LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

Troisième partie

Méditations sur la Passion de Jésus pendant sa vie publique
La Cène et l’Agonie

Méditations préparatoires
à la troisième partie

Ceux qui suivront Jésus
Le partage de la Passion

 

Jésus prépare ceux qui devront Le suivre

Il convient maintenant, après avoir longuement médité sur la Passion que Jésus dut vivre tout au long de sa vie publique, et avant d’aborder la contemplation des jours saints de notre Rédemption, de se pencher sur la manière dont Jésus prépare ses saints, pour les associer, eux aussi, à sa longue Passion et leur partager les angoisses de son Agonie. Il convient aussi de partager les angoisses de nos sociétés modernes qui, sans qu’elles le sachent, ont lourdement pesé sur celles de Jésus durant sa vie publique et son Agonie: “Quand le Christ reviendra sur la terre, trouvera-t-il encore la foi ?”

Vivre les agonies du Christ [1], cela suppose que ceux qui seront appelés à les partager, soient soigneusement préparés, et par Jésus Lui-même. Participer à la Grande Passion de la Croix, cela suppose aussi pour les quelques mystiques qui devront la vivre sur la terre, un appel particulier et une formation particulière. Jésus, sans rien dire, avait longuement préparé ses apôtres au martyre. Tous les autres saints à qui le Seigneur demandera de Le suivre dans son Agonie et sur son Chemin de Croix auront vécu, au préalable, des événements ou des circonstances exceptionnelles. Cet avant-propos va nous aider à cerner de plus près ce que l’on pourrait nommer: le partage de la Passion.

Les saints, nous les aimons bien... Nous les aimons bien, mais le plus souvent, sans même le savoir, et sans toujours les comprendre ou les approuver... Il y en a même quelques-uns qui nous agacent un peu: ils sont trop parfaits. Nous aimerions connaître les défauts de nos saints, cela nous rendrait service, à nous pauvres mortels encore liés à cette terre et pleins de misères que nous n’arrivons pas toujours à maîtriser. Alors, parfois, comme s’il avait entendu notre désir, un saint nous fait signe et vient à notre rencontre, avec toute sa vie, toute sa fougue et aussi toutes ses  faiblesses.

Saint François d’Assise

Voici François d’Assise. Il nous surprend d’abord, on ne le comprend guère: il n’est pas à notre taille, il est trop grand, trop pauvre, trop humble, trop mortifié, trop charitable, trop excessif, trop “tout”, quoi. Pourtant que d’enseignements le Seigneur nous donne à travers lui!

Contemplons François dans sa jeunesse un peu folle. “Va, lui dit Jésus, répare mon Église qui tombe en ruines.” Et François va; il se met à réparer l’église de Saint Damien, qui effectivement tombait en ruines. François y va de sa personne, mais quand il s’agit d’acheter des matériaux, il le fait avec les biens de son papa: c’est un peu facile ! On peut comprendre que ce père n’ait pas été excessivement content. Comme il nous plaît ce François-là, plein d’ardeur et de défauts, un peu inconscient, un peu tout fou.

Mais Jésus l’attend au tournant, si on peut s’exprimer ainsi. Ce que Jésus veut de lui, c’est la sainteté, c’est la réparation de l’Église de son époque, cette pauvre Église qui avait été bien malmenée: un peu comme la nôtre aujourd’hui. Jésus ne va plus ménager François qui devra avancer coûte que coûte, et plutôt plus que moins. François souffre, mais François se laisse faire...

La vie est dure pour François, après sa conversion. Sa vie est dure, matériellement et surtout spirituellement: comment ses contemporains auraient-ils pu comprendre cet hurluberlu qui fâche tellement ses parents? Ce pauvre fou qui mendie alors qu’il pourrait tout posséder sur la terre! François avance, sans comprendre, mais l’Amour qui est au fond de son coeur et qui le mène sans lui donner d’explication, l’Amour Lui, sait ce qu’Il fait. L’Amour prépare François. Jésus prépare François, non pas en vue d’oeuvres humaines, saintes, certes, nécessaires mais difficiles. Non! cela, avec la grâce de Dieu, cela c’est à la portée des hommes.

Jésus prépare François à recevoir les stigmates, quand sa vie sera déjà bien avancée. Jésus prépare lentement François à être configuré au Crucifié... Jésus travaille dans le silence. Sans bruit Il prépare les âmes à accueillir ce qu’Il leur a préparé de toute éternité. Jésus a longuement préparé François à devenir Saint François d’Assise, le Petit Pauvre, le premier stigmatisé, la première icône vivante de Jésus sur la Croix. Ce mystère est grand, si grand qu’il n’est pas à notre portée.

De toute éternité, Jésus prépare chaque âme qu’Il aime en vue d’une mission particulière. Jésus nous prépare tous, sans bruit, malgré nos défauts, nos misères, nos péchés, nos révoltes ou nos grincements de dents. Jésus nous prépare tous. Lentement, patiemment, Il prépare chacun d’entre nous à la mission qui sera la sienne: la mission de sa vie. Jésus prépare chaque homme pour en faire un saint, mais généralement nous ne comprenons pas ses méthodes; aussi, parfois, nous enseigne-t-Il en nous montrant comment Il a préparé ses plus grands saints, malgré leurs défauts, leurs misères, et même leurs péchés.

Saint Pierre

Voici Saint Pierre. Pauvre Pierre, si plein de fougue, si enthousiaste, si plein d’amour pour son Maître bien-aimé. Car c’est vrai que Pierre aime Jésus: il a tout quitté pour Le suivre, et cela ne devait pas être facile. On ne pense pas toujours aux sacrifices qu’ont dû consentir les premiers apôtres : quitter femme, enfants, parents, amis... et même le travail, c’est-à-dire le gagne-pain pour toute la famille.

On ne pense pas toujours aux sacrifices qu’ont dû consentir les premiers apôtres, et pour qui ? Pour quoi ? Pour suivre un jeune prophète dont on ne connaissait encore à peu près rien. Quelle force et quel attrait puissants devaient émaner de la personne de Jésus pour que douze hommes sensés, équilibrés, solides, dont certains étaient chargés de famille, aient ainsi pu, en quelques jours, renoncer à tout, pour suivre un jeune homme qui ne leur offrait rien, sinon vivre en mendiant et coucher le plus souvent à la belle étoile! On ne pense pas souvent à cela qui suppose une capacité d’amour assez stupéfiante.

Donc, il est certain que Pierre aimait Jésus, il l’avait prouvé. D’ailleurs, il était prêt, s’il le fallait, à donner sa vie pour Jésus... Hélas! “Tu donnerais ta vie pour Moi, dit Jésus quelques heures à peine avant d’être arrêté, tu donnerais ta vie pour moi?... Le coq n’aura pas chanté deux fois que tu m’auras renié trois fois.”

Pierre se rebiffe. Non, ce n’est pas possible, jamais il ne reniera son Maître, non jamais. D’ailleurs, lui, il a prouvé qu’il aimait Jésus, il n’est pas comme ce Judas dont on ne sait jamais ce qu’il fait, et qui a des moeurs pas très avouables. Et qui est même un voleur. Non, vraiment, Pierre n’est pas comme ça. Il ne comprend pas, non plus, la mansuétude de Jésus envers Judas, ni sa patience. Lui, Pierre, il y a longtemps qu’il aurait éloigné cet individu...

Jésus sait tout cela, Jésus sait combien son disciple est encore présomptueux, et peu charitable. Il sait que Pierre, s’il devait, Lui Jésus, le laisser avec son tempérament trop absolu, trop sévère, Il sait, Lui Jésus, que Pierre n’attirerait pas les hommes à la Bonne Nouvelle. Pierre doit apprendre la véritable bonté, le véritable Amour de Dieu, et la miséricorde.

Jésus vient d’être arrêté. Pierre a renié son Maître, trois fois de suite, avec de grands serments : “Non! Il ne connaît pas cet homme !”

Immédiatement Pierre pleure sa faute, amèrement. Jésus l’a regardé: et l’apôtre se sait pardonné, mais sa faute est, dans son coeur, une plaie vive qui restera brûlante toute sa vie, et qui le rendra plus humble. La faute de Pierre, regrettée et pardonnée, est devenue source de grâces, source d’amour humble et confiant, source de plus d’amour aussi, pour les pécheurs qu’il rencontrera. Pierre est prêt pour sa mission, Pierre pourra accepter même le martyre...

Comment Jésus prépare ses disciples

Essayons de comprendre l’enseignement de Jésus et l’immensité de son Amour. Généralement tous les bons et fervents chrétiens croient vraiment Jésus, ils croient, en toute bonne foi, être capables de donner leur vie pour le Christ, ils sont sûrs de ne jamais Le trahir. Alors Jésus, permet parfois que nous tombions, nous aussi, et même lourdement. Mais toujours Il veille sur nous et ne nous laisse jamais dépasser certaines limites. Dans le noir, à tâtons, nous cherchons la Volonté de Dieu, et ne la trouvant pas toujours du premier coup, nous nous enlisons, et nous nous débattons, et nous pleurons, et nous nous énervons... Mais Jésus veille.

Oui, Jésus, souvent, nous croyons chercher votre volonté, ou ce nous croyons être votre volonté... Mais nous voulons la faire, votre volonté, avec nos seules forces humaines. Alors Vous nous préparez, doucement, tendrement. Vous voulez que nous nous approchions humblement de votre Coeur doux et humble... Vous nous préparez, Jésus, pour être avec Vous, humblement, douloureusement aussi, comme  Vous prépariez déjà, Pierre à sa grande mission. Car c’est seulement quand on ne voit plus d’issue devant soi que l’on écoute enfin la voix de Dieu. Comme Job qui ”met la main sur sa bouche” quand Dieu lui demande ”s’il a, une seule fois dans sa vie, donné des ordres au matin, assigné son poste à l’aurore... Est-il parvenu aux sources de la mer ?... A-t-il découvert les portes de la mort, l’entrée du pays de l’ombre ?...”

Maintenant contemplons Jésus. Il est Dieu, le Fils de Dieu venu sur la terre pour sauver les hommes. Lui, Jésus, sait... Il connaît aussi, ce qui est bien plus complexe que l’univers, Il connaît aussi le coeur de l’homme, et Il voit l’avenir. Jésus voit son Église de tous les siècles, celle qui construit son Corps mystique. Dans sa prescience, Il voit tout, et pourtant Il est parfois inquiet, et un jour Il laisse échapper une plainte devant ses disciples: “Quand le Fils de l’Homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ?”

Cette plainte de Toi, Jésus, cette angoisse du Rédempteur, nous paraît être comme une anticipation de ton agonie. “Père, si c’est possible, que ce calice passe loin de Moi!” Car Tu aimes tous les hommes, Jésus, ils sont tous tes enfants. Tu es venu pour les sauver tous, sans exception. Tu sais que Tu devras vivre ton horrible Passion pour eux, Tu es le Bon Berger qui donnes sa vie pour ses brebis. Tu connais le prix infini d’une âme et Tu es prêt à accepter tous les sacrifices pour les sauver, pour les ramener à Dieu. Pour cela “Tu Te fais obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix.” Tu acceptes tout, Jésus, mais la vue des âmes qui se perdent T’arrache des plaintes.

Voici que nous rejoignons Jésus à Gethsémani. Avec Lui contemplons notre monde... Comment ne pas nous écrier: “Jésus, il n’y a presque plus de foi sur la terre!” Et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser aux personnes qui nous entourent, à ces jeunes, mais aussi à ces moins jeunes qui vont peut-être mourir bientôt. Tous ces gens savent que leur vie s’achèvera, que peut-être bientôt ils ne seront plus. La plupart de nos contemporains ne savent plus rien de leur foi. Ils ne savent plus prier, il faut tout leur apprendre, ou leur réapprendre. N’y a-t-il donc plus la foi sur la terre ?

Jésus, nous avons parfois l’impression de vivre un cauchemar. C’est alors que Vous permettez que nous Vous rejoignions à Gethsémani. Là, Vous nous partagez votre douleur, celle qui Vous mena à la sueur de sang, celle qui Vous fit crier: “Père, que ce calice s’éloigne de Moi... Père, j’ai soif!” soif de toutes les âmes qui sont à votre image, à l’image de Dieu. Soif de toutes les âmes qui ne veulent pas de votre Amour, soif des âmes qui se perdent !

Jésus, près de Vous, à Gethsémani, nous nous sentons complètement inutiles, complètement dépassés. Comment, avec Vous, comprendre qu’on puisse vivre sans Dieu, sans Amour, sans foi? Comment supporter la vue de ces foules qui se perdent ? Comment partager votre Agonie? Comment devenir un de vos disciples ?

Alors, Jésus, Vous nous faites comprendre qu’il fallait que nous nous heurtions aux événements pour apprendre la souffrance contre laquelle on ne peut rien, la souffrance qui fut la vôtre à Gethsémani quand Satan cherchait à Vous conduire au désespoir... Il faut que nous expérimentions notre impuissance, notre misère. Il faut même parfois que nous tombions dans le péché pour voir notre petitesse, notre faiblesse, notre vulnérabilité, pour apprendre l’humilité. Et quand il n’y a plus de solution humaine, il faut que nous nous abandonnions à votre volonté, en toute confiance, pour être enfin vraiment dans la volonté de Dieu.

Jésus, Vous nous préparez lentement, dans l’humilité, car il faut que nous devenions comme de tout petits enfants qui n’arrivent pas à avancer malgré tous leurs efforts, ou qui n’arrivent pas à construire le beau château dont ils avaient rêvé... Et nous nous énervons, nous trépignons, nous tombons, nous crions parce que nous nous sommes fait mal, nous pleurons parce que nous n’arrivons pas à faire seuls ce que nous voudrions réaliser. Et nous refusons même l’aide de notre maman jusqu’au moment où, vaincus et désespérés, nous la regardons, l’appelons, et accueillons son aide avec un sourire qui sèche nos pleurs. Maintenant nous savons que nous ne pouvons rien faire tout seuls: nous sommes beaucoup trop petits... Nous sommes avec vous à Gethsémani.

Jésus, c’est ainsi que Vous semblez agir avec nous. Vous nous regardez essayant de faire notre volonté propre comme une maman regarde avec amour son petit qui trépigne à cause de son impuissance. Vous nous regardez Jésus, et Vous attendez. Puis quand nous avons enfin compris que sans Vous nous n’arriverons jamais à rien, Vous nous tendez la main secourable qui était là depuis longtemps, mais que nous ne voulions pas voir...

Jésus, en nous attendant, votre Cœur a souffert et continue de souffrir, car pour sauver tous les hommes, il fallait que votre vie fut une longue patience, un lent Chemin de Croix.

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