LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Vingtième Lettre

Dialogue de sourds

R., le 18 novembre 2004

 

Mon ami,

Tu m’avais demandé, tout au début, peut-être même dans ta première lettre, de te parler également de sœur Marie de Saint-Pierre, la “Carmélite de Tours”.

En approfondissant mes connaissances sur cette âme sainte, j’ai trouvé un rapport qu’elle avait envoyé, peu de temps avant sa mort, à la Supérieure du Carmel de Tours, comme elle le faisait habituellement. Elle y rapporte un long et important entretien qu’elle avait eu avec le secrétaire de Monseigneur Morlot, archevêque de Tours au sujet de l’éventuelle installation en cette ville de la Confrérie de la Sainte-Face, pour la réparation des blasphèmes.

Le dialogue qui va suivre est de ceux que l’on pourrait appeler “dialogue de sourds” et il est vraiment surréaliste.

Sœur Marie de Saint-Pierre rendait toujours compte, par écrit, à sa Supérieure non seulement de ses “révélations” ou “dialogues avec Jésus”, mais aussi de tous autres faits et gestes la concernant et concernant la “mission” qui lui avait été confiée par le Ciel.

Ceci dit, si je te le rapporte, c’est tout simplement pour que tu en sois informé et non point pour te faire prendre une quelconque position vis-à-vis de l’archevêque de Tours, car il était certainement de bonne foi, en prenant une décision négative sur les faits que lui rapportait régulièrement l’humble carmélite.

Il fut aussi influencé par les “membres de son conseil”, ce qui peut expliquer peut-être aussi sa “nouvelle” position vis-à-vis de la religieuse.

Voici donc le compte-rendu de sœur Marie de Saint-Pierre :

Lettre de mars 1848

« Ma Révérende Mère, je vais vous faire un court extrait de mon petit plaidoyer avec le secrétaire de Monseigneur l’archevêque, au sujet de l’œuvre réparatrice. Je vous assure que Notre-Seigneur m’a bien assistée, comme il me l’avait promis, car je n’ai été ni troublée ni intimidée, et j’ai parlé avec la plus grande facilité. Je vous dirai donc à peu près notre conférence.

Monsieur le Secrétaire : — Ma sœur, je viens vous dire de la part de Monseigneur qu’il a montré vos lettres aux membres de son conseil, et que tous unanimement se sont prononcés contre l’établissement de l’œuvre que vous demandez. Monseigneur a prié, examiné sérieusement cette affaire, et il n’est pas possible qu’il puisse agir comme évêque ; on ne reconnaît pas la validité de votre mission.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, je ne prétends point importuner Monseigneur par de nouvelles instances, ni soutenir mes sentiments sur la mission que je crois m’avoir été imposée par Notre-Seigneur pour le salut de la France. Mon intention a été de remplir un devoir de conscience. Lorsque j’ai eu l’honneur de parler à Sa Grandeur des communications que je croyais recevoir de Dieu, elle me dit alors : “Mon enfant, soyez en paix ; vous n’êtes point dans l’illusion, je reconnais ici le cachet de Dieu.” Monsieur, c’est d’après ces paroles, que j’ai reçues comme venant du Saint-Esprit, que j’ai persévéré dans ma mission.

Monsieur le Secrétaire : — Ma bonne sœur, Monseigneur vous a dit cela alors, c’est qu’il ne savait pas où cela irait. Depuis cette époque il a examiné les choses, il a prié ; cela ne se peut pas.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, cela me suffit. Je ne veux que ce que Sa Grandeur a décidé. Ma conscience m’a obligée à faire des démarches pour l’Œuvre de la Réparation ; maintenant je suis parfaitement en paix. Mais je vous dirai que la raison pour laquelle j’ai exprimé le désir de parler à Monseigneur a été de me décharger de ma mission. Ainsi, puisqu’il vous envoie à sa place, je veux faire en ce moment un acte de religion. Je dépose ma mission aux pieds de l’autorité ecclésiastique ; elle sera responsable devant Dieu.

Monsieur le Secrétaire : — Mais, ma bonne sœur, cette association dont vous parlez est déjà établie.

Sœur Saint-Pierre : — Je le sais bien, Monsieur ; mais l’Église de Tours devrait en être dépositaire. Je l’ai sollicité auprès de Monseigneur, il n’a pas jugé à propos de l’établir ; je me suis soumise ; et ce qui prouve qu’elle est bien dans la volonté de Dieu, c’est que, sans aucun concours de ma part, elle a pris naissance.

Monsieur le Secrétaire : — Mais elle a ici beaucoup d’associés ; et Monseigneur n’a-t-il pas approuvé à ce sujet un petit livre de prières ?

Sœur Saint-Pierre : — Cela est vrai, Monsieur ; mais il serait nécessaire qu’il y eût à Tours une agrégation. L’œuvre a besoin du concours et de la protection de Monseigneur l’archevêque. Tous les yeux sont fixés sur lui, parce que c’est en son diocèse qu’elle a été conçue.

Monsieur le Secrétaire : — Ma sœur, je vous dirai en tout abandon que cette œuvre établie à Langres ne va pas très bien ; on en a parlé dans les journaux.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, je n’en suis point étonnée, car Notre-Seigneur m’avait dit que cette œuvre serait traversée par le démon. N’avez-vous pas vu qu’il en fut ainsi pour la dévotion du Sacré-Cœur de Jésus et pour l’institution de la fête du Saint-Sacrement ? Le Sauveur a communiqué à des âmes plus dignes que moi, il est vrai, de pareilles missions ; mais elles ont été persécutées.

Monsieur le Secrétaire : — Ma sœur, toutes les œuvres de Dieu le sont ; l’archiconfrérie du Sacré-Cœur de Marie l’a été aussi. Voilà une belle œuvre qui renferme tout, car elle convertit les pécheurs.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, Notre-Seigneur savait bien qu’elle existait quand il m’a demandé une autre confrérie, et il m’a fait connaître que la première ne suffisait pas ; car, pour obtenir le pardon d’une personne qu’on a offensé, il faut lui en faire réparation d’honneur ; et le Seigneur m’a fait entendre que la transgression des trois premiers commandements excitait sa colère contre la France. Ainsi, Monsieur, si le bras séculier et le bras ecclésiastique sont impuissants pour empêcher ces désordres, il faut au moins qu’on en fasse à Dieu réparation.

Monsieur le Secrétaire : — Ah ! ma bonne sœur, voilà la question. Vous dites que Dieu exige cela ; mais nous n’en sommes pas sûrs ; vous pouvez vous tromper.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, cela est possible ; cependant j’ai bien peine à croire qu’une imagination puisse durer cinq ans sans influence de personne ; car mes supérieurs, dans leur sagesse, ne m’ont point soutenue dans ces idées ; ils m’ont même défendu d’y penser. Ils n’ont point voulu être juges dans cette affaire. Monsieur le supérieur en a toujours référé au jugement de Monseigneur.

Monsieur le Secrétaire : — Eh bien, ma bonne sœur, soyez parfaitement tranquille ; vous avez fait votre devoir en faisant connaître ces communications à Monseigneur. Maintenant je vous dis de sa part : Ne repensez plus à tout cela, désoccupez-en tout à fait votre esprit.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, Monseigneur ne me défend pas sans doute de demander à Dieu l’accomplissement de ses desseins ?

Monsieur le Secrétaire : — Non, mais sans demander l’œuvre.

Sœur Saint-Pierre : — Monsieur, je vous prie d’assurer Monseigneur de mon obéissance à ses ordres ».

La sœur fut fidèle à sa promesse. Quelques jours après, elle écrivait à la Mère Prieure pour l’informer qu’elle était « entièrement détachée, dépouillée du désir de voir l’œuvre réparatrice s’établir dans le diocèse de Tours. »

Elle rendit son âme à Dieu le 8 juillet 1848 et fut par la suite oubliée de la plupart des tourangeaux et des autres… Depuis la disparition du Carmel de Tours, nous sommes même en droit de nous poser la question : où sont maintenant ses restes mortels ?

Il en est ainsi pour certaines âmes choisies… Seul le Seigneur sait le pourquoi des choses !... Que sa volonté soit faite !

Je reste, en Jésus et Marie,

Ton ami dévoué.

Alphonse Rocha

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