Rencontre de
Bérulle et de Mme de Fontaines-Maran. — L'entretien de sept
heures. — Madeleine de Saint-Joseph et les destinées du Carmel
français. — Les reines et leur suite. — L'apostolat des
carmélites. — Séduction particulière du Carmel. — Richelieu et le
siège de la Rochelle. ― « La vie de Sœur Catherine de
Jésus ». — Mérites singuliers de ce livre. — « Le grand des
grands », et l'apothéose de la « petitesse ». — Vocation de
Catherine de Jésus. — Étapes de son ascension
mystique. — Dépossession de soi-même. — Les tentations. — Suprême
décence. — Correspondance de Catherine de Jésus avec
Bérulle. ― Originalité de Marguerite Acarie. — Aucune
auréole. — « Une manière d'agir extrêmement libre ». — La carmélite
idéale. — L'hôtel Acarie. — Sainteté
précoce. — Indépendance. — Marguerite, Quintanadoine et
Bérulle. — « Simplifiez votre esprit. » — Le Maître intérieur et les
directeurs. — La mort de Bérulle. — Les écrits de Marguerite du
Saint-Sacrement. — « Ne vous redressez point tant. » — Encore le
siège de la Rochelle. — Illusion probable de Bérulle. — Lettres de
Marguerite pendant le siège. — Philippe-Emmanuel de
Gondi. — Prophéties. — Mlle de Chantal au parloir de la rue
Chapon. — Congé donné aux deux reines. — Les coliques du
Miserere. — « Sans mines, sans façons, sans grimaces. » — Les
primaires de la mystique et le charme du Carmel.
*****
Étant venu à Tours,
pendant le carême de 1603, pour y traiter avec les bénédictins de
Marmoutiers, de qui
dépendait
le prieuré de Notre-Dame-des-Champs, désiré pour le futur carmel, M.
de Bérulle fit une rencontre qui ne devait pas avoir de moins
splendides conséquences que la fameuse rencontre de l'année
suivante, 16o4, entre François de Sales et la baronne de Chantal.
Aux environs de Tours vivait alors « un grand homme de bien. Antoine
du Bois, seigneur de Fontaines (du Plessis-Barbe, de Maran en
Touraine, et d'autres lieux) avait été autrefois ambassadeur en
Flandre ; mais, depuis bien des années déjà, d'accord avec sa femme
Marie Prudhomme, sœur de la chancelière de Sillery, il avait renoncé
à la politique La charge de secrétaire d'État que lui offrait avec
insistance Henri III, n'avait point ébranlé sa résolution. Retiré
dans sa terre de Fontaines, il y donnait le rare exemple d'une vie
toute consacrée à Dieu et au soulagement des pauvres. La mort de Mme
de Fontaines avait redoublé son amour pour la solitude et il ne
quittait plus sa terre que pour venir à Tours aux grandes époques de
la vie ecclésiastique. Les prédications du Carême l'y avaient
attiré. Il y a des instincts de grâce comme de nature. M. de
Bérulle... dès qu'il fut instruit de sa présence, vint le chercher
en son hôtel, il trouva auprès de lui sa fille, Madeleine.
« Mlle de Fontaines
(née à Paris, le 17 mai 1578, près de l'hôtel de Guise et dans la
maison du président de Saint-Mesmin) avait alors vingt-deux ans
Douée... d'un jugement solide, d'un esprit vraiment grand... “La
belle enfant ! disaient en la voyant les amis de son père, mais
qu'elle est donc rêveuse !” Elle ne rêvait pas, elle pensait. Sa
pensée avait même dès lors un caractère frappant de virilité et
d'originalité puissantes. Ferme sans roideur, digne sans fierté,
d'une vivacité qui tempérait sa douceur, avec un visage qui
exprimait fidèlement la mâle beauté de son âme, elle avait reçu du
ciel une de ces natures rares où la délicatesse se marie à la force,
et qui semblent nées pour exercer et faire aimer le commandement.
Sur un fonds si riche, la grâce avait travaillé en liberté, et son
ouvrage était vraiment admirable ».
Ainsi parle l'historien
de Bérulle, à qui je laisse d'autant plus volontiers la parole que
j'ai personnellement plus de peine à me représenter la Mère
Madeleine. Avec Mme Acarie, celle-ci est, à n'en pas douter, la plus
haute gloire de notre Carmel. Les Espagnoles et les Françaises, une
foule de contemporains insignes par leur intelligence et leur vertu,
s'accordent à nous la représenter comme une seconde Thérèse. Tous
ceux qui lisent sa vie, disait un grand jésuite de ce temps-là,
« sont frappés de trouver entre la grande réformatrice et sa fille
de France tant de conformité de grâce et d'esprit », qu'il
semble que ce soit « une même eau, puisée en même fontaine et
mise en deux vaisseaux ».
Tous disent de même et une telle unanimité ne laisse aucun doute sur
l'unique beauté de cette femme extraordinaire. Aussi bien n'en
suis-je pas tout à fait réduit à ne faire sur elle qu'un acte de
foi. Sous le voile assez épais qui nous la dérobe, on entrevoit des
merveilles de nature et de grâce, la sainteté la plus attachante.
Mais elle n'a pas beaucoup écrit et les lettres que je connais
d'elle, paraissent moins révélatrices qu'on ne le voudrait. Et puis
sa vie a été composée par un écrivain d'un rare mérite — le P.
Senault — mais éloquent, balsacien, académique, en un mot trop peu
curieux de ces touches concrètes qui donnent la vie à une peinture.
Quoi qu'il en soit, la Mère Madeleine nous reste infiniment
précieuse. Bien que l'Église ne l'ait encore placée qu'au rang des
Vénérables, du fond du cœur, nous l'appelons sainte.
« Il est entre les
âmes, continue l'abbé Houssaye, des parentés mystérieuses
plus profondes et plus anciennes que la connaissance qu'elles en
peuvent avoir et qui au moment voulu de Dieu, se déclarent tout à
coup. M. de Bérulle et Mlle de Fontaines se voyaient pour la
première fois; et cependant, à peine avaient-ils échangé quelques
mots, que leurs âmes se reconnurent. Elles sentirent de quels liens
étroits elles furent unies dans la charité de Jésus-Christ. Une
confiance mutuelle leur ouvrit le cœur. Leur premier entretien dura
sept heures, et ils étaient tellement absorbés que, bien qu'ils
fussent dans une salle où passaient plusieurs personnes, rien ne fut
capable d'interrompre leur conversation ».
Dès cette rencontre mémorable, la vocation de la jeune fille était
décidée. Mme de Fontaines serait carmélite.
Elle prit l'habit,
l'une des premières (novembre 16o4). Un an après, on la jugeait déjà
tellement pénétrée de l'esprit de l'Ordre qu'on la faisait maîtresse
des novices. S'ils n'avaient pas eu de tels sujets sous la main, les
supérieurs auraient moins facilement consenti au départ des
espagnoles. Élue prieure en 16o8 ; fondatrice en 1617 du second
carmel parisien, celui de la rue Chapon ;
depuis et jusqu'à sa mort en 1637, presque toujours à la tête de
l'un ou de l'autre couvent, elle ne quittera plus Paris que pour de
courtes missions en province. De ce poste plus en vue, écoutée comme
un oracle, non seulement par les religieuses, mais encore par les
supérieurs et notamment par Bérulle, Madeleine exercera sur les
destinées du Carmel français une influence prépondérante et
décisive. Il n'est pas vrai, comme on l'a dit, qu'elle ait marqué de
son empreinte personnelle et plus ou moins modifié les traditions
primitives ; mais il est certain qu'elle a travaillé avec plus
d'efficacité et plus d'éclat que personne, à maintenir, à répandre
chez nous, soit parmi les carmélites elles-mêmes, soit au dehors, le
véritable esprit de sainte Thérèse.
Marillac l'avait bien
prévu. Le Carmel serait aisément dans Paris, d'abord une rare
curiosité, puis un foyer de grâces. Écrivant à Bérulle, alors en
Espagne et insistant sur la nécessité de bien choisir les
religieuses espagnoles, « Vous savez, disait-il, quels esprits il
faut pour les esprits des nôtres qui vaquent à la dévotion ; quels
esprits pour les mondains... car celles qui viendront auront à
parler au Roi, à la Reine et tout le monde les voudra venir voir ».
Mondains et dévots seraient également attirés par les carmélites
françaises. « Elles avaient laissé trop de traces de leur passage
dans le monde, ces grandes et aimables religieuses, pour qu'il les
oubliât si vite. Il sentait trop d'instinct le besoin qu'il avait
d'elles, pour ne pas essayer de les ressaisir ; et les moyens ne lui
manquaient pas. Quelque rigoureuse, en effet, que fût la clôture, il
fallait bien que la porte s'ouvrît devant la Reine, et la Reine,
n'entrait pas seule : des dames d'honneur l'accompagnaient toujours.
Le réfectoire et sa rigoureuse abstinence; les cellules et leur
austère nudité ; sur les murs, des sentences qui ne parlent que de
pénitence, de mort, d'éternité ; dans les cloîtres, des religieuses,
toujours en silence, les seules heures de récréation exceptées,
s'avançant gravement, sans bruit... quelle étrange vision pour des
jeunes femmes, esclaves de leurs caprices et du monde !.. Et
lorsque, sur l'ordre de la prieure, se détachant du groupe de ses
compagnes, quelque religieuse... soulevant son voile noir, montrait
à la Reine, amaigris peut-être, mais transfigurés, les traits que la
Cour avait admirés en une Charlotte de Sancy, une Anne de Viole, une
Marie d'Hannivel, on comprend ce que devaient ressentir des femmes
qui, encore esclaves du monde, découvraient « une vie si sereine et
si libre, libre de la souveraine liberté »,
chez celles qui l'avaient sacrifiée. Ainsi, par les mains de ces
humbles religieuses, l'Évangile... était dressé au milieu de la
société et la société s'habituait à ce spectacle... Les âmes
mondaines s'inclinaient devant la doctrine du sacrifice, en la
voyant pratiquer par des femmes dont la haute raison et
l’incorruptible sincérité leur étaient connues. Elles sentaient
diminuer leur crainte en découvrant les joies austères, mais
incomparables que les épouses de Jésus-Christ goûtaient au pied de
la Croix...
« A la Reine et à
ses dames, il fallait répondre : il fallait, à la grille, gagner les
parents des jeunes filles au cœur desquelles Dieu avait parlé.
Toutes, sans doute, ne profitaient pas aussitôt de ces graves et
pénétrantes instructions. Lorsque Scieur Catherine de Jésus,
s'adressant à une des jeunes et brillantes suivantes de la Reine,
lui disait : “Que vous sert-il, Madame, d'être belle aux yeux de
vous-même et de ne l'être pas aux yeux de la divine Majesté ?” elle
n'était peut-être pas immédiatement écoutée. Néanmoins la semence
était jetée et, tôt ou tard, elle portait ses fruits. Aussi, lorsque
venait pour ces femmes, entraînées par l'âge et le plaisir, l'heure
des désenchantements, des amertumes secrètes, elles se rappelaient
tout à coup qu'elles avaient un refuge, la pénitence ; des guides,
les carmélites.
Il y avait
d'ailleurs, chez les filles de sainte Thérèse..., à côté d'élans
célestes, d'un zèle généreux et hardi, d'un détachement héroïque, je
ne sais quoi de raisonnable, d'ordonné; une charité intelligente et
suave, qui rassurait ceux que des vertus si hautes auraient pu
effrayer ou décourager... Les femmes qui venaient frapper à la porte
(du Carmel)... y trouvaient donc des religieuses mortes au monde,
vivantes cependant à toutes les nobles choses qui font vibrer la
raison et le cœur. Séduites par une vertu si haute, des idées si
larges, tant de liberté d'esprit et d'aimable enjouement, elles
accouraient de plus en plus nombreuses ; et, au sortir du monastère,
elles se sentaient décidées à lutter contre elles-mêmes, à donner à
Dieu la victoire.
C'est ainsi que le
Carmel travaillait doucement dans l'ombre, mais profondément, à
enraciner Jésus-Christ dans les cœurs. Il ne s'adressait pas à la
foule, mais à des âmes préparées par la douleur ou pressées par la
charité, toujours prévenues par des glaces de choix. Par elles, par
ce groupe restreint qui dans la noblesse, dans la magistrature et
même dans la finance, fréquentait ses couvents, le Carmel opérait
une grande œuvre ».
Malgré leur élégance un
peu molle, ces belles pages de l'abbé Houssaye peignent assez
exactement le Carmel de ce temps-là dans ses rapports avec le monde.
Je ne saurais faire mieux. Aussi bien, qui pourrait analyser la
séduction particulière qui se dégage d'un couvent de carmélites ?
Charme unique, ceux à qui il a été donné de l'éprouver, essaieraient
en vain de le définir. Ils diront seulement que nulle cloche de
monastère n'est plus attirante, nulle grille moins farouche. Un
enfant et tout frivole, peut être déjà sensible à cette impression
qu'il s'étonnera plus tard de retrouver aussi vive, aussi fraîche
qu'au premier jour, et plus lumineuse. Sourd à d'autres voix plus
impérieuses, rebelle à des disciplines moins humaines, après
quelques minutes d'entretien avec ces femmes qu'on ne voit pas, il
déposera ses colères, son orgueil, l'amertume de ses déceptions
éternelles, ses doutes même et les plus tenaces, livrée de misère
qu'il reprendra bientôt sans doute, mais légère désormais et comme
transfigurée. A cette Église dont les titres lui semblaient
incertains, le Carmel reste soumis ; ce monde invisible, qui pour
lui n'allait plus être qu'un mot, est pour ces créatures de chair et
de sang, la réalité suprême. Il s'écrie, il chante avec l'un des
pères de l'humanisme : brûlés de l'amour de trouver l'amour, nous
avons cherché l'amour, nous l'avons trouvé : amore incensi
inveniendi Amoris, Amorem quaesivimus et invenimus.
C'étaient aussi de
bonnes, d'ardentes Françaises, passionnément occupées des intérêts
même temporels du royaume. « Les affaires publiques, nous dit
le biographe de Madeleine, lui étaient en une si particulière
considération qu'elle était toujours en prières et en pénitences
pendant les guerres de ce royaume... Ayant su que les Anglais
devaient descendre dans l'île de Ré, le jour de sainte Madeleine,
elle passa toute la nuit précédente avec sa communauté, devant le
Très Saint-Sacrement, et fit apporter le tableau de cette grande
sainte, afin qu'elle fût l'avocate de la France ».
Intervention toute mystique, mais que les politiques ne craignaient
pas alors de faire entrer dans leurs propres calculs. Homme du moyen
âge plus qu'on ne croirait, Richelieu pressait les carmélites, non
seulement de prier pour ses entreprises, mais encore de lui révéler
les secrets de Dieu. Dans une lettre du 16 novembre 1627, Bérulle
« lui promettait au nom d'une personne qu'il ne nommait pas — la
Mère Marguerite du Saint-Sacrement — une nouvelle défaite des
Anglais, et finalement le triomphe ». Dès le 23 novembre, Richelieu
demandait la date de la victoire et consultait sur les moyens de la
précipiter. “On continue à prier et à bien espérer — (on,
c'est le Carmel), lui répondit M. de Bérulle, et, à mon
avis, le temps de l'accomplissement n'est pas long. Ces choses ne
peuvent être bien spécifiées... la puissance de Dieu est sur cet
œuvre aussi bien que sur celui qui est passé et que vous tenez
évidemment miraculeux”... Mais Richelieu, avec la persévérance
impérieuse des génies de sa trempe, revenait à la charge ; il
voulait connaître à l'avance le jour où La Rochelle lui ouvrirait
ses portes ».
II lui aurait fallu des prophétesses d'État.
Son mysticisme n'est
pas des plus nobles. A sa manière simpliste, Richelieu, néanmoins,
s'incline, comme tout Paris, devant le prestige du Carmel ; il sait
que, dans ces maisons de prière, habite la force de Dieu.
II. Sans l'avoir certes
voulu, la Mère Madeleine a laissé paraître la sublimité de ses dons
surnaturels, la sagesse et la douceur de sa direction et jusqu'à la
vivacité de son esprit, dans un petit livre qui ne porte pas son
nom, mais que seule pouvait écrire une sainte de génie. C'est la vie
d'une de ses carmélites, Catherine de Jésus, publiée en 1631
« par le commandement de la Reine, mère du Roi », et
magistralement préfacée par le cardinal de Bérulle. Plusieurs fois
réédité pendant le XVIIe siècle, ce livre est rapidement tombé dans
l'oubli, comme tant d'autres merveilles. Je ne crois pas en effet
que jamais les mystères de la haute mystique aient été présentés
d'une façon plus heureuse. Les notes intimes de Catherine de Jésus
longuement citées, le récit et les rapides explications qu'il
entraîne, sont d'une simplicité et d'une sincérité célestes ; les
deux styles, d'une transparence inouïe. Pas une goutte de cette
onction huileuse, douceâtre, qui nous gêne trop souvent dans les
livres de ce genre, pas un soupçon de rhétorique dévote. Rien qui
réponde mieux à l'idée que les maîtres nous ont donnée de la
perfection. « Veux-tu donc voir, Philothée, écrit le docteur de
Sorbonne qui a approuvé le livre, une carmélite, toute blanche
d'innocence, dépouillée de tout ce qui n'est pas Dieu, pour vivre
immobilement en lui, transmuée en pur esprit... perdue et abîmée
dans l'Éternité incréée, à force de sortir d'elle-même et d'entrer
en des unions surcélestes et suressentielles, lis à loisir ce
recueil des papiers intimes de la Mère Catherine de Jésus... Je
soussigné, continue-t-il avec un enthousiasme et une précision qui
lui font grand honneur, moi, Docteur en la Faculté de Théologie, et
professeur des Saintes-Lettres, aux Écoles de Sorbonne, que l'on ne
peut parler des mouvements sacrés de l'Esprit de Dieu, des voies
occultes et inscrutables qu'il découvre aux âmes d'élite, des
mystérieux entretiens de l'Époux et de l'Épouse du Cantique..., plus
catholiquement, plus éminemment et avec un style plus net, plus
intelligible et plus convenable à la dignité du sujet, que ce petit
miracle de grâce... Quant à l'extrait de sa vie... il est vraiment
de l'une de ses sœurs ; mais en le lisant à loisir et en y ayant
repensé par plusieurs actes de réflexion, j'ai cru y avoir trouvé la
plume et l'esprit de la défunte ».
C'est bien cela et mieux encore. Madeleine n'aurait pas si
admirablement compris et décrit la grâce de Catherine, si elle
n'avait reçu elle aussi la même grâce ou de plus hautes faveurs.
Un peu redondante et
laborieuse, la préface de Bérulle — une épître à la
Reine-mère, — est néanmoins digne du livre.
Le Grand des grands
a fait les grands et les petits, ce dit la Sapience divine... Je
parle à Votre Majesté de la petitesse, en l'honneur de cette petite
âme, dont la vie vous est dédiée...
Cette petite âme avait
rencontré un corps très au-dessous de la taille moyenne. La reine le
savait bien.
Il y a un lieu où il
semble que le Fils de Dieu veut établir le triomphe de la petitesse
et confondre l'orgueil de la terre et du ciel. C'est en saint Luc,
9, complexus illum... statuit ilium secus se. Il semble en cette
action que le Fils de Dieu veut, à la vue du ciel et de la terre,
loger la petitesse en son sein comme dans le trône de son amour, et
en cette liaison douce, tendre et familière, prononcer ses oracles
en faveur de la petitesse et lui assujettir les plus grands de son
empire.
C'est chose grande
et douce de voir Jésus, où repose la plénitude de la divinité et de
la sapience éternelle, en cet état; de le voir joint à ce petit
enfant et de voir cet enfant joint à Jésus ; enfant heureux d'être
en un si bon lieu et si proche du cœur où repose et triomphe la
Trinité même ! Mais si cette pensée est douce et grande, le sens où
elle conduit est fort et sévère, l'effet en est puissant et la fin
semble étrange. Car Jésus, par son action et sa parole, abaisse non
seulement les grands de la terre, ce serait peu, mais les grands
même de son état divin et céleste. Il prononce cet arrêt
épouvantable, et cette négative formidable : Nisi efficiamini sicut
PARVULI, non intrabitis in regnum caelorum. Cet oracle nous doit
épouvanter et ce spectacle nous doit tirer les larmes des yeux,
fondre l'orgueil dans la douceur de Jésus, et abaisser les plus
hauts cèdres du Liban pour jamais, et les mettre aux pieds de Jésus
et des petits de Jésus sur la terre.
Ce ne sont pas là des
mots. Cèdre du Liban lui-même, Bérulle, fondateur de l'Oratoire,
confident de deux reines, chef d'un grand parti politique, Bérulle
s'est mis aux pieds de cette chétive créature dont il préface la
vie. Directeur de Catherine de Jésus, il a toujours approché la
jeune voyante, avec une vénération profonde, persuadé que « le
Grand des grands » était en elle et tous les trésors de la
« Sapience divine ». Ce qu'il a entrevu d'elle, dit-il, est trop
beau pour que les mots humains
puissent le rendre et
ce que l'auteur en rapporte « est beaucoup inférieur à la grâce
de cette âme ». Ce qui reste en son esprit de ses relations avec
Catherine de Jésus « est beaucoup plus haut et plus élevé que ce
qui est ici représenté ».
Ce peu toutefois le dépasse lui-même. Il n'aurait pas su l'écrire,
au lieu que les mystères de cette existence perdue en Dieu
paraissent à la Mère Madeleine aussi limpides, j'allais dire, aussi
naturels que la lumière du jour. Je n'ai écrit de ces merveilles,
dit-elle, « que l'ombre de ce que j'en sais ».
Catherine de
Jésus — nous ne lui connaissons pas d'autre nom, — était née à
Bordeaux, le 5 avril 1589. Vers « l'âge de sept ou huit ans,
trouvant un livre de sainte Catherine de Sienne, elle y lut et y
reçut les premiers touchements de la grâce... Elle sentit en elle un
effet de la divine Majesté, l'attirant à le chercher et à fuir les
hommes ; en sorte que, prenant à la lettre, selon son innocence,
cette fuite des hommes, elle ne sortit plus de son logis que pour
aller à l'église... ne voulant plus que son maître à écrire lui tînt
la main ». Les pénitences qu'elle fit dès lors
« l'empêchèrent tellement de croître et la rendirent si faible
qu'elle en est demeurée toute sa vie fort petite ».
Visiblement prédestinée à une vie suréminente, les religieux qui la
dirigeaient pensaient à l'envoyer chez les feuillantines, lorsqu'un
cousin de Bérulle, M. de Gourgues, plus tard premier président au
Parlement de Bordeaux, « lui fit obtenir une place » au
Carmel du faubourg Saint-Jacques. Elle arrive à Paris en août 1606,
fait chez Mme Acarie un stage assez court, pendant lequel on la
confie aux soins du P. Coton ; enfin elle prend l'habit sans avoir
apporté « aucune dot de religion, étant pourvue de biens beaucoup
plus recommandables ».
La Mère Madeleine venait d'être nommée prieure du Grand carmel et
lorsque, quatre ans plus tard, elle alla fonder le couvent de la rue
Chapon, elle prit Catherine de Jésus avec elle. Leur intimité de
tous les jours ne cessera qu'à la mort de cette dernière, en 1623.
La jeune carmélite
avait eu, de bonne heure, la vue, mais très vague, de ce que Dieu
lui préparait : « Durant quelques années, elle disait : je me
jette en Dieu, comme en un abîme profond, pour faire de moi des
choses qui semblent n'avoir point de limites ni de fin ». Et,
dans une note qu'elle écrivait, au seuil, pour ainsi parler, de la
zone mystique :
Perte en Dieu,
lequel doit être ma suffisance. Dieu m'est sagesse; Dieu m'est
science ; Dieu m'est puissance. Il me suffit que Dieu est suffisant
à lui-même.
A 20 ou 21 ans, pendant
les fêtes de Noël, elle ressenti une grande « occupation de
Dieu ». « Elle ne se souvenait point d'être en la terre,
quoiqu'elle fît toutes les actions communes et ordinaires, mais
pensait être au ciel et fut fort étonnée quand elle se vit parmi
nous ».
Elle ne reprenait que pour peu de temps cette vie que « l'homme-animal »
appelle réelle. A 22 ans, continue la Mère Madeleine qui a suivi de
ses yeux les étapes de cette ascension, « Dieu la fit changer de
voie et l'éleva en une vie intérieure si grande et si particulière
que l'on n'en peut dire que peu de choses, parce que les plus
grandes en étaient cachées, Dieu ne voulant pas découvrir au monde
les secrets qu'il met dans ses saints... Je dirai donc qu'en ce
temps, Jésus-Christ... l'attira à soi et prit possession d'elle, la
marquant de sa marque, pour la faire être à lui, dès ce moment, pour
son éternité. Et ce que je dis qu'elle fut marquée de sa marque, ce
sont les propres termes qu'elle me dit, et je ne puis pas exprimer
ce qu'était cela, sinon que c'était un effet de Dieu en l'âme, qui
lui était montré en qualité de marque ,eu de cachet, imprimé au plus
intime d'elle-même, comme une chose arrêtée et assurée à sa divine
Majesté. Et cet effet fut opéré par Jésus, comme enfant, lequel la
prit à lui pour appartenir au mystère de son enfance, entre les
autres choses qui sont en lui... Il prit donc possession de cette
âme et selon que je puis juger, il demeura en elle par présence et
par opération, jusqu'au dernier soupir de sa vie ».
Union merveilleuse avec
Dieu au plus intime de l'âme, mais par l'intermédiaire du Christ,
ainsi le veut la mystique catholique et particulièrement la mystique
thérésienne ; « union opérée a par Jésus comme enfant »,
ainsi le veut la mystique du XVIIe siècle, et particulièrement celle
de Bérulle, comme nous le montrerons plus tard. Autre particularité
de la même époque : sainte Madeleine, « la Madeleine séraphine »
comme disait Catherine de Jésus, leur paraît, après la sainte
Vierge, l'exemplaire le plus achevé de cette union. Parlant de
l'instant de la conversion de la Madeleine :
O instant !
s'écriait-elle, je ne puis me lasser de te nommer et admirer, tant
tu es aimable !... Jésus navra de son amour cette sainte âme en un
instant. 0 qu'est-ce qu'elle vit et sentit! o quels effets ! Car
étant à l'heure quasi hors de soi, sans entendement, sans langue et
sans sentiment, ô comme elle demeura toute occupée en Jésus !
et s'adressant à la
sainte :
Au même instant que
vous ouïtes les paroles de Jésus-Christ, l'amour vous priva de
vous-même et Jésus-Christ en prit possession.
Tous les mots,
« occuper » par exemple, ont ici leur plein sens et plus que
leur sens. La jeune extatique s'expliquait « comme elle pouvait
et avec très grande difficulté pour l'ordinaire et en termes fort
brefs, et de peu de paroles, mais pleines de sens et d'élévation
très grande et très sainte ».
Puis-je ajouter une remarque frivole ? Des deux femmes, ce n'est pas
Mme de Fontaines, c'est l'humble bordelaise qui écrit le mieux.
Également lucides, la seconde me ravit par la densité lumineuse et
les rythmes souples de ces notes qu'elle n'a certainement rédigées
que pour elle-même.
Quoi qu'il en soit, elles ont, l'une et l'autre, à décrire
l'ineffable, je veux dire ce long et persévérant travail qui vide
les âmes d'elles-mêmes et qui les remplit de Dieu.
Elle écrivait dans un
de « ces billets : “Je porte un effet de Dieu si pénétratif et si
grand qu'il consomme mon âme et mon esprit”, Dieu voulant détruire
en elle ce qui était d'elle-même., pour faire des effets cachés et
divins, en sorte que cette pauvre âme ne se voyait plus, ni les
opérations de Dieu en elle, si ce n'était lorsque cet esprit qui
habitait en elle, au lieu du sien, lui donnait quelque peu de
relâche pour se connaître et Dieu en elle. Dieu avait dessein de
cacher cette âme à elle-même et aux autres, au moins pour la plus
grande partie des choses qui se sont passées en elle ».
Peu de lumière, mais assez pour qu'elle pressente ou devine ou
entrevoie les merveilles de cette vie ténébreuse.
Il me semble
qu'étant en cet état, Dieu prit tout mon esprit, et le tira à soi,
afin que je n'entendisse pas quelque chose de très particulier que
Dieu voulait opérer en moi.
Qu'a-t-elle besoin d'en
savoir davantage ? « Si je voyais ce qui se passe en moi,
disait-elle, je serais divisée et il ne le faut pas, mais tout
occupée en souffrance et en amour ».
Je sens que toutes
les puissances de mon âme sont hors de leurs opérations et sont
occupées, sans que je connaisse cette opération, et cela me prive de
tout désir et mémoire d'aucune chose ; mais il me semble que parmi
toutes ces impuissances, je comprends une grande chose, et encore,
de ce que je comprends, il en demeure bien peu, pour ce que,
l'opération s'augmentant, ce qui s'opère en moi se fait en moi et
sans que je le voie. De moi, je ne puis penser ni dire comme je
suis. Je me trouve sans désir du ciel et de la terre, tellement que
je ne puis opérer aucune chose, et quelquefois je me trouve parlant
de quelque chose, qu'en l'intérieur, j'en suis bien éloignée.
Et sans doute, ces
beaux textes n'apprennent rien de proprement nouveau à ceux qui ont
étudié les œuvres de Catherine de Gènes, de Thérèse, de Jean de la
Croix.
Aurions-nous présenté
la grâce de Catherine de Jésus comme exceptionnelle ? Non, c'est, à
un degré qu'il nous est impossible de fixer, la grâce commune de ces
êtres d'exception. Tous les vrais mystiques se reconnaîtraient dans
ces claires confidences. Mais cette expérience, toujours ancienne et
toujours nouvelle, d'une part, Catherine la décrit avec la
simplicité des enfants, ce qui donne à ses « petits papiers »
une je ne sais quelle couleur particulière de réalité ; d'autre
part, elle se borne à dire ses impressions telles qu'elle les
éprouve et qu'elle tâche de les comprendre, sans rien nous
communiquer des pensées ni des émotions qui précèdent ou qui suivent
son ravissement.
« On a trouvé un
petit papier écrit de sa main où il y a ces paroles “je vois que mon
âme doit être réduite à n'avoir qu'un consentement au regard de
Dieu”. Elle voulait dire : je vois que tout doit être anéanti en
moi, excepté un acte de consentir au vouloir de Dieu... Et bien
souvent, elle recommençait plusieurs fois une même chose sans la
pouvoir achever, disant un mot sans pouvoir dire le second ou le
troisième. Et ainsi cette âme parlait et agissait selon qu'il
plaisait à Dieu qu'elle fit, ou plutôt lui de faire en elle, car
cette divine Majesté avait pris un si grand pouvoir sur elle qu'il
ne lui restait rien d'elle dont elle pût user, selon le cours et
l'usage ordinaire que nous avons de nous-mêmes. Et elle disait fort
souvent : je n'ai plus rien à moi, je ne suis plus à moi, une
puissance au-dessus de moi me possède et me tient toute ».
« Cette bonne Sœur
eut un jour un effet de Dieu si puissant qu'il la forçait de parler,
en sorte qu'elle fut une heure dans le jardin, sous une treille,
marchant toujours et disant ces paroles : Dieu met en moi sa
puissance ; Dieu met en moi sa puissance ; Dieu met en moi sa
sapience et sa science; recommençant continuellement les mêmes
paroles, et se passant en elle de grands effets, lesquels elle ne
put jamais dire. Même lorsqu'elle rapporta cela à la Mère Prieure
(Madeleine), ce fut avec quelque étonnement de ce que cela voulait
dire, disant qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait pu pour
s'empêcher de cette action, mais qu'il n'avait pas été en sa
puissance. Ce qui témoigne que l'éminence de cette grâce lui était
en partie couverte, afin qu'elle demeurât dans l'humiliation et dans
l'ignorance en laquelle on est dans cette vie ».
Pour que ce vide fût
encore plus complet et plus douloureux, après l'avoir dépossédée
d'elle-même, Dieu semblait encore, par moments, vouloir la
déposséder de lui.
« Il lui imprimait
quelque chose du délaissement du Père éternel qu'il porta en la
croix... Cela faisait en elle un effet si grand et si extrême
qu'elle croyait retourner au néant, exprimant sa peine, tantôt par
le nom d'anéantissement, mais plus ordinairement par celui de
privation, lui semblant que Dieu lui faisait porter un retirement de
lui qui lui était insupportable, non pas qu'elle vit que Dieu se
retirait d'elle par la grâce nécessaire à salut, ni par aucune sorte
de grâce, mais c'était une manière de privation dont Dieu usait sur
elle, par une sorte d'épreuve et de souffrance,... laquelle ne se
peut pas expliquer... et n'en peut-on donner aucune raison, sinon
que celui qui est tout-puissant, l'a voulu et l'a fait ainsi ».
Le Père de famille,
disait-elle, renverse toute la maison pour trouver la drachme et
Dieu renverse l'intérieur de sa créature pour trouver son âme qui
est enveloppée et perdue en elle-même et en ses opérations.
« Pour ce qui est
des tentations de l'esprit malin, reprend la Mère Madeleine qui dose
son récit avec une maîtrise absolue, j'en dirai quelque chose, selon
ce qu'il plaira à Dieu de m'en donner mémoire et que je verrai à
propos d'écrire, sachant que les choses qui se passent dans les âmes
de Dieu ne doivent pour la plupart être connues que dans le ciel ».
Que de maux n'aurait-on pas empêchés si l'on avait toujours imité
cette discrétion royale ! « Il plut à Dieu faire voir à cette
âme, par plusieurs fois, les peines des enfers... II lui est arrivé
d'en être si épouvantée et étonnée qu'elle en perdait la
connaissance, l'espace de deux heures, pendant lesquelles elle
n'entendait, ne voyait ni sentait aucune chose, demeurant couchée
-par terre au lieu où elle se trouvait. Et cela néanmoins, ne lui
est jamais arrivé que lorsqu'elle était seule, ou quelquefois avec
la Mère prieure, ou une autre sœur au plus. Et sur ce sujet, il
s'est passé tant de choses... que cela ne se doit ni ne se peut
dire, ni jusqu'où Dieu avait permis aux esprits malins de la
travailler ».
Souveraine décence de ces lignes ! Hélas, combien d'autres
n'auraient ils pas appuyé complaisamment sur ces pénibles tableaux !
Elle tenait peu de
place dans le couvent, mais on l'aimait bien. « Sa façon était si
dévote que toutes les religieuses prenaient plaisir d'être auprès
d'elle, et à la voir, encore qu'elle ne leur dit mot, car bien
souvent, elle ne pouvait pas parler ». Lorsqu'elle se mêlait un
peu à l'entretien, elle s'exprimait « si naïvement et d'une façon
si douce qu'il semblait que l'on oyait parler un petit ange ».
D'autant plus chétive à ses propres yeux qu'elle était davantage
« privée » d'elle-même, elle avait « une très grande charité
pour les œuvres de Dieu ». « Un jour, du temps de ces
dernières guerres contre les hérétiques rebelles, Dieu lui montra
qu'il la chargeait des besoins de la France et qu'il voulait qu'elle
prît cela sur elle, ce qu'elle accepta et dit à Notre-Seigneur :
Bien, mon Dieu, j'aurai soin de la France et de votre peuple, et
vous aurez soin de moi. — Et en effet, tout le temps que les
affaires de la guerre durèrent, elle dit à la Mère prieure qu'elle
n'avait rien demandé à Dieu pour elle, et elle était en un soin de
l'état des affaires tout ainsi que si elle n'eût rien eu autre chose
dans l'esprit. Et demandait souvent à la Mère prieure : comment
est-ce que tout va ? A-t-on pris une telle ville ou fait quelque
avance ? »
Je vois,
disait-elle, une plénitude de Dieu en toutes choses, jusques à un
petit fourmi, qui fait que mon âme est portée à rendre un honneur à
Dieu en tout lieu et en toute chose.
Elle ne s'absorbait pas
à contempler le divin travail qui se poursuivait en elle,
« n'étant nullement attachée à ces choses-là » et ayant
docilement remis le soin de son intérieur à ceux qui avaient charge
de la diriger. Elle découvrait ingénument les secrets de son âme,
soit à Bérulle, soit à la Mère Madeleine, « mais, l'on n'y
faisait rien que suivre ce que Dieu y mettait ».
Avec Bérulle, les confidences étaient plus difficiles. Elle lui
écrivait un jour :
Je me trouve toute
interdite et avec crainte lorsque je vous parle, je ne sais si vous
ne vous en êtes point aperçu. Cela m'étrange et me retient. Je vous
donne ma volonté pour la donner à Dieu.
Elle est plus libre, la
plume à la main. A certains jours néanmoins, toute communication lui
est impossible.
Je suis si captive
que je ne saurais écrire un mot, sinon pour vous dire que je vous ai
désiré aujourd'hui ici, à cause de la facilité que j'ai eue pour
parler de Dieu, ce qui m'arrive assez peu souvent, étant d'ordinaire
dans une grande privation et impuissance. Je ne sais où je suis ni
ne désire le savoir, si Dieu ne le veut... J'ai essayé souvent de
vous écrire ce qui nous a été impossible.
Le « nous » que
les usages du Carmel préfèrent à l'orgueil du « je »,
embarrasse un peu cette spontanéité naïve.
Ne craignez, s'il
vous plait, que nos petits maux nous ôtent le souvenir de vous
devant Dieu. Je m'oublierais plutôt moi-même., je vous supplie de le
croire, et que votre âme nous est chère devant lui.
Je vous suis tant
obligée que je ne sais comme le reconnaître, sinon m'appliquant à
Dieu pour vous.
On ne goûte pas
toujours les écrits de certains mystiques, même très grands, mais
celle-ci est d'une simplicité et d'une gentillesse charmantes.
Bérulle lui ayant proposé ses propres scrupules :
Le bon Jésus, lui
répond-elle, a déjà oublié tout ce en quoi vous pourriez craindre
avoir manqué et je m'offre à lui pour en porter la pénitence pour
vous.
Ou encore :
Ne soyez point en
peine pour les endormissements que vous avez. Cela n'est rien. Je
m'en ressens aussi quelquefois.
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