« Malgré toute la répugnance
que j'éprouve à écrire des choses qui me regardent personnellement, cependant je
ne laisserai pas de me soumettre à l'obéissance. Je le ferai avec l’aide du
saint Enfant-Jésus, à qui j’ai mis ma plume dans la petite main, le priant de
bien vouloir écrire lui-même les grâces précieuses qu’il m’a faites, et mes
malices qui l’ont tant offensé, afin que Dieu son Père soit glorifié d’avoir par
sa puissance fait venir un si beau fruit à la gloire de son Nom
dans
une si mauvaise terre, couverte de ronces et des épines du péché et des
imperfections dont mon âme est remplie. C’est donc aux pieds de l’Enfant-Jésus
dans la crèche que je vais faire ce petit recueil pour vous obéir, ma très
Révérende Mère ».
« Je suis née le 4 octobre
1816, jour remarquable de la mort de notre sainte mère Thérèse, et fête de saint
François
d'Assise, dont ma mère portait le nom. Je fus baptisée dans l'église
Saint-Germain de Rennes. J'eus pour patrons saint Pierre et saint François
d'Assise. Ma pauvre mère eut en ce jour de sa fête un triste bouquet en mettant
au monde une petite fille qui devait lui causer tant de sollicitudes par ses
maladies et ses méchancetés.
Elle me confia aux soins
d'une nourrice qui était une excellente personne; mais un mois après ma
naissance, il arriva un accident qui aurait dû me donner la mort, sans une
protection toute spéciale de Dieu. Ma nourrice, étant sortie un instant, m'avait
laissée au berceau. Un de ses petits enfants me prit dans ses bras et me mit
auprès du feu, voulant sans doute me chauffer; mais je lui échappai des bras, et
je tombai dans le feu. J'ai toujours conservé sur la figure une marque de cet
incident. Ma mère, désolée, me retira des mains de cette femme.
Je vais maintenant faire
connaître un de mes premiers traits de malice. Lorsque je fus devenue un peu
plus grande, on me raconta l'accident qui m'était arrivé. Voilà qu'un jour cette
pauvre bonne femme, ma nourrice, vint me voir. Je la reçus en lui disant
malicieusement :
— “Vous
m'avez déjà brûlé une joue; venez-vous aujourd'hui pour me fricasser
l'autre ? ”
À l'âge de quatre ans, je fus
atteinte de la fièvre scarlatine, qui me mit aux portes de la mort. Mes parents
m'ont dit que j'avais été dix-neuf jours en danger, sans rien prendre, excepté
un petit verre de cidre: ce qui faisait rire mon père, quand il me parlait de
cette maladie, où un breuvage si contraire à mon état m'avait soutenu et
conservé la vie.
Dès que ma raison commença à
se développer, mes bons parents, qui étaient d’une éminente piété, me donnèrent
une pieuse éducation. Mais j'avais un très mauvais caractère; j'étais colère,
entêtée et très légère. Ma pieuse mère me menait souvent à l’église; mais ma
légèreté me faisait tourner la tête pour voir ce qui s'y passait. Quand j’avais
fait ainsi paraître de la dissipation et que je n'avais pas été fidèle aux
recommandations de ma mère, elle me punissait sévèrement. On me conduisit à
confesse à six ans et demi, pour me faire accuser de toutes mes fautes. J'étais
si jalouse de ma petite sœur, qu'on fut obligé de l'éloigner de moi pour quelque
temps.
Avec tous ces défauts, qui me
rendaient si désagréable, j'avais encore beaucoup d'orgueil et d'amour-propre.
Ma mère disait une fois devant mon père, pour m'humilier :
— “Ah !
bien sûr, cette petite fille-là n'est point la nôtre; certainement elle a été
changée en nourrice: il n'est pas possible que notre enfant soit aussi méchante
que l'est celle-ci”.
Ce langage ne me plaisait
guère; je ne savais trop qu'en penser; je ne savais trop qu’en penser. Pourtant
je remportai une victoire sur mon orgueil. Tous les jours il passait devant la
maison un pauvre, mal vêtu, et qui était aveugle; il avait besoin quelquefois,
au détour de la rue, qu'une main charitable le guidât pour le mettre dans son
chemin. Déjà mes parents m'avaient invitée à lui rendre ce service; mais mon
orgueil y sentait une extrême répugnance. Enfin un jour je me fis une grande
violence, et, prenant ce bonhomme par le bras, je l'ai conduit et le mis en
bonne route. Il m'a semblé alors avoir fait une action des plus héroïques. Quand
j'avais été méchante et que mes parents me punissaient, je ne me révoltais point
contre eux, car je voyais que cela me faisait du bien, et je sentais des touches
de la grâce qui me reprochaient ma malice.
De plus, on me donna une
connaissance toute particulière de la très sainte Vierge, en me rapportant des
exemples de la protection de cette bonne Mère; cela toucha mon cœur. Je me mis à
l'invoquer, et je devins meilleure. Je commençai à goûter la prière, et je
n'avais plus de pénitence à subir en revenant de la grand-messe les dimanches,
parce que j'étais plus sage; et quand quelque chose de répugnant se présentait,
je me faisais violence pour ne point raisonner, et je disais : Mon Dieu ! je
vous offre cela en expiation de mes péchés.
Envoyée par mes bons parents
au catéchisme des petits enfants de la paroisse, j'ai goûté les instructions,
et, ma conduite étant plus édifiante, les compliments succédèrent bientôt aux
reproches que j'étais habituée à recevoir. On disait à ma mère devant moi :
—
“Madame, votre petite fille se tient à l'église
comme une personne de quarante ans”.
Mais je crois que ces récits
me donnaient encore de l'amour propre. Je me suis mise à faire le chemin de
Croix. La lecture des souffrances de Notre-Seigneur me touchait vivement le
cœur; car je pensais que mes péchés étaient cause de ses douleurs, et je disais
contrite :
— O mon Sauveur, avez-vous
vu au moins, pendant votre passion, qu'un jour je me convertirais et serais
toute à vous ?
Je baisais la terre à chaque
station. Alors je rentrais à la maison avec de la poussière sur le visage, et
Notre-Seigneur permit que cet acte de piété m'attirât une légère humiliation:
quand ma sœur était fâchée avec moi, elle m'appelait «nez crotté»; ce qui
mettait ma faible vertu à grande épreuve, car cette petite raillerie me
déplaisait beaucoup.
La grâce m'attirait fortement
à Dieu; mais je n'étais pas constante dans le bien: je tombais et je me
relevais. Je ne sais par quelle occasion j'entendis parler d'une sorte d'oraison
appelée mentale, plus agréable à Dieu que la prière vocale. J'eus envie de faire
cette oraison. Je dis donc:
— Je ne vais point parler
en disant ma prière, et cela fera une oraison mentale.
Mais, lorsque j'avais fini,
l'inquiétude me prenait de n'avoir point fait ma prière du matin ou du soir.
Notre-Seigneur, voyant mon désir, m'inspira de penser à ses souffrances et à mes
péchés: alors je pleurais amèrement, et Notre-Seigneur permit que, un peu plus
tard, j'entendisse un sermon qui traitait tout entier de la méditation. J'ouvris
mes oreilles et mon cœur à un si heureux sujet, joyeuse de savoir faire
l'oraison.
Par la miséricorde de Dieu,
mon cœur était vraiment touché de la grâce. Je reçus avec une grande dévotion ce
divin Sauveur que j'avais tant offensé dans mon enfance, et je me donnai tout
entière à Lui. On m'administra le sacrement de confirmation le même jour, et je
fus revêtue du saint scapulaire pour me mettre sous la protection de
cette tendre Mère, à qui je devais ma conversion. Mon confesseur, voyant que
j'étais tout à fait changée, m'accorda la grâce de communier de nouveau dans le
courant de l'année, et ce bon père commença, lui aussi, à s'émerveiller du
changement que la grâce opérait en mon âme. Il me le disait; mais quand il
m'avait dit de si belles choses sur ce sujet, il m'humiliait beaucoup. Comme je
n'avais guère d'humilité, j'aurais autant aimé ne pas recevoir de louanges, afin
de n'être point humiliée ensuite. Notre-Seigneur, qui veillait sur moi, me
soumit à une rude épreuve, bien capable de chasser pour toujours l'orgueil de
mon cœur; il voulut me purifier par des peines intérieures.
Le démon voyant que sa proie
lui avait échappé, fit sur moi les derniers efforts: se trouvant chassé de sa
demeure, il alla chercher, comme le dit l'Évangile
,
sept esprits plus méchants, pour s'efforcer de rentrer dans ses droits. Alors je
fus attaquée de mille tentations. L'esprit couvert de ténèbres, l'âme rongée
d'inquiétude par les scrupules, je croyais commettre des péchés à chaque
instant; je n'avais plus de repos. Si j'écoutais un sermon, le démon me sifflait
aux oreilles des jurements et des blasphèmes; les mauvaises pensées me
martyrisaient l'esprit. Je n'avais alors que douze ans. Les péchés de ma vie
passée me revenaient en souvenir: il me semblait que je ne les avais point
confessés. La confession me paraissait une chose presque impossible, parce que
je me perdais dans la longueur de mon examen, et je ne me croyais jamais assez
préparée quand mon tour venait d'entrer au confessionnal; je m'en allais, l'âme
remplie de peines. Je ne trouvais plus de consolation dans la prière, car je
croyais la mal faire et je recommençais continuellement ce que j'avais dit.
Cette répétition était aussi ridicule que fatigante. Mon confesseur faisait tout
ce qu'il pouvait pour me rassurer et me consoler; mais, étant si jeune et
n'ayant point d'expérience sur ces sortes de tentations, je ne lui faisais pas
assez connaître l'étendue de ma misère. Le bon Dieu, pendant ce temps d'épreuve,
purifiait mon âme; j'étais bien éloignée alors d'avoir de l'amour propre.
Notre-Seigneur m'affligea
aussi d'une manière bien sensible en attirant à Lui ma pauvre mère, que j'aimais
beaucoup. Dès qu'elle eut expiré, je me suis rappelée avoir entendu dire que
sainte Thérèse avait douze ans comme moi quand elle perdit sa mère, et comme
elle aussi j'ai prié la très sainte Vierge de vouloir bien me servir de mère,
pour remplacer celle qui venait de m'être enlevée. La très sainte Vierge exauça
ma prière: car j'ai toujours ressenti depuis, d'une façon toute spéciale, sa
maternelle protection. »
Je continuai d'aller au grand
catéchisme plusieurs années. Le vicaire qui le faisait était fort capable; il
est maintenant évêque.
Je crois qu'il voyait bien le triste état de mon âme; mais comme il ne me
confessait pas, il ne me donnait point de consolation. Cependant il m'avait
appris à faire l'oraison par le sermon dont j'ai parlé, et, plus tard, il me fut
bien utile.
La fête du catéchisme
approchait. On choisit trois filles pour faire, en forme de dialogue, une
conférence publique. J'étais du nombre. On nous donna à chacune notre rôle à
apprendre. Deux petites demoiselles étaient chargées de me consulter au sujet
des plaisirs du monde; elles devaient me les vanter beaucoup, et moi je devais
leur en montrer le néant et la vanité. A la fin, une des deux terminait en me
disant que mon discours lui faisait connaître que j'avais sans doute fait voeu
de pauvreté, et que je serais peut-être un jour carmélite. Grâce au Seigneur, je
reçus, en effet, plus tard cette vocation; les deux jeunes filles restèrent dans
le monde et se marièrent.
Il plut enfin à Dieu de me
délivrer de mes peines intérieures. Voici de quelle manière:
Une pieuse demoiselle, qui
connaissait ma position, eut la charité d'en parler à mon confesseur, qui était
aussi le sien. Un jour que je devais entrer dans le confessionnal après elle,
trouvant encore que ma préparation n'était pas assez bien faite, je me lève pour
m'en aller; mais je fus bien étonnée lorsque j'entendis mon confesseur ouvrir sa
porte, et m'appeler en m'intimant l'ordre d'entrer sans délai et de commencer
tout de suite. Je m'excusai sur ce que mon examen n'était point fait, et que je
n'avais pas assez de contrition; mais il n'écouta point mes raisons. Alors je me
soumis à l'obéissance; je reçus l'absolution, et mon confesseur me dit :
— Ma fille, soyez sûre que
cette confession est une des meilleures de votre vie”.
Ensuite il me défendit
expressément de recommencer plusieurs fois mes prières, et il me donna une règle
à suivre au sujet des scrupules qui m'affligeaient. Le Seigneur me fit la grâce
de me soumettre, le démon fut vaincu par l'obéissance; toutes mes inquiétudes
s'évanouirent comme de la fumée, et le calme revint dans mon cœur. Approchant
alors avec une humble confiance et sans trouble de notre divin Sauveur dans le
sacrement de son amour, j'en ressentis bientôt de grands effets: mon âme fut
inondée de consolations. Je recevais aussi de grandes grâces en assistant au
saint sacrifice de la messe; quand le moment de la consécration était arrivé,
j'avais bien de la peine à contenir mes transports pour que personne ne s'en
aperçût. Mon application à Dieu était continuelle ».
« Ma bonne tante m'avait
placée auprès d'elle dans un petit coin, où j'étais, en travaillant, comme dans
une petite cellule, séparée des autres jeunes personnes; elles ne troublaient
point mon repos et ne s'apercevaient point des opérations de la grâce dans mon
âme, car rien ne pouvait me distraire de la conversation intérieure que
j'entretenais avec Notre-Seigneur. Je faisais souvent la communion spirituelle;
cet exercice allumait dans mon cœur le feu de l'amour divin, qui, au milieu de
mon travail, me transportait si fort, qu'il m'était quelquefois difficile de le
contenir. Notre-Seigneur me fit la grâce d'être reçue dans la congrégation de la
très sainte Vierge, dont ma bonne tante était une des supérieures.
Après le temps des épreuves,
je fus admise par le conseil à faire ma consécration. Ah! que ce jour fut
délicieux pour mon cœur! Cette cérémonie rappelait ma première communion:
j'étais, comme ce jour, vêtue de blanc, un cierge à la main. Là, devant le
directeur et un autre ecclésiastique, et en présence de mes nouvelles sœurs, qui
étaient au nombre de cinq cents, je renouvelai les voeux de mon baptême; je
promis de garder fidèlement les règles, et je me consacrai à la très sainte
Vierge, ma bonne mère. Cette congrégation était établie pour les ouvrières; on
n'y faisait aucun voeu; mais il y avait un règlement plein de sagesse, propre à
conserver la piété dans le cœur des jeunes personnes, et tous les quinze jours
le supérieur faisait d'excellentes instructions.
Les douceurs firent place à
la sécheresse, aux aridités intérieurs. Cet état me parut fort étrange. Hé quoi!
ne plus sentir aimer le bon Dieu!... N'ayant point d'instruction sur ces voies
de la grâce, je pensai qu'à force d'application j'allais encore goûter la joie
ineffable de ces transports d'amour dont j'avais été favorisée ; mais ces vains
efforts ne servaient qu'à me faire tomber malade.
Je parlai à mon confesseur,
qui ne s'en émut pas. Il me dit que ma première ferveur reviendrait; mais comme
je ne goûtais plus de consolations, ingrate envers mon bienfaiteur, je me
relâchai dans la voie de la perfection; mon misérable cœur se retourna vers les
créatures. Je n'étais pas tranquille; quoique mes fautes ne fussent pas graves,
elles me nuisaient beaucoup, parce que Notre-Seigneur demandait de moi une
grande générosité. »
Bien que je reçusse
d'excellents conseils de mon nouveau confesseur, je n'en devenais pas meilleure.
A l'âge de dix-sept ans environ, les vains attraits du monde commençaient à me
sourire. Tiède dans le service de Dieu, je me livrais à la dissipation et à la
recherche dans la toilette. Mais ce qui me causa le plus de tort, fut d'avoir
laissé la pratique de l'oraison, secours si utile à l'âme pour vaincre les
passions. Depuis la mort de ma mère, ma sœur aînée était à la tête de la maison;
moi, toujours orgueilleuse, je ne voulais point me soumettre à son autorité et
lui faisais souvent de petites peines. Ma conscience me reprochait fortement mes
infidélités: je me rappelais ces jours heureux de mon adolescence pendant
lesquels, fidèle à ce Dieu de bonté, j'étais comblée d'ineffables délices. Je
désirais revenir à lui; mais mon âme était comme enchaînée par ses mauvais
penchants.
Enfin j'eus recours à celle
qu'on n'invoque jamais en vain, à Marie, ma tendre mère, à laquelle je m'étais
consacrée.
La fête de la Purification
approchait. Je m’y préparai par une neuvaine; je célébrai ce beau jour avec une
grande pitié, et j’offris même un cierge pour être brûlé devant l’autel de
Marie. Aussitôt je sentis mon cœur tout touché, mes liens brisés. Je reconnus
qu’il y avait nécessité pour moi de revenir à mon ancien confesseur.
— Ah ! mon père, depuis
que je vous ai quitté, la vertu a fui loin de moi ; je vous supplie de prendre
de nouveau soin de mon âme.
Il me reçu comme le père de
l’enfant prodigue, avec une grande charité. Je suivis peu après une retraite de
huit jours dans une maison religieuse où prêchaient des missionnaires. C'était
là que la divine miséricorde m'attendait. J'avais prié la très sainte Vierge
avec ferveur pour l'heureux résultat de ma retraite; mes voeux furent exaucés.
La grâce agissait fortement dans mon âme, aussi les instructions des bons
missionnaires produisirent sur moi la plus salutaire impression. Je fis une
confession générale, et voyant clairement tous mes péchés et la bonté de Dieu
que j'avais si longtemps méprisée, puis considérant les plaies de mon crucifix,
qui semblaient me reprocher ma perfidie, je sentis mon cœur blessé par un trait
de contrition des plus vifs; mes yeux versèrent d'abondantes larmes, et je
promis à mon Dieu une inviolable fidélité ».
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