entrée dans le sanctuaire par la route nouvelle et vivante qu'il a
inaugurée pour nous au travers du voile, c'est-à-dire, de sa chair.
Tu as part à la communion des saints, tu es comme un arbre planté
non seulement auprès du courant des eaux, mais du sang des martyrs,
lequel a bouillonné autour de la maison où tu es. Si Sainte Agnès se
vantait saintement que ses joues étaient ornées de mon sang, ma
fille, dis hardiment que tu es gardée, lavée, nourrie, enrichie, et
embellie de mon sang et de celui des martyrs qui sont mes membres
glorieux. » Vous me dîtes boit; quand il vous plaît, vous beaucoup
de merveilles dont je n'ai pas à présent le souvenir. Quelques jours
après vous me fîtes entendre que, par ces fossés de sang, vous me
vouliez encore faire connaître que la paix ne se ferait pas de
longtemps, que les péchés des hommes attiraient votre juste colère à
permettre des guerres si longues, que le sang répandu pendant
icelles suffirait pour remplir des fossés plus larges et plus
profonds que ceux que j'avais vus: Da pacem Domine in diebus
nostris quia non est alius qui pugnet pro nobis nisi tu Deus noster.
En la même année 1634, le R. P. Carré, supérieur du noviciat de
Saint Dominique au faubourg Saint Germain lés Paris, qui m'avait
confessée quand je demeurais à la ville l’Évêque, proche du couvent
Saint Honoré où il était en ce temps-là, m'écrivit qu'il me priait
de vous prier fermement pour Monseigneur le Cardinal de Richelieu et
que je lui mandasse que votre bonté m'avait dit. Je voulus obéir et
prier extraordinairement pour Son Éminence Ducal pour laquelle je
prie depuis 1622 sans vous demander de me faire connaître quoi que
ce soit; quand il vous plaît, vous m'enseignez ce que vous voulez
que je sache. Vous représentant que j'obéissais à ce Père qui avait
été mon confesseur, et auquel vous m'aviez commandé de dire beaucoup
de choses pour l'établissement du noviciat dont il est supérieur,
lesquelles il vit clairement venir de vous par des effets qu'elles
produisaient. Je vous dis: Seigneur, je ne suis point curieuse de
savoir des secrets, quels qu'ils soient, mais ce père penserait,
qu'étant éloignée de lui, je ne tiens pas compte de ce qu'il me
mande par lettre. Votre bonté qui connaît les coeurs qui n'ont que
le désir de vous plaire en obéissant à ceux qui vous représentent,
voyant le mien, qui n'avait que le mouvement d'obéir à ce père pour
votre gloire, me fit voir une verge verdoyante, me faisant entendre:
«Ma fille, c'est moi qui ai élu le Cardinal de Richelieu comme un
autre Moïse pour conduire la France et pour donner de l'étonnement à
toute l'Europe. Avec cette verge que tu as vue, il conduira le
peuple. Je ferai voir ma puissance ès armés qu'il ordonnera par des
événements merveilleux comme j'ai déjà détruis et confondu les
conseils faits contre lui ainsi que je fis celui d'Achitophel je
détruirai encore ceux qui fera contre lui à l'avenir. Il passera la
Mer Rouge des contradictions des hommes et des démons. Je montrerai
que ma dextre puissante opère plus par lui que la prudence ordinaire
et extraordinaire d'un Ministre d’État. «Ma fille, tu verras des
grandes merveilles et par les victoires que je donnerai au Roi, tu
connaîtras que je me plais en sa chasteté dont les lys sont plus
beaux que toute la gloire de Salomon. Je me veux repaître entre ces
lys. » Le R. P. Gibalin sait que je lui dis tout ceci, et
Monseigneur de Nesme aussi au même temps que vous me le révélâtes
parce que vous me dîtes de le leur dire afin que si le R. P. Carré
perdait ou rompait ma lettre de laquelle j'oubliais de garder copie,
ils fussent deux témoins de ce que vous m'aviez dit: Etenim
sacramentum regis abscondere bonum est: opera autem Dei revelare et
confiteri honorificum est. (Tb 12, 7) Il convient de garder le
secret du roi, tandis qu'il convient de révéler et de publier les
oeuvres de Dieu. J'ai dit ci-devant que je ne vous ai point demandé
de me conduire par les révélations ni visions mais par la voie qui
est la plus parfaite et qui me mènera plus droitement à vous. Vous
me dîtes un jour: «Ma fille, Non volentis, neque currentis, sed
miserentis est Dei. (Rm 9, 16) Ainsi donc, cela ne dépend ni de
celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait
miséricorde. Il me plaît de te mener moi-même par la voie des
visions. Je t'ai fait voir dans le Verbe qui est moi miroir
nécessaire à mon Père lequel se voit en moi que suis la figure de sa
substance, la splendeur de sa gloire et l'image de sa bonté. Je suis
la liesse des visions par ma solidité et la région des vivants; le
Père et le Saint Esprit sont dans moi, vivant de la même vie que je
vis dans eux; mon père m'engendre dans les clartés éternelles. Il
voit en moi ès pensées toutes ses divines perfections. Je suis sa
vision, comme sa diction. La vapeur de sa vertu, l'émanation sincère
de sa divine clarté, le miroir sans tache de la Majesté. Je produis
avec lui l'esprit commun qui est un Dieu très simple avec nous. Je
t'ai plusieurs fois élevée en la contemplation de l'essence très
simple et des distinctions personnelles. Je t'ai voulu instruire du
support de tout l'être divin; en t'instruisant de la sorte. 1° Je
t'ai menée en la terre de vision qui est la divinité qui est dans
toi et toi dans elle. 2° Je t'ai communiqué en les mystères
adorables de mon humanité que tu as vue en plusieurs figures, par
diverses visions 3° Je t'ai donné la quotidienne communion qui t'est
une terre de vision. 4° Je t'enseigne par l’Écriture qui est une
terre de vision, 5° J'établirai par toi mon ordre qui sera une terre
de vision, ce que tu as déjà expérimenté et l'expérimenteras à
l'avenir. Je ne permettrai point que tu sois trompée, tu ne m'as pas
demandé cette voie, et je t'ai destinée pour amener à moi et pour
conduire plusieurs âmes, quand je te montrai la couronne d'épines
portée par un soleil, j'excitai ton esprit à contempler et admirer
cette merveille. Je te passerais par des grandes contradictions
desquelles tu seras victorieuse au temps que ma providence a
destiné. Rom. c 9 v 17 Miserebor cuius
misereor: et misericordiam praestabo cuius miserebor. Igitur non
volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei. Dicit enim
Scriptura Pharaoni: Quia in hoc ipsum excitavi te, ut ostendam in te
virtutem meam: et ut annuncietur nomen meum in universa t erra.
Ergo cuius vult miseretur, et quem vult indurat. (Rm
9, 15-18) Je fais miséricorde à qui je fais miséricorde et j'ai
pitié de qui j'ai pitié. Il n'est donc pas question de l'homme qui
veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l’Écriture
dit au Pharaon: Je t'ai suscité à dessein pour montrer en toi ma
puissance et pour qu'on célèbre mon nom par toute la terre. Ainsi
donc il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut.
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