LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Marie des Vallées
laïque, mystique, stigmatisée
(15 février 1590-25 février 1656)

III

 

6
Après la mort de Marie des Vallées

6-1-Marie des Vallées et ses amis

Pendant toute sa vie, Marie des Vallées avait été un signe de contradictions. Après sa mort les passions ne s’apaisèrent pas. Ses amis, frères de mission, et ses défenseurs continuèrent à être persécutés. Nombreux étaient ceux qui venaient prier sur sa tombe, à Coutances. On peut citer, parmi beaucoup d’autres: M. de Bernières, Saint Jean Eudes, Mme de Camilly et Mme d’Acqueville... Certains, comme Mr Langry ont souhaité – et obtenu – reposer près d’elle après leur mort. De nombreux jésuites défendirent sa mémoire. On la vénérait dans de nombreux couvents. On se partageait aussi ses reliques, et spécialement les linges tachés de son sang.

Mais les ennemis se firent de plus en plus bruyants, et les attaques, toujours plus perfides... Pourtant les miracles se multipliaient. D’étonnantes guérisons ont été signalées et répertoriées.

Marie demeurait vivante dans les mémoires amies, et on la sollicitait souvent pour obtenir des grâce spirituelles. Les exemples foisonnent et il serait trop long de les rapporter ici. C’est que Marie restait toujours présente, attentive aux besoins de ceux qu’elle avait aidés durant sa vie terrestre. Dans cet ordre d’idée, il est difficile de passer sous silence ses relations avec Mère Mechtilde du Saint-Sacrement. Le Père Lelièvre, biographe de Marie des Vallées, écrit:

“Pendant près de quinze ans, la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement a correspondu avec la sœur Marie, non sans grand profit pour son âme et pour ses fondations. On ne saurait dire toutes les grâces et les lumières qu’elle a eues par elle dans ses nombreuses épreuves. Elle lui reste fidèle jusqu’à sa mort.” 

Ainsi, vers 1656-1657, après la mort de Marie des Vallées, Mère Mechtilde écrivait à M. de Bernières qui lui demandait son sentiment: “J’ai fait entendre à ce bon père que Dieu ne m’avait point établie dans l’Église pour porter jugement de ses œuvres profondément cachées comme celle en question, mais qu’il m’imposait une loi de les révérer dans sa lumière et d’attendre avec humilité et patience le moment qu’Il a choisi pour découvrir les merveilles de sa grâce et de son amour.”

Dans une autre lettre, Mère Mechtilde conseillait: “Comme la bienheureuse Marie des Vallées fait quantité de miracles, je la prie, et vous aussi, d’y avoir recours...”

Mère Mechtilde transmet à ses filles les enseignements de Marie sur la méditation, la contemplation, l’oraison... Elle exhorte une de ses religieuses à pratiquer l’humilité dans le sillage de Marie des Vallées. Elle rappelle la manière préconisée par Marie d’effectuer chaque action, unie à Dieu. 

6-2-Des apparitions étranges

Une carmélite, Mère Angélique de la Providence, avait souvent des apparitions de saints: Saint Élie, Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne... Pendant près d’un an elle bénéficia de la présence de Saint Jean de la Croix. “Mais, raconte l’auteur de sa biographie,[1] dans ses soufrances, elle fut assistée d’une grande servante de Dieu et de son Immaculée Mère, nommée Marie des Vallées qui est morte après quarante sept années de peines terribles qu’elle a souffertes avec une patience héroïque, et d’autre part ayant mené une vie innocente et pratiqué les vertus dans un éminent degré...”

6-3-Marie des Vallées, et les missions françaises au Canada

On le sait peu, Marie des Vallées – comme d’ailleurs Gaston de Renty – fut très proche, par ses prières et ses souffrances offertes, de l’évangélisation de la Nouvelle France. Dans La vie de Mgr Laval, on trouve ce paragraphe: “Mgr de Montmorency-Laval, le premier évêque du Québec, avait reçu de Marie (des Vallées) des lumières surnaturelles sur sa sanctification personnelle et son futur apostolat. Aussi, une fois sacré, (évêque) voulut-il, avant de s’embarquer, revenir prier sur la tombe de Marie. Il sollicita de Saint Jean Eudes des morceaux de linge trempé de son sang et quelques objets. Dans la suite il s’en servit pour obtenir des guérisons et la délivrance de certains possédés.”

Autre fait étonnant : la jeune Catherine Simon de Longpré, onze ans, rencontre saint Jean Eudes qui prêche une mission à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Au cours de cette mission, elle reçoit de Marie des Vallées l’assurance qu’elle est appelée par Dieu. Elle entre à 14 ans chez les Augustines Hospitalières de Bayeux, puis part au Canada. C’est là, sur cette terre devenue sa deuxième patrie, qu’elle voit souvent, en apparition, Marie des Vallées et saint Jean de Brébeuf, récemment martyrisé par les Iroquois. Ces apparitions se renouvelèrent pendant plus d’un an.

6-4-L’oubli

Curieusement Marie des Vallées est tombée dans l’oubli. Le Père Lelièvre écrit: “Petit à petit, la nuit se fait: St Jean se couche dans la tombe... La prière cesse, les faveurs se raréfient, les souvenirs s’obnubilent... C’est la timidité, puis la gêne, puis la défiance, presque la honte, enfin, qui s’emparent des historiens. Ceux-ci n’osent plus guère associer ces deux noms (Saint Jean Eudes et Marie des Vallées) qui rappellent deux âmes si unies, si dévouées l’une à l’autre. Ils redoutent de parler, comme d’un écueil dangereux, comme d’une épreuve pénible et compromettante pour la mémoire du saint, de sa rencontre avec une âme si extraordinaire et si méconnue. Bientôt, c’est l’oubli, c’est le silence du tombeau qui enveloppe la disparition et la mémoire de la sainte de Coutances.”

6-5-Et pourtant!...

Pourquoi cet oubli ? Pourquoi ce silence sur une âme, certes controversée, mais cependant réellement sainte. Pourtant, les miracles, discrets, continuèrent jusqu’au XXe siècle. Ainsi on signale:

          – Le 14 novembre 1922, la guérison d’une religieuse de Notre-Dame de la Charité à Marseille

          – Le 13 septembre 1925, le blanchiment miraculeux de cinquante robes de religieuses irrémédiablement tachées, et irrécupérables.

          – le 23 novembre 1927, la guérison d’un prêtre malade depuis 1908.

          – 15 mars 1929, la guérison d’un enfant de dix ans et demi.

Le Seigneur se réserverait-Il Marie pour d’autres temps, le nôtre, peut-être ?

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Marie des Vallées, Saint Jean Eudes
et Gaston de Renty

7-1-Marie des Vallées et Gaston de Renty

Gaston de Renty voulait, dans sa jeunesse, devenir chartreux. Ses parents, et Dieu en avaient disposé autrement et Gaston accepta de fonder une famille... Durant la période qui nous occupe: années 1627 et suivantes, la Normandie est durement éprouvée: soulèvements populaires, pestes... Gaston de Renty [2], qui a cependant choisi l’Unique nécessaire, vient de s’engager dans le renoncement total, tout en restant dans le monde: il est marié et a quatre enfants.

Mr de Renty connaît M. Vincent, et, de l’union de leurs âmes naquit la grande œuvre de Gaston de Renty: la Compagnie du Saint-Sacrement, créée officiellement par Vincent de Paul et un laïc. Gaston de Renty y sera admis en 1639: il a vingt huit ans. À partir de 1640, Gaston de Renty, supérieur de la Compagnie du Saint-Sacrement, se voit confier la direction spirituelle de dames pieuses de la noblesse.

La Compagnie de Caen sera fondée par Gaston lui-même en 1642. En feront partie, entre autres, M. de Bernières-Louvigny [3], le Père Hyacinthe Chalvet, dominicain, la Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, fondatrice des Bénédictines adoratrices du Saint-Sacrement, saint Jean Eudes, Mgr d’Angennes, évêque de Bayeux, ainsi que Mgr Cospéan, évêque de Lisieux.

Gaston de Renty, présent sur ses terres normandes, connaissait  l’existence de Marie des Vallées par l’intermédiaire de sœur Marie du Saint-Sacrement, du Carmel de Pontoise, dont la prieure, Mère Jeanne de Jésus, était la sœur du chancelier Séguier. Mais il ne l’avait jamais rencontrée. De son côté, saint Jean Eudes l’incitait à entrer en relation avec elle. Ce qui se fit en novembre 1641. Ce jour-là, à l’église où elle priait, Marie demanda à la Sainte Vierge :

– Qui est celui-ci ?

– C’est celui que je vous avais promis. Ouvrez-lui votre cœur, c’est le bon enfant. Il est à moi: je vous l’associe avec ceux qui vous sont venus voir.

Dès lors, des relations étroites s’établirent entre Jean Eudes, prêtre, Gaston de Renty, et Marie des Vallées, laïcs tous les deux. En 1642, peu après la mort de la Sœur Marie du Saint-Sacrement du Carmel de Pontoise, Gaston retourna en Normandie. Il rencontra Marie des Vallées et entreprit un Mémoire sur ses révélations. Ce mémoire, qui témoigne de l’influence qu’eut sur lui Marie des Vallées, il le remettra, avec beaucoup de recommandations de discrétion et de prudence, à la supérieure du Carmel de Beaune.

Gaston avait mis dans ce Mémoire, outre les visions de Marie des Vallées, sa foi, son espérance en la Rénovation de l’Église, et la manifestation imminente du Royaume sur la terre. Il écrit :

“Ce livre, dans lequel vous verrez la conduite d’une âme beaucoup souffrante (sic) et qui vous dira des nouvelles de l’Enfer.” Et il poursuit: “Il est vrai que cette conduite est si extraordinaire que peu de personnes sont capables de la recevoir; c’est pourquoi vous la communiquerez à celle qu’il vous plaira de la maison...” [4] 

Un peu plus tard, Gaston de Renty écrit à la même personne: “Je crois que le petit écrit vous servira particulièrement pour vous montrer que la raison de nos maux est dans l’immortification de notre nature et que c’est là le siège de l’ennemi...”

En juin et juillet 1646, saint Jean Eudes prêche, à sa demande, une mission sur les propres domaines de Gaston de Renty, au Bény-Bocage, en Normandie. Gaston de Renty y assiste, entouré de son épouse et de ses enfants, du 25 au 29 juillet. Marie des Vallées est venue passer ces quatre jours en leur compagnie. Elle s’entretiendra longuement avec Gaston de Renty. Rendant compte de cette visite à Mère Élisabeth, de Beaune, Gaston de Renty écrit, au sujet de Marie:

“... Elle est un trésor en la terre. Il faut de telles colonnes en divers cantons du monde pour supporter le faix des iniquités du siècle et lui prolonger la durée jusqu’à l’accomplissement du nombre des élus.” (Lettre 130)

Renouveler l’esprit du christianisme, c’est la mission de Marie des Vallées, qui, tout comme Gaston de Renty ne peut que constater l’état impressionnant de délabrement de l’Église et de l’état ecclésiastique à cette époque. Mais, inévitablement, de grandes épreuves vont accabler Gaston de Renty : campagne de calomnies et douloureux procès intentés contre lui par sa propre mère.

Selon le modèle vécu par Marie des Vallées, la Confrérie du Saint-Sacrement sera appelée à vivre l’effacement total de la personnalité devant la personne divine. Ses membres sont invités à s’anéantir au point qu’il ne reste plus rien d’eux, à la manière de l’hostie consacrée dont le pain n’est que l’apparence visible, le revêtement extérieur. Quand on sait combien les Messieurs du Saint-Sacrement ont été décriés, calomniés, méprisés, etc,.. on comprend la réalité de ces paroles et l’héroïsme qu’impliquait un tel engagement.

7-2-Marie des Vallées et saint Jean Eudes

Jean Eudes est né en 1601 à Ri (près d’Argentan) dans le diocèse de Séez. Il est ordonné prêtre à Paris le 20 décembre 1625, et entre à l’Oratoire où il restera pendant près de vingt ans. Il se donne corps et âme aux missions d’évangélisation du peuple. C’est au cours de l’épidémie de peste de 1631, alors qu’ils soignaient les pestiférés, que Jean Eudes et Gaston de Renty se rencontrèrent. Gaston de Renty a vingt ans ; Jean Eudes, trente.

Le 26 octobre 1640, Jean Eudes est nommé supérieur de l’Oratoire de Caen. C’est en 1641 qu’il fit la connaissance de Marie des Vallées, et, à la demande de Mgr de Matignon, assura sa direction spirituelle. Se souvenant de cette période, Jean Eudes écrit: “En cette même année 1641, au, mois d’août, Dieu me fit une des plus grandes faveurs que j’aie jamais reçues de son infinie Bonté; car ce fut en ce temps que j’eus le bonheur de commencer à connaître la Sœur Marie des Vallées, par laquelle la divine Majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées. Après Dieu, j’ai l’obligation de cette faveur à la T.S.Vierge Marie, ma très honorée Dame et ma très chère Mère, dont je ne pourrai jamais assez la remercier.”

Mais cette insigne grâce de Dieu fut accompagnée de douloureuses persécutions de la part de ses confrères.

Une étroite collaboration s’établira entre lui et Marie des Vallées, notamment lors de ses fondations. En effet, Jean Eudes quitta  brusquement l’Oratoire en mars 1643. Il semble que certaines orientations prises par les supérieurs de l’Oratoire l’aient incité à prendre cette décision. Par ailleurs, il voulait se consacrer à ses nouvelles fondations. Marie des Vallées prit très à cœur la fondation de l’Ordre de Notre-Dame de la Charité destiné aux filles repenties. En 1644, la Ste Vierge donna même à Marie les instructions pour le costume des religieuses.

Après cette fondation, le 23 mars 1643, Jean Eudes entreprit la fondation de la Congrégation de Jésus et de Marie, dite aussi: la Société des prêtres du séminaire de Jésus et de Marie, pour les missions et les séminaires. Marie des Vallées disait que c’était le Christ Lui-même qui avait inspiré ce projet et qu’il serait fondé sur Lui, “sur la grâce, la divine Volonté, et la Croix.”

En juin 1646, Jean Eudes et ses missionnaires prêchent une mission sur les terres de Gaston de Renty, au Bény-Bocage. Gaston de Renty décrit le déroulement de cette mission :

“Outre sa grâce et sa puissance sur les peuples, il assemble deux fois la semaine les ecclésiastiques pour leur faire des conférences de leur saint état et de ce qu’il requiert, où ils abondent de toutes parts... Il assemble la noblesse un jour la semaine, pour les porter à user saintement de leur condition qui leur a été donnée de Dieu, pour être son bras dans les besoins de son service; et il minute de lier les plus disposés sous de petits règlements dressés à cette fin, pour les assembler une fois par mois, d’où il résulterait un grand fruit... pour renouveler l’esprit du christianisme.”

Cette mission de la noblesse, Notre Seigneur, par Marie des Vallées la confirmera à Gaston de Renty, en lui expliquant le sens du chapelet que Marie, la Sainte Vierge, lui avait donné quatre ans auparavan : “Il m’a donné sa noblesse temporelle en quittant le monde pour l’amour de Moi [5]. Je lui ai donné ma noblesse spirituelle qui est l’amour et la charité. L’amour et la charité sont une clef qui ouvre le chemin que j’ai marché en cette vie... Dans ce chemin, l’amour divin consomme l’âme en elle-même et la transforme en Dieu; il l’anéantit et la déifie et n’y demeure que Dieu seul vivant et régnant. Voilà la dignité et la fin de la noblesse que je lui ai donnée.”

Le 2 août 1646, deux jours après la fin de la mission, Gaston de Renty écrit à un ami : “... Il faut rendre cet honneur au Père Eudes de le tenir comme un admirable et extraordinaire organe de Dieu pour le ministère où Il l‘a appelé. On ne peut résister à des vérités dîtes si nûment, si saintement et si fermement... Il y avait plus de douze mille personnes le dernier jour ! Toute une montagne en était couverte.”

7-3-La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus

On a souvent remarqué que, lorsque le Seigneur veut accomplir une grande œuvre, Il se suscite des saints qui, souvent “vont” par paires. La liste est longue de ces couples étonnants, religieux et parfaitement chastes, presque toujours de grands mystiques. Ils se voyaient peu et étaient parfois séparés par de longues distances, mais, grâce à la prière et aux sacrifices de l’un, l’autre a pu réaliser l’œuvre que le Seigneur attendait de lui. On peut citer entre autres, pour mémoire : saint François et sainte Claire, Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et Louise de Marillac, Monsieur Olier et Agnès de Langeac, Louis-Marie Grignion de Montfort et Marie-Louise Trichet, sainte Marguerite-Marie et saint Claude la Colombière, etc...

On a parfois l’impression que saint Jean Eudes et Marie des Vallées ont constitué l’un de ces couples privilégiés de saints chargés d’une mission redoutable. Il existe, en effet, entre saint Jean Eudes et Marie des Vallées une étroite concordance de pensée. L’un était le directeur spirituel de l’autre à qui il demandait souvent conseil... Dans cette optique, on peut se demander si la naissance du culte au Sacré-Cœur de Jésus, inspirée à saint Jean Eudes, n’aurait pas été également confiée à Marie des Vallées ? Dieu seul le sait. Quoiqu’il en soit, quelques faits sont révélateurs:

– 1641, saint Jean Eudes rencontre Marie des Vallées. Cette même année, il fonde l’Ordre de Notre-Dame de la Charité, et la voue au Cœur de Marie qui n’a qu’un Cœur avec son divin Fils. Saint Jean Eudes raconte une vision de Marie à cette époque : “Notre Seigneur lui a dit qu’Il avait institué la fête du Cœur de la Vierge et qu’Il châtierait ceux qui s’y opposeraient. Elle dit aussi qu’Il lui dit que c’était la fête de son Cœur.” C’est clair : c’est le Christ Lui-même qui est l’Auteur du culte rendu au Cœur de sa Mère. Et le Cœur de la Mère annonce le Cœur du Fils. (Mystère contenu dans le mystère de l’Incarnation)

– 1643, Saint Jean Eudes fonde la Congrégation de Jésus et de Marie, plus connue sous le nom d’Eudistes, et la Société des enfants du Saint Cœur de la Mère Admirable dans laquelle entrera Marie des Vallées. D’aucuns pensent que ces fondations de Jean Eudes auraient été fortement encouragées par des révélations confiées à Marie des Vallées, par saint Jean et la Vierge Marie. En fait, la congrégation de Jésus et de Marie est dédiée au Saint Cœur de Jésus et de Marie.[6] 

– 1648, à Autun, Jean Eudes célèbre la fête du Cœur de Marie pour laquelle il a composé l’Office.

– 1652, 8 février, pendant la messe, au cours d’une vision, Jésus dit à Marie des Vallées : “Voilà notre Cœur; c’est celui de ma Mère, mais c’est le vôtre aussi, car enfin, Moi, ma Mère et vous, nous n’en avons qu’un que voilà.” Le 3 juillet 1652, une chapelle dédiée au Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, est élevée chez les Pères Eudistes. Elle fut achevée en septembre 1655, et Marie des Vallées fut la marraine de la cloche avec Mr de Bernières.

– 1656, le jour de l’octave de la fête du Saint Rosaire, dans une vision, le Christ annonça à Marie qu’Il avait trois Cœurs : le premier est l’amour et la charité qui m’ont fait descendre du Ciel en mon Incarnation ; le deuxième qui procède du premier est ma Passion ; et le troisième, qui procède du second est le Saint-Sacrement.”

– 1668, les deux cultes, au Cœur de Jésus et au Cœur de Marie deviennent distincts. L’Office du Cœur de Jésus est composé par saint Jean Eudes. Marie des Vallées n’est, alors, plus sur cette terre, mais Jean Eudes doit se souvenir de la promesse de Jésus pour son Église, promesse confiée à Marie des Vallées dans une vision :

Je veux lui donner trois choses singulières :

– 1°C’est une bague enrichie d’une pierre précieuse qui sera d’aimant attirant le fer,

– 2°ce sera mon Cœur,

– 3°la connaissance des Écritures et d’un sens qu’elle n’a pas connu.

Étonnante et incomparable promesse! Inutile de dire qu’elle déchaîna des montagnes de passions: c’est au sein même de l’Église que se manifestèrent les plus grands obstacles contre ce culte pourtant demandé par Jésus Lui-même. Chose étonnante: les adversaires engloberont dans une même vindicte Marie des Vallées, saint Jean Eudes, sainte Marguerite-Marie et saint Claude la Colombière.

– 1670, saint Jean Eudes célèbre la fête du Sacré-Cœur de Jésus à Rennes, avec l’autorisation de Mgr de Vieuville.

– 1671, Marguerite-Marie entre à la visitation de Paray-le-Monial.

– 1672, saint Jean Eudes ordonne à ses Congrégations et Instituts, la célébration de la fête du Cœur de Jésus. Le 29 juillet, il écrivait à ses frères : “... nous n’avons jamais eu l’intention de séparer deux choses que Dieu a unies si étroitement ensemble, comme sont le Cœur très auguste du Fils de Dieu et celui de sa bénite Mère. Au contraire, notre dessein a toujours été, dès le commencement de notre congrégation, de regarder et d’honorer ces deux aimables Cœurs comme un même Cœur, en unité d’esprit, de sentiment, de volonté et d’affection, ainsi qu’il paraît manifestement en la salutation que nous disons tous les jours au Divin Cœur de Jésus et de Marie, comme aussi en l’oraison et en plusieurs autres endroits de l’office et de la messe que nous célébrons en la fête du Cœur Sacré de la même Vierge... Mais la divine Providence... a voulu faire marcher la fête du Cœur de la Mère avant la fête du Cœur du Christ, pour préparer les voies dans les cœurs des fidèles à la vénération de ce Cœur adorable, et pour la disposition à obtenir du Ciel la grâce de cette seconde fête, par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la première.”

Signalons pour mémoire :

– 1673, première vision de Marguerite-Marie.

– 1674, la fête du Sacré-Cœur est célébrée par les Bénédictines du Saint-Sacrement, à Montmartre, à Paris, avec l’Office composé par saint Jean Eudes. Le pape Clément X approuve les Congrégations et les Instituts de saint Jean Eudes.

Nota : Le 4 janvier 1903, Léon XIII reconnut solennellement que saint Jean Eudes était l’auteur du culte liturgique des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie. À cette occasion il fit allusion “à la Sainte de Coutances.” Le 11 avril 1909, le pape Pie X nomme Jean Eudes, ”père, docteur et apôtre de la dévotion aux Sacrés-Cœurs.”

Marie des Vallées fut vraiment le prophète du Règne du Sacré-Cœur. Elle en paya le prix ; il convient donc de lui rendre l’hommage qui lui est dû, après trois siècles d’oubli.

Tout le monde ne comprenait pas ainsi la mission de saint Jean Eudes. Aussi, jalousie ou sottise, les Pères de l’Oratoire manifestèrent-ils leur opposition constante aux œuvres du Père Eudes, allant jusqu’à empêcher l’établissement à Caen de sa congrégation. Et les actions de certains ecclésiastiques ne cessèrent jamais. Pire, les chanoines de Bayeux tentèrent même de le faire accuser de jansénisme!!!

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Et maintenant ?

Qui, aujourd’hui, connaît Marie des Vallées ? Ce n’est que très récemment qu’une historienne, Marikka DEVOUCOUX s’est penchée sur cette vie hors norme, mais se situant comme en filigranes derrière ce que l’on appelle l’École française de spiritualité. Car force est de constater que dès la fin du XVIIe siècle, une chape de silence — voire de méfiance — s’est étendue sur Marie des Vallées. Contemplant cette chape, on ne peut s’empêcher de penser à cette même chape qui déroba à nos regards l’œuvre de Sainte Gertrude d’Helfta, pendant près de trois siècles, et le Traité de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, pendant cent cinquante ans.

Pourtant, au long des siècles, quelques personnes ont encore osé parler de la sainte de Coutances. On peut citer le Père J. L. Adam qui n’hésite pas, en 1893, à en faire mention, ainsi que Mgr Germain qui eut le courage de préfacer l’ouvrage du Père Adam.

Mgr Germain écrivit à l’auteur : “En publiant la vie de la sœur Marie de Coutances vous rendez à l’histoire diocésaine un service dont je vous suis particulièrement reconnaissant. Il était temps de faire revivre cette humble fille descendue dans la tombe depuis plus de deux siècles. Il était opportun de présenter à notre époque ruinée par le rationalisme et le sensualisme, cette vie qui peut se résumer en trois mots: foi, pénitence et amour...”

Le successeur de Mgr Germain, Mgr Guérard, interviendra lors de la procédure de béatification de saint Jean Eudes. Il écrivit : “Il est certain que pendant sa vie, la pieuse sœur Marie des Vallées, dite avec raison, la sainte de Coutances, a joui dans le pays d’une réputation de sainteté que n’ont pu détruire les calomnies amoncelées contre elle par les jansénistes et autres esprits mal intentionnés.”

Mgr Guérard s’efforça de faire sortir Marie de l’oubli en faisant rechercher ses restes. Des fouilles furent entreprises. On trouva le corps, et le cercueil fut discrètement porté à la cathédrale, le 7 août 1919. Mgr Guérard aurait voulu honorer Marie par une cérémonie solennelle; il dut y renoncer face aux détracteurs.

Conclusion

Les amis de Marie des Vallées en ont dit, c’est normal, beaucoup de bien. Ainsi, Saint Jean Eudes et Gaston de Renty dont il a été longuement question plus haut. Mais il a semblé intéressant de rapporter d’autres témoignages. Ainsi le Père Adam écrit : “Marie des Vallées a exercé une douce et bienfaisante influence, non seulement dans le diocèse de Coutances, mais encore dans la Normandie tout entière et dans la Nouvelle France d’Amérique, le Canada.”

Le Père Henri-Marie Boudon, archidiacre d’Évreux, connu par son admirable piété, mort en 1702, témoignait, lui aussi : “... L’ayant connue... je me sens pressé de rendre témoignage à la vérité, et de dire, pour la gloire de celui qui a fait en elle de grandes choses, qu’elle a été une personne d’une grande innocence, n’ayant jamais perdu, autant que l’on en peut juger par les preuves qu’on en a, son innocence baptismale... Je crois devoir dire que l’on a écrit des choses bien éloignées de la vérité...”

Au sujet de sa possession, le Père Boudon dit aussi : “Cette possession lui est arrivée par l’effet d’une dernière charité, s’étant offerte à Dieu pour porter tous les maléfice que l’on avait jetés sur un grand nombre de filles, qui avaient des effets très funestes... Sa prière fut exaucée, toutes les filles furent délivrées, leurs maux tombèrent sur elle, et ensuite, elle fut possédée...” Le Père Boudon poursuit: “Ce qui doit être fort considéré en la personne de Marie des Vallées, au sujet de ces choses extraordinaires, c’est qu’elle-même ne s’y arrêtait pas.”

Il n’empêche que la vie de Marie des Vallées est, même pour elle-même, un mystère. Un jour, ayant demandé à Jésus quelques éclaircissements, elle obtint cette réponse : “... que ces choses étaient trop hautes pour mon esprit, et que pour cela, il était obligé de me dire beaucoup de choses par figures, afin de s’accommoder à moi, et de me les faire entendre.”

Il n’en demeure pas moins que la vie de Marie des Vallées est l’une des plus étonnantes de l’histoire des mystiques et de la mystique. Marie des Vallées est admirable, mais, incontestablement, elle est inimitable, car constamment ponctuée de phénomènes extraordinaires, voire rarissimes. Marie des Vallées nous surprend, et parfois nous scandalise. Ne la rejetons pas d’emblée pour autant. Le Seigneur a peut-être des choses à nous dire par l’intermédiaire de cette mystique hors normes. D’ailleurs, le fait qu’on ait recommencé à en parler à la fin du XXe siècle, après plus de trois siècles de silence, est certainement le plus grand des faits extraordinaires associés à la vie de Marie des Vallées.

Paulette Leblanc

Bibliographie

Saint Jean Eudes

Abrégé de la vie et de l’estat de Marie des Vallées, des choses principales qui se sont passées en elle depuis sa naissance jusqu”au temps de sa possession.

Émile Dermenghem

La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées (chez Plon, 1926)

Chanoine Eugène Lelièvre

Anathème pour mes frères (biographie inachevée et inédite sur Marie des Vallées dans les archives des Eudistes)

Gaston de Renty

Mémoire d’une admirable conduite de Dieu sur une âme particulière appelée Marie de Courtances

Marikka Devoucoux

L’Œuvre de Dieu en Marie des vallées – Édité chez François-Xavier de Guibert


[1] Vie de Marie-Angélique de la Providence, carmélite.
[2] Le Père de Saint Jure  nous fait savoir que, dès 1641, Gaston de Renty apprit à soigner et à faire un certain nombre d’opérations chirurgicales. Il se fit instruire en médecine et à confectionner des médicaments...
[3] Trésorier de France.
[4] Lettre 36 de Gaston de Renty.
[5] Gaston de Renty, marié et père de famille avait dû rester dans le monde, mais il y vivait comme un véritable religieux, tout donné à Dieu.
[6] Il convient de noter ici qu’il n’y a qu’un seul Cœur pour deux possesseurs. Saint Jean Eudes dit bien: le Cœur de Jésus et de Marie. En 1674, dans un Bref d’approbation, le pape Clément XI appelle les églises et chapelles de la Congrégation des Eudistes, églises et chapelles du Cœur de Jésus et de Marie.

 

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