CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Madeleine de Saint-Joseph
Première prieure française
du premier monastère des Carmélites
Déchaussées en France
1578-1637

2

– SUITE –

Ce léger souffle et si pur acheva de s'éteindre le 19 février 1623. « Elle me dit plusieurs fois en sa maladie : je vois les vierges qui m'appellent. Elle disait ainsi : je vois les petites vierges... elles me demandent pour aller avec elles »[1]. Son doux corps, de si peu de poids, fut porté sur un carrosse, au monastère du faubourg Saint-Jacques. La marquise de Maignelais l'accompagna d'un carmel à l'autre et, dans la personne d'André Duval, la Sorbonne attendrie récita les dernières prières sur la tombe.

Telle est cette vie que je n'ai pas su lourer, mais qui rayonne assez d'elle-même. Il y a des saintes plus éclatantes ; au cours de nos recherches, nous en rencontrerons plusieurs qui nous captiveront davantage, soit par l'ardeur de leurs sentiments, soit par l'excellence de leurs dons naturels, soit par le mérite de leurs œuvres. Je n'en connais pas de plus exquise, de plus propre à nous renre presque sensible l'union mystique, dans sa vérité simple et sublime.

III. Il manquerait à ce long chapitre, un de ses paragraphes essentiels, si je ne consacrais pas, au moins quelques pages, à la seconde des trois filles de Mme Acarie — toutes les trois carmélites — à Marguerite, en religion, Marguerite du Saint-Sacrement. Pour faire ici une place à ce dernier portrait, je dois renoncer à la charmante marquise de Bréauté, Marie de Jésus — Cousin a longuement parlé d'elle ; — renoncer à beaucoup d'autres.

Pour bien des raisons qu'il serait trop long de déduire, Marguerite s'impose à nos préférences. Figure très originale et en même temps des plus représentatives. Elle ne vit pas comme sa mère dans une extase continuelle. Dieu ne se l'est pas gardée pour lui seul; il n'a pas mis un sceau sur ses lèvres, comme il a fait pour Catherine de Jésus. Elle a moins de majesté, une suréminence moins sensible que Madeleine de Saint-Joseph. On disait de celle-ci qu’« entre cinquante religieuses, elle se faisait reconnaître par une certaine onction de grâce qu'elle répandait par sa présence »[2]. Marguerite au contraire, reste dans le rang, disparaît sans peine. De petite taille et d'une humeur aussi peu solennelle que possible, elle ne frappe pas d'abord. Aucune auréole sur le front de cette parisienne vive; soudaine, ronde, un peu brusque et toujours simple dans ses propos. Une religieuse qui ne l'avait pas rencontrée encore et qui s'approchait d'elle avec tremblement, parce qu'elle « s'attendait de voir une personne très sérieuse et d'un air très grave, fut étonnée de la voir avec un visage gai, un air très vif et une manière d'agir extrêmement libre »[3]. Loin d'affecter les grands airs, elle cherchait plutôt à donner le change, à jouer la sotte ou la pécheresse. Par de sinistres confidences sur son propre compte, un jour elle affole sa mère, la très clairvoyante Mme Acarie, qui avoue ingénument aux autres carmélites du faubourg Saint-Jacques, « l'appréhension où elle est que l'intérieur de sa fille ne soit en un état déplorable »[4]. Mme Acarie lui demande une autre fois ce qu'elle devrait faire pour son propre avancement spirituel. « Il vous faut bien mortifier, répond Marguerite, car comme vous avez tant enseigné les autres, et que vous avez agi selon vos inclinations, quoique très bonnes, il y a pourtant de votre propre jugement dans votre fait et c'est ce que vous avez besoin de faire mourir en vous »[5]. Un peu surprise, mais édifiée plus encore, Mme Acarie dit la chose à « quelques religieuses, dont une, témoignant à la Mère Marguerite l'étonnement où elle était de ce qu'elle avait parlé à sa mère avec tant de sévérité, lui dit en riant : “Comme vous y allez !” Notre jeune professe ne lui fit point d'autre réponse, sinon : “Pourquoi s'est-elle adressée à moi qu'elle sait bien n'être qu'une bête et une étourdie ? Je n'y saurais que faire, j'ai dit ce que j'ai pensé”. Pourtant cette liberté d'allure et de propos ne trompe personne. On s'accorde à nous la présenter comme d'une vertu extraordinaire. “Elle ira plus loin que sa mère”, disait le P. Binet. Incident unique je crois dans l'histoire des procès de ce genre, la marquise de Maignelais, en déposant pour la béatification de la mère, ne put s'empêcher de faire aussi l'éloge de la fille, quoique celle-ci vécût encore : “Mme Acarie, dit-elle, était sainte ; mais la Mère Marguerite, sa fille, l'est encore davantage”, M. de Lézeau a rapporté cela d'après le greffier qui avait écrit la déposition de la marquise de Maignelais »[6]. On raconte d'elle quantité de jolis miracles, mais qu'elle faisait, si j'ose dire, sans avoir l'air d'y toucher, et à plus forte raison, sans avoir l'air d'y croire. Avec cela, très intelligente, d'un « esprit décisif », incomparable dans la conduite des rimes. Le guide spirituel que l'on a composé en combinant des extraits de ses lettres et de ses notes, est un des meilleurs livres de direction que je connaisse[7]. Humaine, bonne, « fort civile et caressante »[8], mais invinciblement réfractaire à toute fadeur, pour moi, si j'avais à désigner, parmi les grandes religieuses du passé, la carmélite idéale, celle qui répond le mieux à l'image que je me suis faite d'une fille française de sainte Thérèse, je nommerais, presque sans hésiter, Marguerite du Saint-Sacrement.

Elle était née à Paris le 6 mars 159o. La marquise de Maignelais, une Gondi, je le rappelle, et la propre tante du cardinal de Retz, a dit à plusieurs personnes et notamment à Vincent de Paul, « qu'étant allé rendre visite à M' Acarie, peu de temps après la naissance de Marguerite, elle fut conduite dans une chambre où on avait mis son berceau et qu'elle fut très surprise de le voir tout en feu, mais qu'elle fut rassurée par la voix secrète d'un bon ange qui lui dit : “les flammes sont la figure du feu céleste qui embrasera cette âme” »[9].

Nous connaissons l'hôtel Acarie. Dans cette serre chaude, la piété de la jeune fille mûrit très vite. On a pourtant l'impression nette qu'un développement si précoce n'eut rien de forcé. Mal tresse d'elle-même, comme elle sera toujours, incapable de se contrefaire, docile sans doute mais indépendante, elle se prête aux influences qui conviennent à sa grâce, elle échappe aux autres. Humble profondément, prompte à se mépriser elle-même, elle n'était pas née disciple. Elle vénère les saints amis de sa mère, elle les tient pour d'insignes serviteurs de Dieu, mais d'aucun d'eux elle ne portera l'empreinte. Carmélite, elle n'aura d'autres livres que l'Imitation et que les écrits de sainte Thérèse. Peut-être n'a-t-elle même pas ouvert les ouvrages de Bérulle, son directeur néanmoins et très aimé. Nous avons plusieurs de ses lettres au grave Marillac qui lui fut peut-être encore plus cher que Bérulle. Très déférente, on voit bien qu'il ne la domine pas. Sa mère non plus, et c'est tout dire. Placez une femme de cette trempe à la tête de Port-Royal, Saint-Cyran n'aurait eu qu'à battre en retraite.

Parmi les visiteurs de l'hôtel Acarie, elle avait remarqué notre Quintanadoine et lui avait demandé quelques conseils. Voici comme elle lui écrit, alors « qu'elle n'avait encore que douze à treize ans », ainsi que nous l'assure Quintanadoine lui-même.

Monsieur et très honoré Père en Notre-Seigneur Jésus. La paix de Notre-Seigneur vous soit donnée pour humble salut. Je vous prie de m'excuser si j'ai pris la hardiesse de vous écrire, pour vous mander la disposition en laquelle je me suis trouvée depuis que je vous ai parlé touchant l'oraison : je me suis aidée du livre que vous m'avez baillé et vous en remercie très humblement; mais depuis que j'ai parlé à M. de Bérulle, il m'a dit que je me servisse du livre de Jean Gerson, et il me semble qu'il me sert de beaucoup, parce que je n'ai pas tant de curiosité qu'à celui que vous m'avez baillé, où il y a beaucoup de points trop hauts pour moi, et particulièrement sur la création du monde et des anges. Mon esprit se perd en cela et est beaucoup plus curieux que je ne l'avais, lorsque je vous parlai, et pour ce, je ne m'en sers plus. Mais, par la grâce de Dieu, j'ai l'esprit plus tranquille depuis trois ou quatre jours que je n'avais il y a deux semaines. Je vous supplie de me faire tant de bien de m'envoyer un scapulaire pour donner à une bonne âme, laquelle a le grand désir de l'avoir, et aussi je vous supplierai volontiers de m'envoyer une haire pour moi, J'en ai la dévotion, et parce que le sujet serait trop long à vous l'écrire, je vous le dirai mieux de bouche. Je vous prie de me l'envoyer avec le scapulaire, vous suppliant de prier Dieu pour moi[10].

Un peu plus tard, mais toujours avant l'âge de quinze ans, elle écrivait à la Mère Anne de Saint-Barthélemy cet autre billet qui n'est pas moins surprenant :

J'ai seulement les vertus en imagination, mais en effet, je n'en ai pas une... Ce qui est de pire, c'est que j'ai l'esprit si prompt et léger, qu'à la moindre contradiction qui me vient, je me laisse emporter sans le reconnaître. Tellement que lorsque je viens pour faire l'oraison, je me trouve sans aucune retenue ni application à Dieu. Devant que j'aie accoisé et rendu mon esprit tranquille, j'y perds beaucoup de temps, et j'ai toujours l'esprit si aride que rien plus[11].

Dans ces lettres si au-dessus de son âge, pas un de ces mots irritants qui trahissent la suffisance d'un enfant prodige. Elle ne s'écoute ni ne s'admire. Très mûre sans doute, très experte dans la connaissance de soi-même et l'appréciation des valeurs spirituelles, mais plus encore naïve et vraie, elle dit ce qu'elle pense comme elle le pense; elle donne leur plein sens aux mots qu'elle emploie. Chose admirable, ce relinque curiosa, une des leçons les plus subtiles de la vie mystique, elle l'a déjà compris. Et comme elle tient déjà les rênes de son âme ! Entre le livre trop « curieux » que lui proposait Quintanadoine et l'Imitation, conseillée par Bérulle, librement, elle fait son choix.

Il y aurait plaisir à suivre l'épanouissement de cette jeune et virile sagesse. Carmélite à quinze ans, et bientôt prieure, en province d'abord, puis au Petit Carmel de la rue Chapon, elle ne cessera plus de croître, mais selon sa ligne première : vigueur, netteté, indépendance, non pas cette indépendance, fruit de l'orgueil, qui ajoute à nos autres chaînes, mais celle qui n'est qu'une des formes de l'oubli de soi.

Simplifiez votre esprit, disait-elle, dans toutes les choses de néant et superflues, oui même dans votre conduite spirituelle... Sainte Thérèse a excellé dans cette simplification d'esprit[12].

Le programme de la vie intérieure et de la mystique, pour elle, tient en deux mots :

Il faut nous oublier nous-mêmes pour l'amour de Dieu, afin qu'il établisse notre âme hors de nous-mêmes, pour être toute sienne, vu qu'il ne peut avoir beaucoup de lieu en nous, lorsque nous vivons dans un si continuel regard de nous-mêmes[13].

Nous aider à nous « établir » « hors de nous-même » et en Dieu, la direction n'a pas d'autre raison d'être ; trop nous occuper du directeur n'est qu'une subtile façon de nous occuper et remplir de nous.

Les naturels tendres et sensibles ont besoin d'une conduite bien solide, si on ne les veut ruiner et perdre par une trop longue attention à leurs plaintes. Les filles spirituelles ont de la joie d'avoir bien de quoi dire et entretenir leurs pères spirituels. Je confesse que j'en aurais plutôt de ne savoir que dire, tant j'ai d'aversion d'employer le temps si mal. S'occuper de soi le moins que l'on peut, c'est bien le meilleur.

Il faut employer nos bons moments à nous donner à Dieu... et nous accoutumer enfin à être hors de nous-mêmes... J'admire comme on peut tant entretenir les directeurs ; car, pour l'ordinaire, étant toujours même chose, un avis bien pratiqué donne assez d'ouvrage[14].

« Plusieurs se mettent entre les mains d'autrui pour en jouir et y trouver repos ; en quoi, ils se trompent bien fort », et deux fois; d'abord parce que les directeurs ne doivent tendre qu'à nous faire mourir à nous-mêmes; ensuite, parce que, en vérité, ils peuvent si peu ! L'assistance que nous espérons d'eux n'est rien qui nous approche de Dieu, si Dieu même ne nous tend pas les bras de sa bonté. Les efforts humains sont si mêlés de faiblesses et d'ignorances que je ne sais comment nous les osons regarder comme une chose véritable et sainte... Si un ange était appliqué à nous répondre comme la multiplicité de nos pensées et de notre amour-propre le désirent, il nous nuirait plutôt que de nous servir...[15]

Aux créatures, quelque saintes qu'elles soient sur la terre, il n'y a que du vide pour nous qui les recherchons, ayant du visible conforme à nous et du trompeur; car cette créature estimée peut être un diable inconnu à nous, puisque ayant part aux choses visibles et sensibles, elle plaît selon l'estime ou l'affection que l'on a, qui ne peut être utile à notre sanctification qu'en superficie. Suivons la grande sainte Madeleine qui ne se peut arrêter aux anges ni au sépulcre où elle les quitte, pour chercher son Maître[16].

 

« Son Maître », le Maître intérieur qui prime tout, et auprès duquel le directeur le plus accompli paraît si peu de chose, ou, pour mieux dire, auprès duquel le directeur, plus il est accompli, plus il s'efface, ne laissons pas fuir l'occasion de souligner ces beaux principes dont je voudrais, dont je dois faire l'âme ardente et lumineuse du présent travail.

« Au reste, continue la Mère Marguerite, cela n'empêche pas qu'on ne se communique et qu'on ne reçoive la conduite d'autrui. » « Les lumières que l'on reçoit des directeurs servent beaucoup »[17].

Lorsque Bérulle mourut en 1629, Marguerite écrivit à one Abbesse bénédictine de ses amies, une lettre fort remarquable qui nous la montre au naturel, je veux dire, à la fois très avidement soumise et très détachée, dans ses rapports avec l'homme de Dieu qui fut le plus écouté de ses directeurs.

Si nous mettions notre perfection et notre salut aux hommes, nous aurions sujet de nous inquiéter; mais étant en nos mains avec Dieu, nous n'avons qu'à nous retirer en lui, et à faire usage de la conduite des saints qu'il nous a donnés en notre établissement. C'est ce que je vous désire et à toute votre maison, de recueillir la grâce pour en profiter seule, quand la mort vous ôtera ce qu'il a plu à Dieu de vous donner. (Elle fait allusion sans doute au présent directeur de cette abbaye.) C'est un repos qui ne se peut dire d'être à Dieu en tout temps, et non plus aux créatures. Puisque tout passe, et que le bien des choses créées ne demeure pas toujours bien, nous ne sommes pas de meilleure condition, ni plus saints que les autres, pour avoir notre grâce stable et permanente en cette vie. Dieu me veuille faire miséricorde en l'autre ! Il m'a donné ce que je lui ai demandé, qui était d'entrer en religion du temps des saints et plus grands personnages, pour prendre naissance parmi eux ; prévoyant bien les orages que le temps pouvait apporter à ce que je voyais, lorsque j'entrai[18]. Ainsi je me sens obligée à Dieu de m'avoir fait cette grâce... Il est bon de s'accoutumer de bonne heure à n'aimer que Dieu, et qu'il nous soit toutes choses[19].

Peut-être lui voudrait-on, en cette occurrence, plus de sensibilité. Au demeurant, je ne suis pas sûr qu'il lui manque cette fleur de tendresse qui nous émeut dans les lettres de sainte Chantal. Les « saints et grands personnages », dont elle parle, et Bérulle notamment, avaient peut-être plus de vertu et de prestige que de grâce humaine. D'un autre côté, notre vive parisienne, avec son énergie souple et douce, s'était établie de bonne heure dans un équilibre parfait, réglant, comme il lui plaisait, ses propres sentiments et leur expression . « Les violences n'étant point de Dieu, pensait-elle, il ne les faut pas entretenir »[20]. D'ailleurs peu d'illusions sur quoi que ce soit. « Nous trouverons, disait-elle encore, le paradis tout nouveau, en ayant si peu goûté sur la terre »[21]. « Nous avons à supporter en nous et en autrui force défauts, comme c'est la vie de la terre de manquer de ferveur »[22]. « La vie intérieure est silence, souffrance et patience »[23]. Ni froide, ni sèche pourtant, mais, au contraire, aimable à voir, à entendre : sa main, si peu molle, guérit les malades, ses lèvres, si raisonnables, chassent les démons.

Nulle sécheresse non plus dans l'esprit. Son style a quelque chose de réel, d'intense, de discrètement passionné qui s'empare de toute l'âme. Suivez plutôt cette déduction vigoureuse et rigoureuse.

Notre intérieur étant sans confiance en Dieu, Nous sommes réduits dans le plus pénible et le plus misérable. de tous les états. Voilà pourquoi le diable, ayant pouvoir de nous travailler et de nous abattre sur ce sujet qui fait l'appui le plus essentiel de l'âme pécheresse, il lui est aisé de nous accabler d'un moment à l'autre, mais non pas d'anéantir la vérité de Dieu qui tient notre âme liée à la créance qu'il est notre Dieu, notre Père et tout notre salut.

Cette vérité que le diable ne peut ôter, le fait enrager contre l'âme. Il la trouble et l'obscurcit tant qu'il peut, ce que Dieu lui permet, pour notre exercice. Ne disons point et ne donnons jamais lieu à croire que nous sommes en l'entière séparation de Dieu. Je sais bien que les péchés ne le méritent que trop ; mais tant que nous vivrons, il nous faut adorer, demander et espérer les miséricordes de Dieu. Il n'y a que l'enfer qui est impénétrable à les recevoir. Donc, puisque c'est une vérité, ne recevons pas une suggestion qui est fausse et qui n'honore point Dieu, savoir qu'il n'y a point de miséricorde pour nous[24].

Elle est maîtresse de sa pensée et de sa plume, comme de son âme. Disons de sa direction ce qu'elle dit elle-même de la vie intérieure : elle « est de peu de paroles et de grande étendue vers Dieu »[25].

On s'explique dès lors que l'on ait tant recherché sa conduite. Elle avait une extrême vivacité d'intuition et l'on croyait communément qu'une lumière céleste lui révélait le fond des coeurs. Lorsqu'elle arriva, comme prieure, au couvent de Saintes, raconte naïvement une de ses religieuses, « il y avait quatre mois que j'y étais. Je dis en moi-même : puisque cette bonne Mère est si pénitente, elle est sans doute fort sérieuse. Il faut donc que je le paraisse aussi. Nous allâmes toutes à la porte pour la recevoir, avec sa compagnie qui était de quatre religieuses. Elle nous embrassa toutes ; nous n'étions que six, et quand elle vint à moi, elle me dit : Voici ma soeur Anne du Saint-Sacrement, ce qui m'étonna fort, n'ayant jamais eu le bien de la voir. Mais je fus bien plus surprise, lorsque, me passant la main sur le visage, elle me dit : « Orgueil, orgueil, ne vous redressez point tant; marchez dans l'humilité de Jésus-Christ. Qu'importe qu'on nous estime folles ? Il n'y a point de péché d'être estimées telles, mais il y en peut avoir en vous redressant ainsi. Laissez-vous aller à votre naturel... » Je ressentis une si grande joie en mon âme des paroles qu'elle me dit, que je désirais d'être continuellement avec elle »[26].

Bérulle qui l'avait vue naître et grandir, la croyait divinement inspirée. Trop avide peut-être de merveilleux, ce fut surtout sur la parole de la Mère Marguerite qu'il pressa Richelieu d'assiéger la Rochelle, affirmant que telle était la volonté de Dieu et qu'assurément le Roi prendrait cette ville. Je ne dis pas non, et de quel droit le dirais-je ? Néanmoins, comme l'Église nous laisse, en pareille matière, toute notre liberté d'analyse, je suspends mon adhésion à cette merveille. Bérulle est sincère, mais n'impose-t-il pas à la carmélite ses propres idées ? On voit si bien, comment la chose a pu se passer. Le progrès des huguenots le tourmente. Comme souvent, lorsqu'il est dans l'embarras, il vient au parloir de la rue Chapon, il demande la prieure, il dit sa propre angoisse devant la grande misère du pays. Que faire ? Que conseiller au cardinal ? Eh! pourquoi ne pas assiéger la forteresse des rebelles, forcer la bête dans son trou ? Peu au courant de ces choses, Marguerite approuve la stratégie qu'on développe devant elle, comme nous faisions, au printemps de 1915, quand les journalistes préconisaient l'offensive générale. Par-dessus les moyens, qui importent peu et dont elle n'est pas juge, la carmélite est trois fois sûre que Dieu ne manquera pas à la France catholique. Bérulle accorde cette certitude au fil de sa propre conception et fait signe au cardinal de la part de Dieu. Tout cela, je le répète, de la meilleure foi du monde. L'homme est ainsi fait et, tout spécialement, Bérulle. « II la consultait souvent, nous dit-on, sur des affaires importantes et suivait ses avis avec beaucoup de succès. Il a dit même à une Abbesse très célèbre, que lorsqu'il avait de la peine en la conversion de quelqu'un, il lui en parlait comme d'une chose qui lui était indifférente, et par manière d'entretien, — notez ces deux mots, — à quoi elle faisait des réponses si justes et si prudentes, qu'il ne pouvait douter qu'elle ne fût l'organe dont le Saint-Esprit se servait pour lui apprendre la volonté de Dieu »[27].

Voici du reste comme elle écrit elle-même, au sujet du siège de la Rochelle. Sa lettre est écrite « à une personne d'une vertu singulière qui avait suivi le Roi en cette fameuse expédition », et qui semble avoir eu, comme soldat ou comme conseiller d'État, une part directe à l'entreprise. Après avoir dit qu'elle n'espère rien de la « puissance des hommes »,

vous me demandez ma pensée, continue-t-elle, à vous seul je la dis[28]. J'espère le secours de Dieu par une extraordinaire miséricorde et par le travail de ses serviteurs. Je ne laisse pas de craindre et de prier. Vous savez que nos pensées (les siennes propres) sont si légères et si fragiles que vous ne devez trouver de consolation que du courage que Dieu vous donnera pour agir en ces extrémités[29].

Cette humble, qui a toujours si, adroitement caché son mérite et qui fait si peu de cas de ses pensées « légères », « fragiles », aurait-elle ordonné au cardinal de la part de Dieu, le siège de la Rochelle, j'ai beaucoup de peine à le croire. Elle écrit encore au même personnage cette lettre à l'exorde magnifique :

Nous sommes plus présents à vos travaux et aux armées du Roi que vous-même. Je suis en crainte et en espérance d'une heureuse issue, qui nous semble plus certaine et plus solide que la crainte. Néanmoins la crainte nous occupe et nous travaille comme si nous étions sans espérance. Dieu fait ses oeuvres et ses merveilles dans les moments sans nous donner aucun jour dans ceux qui suivent. Vous avez travaillé dans nos affaires — les troubles du Carmel sans doute — pendant quatre ans dans l'ignorance et les ténèbres. Maintenant vous travaillez pour l'Etat et la Religion en ces extrémités environnées de périls. C'est ce même Etat qui me donne l'espérance certaine de la victoire ; car Dieu en est sa science, son intelligence et sa puissance, et les hommes en sont comme néants, accablés d'ignorance et d'impuissance, se jetant dans les périls sans savoir comment en sortir. Enfin, monsieur, plus vous êtes en cet Etat sous la main puissante de Dieu, plus il est à vous, et vous êtes instrument de ses merveilles[30].

Voilà comme elle parle à un intime et à qui elle ne veut rien cacher. « Vous me demandez toute ma pensée; à vous seul je la dis. » A-t-elle été plus explicite avec Bérulle ? Pour ma part je ne le crois pas. Aussi bien la chose en soi n'a-t-elle qu'une médiocre importance, mais il convenait de saisir au passage, la transformation fatale que peuvent subir les propos d'une mystique, rapportés par un directeur prévenu.

Quoi qu'il en soit, le bruit public attribuait à la Mère Marguerite et le don des miracles et le don de prophétie. Dans un mémoire rédigé par lui sur l'insigne carmélite que tant de liens attachaient à sa propre famille, « je crois, écrit le cardinal de Retz, que je pourrais remplir un volume, si je voulais déposer tout ce que j'ai ouï dire de la Soeur Marguerite du Saint-Sacrement…, à des personnes d'une foi irréprochable. Je me contenterai de rapporter en ce lieu ce que je trouve en ma propre maison, et d'une manière si particulière et si convaincante, qu'il n'y peut avoir, ce me semble, aucun lieu d'en douter. J'ai ouï dire plusieurs fois à feu mon père (Philippe-Emmanuel de Gondi), que plusieurs années avant qu'il entrât dans la congrégation de l'Oratoire, et dans le temps qu'il était encore engagé dans les intrigues et dans les plaisirs de la Cour, il fut pressé par feu ma mère d'aller voir la Mère Marguerite; qu'il y résista longtemps, et que s'y étant résolu à la fin par pure complaisance, il y trouva feu M. le cardinal de Bérulle, avec lequel il n'avait aucune habitude, et que la Mère Marguerite lui dit en l'abordant ces propres termes : « Voilà, monsieur, le R. P. de Bérulle que vous ne connaissez pas, mais vous le connaîtrez quelque jour. Il sera l'instrument le plus efficace dont Dieu se servira pour votre salut. Vous vous moquez de moi à l'heure qu'il est, mais vous connaîtrez un jour que je vous dis vrai. » J'ai ouï faire ce récit à feu mon père une infinité de fois depuis qu'il a été à l'Oratoire ; mais je me souviens de le lui avoir même ouï faire dans mon enfance, longtemps devant qu'il eût la pensée d'y entrer; et lorsque Mme de Gondi vivait encore »[31].

« Mais pourquoi aller chercher hors du couvent de la Mère de Dieu des preuves de ce don si extraordinaire qu'avait la Mère Marguerite du Saint-Sacrement ?... Quand on lui demandait son sentiment sur les malades de la maison, on ne saurait nombrer combien de fois elle a prédit ce qui en arriverait, disant nettement : cette soeur en mourra : celle-là n'en mourra pas ou bien : la maladie d'une telle sera longue. Ce qui s'est toujours trouvé vrai, au grand étonnement des médecins, à qui l'état et la qualité des maladies avait souvent fait faire des pronostics tout contraires. Mais il est important de remarquer que bien qu'elle possédât ce don au point qu'on le peut juger, son humilité ne lui permettait pas ordinairement de s'apercevoir qu'elle l'eût. Car souvent elle ne croyait pas avoir dit les choses aussi clairement qu'elle s'en était expliquée. Et quand on la voulait faire ressouvenir de ce qu'elle avait prévu, elle répondait un peu brusquement :

Mon Dieu ! A quoi prenez vous garde ? Je ne sais la plupart du temps ce que je dis. »

Suit une scène fameuse, un peu rude, mais dans son fond haute et touchante, belle à peindre et surtout des plus caractéristiques. Il s'agit de « ce qui se passa entre elle et Mine de Chantal, lorsque vers le mois de juillet de l'année 1641, elle vint au couvent de la Mère de Dieu ». Notons en passant la fidélité d'affection que la sainte — elle entrait dans sa soixante-dixième année — garde aux carmélites. « La R. M. Anne des Anges, qui en était prieure, voulant témoigner à cette dame qu'on y avait toute l'estime et la vénération qui lui était due, mena au parloir sa communauté pour la mieux recevoir. La Mère Marguerite... au lieu d'y aller avec les autres, se retira en un endroit écarté, où elle se mit en oraison. Cette digne fondatrice des Filles de Sainte-Marie la cherchant des yeux entre les autres, et ne la voyant point, en demanda des nouvelles. La Mère prieure et une autre carmélite allèrent aussitôt la chercher pour la faire venir, et l'ayant trouvée dans le lieu où elle était en prières, elles furent quelque temps à la presser de venir avec elles au parloir. Elle essaya de s'en excuser par ces paroles : je ferai quelque impertinence, je parlerai en folle. — Mais la Mère prieure, lui ayant dit positivement qu'il fallait qu'elle y vint, elle lui obéit. » — Avant de la juger fantasque, comprenez-la. Sa réputation de thaumaturge, ces exhibitions au parloir, où tant d'indiscrets l'avaient fatiguée en la regardant et la consultant comme un oracle, lui étaient devenues intolérables. Délivrée de la charge de prieure, elle avait le droit de fuir ces visites qui lui faisaient perdre son temps et qui lui semblaient du dernier ridicule. Un tête-à-tête avec la fille spirituelle de M. de Genève, avec l'amie, la presque novice du Carmel de Dijon, enfin avec la sainte admirable, elle en aurait bien voulu. Mais la compagnie, mais ce cercle de visages béants, d'oreilles tendues vers quelque déclaration sibylline, l'irritait d'avance.

« Aussitôt que ces deux saintes personnes furent en présence l'une de l'autre, elles se mirent à genoux pour se saluer. Et comme Mme de Chantal parut être incommodée en se relevant, ce fut là-dessus que la Mère Marguerite... prenant la parole, lui dit : «Je me réjouis de vous voir pour me recommander à vos prières ; car vous irez bientôt jouir de la vue de Dieu dans le ciel. » — A quoi cette illustre veuve répondit en s'écriant : « Ah ! bonne nouvelle ! — et répéta plusieurs fois : ô Dieu ! la bonne nouvelle ! » — Mais les filles de Sainte-Marie qui l'accompagnaient, ne purent entendre ce discours sans témoigner la peine qu'elles en eurent. Et une d'entre elles, considérant plus dans ce moment l'intérêt spirituel de leur Communauté que la volonté de Dieu qui s'expliquait par la bouche de cette incomparable fille, ne put s'empêcher de dire : « Ah ! ma Mère, nous avons encore besoin de notre bonne Mère ; nous espérons que Dieu nous la conservera. » — A quoi elle répartit : « Ma soeur, quand Dieu veut quelque chose, les créatures n'y peuvent rien ; il ne vous en demandera pas congé ; il le fera sans vous. » — Et aussitôt elle sortit du parloir, laissant toutes celles qui y étaient dans une surprise très grande.

« Mme de Chantal étant morte peu de temps après, les filles de Sainte-Marie qui avaient été présentes à cette entrevue, n'oublièrent pas de rapporter ce détail à M. l'évêque d'Evreux qui avait dessein d'écrire sa vie. Il vint au couvent de la rue Chapon, pour en apprendre plus particulièrement la vérité. lien parla même à la R. M. Marguerite... Mais son humilité qui lui attirait des grâces si extraordinaires, la porta à le prier de passer cet entretien sous silence : « Gardez-vous, Monsieur, lui dit-elle, de mettre dans votre livre ce que je lui dis. Il ne faudrait que cela pour le décrier. Je parlai sans faire de réflexion ». Mais ce docte prélat, comme l'on pense, se garda bien de lui obéir[32].

Elle ne mettait pas plus de façons dans ses rapports avec les deux « sérénissimes reines », Anne d'Autriche et Marie de Médicis, visiteuses très assidues et, on peut le dire, sans leur manquer de respect, un peu encombrantes. Marguerite savait trop « le luxe et l'éclat qui suivent ordinairement les têtes couronnées ; elle craignait avec raison que... cette pompe profane ne fît (sur les carmélites du Petit couvent), une impression semblable à celle que le souvenir des viandes d'Egypte faisait sur l'esprit des Israélites, et qu'elles ne regrettassent cet asservissement à la corruption où la plupart des gens du monde sont malheureusement engagés ». Aussi décida-t-elle de lutter de son mieux contre cet abus. Avec Marie de Médicis, ce fut bientôt fait et dextrement. « Cette illustre reine, ayant été avertie des intrigues qui se formaient à la Cour contre elle, alla plusieurs fois au carmel de la rue Chapon pour en entretenir la R. M. Marguerite... et pour savoir ses pensées sur ce qu'il lui en devait arriver. » Elle aussi, elle voulait une prophétie. « Mais cette prudente fille, jugeant fort sagement qu'elle ne devait point entrer en ces sortes d'affaires, fut si adroite qu'elle s'exempta toujours de lui parler et lui fit perdre l'espérance de pouvoir apprendre ses sentiments par elle-même. Sa Majesté fut donc obligée d'y employer des personnes de confiance, qui la pressèrent tellement de s'expliquer sur ce sujet, qu'elle leur répondit : “Que lui dirai-je ? Il n'y aura plus que traverses et afflictions pour elle sur la terre”. Et quelques jours après elle lui envoya un crucifix qu'elle accompagna d'un mot de lettre, où elle lui manda qu'il n'y avait plus pour elle, dans le monde, que le partage de la croix[33]. » La reine ne revint plus.

On fit encore moins de frais, si j'ose dire, pour en finir avec la très débonnaire Anne d'Autriche. « Cette auguste Reine, étant retournée à ce couvent, avec une suite nombreuse... comme la communauté était devant elle, dans le lieu où l'on avait accoutumé de la recevoir, la Mère Marguerite se mit derrière quelques religieuses qui la cachaient, parce qu'elle était de petite taille. La Reine, ne la voyant point, demanda où elle était. Cela obligea ces religieuses de se retirer à côté, pour la faire paraître. Aussitôt que la Reine l'eut aperçue, elle lui dit : “Vous ne dites mot, Mère Marguerite ?” — Alors cette véritable carmélite, s'approchant d'elle, lui fit ce compliment : “Si j'osais, Madame, je demanderais une grâce à Votre Majesté. Elle nous fait beaucoup d'honneur quand elle veut bien prendre la peine de venir céans, mais si elle savait l'effet que ses visites font sur nous, et le temps qu'il nous faut pour nous remettre de l'impression que l'éclat qui accompagne Votre Majesté fait sur nos esprits, je pense qu'elle aurait la bonté de nous laisser dans notre solitude.” — La Reine fut surprise de ce compliment, n'étant pas accoutumée d'en entendre de semblables dans les maisons religieuses... Néanmoins, elle voulut bien avoir la complaisance... de n'aller plus dans ce couvent. » A quelque temps de là, « Sa Majesté ayant ouï quelques personnes qui s'entretenaient, auprès de sa chaise, de la Mère Marguerite... elle dit : je ne lui fais pas plaisir d'aller chez elle ; mais c'est une sainte ».

Peu de temps avant sa mort, elle fut prise d'« une de ces coliques effroyables que l'on nomme d'ordinaire miserere ». Les autres remèdes restant sans effet, les médecins furent « d'avis d'en venir à celui de l'incision », sur quoi la prieure se vit fort embarrassée, cc se persuadant que la pudeur (de la Mère Marguerite) s'opposerait à cette opération ». Mais deux fois héroïque et par son courage et par son bon sens, la sainte fille ne témoigna ni surprise ni répugnance. Pendant que les chirurgiens se préparaient à faire leur devoir, un lourdaud et bavard de médecin, « s'étant approché de son lit, lui parla de la peine que la pudeur pouvait lui causer en cette occasion ». Elle répondit avec sa rondeur ordinaire, coupant court à l'homélie saugrenue que l'autre avait préparée. Est-il besoin de dire qu'elle ne broncha pas ? Nous avons là-dessus le témoignage d'un autre médecin, M. de Lorme, vieil ami de Marguerite : « Je me trouvai, dit-il, à la vue de ces cruelles souffrances en une telle défaillance, que l'on fut obligé de me jeter de l'eau sur le visage et de me donner du vinaigre... Je confesse que rien ne m'a touché en ma vie, ni de ce que j'ai vu, ni de ce que j'ai entendu dans les sermons, comme cette action de cette sainte fille. Avoir fait une telle chose sans mines, sans façons, sans grimaces, je ne l'oublierai jamais de ma vie, et cela me confirme bien dans l'opinion avantageuse que tout le monde a de sa sainteté »[34].

« Sans mines, sans façons, sans grimaces », ces trois mots expliquent mieux peut-être que tous les autres, le charme propre et de la Mère Marguerite et du Carmel. Il est très remarquable en effet, et ce disant, je parle d'expérience, que ces contemplatives que nous devinons si éminentes, paraissent presque toujours, soit dans leur attitude, soit dans leurs propos, soit même dans leurs écrits, d'une si franche, si vive et si parfaite simplicité. Comme les lettres et les sciences, la mystique a ses primaires, dévotes personnes, trop conscientes de leur grâce, trop désireuses qu'on y prenne garde, trop éblouies par les termes sublimes qu'elles ont toujours à la bouche. Menu travers auquel la divine indulgence est moins sévère que nous, mais qui rendent la sainteté elle-même peu attirante. Dans leur ensemble, les carmels, ceux que l'histoire nous montre et ceux que j'ai eu l'intime joie de voir de mes yeux, les carmels ne connaissent pas de primaires.. C'est pour cela sans doute qu'une tradition de tendresse garde plus particulièrement chère, au coeur des carmélites françaises, la mémoire de Marguerite Acarie. Fille, d'oraison, mais dont l'oraison est restée jusqu'à ce jour le secret de Dieu. «Pour son état intérieur, dit une de ses filles, c'était lettres closes. pour nous, mais- on le tenait pour fort solide et élevé. »

Aussi, il semble que Dieu ait regardé le secret de son coeur, comme un trésor d'un prix si extraordinaire, que les hommes n'étaient pas capables d'en concevoir le mérite, et qu'il ait été si jaloux de le conserver pour lui. seul, qu'il a permis que la plupart de ceux à qui elle l'avait découvert soient morts avant elle. C'est sans doute, dans cette vue, que M. de Bérulle qui la connaissait jusqu'au fond de l'âme, disait « qu'elle était réservée à Dieu comme quelques saints dont les grâces étaient si cachées et si éminentes »[35]. Parmi les, articles du Testament de la sainte Vierge Marie pour le joie de son Assomption — pieuse méditation rédigée par la Mère Marguerite — je lis ces lignes :

Je vous laisse part à mon silence que j'observais dans les grâces et les lumières reçues de Dieu, laissant l'intelligence de ces mystères à la divine Providence, pour la grandeur de Sa Majesté... Apprenez à imiter cet humble silence... ne parlez. point de choses hautes, mais de choses utiles, pour ne pas vous rendre coupables de cette vanité d'esprit[36].

Dans ce Carmel primitif, où abondaient les manifestations éclatantes des faveurs célestes, dans ce monastère de la rue Chapon, où Madeleine de Saint-Joseph, Catherine de Jésus et d'autres encore, avaient vécu entre ciel et terre, on a bien cherché à surprendre la fille de Mme Acarie en extase, on n'y a pas réussi.

Henri Brémond : “Le Sentiment Religieux…


[1] Ib., pp. 120, 121.

[2] Mémoire..., II, p. 592.

[3] La vie de la V. M. Marguerite Acarie... par M. T. D. C. (Tronson dé Chenevière), Paris, 1689, p. 145.

[4] Ib., p. 70.

[5] Ib., pp. 71, 72.

[6] Boucher, op. cit., p. 328.

[7] Conduite chrétienne et religieuse selon les sentiments de la V. M. Marguerite... par le P. J. M. de Vernon, Paris (20 édit), 1691.

[8] La vie..., p. 234.

[9] Ib., pp. 10, 11.

[10] La vie..., pp. 3o, 31.

[11] Ib., p. 32.

[12] Conduite chrétienne..., p. 379.

[13] Ib., p. 19.

[14] Ib., p. 18.

[15] Conduite chrétienne, pp. 14, 15.

[16] Ib., pp. 147, 148.

[17] Ib., pp, 248, 123. Elle ajoute fort sagement : s Il est souvent hors de notre lumière de discerner si c'est par besoin ou par amour-propre, quand nous nous déchargeons à notre directeur de nos peines et de notre état. C'est pourquoi il vaut mieux nous laisser aller à le faire simplement et sans discernement. Le silence est quelquefois le meilleur, il est vrai ; mais la trop grande peine donnerait lieu au diable de nous affliger et tourmenter dangereusement » . C'est ainsi qu'elle résout d'avance les scrupules que donnerait à une âme sainte, le raffinement des Maximes.

[18] Il est bien curieux que toute jeune, et avant même d'entrer en religion, elle ait prévu le conflit qui éclata dans le Carmel lorsque les Pères carmes, introduits en France, tentèrent de substituer leur juridiction à celle des supérieurs ecclésiastiques, nommés par le Pape. Histoire douloureuse et scandaleuse, dans le détail de laquelle je suis fort heureusement dispensé d'entrer. On trouvera là-dessus toutes les indications nécessaires dans le Mémoire des Carmélites déjà cité plusieurs fois et dans la Courte réponse de M. Houssaye : Les Carmélites de France et le cardinal de Bérulle..., Paris, 1873

[19] La vie..., pp. 196, 197.

[20] Conduite.... p. 17.

[21] Ib., p. 25, 26.

[22] Ib., p. 23.

[23] Ib., p. 13o.

[24] Conduite..., pp. 135, 136.

[25] Ib., p. 13o.

[26] La vie.... pp. 13o-132. A son arrivée à Saintes, la Mère Marguerite avait avec elle une fille de Séguier, la Mère Marie de Jésus-Christ.

[27] La vie..., pp. 34, 35.

[28] Si elle ne dit sa pensée qu'à lui, ce n'est pas qu'elle attache à cette pensée une importance divine, mais au contraire parce qu'elle n'aime pas se mettre en évidence, parler d'elle-même.

[29] La vie..., p. 182.

[30] La vie..., p. 183.

[31] La vie..., pp. 169, 17o. Cf. Chantelauze, Saint Vincent de Paul et les Gondi, Paris, 1882, pp. 178, 179. Le biographe de Marguerite donne encore (pp. 171-173) d'après le témoignage de l'archevêque de Sens, O. de Bellegarde, une version plus détaillée et, sur quelques points, probablement plus exacte, du même prodige. D'après Bellegarde qui tenait aussi le fait du P. de Gondi lui-même, ce ne fut pas « en l'abordant », mais après plusieurs visites que Marguerite découvrit au général des galères l'avenir qui l'attendait. Cf. aussi, Batterel, Mémoires domestiques pour servir à l'histoire de l'Oratoire, Paris, 19o2, t. I, pp. 34o-341.

[32] La vie..., pp. 264-268.

[33] La vie..., pp. 186-189.

[34] La vie..., pp. 337-342. C'est probablement le savant de Lorme, médecin de trois de nos rois.

[35] La vie..., pie 57, 58.

[36] Conduite chrétienne..., pp. 344, 345.

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