Introduction
« Douze méditations » petit texte publié dans le dernier
volume de l’édition italienne des Oeuvres complètes.
Ces petites notes trouvent
leur origine dans une coutume du monastère de Sainte Marie des Anges, relative à
la tradition monastique carmélitaine, qui avait pour fonction de favoriser la
pratique communautaire de la pauvreté et d’éviter l’oisiveté. Les Constitutions
du monastère déterminaient l’ordre à suivre qui s’inspirait largement de
l’Office divin.
En 1579, le chapitre du monastère adopta un décret
établissant que chaque jour, après le silence en salle, les jeunes novices
devaient se charger à tour de rôle d’une méditation.
Une compagne de noviciat, Sœur Maria-Grazia Gondi, prit en
note les méditations de sainte Marie Madeleine de Pazzi. C’est grâce à elle que
nous possédons le premier témoignage de la doctrine spirituelle de la jeune
carmélite.
Malgré la formulation impersonnelle, nous pouvons déjà
reconnaître en ces méditations de la jeune novice — données probablement durant
l’année 1583 (elle avait alors 17 ans) —, des thèmes et des images que nous
rencontrerons dans les "Quarante jours", on peut même dire que l’essentiel y est
déjà annoncé : importance de l'approche trinitaire de Dieu et du lien avec l’âme
notamment par les vœux religieux, médiation du Verbe et de Marie dans l'œuvre du
salut, appelant les âmes à y prendre leur part par l’imitation de leurs vertus
et la participation à leurs souffrances; soif des âmes. La croix du Christ et sa
Passion occupent une place centrale : l’âme est invitée à imiter son
Maître dans ce chemin d’anéantissement, en insistant sur l’importance de la
vertu d’humilité, par laquelle l'âme s’unit à Dieu. Cette seule vertu
lui suffit pour acquérir la vie éternelle, et elle peut ainsi gagner le ciel,
où, participant de la nature divine, l’âme est enivrée de Dieu.
Nous y trouvons déjà plusieurs images comme celles du lait,
du sang, de la vigne, du jardin, de l’eau. Les méditations reflètent l’effort
ascétique de la novice, consciente déjà que Dieu se « complaît dans une âme nue
et dépouillée de tout vouloir propre, non seulement dans les choses extérieures,
mais encore dans sa volonté de servir Dieu, non selon son goût, mais comme Dieu
le veut ».
Commencement des
12 Méditations
1
Nous pourrions considérer que lorsque le Père éternel voulut
envoyer le Verbe
prendre chair, les trois divines Personnes tinrent d’abord
conseil entre elles.
L’âme aussi, quand elle veut mettre en œuvre un projet, doit
d’abord tenir conseil en elle-même, c’est-à-dire préméditer et bien considérer
quelle intention l’y porte et ce qu’elle en attend.
Dans l’éternel conseil, la justice et la miséricorde
n’étaient pas d’accord entre elles. Ainsi dans l’âme, la crainte de Dieu d’un
côté, la crainte du monde et le respect humain de l’autre ne peuvent jamais
s’accorder si l’âme dans son activité ne veille, avec une droite justice selon
Dieu, à satisfaire à chacune de ces craintes et affections; c’est ainsi qu’a
fait le Verbe en satisfaisant en lui-même à la justice et à la miséricorde.
Dans son conseil, pour mener à bien l’œuvre de l’Incarnation
du Verbe, la très Sainte-Trinité a choisi la plus pure et la plus humble
créature qui fut au monde.
De même l’âme en tout son agir doit toujours choisir ce qui
est le plus pur, Jésus, en ne voulant que Lui et Sa très aimable volonté.
2
Nous pourrions considérer que Jésus, dans sa Nativité, nous a
montré les mêmes vertus que sur la croix : pauvreté et humilité.
À la Nativité, il s’humilia tellement qu’il voulut être placé
entre deux animaux, et fut si démuni qu’il naquit dans une pauvre étable, sans
aucune aide humaine. Sur la croix, il n’eut pas d’endroit où reposer sa sainte
tête, et s’humilia jusqu’à se faire crucifier entre deux voleurs.
Quand Jésus naquit, il se nourrit de lait ; plus tard, sur la
croix il nous donna son sang, nous montrant ainsi que lorsque l'âme naît à la
vie de Dieu, elle reçoit de lui le lait de la consolation, mais qu’elle doit
ensuite abandonner cette douce nourriture et en échange donner du sang,
c’est-à-dire l’exemple d’une vertu authentique et d’une véritable souffrance par
amour de Dieu.
3
Nous considérerons qu’à sa naissance Jésus était nu et voulut
être couché sur du foin dur, entre deux vils animaux, pour montrer qu’il se
plaît et se repose dans l’âme qui est humble et mortifiée dans toutes ses
puissances et sentiments, et qui maîtrise si bien sa convoitise et son
irascibilité que par l'une elle ne désire quoi que ce soit contre la volonté de
Dieu et par l’autre ne se meut ni n’éprouve de ressentiment, si ce n’est pour
l'honneur de Dieu et le salut du prochain.
Il naquit nu pour montrer aussi combien il se complaît dans
une âme nue et dépouillée de tout vouloir propre, non seulement dans les choses
extérieures, mais encore dans sa volonté de servir Dieu, non selon son goût,
mais comme Dieu le veut.
4
Nous allons considérer le grand amour que Jésus nous montra
sur la croix, et surtout dans les trois paroles qu’il prononça pour nous
témoigner aussi sa profonde miséricorde et son infinie sagesse.
Dans cette parole : Père, pardonne-leur (Lc 23,34), il montra
sa miséricorde en priant pour ceux qui le crucifiaient.
En s’écriant : J’ai soif (Jn 19,28), il montra son amour,
parce que la soif qu’il avait de nos âmes était plus ardente que l'autre soif
dont il souffrait pourtant beaucoup. Si nous voulons désaltérer Jésus, nous
devons avoir une grande soif de son honneur et du salut des âmes, sans être
altérés des choses du monde ni les désirer, car alors nous donnerions à boire à
Jésus du fiel et du vinaigre. Et puisque le fiel et le vinaigre sont amers au
goût mais également nocifs, de même, nous nuisons à notre âme en nous
désaltérant avec les choses du monde.
Dans ces mots : Tout est achevé (Jn 19,30), il nous montra la
sagesse infinie où il puisa le moyen de rétablir ses créatures dans l’état
d’innocence où il les avait créées, achevant par sa Passion l’œuvre que le Père
éternel lui avait confiée.
5
Nous considérerons ces paroles de Jésus dans l’Évangile : Je
suis la vraie vigne et vous êtes les sarments (Jn 15,5). Cette vigne fut plantée
dans la terre fertile du sein de la Vierge Marie. Et comme la vigne fleurit et
produit le fruit presque en même temps, de même Jésus enseignait par sa parole
et présentait des exemples vivants de vertu.
Quand les sarments sont séparés de la vigne, ils ne peuvent
donner de fruits ; ainsi en est-il de nous; si nous sommes séparés de Jésus,
jamais nous ne porterons de fruits, mais si nous demeurons unies à lui par la
transformation de la volonté et de l'amour, alors nous donnerons le même fruit
que lui, comme les sarments unis à la vigne donnent le fruit de la vigne. Parce
que l’âme unie à Dieu devient, par participation, un autre Dieu, elle tire du
Verbe incarné, par imitation, la pratique des vertus qu’il exerça sur terre, et
surtout une profonde humilité, qui la fait s’humilier et s’abaisser en toutes
ses actions, un ardent amour de Dieu et une véritable charité pour le prochain :
pour le sauver et lui être utile, elle ne tient compte ni d’elle-même ni des
commodités de son corps. Il nous enseigne surtout à demeurer toujours unies à
Jésus.
6
Nous considérerons que dans le jardin de la sainte Église se
trouvent bien des choses qui recréent l’âme, et en particulier la mémoire de la
Passion de Jésus, qui non seulement la recrée, mais lui offre aussi une douce
nourriture.
Ainsi pourrons-nous considérer Jésus sur le mont Calvaire,
pendu sur la croix, et nous donnant, comme une vigne, son sang précieux. Comme
la vigne nous donne le vin qui nourrit et enivre, de même le sang de Jésus et la
méditation de sa Passion nourrissent et enivrent l'âme d’amour divin. Mais il
nous faut approcher de Jésus dans l’oraison et la méditation de sa Passion avec
un cœur pur et vide de nous-mêmes et de notre amour propre, si nous voulons en
tirer cette douce nourriture et cette divine ivresse, car, si nous voulons que
le vin nourrisse et enivre, il faut de même qu’il soit pur et non mêlé avec
beaucoup d’eau.
7
Nous allons considérer la grande humilité que nous montra
Jésus en voulant être baptisé par saint Jean, qui était tellement inférieur à
Lui. Combien son Père éternel se complut dans la profonde humilité de son
Unique, il nous le montra par ses paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en
qui j’ai mis tout mon plaisir (Mt 3,17).
Jésus aussi se complaît tellement dans l'âme qui est humble
et se soumet par humilité à ses inférieurs, que cette seule vertu — au cas où
elle n’en posséderait aucune autre — lui suffirait pour acquérir la vie
éternelle.
8
Mes Sœurs, si nous voulons monter au ciel avec Jésus, nous
devons nous alléger et délester de ce qui pèse en nous afin d’être légères et
aptes à voler.
Rien ne nous rend plus lourdes et inaptes à nous élever et à
suivre notre époux, que le péché. Donc, avec grand soin, nous devons garder
notre cœur non seulement du péché mais de toute minime imperfection, et nous
procurer les ailes de la haine de nous-même et de l’amour pour Dieu.
9
Nous devrons penser à célébrer toutes les solennités avec une
grande dévotion, et en particulier celle de la très Sainte Trinité, parce que
toutes les autres sont ou de Jésus, ou de l’Esprit Saint, ou de la Vierge, mais
celle-ci célèbre également le Père éternel.
Et si toutes les créatures doivent honorer cette solennité,
nous religieuses, nous le devons tout spécialement ; nous pouvons honorer la
très Sainte Trinité notamment par l’observance des saints vœux. Nous honorerons
le Père éternel par une observance véritable du vœu d’obéissance : en effet,
quand ils obéissent à leur père, ses fils l’honorent infiniment. Nous honorerons
le Verbe en l’imitant par la vertu de la sainte pauvreté, qu’il aima tant, car
il se fit pauvre pour nous, lui qui n’eut sur la croix, nulle place où reposer
sa tête si sainte. Par l'observance du vœu de pureté et de chasteté nous
honorerons l’Esprit Saint, parce qu’étant pur Esprit, il agrée les âmes pures et
chastes et se réjouit en elles.
10
Nous pourrions considérer que la Vierge Marie est comme ce
livre, scellé de sept sceaux, que vit saint Jean l’évangéliste dans
l’Apocalypse, et qui ne pouvait être ouvert que par l’Agneau (Ap. 5,5).
Les sept sceaux sont les sept dons de l’Esprit Saint que la
Vierge Marie possédait en plénitude, plus que toute autre créature ; nous
pouvons aussi les comprendre comme les sept privilèges dont elle jouit. Par le
premier, elle fut depuis l’éternité choisie par Dieu comme première-née de
toutes les créatures. Par le second, elle conçut en son sein et en sa chair le
Verbe et son humanité, qu’il reçut de son sang très pur. Par le troisième, de sa
parole, elle sanctifia saint Jean, en vertu du Verbe incarné dans son sein très
pur. Par le quatrième, après avoir enfanté Jésus, elle demeura Vierge. Par le
cinquième, le Fils de Dieu lui-même lui fut soumis, humble et obéissant. Par le
sixième, son corps après la mort ne se corrompit point. Par le septième, elle
fut placée à la droite de son Fils.
Si, à notre mort, nous voulons entrer dans le bienheureux
Royaume du Paradis, nous devons dès à présent nous exercer à la perfection,
pratiquer l’humilité, la patience, la charité et toutes les autres vertus.
Efforçons-nous d’agir ainsi.
11
Nous allons considérer les paroles de Saint Paul et essayer
de les dire nous aussi : Pour moi le monde a été crucifié et moi pour le monde (Ga
6,14).
Nous pourrons les prononcer en vérité quand nous serons
contraires au monde. Les gens du monde aiment et poursuivent les honneurs, ils
sont pleins d’avarice, d’impureté, de mille hypocrisies et simulations. Si nous
voulons être contraires au monde, nous devons agir avec vérité, sincérité et
pureté d’intention, nous devons aimer d’une véritable et intime dilection, et
surtout aimer et pratiquer en nous-mêmes l’humilité, la simplicité et les autres
vertus qui nous rendent agréables et justes aux yeux très purs de notre Époux.
12
Pour l’âme qui veut parvenir à la perfection, une des
conditions à remplir est la connaissance des nombreux obstacles qui l’empêchent
d’y réussir. Nous en retiendrons surtout trois :
Le premier est l’amour des créatures et d’elle-même. Jésus
nous le montra dans l’évangile quand il dit : Celui qui ne renonce pas à tout ce
qu’il possède n’est pas digne de moi (Mt 10, 37-38), qui aime ses biens plus que
Lui n’est pas digne de Lui.
Le second est la simulation, qui consiste à garder une pensée
dans son cœur tandis que la bouche en affirme une autre. Il nous montra cela
quand il dit dans l’Évangile : « Je suis la Vérité » (Jn 14,6).
Le troisième, la désobéissance aux commandements de Dieu, et,
pour nous religieuses, aux conseils, à la Règle, aux Constitutions, et encore à
nos prélats et supérieurs. Jésus aime tellement la vertu d’obéissance, que par
elle il s’unit à l’âme. Et comme un aliment s’unit à la créature et la créature
à cet aliment, ainsi l'âme obéissante s’unit à Jésus, et Jésus à elle.
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