

Dix-huitième lettre
L’apparition de La
Salette
1
R., le 19 septembre 2004
anniversaire de l’apparition de La Salette
Mon cher ami,
Voila deux fois déjà que je t’écris
à la même date anniversaire de l’apparition de la Vierge Marie à La Salette. La
première fois je ne t’ai rien dit à ce sujet, mais aujourd’hui je vais te parler
de cette apparition assez particulière : la Vierge y est apparue en pleurs à
deux bergers : Mélanie et Maximin.
Voici comment cela s’est passé :
Le samedi 19 septembre 1846, de bon
matin, les deux enfants ― Mélanie et Maximin ― gravissent les pentes du mont
Sous-les-Baisses, chacun poussant son troupeau de quatre vaches, avec en plus,
pour Maximin, sa chèvre et son chien Loulou.
Un peu plus tard, vers le milieu de
la journée, après la sonnerie de l’Angélus, ils mènent leurs animaux vers une
petite mare que forme la Sézia. Mais ils n’y restent pas longtemps, car peu
après ils conduisent leurs bêtes sur les pentes du Mont Gargas. Ensuite ils y
cherchent un endroit moins ensoleillé, car il fait très chaud, et y prennent
leur maigre repas.
Contrairement à leurs habitudes,
les deux enfants s'étendent sur l'herbe et s'endorment. Brusquement, Mélanie se
réveille et secoue Maximin !
— Mémin, Mémin, viens vite, que
nous allions voir nos vaches... Je ne sais pas où elles sont !
Rapidement, ils montent la pente
opposée au Gargas. Se retournant, ils aperçoivente tout l'alpage : leurs vaches
sont là, ruminant tranquillement. Les deux bergers sont rassurés. Mélanie
commence à redescendre. À mi-pente, elle s'immobilise et, d'étonnement, elle
lâche son bâton :
― Ménin, regarde voir, là, une
clarté, près de la petite source, sur l'un des bancs de pierre... un globe de
feu.
― C'est comme si le soleil était
tombé là.
Pourtant le soleil continue de
briller dans un ciel sans nuages. Maximin accourt en criant :
― Où est-elle ? Où est-elle cette
clarté ?
Mélanie tend le doigt vers le fond
du ravin où ils ont dormi. Maximin s'arrête près d'elle, figé de crainte, et lui
dit :
― Garde ton bâton, va ! Moi, je
garde le mien et je lui donne un bon coup s'il nous fait quelque chose.
La clarté bouge, remue, tournoie
sur elle-même. Les mots manquent aux deux enfants pour signifier l'impression de
vie que rayonne de ce globe de feu.
Une femme y apparaît, assise, la
tête dans les mains, les coudes sur les genoux, dans une attitude de profonde
tristesse.
La belle dame se lève. Eux n'ont
pas bougé. Elle leur dit en français :
― Avancez, mes enfants, n'ayez pas
peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle.
Alors, ils descendent vers elle.
Ils la regardent. Elle ne cesse de pleurer. “On aurait dit une maman que ses
enfants auraient battu et qui se serait sauvée dans la montagne pour pleurer”.
La belle dame est grande et toute de lumière. Elle est vêtue comme les femmes de
la région : longue robe, grand tablier à la taille, fichu croisé et noué dans le
dos, bonnet de paysanne. Des roses couronnent sa tête, bordent son fichu et
ornent ses chaussures.
A son front la lumière étincelle
comme un diadème. Sur ses épaules pèse une lourde chaîne. Une chaîne plus fine
retient sur sa poitrine un crucifix éblouissant, avec d'un côté un marteau, de
l'autre des tenailles.
La Belle Dame parle aux deux
bergers.
“Elle a pleuré tout le temps
qu'elle nous a parlé”, diront plus tard les deux enfants, quand ils seront
interrogés sur ce qu’ils affirment avoir vu.
“Nous l'écoutions, nous ne
pensions à rien”, disent-ils encore.
Ensemble, ou séparément, les deux
enfants redisent les mêmes paroles avec de légères variantes qui n'affectent pas
le sens. Et cela, quels que soient leurs interlocuteurs : pèlerins ou simples
curieux, notables ou ecclésiastiques, enquêteurs ou journalistes. Qu'ils soient
favorables, sans préventions ou malveillants, les enfants ne changeaient rien à
leur récit.
Puis Marie, la Dame en pleurs va
s’adresser à eux, leur dire pourquoi elle vient les voir et ce qu’elle attend
d’eux.
Avec une tendresse toute maternelle
la Vierge Marie leur dit :
― Si mon peuple ne veut pas se
soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si fort
et si pesant que je ne puis le maintenir.
Depuis le temps que je souffre
pour vous !
Si je veux que mon Fils ne vous
abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse, pour vous autres, vous
n'en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez
récompenser la peine que j'ai prise pour vous.
Paroles dures, que celles-là, mon
ami, adressées à des enfants. Mais Marie sait pourquoi Elle le fait et pourquoi
Elle les dit : les hommes ne cessent pas d’offenser son Fils, ne font pas cas
des avertissements… alors, des paroles aussi sévères adressées à des enfants,
vont peut-être attendrir les cœurs de ceux à qui elles seront répétées.
Puis, la Vierge continue et parle
au nom du Père éternel :
― Je vous ai donné six jours
pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me
l'accorder !
Ensuite, Elle explique :
― C'est ça qui appesantit tant
le bras de mon Fils. Et aussi, ceux qui mènent les charrettes ne savent pas
jurer sans mettre le nom de mon Fils au milieu. Ce sont les deux choses qui
appesantissent tant le bras de mon Fils. Si la récolte se gâte ce n'est rien que
pour vous autres. Je vous l'avais fait voir l'an passé par les pommes de terre :
et vous n'en avez pas fait cas ! Au contraire, quand vous en trouviez de gâtées,
vous juriez, et vous y mettiez le nom de mon Fils au milieu. Elles vont
continuer, et cette année, pour la Noël, il n'y en aura plus.
Le mot “pommes de terre” intrigue
Mélanie. En patois, on dit “là truffa”. Et le mot “pommes” n'évoque pour elle
que le fruit du pommier. Elle se tourne donc vers Maximin pour lui demander une
explication. Mais la dame la prévient :
― Vous ne comprenez pas, mes
enfants ? Je m'en vais vous le dire autrement.
Et voila, mon ami, que la Vierge
Marie se met à parler le patois de la région de Corps ― que Mélanie et Maximin
connaissent parfaitement ― et se fait ainsi mieux comprendre des enfants que
l’écoutent.
Mon bon ami, il reste encore bien
des choses à te dire au sujet de cette apparition que l’Église a reconnue, mais
cela ferait beaucoup pour une seule lettre. Si tu veux bien, je continuerai de
t’en parler lors de la prochaine lettre.
En attendant, rendons ensemble
gloire à Dieu et prions sa Sainte Mère de nos accorder sa maternelle bénédiction
et de nous confier Elle-même à Jésus.
Béni soit Dieu, maintenant et
toujours !
Ton ami dévoué.


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