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Extrait biographique
Nous aurions pu, il est
vrai, tracer un extrait biographique du Père Louis Lallemant, nous
servant des quelques documents que nous possédons, mais il nous a parut
plus « sage » de donner la parole à un écrivain confirmé, à un
spécialiste des mystiques français, le Père Henri Brémond, membre de
l’Académie française, que l’on ne présente plus.
Le Père Lallemant
mériterait un certain nombre de pages, mais — en tout cas pour le moment
— nous ne disposons actuellement que de fragments de l’œuvre écrite par
l’un de ses disciples, le Père Champion. Peut-être que les Pères
jésuites, pur faire honneur à l’un des leurs — et non des moindres ! —
voudront bien nous communiquer de quoi vous faire partager davantage…
* * * * *
« Le Père Louis Lallemant
naquit en Champagne, à Châlons-sur-Marne en 1578. Il était fils unique
du bailli de la comté de Vertus, qui a été autrefois un apanage des
filles de France. Son père l'envoya dès ses plus tendres années à
Bourges, pour y commencer ses études au collège des Pères de la
Compagnie de Jésus. Dieu lui avait donné toutes les dispositions de la
nature et de la grâce, qui étaient nécessaires pour l'accomplissement
des grands desseins qu'il avait sur lui ; un esprit éminent et capable
de toutes les sciences ; un jugement pénétrant et solide ; un naturel
doux, franc et honnête; beaucoup d'amour pour l'étude ; une horreur
extrême du vice, et principalement de l'impureté ; une haute idée du
service de Dieu et un attrait particulier pour la vie intérieure. Tout
enfant qu'il était, il pratiquait le recueillement intérieur, sans le
connaître : Il faut, disait-il, que je demeure toujours chez moi. Il
n'en faut jamais entièrement sortir. Cette maxime, était gravée si avant
dans son cœur, qu'il avait dès lors une continuelle attention sur
lui-même, ne fuyant rien tant que de s'épancher au dehors . »
Jésuite en 16o5, le P.
Lallemant fait son noviciat à Nancy et ses études à Pont-à-Mousson. Puis
il enseigne « en divers lieux les sciences spéculatives : trois ans la
philosophie ; quatre ans les mathématiques ; trois ans la théologie
morale et deux ans la scolastique à Paris. Ensuite il fut quatre ans
recteur au noviciat et maître des novices ; trois ans directeur du
second noviciat — c'est la grande époque de sa vie — préfet des hautes
études et quelques mois recteur du collège de Bourges », où il meurt le
5 avril 1635. « Il était d'une taille haute, d'un port majestueux : il
avait le front large et serein, le poil et les cheveux châtain, la tête
déjà chauve, le visage ovale et bien proportionné, le teint un peu
basané, et les joues ordinairement enflammées du feu céleste qui brûlait
son cœur ; les yeux pleins d'une douceur charmante, et qui marquaient la
solidité de son jugement et la parfaite égalité de son esprit... On ne
pouvait voir un homme ni mieux fait de corps, ni plus composé dans tous
ses mouvements, ni d'un extérieur plus dévot et plus recueilli . »
Les Jésuites, ses
contemporains, et notamment les supérieurs de l'Ordre ont bien connu
l'exceptionnelle valeur du P. Lallemant. Les hautes charges qui lui
furent confiées le montrent assez .
Nous savons néanmoins, par
quelques lignes discrètes mais très significatives de son biographe,
qu'il n'eut pas toujours à se louer de ses frères. « Dieu permit...
assez souvent, écrit le P. Champion, que quelques-uns de ceux qui
devaient avoir pour lui, ou plus de bonté, comme ses supérieurs, ou plus
de respect et de soumission, comme ses inférieurs et ses disciples,
s'oubliassent un peu à son égard et lui fissent de la peine . »
Encore vivants et douloureux, plus d'un demi-siècle après la mort du P.
Lallemant, de tels souvenirs donnent à penser. Manifestement il ne
s'agit pas ici des menues épreuves de la vie commune ; un homme aussi
grave que Champion ne parlerait pas de ces riens. Il y a donc eu
souffrance, et sérieuse et sans doute prolongée. J'imagine qu'on aura
trouvé sa direction un peu trop mystique et, de ce chef, légèrement
contraire à l'esprit de la Compagnie. Il parait du reste que les jeunes
Pères qu'on envoyait à son école et dont la plupart bientôt ne juraient
plus que par lui, commençaient par lui résister, ce qui laisserait
croire qu'ils lui arrivaient plus ou moins prévenus contre sa doctrine.
Nous ne remarquions jamais
aucun empressement dans le P. Louis Lallcinant, écrit le P. Rigoleuc,
bien qu'au commencement nous ne fussions pas tous également dociles et
soumis à ses sentiments ; mais il nous charma tous par sa douceur et sa
condescendance et par une humilité si rare et si obligeante qu'il n'y en
avait pas un seul de nous qui n'avouât qu'il n'avait jamais vu un tel
supérieur. Enfin avant trois mois il avait absolument gagné tous les
cœurs .
On nous dit encore que
« dans la théologie mystique », il n'eut pas d'autre maître que le
Saint-Esprit. « Il ne l'apprit point des hommes ; et quoiqu'il eût eu
pour directeurs des religieux d'une grande vertu et capacité, il n'avait
point trouvé en eux les avantages que » ses propres disciples, « le P.
Surin et le P. Rigoleuc, trouvèrent en lui ».
Il aurait été « entre les jésuites de France ce que le P. Alvarez fut
entre ceux d'Espagne. » Rapprochement qui en dit long. Tout le monde
sait en effet que le P. Balthazar Alvarez fut violemment et d'ailleurs
très injustement accusé de vouloir introduire dans la Compagnie une
spiritualité nouvelle et tendant à l'illuminisme .
« Il est certain, continue le P. Champion, qu'il joignait éminemment,
comme cet illustre directeur de sainte Thérèse, la connaissance et la
pratique de la théologie mystique, et qu'il eut comme lui pour
disciples, les hommes les plus spirituels et les plus intérieurs que la
Compagnie ait eus parmi nous. On a remarqué jusqu'ici que tous ceux qui
avaient fait sous lui leur premier ou leur second noviciat, se sont
communément distingués des autres, par une conduite religieuse qui
répondait aux excellentes leçons qu'ils avaient apprises de lui, et
surtout par l'amour du recueillement et de la vie intérieure ».
Pour toutes ces raisons, et pour d'autres encore il faut, je crois,
regarder le P. Lallemant et son école comme formant, non pas, ce qu'à
Dieu ne plaise, un état dans l'état, une faction plus ou moins suspecte
ou indépendante, mais un groupe assez nettement distinct, une extrême
droite spirituelle, une élite un peu singulière, que les supérieurs
n'ont pas essayé de disputer à la grâce et qu'ils ont approuvée, sans
toutefois l'encourager très activement. Ils ne les désavouent pas, de
beaucoup s'en faut, mais ils refusent de s'identifier avec eux.
Aux mystiques, la
Compagnie, dans son ensemble, préfère les ascètes : aux Lallemant, aux
Surin, aux Guilloré, les Bourdaloue, les Ravignan, les Olivaint, modèles
moins brillants, mais plus sûrs, qui lui paraissent réaliser
excellemment l'idéal sobre, volontaire, méthodique, immédiatement
pratique, sur lequel un fils de saint Ignace doit se régler lui-même et
régler les âmes dont il a la charge. On pense bien qu'un simple
historien n'a pas à se prononcer entre ces deux tendances. Il suffit que
nous les distinguions une fois de plus, car de cette distinction vient
en grande partie l'extrême intérêt du présent chapitre. C'est
précisément parce qu'ils sont jésuites que le témoignage du P. Lallemant
et de ses disciples a pour nous une force particulière, le milieu qui
les a formés n'ayant pu que nourrir chez eux l'amour des voies communes
et la crainte de l'illusion. D'un autre côté, ils n'ont pu triompher des
sages résistances que leur opposait ce même milieu, qu'en se montrant
eux-mêmes plus jalousement fidèles à la tradition ascétique de la
Compagnie, et, si l'on peut dire, plus jésuites. Tout mysticisme
orthodoxe exige une abnégation totale, mais ceux-ci insistent plus que
d'autres, et plus en détail sur les dures exigences, sur l'envers
crucifiant de la vie mystique. Psychologues, moralistes, comme tout vrai
jésuite doit l'être, et bien davantage, ils poussent, jusqu'à l'excès
parfois, comme nous le voyons dans l'œuvre de Guilloré, l'inquiète
pénétration de leurs analyses, la pressante et impitoyable sévérité de
leurs conseils. Peu de couleur, nul lyrisme. Leur sublime se devine
certes, mais n'éclate que rarement. J'ai même peur qu'on ne les trouve
ternes. La joie leur manque et l'esprit des enfants. Ils ont hésité,
lutté longtemps avant de s'abandonner à la grâce : ils ont pesé le pour
et le contre dans les balances d'une théologie rigoureuse ; même après
s'être enfin rendus, ils restent constamment sur leurs gardes, se
déliant, non pas certes de Dieu, mais de leur propre misère. Qu'importe!
Nous les préférons ainsi. Les mystiques d'avant-garde ne nous manquaient
pas. Derrière eux, pour modérer leur impétuosité et pour couvrir leur
retraite, il nous fallait cette petite armée de jésuites, lente à
s'émouvoir, prudente, pesante, sans panaches, sans musique, mais
invincibles . »
* * * * *
Nous arrêtons là la
transcription de cette esquisse biographique du Père Louis Lallemant
tracée par Henri Brémond, se basant sur celle qui figure au début du
livre de « La Doctrine du Père Lallemant », par le Père Champion,
jésuite et son disciple.
En effet, nous savons
l’essentiel : sa naissance dans la Marne et son décès à Bourges, sans
oublier son cheminement et son enseignement profond sur « la chose
mystique ». Le Père Lallemant était un maître et le restera, même si,
hélas, plus personne de nos jours n’ose en faire référence, par peur du
« qu’en dira-t-on »... Ainsi va le monde…
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